Honkytonk Man (1982) Résumé : Accompagné de son jeune neveu, un chanteur de musique country, atteint de tuberculose, fait le voyage jusqu’à Nashville afin de prendre part à une audition. Critique : Honkytonk Man fait partie des quelques films méconnus d’Eastwood qui ont été reconnus par les critiques des années, voire des décennies, après leur exploitation en salle. À la sortie d'Honkytonk Man, les appréciations sont unanimement négatives. Le magazine Time fournit la seule chronique positive aux Etats-Unis, mais les analyses font souvent l'éloge de Kyle Eastwood, le jeune fils de l’acteur. Par contre, le film est acclamé en France, où il est comparé aux Raisins de la colère du grand John Ford. L’œuvre est considérée à tort comme mineure, parfois même totalement oubliée, et il est grand temps de la réhabiliter. Le film s’ouvre sur une ferme de l’Oklahoma pendant la Grande Dépression des années 30 ; un début qui fait inévitablement penser à celui de Josey Wales. La bande de pillards assassins est ici remplacée par une tempête poussiéreuse dévastatrice sur de belles images de Bruce Surtees. C’est dans ce décor dantesque que surgit le cabriolet Lincoln dangereusement conduit par Red Stovall, saoul comme une bourrique comme à son habitude. A l’instar de Firefox, Eastwood est réalisateur (pour la neuvième fois), producteur et acteur et il interprète un chanteur country itinérant porté sur la bouteille et atteint de tuberculose qui a enfin l’opportunité de réussir sa vie ; seul le temps pourrait l’en empêcher. L’acteur a plusieurs fois déclaré que ce film présentait une résonance particulière, car il avait grandi pendant la crise des années 30 au sein d’une famille pauvre. Dans le documentaire de 1994, Clint Eastwood: The Man from Malpaso, il indique que le film fut le premier qu’il fit ayant pour thème un perdant – un ‘loser’, et il reviendra souvent sur cette perspective dans ses productions futures. Red Stovall n'est pas un héros, mais sa lutte finale contre la mort et pour l’aboutissement de ses projets est héroïque. La première partie décrit la vie misérable de la petite communauté et le quotidien de Red, malade, qui survit grâce à quelques concerts dans les bastringues du patelin (les honkytonks). C’est triste et déprimant, mais très réaliste de cette période. C’est le portrait d'une Amérique qui doit faire face à une grande pauvreté. Red en profite d’ailleurs avec Whit, son neveu, pour piquer des poules dans les fermes environnantes et arrondir les fins de mois. Une scène hilarante qui en engendre deux autres : l’arrestation et l’évasion rocambolesque. La convocation à l’audition est le dernier espoir du chanteur, et le voyage dans le cabriolet rutilant, qui constitue le seul bien de la famille, est parsemé d’anecdotes pittoresques le long des vastes plaines légendaires de l’Oklahoma à Nashville. Red étant incapable de conduire correctement, c’est le jeune Whit, surnommé Hoss, qui se retrouve au volant lors de cette seconde partie de film qui met l’accent sur l’hilarité de nombreuses situations. Une grande part de l'intrigue se déroule donc sur la route, et les trois voyageurs – le grand-père est de l’expédition - sont confrontés à un assortiment de personnages et de problèmes pendant le trajet. La personne la plus attachante qu'ils rencontrent est une jeune serveuse nommée Marlene (Alexa Kenin), qui aspire à être une chanteuse de country, malgré son peu de talent, et qui s’incruste au trio. Ce second acte propose les scènes les plus croustillantes du film. Ainsi, Red prend un bain dans un container attaqué par un taureau puis, à la recherche d’Arnspriger, un individu qui lui doit de l’argent, il échoue au bordel local où il en profite pour faire dépuceler son neveu pour deux dollars. Et l’endetté étant un filou, Red manque de se faire trucider lors d’un faux hold-up aux assurances et récupère son pognon fusil au poing. Plus tard, le cabriolet est arrêté par la police et l’officier découvre Marlene dans le coffre et exige que Red conduise, mais il cède devant le danger public qu’il représente : « Let the boy drive ! ». Tandis que la jeune Marlene est prête à tout pour rester dans la famille - « I have conceived » -, une panne de voiture disloque le groupe. L’audition au Grand Ole Opry est la chance de sa vie d’être reconnu et Red veut la vivre jusqu’au bout quitte à raccourcir son existence de quelques jours. Le ton mélancolique de la troisième partie du film contraste terriblement avec la légèreté de la précédente ; Red se sait perdu et il entame une course contre la montre pour enregistrer le maximum de ses chansons en studio avant l’issue inévitable. Il a réussi son pari à la dernière scène du film, car la voiture qui s’engage sur l’allée centrale du cimetière diffuse à l’autoradio la chanson Honkytonk Man. C’est à l’évidence l'histoire d'un don reconnu trop tard et d'une consécration manquée pour peu de temps. Le scénario est axé sur l’apprentissage de la vie du jeune neveu ; c’est légitime car, dans le roman, l’histoire est perçue à travers ce personnage. Whit ne veut pas être ‘un cueilleur de coton toute sa vie’ et il saisit sa chance en accompagnant son oncle. En quelques jours, il apprend les dures réalités de la vie, de l’amour et de la mort, et il aura à s’occuper des funérailles de son oncle. Red lui fournira quelques conseils sur son lit de mort au sujet de Marlene. La voiture rouge cabriolet de marque Lincoln a une place primordiale, un peu comme la Gran Torino des années plus tard, et elle rend l’âme symboliquement dans le cimetière, puis le couple Whit/Marlene s’éloigne à pied échafaudant des plans pour l’avenir. Le film souligne également les aspects mercantiles de la corporation. Alors que Red Stovall passe une audition dans la salle de spectacle et propose de chanter une chanson triste, le tenancier du lieu approuve ce choix avec ces mots : « Un gars qui meurt ça plait au public, ça ». Une quinte de toux ruine ses chances, mais un chercheur de talents d’une société de disque l’a repéré et il essaie de lui faire enregistrer le maximum de chansons, sachant que ses heures sont comptées. Avec un forfait pour chaque disque enregistré et malgré l’interdiction du médecin, Red accepte le contrat. La réplique faite à Whit est une des plus dures du film : « He's going to die anyway, and he knows it. And he knows that this is his last chance to be somebody.” L’interprétation est impeccable. Honkytonk Man présente une série de personnages, qui se débrouillent à leur manière pour échapper aux affres de la Grande Dépression, avec chacun leurs rêves et leurs espoirs. Clint Eastwood est particulièrement convaincant ; rien à voir avec Firefox, sorti la même année, qui paradoxalement eut plus de succès que ce film. Habillé d’une tenue de cow-boy immaculée, il interprète lui-même ses chansons d’une voix juste et maitrisée et sa prestation à la guitare est étonnante. Kyle Eastwood est aussi à l’aise, mais il ne poursuivra pas dans cette voie préférant devenir un talentueux musicien. Le grand-père est magistralement incarné par John McIntire, figure emblématique des grands westerns des années 50, qui participe à une partie du voyage pour retourner dans son Tennessee natal. Il incarne parfaitement le temps qui passe. Le groupe éclate à cause d’une panne de voiture et le personnage n’est malheureusement pas présent en continu, tout comme la pétillante Marlene, interprétée par Alexa Kenin, disparue tragiquement trois ans plus tard, à l’âge de 23 ans. Dans le reste de la distribution, on reconnaît Verna Bloom, la sœur de Red, qui est la femme de l’aubergiste succombant à l’étranger dans L’homme des hautes plaines. Le rythme baisse parfois un peu, mais Honkytonk Man est un road-movie tragique, émouvant et pittoresque, d’une grande réussite, qui reste dans les mémoires longtemps après l’avoir vu. Avec ce film, Clint Eastwood réalise une de ses œuvres les plus personnelles, en dépeignant l'Amérique telle qu'on l'aime, nostalgique et désenchantée. Il montre son amour pour la musique par le biais de Red Stovall, et il reviendra au genre quelques années plus tard avec la réalisation de Bird. N’a-t-il pas déclaré que l’Amérique n’avait pas de culture à part le jazz et le western ? En attendant, c’est avec son personnage fétiche et légendaire qu’on retrouvera Clint Eastwood un an plus tard … Anecdotes :
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