Open menu

Liberté, égalité, choucrouteMoi y'en a vouloir des sous

Saga Jean Yanne

Tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil (1972)


TOUT LE MONDE IL EST BEAU, TOUT LE MONDE IL EST GENTIL

classe 4

Résumé :

Un journaliste de radio est renvoyé de sa station en raison de son ton trop impertinent. A la suite d'un concours de circonstances, il est réintégré et promu directeur des programmes. L'orientation anarchiste et frondeuse des nouveaux programmes va rapidement irriter, non seulement les dirigeants de la station, mais aussi les autorités économiques et politiques.

unechance 7

Critique :

Pour son premier film en tant que réalisateur, Jean Yanne, qui n'a pas oublié son éviction de la radio à la fin des années soixante, prend sa revanche sur les milieux audiovisuels avec cette caricature féroce, mordante, mais aussi très amusante d'une station de radio commerciale.

Mine de rien, l'humoriste s'attaque aussi à quelques-unes de ses cibles favorites : l'hypocrisie sous toutes ses formes et bien entendu la religion. Ainsi, il reste dans le droit fil de ses émissions de radio où il développait avec son compère Gérard Sire, coauteur du scénario, une propagande farouchement anticléricale.

Et je dois dire que cela fait un bien fou, à notre époque où les religions envahissent de plus en plus l'espace public et entendent régenter la société selon leurs préceptes, de revoir un tel film, qu'il serait sans doute impossible de produire de nos jours.

Cet aspect est particulièrement présent dans le titre du film et dans les génériques, tant de début que de fin, qui parodient l'aspect « angélique heureux et inconscient » du discours chrétien, alors que le monde réel est rempli d'horreurs et d'insanités.

Yanne, par le biais de Christian Gerber, le personnage qu'il interprète, se paye aussi les milieux culturels « intellos », créateurs de spectacles grotesques à l'image de ceux montés par son ami Marcel Jolin (Michel Serrault), qui vit comme tout ce joli monde des subventions publiques.

L'univers de l'audiovisuel est dépeint sans concessions, et la meilleure illustration de ce panier de crabes est probablement ce dialogue entre Gerber et l'épouse hystérique de Plantier, le directeur des programmes interprété par Jacques François :

« Où est-il, cette ordure ?

-Quelle ordure ? Ici, vous êtes dans une station de radio, alors il n'y a quasiment que ça... »

ladoublure 3

Radio Plus est dirigée par Louis-Marcel Thulle (Bernard Blier), un affairiste qui fait attribuer les budgets publicitaires des entreprises qu'il contrôle à sa station. C'est parce que Plantier le bat régulièrement à un jeu d'enfants que Thulle le prend en grippe, le renvoie et, sur les conseils de son épouse (Marina Vlady, une bourgeoise qui lit « La Cause du Peuple » (!) pendant que son mari regarde des émissions religieuses...), nomme Gerber à sa place et le dote des pleins pouvoirs. Millie Thulle a fait la connaissance de Gerber dans une boîte de nuit, et l'apprécie.

Le brave M. Thulle a une façon originale de demander la tête des employés qui lui déplaisent, puisqu'il leur envoie ni plus, ni moins qu'un crâne dans un carton à chapeau !

Plantier a l'habitude de caresser le public dans le sens du poil en lui servant ce qu'il aime. Les études d'opinion ayant montré que le public aime Jésus, il a imposé Dieu et Jésus à toutes les sauces, jusque dans les messages publicitaires. Qui ne se souvient du slogan de la station sous l'ère Plantier ? « Radio Plus, Radio Plus, Radio Plus, Jé-é-suuuuus... »

Sylvestre Ringeard, c'est l'animateur cire-pompes interprété de manière désopilante par le toujours excellent Daniel Prévost. Le patron veut que l'on parle de Jésus ? Ringeard obtempère avec son zèle habituel...

Gerber dénonce aussi les reportages bidon, mais son franc-parler déplaît à Thulle et à Plantier. Le style Gerber, c'est de dire la vérité, crue et sans fard, même si elle dérange, on peut même dire surtout si elle dérange. Voilà qui ne peut qu'horripiler les « bien-pensants » dans ce monde hypocrite.

J'apprécie particulièrement le message enregistré par Gerber à destination de Plantier, en prévision de son éviction. Jean Yanne y donne une bonne définition de la vulgarité, qu'il différencie de la grossièreté. Gerber revendique sa grossièreté, et taxe Plantier de vulgarité, en raison de ses émissions racoleuses et démagogiques.

Parvenu au pouvoir, Christian impose son style décontracté et impertinent. Il fait tester les produits dont la radio fait la publicité et résilie le contrat si le test n'est pas satisfaisant., au grand dam du toujours affairiste M. Thulle.

Il n'hésite pas à dire tout le mal qu'il pense d'un politicien qui vient de passer l'arme à gauche ! Et un autre politicien (Henri Vilbert) se voit proposer une piqûre de sérum de vérité avant de passer à l'antenne, ce qu'il refuse avec véhémence.

Ringeard, reconverti dans le test des produits alimentaires, finit par décéder, victime du devoir, à force de tester des boîtes de conserves, du crabe, de la choucroute et même des produits pour chiens !

Le président Thulle se retrouve écartelé entre la réussite populaire éclatante du ton Gerber, qui a permis de quadrupler l'audience, et les remous provoqués par ses programmes dans les sphères de pouvoir. Thulle prend alors la température auprès des principaux groupes politiques.

Une coalition d'intérêts contradictoires se met en place contre Gerber : les politiciens de droite dans leurs belles DS, mais aussi le communiste dans sa modeste 404, tous demandent la tête du malheureux Christian. Le marxiste est le plus virulent, il le traite de « suppôt de l'impérialisme, crapule fasciste et détritus faisandé de la bourgeoise décadente. » (!)

Jusqu'alors, Louis-Marcel Thulle avait beaucoup hésité, et toujours cédé à Gerber. Jean Yanne s'est montré visionnaire, puisque l'attitude du P-DG rappelle étrangement celle qu'aura une décennie plus tard Francis Bouygues, le patron de TF1, avec son « anarchiste préféré », Michel Polac, dont il finira pourtant par se débarrasser.

Après l'échec d'une tentative d'assassinat, où la femme de Plantier meurt à sa place, Gerber est destitué à cause de son vieil ami Marcel Jolin qui, pour le remercier de l'avoir fait réengager à Radio Plus, le trahit en révélant au président Thulle la teneur explosive de la nouvelle grille de programmes.

Car douze « amis » entourent Gerber, et ils dont dépeints comme les apôtres de Jésus. Jolin a donc le rôle de Judas !

On ne saura jamais en quoi consistaient ces nouveaux programmes qui font frémir Louis-Marcel Thulle, mais à cette occasion Bernard Blier proclame une phrase à la fois assassine et très lucide :

« Faire la Révolution, c'est prendre le pouvoir et la richesse, pas les anéantir. »

Comme il se doit, c'est Jolin, récompensé pour ses bons services, qui va succéder à Gerber à la tête des programmes de Radio Plus.

Avec ce premier film, Jean Yanne s'est constitué un groupe de comédiens amis que l'on retrouvera dans la plupart de ses œuvres des années soixante-dix. On y retrouve de très grands acteurs dans les premiers rôles, Michel Serrault, Bernard Blier et Jacques François en tête. Le fameux Daniel Prévost est le leader d'un ensemble de comédiens que l'on va retrouver régulièrement dans les seconds rôles, et qui constituent en quelque sorte la « bande à Jean Yanne », de Paul Préboist à Ginette Garcin, en passant par Jean-Marie Proslier, Jean Obé, Jean-Roger Caussimon, souvent doté de rôles de prêtres, Jacqueline Danno, Marco Perrin, Yvan Varco, Roger Lumont, ainsi que les Frères Ennemis, André Gaillard et Teddy Vrignault.

Coup d'essai, coup de maître car sans nul doute, Jean Yanne signe d'emblée son meilleur film en tant que réalisateur, merveilleux de drôlerie, d'esprit corrosif et d'impertinence, et dont l'ancrage dans l'esprit soixante-huitard anarchiste de l'époque ne va pas effacer son aspect intemporel puisque, revu plus de quarante ans après sa sortie, il n'a pas pris une ride.

Anecdotes :

  • Devant l'impossibilité de trouver un producteur, Jean Yanne fut contraint de créer Cinéquanon, sa propre société de production, en association avec Jean-Pierre Rassam.

  • Cela deviendra une tradition sur les films de Jean Yanne, la musique occupe une grande place, à tel point que ce sont presque des comédies musicales. Ici, on remarque notamment un spectacle musical produit par Marcel Jolin sur suggestion de Gerber, et qui est une parodie de Jésus Christ Superstar.

  • La séquence de Daniel Prévost sur « Mon cher ami » a été totalement improvisée, et le moins que l'on puisse dire est qu'elle se situe tout à fait dans l'esprit parodique du film.

  • L'affiche sur laquelle on peut lire « Approuvé par le maire de Tours » est évidemment une allusion à Jean Royer, le père-la-pudeur de l'époque.

  • L'aspect visionnaire de Jean Yanne, qui décrit les médias non comme ils étaient à l'époque, mais comme ils allaient le devenir à partir des années quatre-vingt, est étonnant de vérité. L'humoriste avait merveilleusement saisi l'évolution amorcée alors, et ce don de « sentir » les tendances de la société, on le retrouvera dans plusieurs de ses films.

lescotelettes 5

Retour à l'index