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Liberté, égalité, choucrouteMoi y'en a vouloir des sous

Saga Jean Yanne

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972)


TOUT LE MONDE IL EST BEAU, TOUT LE MONDE IL EST GENTIL

classe 4

Résumé :

Un journaliste de radio est renvoyé de sa station en raison de son ton trop impertinent. A la suite d'un concours de circonstances, il est réintégré et promu directeur des programmes. L'orientation anarchiste et frondeuse des nouveaux programmes va rapidement irriter, non seulement les dirigeants de la station, mais aussi les autorités économiques et politiques.

unechance 7

Critique :

Pour son premier film en tant que réalisateur, Jean Yanne, qui n'a pas oublié son éviction de la radio à la fin des années soixante, prend sa revanche sur les milieux audiovisuels avec cette caricature féroce, mordante, mais aussi très amusante d'une station de radio commerciale.

Mine de rien, l'humoriste s'attaque aussi à quelques-unes de ses cibles favorites : l'hypocrisie sous toutes ses formes et bien entendu la religion. Ainsi, il reste dans le droit fil de ses émissions de radio où il développait avec son compère Gérard Sire, coauteur du scénario, une propagande farouchement anticléricale.

Et je dois dire que cela fait un bien fou, à notre époque où les religions envahissent de plus en plus l'espace public et entendent régenter la société selon leurs préceptes, de revoir un tel film, qu'il serait sans doute impossible de produire de nos jours.

Cet aspect est particulièrement présent dans le titre du film et dans les génériques, tant de début que de fin, qui parodient l'aspect « angélique heureux et inconscient » du discours chrétien, alors que le monde réel est rempli d'horreurs et d'insanités.

Yanne, par le biais de Christian Gerber, le personnage qu'il interprète, se paye aussi les milieux culturels « intellos », créateurs de spectacles grotesques à l'image de ceux montés par son ami Marcel Jolin (Michel Serrault), qui vit comme tout ce joli monde des subventions publiques.

L'univers de l'audiovisuel est dépeint sans concessions, et la meilleure illustration de ce panier de crabes est probablement ce dialogue entre Gerber et l'épouse hystérique de Plantier, le directeur des programmes interprété par Jacques François :

« Où est-il, cette ordure ?

-Quelle ordure ? Ici, vous êtes dans une station de radio, alors il n'y a quasiment que ça... »

ladoublure 3

Radio Plus est dirigée par Louis-Marcel Thulle (Bernard Blier), un affairiste qui fait attribuer les budgets publicitaires des entreprises qu'il contrôle à sa station. C'est parce que Plantier le bat régulièrement à un jeu d'enfants que Thulle le prend en grippe, le renvoie et, sur les conseils de son épouse (Marina Vlady, une bourgeoise qui lit « La Cause du Peuple » (!) pendant que son mari regarde des émissions religieuses...), nomme Gerber à sa place et le dote des pleins pouvoirs. Millie Thulle a fait la connaissance de Gerber dans une boîte de nuit, et l'apprécie.

Le brave M. Thulle a une façon originale de demander la tête des employés qui lui déplaisent, puisqu'il leur envoie ni plus, ni moins qu'un crâne dans un carton à chapeau !

Plantier a l'habitude de caresser le public dans le sens du poil en lui servant ce qu'il aime. Les études d'opinion ayant montré que le public aime Jésus, il a imposé Dieu et Jésus à toutes les sauces, jusque dans les messages publicitaires. Qui ne se souvient du slogan de la station sous l'ère Plantier ? « Radio Plus, Radio Plus, Radio Plus, Jé-é-suuuuus... »

Sylvestre Ringeard, c'est l'animateur cire-pompes interprété de manière désopilante par le toujours excellent Daniel Prévost. Le patron veut que l'on parle de Jésus ? Ringeard obtempère avec son zèle habituel...

Gerber dénonce aussi les reportages bidon, mais son franc-parler déplaît à Thulle et à Plantier. Le style Gerber, c'est de dire la vérité, crue et sans fard, même si elle dérange, on peut même dire surtout si elle dérange. Voilà qui ne peut qu'horripiler les « bien-pensants » dans ce monde hypocrite.

J'apprécie particulièrement le message enregistré par Gerber à destination de Plantier, en prévision de son éviction. Jean Yanne y donne une bonne définition de la vulgarité, qu'il différencie de la grossièreté. Gerber revendique sa grossièreté, et taxe Plantier de vulgarité, en raison de ses émissions racoleuses et démagogiques.

Parvenu au pouvoir, Christian impose son style décontracté et impertinent. Il fait tester les produits dont la radio fait la publicité et résilie le contrat si le test n'est pas satisfaisant., au grand dam du toujours affairiste M. Thulle.

Il n'hésite pas à dire tout le mal qu'il pense d'un politicien qui vient de passer l'arme à gauche ! Et un autre politicien (Henri Vilbert) se voit proposer une piqûre de sérum de vérité avant de passer à l'antenne, ce qu'il refuse avec véhémence.

Ringeard, reconverti dans le test des produits alimentaires, finit par décéder, victime du devoir, à force de tester des boîtes de conserves, du crabe, de la choucroute et même des produits pour chiens !

Le président Thulle se retrouve écartelé entre la réussite populaire éclatante du ton Gerber, qui a permis de quadrupler l'audience, et les remous provoqués par ses programmes dans les sphères de pouvoir. Thulle prend alors la température auprès des principaux groupes politiques.

Une coalition d'intérêts contradictoires se met en place contre Gerber : les politiciens de droite dans leurs belles DS, mais aussi le communiste dans sa modeste 404, tous demandent la tête du malheureux Christian. Le marxiste est le plus virulent, il le traite de « suppôt de l'impérialisme, crapule fasciste et détritus faisandé de la bourgeoise décadente. » (!)

Jusqu'alors, Louis-Marcel Thulle avait beaucoup hésité, et toujours cédé à Gerber. Jean Yanne s'est montré visionnaire, puisque l'attitude du P-DG rappelle étrangement celle qu'aura une décennie plus tard Francis Bouygues, le patron de TF1, avec son « anarchiste préféré », Michel Polac, dont il finira pourtant par se débarrasser.

Après l'échec d'une tentative d'assassinat, où la femme de Plantier meurt à sa place, Gerber est destitué à cause de son vieil ami Marcel Jolin qui, pour le remercier de l'avoir fait réengager à Radio Plus, le trahit en révélant au président Thulle la teneur explosive de la nouvelle grille de programmes.

Car douze « amis » entourent Gerber, et ils dont dépeints comme les apôtres de Jésus. Jolin a donc le rôle de Judas !

On ne saura jamais en quoi consistaient ces nouveaux programmes qui font frémir Louis-Marcel Thulle, mais à cette occasion Bernard Blier proclame une phrase à la fois assassine et très lucide :

« Faire la Révolution, c'est prendre le pouvoir et la richesse, pas les anéantir. »

Comme il se doit, c'est Jolin, récompensé pour ses bons services, qui va succéder à Gerber à la tête des programmes de Radio Plus.

Avec ce premier film, Jean Yanne s'est constitué un groupe de comédiens amis que l'on retrouvera dans la plupart de ses œuvres des années soixante-dix. On y retrouve de très grands acteurs dans les premiers rôles, Michel Serrault, Bernard Blier et Jacques François en tête. Le fameux Daniel Prévost est le leader d'un ensemble de comédiens que l'on va retrouver régulièrement dans les seconds rôles, et qui constituent en quelque sorte la « bande à Jean Yanne », de Paul Préboist à Ginette Garcin, en passant par Jean-Marie Proslier, Jean Obé, Jean-Roger Caussimon, souvent doté de rôles de prêtres, Jacqueline Danno, Marco Perrin, Yvan Varco, Roger Lumont, ainsi que les Frères Ennemis, André Gaillard et Teddy Vrignault.

Coup d'essai, coup de maître car sans nul doute, Jean Yanne signe d'emblée son meilleur film en tant que réalisateur, merveilleux de drôlerie, d'esprit corrosif et d'impertinence, et dont l'ancrage dans l'esprit soixante-huitard anarchiste de l'époque ne va pas effacer son aspect intemporel puisque, revu plus de quarante ans après sa sortie, il n'a pas pris une ride.

Anecdotes :

  • Devant l'impossibilité de trouver un producteur, Jean Yanne fut contraint de créer Cinéquanon, sa propre société de production, en association avec Jean-Pierre Rassam.

  • Cela deviendra une tradition sur les films de Jean Yanne, la musique occupe une grande place, à tel point que ce sont presque des comédies musicales. Ici, on remarque notamment un spectacle musical produit par Marcel Jolin sur suggestion de Gerber, et qui est une parodie de Jésus Christ Superstar.

  • La séquence de Daniel Prévost sur « Mon cher ami » a été totalement improvisée, et le moins que l'on puisse dire est qu'elle se situe tout à fait dans l'esprit parodique du film.

  • L'affiche sur laquelle on peut lire « Approuvé par le maire de Tours » est évidemment une allusion à Jean Royer, le père-la-pudeur de l'époque.

  • L'aspect visionnaire de Jean Yanne, qui décrit les médias non comme ils étaient à l'époque, mais comme ils allaient le devenir à partir des années quatre-vingt, est étonnant de vérité. L'humoriste avait merveilleusement saisi l'évolution amorcée alors, et ce don de « sentir » les tendances de la société, on le retrouvera dans plusieurs de ses films.

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Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentilLes Chinois à Paris

Saga Jean Yanne

Moi y'en a vouloir des sous (1973)


MOI Y'EN A VOULOIR DES SOUS

classe 4

Résumé :

Benoît Lepape est conseiller financier d'une grande entreprise d'électronique. Il fait le désespoir de son oncle Adrien Colbart, président d'un syndicat ouvrier, qui estime qu'il trahit sa famille en travaillant au profit de ses ennemis capitalistes. Pour avoir déconseillé d'investir dans des placements douteux mais préconisés par son patron, également président du patronat français, Lepape est mis à la porte.

Il propose alors à son oncle de lutter contre le capitalisme de l'intérieur en rachetant en sous-main avec l'argent du syndicat une fabrique de vélos en difficultés, dont il sera le président. Lepape espère réussir dans le monde des affaires afin de prendre sa revanche sur son ancien employeur.

unechance 7

Critique :

Une intéressante satyre sociale dans le plus pur style parodique de Jean Yanne. Le film est admirablement construit. D'abord, le constat : Jean Yanne renvoie dos à dos les capitalistes purs et durs, sans scrupules et magouilleurs, représentés par Fernand Ledoux et Jacques François, et les syndicalistes bornés incarnés par Bernard Blier et sa bande, caricature de la CGT.

Il faut souligner le talent exceptionnel de Bernard Blier, que l'on est habitué à voir en patron suffisant ou en chef de la police autoritaire, et qui se glisse ici dans la peau d'un dirigeant de syndicat ouvrier avec une facilité incroyable. On oublie instantanément le Blier grand bourgeois pour adhérer au Blier prolo.

A l'inverse, le rôle de prêtre est taillé sur mesure pour Michel Serrault, qui fût séminariste avant de choisir la comédie.

Jean Yanne a même pensé aux enragés, ou plutôt aux enragées, puisqu'il s'agit d'un groupe de furies féministes emmenées par Nicole Calfan, la sœur du prêtre. Ces enragées s'opposent souvent au syndicat, plus raisonnable malgré les apparences et prêt à négocier avec le patronat pour le bien des travailleurs.

Jean Yanne utilise le personnage de Benoît Lepape pour exprimer ses idées sur les relations sociales dans l'entreprise. Persuadé que les objectifs du syndicat sont justes et légitimes, mais que ses méthodes, manifestions et pancartes, sont vaines, Lepape pense qu'il faut combattre le capitalisme, et surtout ses excès, par le capitalisme lui-même.

ladoublure 3

Benoît se montre habile à la manœuvre, il sait utiliser le syndicat de son oncle à ses fins. Le syndicat a racheté une entreprise de vélos : il se convertit soudain à l'écologie et prône la lutte contre la pollution... qui conduit à accroître la vente de vélos, puis provoque des grèves de pompistes pour miner la concurrence de l'automobile.

Lepape incarne un patronat souriant, moderne et social. Ses ouvriers sont choyés au sein d'usines modèles. En avance sur son temps, il n'est pas suivi par le monde ouvrier sur toutes ses initiatives. Là encore, la description sonne juste : le syndicat veut récupérer ses bénéfices pour construire un bâtiment neuf, alors que Lepape voulait réinvestir les profits. Quant aux ouvriers, ils refusent ses propositions d'autogestion.

Cette situation est bien connue dans la « vraie vie » : les syndicats et les travailleurs ne souhaitent pas transformer profondément les structures du capitalisme, mais veulent simplement des augmentations de salaires. Le titre du film résume bien cet état d'esprit. Bien souvent, le patronat cède, même lorsqu'il serait préférable de réinvestir une partie des profits. Du mois était-ce ainsi à l'époque du film, avant que l'avènement de l'ultralibéralisme dans les années quatre-vingts ne rende le patronat intransigeant et impitoyable.

Nicole, « l'enragée », décide de séduire Lepape pour mieux le ruiner. Elle prend des cours de « pratiques de riches » pour s'introduire dans son monde, mais cela la dégoûte. Voilà qui me rappelle « Le Mot de passe », l'épisode de la série Amicalement Vôtre où Danny Wilde se fait passer pour un marxiste déguisé en grand capitaliste et se « forçant » à vivre comme un riche.

Désormais à la tête d'un grand empire industriel, Lepape est déçu de constater que, même lorsqu'il entreprend des actions en faveur des travailleurs, cela finit toujours par lui rapporter de l'argent. Il décide alors d'investir dans des secteurs traditionnellement déficitaires comme la presse, le théâtre et le cinéma, mais la dynamique du succès est de son côté, et ces entreprises sont toutes des réussites.

Seule une grève illimitée de sa part finira par faire accepter aux partenaires sociaux son retrait définitif. Il pourra alors couler des jours heureux avec Nicole, dans la modeste maison offerte à titre de reconnaissance par les travailleurs, à qui il vient de céder tous ses biens.

Et comme il ne peut échapper à son destin de riche éternel, il fait jaillir du pétrole dans son jardin dès son premier coup de pioche...

Jean Yanne a bétonné la distribution en faisant appel aux mêmes poids lourds et rôles secondaires que sur Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil. Un élément de plus qui renforce le sentiment d'explorer un univers particulier, l'univers parodique et désopilant de l'humoriste.

Sans atteindre tout à fait le niveau de Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil, ce Moi y'en a vouloir des sous est une comédie satirique à la fois très juste et distrayante, que l'on revoit toujours avec plaisir, petit sourire au coin des lèvres.

Anecdotes :

  • Le tournage a eu lieu à Paris, en région parisienne et en Picardie.

  • Nicole Calfan était à l'époque la compagne de Jean Yanne.

  • Le titre ne pourrait être attribué à un film de nos jours, lobbies du politiquement correct obligent...

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Les Chinois à Paris (1974)Je te tiens, tu me tiens par la barbichette (1978)

Saga Jean Yanne

Chobizenesse (1975)


CHOBIZENESSE

classe 4

Résumé :

Clément Mastard, organisateur de spectacles, est contraint de faire appel à l'aide financière de quatre frères marchands d'armes pour éviter la faillite. Décidé à promouvoir coûte que coûte un compositeur qu'il juge génial, il accepte toutes les compromissions pour pouvoir mettre en scène un spectacle dont la musique est composée par le surdoué. Mais les commanditaires veulent récupérer rapidement leur investissement...

unechance 7

Critique :

Un film qui promettait beaucoup, et qui ne tient pas du tout ses promesses. Une critique acerbe du monde du spectacle, voilà qui, a priori, avait tout pour faire un bon, et même un grand film de la part de Jean Yanne, qui avait réalisé un excellent film dans ce genre avec Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

La satyre sur le show-business, elle est présente. Ils sont nombreux, ceux qui en prennent pour leur grade, des investisseurs rapaces aux producteurs intellos subventionnés, en passant par les artistes eux-mêmes, montrés sous un jour cynique et égoïste, à l'image de l'ex-épouse de Mastard.

ladoublure 3

Alors, qu'est-ce qui a engendré l'échec ? Déjà, on peut évoquer la tonalité plus grave que les précédents films de Yanne. Le cinéaste-acteur nous avait habitués à des comédies légères, avec bien entendu des aspects satyriques évidents, mais les aspects comiques rendaient les caricatures attrayantes. Ici, peu d'occasions de rire, ni même de sourire, malgré le nom bien choisi du compositeur, Jean-Sébastien...Bloch ! Pour pousser à fond le parallèle avec Bach, la femme de Bloch se prénomme Anna-Magdalena, tout comme celle du génial compositeur baroque.

Mais deux éléments essentiels vont précipiter le film dans l’abîme. D'abord, le personnage de Jean-Sébastien Bloche, justement, et pire encore, celui de sa femme. Je n'apprécie guère le jeu prétentieux de Robert Hirsch, il est vrai typique de sa façon de jouer, car il m'avait déjà déplu dans Maigret et l'Affaire Saint-Fiacre, avec Jean Gabin. Robert Hirsch a fait une grande carrière au théâtre, et était probablement plus fait pour les planches que pour le grand écran.

Quant au personnage de Anna-Magdalena Bloch, il est absolument grotesque, à l'image de ces scènes pénibles à supporter où elle houspille son mari dans leur taudis de banlieue.

Ensuite, le final totalement raté va enfoncer le clou. Mastard, dans son délire de vouloir imposer coûte que coûte la musique de Bloch, devient un véritable forcené, qui prend les armes face à ses commanditaires. Passe encore que les policiers soient subjugués par la musique de Bloch, il est vrai fort belle, mais cette conclusion ridicule, où ils finissent par tirer sur ordre des frères Boussenard et trucident Bloch et Mastard, achève le spectateur, si tant est qu'il ait tenu jusqu'à ce moment-là, et on ne lui reprocherait pas d'avoir décroché auparavant.

Jean Yanne nous avait habitués à dire ses quatre vérités en utilisant la dérision, et cela marchait bien. La tentative de s'immiscer dans le domaine du drame s'avère un échec cuisant.

Anecdotes :

  • Pas de jolie femme pour apporter une touche de charme dans ce film : Nicole Calfan est partie et Mimi Coutelier pas encore arrivée.

  • La piètre qualité du film a engendré un très logique échec commercial, avec à peine plus de 500 000 entrées.

  • Jean Yanne, qui en était à son quatrième film en quatre ans en tant que réalisateur, attendra trois ans avant de tourner le suivant. On peut penser qu'il a été échaudé par cet échec, et senti le besoin de se ressourcer afin de trouver de nouvelles idées.

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Moi y'en a vouloir des sous (1973)Chobizenesse (1975)

Saga Jean Yanne

Les Chinois à Paris (1974)


LES CHINOIS À PARIS

classe 4

Résumé :

Les Chinois envahissent l'Europe, et la France se retrouve occupée. Le Président de la République et son gouvernement se réfugient aux Etats-Unis, un gouvernement à la solde de l'occupant est nommé, et les Français s'organisent comme il peuvent. Régis Forneret, un petit entrepreneur opportuniste, entend bien profiter de l'armée d'occupation pour faire fortune.

unechance 7

Critique :

C'est bien évidemment l'attitude des Français sous l'Occupation qui est visée. Les Chinois tiennent le rôle des Allemands, mais les situations sont les mêmes : élites incompétentes, politiciens couards qui prennent la fuite ou se rallient à l'occupant, queues, marché noir, panneaux indicateurs écrits en Chinois, lettres de dénonciation qui arrivent par sacs entiers, policiers français zélés et plus féroces que les Chinois, gouvernement fantoche de collaboration, avec à sa tête l'impayable Jacques François en guise de Maréchal Pétain.

Même l'antisémitisme est habilement évoqué : le « mauvais citoyen » présenté dans l'émission Le Pilori Télévisé a un patronyme juif, et le commentaire en voix off fait remarquer « son nez crochu et ses lèvres lippues », et appelle le téléspectateur à exprimer tout son mépris et à se défouler en crachant sur son téléviseur.

Cette séquence est particulièrement intéressante dans la mesure où elle marie admirablement l'attitude collaboratrice de la presse française sous l'Occupation avec les pratiques de dénonciations publiques des pays communistes.

Il faut reconnaître qu'un tel film fait un bien fou, par son rétablissement de certaines vérités que les pouvoirs, en particulier le pouvoir gaulliste qui s'apprêtait à être remplacé par le libéralisme giscardien, ont délibérément tenté de masquer en imposant le mythe d'une « France résistante ».

Alors, il ne faut certes pas aller trop loin dans l'autre sens, il y a eu en effet un certain nombre de Français engagés très tôt dans la Résistance, mais ils furent peu nombreux, et la réalité de cette époque fut surtout une France attentiste à la base, ce qui est d'ailleurs peu répréhensible et pas l'apanage de nos seuls compatriotes, et une France lâche, veule, dépassée et incompétente dans ses élites ou prétendues telles, et cette France est admirablement décrite tout au long du film.

ladoublure 3

Jean Yanne a ajouté à la vérité historique quelques éléments originaux et iconoclastes, histoire de renforcer les aspects comiques. Les Français ayant une réputation de « fumistes », ils se retrouvent spécialisés dans la fabrication de... tuyaux de poêle ! Le haut commandement chinois choisit de s'installer... dans l'immeuble des Galeries Lafayette ! Quant à la « fornication », elle est interdite, toute l'énergie devant être consacrée au travail, pour le « bien du peuple ».

L'anticléricalisme habituel de Jean Yanne s'exprime sans retenue : les ecclésiastiques sont décrits comme des collaborateurs actifs et zélés, que ce soit au plus haut niveau ou à la base, représentée par Paul Préboist, le petit curé de campagne reconverti en commissaire du peuple, au point d'avoir obtenu la nationalité chinoise. Là encore, l'humoriste met le doigt là où ça fait mal, car cette attitude de la hiérarchie catholique rappelle en tous points les souvenirs de l'Occupation, lorsque les plus hautes autorités de l'Eglise qualifiaient la politique de Pétain de « divine surprise », car elle leur permettait de prendre la revanche sur des décennies de laïcité et d'anticléricalisme républicains.

Fil conducteur de l'histoire, Régis Forneret (Jean Yanne), tenancier de sex-shop à l'arrivée des Chinois, se reconvertit en vendeur de pousse-pousse, puis devient organisateur de spectacles pour les occupants, sa première production d'envergure s'appelant... Carmeng !

Ainsi, Forneret rafle d'importantes subventions et devient plusieurs fois milliardaire. Ce personnage est lui aussi inspiré de faits réels, et représente la collaboration économique dans toute son horreur, même si le cynisme jovial du jeu de Jean Yanne permet d'édulcorer ses aspects les moins ragoûtants.

Entouré de ses comédiens fétiches, Yanne dresse quelques portraits sans concession de Français divers sous un régime d'occupation. Michel Serrault est le converti sincère à l'idéologie marxiste, et sa compagne Stéphanie (Nicole Calfan) tombe amoureuse du chef de l'armée chinoise. En toute logique, elle sera tondue à la Libération.

Daniel Prévost incarne la Résistance, avant d'être arrêté et envoyé en camp de « rééducation », d'où il ressort trois mois plus tard marxiste convaincu. On voit très bien ce que l'exceptionnel Daniel Prévost peut faire d'un tel rôle...

Il faut souligner que, pour conserver au film un côté bon enfant, les Chinois ne sont pas présentés comme très méchants, mais plutôt naïfs, en tous cas loin de la brutalité et de l'inhumanité des nazis.

Tout en gagnant de l'argent avec les Chinois, Forneret fait de la Résistance à sa manière. Pour desserrer le carcan de fer qui enserre les Français, il suggère aux Chinois que la France devienne dans le monde socialiste l'exemple à ne pas suivre. L'alcool se met à couler à flots, les spectacles de cabaret se  multiplient, la fornication est rétablie et prolifère.

En continuité avec son activité passée de tenancier de sex-shop, Régis augmente sa fortune grâce aux recettes élevées de ses lieux de plaisirs. Face à cette « décadence » déplorable, Daniel Prévost et Michel Serrault entrent à nouveau en rébellion. Ils représentent alors les ultras de la collaboration, en quelque sorte des condensés de Marcel Déat et de Jacques Doriot à la sauce marxiste-léniniste.

La menace de ces extrémistes pousse Forneret à recommander aux Chinois de se mettre à boire, à s'empiffrer, s'amuser et forniquer pour donner le « bon exemple » aux Français. Mais les Chinois ne supportent pas ce régime, auquel ils ne sont pas habitués, et décident d'évacuer la France.

L'épuration se met en place, le Président de la République peut revenir, reprendre sa place et prononcer tranquillement ses discours pompeux. Quant à Régis Forneret, il essaie sans conviction de lui vendre ses produits, mais choisit finalement de continuer son commerce avec les Chinois, qu'il va retrouver dans les capitales européennes encore occupées.

Cette partie du film est certes assez drôle, mais néanmoins en retrait par rapport à ce qui précède. Il me semble qu'il y avait mieux à faire avec la Résistance, même si ce bémol ne gâche pas les qualités d'ensemble de ce film très divertissant.

Anecdotes :

  • Cette super production a exigé un budget plus important que sur les deux films précédents, ce qui a contraint Jean Yanne à faire appel au financement de l'industriel de l'armement Marcel Dassault. Ce souvenir lui fut-il si douloureux pour qu'il ait caricaturé dès son film suivant et de façon féroce des marchands d'armes qui investissent dans des spectacles ?

  • Les organisations maoïstes ont très mal accueilli le film, et même tenté de saboter sa diffusion. Cette attitude est un mystère dans la mesure où il est évident que Jean Yanne a montré les Chinois sous un jour plutôt favorable et concentré l'essentiel de ses flèches assassines à l'attitude des Français.

  • Le film a été très mal accueilli par la presse qui a dénoncé sa prétendue vulgarité. Evidemment, il ne devait pas être agréable pour les prétendues élites de se voir asséner brutalement les quatre vérités de leur attitude sous l'Occupation...

  • Près de vingt ans plus tard, Jean Yanne tiendra le rôle de Pierre Laval dans le Pétain de Jean Marbeuf., d'après l'ouvrage de l'historien Marc Ferro, et face à Jacques Dufilho dans le rôle du Maréchal Pétain.

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ChobizenesseDeux heures moins le quart avant Jésus-Christ

Saga Jean Yanne

Je te tiens, tu me tiens par la barbichette (1978)


JE TE TIENS, TU ME TIENS PAR LA BARBICHETTE

classe 4

Résumé :

Le commissaire Chodaque enquête au sein d'AF4, une chaîne de télévision dont l'animateur vedette Patrice Rengain vient d'être enlevé par un groupuscule révolutionnaire.

unechance 7

Critique :

Jean Yanne revient à la recette magique de son premier film, une parodie grinçante du petit monde de l'audiovisuel. Il prouve qu'il est totalement dans son élément dans ce style car il va renouer avec les sommets atteints sur Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil.

Après la radio, c'est donc la télévision qui passe à la moulinette décapante de l'humoriste. Au travers de l'enquête sur l'enlèvement de l'animateur Patrice Rengain (Michel Duchaussoy), le film présente la vie agitée d'une chaîne de télévision commerciale. Les apparences d'AF4 sont trompeuses : derrière la façade luxuriante et sympathique, c'est l'hypocrisie et le cynisme absolus qui règnent à tous les étages.

Jean Yanne montre une télévision qui subit des pressions du pouvoir politique au plus haut niveau puisque le sieur Aurélien Brucheloir, distingué patron de la chaîne interprété par le sémillant Jacques François, a le souci permanent de ne pas déplaire au Président de la République.

Ceci correspond aux réalités de l'époque, qui ont pu s'estomper depuis la création des chaînes privées. Mais Yanne se montre également visionnaire puisque la télévision à paillettes qu'il décrit, avec ses émissions racoleuses et ses jeux débiles, ressemble plus à ce qu'elle deviendra à partir des années 80 qu'à ce qu'elle était dans les années 70, à l'époque du tournage.

Une nouvelle fois, Jean Yanne a anticipé les évolutions à partir de tendances, car dans les années soixante-dix, on comptait encore nombre de jeux éducatifs et populaires de qualité, à l'image de Réponse à Tout ou La Tête et les Jambes.

Les publicités sont omniprésentes, toutes plus désopilantes les unes que les autres, preuve que la leçon de l'échec de Chobizenesse a porté ses fruits : Yanne a compris qu'une dose importante de comédie souriante est nécessaire pour renforcer l'aspect satyrique, mais aussi pour faire contrepoids à la critique sociale.

ladoublure 3

Le début du film présente un inspecteur Chodaque inflexible, qui n'hésite pas à arrêter et emprisonner la femme du directeur de la PJ ! On croit que le haut-fonctionnaire (Jean Desailly) va le réprimander, mais il se trouve qu'il a des comptes à régler avec son épouse. Du coup, il félicite Chodaque et le fait promouvoir au grade de commissaire.

Chargé de l'enquête sur la disparition de Patrice Rengain, le nouveau commissaire Chodaque se rend vite compte de la duplicité des dirigeants de la chaîne. Alors que le directeur venait de lui affirmer que Rengain n'avait que des amis au sein d'AF4, le producteur Larsen (Mort Shuman) surgit et s'amuse ouvertement de l'enlèvement de ce « fumier de Rengain », puis affirme que la majorité du personnel de la chaîne le haïssait à mort !

Jean-Claude Dreyfus, l'adjoint de Chodaque, compose une imitation parfaite de... Kojak, avec son chapeau et ses sucettes !

Sur suggestion du commissaire, une émission spéciale est organisée, destinée à recueillir auprès des téléspectateurs l'argent de la rançon exigée pour la libération de Rengain. C'est la longue partie consacrée à cette émission qui constitue le sommet du film. Jean-Pierre Cassel y fait un numéro extraordinaire dans le rôle de l'animateur Jean-Marcel Grumet. Il adopte à la perfection le phrasé et les attitudes d'un animateur vedette de télévision commerciale, et démontre une fois de plus l'étendue de ses qualités de très grand acteur.

Comme toujours avec Jean Yanne, la musique occupe une place importante, et elle est d'autant plus facile à placer que Patrice Rengain anime une émission de variétés consacrée au disco. En cette année 78, la vague disco envahit le monde entier, connaissant un succès fulgurant. La musique est composée par le bien connu Jack Morali, spécialiste du genre, compositeur pour le cabaret Crazy Horse et pour des vedettes du disco comme Patrick Juvet et les Village People.

Justement, les Village People font une sympathique apparition. On entend à plusieurs reprises leur tube Macho Man en version instrumentale, et ils interprètent Hot Cop dans l'émission présentée par Jean-Marcel Grumet.

Etienne Chicot incarne un chanteur pop qui interprète une chanson ridiculisant la police, ceci devant Chodaque et son auxiliaire infiltrée sur le plateau ! L'auxiliaire n'est autre que la nouvelle compagne de Jean Yanne dans la « vraie vie », la superbe Mimi Coutelier, et elle ne va pas tarder à démissionner pour devenir une vedette du disco.

Jean-Marcel Grumet anime également l'émission-jeu vedette d'AF4, qui a donné son nom au film, et dans laquelle Jean Le Poulain interprète le sieur Drouillard, un pisse-froid censeur dans un collège catholique, qui gagne de l'argent en triomphant de tous ses concurrents dans le jeu bien connu, titre de l'émission.

Il faut dire que lesdits concurrents ne sont guère dangereux, à commencer par la joyeuse Karine-Anastasia Pourmieux (!), qui rit avant même de commencer.

Malgré une légère perte d'intensité, la dernière partie du film se laisse regarder, grâce à la musique disco, à la beauté de Mimi Coutelier et à la réussite de Chodaque, alors démissionnaire de la police, au « Je te tiens par la barbichette ». Il arrive à vaincre sans coup férir le coriace Drouillard, qui du coup en prend une crise cardiaque !

Bien entendu, la direction de la chaîne a décidé de garder le milliard récolté auprès des téléspectateurs à son profit, dès lors qu'elle s'est rendue compte que Grumet ferait un successeur tout à fait valable de Patrice Rengain pour présenter l'émission phare de la chaîne Disco City.

Quant à Rengain, il n'en sera pas tué pour autant, et on apprendra également la vérité au sujet de son enlèvement...

Question interprétation, outre les excellents Jacques François et Jean-Pierre Cassel, on remarque la présence inattendue de Carlos et de Mort Shuman, Micheline Presle en directrice financière d'AF4, le fidèle Daniel Prévost en producteur coléreux et nombre d'autres fameux acteurs : Marco Perrin en pompier qui empêche tout le monde de fumer sur le plateau, Claude Brosset, Georges Beller, Laurence Badie, Pierre Frag...

Petite merveille d'humour et de dérision, Je te tiens, tu me tiens par la barbichette, même revu près de quarante ans après sa sortie, a conservé son aspect véridique, et demeure un spectacle toujours très agréable.

Anecdotes :

  • Le nom de la chaîne n'a pas été choisi par hasard. Il fait penser à TF1, chaîne qui déjà à l'époque semblait être la plus avancée vers le monde de la télévision commerciale, et le numéro a bien sûr été choisi parce qu'il n'y avait que trois chaînes à l'époque du tournage.

  • Le petit doigt coupé de Patrice Rengain est évidemment inspiré par l'enlèvement du baron Empain.

  • 1978 fut l'année du triomphe de la musique disco dans le monde entier. Le film est placé tout entier sous le signe de cette mode, il suffit de regarder les décors avec boules à facettes et les tenues excentriques pour en faire le constat. Il n'en a que plus de mérite à avoir conservé malgré cela un côté intemporel.

  • On pouvait penser à l'époque du tournage que Jean Yanne exagérait ou caricaturait, mais la réalité a dépassé la fiction puisque certaines chaînes contemporaines vont désormais beaucoup plus loin que ce qui est montré dans le film, qui n'avait pas prévu les émissions faussement présentées comme de la « télé-réalité ».

lescotelettes 5

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