Un million d’années avant Jésus-Christ (1966) Résumé : Au temps de la préhistoire vivent deux tribus. Banni de celle des cavernes, Tumak rencontre Loana, de celle de la mer. Ils partent ensembles et affrontent les périls d’une Nature hostile peuplée de créatures féroces. Critique : Il serait facile de se moquer de ce film qui met en scène une préhistoire de pacotille et fait fi de toute vraisemblance historique. Sauf que l’exactitude n’a aucun intérêt ici puisque la vérité est ailleurs. Dépourvu de dialogues, ce film est en revanche doté d’un scénario intéressant où la simplicité n’est qu’apparente et dévoile, grâce à la réalisation judicieuse de Don Chaffey, bien plus de fond qu’on ne le supposerait. Le fil rouge de ce film, quasi-psychanalytique, montre comment l’Homme passe de l’état de brute sauvage à celle d’être civilisé. Symptomatiquement, l’ouverture nous montre des scènes de volcanisme impressionnantes et le réalisateur enchaîne sur un orage nocturne non moins violent suivi de scènes montrant l’état sauvage de la tribu des cavernes. La violence des éléments renvoie à celle des hommes qui ne s’en dissocient pas. En revanche, au final, on aura une scène solaire où l’homme, sorti de la caverne (référence à Platon ?), surmonte la colère de la Nature. Entre les deux, le processus de polissage et d’apprentissage aura profondément transformé le personnage principal, symbole de l’Homo sapiens, « L’homme sage ». Les deux tribus sont caractérisées très simplement et, presque, de manière caricaturale. La tribu de la caverne, d’où vient Tumak, est sauvage, marquée par une violence de tous les instants et où tout le monde est brun alors que la tribu de la mer, d’où vient Loana est calme, posée, réfléchie et tout le monde est blond. Notons donc que c’est la femme qui est la plus avancée culturellement ! Un rare instant de féminisme chez la Hammer qui sait toujours en revanche mettre en valeur ses belles actrices ! Classiquement, le processus de civilisation est personnifié par Tumak qui, de brute mal dégrossie, va peu à peu surmonter sa violence pour apprendre. Il est intéressant de voir que des choses simples comme le rire (magnifique) ou la douceur de Loana, surprennent et interrogent Tumak. Celui-ci a l’intelligence de ne pas rejeter ce qu’il ne comprend pas et de se laisser guider par sa curiosité. Bien que sa grossièreté fasse rire, il se laisse guider par Loana. On osera dire « apprivoiser » sans connotation aucune. Plus fort encore, elle persuade Tumak de renoncer à la mise à mort traditionnelle du vaincu et elle montre l’exemple en refusant de tuer une femme contre qui elle a combattu. En psychanalyse, on dirait que la conscience prend le dessus sur l’instinct en parvenant à contrôler la violence. Tout aussi évident est le symbole que représente la corne que se disputent Loana et Nupondi. La dimension biblique est aussi très présente à travers la lutte des deux frères ; l’un (Sakana), pourtant préféré à l’autre (Tumak), tente de tuer le père réellement quand l’autre y réussit symboliquement. Enfin, la dernière scène illustre l’union des tribus contraintes à l’exode par une Nature déchaînée. Après quarante ans dans le Sinaï, les tribus des Hébreux devinrent le peuple élu. La réussite de ce film tient, d’une part, en l’implication totale des acteurs et, d’autre part, en une réalisation maîtrisée utilisant avec bonheur des trucages géniaux. Sans dialogues (à part les noms propres, les personnages n’ont aucun texte construit), les acteurs doivent utiliser leur corps comme messager. John Richardson, qui incarne Tumak, a un regard d’un bleu intense qui convainc aisément du tempérament fort de son possesseur mais il parvient à l’adoucir pour y faire luire l’intelligence et l’émotion que suscite en lui la douceur de Loana. Raquel Welch n’a pas plus à dire mais elle s’impose pourtant à l’écran. Quasiment la première image où elle apparaît la montre riant ; le rire est, dit-on même si ce n’est pas tout à fait exact, le propre de l’Homme. En nous la présentant ainsi, le scénario nous indique qu’elle est plus proche du spectateur que de la brute. Même si Loana reste une demoiselle en détresse, elle a ses scènes qui la mette en valeur et Raquel Welch réussit à se placer à la hauteur de son partenaire. C’est assez rare chez la Hammer qu’un couple soit présenté à égalité. Actrice sous contrat avec la 20th Century Fox, distributeur du film, Raquel Welch allait être propulsée star internationale grâce à l’affiche et aux photos avant même que le public n’ait vu le film. Qui fit un carton en salle. Don Chaffey maîtrise son sujet à la perfection. Il tire magnifiquement parti des décors naturels des Canaries pour composer un paysage digne du matin du monde. Il alterne avec talent les scènes fortes (comme les combats entre les personnages) et d’autres plus posées (l’apprentissage de Tumak) voire intimes (le rapprochement de Tumak et Loana). Mais mieux encore, il intègre les effets spéciaux comme rarement chez la Hammer. On pourrait même dire que la firme ne fera jamais mieux en la matière. Elle ne fera même jamais mieux tout court réussissant ici à conjuguer financement extérieur et talent artistique. Le summun est atteint dans cette scène superbe qui voit un tricératops affronter un carnosaure. La scène est assez longue pour que l’on voit la réussite de cette animation image par image qui fit la renommée de Ray Harryhausen. Lequel avait déjà travaillé avec Chaffey sur Jason et les Argonautes. On a vraiment peur pour les personnages ! A plusieurs reprises, l’effet de réel de ces créations intensifie le propos. Quand on compare aux effets numériques actuels, il est tentant de se dire que ce n’est vraiment pas mal du tout. Anecdotes :
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