Il faut bien commencer un jour, et "The Pleasure garden" est le premier film d'Hitchcock (Nous verrons cependant que ce n'est pas si simple et pas vraiment le premier). C'est un moyen métrage muet de 60 minutes, du genre mélodrame, tourné principalement en Allemagne, avec des extérieurs filmés en Italie. C'est ce qui est considéré comme le premier "vrai" film du maître, après sa carrière de dessinateur d'intertitres. Alma Reville, la future femme de Sir Alfred, se rendit à Cherbourg pour accueillir Virginia Valli, mais aussi Carmelita Geraghty, qui arrivaient à bord de l'Aquitania. Elle les accompagna à Paris. Grevant le budget du film, les "stars" voulurent descendre au Claridge, sur les Champs Elysées...pour un film qui allait se tourner à Gênes! Pendant ce temps, Hitch quitte Munich avec le comédien Miles Mander, qui incarne Levett. Très vite, le réalisateur prit en grippe Mander, qui sera le premier d'une longue lignée de comédiens et comédiennes avec lesquels le courant ne passera pas. Deux autres personnes les accompagnaient : Gaetano Ventimiglia (qui joue dans le film mais est aussi le directeur de la photographie) et un caméraman d'actualités. Les quatre larrons transportaient très peu de matériel, les caméras et de la pellicule. A la douane, Ventimiglia conseille à Hitch de ne pas déclarer la pellicule pour éviter les droits : les douaniers confisquent le tout. Le maître envoie à Milan un caméraman qui achète dix mille pieds de pellicule, alors qu'entre temps, la marchandise est dédouanée! Hitch se retrouve avec plus de film qu'il ne faut, mais le budget commence à être mis à mal. Le gros homme est contraint de télégraphier à Londres pour qu'on lui envoie de l'argent. Comme une peine d'argent n'arrive jamais seule, le maître se fait déposséder de son portefeuille qui contient tout son argent personnel : 10 000 lires. C'était beaucoup à l'époque. Hitch va alors emprunter de l'argent à ses comédiens, qui n'aimeront pas du tout cela. Le premier jour de tournage, qui était dans la deuxième semaine de mai 1925, l'actrice allemande qui joue la maîtresse de Mander a ses règles et ne peut entrer dans l'eau. Pathétique, Hitch ne comprend pas. Lui, qui se mariera avec Alma le 2 décembre 1926, ne savait pas comment une femme est faite et ignorait tout de la menstruation. Il avait pourtant 26 ans et il lui suffisait d'ouvrir un livre de biologie pour le savoir. L'intrigue relate la vie de deux danseuses : l'une, Patsy (Virginia Valli) a un mari volage qui la trompe en Afrique avec une indigène. Levett, le mari (Miles Mander) a peu de charme : plus âgé que Patsy, portant moustache, il se révèle être un alcoolique.
On trouve quelques idées de mise en scène dans ce film. Par exemple, lorsque Patsy rejoint son mari, il noie l'indigène qui revient le hanter sous forme de fantôme et l'engage à tuer avec un sabre sa femme. Dans les scènes censées se dérouler en Angleterre, notons aussi la façon dont Hitch filme le chien de la famille Sidey. Dans ce premier film "officiel", Alma Reville était son assistante et monteuse. Le tournage eut lieu au studio Geiselgasteig et au port de Gênes. Aujourd'hui, "The Pleasure garden" a surtout valeur de document sur la préhistoire Hitchcockienne, mais bien malin celui qui aurait pu déceler dans cette oeuvrette qu'elle serait la première étape vers la carrière de celui qui reste le maître du suspense. On le voit : compter les films d'Hitchcock au cinéma n'est pas simple : lors de la présentation de "Complot de famille" en 1976, il déclare que c'est son 53e film, alors qu'il en a tourné 54. On pouvait penser que certains incluaient le film inachevé de 1922 "Number Thirteen". Eh bien non, en fait le réalisateur conteste la paternité d'un film de 1930, "Elstree calling" Le film est officiellement attribué au seul Adrian Brunel, mais Hitch y a réalisé des sketches et "interpolations". Casse-tête pour le critique. Avec Hitchcock, rien n'est jamais simple, tout est trouble. Il aurait en fait réalisé une bonne partie du film mais l'a fait créditer à Brunel, le trouvant épouvantable...
Après « The Pleasure garden », le producteur Michael Bacon engagea Hitchcock pour un deuxième film et lui dit de rester en Allemagne. Hélas, de « The Mountain eagle », dont la copie nitrate s’est décomposée au fil du temps, il ne reste que…six photographies. On décida de développer le rôle de la fille de la logeuse, Daisy Bunting (Incarné par une comédienne simplement appelée « June » qui cache en fait la danseuse June Howard-Tripp). Mais il fallait « innocenter » le logeur en raison de la popularité de Novello, qui ne pouvait décevoir son public dans le rôle d’un tueur. Pour cela, Elliot Stannard, le scénariste, imagina une tentative de lynchage du locataire où la police le sauverait et révélerait que le vrai tueur venait de frapper ailleurs. Le tournage commença en mars 1926. Joe Chandler, le policier petit ami de Daisy, fut joué par Malcolm Keen. L’image a beaucoup souffert. Elle est tantôt jaunie (scènes d’intérieur), tantôt bleue (extérieurs). Sur chaque victime, on trouve un triangle. Joe lui, s’amuse à couper dans la pâte à pain des cœurs qu’il donne à Daisy. Son manteau rappelle la cape de « Nosfératu » qui avait marqué le maître lors de ses tournages en Allemagne. Le film évolue dans un climat de tension qui s’accentue comme la peur de la logeuse. Mais aussi la jalousie extrême de Joe.
Plus ou moins volontairement, l’attitude étrange du locataire fait tout pour le rendre suspect. L’arrestation du locataire devient inévitable lorsque Joe trouve un pistolet, des coupures de journaux sur le vengeur et une photo de sa première victime. L’homme tente de se justifier en disant que c’est sa sœur assassinée. Hitch entretient l’ambiguïté, puisque le triangle (le plan des meurtres selon Joe) est découvert également. Menotté, le locataire s’enfuit et donne rendez-vous à Daisy au lampadaire, endroit où ils s’étaient embrassés. Elle le rejoint et nous voyons en flash-back le premier meurtre du vengeur au bal des débutantes, en l’occurrence la sœur de notre héros.
Au retour de son voyage de noces, Hitch décide d’exploiter la popularité de son comédien de « The lodger », Ivor Novello. Agé de 34 ans, Novello devait jouer le rôle d’un étudiant de 20 ans. Cela ne paraissait pas crédible au maître, alors qu’au théâtre, cette énormité passait. Voyant qu’il avait affaire à un mélodrame, Hitch voulut ajouter des scènes comiques, mais le studio les coupa.
Pour le scénario, il n’eût pas son mot à dire, tout était rédigé par Angus MacPhail. Mabel, serveuse lors de la fête du collège (Annette Benson) donne rendez vous dans le magasin où elle est vendeuse à deux amis, Roddy et son meilleur ami Tim Wakely (Robin Irvine). Sur la musique d’un phonographe avec un 78 tours, ils dansent. Mabel chasse les marmots qui viennent acheter des bonbons, voulant rester seule avec les deux garçons qu’elle tente de séduire l’un après l’autre. Tout d’abord, devant l’attitude de Tim, Roddy comprend qu’il est le père de l’enfant et que la fille l’accuse lui car son père est riche et doit payer s’il veut étouffer le scandale. Quelques plans avant, Roddy était le héros du collège et se voyait offrir le poste de chef des collégiens pour l’année suivante.
Alors que le révérend lui annonce son renvoi, le seul soucis de Roddy est de manquer le prochain match de rugby, argument du scénario qui faisait beaucoup rire Hitchcock. Il ramène un porte cigarette qu’a perdu la vedette de l’endroit, Julia Fotheringale (Isabel Jeans) et en tombe amoureux. La scène est assez cocasse, puisque l’action se déroule alors que le riche amant de la belle, Archie (Ian Hunter) leur tourne le dos, assis dans un fauteuil devant un whisky. Les noces de la célèbre actrice Julia Fortheringale avec le fils Berwick font la une de la presse mondaine. L’actrice est coûteuse : en peu de temps, le compte en banque de notre héros passe de 30 000 livres à 212 ! De plus, Julia n’est guère fidèle puisqu’elle revoit Archie qu’elle cache dans un placard. Roddy l’y débusque et les deux hommes se battent. Rodney veut chasser l’épouse et l’amant, mais la belle rétorque que l’appartement est à son nom, et c’est lui qui se retrouve à la rue. Ah, les comédiennes, toutes les mêmes. On se ruinerait pour elles. Cet aspect du mélodrame n'est pas exagéré. Il faut bien un peu de véracité pour que le public morde à l'hameçon. On retrouve le malheureux en France dans un bal où pour survivre, il est un danseur pour vieilles dames. Il prend 50 francs pour une danse. La patronne du dancing lui laisse 5 francs sur 50. Pour les studios anglais, partir en France n'est pas exactement valorisant...A l’une de ses « clientes », au physique particulièrement ingrat, il raconte sa déchéance. Furieux d’être exploité par la patronne, il donne sa démission, et se retrouve à Marseille dans un milieu glauque, malade. Dans son délire, il revoit son père, Julia, Mabel, la vieille femme au physique ingrat. Il s’échappe et regagne « au jugé » le domicile familial où son père lui demande pardon. Sa mère le prend dans ses bras, et la dernière image nous montre le héros ayant retrouvé sa place dans l’équipe de rugby.
Pour l’époque (1927), il est vraiment réussi. « The Pleasure garden » à côté est atroce. « Downhill » dure 82 minutes où jamais ne vient poindre l’ennui. Le manque d’intertitres suffisants empêche parfois la compréhension de certaines situations, mais le film vu l’époque, le budget, le contexte, est nettement plus inspiré que « Meurtre » ou « The Skin game ». Deux melons : le film vaut bien « Frenzy » et surpasse les indigestes « Mais qui a tué Harry ? » et « Le faux coupable ». 4. LE PASSÉ NE MEURT PAS En mars 1927, Alfred Hitchcock ne prend aucun repos (il n’a pas fini le montage de « Downhill ») et se lance dans l’adaptation de la pièce de Noel Coward « Easy virtue » qui traite d’un sujet tabou : « Le divorce ». Hitch profiterait du tournage à Nice pour rajouter un plan en transparence à « Downhill ». Pour gagner du temps, il engage une partie de la distribution de son précédent film. Coward, l’auteur, vint sur le tournage de « Downhill », mais ne voulut pas participer à l’adaptation de la pièce, il tenait juste à faire la connaissance du maître. Pour l’adaptation, trois scénaristes se collèrent à la tâche : Eliot Stannard, Ivor Montagu et Angus MacPhail. De la distribution de « Downhill », Hitch reprit Isabel Jeans, Ian Hunter, Robert Irvine et Violet Farebrother. Toujours dans ce flashback, nous assistons aux assauts du peintre envers Larita, tandis que tous deux se font surprendre par le mari. Bien qu’armé d’un pistolet, le peintre reçoit une rossée à coups de canne par le mari. L’avocat de ce dernier produit les pièces accablantes au procès, ce qui accentue l’opprobe jetée sur l’épouse. Il est réellement difficile de se passionner pour ce film, tout d’abord en raison de l’image extrêmement dégradée. Mais aussi de l’absence de comédien charismatique. Hitch filme ensuite une partie de tennis. Larita, au bord d’un court, reçoit une balle dans l’œil. On peut dire que John Whittaker, le joueur, lui a « tapé dans l’œil » au sens propre comme au figuré. Au bord de la Méditerranée, la vie semble reprendre le dessus. Mais après la scène du tribunal, celle de la terrasse sur la côte d’azur s’éternise à son tour (17e à 25e minute). On peut imputer cette lourdeur à Hitchcock. John Whittaker (Robin Irvine) s'éprend de Larita et l'épouse. De retour en Angleterre, dans la famille de John, la jeune femme comprend qu'on n'efface pas son passé si facilement... On assiste alors à l’attitude hostile de la mère de John (Violet Farebrother) envers Larita. De plus, celle-ci passe très vite, à tort ou à raison, pour une alcoolique. Isabel Jeans est ici moins convaincante que dans « Downhill ». Peut-être une erreur de casting ? Larita finit par dire à son mari que la haine que lui voue sa famille a déteint sur lui. Larita se retrouve face à l’homme qui a révélé son passé dans la presse. Elle fait une danse avec lui et avoue avoir fait une bêtise en épousant John Whittaker. Elle déclare en prenant une pose légère que c’est ainsi que sa belle-famille l’a toujours vue.
A travers ce film, Sir Alfred a essayé de dénoncer la justice de l’époque et l’attitude vis-à-vis du divorce. 5. LE MASQUE DE CUIR
En 1927, pour son sixième film, Hitchcock qui passe au studio BIP, a acquis davantage de liberté. Il peut donc choisir ses vedettes : Lilian Hall-Davis sera Mabel, la jolie caissière. Le réalisateur l’admirait depuis qu’il l’avait vue dans « The passionate adventure ». Il fut surpris lorsqu’elle se révéla très timide. Dans une fête foraine, One round Jack se mesure à tous les candidats qui se présentent. Il les met KO. Il est le petit ami de Mabel, la caissière, et voit d’un mauvais œil un étranger la courtiser. Il affronte cet homme qui est un champion australien, Bob. Ce dernier gagne. Le tournage eu lieu en juillet août 1927. Pour le film, Hitch ramena d’Allemagne le procédé Schüfftan qu’avait inauguré Fritz Lang dans « Metropolis ». Cela permettait de tourner dans un lieu public sans demander d’autorisation. Il reçut une critique élogieuse à sa sortie. Avec ses surimpressions, ses cadrages penchés, « Le masque de cuir » est un hommage au cinéma allemand et particulièrement à Fritz Lang. On s’étonne que Hitch ait d’emblée voulu Lilian Hall-Davis, car elle n’a pas le physique d’une femme suscitant autant de passion. Isabel Jeans avait plus la tête de l’emploi. Lors de la scène du mariage, tout le monde comprend ce que le prêtre est censé dire, et les intertitres sont bien inutiles. Jamais ennuyeux, « Le Masque de cuir » est une bonne surprise, bien que les thèmes de l’univers du maître (crimes, coupables, secrets) n’y soit pas présents. La réussite de Jack est symbolisée par son nom écrit de plus en plus grand sur l’affiche au fur et à mesure que l’on avance dans le métrage. Durant un corps à corps, Hitch zoome sur Mabel que Jack aperçoit dans le public. Symboliquement, c’est à partir de cet instant que Jack commence à perdre le match, ce qui bouleverse sa femme. Revigoré par l’amour de son épouse qui l’enlace alors qu’il récupère dans le coin du ring, Jack repart de plus belle dans la lutte. Bob en regardant Mabel dans la foule ne peut éviter à son tour un coup. La dernière scène montre la réconciliation du couple, la femme ôtant le bracelet que lui a offert Bob et que l’on vient porter à ce dernier dans les coulisses. Il le jette. Un excellent film de la préhistoire de la carrière du maître. 6. LAQUELLE DES TROIS?
Tout d’abord, dans la mesure où il est question d’une liste de quatre (voir cinq) femmes, celui qui a donné le titre français n’a pas vu le film ! « Laquelle des trois » fait partie de la première catégorie. Mais si l’image est agréable, pour Sir Alfred, c’était un film non personnel, une pièce de théâtre filmée, un travail de commande, adapté de la pièce d’Eden Philpots. Dans le rôle du fermier veuf à la recherche d’une épouse, on trouve Jameson Thomas. Hitch reprit Lilian Hall-Davis du « Masque de cuir ». Cette comédienne ne devait pas s’adapter au cinéma parlant. Elle se suicida le 25 octobre 1933 en ouvrant le gaz et en se tranchant la gorge.Gordon Harker faisait dans ce film une performance dans le rôle d’un rustre, Churdle Hash, et c’est de lui que le spectateur se souvient le mieux. A travers ce fermier qui a peu de succès avec les femmes, Hitch racontait sa propre histoire. Il en fait un film assez misogyne.On remarque dans ce film beaucoup plus d’intertitres que d’habitude.
Nous assistons à l’agonie de Mrs Silbey Sweetland (Mollie Ellis). Le veuf se met en vite en quête de se remarier, tandis que son homme de main Churdle se moque de lui dans son dos, en se confiant à la bonne, Araminta Dench, que sur son lit de mort, la disparue avait appelé « Minta ». C'est d'ailleurs ainsi que tout le monde l'appelle pendant le film. Le fermier Sweetland va peut-être chercher bien loin ce qu’il a à portée de main (sa bonne). Le comédien prend des poses qui montrent la tristesse de son personnage. Il est certain que, peu gâté par la nature, Hitchcock a du beaucoup se reconnaître dans le personnage de la pièce et le faire sien. Hitch réussit des trucages en montrant par transparence une table vide, et suivant la pensée mélancolique de Steewtland comment elle était avant. La bonne conseille quatre prétendantes à son patron : Thirza Tapper (Maud Gill), Louisa Windeat (Louie Pounds), Mary Hearn (Olga Slade), Mercy Bassett (Ruth Maitland). Parti à cheval dans son plus beau costume, il prétend vouloir participer à une chasse au renard. Il se rend chez Louisa, mais la femme le nargue et rit de lui en disant qu’elle est bien trop indépendante pour être son genre de femme. Furieux, il claque la porte, s’en prend aux deux lads, et rebrousse chemin. Vient le tour de Thirza. Elle le fait attendre des heures quand il arrive chez elle car elle n’est pas habillée. Franchement laide et faisant plus vieille que Sweetland, elle s’évanouit quand il la demande en mariage. Loin d’être flattée, elle repousse l’homme. C’est à cette occasion que nous apprenons le prénom du fermier, Samuel. Deux noms de barrés sur la liste. Invité à une « party », Samuel Sweetland retrouve Thirza la mijorée et Louisa l’indépendante. Mais aussi la grosse Mary Hearn, qui ne pense qu’à manger. Lorsqu’il lui fit sa demande, elle lui rit au nez « A votre âge » ? Oubliant la liste de quatre noms, Sweetland fait sa demande à sa bonne qui l’accepte.
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