Ère Timothy Dalton 1. TUER N'EST PAS JOUER Scénario : Richard Maibaum & Michael G. Wilson - Whoever she was, I must have scared the living daylights out of her. Le 27 juin 1987, Lady Diana et le Prince Charles présidaient à la première londonienne des nouvelles aventures de James Bond. À cette occasion allait se révéler le nouveau titulaire du rôle, ayant la lourde charge de succéder à Sir Roger Moore. Un véritable défi ! Tuer n'est pas jouer débute par l'une des meilleures séquences d'introduction de la saga. Le superbe site du Rocher de Gibraltar (et ses singes !) se voit admirablement utilisé et mis en scène au cours d'une scène d'action absolument trépidante. Le film s'amuse à différer quelque peu la découverte du nouveau Bond, tout comme jadis avec Lazenby mais aussi lors du retour de Sean Connery. Un procédé toujours aussi efficace, d'autant que l'apparition de Timothy Dalton reste fort bien amenée. Le film met également ici toutes les chances de son côté pour séduire son public anglais, le Piñon demeurant certainement le plus prestigieux des ultimes confettis de l'Empire malgré les efforts réitérés de l'Espagne… Ce lancement particulièrement relevé se relaie fort efficacement par la superbe musique de John Barry et de A-ha. Vendue à plus de deux millions d'exemplaires, ce titre demeure l'un des plus grands succès du groupe norvégien et une chanson emblématique de l'époque, quasiment au même titre que le A view to a kill des Duran Duran. Cet air particulièrement entraînant vient opportunément à la rescousse d'un générique aux images assez convenues et peu inspirées. Pour son ultime participation à la saga, John Barry nous offre par ailleurs une bande-son toujours aussi efficace. Celle-ci s'orne également de deux titres des Pretenders (qu'écoute Nécros sur son walkman), un groupe particulièrement populaire auprès des fans de Chapeau Melon pour le très connoté clip de Don't get me wrong ! La violoncelliste Kara nous vaut également la présence de plusieurs sublimes morceaux de musique classique, Mozart, Dvorak, et Tchaïkovski venant encore enrichir la déjà superbe bande son. L'intrigue du film se montre réellement passionnante, alliant un retour très réussi aux standards et à l'atmosphère des récits d'espionnage de la Guerre Froide à un complot finalement essentiellement crapuleux. L'histoire se montre ainsi très évocatrice de cette période d'agonie de l'affrontement des blocs marquée par le crépuscule des idéologies et le triomphe prochain de l'argent roi. L'évocation (passablement romantique) de la guerre d'Afghanistan achève d'insérer agréablement le récit dans son temps alors que les éléments culturels délicieusement 80's se montrent plus rares que dans Dangereusement vôtre (à lire l'excellente BD de F'Murr Le char de l'État dérape sur le sentier de la guerre, se déroulant précisément en 1987). Les auteurs ne confondent pas complexité et confusion, et cette histoire aux multiples rebondissements et au double jeu si typiques de l'espionnage s'exécute en une mécanique parfaitement huilée. Elle nous entraîne dans une passionnante balade autour du monde. John Glen filme l'ensemble avec un vrai sens de l'image, exprimant parfaitement l'atmosphère des divers lieux visités même si l'on reconnaît aisément les panoramas et l'architecture du Maroc dans ce que l'on nous présente comme étant l'Afghanistan… Le metteur en scène se montre vraiment particulièrement inspiré, avec un goût toujours marqué pour les scènes d'action toniques et rondement menées. Outre son époustouflante séquence initiale, Tuer n'est pas jouer accumule ainsi à plaisir les moments forts, tels le passage du pipeline, la poursuite sur les toits de Tanger, l'attaque du camp soviétique, ou le raid de Nécros sur une grande demeure anglaise ; la prestigieuse Stonor House, évoquant fort agréablement de nombreux décors des Avengers (pour l'anecdote, Tanger, nid d'espions, se voit également évoqué dans l'excellent Le point de mire). On y retrouve avec plaisir le perroquet de Rien que pour vos yeux, ces trop rares liaisons entre épisodes demeurant toujours aussi divertissantes. Un oiseau qui en savait trop ? On apprécie également l'espace idéalement délimité imparti aux différents gadgets, astucieux et soutenant l'action sans la saturer ni la dénaturer. Après la longue parenthèse Lotus propre à la période Roger Moore, on renoue également fort plaisamment avec les Aston Martin, même si à vrai dire la nerveuse V8 Vantage Volante ne fera pas d'ombre à la légendaire DB5. La poursuite sur glace particulièrement mouvementée s'inscrit néanmoins parmi les moments les plus saillants de cette grande tradition bondienne, avec une technologie et des péripéties n'ayant rien à envier à Goldfinger. Encore et toujours l'on regrettera la surabondance de placements de marques, avec notamment un Q se fournissant avec une rare insistance auprès d'un grand groupe hollandais d'électronique… Néanmoins, le succès du film allait bien entendu se jouer avant tout sur la prestation offerte par Timothy Dalton. Ce grand acteur de théâtre shakespearien, formé à la RADA, également aperçu dans des productions aussi diverses que l'académique Mary Stuart (1971) ou le kitschissime Flash Gordon (1980), accède au rôle après un processus passablement tourmenté. Pierce Brosnan fut ainsi sérieusement envisagé, mais à son corps défendant demeure lié à l'éminemment sucré Remington Steele (1982-1987), tandis que les noms de bien d'autres acteurs, parfois hautement improbables, se voient également cités. Dalton parvient néanmoins à annihiler toute éventuelle étiquette de comédien de substitution par l'excellence de son interprétation. Il introduit ici un James Bond en totale rupture avec des années Moore parfois aux confins du pastiche (il renoue d'ailleurs avec les cigarettes…). Celles-ci apparaissaient hautement réjouissantes et souvent passionnantes, mais la variété des incarnations participe pleinement à l'intérêt de 007, à l'image du Docteur. Grâce à la vraie richesse de son jeu, Dalton campe un Bond certes plus recentré que précédemment, mais également dépouillé de la dimension parfois surhumaine que véhiculait Sean Connery. L'interprète, dont la jeunesse dynamise le film, insuffle une vraie originalité à un personnage plus sensible et anxieux, mais également davantage impliqué émotionnellement que ce que l'on a connu par ailleurs. Il reste sans soute le moins coureur et machiste des Bond, ce qui ne l'empêche pas de se montrer parfaitement convaincant dans les scènes d'action et de combat. De même, il apparaît toujours doté de dialogues divertissants. Gagner en humanité ne signifie pas que l'on édulcore le personnage, telle est la magistrale démonstration que nous délivre Dalton, sans soute le plus vraisemblable de tous les Bond. Une « troisième voie » réellement enthousiasmante. On ajoutera que le comédien arbore admirablement le smoking, ce qui ne gâte rien ! Ses alliés offrent, eux, un panorama des plus contrastés. Si M, décidément british jusqu'au bout des ongles, et davantage encore Q se montrent en grande forme (avec un atelier toujours plus en délire), on reste plus réservé quant à la version assez falote de Miss Moneypenny délivrée par la charmante Caroline Bliss. Succéder à Lois Maxwell restait sans doute une gageure, même si pour pallier à cette difficulté les auteurs tentent de casser le modèle des rencontres dans l'antichambre de M en enchâssant curieusement Moneypenny dans la section Q. Ces scènes demeurent agréables mais bien moins pimentées que naguère. Sans doute aurait-il été préférable de ménager une vraie sortie à Lois Maxwell et d'incorporer un nouveau personnage, comme cela sera le cas ultérieurement pour Q (avant le retour de ce dernier sous les traits d'un autre acteur dans Skyfall). Saunders développe un personnage crédible de correspondant local d'Universal Export, d'abord rebuté puis sympathisant avec son singulier partenaire. On ressent de fait plus d'émotion à sa disparition que lors des morts similaires d'innombrables sidekicks, preuve de la place occupée par le personnage. Á l'inverse, le film marque par contre un trou d'air bien malencontreux avec ce qui demeurera sans doute le Félix Leiter le plus insignifiant de la série ! Kamran Shah, interprété avec fougue par Art Malik, apporte la touche exotique et épique qui convient. Mais c'est finalement Pouchkine qui compose l'allié le plus inattendu et réjouissant de Bond, avec un John Rhys-Davies aussi délectable qu'à l'accoutumée. Avec Indiana Jones et Le Seigneur des Anneaux, sans oublier Sliders, ce grand comédien de genre aura décidément connu une carrière à la hauteur de ses mérites ! Dommage qu'il ne s'agisse que d'un one shot. Toutefois, c'est bien avec la relation sentimentale très intense l'unissant à l'irrésistible Kara Molovy que Bond développe sa nouvelle sensibilité. Cette liaison fusionnelle (et monogame !) apporte un vrai romantisme à l'histoire. D'autant que, si on peut trouver un peu kitsch les passages de Schönbrunn ou de la grande roue, le film évite toute emphase à ce sujet. Les cartes postales musicales du Bond de Lazenby et de Tracy font de fait beaucoup plus « Harlequin ». Kara n'a pas bonne presse car on lui reproche souvent un aspect cruche et gaffeur jusqu'à l'irritation (ne pas confondre Kara et Tara, n'est-il pas…). Mais le film semble ici se positionner avec logique dans son optique de vraisemblance, certes relative. Après tout, Kara est une jeune femme ne connaissant de la vie qu'un banal quotidien, uniquement illuminé par la musique et un amour illusoire. Qu'elle soit dépassée sinon déboussolée par sa brusque immersion dans un univers aussi violent et aventureux reste finalement… logique ! Bond lui-même le considère ainsi, lui pardonnant volontiers sa « trahison ». Les auteurs n'oublient pas non plus de la faire participer un minimum à l'action, à la différence d'une Honey Rider dont on nous rebat tant les oreilles par ailleurs. Le film a cependant la main un tantinet lourde là-dessus avec une Kara mettant hors de combat plusieurs soldats soviétiques. Pour un peu, Kara deviendrait Supergirl… Même si elle ne figure sans doute pas parmi les meilleures comédiennes de sa génération, la très belle Maryam d'Abo (cousine d'Olivia) défend son personnage avec un naturel et une conviction parfaitement communicatifs ! Le courant passe à l'évidence à la perfection avec Dalton. La contrepartie de cette relation si profonde n'en demeure pas moins une pauvreté assez marquée du film en éléments féminins. On dénote tout de même de séduisantes naïades ainsi qu'une touriste vorace aux alentours de Gibraltar (le charme si particulier de l'apparent ennui des croisières) et des agentes de la CIA autrement pétillantes que leur patron. Mais l'apparition la plus étonnante reste celle de la compagne de Pouchkine, non seulement pour son spectaculaire déshabillé, mais aussi et surtout parce que Virginia Hey interprètera ultérieurement la fameuse Pa'u Zotoh Zhaan de Farscape (1999-2003) ! Bien entendu, les étonnants maquillages de cette série à part rendent l'identification pour le moins malaisée ! Ce Bond de haut vol que constitue The Living Daylights flirte longtemps avec le chef-d'œuvre, mais vient malheureusement achopper sur un élément d'appréciation essentiel : la personnalité des adversaires du jour. Si sa conspiration exhale un machiavélisme des plus stimulants, effectivement digne d'un stratège du KGB (minorant toutefois la variable 007, un classique depuis Kronsteen), Koskov dénote totalement par son aspect de valet de comédie, sinon de farce, dénué de charisme et d'éclat. Son personnage décalé paraît en contresens total avec le reste du film, et on lui préfèrera aisément les monstres froids de Bons baisers de Russie le roman. Au moins bénéficie-t-il d'une savoureuse composition de Jeroen Krabbé, tandis que Joe Don Baker se contente de cabotiner de la pire des façons sur le personnage d'une insigne lourdeur que constitue Whitaker. Il se montrera d'ailleurs bien meilleur en Jack Wade. Les amateurs de Wargames et autres jeux d'Histoire pourront d'ailleurs légitimement se considérer au bord de l'insulte devant de tels poncifs ! Le grotesque affrontement final rompt d'ailleurs avec la bonne tenue du film, notamment dans l'emploi des gadgets high tech. De l'épate pour l'épate, il aurait mieux valu pour Koskov qu'il disparaisse en Afghanistan que de se faire cueillir comme un lapin ! On pourra objecter que le film innove en scindant le traditionnel adversaire colossal de Bond mais cela se révèle une fausse bonne idée, les deux complices ne générant rien d'autre que de convenu et ne disposant dès lors que d'un espace trop limité pour convenablement se développer. La nouveauté ne se justifie que par un réel apport, ici c'est tout le contraire qui survient. Nécros, le traditionnel tueur hors normes, s'en tire nettement mieux que ses patrons, avec notamment une infiltration se révélant un modèle du genre. Andreas Wisniewski a une formation de danseur classique lui permettant d'apporter une vraie grâce létale aux combats de son personnage (ce qui rappellera quelque chose aux fans de Purdey !). On regrettera, légèrement, que l'affrontement tant attendu avec Bond donne plutôt lieu à une impressionnante cascade qu'à un combat impeccablement scénarisé et chorégraphié comme on a pu en connaître par le passé. Mais telle quelle, la scène demeure parfaitement spectaculaire. Une autre déception, certes mineure, occasionnée par le film, réside dans sa conclusion d'un burlesque évoquant celle du Casino Royale de 1967. Cette apparition abracadabrantesque de guerriers afghans tombe totalement à plat, dégageant un ridicule seulement partiellement dissipé par l'émouvante ultime apparition de Walter Gotell. Heureusement, c'est sur un clin d'œil malicieux et romantique que le formidable Timothy Dalton prendra congé d'un public conquis et rêvant déjà d'une longue collaboration à la saga… Ce très relevé Tuer n'est pas jouer va jusqu'à bénéficier d'une traduction d'un de ces titres ésotériques affectionnés par Fleming parfaitement exécutée et insérée dans le dialogue, une rareté. Pour l'anecdote, « to scare the living daylights out of someone » signifie « faire une de ces trouilles à quelqu'un » d'après notre ami le dictionnaire. La version retenue paraît nettement plus judicieuse ! The Living Daylights va connaître une très belle performance, puisqu'avec un budget similaire à Dangereusement vôtre (30 millions de dollars), il rencontre un succès nettement supérieur, 191,2 millions contre 152,4 auparavant. La France semble néanmoins plus rétive, avec 1 955 471 entrées contre 2 423 306 au préalable. Dalton pouvait envisager avec confiance sa seconde aventure dans le smoking de 007 ! Grands moments de la Saga James Bond : Passage aux douanes
2. PERMIS DE TUER Scénario : Richard Maibaum & Michael G. Wilson - Remember, you're only President… for life ! Le 14 juillet 1989, le public londonien découvre ce qu'il ignore encore constituer l'ultime participation à la saga de Timothy Dalton. Ce film survient sur les écrans précédé d'une réputation sulfureuse. En effet, du fait de sa violence, il apparaît comme le premier James Bond accompagné d'une limitation officielle de l'âge des spectateurs. Même si les niveaux en varient selon les pays (12 ans en France, 13 aux États-Unis, voire 15 en Grande Bretagne), celle-ci se généralise à la plupart des pays, ce qui illustre bien cette spécificité de Permis de tuer. En effet, le film reste l'occasion d'un défilé cauchemardesque de scènes particulièrement dures : le supplice de Leiter, la mort de sa femme, le cadavre exhibé de Sharkey, l'exécution gore de Krest, les combats divers, le corps empalé de Heller sur un élévateur, et jusqu'à la propre mort flamboyante de Sanchez, entre autres. D'autres passages des plus agressifs existent dans les Bond précédents, mais à l'évidence ceux de celui-ci touchent particulièrement par leur crudité absolue. Et c'est bien là que réside l'un des intérêts majeurs de Licence to kill. Cette volonté de réalisme s'inscrit dans le mouvement initié par Tuer n'est pas jouer, mais pousse désormais cette rupture jusqu'à des niveaux absolument inédits dans la série. Se développant en tous domaines, bien au-delà des seules scènes chocs, elle va offrir au public une vision innovante de James Bond, réellement passionnante à découvrir. Dans un ensemble parfaitement cohérent et dans le cadre d'une captivante histoire, le film va ainsi ouvrir de nouvelles fenêtres, souvent astucieuses, sur le personnage et son univers. Au lieu d'un Bond solide comme le roc ou plaisamment décalé, nous découvrons ici un héros ténébreux en rupture de ban, dont le choc émotionnel et l'obsession de vengeance conduisent à la rébellion, mais surtout à commettre des erreurs chèrement payées par d'autres, soit une remise en cause de la statue du Commandeur absolument ébouriffante. Autre innovation, il finit par triompher grâce à une ruse opportuniste alors que le méchant du jour manifeste un sens de l'honneur (certes dévoyé) faisant rejaillir une geste moins sabre au clair que précédemment. Le récit renonce également aux fastueux voyages à travers la planète, dont le dépaysement participait grandement au succès des opus précédents. Cela au profit d'un simple saut de puce entre la Floride et l'Amérique latine où se cantonne l'action. Les Bond girls (à des degrés divers) combattent aux côtés du héros autant, sinon plus, par intérêt bien compris que par l'attraction exercée par sa mâle présence. L'exacerbation du réalisme transgressif se produit avec l'amputation barbare de Felix Leiter, touchant directement ce pilier de la série pour la toute première fois. Une profanation renforcée par le retour de l'excellent David Hedison et crédibilisant l'ensemble du scénario, de même que l'incapacité de 007 à arriver à temps pour sauver son ami. L'impact s'en fera durablement sentir puisqu'il faudra désormais attendre le reboot de l'ère Craig pour revoir Leiter ! Cette profusion d'innovations sonne juste à chaque fois et permet de dépasser l'obstacle du suivisme que l'on pourrait reprocher à l'intrigue. En effet, dans un penchant souvent observé depuis le lancement de la série, le film se complait à épouser le goût du jour, en l'occurrence ces histoires policières liées au trafic de cocaïne sud-américaine, très populaires depuis le remake de Scarface (1983). En particulier, Permis de tuer s'arrime à la série télévisée exprimant sans doute la quintessence du genre, le sublime Miami Vice (1984-1990), jusqu'à en conserver la situation géographique initiale et certains éléments esthétiques (ah, cette arrivée en hors-bord sous les néons du bar interlope dans la moiteur nocturne…). Mais là où, avec des succès très divers, la saga tentait de calquer des éléments exogènes à l'univers de 007, Licence to kill utilise cet apport comme moteur de la transgression du canon brillante et incisive qu'il entend mener à son terme. La contradiction apparente et la difficulté de l'exercice résident dans le fait que ce vent nouveau doit revivifier la saga sans la dénaturer. Même en intégrant un réalisme accru et un profil psychologique complexifié, Bond se doit de demeurer Bond. Le film parvient à cet exploit en capitalisant sur l'élégance racée maintenue (comme dans la scène référentielle du casino), les dialogues percutants, un sens aigu du panache et du spectaculaire, un humour toujours aussi présent (notamment autour du personnage du Pr. Butcher et des attitudes de Pamela). Les figures familières du petit monde de 007 apparaissent caractéristiques de cette persistance au sein de la nouveauté. Moneypenny retrouve l'antichambre proverbiale d'un M toujours aussi britannique mais n'a aucun contact avec 007 ! Q s'était déjà aventuré sur le terrain par le passé, mais jamais avec une telle implication dans l'action. Ce rôle inédit optimise de fait les frictions amicales si délectables avec 007 et permet à l'excellent Desmond Llewelyn de creuser son sillon pour le plus grand plaisir de ses innombrables fans. On conserve le meilleur de l'esprit de l'univers tout en renouvelant les postures. Très habile ! Cet audacieux procédé scénaristique se voit soutenu avec une exemplaire efficacité par un John Glen achevant au sommet de son art sa décennie Bondienne. Les morceaux de bravoure et les époustouflantes scènes d'action fleurissent de toutes parts, sur terre, sur mer et jusque dans l'air, jusqu'à l'éblouissant final des poids lourds, sans aucun doute l'un des passages les plus spectaculaires et enthousiasmants de toute la saga. Voir 007 éviter un missile aux commandes d'un quinze tonnes suscite des sentiments ambivalents : cela demeure en contradiction avec la philosophie plus réaliste du film, mais la maestria s'impose avec tant d'éclat que l'on ne peut que s'incliner. Avec son habileté coutumière, le réalisateur met admirablement en valeur les divers paysages traversés, la qualité des prises de vues en compensant la moindre variété. La séquence introduction rythmée (mais ici en phase directe avec l'action principale…) et le générique enchanteur (le dernier de Maurice Binder) répondent à l'appel, tandis que les chansons des grandes chanteuses de Soul et Rhythm and blues Gladys Night et Patti LaBelle situent ici également le film parmi les meilleurs Bond. On apprécie de plus certains détails amusants comme le stratagème de la diffusion télévisuelle de l'information, situant l'action antérieurement à la déferlante de l'Internet, ou la scène de l'évasion se déroulant sur le célèbre Seven Mile Bridge des Keys de Floride. Ce site se verra réutilisé par la suite dans de nombreuses productions à succès dont True Lies (1994) ou 2 Fast 2 Furious (2003) parmi d'autres. Par ailleurs, on goûte fort la vision d'une Amérique du Sud à la Général Tapioca, autant chargée de poncifs mais autrement chamarrée et divertissante que celle perpétrée ultérieurement par Quantum of Solace. L'ensemble de Licencia para matar se déroule d'ailleurs au sein d'une Hispanidad parfaitement croustillante, avec de superbes vues de Mexico et d'Acapulco, ainsi que de nombreuses expressions idiomatiques que l'amateur de la langue de Cervantes découvrira d'ailleurs parfois assez vertes ! L'ensemble ressort sans prétention mais apporte un cachet bien réel au film. Toutefois, la grande chance de cet opus hors normes reste d'avoir trouvé en Timothy Dalton l'interprète idoine pour incarner ce ténébreux Bond en rupture de ban, obsédé par la vengeance jusqu'au nihilisme, avant de connaître le doute devant les conséquences de son action. Il parvient à rendre émotionnellement forte la rencontre avec les policiers de Hong-Kong, pourtant assez dense en poncifs variés. Les différents états d'âme du héros, particulièrement contrastés tout au long du récit, se voient admirablement exprimés par ce comédien à la fois subtil et puissant. Là où les autres interprètes de Bond jouent admirablement de leur charisme et de leur personnalité, Dalton déploie tout un art du jeu. Cela saute particulièrement aux yeux durant ce film bâti sur le thème de la vendetta personnelle, comparativement à Quantum of Solace. Là où Craig subjugue par sa présence physique et son ascendance, Dalton développe toute la palette d'un authentique acteur de composition. Tout en appréciant la prestation du premier, on avouera une préférence pour le second… Conférée par son interprète, cette humanité de Bond tant dans ses côtés obscurs que lumineux le rapproche nettement des romans de Fleming, dans la droite ligne de Tuer n'est pas jouer. Contrairement à ce dernier film, il ne manque pas à Licence to kill un adversaire de classe supérieure pour parachever son succès. Sanchez bénéficie d'une stature exceptionnelle par son tempérament dominateur non dénué de paranoïa, mais aussi par le numéro époustouflant de Robert Davi ; grand spécialiste des rôles de leaders durs et charismatiques comme l'inoubliable Malone de Profiler (1996-2000). Lui aussi défend à merveille son personnage, plus complexe qu'à l'ordinaire, à l'image de Bond, par sa conviction sincère dans l'importance de l'honneur et la parole donnée. Il tire l'ensemble du film vers le haut jusqu'à lui apporter une dimension de drame psychologique évoquant parfois Shakespeare, domaine où Timothy Dalton peut dès lors développer à merveille sa propre partition. Le duel particulièrement relevé des deux antagonistes et de leurs interprètes électrise l'ensemble du récit. Après le duo d'esprits maléfiques de The Living Daylights, les auteurs continuent à transgresser le rituel établi depuis Goldfinger en agrégeant en Sanchez à la fois le génie du mal et le tueur hors normes, avec cette fois un complet succès. En effet, Sanchez ne manque certes pas de spadassins, mais aucun ne fait réellement de l'ombre sur ce point, même s'ils ne sont dépourvus ni de personnalité ni d'intelligence. Le film dépasse ici aussi les caricatures proverbiales des sous-fifres à l'incroyable inefficacité. Aux côtés de Davi, on s'amuse à reconnaître diverses figures de séries télé comme Anthony Zerbe, Don Stroud ou Everett McGill (Twin Peaks !), mais le comédien le plus marquant demeure bien entendu Benicio del Toro, à l'orée d'une fastueuse carrière. Clin d'œil du destin, c'est un rôle de policier luttant contre le fléau de la drogue qui lui vaudra un Oscar, avec Trafic (2000). L'ensemble de l'opposition fournit un groupe varié et distrayant auquel on agrègera les personnages hauts en couleur du Président Lopez (interprété par le fils du regretté Pedro Armendariz) et du Pr. Butcher, tous deux de véritables poèmes. On exprimera quelques réserves concernant le personnage de Pam Bouvier car son caractère de baroudeuse mâtiné de sentimentalisme roucoulant paraît assez contradictoire. Toutefois, le naturel de Pam nous vaut plusieurs scènes très amusantes (le cocktail, complicité avec Q, final de la piscine…), et l'on comprend sans peine que l'actrice soit l'une des rares Bond girls a avoir pleinement réussi la suite de sa carrière, notamment par l'éminemment soporifique Law & Order (de 1996 à 2001). On préfèrera nettement la brune Lupe Lamora, à laquelle le rouge le plus ardent convient si bien. Plus encore que son initialement vénale consœur, elle exprime parfaitement le caractère particulièrement indépendant des femmes de Permis de tuer, agissant dans leur propre intérêt et ne subissant que bien partiellement une attirance pour 007. La voir se remettre si facilement du rejet du héros reste un moment rare. On regrette que la magnifique Talisa Soto n'ait guère connu par la suite de rôles saillants, hormis celui de l'improbable Princesse Kitana dans le nanar vociférant Mortal Kombat (1995). Le film innove joliment une nouvelle fois en instituant un duo de Bond girls quasi équivalentes dans le déroulement de l'action, chacune apportant à sa manière une aide cruciale à un 007 moins macho que de coutume, et aucune d'entre elles ne se faisant tuer ! En dernier ressort, Licence to kill représente un exercice de style audacieux et magistralement exécuté, à l'image de ces épisodes décalés comptant souvent parmi les meilleurs moments d'excellentes séries télé. Il rénove et humanise James Bond tout en demeurant fidèle à ses aspects les plus fondateurs et enthousiasmants. Ce pari remporté haut la main constitue malheureusement la dernière apparition de Timothy Dalton sous le smoking de 007, acteur dont le seul véritable regret qu'il nous laissera réside dans la brièveté de sa participation à la saga. Des démêlés juridiques peu captivants entraîneront un délai d'attente de six ans jusqu'à Goldeneye et le comédien se jugera alors trop âgé pour reprendre le rôle, ayant peut-être l'exemple de Roger Moore en tête. Il campera pourtant une version parfaitement convaincante d'un Bond passé du côté obscur de la force dans Rocketeer (1991), avant de se montrer toujours resplendissant d'énergie dans un épisode de Doctor Who (The End of Time, 2009). De quoi aviver la déception, même s'il faut s'incliner devant l'honnêteté de son choix. Le film marque aussi les adieux du scénariste tutélaire de la saga : Richard Maibaum devait en effet nous quitter l'année suivante, après avoir brillamment réussi sa sortie par ce script d'une intensité toute particulière. C'est donc logiquement que la saga va vouloir préserver une sorte de tradition en conservant les services de son complice, Michael G. Wilson, avant de trouver un nouveau duo d'auteurs avec Le monde ne suffit pas. Contrairement à ce qui est souvent avancé, Permis de tuer fonctionne correctement dans le monde entier, ne subissant une très relative déconvenue qu'aux États-Unis. Il réalise une performance des plus correctes malgré des problèmes annexes comme les interdictions liées à l'âge, un marketing assez déconnecté de sa nature profonde, et la concurrence de nombreux blockbusters cet été-là, dont Indiana Jones et la dernière croisade avec un certain Sean Connery. Par la suite, les 007 ne furent d'ailleurs plus sortis qu'en automne ou en hiver… Alors que l'investissement marque un accroissement comparé à Tuer n'est pas jouer, avec 40 millions de dollars contre 30, Permis de tuer ne récolte « que » 156,2 millions contre 191,2 précédemment. Même si la décrue est réelle, l'on se situe néanmoins très loin d'un four ! D'autant qu'en France le film progresse en nombre d'entrées, passant de 1 955 471 à 2 093 006. Le moment était (enfin !) venu pour Pierce Brosnan d'entrer en scène, avec un retour aux valeurs les plus éprouvées. L'évolution de la série ne s'effectuera plus par les concepts mais par les masses budgétaires… Grands moments de la Saga James Bond : Poids lourds
Crédits photo : Sony Pictures. Captures réalisées par Estuaire44 |
Ère Roger Moore
1. VIVRE ET LAISSER MOURIR Scénario : Tom Mankiewicz – James, what are you doing ? C'est avec une attente toute particulière que, le 6 juillet 1973, le public londonien assiste à la huitième aventure de James Bond. En effet, après une période intermédiaire marquée par le four de l'opération Lazenby et le retour sans lendemain de Sean Connery, 007 trouve son nouvel interprète en la personne de Roger Moore. Envisagé dès 1962 par Ian Fleming, mais alors repoussé par le succès rencontré par Le Saint, l'évidence de ce choix ne s'impose pas de prime abord. Au préalable, les producteurs s'acharnèrent à considérer d'autres alternatives, telles un nouveau retour de Sean Connery (refusé par l'intéressé), voire le recours à Jeremy Brett, qui allait ultérieurement incarner avec superbe un autre héros britannique, Sherlock Holmes. Finalement, le non-renouvellement d'Amicalement vôtre rendit sa liberté à Roger Moore, au bon moment. Toutes ces hésitations s'oublient instantanément tant Roger Moore s'impose d'emblée, avec un éclat et une malice uniques. Cela lui vaudra de demeurer le titulaire du personnage durant sept films, un record encore invaincu aujourd'hui. Il faut dire que, outre son talent, il n'éprouve guère de difficulté à intégrer le rôle tant la version qu'il en donne s'apparente à un Simon Templar ayant la permission de tuer. L'aventure au long cours du Saint (1962-1969) lui permet d'instaurer aisément une connivence entre le public et lui. Il perpétuera ainsi jusqu'au milieu des années 80 le miracle constitué par l'explosion des séries anglaises des années 60, ce qui constituera toujours l'un des intérêts majeurs de son épopée Bondienne. Avec discernement, les producteurs vont renforcer l'efficience du procédé en recalibrant le personnage de James Bond. Durant des aventures bien davantage orientées vers l'humour et la fantaisie que durant l'ère Connery, 007 manifestera désormais la légère touche de distanciation très britannique, propre au charme et à la personnalité de Roger Moore. De plus, si le machisme du personnage demeure bien réel, il se manifestera tout de même moins massivement. Le héros et son interprète se situeront désormais bien plus en phase que ce que Sean Connery a pu connaître dans Les diamants sont éternels. Dans un parallèle assez amusant avec ce qui se déroula autour de Daniel Craig, la production va également tenter de marquer le coup en apportant de substantielles modifications aux rituels de la saga. Bond change ainsi de champagne préféré, tandis que le cigare supplante la cigarette. Sacrilège plus considérable, mais heureusement temporaire comme le sont souvent ces manipulations, le bourbon whisky remplace la vodka Martini. Plus dommageable, le film choisit de se passer des services de Desmond Llewelyn, en omettant Q. Cette très mauvaise idée (qui demeurera heureusement sans lendemain jusqu'aux deux premiers Craig) nous prive d'un passage toujours savoureux, particulièrement apprécié. Elle ne se justifie pas par la faible importance accordée ici aux gadgets car les apparitions de Q développent une valeur intrinsèque, dont la présentation des bijoux technologiques ne constitue qu'un élément. Ces changements se manifestent clairement durant la première partie du film, avec un bonheur inégal. La traditionnelle scène d'introduction se montre particulièrement faible : 007 en ressort totalement absent et l'ensemble se fractionne en trois segments totalement distincts, renonçant à l'unité de temps, d'action et de lieu lui valant son intensité coutumière. La partie de l'ONU résulte insipide, tandis que celle du vaudou distille déjà cet aspect de nanar qui se confirmera par la suite. Seul l'enterrement jazzy de la Nouvelle-Orléans sort du lot, par son côté décalé et spectaculaire. Elle représenterait d'ailleurs un fort bon lancement pour un épisode des Avengers, mais ne compense pas l'insigne faiblesse de cette introduction. Fort heureusement, le générique vient durablement compenser la mauvaise impression laissée, la mise en retrait de John Barry au profit de Paul McCartney et George Martin se révèle payante. La chanson s'écoute comme une authentique merveille et se verra justement nommée à l'Oscar (le spectateur français reconnaîtra l'indicatif de L'heure de vérité de l'inénarrable François-Henri de Virieu). L'accompagnement par des images chocs, parfois morbides, fonctionne également parfaitement. Enfin, un ultime bouleversement nous est asséné avec la surprenante visite de l'appartement de 007, bien plus développée que dans Dr. No. Les amateurs des Avengers connaissent certes très bien l'exercice de style, mais ici la rupture s'avère aussi forte que bien agencée ; les face-à-face certes succulents dans le bureau de M menaçant de devenir routiniers. La scène paraît fort vive et plaisante, apportant un plaisant vaudeville sans amoindrir le duel à fleurets mouchetés avec M, ni la complicité avec Moneypenny. Une vraie réussite, tandis que la vision de Bond en train de préparer un café indique déjà la désacralisation qui va s'amorcer. Malheureusement, la suite du film ne se traduit que par un long désenchantement, ponctué par quelques rares scènes réussies. Tout d'abord, si l'on revient en Amérique, décidément terre d'élection de 007 (et marché primordial pour ses producteurs), cette visite va non plus se traduire par le souffle créatif d'un Goldfinger, mais au contraire manifester un opportunisme des plus navrants. En effet, la plus grande partie du récit va se caractériser par un suivisme total de la mode du moment (une marque de fabrique de la saga depuis ce film), en l'occurrence la Blaxploitation, à son zénith en cette année 1973. L'ensemble des codes de ce type de productions se voit repris avec une unanimité attenante au besogneux. Tout l'abécédaire y passe : poncifs vestimentaires ou de langage (restitué en VF par un argot parisien ridicule, on se croirait dans le passage équivalent d'Airplane !), véhicules et décors de Harlem à l'avenant… L'identité de 007 se noie dans cette surabondance de lieux communs, même si la bande-son funk à la Shaft se révèle de fort belle facture. On atteint un nouveau palier de grotesque avec le versant vaudou de l'histoire, entre serpent en plastique manipulé par un acteur aux poses grotesques, décors de carton-pâte ou clichés jusqu'au-boutistes. Tout ceci dévie le film vers les confins du Nanarland, sinon du Tarzan de Johnny Weissmuller par une représentation des indigènes installant comme un malaise. Au-delà de la volonté malheureuse de suivre la mode au lieu de la susciter, le film pèche également par le manque absolu de consistance de son intrigue. En effet, il se résume pour l'essentiel à une succession de péripéties, souvent peu relevées, uniquement reliées par le vague prétexte d'une conspiration à peine entraperçue. Aucune progression dramatique ne se bâtit, l'histoire se limitant à des allées et venues passablement stériles et artificielles, un défaut déjà noté dans Opération Tonnerre. Plusieurs scènes d'action demeurent certes très toniques, comme l'épique leçon de pilotage ou surtout celle des crocodiles, de loin le passage le plus relevé du film et qui ne sera pas sans évoquer Pitfall aux spectateurs ayant connu l'époque héroïque de l'Atari 2600. Pour le reste, de nombreuses actions avortées et de poursuites assez vaines, comme l'interminable course de bateaux qui, malgré quelques sauts impressionnants, s'étire beaucoup trop pour ne pas y perdre en intensité. Accumuler les hauts faits, d'un intérêt d'ailleurs variable, sur une trame très légère ne constitue pas un film. On est d'autant plus sensible à ce relâchement dans l'écriture que la caméra de Guy Hamilton se fait assez plate. Elle réussit quelques jolis panoramas des divers paysages traversés mais n'apporte pas réellement de tonus à l'action, ni à plusieurs scènes parfois bavardes et statiques (on pourrait élaguer sans peine le film de vingt minutes). On éprouve parfois l'impression que le metteur en scène de cette gigantesque machinerie agit plus en régisseur qu'en créateur inspiré. Le film souffre également de l'absence des magnifiques créations de Ken Adam dont le design élégant et visionnaire apportait un véritable cachet à de nombreux passages. Ce manque se voit parfaitement symbolisé par la base secrète de Kananga, à l'étonnante indigence, mais dont la rusticité convient finalement aux pauvres péripéties s'y déroulant. On se situe très loin des superbes batailles finales d'antan, spectaculaires et nerveuses. Même Au service secret de sa majesté faisait mieux en la matière, c'est dire. L'autre grand défaut de Vivre et laisser mourir, indissociable du précédent, réside dans l'insigne faiblesse de l'opposition du jour. Les auteurs reconduisent le proverbial binôme génie du mal/tueur hors normes, mais avec une médiocrité divergeant profondément du modèle constitué par Goldfinger. Au-delà de son numéro de double personnalité à la Fantômas flirtant avec le grotesque (avec de plus un masque évident), Kananga développe en effet fort peu d'aura. Sa nature ne va guère plus loin que celle d'un vulgaire trafiquant de drogue à grande échelle, tandis que son plan de saturation du marché reste schématique et fumeux (on demande Tubbs et Crockett sur la passerelle). Cette légèreté achève de donner corps à l'impression persistante d'un argumentaire se bornant à un vague prétexte autorisant l'accumulation de scènes d'action en extérieur. En dehors de vaines postures, l'ennemi se cantonne à une dangerosité banale, guère plus relevée que ce que l'on peut découvrir dans les séries policières et les films de Blaxploitation de l'époque, sans démontrer les qualités de génie aux confins de la folie que tout adversaire de 007 se doit de manifester. L'excellent Yaphet Kotto (Alien) n'y peut, hélas ! rien, même s'il interprète sa partition avec justesse. Son second, Tee Hee (on n'ose dire son bras droit), paraît certes plus relevé et on lui doit les scènes les plus frémissantes du film. On apprécie sa jovialité dissimulant une authentique sauvagerie, mais il lui manque la petite touche de délire demeurant l'apanage des plus grands. Une erreur décisive survient lors du duel final, bien trop recopié sur celui opposant Bond à Red Grant. Or, si le combat du jour est filmé avec une efficacité certaine, il ne peut en aucun cas rivaliser avec l'intensité à nulle autre pareille de son homologue de Bons baisers de Russie, et l'inévitable comparaison s'avère désastreuse. Murmure et le chauffeur de taxi hilare se montrent non dénués d'intérêt mais relèvent tout de même de l'anecdotique. Quant au crispant Baron Samedi et à ses poses grandguignolesques, au-delà de toute notion de cabotinage, il synthétise à lui seul la dimension de vaudou frelaté d'un film tendant à plusieurs occasions vers le cinéma dit déviant. Il n'en va guère mieux du côté des alliés américains de James Bond. Le Félix Leiter de l'étape paraît certes amusant par son flegme maintenu contre vents et marées, mais son rôle de factotum le prive d'une véritable dimension. On retrouvera le solide David Hedison dans le même rôle dans Permis de tuer. Leiter demeure tout de même plus présent que son collègue noir qui n'a d'autre utilité que d'élever un pare-feu face au malaise racial que risque fort de développer le film. Dans une approche symétrique, le navrant shérif Pepper s'emploie à déminer le terrain en montrant un policier blanc raciste, à la vulgarité crasse. Il a aussi pour mission de meubler durant l'interminable poursuite dans les mangroves, mais le personnage développe une figure redneck si outrée, un humour si pachydermique, qu'il apporte en fait essentiellement un surcroît d'irritation au spectateur. Quand on se retrouve devant un épisode de Shérif, fais-moi peur au beau milieu d'un Bond, c'est que quelque chose ne fonctionne pas. Le retour du personnage dans L'Homme au pistolet d'or fera de lui l'équivalent du Brodny des Avengers, autre cas d'humour pour le moins contesté (mais qui avait au moins le privilège d'être sympathique). On remarquera ici qu'à la caricature d'un soviétique répond celle d'un américain, dans une croustillante symétrie finalement très britannique. Fort heureusement, le film conserve un atout maître en la personne de Solitaire. Outre une beauté à couper le souffle, Jane Seymour installe une dimension fantastique bienvenue, notamment dans la très belle scène en surexposé sur l'avion de Bond. La belle manifeste également une désarmante sensualité, inédite depuis Tatiana Romanova ! Surtout, le duo formé avec 007 fonctionne à la perfection, dès leur duel initial, électrique et divertissant (Roger Moore dans ses œuvres). L'alchimie des deux acteurs fonctionne instantanément, et ce couple glamour et tonique demeure bien le seul domaine où le film remplit totalement son contrat. Hélas ! La carrière de Jane Seymour, après des presque débuts aussi prometteurs, finira encalminée dans Dr Quinn, femme médecin, production accomplissant le rare exploit de réunir les aspects les plus gratinés de la série hospitalière et de La petite maison dans la prairie. Les aléas d'un parcours... Malheureusement, Solitaire porte bien son nom car fort peu d'autres rôles féminins s'en viennent enrichir le film. Hormis de fugitives apparitions, seules deux autres figures sont à retenir. En composant la première Bond girl noire (mais pas encore le rôle principal…), Rosie Carver vient compléter le dispositif du film visant à contrecarrer les accusations de racisme. À défaut d'un jeu des plus subtils, Gloria Hendry, vedette régulière de la Blaxploitation, lui confère une belle vitalité et une naïveté finalement touchante, annonçant la très divertissante Miss Goodnight. Sa triste fin nous vaut d'ailleurs l'une des rares excellentes idées de mise en scène du film, avec ces spectaculaires totems/caméras/fusils. On remarque que ces engins ont dû tous tomber simultanément en panne de par la totale impunité avec laquelle Bond s'en va déposer ses bombes, comme d'autres s'en vont planter des choux. On éprouvera également un vrai coup de cœur pour Miss Caruso, beauté italienne des plus généreuses. Son interprète, Madeline Smith, fut désignée par un Roger Moore ayant apprécié sa jolie participation à Amicalement vôtre (Formule à vendre, qu'il réalisa lui-même). On la connaît cependant davantage en tant qu'Hammer Girl, sa plastique idéalement proportionnée lui valant de fréquentes apparitions dans les films de cette digne institution britannique. Au total, Vivre et laisser mourir vaut surtout par l'entrée en lice concluante de Roger Moore, ainsi que pour le couple entraînant formé avec Jane Seymour. Hélas, la dramatique faiblesse du scénario, soulignée par le manque de dimension de l'adversaire du jour et une mise en scène peu relevée, ne peut que cantonner le film dans une relative médiocrité. Le film rencontre un réel succès, validant l'emploi de Moore. Pour un budget initial de 7 millions de dollars, il en rapporta 126,4 millions, soit 10 de plus que Les Diamants sont éternels, pour une mise initiale équivalente. Moore rapporte également à peu près le double que Lazenby (64,6 millions), ce qui indique clairement la différence de statut. En France, Vivre et laisser mourir réalisa 3 053 913 entrées, soit peu ou prou 550 000 de plus que Les Diamants sont éternels et un million de plus qu'Au service secret de sa majesté. Son public adoubait bel et bien le nouveau 007. Grands moments de la Saga James Bond : Sautée de crocodiles
2. L'HOMME AU PISTOLET D'OR Scénario : Richard Maibaum & Tom Mankiewicz – Who'd want to put a contract on me ? À l'affiche londonienne le 19 décembre 1974, L'homme au pistolet d'or apparaît comme un redoutable rendez-vous pour Roger Moore. Une fois dissipé l'effet de surprise, va-t-il confirmer les bons résultats de Vivre et laisser mourir et pérenniser son interprétation de James Bond ? De fait, l'acteur continue à creuser son sillon et à imprimer avec panache sa marque au personnage. Son 007 paraît décidément incliner vers la comédie, mais avec un humour sarcastique particulièrement jouissif et en phase avec son côté meurtrier. Par son talent, Moore maintient la saveur et la nature de 007, tout en lui insufflant une vraie spécificité. Du bel ouvrage. La contrepartie en demeure une moindre présence dans les scènes d'action ou de combat où Sean Connery manifestait une puissance naturelle plus convaincante. Néanmoins, ce renouvellement empêche une certaine monotonie de s'installer. Gage de pérennité, cette différence perdure alors même que l'on observe un retour au classicisme dans les rituels après les innovations de Vivre et laisser mourir : entrevue dans le bureau de M et retour de Q alors qu'aucun gadget n'est réellement à présenter, ce qui illustre à quel point les auteurs se sont rendus compte de l'ampleur du vide laissé. Mais les cigares perdurent… Plus encore que lors de l'opus précédent, le scénario s'inscrit dans la nouvelle optique, multipliant les scènes amusantes, parfois à la limite du pastiche. Mais cette fois le récit ne s'en tient pas là, refusant la vacuité au profit d'une double intrigue astucieusement enchevêtrée dont l'un des fils (le duel Scaramanga/Bond, prétendument à l'initiative du premier) introduit un schéma novateur, tandis que le second (la maîtrise de l'énergie solaire) retrouve les fondamentaux de l'époque Connery. Cette dualité épouse parfaitement celle introduite par Roger Moore, dans un ensemble à l'écriture parfaitement coordonnée et réellement ambitieuse. Par ailleurs, le récit, fort nerveux, sait maintenir un intérêt constant, parvenant à entremêler avec une vraie dynamique les scènes d'action et de dialogue. Dans la même veine que Vivre et laisser mourir, on pourrait certes reprocher à la production un certain suivisme, la mode des films de Kung fu succédant à celle de la Blaxploitation. Et, de fait, plusieurs éléments y font clairement référence, comme l'environnement asiatique, les scènes de combat du Dojo ou la structure narrative conduisant à un spectaculaire affrontement du type Chuck Norris/Bruce Lee dans La Fureur du Dragon, qui vient de triompher en 1972. Néanmoins, le film dose beaucoup plus habilement ces insertions que son prédécesseur. Au lieu d'un déferlement massif et sans nuance aucune, jusqu'à une caricature oblitérant la spécificité de la saga, on assiste à un recours à ces éléments en nombre limité, et profilés pour 007. Au total, Bond n'en sort pas dénaturé mais opte pour une aventure à la plaisante tonalité extrême-orientale, rappelant la grande réussite de On ne vit que deux fois. Par ailleurs, l'allusion au choc pétrolier et à la crise énergétique subséquente situe agréablement le récit dans son actualité, tandis que l'évocation des périls écologiques lui vaut une vraie modernité, bien avant Quantum of Solace. Cette intrigue fluide et tonique, mâtinée d'un humour incisif du meilleur goût, se voit magnifiée par un Guy Hamilton qui, pour son ultime participation à la série, semble fort heureusement s'extirper de la léthargie manifestée tout au long de Vivre et laisser mourir. Ce regain de créativité se dénote dès la séquence d'introduction, renouant fort heureusement avec l'unité d'action, de temps, et de lieu lors d'un affrontement d'anthologie. À travers d'étonnants décors et un suspense omniprésent, on voit l'un des gangsters aperçus dans Les Diamants sont éternels (ou son équivalent !) se faire trucider fort joliment par Scaramanga. 007 intervient via une apparition détournée ouvrant idéalement le récit. Le générique semble, lui, moins performant, avec des chatoiements dorés moins suggestifs que pour Goldfinger et une chanson peu mélodieuse trop violemment assénée par la chanteuse Lulu. Hamilton compose avec une impressionnante efficacité les nombreuses scènes d'action émaillant le film, tandis qu'il s'entend à mettre en valeur les magnifiques paysages naturels, dont la Baie d'Ha Long, sans doute l'extérieur le plus spectaculaire de la saga. Les inévitables éléments exotiques (boxe et danses thaïs, jardins typés…) s'insèrent sans pesanteur ni abus de kitsch, ce qui ne sera pas toujours le cas dans d'autres films de Moore. Ils ne viennent pas entacher les moments forts, toujours nerveux et spectaculaires : affrontement final renouant avec les succès d'antan, poursuite en bateau bien plus épique et condensée que dans Vivre et laisser mourir, exécutions perpétrées par Scaramanga… Deux authentiques morceaux de bravoure viennent encore rehausser le spectacle. Le film nous régale de l'une des cascades automobiles les plus ahurissantes de l'histoire du cinéma, avec l'improbable looping de l'AMC Javelin permettant à 007 de poursuivre son ennemi. L'exploit s'impose d'autant plus comme remarquable que, outre l'absence de tout trucage, il n'aura nécessité qu'une seule prise, des calculs particulièrement complexes ayant conçu la forme en apparence banale de la « piste de décollage ». Le passage le plus stupéfiant du film demeure tout de même celui de l'AMC Matador volante de Scaramanga que l'on croirait issue de Fantômas. Sa révélation, superbement agencée par Hamilton, constitue un moment d'autant plus insolite que, pour une fois, le gadget le plus étourdissant du film n'est pas l'apanage de Bond mais de son opposant. Décidément, L'Homme au pistolet d'or sait judicieusement innover. Le film bénéficie de nombreux décors marqués par un design élégant et grandiose, notamment dans la citadelle raffinée de Scaramanga, mais également dans la demeure de Hai Fat. Peter Murton développe une vision artistique proche de celle de Ken Adam, mais n'hésite cependant pas à entremêler avec succès classicisme et innovation avec le quartier général tout de guingois de M au sein de l'épave du légendaire Queen Elizabeth ; un authentique coup de maître ! On note toutefois un brusque trou d'air dans cette profusion ininterrompue de superbes décors avec le poste d'observation des militaires chinois. Le dépouillement de ce morne local évoque davantage une série Z qu'un James Bond. Contrainte budgétaire ou volonté délibérée ? Malgré ces nombreux points positifs, la véritable attraction du film réside bien entendu dans la présence de Christopher Lee et dans la superbe création qu'il nous offre. Immense acteur de genre, dont la carrière s'est poursuivie jusqu'à ses derniers jours (93 ans !) à travers des rôles prestigieux (Comte Doku, Saroumane le Blanc, la Mort du Disque Monde…), Lee, de plus cousin de Ian Fleming, est bien celui que le film nécessitait pour incarner le flamboyant et baroque Scaramanga et le hisser au niveau de compétiteur crédible de Bond, condition sine qua non du succès. Tour à tour ténébreux et dominateur dans sa relation avec Andréa, prédateur impitoyable et inexorable pour ses victimes, assassin dont l'esprit inventif et ambitieux l'élève au statut de génie du mal, joyeux et quasi puéril face à 007, sa personnalité multiple, aux excès très Sixties, se voit magnifiée par son interprète. Elle apporte une dimension supplémentaire au récit avec un cachet véritablement littéraire dans la veine des Sax Rohmer et autre Gaston Leroux. Les auteurs ont la suprême habileté, après la promesse de la séquence initiale, de retarder la confrontation des deux champions. La brièveté de leur double face-à-face en maintient la force d'impact. Leurs affrontements verbaux apparaissent ainsi comme de pures merveilles, mordantes et virtuoses, aussi admirablement filmées que dialoguées. Et puis vient enfin l'heure du combat à mort, et là, un drame atroce se noue. En effet, alors que ce duel, censé couronner l'intrigue par une action suprêmement trépidante, débute sous les meilleurs auspices, il se voit brusquement résolu par un artifice confondant de facilité. En un instant ridiculement bref, 007 prend la place du mannequin dont il revêt les habits, sans qu'il nous soit donné un seul instant d'apercevoir comment s'opère la transition avec sa situation précédente et le moyen dont il s'affranchit des caméras de Trick-Track. Il reste pour le moins paradoxal que le grand affrontement promis se résume à une redite inférieure à ce que nous a proposé la séquence initiale. Le film, après avoir longtemps flirté avec le chef-d'œuvre, y échoue à cette occasion. Cette séquence s'achève certes par des effets pyrotechniques parfaitement réussis, mais sans que cela atténue la cuisante déception ressentie. Scaramanga trustant de manière très convaincante les rôles traditionnels de Diabolical Mastermind et de tueur hors normes, il paraissait fort malaisé de développer ici un partenaire conforme à l'orthodoxie duale de la saga. L'idée géniale consistant à se baser sur l'humour à tout crin comme porte de sortie nous vaut le personnage effectivement hautement improbable de Trick-Track. On lui doit de nombreuses scènes hilarantes, sans qu'il se départît pour autant d'une cruauté avérée. Le savoureux comédien français Hervé Villechaize, au funeste destin, nous offre une fort délectable composition, agrémentée en version originale par son accent et de nombreux mots français (on croirait entendre David Suchet dans Poirot !). Le majordome très particulier de Scaramanga annonce bien évidemment le rôle fétiche de Villechaize, celui de Tattoo, assistant du mystérieux M. Roarke, le maître de L'Île Fantastique (1978-1984). Le duo antinomique fonctionne à merveille, renforçant agréablement la spécificité de L'Homme au pistolet d'or. À côté de cette association exceptionnelle, les autres personnages masculins paraissent bien ternes, comme Hip, le transparent acolyte asiatique de James Bond, interprété par Soon-Tek Oh, figure régulière des séries américaines (et voix du père de Mulan !), le schématique Hai Fat, ou bien le triste shérif Pepper, égal à lui-même et à ce qu'il avait démontré dans Vivre et laisser mourir. Cependant ce dixième opus de la série achève sa conquête du spectateur par des rôles féminins aussi opposés que pareillement attachants. La beauté aristocratique et la personnalité raffinée de Maud Adams lui permettent de donner corps et crédibilité à son personnage d'Andréa. Cette figure étonnamment tragique parvient à s'imposer à rebours d'un film pétillant et volontiers humoristique, tandis qu'elle y joue un rôle clé. Les films de 007 regorgent de sémillantes jeunes femmes œuvrant pour le bien ou pour le mal, mais bien peu manifesteront une souffrance morale aussi absolue et prégnante que celle-ci, ayant déjà chuté dans l'abîme avant même que ne débute l'histoire. Fait unique dans la série, ce bel exploit vaudra à Maud Adams de revenir dans Octopussy, puis pour un caméo dans Dangereusement vôtre. Aux antipodes les plus extrêmes que l'on puisse imaginer de la désespérée et machiavélique Andréa Anders, nous découvrons la pétulante et gaffeuse au dernier degré Miss Goodnight. Elle n'a pas toujours rencontré un bon accueil, le public rétif à l'évolution des 007 vers plus de glamour et de fantaisie centrant sur elle ses critiques tant elle synthétise ce glissement. Or, celle qui, dans les romans, est la secrétaire attitrée de Bond, n'apparaît pas tant sotte que malchanceuse et d'un désarmant enthousiasme juvénile. On demeure très sensible au charme acidulé de Britt Ekland et au naturel enjoué transparaissant à l'évidence dans son interprétation. Le jeu du chat et de la souris, entrecoupé de bouffées de jalousie des plus pimentées, nous vaut des moments parfaitement divertissants, tandis que son bikini produit un effet réellement explosif ! L'actrice (un temps mariée à Peter Sellers, quitté pour un Rod Stewart précédant d'autres figures du show business) ne connut par la suite qu'un parcours limité mais poursuivit une carrière à la télévision suédoise, son pays d'origine tout comme Maud Adams. On se gardera d'omettre la folklorique danseuse du ventre libanaise, qui nous charme par son délicieux accent français (les fastes du Protectorat). Elle est interprétée par Carmen Sautoy, grande comédienne du théâtre anglais et membre émérite de la Royal Shakespeare Company ! Entre nageuse en tenue d'Ève et accortes serveuses de bar, L'Homme au pistolet d'or s'avère propice au beau sexe, y compris avec son duo de redoutables lycéennes karatékas, annonçant l'incroyable Gogo Yubari de Kill Bill. En dernier lieu, L'Homme au pistolet d'or, film à l'âme en définitive intensément Sixties, séduit également par son aspect ultra référencé, volontaire ou fortuit. Les amateurs des Avengers se trouveront ainsi en pays connu grâce au chapeau melon de Trick-Track, au QG si particulier d'un M rarement aussi similaire à Mother (où apparaît un parapluie !), à une Miss Goodnight évoquant par bien des aspects une Tara King (sinon une Vénus Smith) tout de même sensiblement plus délurée que son modèle (007 reste 007), aux décors des amusements de Scaramanga rappelant Jeux, et jusqu'à la participation de Lee lui-même. Ceux de Simon Templar s'amuseront à constater que, grâce à un providentiel néon de la salle de bains d'Andréa, James Bond se trouve doté d'une auréole furieusement similaire à celle du Saint. Enfin, gisant comme mort dans des draps fuligineux où ensuite il subjugue Andréa, Christopher Lee retrouve des postures à la Dracula absolument irrésistibles pour le fan des riches heures de la Hammer. L'Homme au pistolet d'or, à la sensibilité sans doute quelque peu en décalage avec sa décennie, marque une décrue du box office. Il réalise 97,6 millions de dollars de recettes contre 126,4 pour l'opus précédent, au budget équivalent de sept millions. En France, il enregistre 2 873 898 entrées contre 3 053 913 pour Vivre et laisser mourir. Outre le moindre effet de surprise suscité par Roger Moore, le public a sans douté été troublé par l'inclination humoristique très marquée du film, où de nombreuses innovations viennent se mêler aux recettes éprouvées. James Bond revient prochainement, avec des producteurs enclins au recentrage et disposés à casser leur tirelire afin de relancer la saga. Grands moments de la Saga James Bond : Looping
3. L'ESPION QUI M'AIMAIT Scénario : Richard Maibaum & Christopher Wood et Tom Mankiewicz (non crédité) – But James, I need you ! Quelques mois avant le lancement de la seconde saison des New Avengers (le 17 novembre), c'est à la date aussi symbolique qu'incontournable du 07.07.77 que le public londonien découvre les nouvelles aventures de James Bond en présence de la Princesse Anne. Après les résultats mitigés de L'Homme au pistolet d'or, L'Espion qui m'aimait va constituer l'occasion de relancer la franchise en capitalisant sur des recettes éprouvées, tout en démultipliant la dimension spectaculaire de ses diverses péripéties. La production, échaudée après les innovations de l'opus précédent, va en effet en revenir aux canons du genre remontant à l'époque Connery. Dans ce revival réside la force du film, mais aussi ses limites. Un repli, aussi abouti soit-il, ne saurait équivaloir à une création, même si les nostalgiques se sentiront ici véritablement choyés. L'impression de se retrouver en terrain connu se ressent d'autant plus fortement que le scénario ressemble trait pour trait à celui de On ne vit que deux fois. Cela vaut pour la progression générale mais aussi pour les détails : collaboratrice jetée aux requins, prisonniers conservés en vie – l'on se demande bien pourquoi – final hautement pyrotechnique... Le metteur en scène, Lewis Gilbert, est également le même, tandis que Stromberg se substitue en dernier ressort à un Blofeld initialement prévu pour un prequel mais rejeté pour des raisons de droits. Toutefois, malgré cette impression de redite, c'est bien l'aspect spectaculaire du film qui prédomine et laisse un impact durable sur le spectateur, alors que l'on double quasiment le budget par rapport à l'opus précédent. Cela transparaît en premier lieu dans la profusion de somptueux paysages dont nous régale le film : montagnes enneigées, Sardaigne ensoleillée et davantage encore l'Égypte éternelle. Que ce soit la Vallée des Rois, les rivages du Nil ou les impressionnants temples, la traversée du royaume des Pharaons autorise de superbes panoramas. On apprécie que le film prenne le temps d'approfondir la découverte de ces sites et de leur ambiance, à l'opposé du zapping insensé de Quantum of Solace. Ces endroits ne figurent pas que pour la carte postale mais bien pour servir d'écrin à de nombreuses scènes d'action à couper le souffle. Que cela soit pour la trépidante poursuite à skis, l'affrontement contre Requin dans le temple antique, ou les assauts motorisés successifs, Gilbert manifeste une authentique maestria tant dans la mise en scène que le montage. Grâce à un tempo idoine, le spectateur s'immerge totalement dans ces péripéties hautes en couleur, se succédant sans désemparer. Ce spectacle de haute tenue débute idéalement par une introduction à la chute hilarante (avec un Union Jack évoquant bien des souvenirs aux amateurs des Avengers !) et un générique grandiose dont l'envoûtante mélodie interprétée par Carly Simon rencontra un succès mondial des plus mérités. Mais L'Espion qui m'aimait atteint toute sa dimension grâce aux incroyables décors de Ken Adam, aussi variés que les paysages ou les scènes d'action. Le film devient un enchantement visuel grâce à l'élégance raffinée de la salle de commande de Stromberg, alliant l'esthétique du Grand Siècle à de sublimes vues sous-marines accompagnées d'une mélodieuse musique classique, mais aussi aux formes élégantes et épurées d'Atlantis, ou au gigantisme impressionnant de réalisme du Liparus. Une extension des studios de Pinewood dut être construite pour permettre l'élaboration d'un ensemble aussi colossal, et c'est presque un crève-cœur que de voir démoli un tel chef-d'œuvre. Il n'y a pas jusqu'au design de la Lotus de 007 auquel Adam n'ait apporté sa contribution, on peut d'ailleurs la considérer comme la plus belle des voitures de Bond, hormis la mythique DB5. L'Espion qui m'aimait, spectacle total, demeure l'une de ces trop rares circonstances voyant un authentique génie créatif disposer de moyens à la hauteur de ses conceptions. Un autre attrait du film réside dans le fait que, même dans le cadre d'un retour général à des valeurs éprouvées, Roger Moore ne cherche pas à singer Sean Connery. Il poursuit sa petite musique composée d'humour, de distanciation élégante, et de glamour. On rit parfois franchement, comme devant sa mine paniquée face à Requin lors de l'affrontement ferroviaire. Finalement, la spécificité du personnage ressort, et par contraste, s'apprécie davantage dans un cadre conventionnel que dans une ambiance trop ouvertement orientée vers la comédie. On reste nettement plus réticent devant sa partenaire du jour, l'agent "Triple X", censée représenter le summum des services soviétiques et vantée dans la promotion du film comme un bouleversement : une partenaire féminine de la stature de Bond. Car enfin, hormis le gadget de la cigarette, qu'accomplit au juste le Major Amasova ? Elle apporte certes du piment à la première partie de l'histoire où la compétition avec 007 et le ping-pong verbal se suivent avec un vrai plaisir, mais même là l'action repose avant tout sur Bond. Ensuite, rideau. On nous promettait l'élite, on a juste le lit. À part prendre une douche ou appuyer sur un bouton de la Lotus, elle ne réalise alors plus rien car cette histoire de vengeance, à laquelle personne ne croit, débouche bien entendu sur le néant. Son suivisme total et la manière dont Bond la sauve de la noyade nous ramène à Honey Rider, un autre coup d'œil dans le rétroviseur, pas forcément le plus heureux. On termine le film en se frottant les yeux et en se demandant ce que ce Triple X pouvait bien représenter de si redoutable. Fort heureusement, Barbara Bach se révèle, elle, irremplaçable, illuminant le film par sa grâce et sa beauté, tandis que son accent slave se montre irrésistible. Sa robe de soirée s'avère particulièrement incendiaire, et son jeu, non dénué d'attrait, s'accorde joliment à celui de Roger Moore. On ne peut que regretter que la Détente s'en vienne désamorcer leur rivalité, privant l'intrigue d'un ressort primordial. Un autre regret provient de Stromberg, non pas pour le personnage, mégalomane et effroyable à souhait, mais pour son interprète. Curd Jürgens a bien entendu connu une carrière marquante (Et Dieu créa la femme, La dernière valse…), apportant souvent une vraie présence à ses rôles, mais il semble ici totalement figé et engoncé, presque fossilisé. Cette déception se renforce par une mort totalement grotesque où les balles de 007 occasionnent des mimiques véritablement outrées. De plus, le parallélisme avec On ne vit que deux fois force à comparer sa prestation à celle du génial Donald Pleasence, ce dont il pâtit douloureusement. De plus, le duo emblématique adversaire de Bond/tueur invincible s'avère ici particulièrement déséquilibré, tant s'impose Requin, joué par le formidable Richard Kiel. Requin, c'est l'alliage réussi de Terminator et de Tex Avery : sa manière de toujours revenir, jointe aux gags burlesques que constituent les catastrophes s'abattant sur lui, provoque un irrésistible effet comique, sans même parler de sa célèbre dentition. "Jaws" indique également le maintien du suivisme caractéristique de l'époque Moore car son nom correspond au titre original des Dents de la mer, chef-d'œuvre de Spielberg venant de stupéfier le public en 1975 (Spieberg fut lui-même pressenti pour réaliser L'Espion qui m'aimait). Qu'importe, Requin s'impose bien comme l'adversaire idéal de 007 version Roger Moore, suffisamment impressionnant pour demeurer crédible, et d'une drôlerie irrésistible, ne reculant pas devant le pastiche. En ce sens, contrairement à Vivre et laisser mourir, sa "scène de train" ne souffre pas de la comparaison avec celle de Red Grant car contournant l'obstacle sur son versant humoristique. Troisième larronne de l'opposition, la sublime Caroline Munro ne laisse qu'un regret : la brièveté de son rôle. La plus belle des Anges de la Mort des Avengers, reine des nanars de Science-fiction, crève littéralement l'écran par sa sensualité. Il suffit à Naomi de quelques furtives apparitions pour se graver indélébilement dans la mémoire du spectateur. Pour une fois on va en vouloir à Q ! L'on remarque également la présence de Valérie Leon comme réceptionniste de l'hôtel. Tout comme Caroline Munro, elle fut un membre émérite de la cohorte de jeunes femmes particulièrement accortes apparaissant régulièrement dans les productions de la Hammer, mais elle reste surtout remémorée pour ses publicités et son rôle de dominatrice toute de cuir vêtue qui en faisait voir de toutes les couleurs au pauvre Inspecteur Clouseau dans La Malédiction de la Panthère Rose (1978). Pour les autres seconds rôles agrémentant le film, on apprécie la découverte du général Gogol (l'excellent Walter Gotell, également apparu dans Bons Baisers de Russie) et de la Moneypenny russe, Roublevitch (Eva Ruber-Staier, Miss Monde 1969). Leurs interventions récurrentes vont par la suite astucieusement renforcer l'impression d'univers cohérent développé par la saga. On se plaira à comparer l'austérité monacale du Bureau de Gogol au confort très anglais de celui de M ! On a également le plaisir de retrouver en Kalba l'acteur français Vernon Dobtcheff, qui participa à trois reprises aux Avengers. On reconnaîtra également dans le rôle du malheureux fiancé de Triple X Michael Billington, connu pour son rôle du Colonel Paul Foster dans UFO. Au final, L'Espion qui m'aimait apparaît comme un récit d'aventures absolument trépidant, doublé d'un ambitieux spectacle visuel parfaitement abouti, justement récompensé par une nomination à trois Oscars artistiques. Entre suivisme de la mode et recyclage des reliques du passé, on souhaiterait tout de même que les 007 de l'époque Moore se montrent plus créatifs. Avec un budget parfaitement imposant pour l'époque de 13 millions de dollars (près de deux fois plus important que le précédent), L'Espion qui m'aimait représentait un enjeu crucial pour 'Cubby' Broccoli, désormais seul maître à bord. Les résultats se montrèrent à la hauteur des espérances, avec 185,4 millions de dollars de recette contre 97,6 pour L'Homme au pistolet d'or. En France, le box office s'éleva à 3 500 993 entrées contre 2 873 898 précédemment. Le film constitue donc également la belle histoire d'un pari aussi osé que couronné de succès, encourageant son auteur à aller encore plus loin lors de l'opus suivant, Moonraker. Grands moments de la Saga James Bond : Parachute customisé
Les plus belles courses poursuites : Lotus Esprit Scénario : Christopher Wood – You have arrived at a propitious moment, considered to be your country's one indisputable contribution to Western Civilization : afternoon tea. May I press you to a cucumber sandwich? Le 26 juin 1979, Londres découvre les nouvelles aventures de James Bond, intitulées Moonraker. Et non pas Rien que pour vos yeux comme l'annonçait pourtant en 1977 L'Espion qui m'aimait dans le traditionnel message du générique de fin. Mais comment s'expliquait un tel bouleversement, inédit jusque là ? Tout simplement, la période Roger Moore renouait avec l'un de ses vieux démons : le suivisme forcené de la mode. Or, les années 70 viennent d'enregistrer plusieurs grands succès au cinéma dans le domaine de la Science-fiction, en particulier Rencontres du troisième type et La Guerre des étoiles, tous deux sortis précisément en 1977. Avec un opportunisme passablement vénal, les producteurs vont tenter de prendre en marche le train du succès. L'opération est menée avec fracas (envol du budget, tentative avortée de faire coïncider le lancement du film avec le décollage de la première navette) mais aussi avec manque de discernement. En effet, l'esprit des James Bond va se voir dénaturé par une incorporation massive d'éléments exogènes, lui faisant perdre sa précieuse spécificité au profit d'un récit peu relevé et inférieur à ses modèles. La leçon de Vivre et laisser mourir a été oubliée : une science-fiction caricaturale et sans génie va polluer le film, tout comme jadis l'accumulation des clichés les plus éculés de la Blaxploitation. On ne gagne rien à se renier, surtout pour s'élancer dans des voies sans issues. L'aventure achève de basculer dans le ridicule du fait de nombreuses maladresses pour le moins confondantes. Le thème de l'apocalypse programmée par un malade mégalomane désirant se bâtir son propre Jardin d'Eden évoque à l'identique celui de l'opus précédent, suscitant une redite trahissant un manque d'ambition et d'imagination pour le moins contrariant. Le film ne recule pas devant certains « hommages » (emprunts) manifestes, comme la reprise du légendaire indicatif de Rencontres du troisième type accompagnant un digicode, voire l'introduction d'"Ainsi parlait Zarathoustra" de Richard Strauss, déjà employé avec un éclat unique dans la première partie de 2001 : L'Odyssée de l'espace, lors du lancement de la chasse dans la résidence de Drax. Le pire demeure néanmoins le ridicule achevé de la pseudo bataille spatiale réalisée à grands coups de rayons lasers et de tenues en papier aluminium, dans un ensemble très disco. Sarah Brightman et les Hot Gossip en restitueront d'ailleurs très fidèlement l'ambiance l'année suivante dans le clip kitschissime de I lost my heart to a Starship Trooper, avec de nouveau Strauss en ouverture… La volonté acharnée de vouloir ainsi adapter à marche forcée tous les ingrédients de 007 (base du méchant, bataille finale, girls…) au moule de la science-fiction basique finit tout simplement par provoquer le rire. Les amateurs de la « littérature spéculative », comme on a longtemps dit en France, éprouveront, eux, quelques réels agacements devant la vision réductrice et idiote qu'en offre ce film. Les faiblesses du film ne se limitent malheureusement pas à cette sortie de route. En effet, Moonraker apparaît comme un Bond particulièrement statique et verbeux, où les scènes de dialogues guère percutants se multiplient tandis que les scènes d'action réellement au-dessus du lot brillent par leur rareté. En dehors de la séquence d'ouverture, tout juste distingue-t-on quelques saillants : la centrifugeuse emballée ou la bataille des téléphériques. Les chiens lâchés aux trousses de la malheureuse Corinne Dufour nous valent une scène certes à la féroce cruauté, hélas en partie éventée par le fait que la belle ait eu le temps de mettre des chaussures de sport particulièrement voyantes… De même, M, Q, et Moneypenny n'ont guère de dialogues croustillants à défendre... Lewis Gilbert semble moins énergique et audacieux que lors de L'Espion qui m'aimait, rejoignant le faible ouvrage réalisé par Hamilton pour Vivre et laisser mourir. Il faut dire que les deux films se rejoignent par la trame très mince du scénario, dans les deux cas un simple prétexte pour justifier les déplacements de 007. Précisons que l'histoire n'a pratiquement plus rien à voir avec le roman de Fleming ; il s'agit de la reprise d'un film méconnu de 1966, Ramdam à Rio (avec Mike Connors), au thème très proche et lui-même pastiche de 007. Tout cela, avec une accentuation concomitante de l'aspect comique du 007 de Roger Moore, produit un récit déséquilibré par une place trop importante accordée à un humour d'ailleurs souvent assez sot et enfantin (on commence à viser la cible jeune, devenue essentielle pour un succès au cinéma). Les gags démonstratifs se succèdent (lutte dans la verrerie, passage de l'ambulance, ineptie de la gondole motorisée…), et il faut bien dire que l'on pense à une version au premier degré total du Magnifique quand Bond abat un lointain sniper dissimulé dans un arbre, tout comme Bob Saint-Clar depuis la voiture de Tatiana. Trop de pastiche tue le pastiche mais aussi l'intensité dramatique du film. Un dernier élément vient saper la crédibilité du film : la surabondance du placement de produits, jusqu'à l'indigeste. Ce phénomène s'observait bien entendu dès l'époque Connery, mais l'on passe ici véritablement de l'artisanal à l'industriel ! Alors que la société Film Media Consultant devient en coulisse le bras armé d'EON en ce domaine, on assiste non seulement à la multiplication de messages peu subtilement placés (un summum à peine croyable est atteint avec les divers panneaux publicitaires devant lesquels passe l'ambulance) mais aussi à un changement de nature des produits. Auparavant l'on se cantonnait au luxe (champagnes, montres...), désormais l'on ne rechigne plus à musarder du côté de la consommation de masse, avec notamment le soda Seven Up ayant visiblement investi beaucoup dans l'affaire. Cette tendance ne fera que se confirmer par la suite, conférant à certains 007 le profil de vrais catalogues publicitaires. Et pourtant tout n'est pas uniformément mauvais dans Moonraker. La mélodieuse chanson de John Barry nous permet de retrouver Shirley Bassey, à laquelle les génériques de James Bond réussissent toujours admirablement. Hormis une double absurdité initiale (un 747 de ligne capable de transporter une navette et celle-ci voyageant avec le plein de carburant…), la séquence d'ouverture reste un chef-d'œuvre du genre, sans doute l'une des plus spectaculaires et justement célèbres de cet exercice de style. Filmer une cascade aussi insensée que ce vertigineux duel en chute libre nécessita 88 sauts à 3 000 mètres d'altitude et une logistique extraordinaire. Le résultat se voit à l'écran, avec des images d'un réalisme criant. Il est donc dit que Moonraker peut dépenser avec efficience son considérable budget ! Les décors toujours admirables de Ken Adam en constituent une autre illustration avec une base de lancement finalement plus impressionnante que la station spatiale. Les superbes paysages de rigueur répondent à l'appel, avec Venise et Rio justement mises à l'honneur. Le public hexagonal éprouvera également un vrai plaisir devant la touche française très marquée du film, inédite depuis Opération Tonnerre. Une importante partie du tournage se déroula en effet en France (notamment pour des raisons fiscales), les immenses décors de Moonraker mobilisant notamment les studios de Billancourt, Boulogne, et Épinay. Beaubourg et son modernisme contribuèrent également aux industries Drax. Vaux-le-Vicomte et ses jardins apportent leur magnificence d'un goût parfait, de même que le château de Guermantes. Cette dimension française nous permet également de découvrir nombre de comédiens français bien connus, dispersés tout au long du film dans des apparitions parfois improbables. Découvrir un Jean-Pierre Castaldi ou un Georges Beller (entre autres) dans un 007 reste plaisant. On avouera un coup de cœur particulier pour Guy Delorme, second rôle émérite du cinéma et de la télévision des années 60, voué aux rôles de félons et de spadassins, que l'on retrouve ici parfaitement dans son emploi mais trop brièvement. Mais l'apport principal de notre beau pays à Moonraker demeure ce grand comédien français qu'est Michael Lonsdale, au timbre si particulier. Il se montre impérial dans sa composition d'un Drax à l'ironie acérée, homme du monde dont le raffinement dissimule une folie mégalomaniaque d'une noirceur rarement atteinte par les autres adversaires de Bond. Le ténébreux Lonsdale (à l'anglais parfait) intériorise éloquemment cette déviance morbide et flirtant avec le nazisme : Drax sera un adversaire dont la déviance s'exprime par un sadisme glacé et un délire débité sur un ton faussement paisible, particulièrement déstabilisant. Sa brusque explosion de colère contre Requin n'en prend que plus d'impact, stupéfiant le spectateur. La prestation de Lonsdale s'impose comme le sauf-conduit d'un film qu'elle sauve de la déroute. On notera cependant une impossibilité supplémentaire quand les hurlements de Drax se poursuivront dans le vide : il est bien connu que dans l'espace, personne ne vous entend crier... On craint un moment que le tandem proverbial génie du mal/tueur inexorable ne puisse marcher que sur une seule jambe tant le sbire ninja de Drax manque de personnalité, même si performant au combat. Heureusement, il a la bonne idée de prestement quitter la scène, au profit du toujours imposant Requin. Celui-ci apporte un vrai coup de fouet à l'opposition, mais l'on regrette que la prédisposition marquée du film pour un humour peu subtil s'étende jusqu'à lui. L'Espion qui m'aimait lui avait apporté un équilibre parfait entre menace et drôlerie, mais cette dernière prédomine bien trop ici, le personnage devenant totalement cartoonesque. On a franchement l'impression de voir Vil Coyote traquer Bip Bip ! On atteint un paroxysme avec le final voyant Requin et sa blonde dulcinée saluer avec le sourire 007 tandis que la station part en morceaux… c'est d'une crétinerie stupéfiante, même si l'amateur des Avengers s'amusera à comparer le destin de Jaws à celui de Tara King, tous deux en orbite aux dernières nouvelles connues… Roger Moore, qui commence doucement à prendre de l'âge, défend toujours excellemment sa version de Bond. Il conserve son panache et son brio au personnage, y compris au milieu des situations les plus déconcertantes. Il a fort à faire car sa compagne du jour ne vient que médiocrement à la rescousse. Lois Chiles (Dallas) est une fort jolie femme, mais la fadeur de son jeu rejoint le peu d'éclat de Holly Goodhead. Après le Major Amasova, les auteurs s'amusent à susciter une nouvelle pseudo rivale à 007, cette fois issue de l'Ouest. Bien entendu, cela tourne encore plus court que précédemment, avec une comédienne de plus dépourvue de la flamme dégagée par Barbara Bach. Sa manière d'annoncer « C'est notre dernière chance, James ! » au moment de détruire la dernière capsule nous vaut un grand moment d'humour involontaire. On se croirait vraiment dans une caricature narquoise de Star Trek. Au-delà de cette personnalité peu relevée, reconnaissons à Moonraker de se montrer peu chiche en figures féminines (étrangement silencieuses la plupart du temps). Il s'agit là d'un domaine où la France se devait de se montrer à la hauteur de sa réputation et le gant se voit relevé. Blanche Ravalec (Dolly, reconvertie dans le doublage), Anne Lonnberg (la guide), Catherine Serre (Comtesse Lubintski, Le Gendarme et les Gendarmettes), ou bien encore la rousse Françoise Gayat (Lady Victoria Devon) mettent fort bien en valeur leurs personnages. Corinne Cléry, révélée en 1976 par le sulfureux Histoire d'O, domine cependant ce charmant aréopage par sa grâce et le joli brin d'authentique talent qu'elle manifeste. On ne peut que regretter que sa carrière se soit essentiellement limitée par la suite à des productions cantonnées au marché italien. Notons qu'en 1979 elle retrouvera Richard Kiel et Barbara Bach dans L'Humanoïde (1979), nanar SF gratiné au dernier degré (vraiment) que l'on ne peut que vigoureusement recommander. La très sensuelle Manuela clôt ce défilé de charme. Elle ne doit probablement son salut face à Requin que du fait de la mort de Corinne Dufour. Deux de ses collaboratrices assassinées dans le même film, cela aurait pu porter préjudice au prestige du Monsieur. Two is a crowd… Moonraker, apprécié avec modération par une grande partie des fans de 007, constitue la preuve par l'exemple des ravages que le manque d'ambition narrative et le suivisme à tout crin peuvent susciter. C'est d'autant plus rageant que les talents artistiques et d'interprétation n'y font pas défaut, bien au contraire, mais asservis à une histoire totalement hors sujet dans le cadre d'un James Bond. Moonraker, le plus cher des 007 de Roger Moore, marque un véritable big bang budgétaire avec 34 millions de dollars pour seulement 13 consacrés à L'Espion qui m'aimait. Le public suivit, avec des recettes perçant pour la première fois le plafond des 200 millions de dollars (202,7), un exploit qui devra attendre Goldeneye pour être renouvelé. Par la suite, le box office de Moore ne cessera de décroître. En France (sortie le 10 octobre), il réalisa 3 971 274 entrées. La décrue ultérieure allait s'avérer également inexorable dans l'Hexagone. Grands moments de la Saga James Bond : Chute libre 5. RIEN QUE POUR VOS YEUX Scénario : Richard Maibaum & Michael G. Wilson – I don't expect you to understand, you're English, but I'm half Greek and Greek women like Elektra always avenge their loved ones ! James Bond entame une nouvelle décennie d'aventures le 24 juin 1981 lors d'un douzième opus marquant un retour sur Terre bienvenu après ce braconnage sur les domaines de la mauvaise Science-fiction que représenta Moonraker. Cette volonté de retour aux sources s'exprime avec éloquence dès la séquence d'introduction. Celle-ci nous propose en effet un véritable voyage dans le passé, avec la référence émouvante à Tracy et la surprenante résurgence de Blofeld. De par les problèmes de droits déjà rencontrés lors de L'Espion qui m'aimait, son nom n'est certes pas prononcé, mais aucun détail ne manque à la reconstitution historique, du chat au costume en passant par la minerve évoquant elle aussi Au service secret de sa majesté. La séquence se montre virevoltante à souhait tandis que son rythme effréné s'accompagne d'un montage parfaitement minuté. L'on se régale, d'autant qu'une splendide vue aérienne du centre de Londres vient encore rehausser le spectacle. Après cette entame très réussie, le générique se montre également très classique dans ses effets visuels et sa mélodie un tantinet sirupeuse, même si l'on observe une innovation avec l'apparition de l'interprète, Sheena Easton (incarnant Caitlin, l'épouse de Sonny Crockett dans Miami Vice !). Par la suite, malgré la référence finale et la présence du peu va-t-en-guerre Général Gogol, le récit va développer une intrigue totalement centrée sur l'espionnite de la Guerre Froide jusqu'à retrouver des intonations parfois similaires, sur un mode mineur, à Bons baisers de Russie. Relatif réalisme des péripéties, quasi absence de gadgets, chasse au trésor autour d'un appareil de cryptographie concourent à cette impression de déjà vu. Toutefois la copie, certes de fort bonne tenue, va tout de même se révéler inférieure à son modèle. En effet, alors que l'intrigue de Bons baisers de Russie constituait un modèle de maîtrise de la progression dramatique et d'unité du récit, celle de Rien que pour vos yeux se fractionne de manière bien trop marquée en trois fragments, uniquement reliés par le vague fil rouge de la traque de Locke. L'hétérogénéité de l'histoire, sans douté liée à la diversité de sources puisées dans différents écrits de Fleming (les romans étant épuisés, l'on passe aux nouvelles), entache son intensité, d'autant que les trois histoires narrées (deux apéritives avant la principale) résultent très différentes dans le ton et le déroulement. La partie espagnole se résume à une cavalcade tonique et parfaitement distrayante. On apprécie les superbes paysages ibériques tandis que la participation des habitants insuffle un naturel chaleureux très communicatif. L'action reste trépidante et sans temps mort, avec des cascades automobiles du meilleur cru. La présence de notre Deux-chevaux nationale apporte un humour bienvenu par son contraste vis-à-vis des voitures de haut standing de 007 (dont la fabuleuse Lotus tirant ici sa révérence). On apprécie que le 007 de Roger Moore demeure fidèle à lui-même dans la fantaisie tout en délaissant les excès cartoonesques de Moonraker. La courageuse Deudeuche jaune remplit vaillamment son contrat (on ne peut s'empêcher de penser à la bonne sœur du Gendarme), avec bien entendu à la clé le placement de produit coutumier de la série, Citroën développant parallèlement une série limitée de « 2CV 007 » très médiatisée ! On notera également une musique hispanisante pouvant paraître quelque peu caricaturale, mais de fait, elle correspond aux standards de la musique populaire des coplas espagnoles de la période (Manolo Escobar et consorts). Un joli clin d'œil ! Après cette corrida mouvementée, c'est un véritable coup de froid qu'occasionne la deuxième partie. La manière qu'a John Glen de nous faire visiter systématiquement toutes les installations de la station de Cortina d'Ampezzo, bâties pour les Jeux Olympiques d'hiver de 1956, devient à la longue réellement besogneuse jusqu'à s'assimiler à un dépliant publicitaire. Pourquoi s'acharner avec tant d'obstination à tenter de tuer Bond alors que Kristatos est en train de nouer son intrigue ? Hormis le budget conséquent, on se retrouve confronté à une structure classique des séries Z, où les péripéties les plus abracadabrantes se succèdent sans réelle justification. On s'ennuie rapidement, d'autant que tout cela a été déjà vu ailleurs, notamment dans Au service secret de sa majesté. L'utilité de cet encart totalement artificiel reste des plus floues, d'autant qu'il aurait pu s'insérer harmonieusement dans le tronçon grec de l'histoire en lui apportant davantage de substance. Le comble demeure sans doute l'affrontement contre les hockeyeurs, versant totalement dans la parodie. Le spectateur adepte du slasher movie éprouvera cependant la fugitive impression que 007 affronte Jason Voorhees, ce qui pourra divertir certains. Devant un manque total d'intérêt, il faut bien chercher celui-ci là où il n'est pas. À l'issue de ces deux préludes, on finit enfin par pénétrer dans le segment principal, ce dernier s'avérant fort heureusement une vraie réussite. Les scènes d'action se montrent bien plus riches et efficacement insérées dans le récit que précédemment, avec à la clé des passages réellement spectaculaires. On apprécie particulièrement la séquence sous-marine, plus variée et concise que les mêlées confuses et trop étirées d'Opération Tonnerre. John Glen (qui débuta comme monteur dans Destination Danger, série très souvent comparée à la saga 007), qui deviendra le réalisateur attitré de 007 durant l'ensemble des années 80, démontre un réel savoir-faire et un sens aigu du minutage lors de l'attaque impeccablement réalisée de l'entrepôt de Kristatos, mais aussi durant cet éprouvant moment de suspense que représente la périlleuse escalade du monastère par Bond. Sans atteindre des cimes (paradoxalement), le spectacle reste constamment de qualité, renouant avec une ambiance 007 de bon aloi, notamment durant la scène du casino. Dans l'impressionnant décor des météores ou l'azur de l'onde, les paysages grecs distillent un enchantement permanent, la Méditerranée s'imposant toujours comme un parfait écrin pour les exploits de Bond. Les amateurs des Avengers apprécieront le recours à un perroquet détenteur d'un renseignement crucial, comme pour ce cher Captain Crusoé ! Ils sont cependant bien davantage encore à la fête grâce à la présence de Julian Glover (L'Empire contre-attaque, Indiana Jones et la Dernière Croisade…), une figure régulière de la série avec à son actif pas moins de quatre participations particulièrement relevées. Il apporte une dimension supplémentaire à Aris Kristatos, sa retenue très britannique contrastant avec une cruauté parfois baroque. Il reste certes moins flamboyant et dans la démesure que nombre d'adversaires de 007, mais ceci correspond avec justesse au moderato cantabile retenu pour ce film. Sa trouble relation avec sa protégée et la cruauté manifestée lors de la tentative d'exécution nautique de Bond et de Melina font tout de même de lui un criminel hors normes. Malheureusement Kristatos se retrouve bien seul face à 007. Les autres opposants du jour se résument à une masse indifférenciée de tueurs maladroits comme aux plus beaux jours du SPECTRE, tandis que les quelques figures s'en extirpant manquent cruellement de substance. Locke ne dégage que bien peu d'aura ; joué par un Michael Gothard singulièrement inexpressif, ses apparitions silencieuses et trop répétitives en Italie affleurent au ridicule. En tueur blond, forcément blond, du KGB, Kriegler ne va guère au-delà du statut de l'armoire à glace bas du front. La volonté minimaliste de Rien que pour vos yeux devient ici quelque peu exagérée, un peu de panache seyant bien aux adversaires de Bond. Une bonne surprise demeure cependant : la trop brève participation de cet excellent acteur qu'est Charles Dance. Cette brillante personnalité du théâtre britannique nous a régalé de méchants classieux et hautement jouissifs dans Golden Child (1986) et dans Last Action Hero (1993), mais aussi d'un superbe Ian Fleming pour la télévision britannique en 1989. Le casting de Rien que pour vos yeux aurait été bien inspiré de lui confier le rôle de Locke, tout en dynamisant celui-ci. Dommage ! Roger Moore continue à convaincre dans son incarnation de Bond. Il insuffle toujours la même classe et un humour aussi pétillant au personnage, tout en se montrant plus convaincant que de coutume dans les scènes d'action. Le duo antinomique formé avec le pittoresque Milos Columbo (et le cabotinage divertissant de Chaim Topol) fonctionne à merveille. L'élégance du comédien fait que le refus de 007 de passer à l'acte avec la très jeune Bibi demeure plausible. La différence d'âge entre Moore et ses partenaires féminines (trente ans ici !) commence cependant à poser problème. Certains remplaçants éventuels sont d'ailleurs envisagés, tel Ian Ogilvy (l'excentrique Baron Von Curt du They keep killing Steed des Avengers) qui lui avait succédé dans le rôle de Simon Templar, mais Moore demeure bien incontournable. Après les scènes équivalentes assez ternes de Moonraker, les dialogues avec Q et Moneypenny retrouvent leur pétillement et leur amicale aspérité. Mention spéciale à l'apparition de Q en prêtre orthodoxe, on apprécie vivement que le film lui réserve une vraie place, y compris en l'absence de gadgets. Hélas, M ne répond pas cette fois à l'appel, le formidable Bernard Lee, qui aura tant apporté à la série depuis ses débuts, nous ayant quittés au début de cette année 1981 des suites d'un cancer l'ayant déjà tenu éloigné du tournage. On approuve le tact de ne pas lui avoir désigné de successeur, mais les auteurs auraient tout de même pu trouver une explication plus plausible à son absence que des vacances… Comme si M n'était pas homme à interrompre un congé quand le péril menace l'Angleterre ! Inévitablement, le tandem formé par le ministre de la défense et Bill Tanner fonctionne avec moins de succès, leur relation avec Bond ne pouvant qu'être dépourvue de la sympathie bougonne et des duels verbaux si plaisants caractérisant la collaboration au long cours entre Bond et son supérieur si British. On retrouve ici une faiblesse des premières saisons des Avengers, où le savoureux One-Ten, ayant des rapports finalement très similaires avec Steed, se verra supplanté par une succession de dirigeants majoritairement bien moins intéressants. M nous manquera. Quels que soient sa beauté, son talent, et la grande carrière qui fut la sienne ultérieurement, il nous faut bien convenir que Carole Bouquet constitue l'autre vraie faiblesse de ce film émietté. Son jeu encore peu subtil, tout en poses affectées, se voit de plus crucifié par un phrasé français vraiment emprunté et sonnant faux : cette manière de débiter « Rien que pour vos yeux »... L'ensemble de la VF du film paraît d'ailleurs d'une mauvaise qualité étonnante. Carole Bouquet fait ses classes, mais alors que la dimension tragique et guerrière de Melina constituait un pari intéressant, elle dépouille son personnage de l'essentiel de sa force. Une certaine froideur mystérieuse propre à l'actrice convenait beaucoup mieux à son rôle de l'alors récent Buffet froid (1979) qu'à Melina Mavelock. Demeurent néanmoins une élégance finalement très française et des yeux magnifiques justifiant à eux seuls le titre du film ! Entre la jeunesse de Bibi et le deuil de Melina, Rien que pour vos yeux demeure sans doute le 007 le plus austère qui soit. Malgré un physique avenant, la protégée de Kristatos se montre d'ailleurs particulièrement crispante à force de vulgarité crasse et d'idiotie rayonnante. Son interprète, Lynn-Stolly Johnson, était alors une authentique patineuse professionnelle se reconvertissant avec un succès mitigé au cinéma. On pardonnera beaucoup à Kristatos pour l'avoir supportée aussi longtemps. Malgré la piscine espagnole aux nombreuses naïades (dont un transsexuel), la seule figure féminine d'importance demeure la Comtesse Lisl. Le personnage reste assez limité, même si interprété avec brio par Cassandra Harris, épouse de Pierce Brosnan avec qui elle tourna à plusieurs reprises dans Remington Steele. Elle devait disparaître des suites d'un cancer en 1991, à 39 ans, peu de temps avant que son mari ne prenne la relève de Dalton. Malgré sa construction fragmentée et une Carole Bouquet passant à côté de son sujet, Rien que pour vos yeux présente le grand mérite de nous offrir un spectacle solide et de qualité, au grand soleil de Grèce. Son classicisme prononcé véhicule un réalisme bienvenu après les frasques spatiales de l'opus précédent. Avec le recul, il apparaît comme un salutaire intermède alors que s'annonce cet autre monument du kitsch le plus extrême que constituera Octopussy. D'un budget plus modeste que Moonraker (28 millions de dollars contre 34), Rien que pour vos yeux marque également un relatif affaissement de recettes demeurant absolument considérables (194,9 millions contre 202,7). En France, sorti le 10 octobre 1981, il connaît également une baisse des entrées, passant de 3 971 274 à 3 181 840. Grands moments de la Saga James Bond : Poursuite à skis
Les plus belles courses poursuites : Citroén 2CV
– Oh, James. James ! Le 6 juin 1983, le Prince Charles et Lady Diana présidaient la première londonienne des nouvelles aventures de James Bond, mystérieusement intitulées Octopussy. Espérons que le couple princier ait ressenti quelque amusement face à l'humour ridicule ou involontaire déversé à grands seaux par le film tant ce dernier se montre unanimement désolant par ailleurs. En plombant définitivement la production, le tout premier élément à doucher l'enthousiasme du spectateur demeure l'argument général du récit, d'une rare ineptie. Cette histoire d'un officier soviétique planifiant un attentat atomique en le dissimulant à sa hiérarchie, mais en se servant pour le financer des objets d'art précisément les plus surveillés du pays, tout en mêlant à la conspiration des éléments étrangers interlopes et une structure aussi folklorique que celle d'Octopussy, tient de la bouffonnerie la plus extravagante. La crédibilité résiduelle que ce fatras pouvait encore éventuellement préserver se voit balayée par des ficelles scénaristiques de la taille d'un baobab (le père d'Octopussy) ou quelques failles abyssales. Pourquoi est-il si crucial pour Kamal Khan et Orlov de récupérer l'Œuf de Fabergé alors qu'une multitude d'autres joyaux du Kremlin sont également des faux ? Le contrôle prévu va donc fatalement révéler la supercherie, que l'œuf soit récupéré ou non. Le tout à l'avenant. L'histoire aurait pu simplement stagner dans une stupidité béate, mais elle parvient à verser dans le ridicule le plus absolu grâce au tsunami de kitsch praliné déferlant lors de la romance entre 007 et Octopussy, baignée dans une esthétique de roman-photo de gare. Le rire perce rapidement sous la consternation tant tout ceci paraît outré. Si les éditions Arlequin (ou Casanova pour les amateurs des Avengers…) lançaient une série 007, on sait désormais à quoi elle ressemblerait. Les auteurs achèvent de clouer le cercueil d'Octopussy par l'humour pesant, et d'un goût franchement douteux, dont ils saturent le film : dialogues navrants des différents protagonistes, thème de 007 entonné pour charmer un cobra, Bond se lançant dans une imitation de Tarzan ou se déguisant en singe (007 est peut-être le King, mais ici il a l'air Kong), pitrerie clownesque, surabondance de gags sapant la poursuite dans la foule hindoue, etc. Entre les plaisanteries énormes, les travestissements divers, et les filles court vêtues d'Octopussy, on se croirait franchement à plusieurs reprises devant un pastiche écrit par Benny Hill. Glen conserve son métier et son sens aigu du minutage lors de quelques scènes d'action réussies, comme cette ouverture performante à défaut d'être exceptionnelle, l'affrontement sur l'avion, ou le suspense lié à la bombe (on oubliera miséricordieusement l'assaut carnavalesque sur le Palais de la Mousson). Néanmoins, son film marque un contresens absolu. On peut adhérer à son idée d'un Bond plus réaliste (espionnite de la Guerre Froide mâtinée de Détente, moindre présence des gadgets...) mais à condition que cela donne lieu à des films d'espionnage ad hoc, relativement sérieux même si non austères (Bond restant Bond). Sans remonter jusqu'au chef-d'œuvre absolu de Bons Baisers de Russie, Glen lui-même a réussi cet exercice de style de manière cohérente dans Rien que pour vos yeux. Mais ici le choc entre cette vision et sa concrétisation par un scénario imbécile, un ton sirupeux, et des gags plombés ne pouvait que résulter désastreux. De plus, Roger Moore, qui a su jusqu'ici parfaitement soutenir son personnage, se voit désormais atteint par la limite d'âge (56 ans en 1983). Même si le talent, le panache, et la personnalité répondent toujours à l'appel, la nécessaire présence physique ne suit plus vraiment. Ceci pénalise les moments de séduction, mais bien davantage encore ceux d'action. Les spectaculaires cascades du film doivent immensément à une équipe de cascadeurs hors du commun, à l'étonnant courage physique. Malheureusement, malgré les héroïques efforts des coiffeurs, les raccords avec Roger Moore deviennent beaucoup trop voyants de par la différence de gabarit et de masse musculaire désormais patente entre l'acteur et ses doublures. Ce fait ne peut que restreindre l'efficacité de ces passages (un phénomène bien connu des amateurs des Avengers), d'autant que les tournages en décors demeurent particulièrement évidents. Roger Moore lui-même se montrait réaliste sur cette question comme il le relate dans ses mémoires, et d'autres options furent effectivement envisagées, dont déjà Timothy Dalton. Mais la concurrence directe de Jamais plus jamais, le 007 "hérétique" de Kevin McClory, porté par Sean Connery en personne, poussèrent les producteurs à ne pas risquer l'aventure d'un nouvel interprète, moins populaire que Moore. Le salut d'Octopussy ne viendra pas non plus des adversaires du jour, parce que là aussi le film tient du prodige. Caricature totale du militaire mégalomane et enivré par le fumet des batailles, le général Orlov manifeste un premier degré digne d'une propagande du Komintern, d'autant que le cabotinage extrême de Steven Berkoff (Les Fossoyeurs, saison 4 des Avengers) souligne l'aspect schématique du personnage. Concernant la VF, on se prend à rêver à un film où les Russes s'exprimeraient sans intonation particulière, et les Anglais avec un accent prononcé jusqu'à la farce. Le général Gogol reste lui toujours aussi malicieux et matois, fort heureusement. Cependant, Orlov se définit comme un modèle de justesse et de subtilité d'écriture comparé au nullissime Kamal Khan de l'ineffable Louis Jourdan. Ce comédien français cantonné aux rôles de bellâtres gominés donne ici un adversaire idiot, accumulant les phrases creuses d'un ton gourmé, se montrant régulièrement peu inspiré dans ses choix, et d'un manque de charisme assourdissant resté rigoureusement sans équivalent jusqu'au Dominic Greene de Mathieu Amalric (l'homme à la hache, Quantum of Solace). Ce pauvre Jourdan et son improbable personnage passent totalement au travers du film alors que ce dernier multiplie de manière trop conséquente les ennemis de Bond, ne conférant à chacun qu'un espace limité. C'était précisément le moment où un acteur incisif aurait été absolument nécessaire. Mais la crème de la crème reste tout de même le flamboyant Gobinda occupant l'essentiel de son temps à prendre la pose et à écarquiller de grands yeux méchants, tout cela pour aboutir à quelques coups d'épée (dans l'eau) aussi véhéments qu'inefficaces. Le talent de Kabir Bedi (Sandokan) ne trouve guère à s'exprimer, tandis que le couple mythique esprit diabolique/tueur de grande classe atteint ici son nadir. On ne reconnaît tout simplement pas Maud Adams. La comédienne qui nous avait offert une composition dense et sensible dans L'Homme au pistolet d'or se montre ici totalement effacée. Il faut dire qu'elle a troqué un personnage à la douloureuse humanité pour une simple silhouette totalement irréelle. On ne croit pas un instant à cette absurde Octopussy digne de la plus mauvaise littérature à l'eau de rose, tandis qu'Andréa Anders demeurait d'un tragique fascinant y compris dans la mort. Faye Dunaway aurait été un temps considérée pour le rôle, on ne perçoit honnêtement pas ce que même cette grande star aurait pu en tirer. Aussi est-ce sans difficulté aucune qu'Octopussy se fait voler la vedette durant tout le film par son bras droit, la féline Magda, à l'opulente crinière dorée et aux multiples dons, incarnée par l'incandescente Kristina Wayborn. On touche ici un autre défaut d'un film comptant beaucoup trop de personnages. Magda et Octopussy font à l'évidence doublon, une fusion (ainsi qu'un solide sevrage de kitsch) aurait constitué une grande amélioration. Notons que l'on ne saurait dénier à Octopussy le mérite de la générosité en superbes déesses chaloupées, de la spectaculaire Bianca, si latina, à la soviétique Rublevitch que nous ne reverrons plus par la suite, en passant bien entendu par le bataillon de charme d'Octopussy et de nombreuses autres fugaces apparitions… Notons qu'il s'agit d'un des rares films où aucune des femmes liées à la mission de 007 ne se fait tuer (Permis de tuer est la seule autre exception à ce jour). Et certes tout ne transparaît pas négatif dans Octopussy. Les cascadeurs accomplissent des prouesses, tandis que l'on découvre les splendeurs de l'architecture des grands Moghols, dont bien entendu le Taj Mahal. L'on n'omettra pas non plus le petit monde de 007, qui s'active ici plus que jamais comme s'il sentait que le grand homme nécessitait singulièrement du renfort. Robert Brown se glisse avec naturel dans le personnage de M (qu'il occupera quatre fois jusqu'à Permis de tuer), même si l'on ne retrouve pas les duels amicaux qui faisaient le sel de la relation entre Bond et son supérieur ; les amateurs des Avengers éprouveront le vif plaisir de reconnaître en lui le diabolique Saul de Voyage sans retour ! Nous avons également la surprise de découvrir une assistante à Moneypenny ! Le personnage demeure parfaitement anodin mais provoque un dialogue particulièrement crépitant entre les deux vieux complices. La sympathie évidente entre Roger Moore et sa camarade Lois Maxwell fait réellement plaisir à voir. Q se montre en pleine forme et n'hésite pas à se frotter aux dures réalités du terrain, notamment lors d'un épique atterrissage au beau milieu des furies déchaînées d'Octopussy soudain particulièrement câlines ! Le passage ne résulte pas des plus légers, mais la sympathie ressentie pour Desmond Llewelyn emporte la décision. Avalanche de kitsch, personnages totalement improbables (même à l'échelle d'un Bond), dialogues et situations ineptes, acteur vieillissant… Octopussy, désigné de manière purement incroyable dans sa promotion comme Le meilleur des Bond ! histoire de cibler le concurrent, constitue bien l'opus le plus faible de la saga (hormis Quantum of Solace, définitivement hors catégorie), et certainement le nanar le plus onéreux de l'histoire du cinéma dans la catégorie "plus c'est kitsch, plus c'est bon". Le film enregistra la considérable recette de 187,5 millions de dollars (pour une mise de 27,5), ce qui le place certes derrière Rien que pour vos yeux qui en rapporta 194,9 pour un investissement équivalent de 28 millions. Mais qu'importe, le principal objectif des producteurs se voyait, lui, bel et bien atteint, avec un clair avantage obtenu sur Jamais, plus jamais (remake d'Opération Tonnerre) avec seulement 160 millions de dollars au box office pour un colossal budget de 36 millions. Sorry, Sean… En France, Octopussy attira 2 944 481 spectateurs contre 3 181 840 pour Rien que pour vos yeux et 2 582 054 pour Jamais, plus jamais. Grands moments de la Saga James Bond : Dans les airs
7. DANGEREUSEMENT VÔTRE Scénario : Michael G. Wilson & Richard Maibaum – Well my dear, I take it you spend quite a lot of time in the saddle. Le 13 juin 1985, le public londonien découvrait les ultimes aventures de James Bond sous les traits de Roger Moore avec A view to a kill. Le titre français, Dangereusement vôtre, apparaît astucieusement choisi avec un clin d'œil à Amicalement vôtre, mais évoquant également l'épisode de Chapeau melon et bottes de cuir intitulé Affectueusement vôtre ! Et en effet les amateurs des Avengers vont se trouver ici particulièrement à la fête car Dangereusement vôtre apparaît bien avant tout comme le 007 de Patrick Macnee. Après une apparition idéalement sise dans la quintessence du style anglais qu'est le Derby d'Ascot (situé à deux pas de Windsor et associé à la famille royale), nous découvrons l'acteur en pleine forme, même s'il a inévitablement pris de l'âge depuis la fin des New Avengers, survenue huit années plus tôt. Fort heureusement toujours doublé par l'excellent Jean Berger, Macnee défend avec conviction ce personnage original dans la saga qu'est Sir Tibett, Bond trouvant finalement beaucoup plus souvent des alliés étrangers (même si correspondants locaux de Universal Exports) qu'anglais. Cette touche britannique convenant idéalement à l'acteur et à son parcours se voit relayée par quelques autres excellentes idées comme la conduite d'une sublime Rolls-Royce ou le fameux passage du parapluie tendu par Roger Moore. On voit également Macnee manifester une véritable connivence avec les chevaux, le rôle demeurant parfaitement ciselé sur ce point tant l'équitation occupait une part importante dans sa vie ! On pourrait certes s'offusquer de voir le gaffeur Tibett en domestique faire-valoir de Bond, mais le personnage montre tout de même de l'initiative et il demeure surtout plaisant de voir le comédien incarner « un partenaire de » après avoir si longtemps occupé la place centrale ! Dangereusement vôtre porte ainsi à son zénith l'aspect toujours irrésistible des 007 de Roger Moore de poursuite du miracle des séries anglaises des années 60, une fastueuse période dominée par les figures de Patrick Macnee et Roger Moore (et du regretté Patrick McGoohan). Macnee signalera d'ailleurs dans ses passionnantes mémoires, écrites très peu de temps après le film (Chapeau Melon), que c'est bien à l'initiative de Roger Moore qu'il fut engagé. Une belle idée à mettre à l'actif de ce grand comédien ! Pour l'anecdote, on précisera que Macnee craignit longtemps un refus de la part d'Albert Broccoli, du fait de sa mauvaise humeur manifestée lors du départ d'Honor Blackman pour Goldfinger ; fort heureusement, il n'en fut rien ! Divertissant et si british, Tibett apporte une authentique valeur ajoutée à toute la première partie du film, au-delà même de l'affection que l'on peut porter à Patrick Macnee. Tout juste pourra-t-on regretter le peu de panache de sa sortie... Un autre élément particulièrement appréciable du film (évoquant lui aussi les New Avengers !) consiste en la trépidante visite de Paris qu'il nous propose. Cet élément toujours apprécié (le chauvinisme gaulois…) ressort ici bien plus développé que lors d'Opération Tonnerre. Il nous vaut un panorama très complet et ô combien tonique de plusieurs hauts lieux parisiens, à commencer par le fameux et hors de prix restaurant Jules Verne ! Cette poursuite frénétique n'est pas sans rappeler celle menée par Gambit dans Le Lion et la Licorne… Avec l'archétypal Aubergine, hédoniste et fort content de lui-même, le savoureux Jean Rougerie nous offre un portrait de Français dopé aux clichés amusants comme seuls les Anglo-Saxons savent nous en offrir, et digne du René Mathis des romans. Les châteaux français réussissent décidément à James Bond, la splendeur de Chantilly faisant éloquemment écho à celle de Vaux-le-Vicomte (Moonraker). Des bateaux mouches parisiens aux écuries du Prince de Condé, Dangereusement vôtre apporte la touche finale à une certaine inclination française des années Roger Moore (lieux de tournages, acteurs, vrombissante 2CV…). L'intrigue évite un découpage excessif en se limitant à deux segments, les États-Unis succédant à la douce France. Cette nouvelle virée dans ce pays d'élection (et principal réservoir de spectateurs) de 007 boucle joliment la boucle de l'épopée de Roger Moore, les bayous de Louisiane laissant la place à San Francisco et à la Californie. San Francisco, ses dénivelés, ses édifices prestigieux, ses tramways, son Golden Gate, son port, ses secousses sismiques, ses rues… L'on se situe d'entrée en terrain connu, immortalisé par d'innombrables films et de célèbres séries télé, Dangereusement vôtre prenant agréablement le temps de nous faire visiter les lieux. Le spectacle prend une tournure encore plus franchement américaine par la proverbiale poursuite automobile (le pesant shérif Pepper se voyant remplacé par un homologue nettement plus sympathique) et par l'amusant pastiche de Western que constitue l'attaque de la maison très connotée de Stacey Sutton. Aucun cliché ne manque à l'appel : puissant propriétaire cherchant à dépouiller une héritière esseulée, hommes de main, héros solitaire tombant à pic, coups de carabine, bagarre spectaculaire, chute fracassant une balustrade, etc. Moore retrouve les lointaines sensations de Maverick et de The Alaskans, le public américain est flatté dans le sens du poil et les Européens se divertissent avec des moments d'action fort bien troussés, pimentés d'humour malicieux. La référence à la faille de San Andreas et à l'épée de Damoclès qu'elle représente frappera de même efficacement l'imagination locale, le plan de Zorin évoquant d'ailleurs celui de Lex Luthor dans le Superman de 1978. À peine quatre ans après le film, la faille devait d'ailleurs occasionner un séisme dévastateur près de San Francisco, causant 63 morts. Au total, le versant américain du film, aussi opportuniste soit-il, se montre efficace et tout à fait percutant, couronné par le spectaculaire affrontement du Golden Gate. Le scénario, art du dévoilement, se montre pertinent car ne révélant que progressivement le complot de Zorin, jusqu'à la surprise finale du zeppelin de poche. On apprécie également la profusion de dialogues et de situations humoristiques (avec un faible pour le passage de l'omelette...), un ensemble nettement plus relevé que lors d'Octopussy. Si l'histoire, très proche de celle de Goldfinger, ne se départit pas d'un certain classicisme, la mise en scène de Glen se montre alerte, le réalisateur veillant toujours à maintenir un rythme élevé de péripéties. Les scènes épiques, toutes parfaitement mises en valeur et au montage efficient, se succèdent durant tout le récit : poursuite de la tour Eiffel, course hippique mouvementée, camion de pompiers en folie, inondation de la mine, duel final vertigineux, etc. On regrettera cependant une scène d'introduction passablement médiocre, avec une énième scène de ski évoquant par trop L'Espion qui m'aimait (jusqu'à inclure l'Union Jack) et forçant à comparer avec un Roger Moore alors bien plus jeune et athlétique. Un autre sujet d'agacement, mais qui va devenir propre à l'ensemble de la saga, s'avère une nouvelle fois la surabondance d'insertions de marques. Si l'on retrouve BP, un vieux compagnon de route déjà présent durant l'ère Sean Connery, c'est notre Michelin national qui tient ici le haut du pavé avec pas moins de trois apparitions. On avoisine l'overdose. Cette conformité aux canons de la série développée par l'intrigue se voit partiellement battue en brèche par le personnage de Zorin. Sa nature de sociopathe issu d'une expérimentation nazie lui confère une dimension authentiquement monstrueuse, assez inédite dans le défilé de cas psychiatriques déjà rencontrés par 007. Cet aspect déséquilibré et de totale indifférence aux émotions se voit éloquemment interprété par le grand Christopher Walken, une autre excellente idée du casting particulièrement haut en couleurs de Dangereusement vôtre. Spécialisé dans les rôles hors normes qu'il interprète toujours avec un brio particulier (Annie Hall, Dead Zone, The King of New-York...), Walken apporte un véritable éclat à son personnage hautement improbable tandis que les confrontations avec Roger Moore crépitent réellement. Patrick Bauchau campe joliment le visqueux Scarpine, lui apportant la même élégance mâtinée d'apparente nonchalance qu'il manifestera plus tard dans Le Caméléon et plusieurs autres grandes séries. Par contre le Dr Mortner, avec son accent caricatural et son monocle, semble singulièrement lesté en clichés, jusqu'à parfois laisser entrevoir le fameux Colonel Klink. Pour son ultime apparition, le Général Gogol nous offre un nouveau récital divertissant, tandis que l'on reconnaît parmi ses gardes du corps l'ineffable Dolph Lundgren. Celui-ci doit cette première et fugitive apparition à l'écran à sa relation avec Grace Jones, quelques mois avant d'exploser dans Rocky IV en novembre de la même année. Il faut bien avouer que Grace Jones représente un vrai talon d'Achille pour le film tant son personnage, déjà caricatural et sans humour, se voit de plus desservi par sa piètre prestation d'actrice. Son jeu se limite en effet à son impressionnante présence physique et à quelques expressions faciales particulièrement outrées. On finit par se demander si le caractère taciturne de May Day ne représente pas en fait un principe élémentaire de précaution... May Day véhicule également un contresens absolu extrêmement dommageable pour le film : alors que, s'inscrivant dans la tradition bondienne la plus éprouvée, le récit converge vers un affrontement spectaculaire entre 007 et May Day, la tueuse hors normes du jour, les deux larrons finissent par fraterniser sous nos yeux ébahis ! On comprend que les auteurs aient voulu risquer une transgression permettant de différencier le film de ses prédécesseurs, en opposant Bond à une femme, mais rester ainsi au milieu du gué du fait de conventions encore prégnantes en 1985 constituait la pire des solutions. Au moins Requin avait-il eu l'occasion de croiser quelque peu le fer avec Bond dans Moonraker avant de passer de l'autre côté de la barrière. L'heure d'une Xenia Onatopp n'était pas encore survenue et l'un des pans essentiels de l'intrigue perd toute sa substance, causant une vraie frustration chez le spectateur. Toutefois le personnage comporte un aspect réellement positif car il couronne la très jouissive touche 80's du film. La jamaïcaine Grace Jones reste effectivement l'une des icônes de cette décennie passionnante et si sujette aux excès croquignolets. Chanteuse, mannequin, et actrice, elle marqua réellement l'esthétisme de l'époque, y compris par des publicités hallucinées au style cher à son compagnon, le créatif Jean-Paul Goude. Bien d'autres éléments viennent agréablement dater Dangereusement vôtre comme les vêtements et maquillages ou les débuts de la micro informatique de masse, symbolisés justement par la prédominance d'une Silicon Valley lancée durant la décennie précédente. On s'amuse ainsi beaucoup en découvrant l'allure des logiciels high tech de Zorin, évoquant la joyeuse aventure des ZX Spectrum et autres Amiga, Commodore, Amstrad, Goupil, etc. Toute une époque ! Le film fut d'ailleurs l'un des premiers à se voir converti en jeu vidéo, l'année même de sa sortie. La chanson co-composée par Barry et interprétée par les Duran Duran, à ce jour le titre issu de la saga ayant connu le plus grand succès commercial, demeure l'un des airs les plus identifiants et entraînants des années 80. Cette tonalité Eighties reste l'une des agréables spécificités du film ! En opposition à la sombre May Day, le décidément étonnant casting de Dangereusement vôtre a recours, après Caroline Munro, à une autre reine du Nanar en la personne de la charmante Tanya Roberts. Cette authentique américaine, aperçue dans plusieurs séries télé (dont Drôles de Dames) et dans des films du calibre de Dar l'Invincible ou Sheena, Reine de la jungle se révèle un excellent choix. Outre un charme ravageur, elle montre un entrain juvénile très communicatif et un courage physique certain durant les cascades (comme lors de son travail à l'agence Charlie Townsend). Le duo avec Roger Moore fonctionne efficacement compte tenu de la différence d'âge, les auteurs ayant l'intelligence et le tact de nous éviter des trémolos à la Octopussy. Par ailleurs, Dangereusement vôtre recèle de nombreuses beautés féminines, dont Mary Slavin, Miss Monde 1977 aux commandes d'un sous-marin très boudoir, Fiona Fulerton incarnant une nouvelle Russe incandescente succédant à l'Agent Triple X, et les deux acolytes de May Day, les périlleuses Pan Ho et Jenny Flex, cette dernière gagnant haut-la-main la palme du nom le plus amusant de la période ; la piquante mannequin Alison Doody interprétera d'ailleurs quatre ans plus tard la Elsa Schneider d'Indiana Jones et la dernière croisade, ce qui lui permettra de croiser cette fois le fer avec Sean Connery ! On n'oubliera pas les nombreuses beautés de la réception donnée à Chantilly ni la charmeuse parisienne de papillons ! On oppose souvent au film l'âge de Roger Moore qui, à l'approche de la soixantaine, excède effectivement à l'évidence celui imparti pour le rôle. Admettons-le, ce grand acteur et cet homme excellent n'était plus vraiment crédible pour un personnage multipliant faits d'armes et conquêtes sentimentales aux quatre coins de la planète. Les doublures apparaissent toujours aussi évidentes que dans Octopussy, mais tout de même porté par une histoire autrement solide, qui a de plus l'habileté d'éviter jusqu'à la conclusion les scènes de romance où la différence d'âge résulterait par trop criante, Roger Moore défend avec une belle énergie son personnage, jusqu'à lui conserver une relative crédibilité dans les scènes d'action. Le film paraît certes pâtir de cette situation, mais pas jusqu'à en être aussi déséquilibré qu'on a pu l'avancer (y compris par Roger Moore lui-même). C'est d'autant plus vrai que, si les complices de 007 gagnent eux aussi en âge, ils conservent également leur allant et leur humour. Q se montre très divertissant, notamment avec un proto K-9 qui devrait réjouir les fans de Doctor Who, tandis que Robert Brown continue à défendre avec conviction sa version de M. Mais Dangereusement vôtre demeure bien entendu le film où Lois Maxwell (et non Moneypenny) prend congé de son public en même temps que son camarade Roger Moore. Elle se montre particulièrement tonique lors de sa rituelle confrontation amicale avec 007, tout en bénéficiant d'une jolie sortie dans le grand monde d'Ascot, en grande tenue s'il vous plaît. Ce film restera bien comme une inflexion majeure par le départ de l'interprète principal, mais aussi par celui de ce pilier historique qui aura tant contribué à l'identité de la saga. Le personnage survit, mais il n'y aura jamais qu'une seule Moneypenny ! En dépit d'un classicisme achevé, au-delà de la tentative inaboutie d'innovation représentée par May Day, et de l'âge de son interprète, Dangereusement vôtre reste un Bond de fort bonne tenue à défaut de paraître exceptionnel. Ses nombreuses connotations culturelles souvent divertissantes, ses dialogues percutants, son sens de l'action, et d'excellents comédiens concourent efficacement à son succès. Ainsi nous quitte Roger Moore, après avoir si longtemps incarné le personnage avec le style et le panache qui lui sont propres. Ses aventures furent certes d'un intérêt variable, mais il sut jusqu'au bout défendre une certaine idée de James Bond composée d'élégance et d'humour très britanniques. L'heure de Timothy Dalton était venue. Avec des recettes mondiales s'élevant à 152,4 millions de dollars pour un budget de 30 millions, l'ultime opus de Roger Moore demeure un grand succès commercial même si moindre que lors d'Octopussy. Il perd également à peu près 500 000 entrées en France, tout en conservant le fort honorable total de 2 423 306. Grands moments de la Saga James Bond : Escapade parisienne
Crédits photo : Sony Pictures. Captures réalisées par Estuaire44
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Ère George Lazenby 1. Au service secret de Sa Majesté (On Her Majesty's Secret Service) – 1969 1. AU SERVICE SECRET DE SA MAJESTÉ Scénario : Richard Maibaum et Simon Raven – I've taught you to love chickens, to love their flesh, their voice. Le 18 décembre 1969, alors que les Avengers entrent dans un long sommeil de sept années et que les mythiques années 60 en arrivent à leur terme, les Britanniques découvrent un nouveau James Bond après le départ de Sean Connery le fondateur. Dans ce contexte de fin d'époque, le film marquerait-il un crépuscule, ou au contraire parviendrait-il à rebondir vers des lendemains qui chantent ? Le film débute correctement, avec la traditionnelle scène d'action se révélant agréable à suivre, mais néanmoins principalement pour les superbes vues de la Méditerranée et la mystérieuse apparition de Diana Rigg, plus que pour un combat certes animé mais sans rien d'exceptionnel. Cette première impression, plutôt positive, se voit déjà contrebalancée par la plaisanterie ratée de 007 s'adressant directement au public. Ce genre de pratique amuse chez les Monty Python, mais semble bien hors sujet ici (007 n'a plus jamais cassé le 4e mur depuis). Le générique, porté par la vibrante musique de John Barry, convainc lui sans réserve ; les producteurs, tenant à rassurer le public quant à la continuité de la série, ayant eu la bonne idée d'insérer des images des précédents films. Ce voyage dans le temps s'avère plaisant (même si trompeur…) et l'on remarque d'autres éléments ludiques comme l'apparition d'Albion, ou les jeunes femmes formant un blason introduisant la notion d'héraldique. On n'oubliera pas également la sublime chanson de John Barry, interprétée par Louis Amstrong, We have all the time in the world. Avec celle de Bons baisers de Russie, elle fut la seule à connaître une version française, interprétée par Isabelle Aubret. Cette volonté d'inscrire le film dans la continuité de la saga, malgré le changement d'interprète principal, se dénote dès les première images du film tant 007 est vivement précipité dans ses décors ultra familiers de palace et de casino… Malheureusement, la suite du film va se révéler un constant désenchantement, tant ces différents éléments (à une notable exception près) se caractérisent par un décrochage brutal de la fabuleuse qualité à laquelle nous nous étions habitués. OHMSS, comme on le désigne coutumièrement, dure fort longtemps, 2h20, rare domaine où il représente un des sommets de la série (il est seulement battu par les films de l'ère Craig, Quantum of Solace excepté). Et tout concourt à nous faire ressentir cette interminable traversée, à commencer par la très plate réalisation de Peter Hunt. Celui-ci, monteur compétent pour Bons baisers de Russie (il réalise le montage du duel Grant/007) et On ne vit que deux fois, n'a clairement pas les épaules pour donner vie et énergie à la grande machine "James Bond". Comme écrasé par son sujet, il se contente de passer les plats et de filmer platement les multiples passages, déjà sans relief, d'une intrigue accumulant les scènes verbeuses et sans piquant, même si très proche de l'œuvre de Fleming. Les dialogues et réparties se montrent souvent des plus consternants. De plus, on ne retrouve pas le souffle du voyage de On ne vit que deux fois car, hormis un rapide passage par un Portugal de pacotille, le récit vient s'enkyster dans les superbes mais monotones montagnes du Piz Gloria (le premier restaurant tournant au monde, inauguré cette année-là), dont l'encaissement vient encore se rajouter à l'enfermement du long huis clos du QG de Blofeld. On s'ennuie très rapidement d'autant que les quelques bagarres, quasi toujours à coups de poing, se ressemblent toutes, de façon presque similaire à celles de Terence Hill et Bud Spencer (accélérations, gros plans, effets sonores...). Il faut patienter l'incroyable délai d'une heure et demie pour découvrir une scène d'action digne d'un James Bond, avec la longue course-poursuite du Héros par Blofeld et ses tueurs. Hunt se retrouve ici à son affaire et son montage permet de parfaitement suivre les diverses péripéties, même au prix de quelques trucages évidents. Ces longues scènes de ski deviennent cependant répétitives, mais l'entrée en scène de Tracy apporte un second souffle bienvenu, jusqu'à cette scène d'avalanche qui demeure la plus aboutie de OHMSS et l'unique vraiment saisissante (en plus de former une jolie parabole sur la direction prise par la saga). L'attaque de la forteresse de Blofeld se verra terriblement expédiée, avec des scènes parfaitement convenues et désarmantes de facilité pour les assaillants. On se situe plus près de Wounded Knee que de Fort Alamo, même si la poursuite en bobsleigh vaut le coup d'œil. À la décharge de Hunt, la mise en scène doit se passer des sublimes décors de Ken Adam, remplacé par un Syd Cain (très actif sur les New Avengers) habile mais dépourvu de son génie élégant et racé. Un handicap particulièrement difficile à combler ! Alors que les opus précédents bénéficiaient d'une formidable opposition à Bond, celle-ci se voit réduite au seul Blofeld, hormis les tueurs inefficaces et interchangeables habituels et une Irma Blunt qui, contrairement aux apparences, ne pèse pas bien lourd. C'est tout de même un comble que, dans un film aussi long et encombré de scènes à la triste vacuité, le scénariste vétéran Richard Maibaum n'ait su dégager l'espace nécessaire à l'installation du personnage, toujours si croustillant, de l'"épée", dans la main du Grand Adversaire (à l'image d'un Red Grant ou d'un Oddjob). Ici Blofeld doit se charger lui-même de la basse besogne, alors que l'on ne peut que ressentir une certaine déchéance. Le Numéro 1 du SPECTRE, même éprouvé par l'opération Bedlam, est un cerveau, pas un porte flingues (la fusion en un seul personnage de l'épée et du cerveau fonctionnera chez d'autres adversaires, mais nous ne serons pas dans la même cour mégalomane de Blofeld). Telly Savalas, un des rares éléments positifs du film – alors même qu'il doit, bien entendu, lutter contre l'identification à Kojak chez les spectateurs contemporains (Ernst Stavros Blofeld ?) – se montre un interprète savoureux de la Némésis de Bond, débordant de vitalité, de malice et de confiance en soi. S'il efface sans aucune difficulté ce pauvre Lazenby, il ne peut toutefois rien contre l'évolution négative subie par son personnage. Alors qu'avec Donald Pleasence nous avions un effroyable esprit diabolique, oscillant entre génie et folie, menant le monde au bord du gouffre nucléaire, nous nous trouvons ici simplement face à un gangster, certes de haute volée, mais dont les machinations ne visent qu'à obtenir une bien banale amnistie, avec de plus cette histoire nobiliaire ridicule achevant de déparer le personnage. On reste confondu de le voir, lui qui fut si observateur et intuitif par le passé, tomber dans le piège grossier des hélicoptères sanitaires ou enfermer Bond là d'où il pourra précisément s'échapper. Déclin de l'ambition comme des facultés du méchant rencontrant celui du héros, c'est bien à un glissement global que nous assistons ici. De plus, si son complot amusera l'amateur des Avengers comme un panachage des Masterminds (pour le centre hypnotisant de nuit ses membres – on n'osera pas parler de cerveaux ici) et de Silent Dust (pour le virus stérilisant), le spectateur demeurera perplexe devant son inutile sophistication. Il existe des moyens conventionnels de propagation de virus bien plus convaincants et sûrs que cette improbable histoire de jeunes femmes hypnotisées. De fait, celle-ci apparaît essentiellement comme un prétexte à l'introduction d'un érotisme facile, de plus emprunt d'une certaine vulgarité et d'un kitsch folklorique idiot, sans même parler du machisme ambiant. Et, bien entendu, on ne comprend pas comment Blofeld ne reconnaît pas 007… Mauvais temps pour le SPECTRE ! Les seconds rôles ne viendront pas davantage à la rescousse d'un film en perdition, car si l'idée de donner plus d'espace au petit monde de « Universal Exports » reste en soi excellente, le résultat ne convainc guère entre l'humour appuyé de M et Q au mariage et le sentimentalisme lacrymal de Miss Moneypenny. Était-il vraiment utile de découvrir M en lépidoptériste distingué ou de nous priver une nouvelle fois de la séance de Q délivrant ses gadgets ? On aurait préféré un approfondissement du fonctionnement du Service, tout comme dans Docteur No. Au moins y découvre-t-on deux bonnes idées : Bond démissionnaire manipulant les gadgets des films passés avec la musique correspondante (toujours cette volonté de convaincre que le film se situe dans la tradition) et 007 s'adressant au portrait de Sa gracieuse Majesté, un peu comme Don Camillo à Jésus. Rigolo, même si on ne sait pas vraiment à quel degré. Draco, joué avec classe par Gabriele Ferzetti, retrouve quelques traits de caractère de Kerim Bey, et sa relation avec Bond se montre plaisante. On a cependant du mal à imaginer un homme aussi onctueux et sympathique en chef d'un syndicat du crime : il lui manque un rien de férocité, y compris durant l'assaut final. Les fans des Avengers auront la joie de reconnaître Steve Plytas dans le voisin de 007 au casino (le dignitaire russe victime d'une mauvaise farce dans Le club de l'enfer) mais également James Bree dans le rôle de Grumbold, qui joue l'inventeur de REMAK dans Killer. À noter que les deux se font face dans L'argile immortelle, un épisode de la saison 2. Dans le fameux aréopage féminin de Blofeld, on retrouve également une toute jeune Joanna Lumley, mannequin à l'orée de sa carrière de comédienne. Même si elle est créditée au générique, elle reste malheureusement une des jeunes femmes que l'on voit le moins, et une des rares dont on ignore l'allergie ! Mais on découvre une autre actrice de la série en la personne d'Angela Scoular (l'également délurée Myra de l'épisode Le document disparu). Elle est sans conteste la plus exaspérante et vulgaire de l'équipe, donc c'est finalement assez logiquement que Lazenby se dirige vers elle. Mais le groupe, hormis la magnifique top modèle scandinave Julie Ege, prématurément disparue en 2008, se voit clairement dominé par Catherine Schell (Cosmos 1999, L'Aventurier, Amicalement vôtre, etc.), à qui il suffit de quelques phrases et de sa classe indéniable pour se distinguer d'une assemblée piaillante finalement plus irritante que glamour. Une grande actrice et une femme merveilleuse. Bond avachi et en chute vertigineuse de qualité, OHMSS trouve en ce sens son interprète idéal en la personne du lénifiant George Lazenby. Certes, cet ancien mannequin porte bien le smoking et n'est pas ridicule dans les scènes de bagarre, mais il apparaît bien vite qu'il a été choisi uniquement pour sa (vague) ressemblance avec Sean Connery. Quand on songe que Timothy Dalton ne fut écarté que pour sa jeunesse (24 ans)… Son manque total de flamme et de charisme, son opiniâtreté à ânonner des dialogues déjà peu relevés et sa manière de passer à travers le film sans vraiment paraître concerné par ce qui s'y passe (en même temps on le comprend) achèvent d'annihiler tout ce qui pourrait tenir lieu d'intérêt pour le spectateur. Son peu d'intérêt pour le rôle se confirmera d'ailleurs par son retrait volontaire, avant d'entamer une brillante carrière qui culminera avec de vagues apparitions dans les Emmanuelle, ainsi que, étonnamment, dans Le Caméléon où il sera le père de Jarod ! Sous la couverture d'héraldiste de 007, Lazenby se montre convaincant en cuistre satisfait de lui-même, sans que l'on aille revendiquer qu'il s'agisse d'un rôle de composition. Lazenby restera comme le cas d'école d'une ineptie : recourir à un clone pour remédier au départ d'un interprète marquant, alors qu'il demeure bien plus judicieux d'explorer une nouvelle direction pour éviter une écrasante comparaison, à laquelle les divers palliatifs utilisés n'apporteront aucun remède. Ces mêmes producteurs auront néanmoins une idée salvatrice : pallier au manque de célébrité de Lazenby par le recrutement d'une bien plus prestigieuse vedette féminine, en l'occurrence Diana Rigg, encore nimbée de la gloire d'Emma Peel (Brigitte Bardot puis Catherine Deneuve ont d'abord été approchées). Le choix est excellent car avec Tracy, une Bond Girl nettement plus complexe et tourmentée que de coutume, Diana Rigg va trouver à employer son immense talent. L'humanité mêlée de désarroi qu'elle confère à son personnage rehausse considérablement un film qui lui doit d'échapper à une catastrophe absolue. Malheureusement, ses brillants efforts se voient en partie sapés par la faiblesse insigne de son partenaire ainsi que par certaines scènes d'un sentimentalisme sucré (notamment au cours du désastreux passage portugais). Les scènes avec Telly Savalas, acteur autrement doué, se révèlent de fait bien plus pétillantes et on ne peut qu'en regretter la rareté ! Comme une trouée de lumière dans un ciel gris et lourd, entendre Diana Rigg déclamer un texte sublime (le grand hymne à Aton, entonné à l'aurore par les prêtres d'Héliopolis, dans l'Ancienne Égypte) constitue un pur émerveillement, à écouter absolument en VO. L'impact s'assimile à celui ressenti pas les spectateurs chanceux l'écoutant bien plus tard dans la tirade finale d'All about my mother, au West End. Un pur instant de grâce, aux frontières du surnaturel dans un film pareil. Hélas, Diana Rigg subit un destin similaire à celui d'Honor Blackman dans Goldfinger : après avoir brillé de tous ses feux et tranché sur le commun des Bond girls, elle se voit ramenée à cette condition avant le combat où il est inimaginable qu'elle puisse participer. Et de quelle manière, proprement assommée par son père ! Navrant. La tristesse de la voir manquer un formidable rendez-vous avec Connery est contrebalancée par la fierté ressentie devant son avènement comme unique épouse de Bond, avec de plus un émouvant final où le film palpite enfin. À toute Dame, tout honneur ! Film développant un ennui massif par son déroulement très lent, sa version décevante de Blofeld, et ses dialogues ineptes, OHMSS se voit achevé, malgré Diana Rigg, par la fadeur de son interprète principal. Après cet échec de la guerre du clone, le plus étonnant reste qu'il faudra aux – habituellement perspicaces – producteurs de la série emprunter une seconde voie sans issue pour se résoudre à enfin changer de cap, celle du champion remontant sur le ring comme malgré lui, pour le combat de trop. Le public va infliger une sanction sans appel à ce film marquant une rupture très nette dans la jusque-là éblouissante trajectoire de la saga : avec un budget certes réduit (6 millions de dollars contre 9,5), OHMSS ne rapportera que 64,6 millions de dollars contre 111,6 pour On ne vit que deux fois. Si le chiffre reste conséquent, on atteint tout de même une diminution particulièrement sensible ! Alors que le film y avait initialement connu un initial succès de curiosité (il détient toujours le nombre d'entrée record sur la première semaine, avec 55 242 personnes), la France suit finalement la même tendance, avec 1 958 172 entrées contre 4 489 249 pour l'opus précédent. La reconduction de Lazenby n'était rien moins qu'assurée… Grands moments de la Saga James Bond : L'assassinat de Tracy
Les plus belles courses-poursuites : Ford Mercury Cougar Convertible Crédits photo : Sony Pictures. Captures réalisées par Estuaire44 |
Ère Sean Connery 1. James Bond contre Dr No (Dr. No) – 1962 2. Bons baisers de Russie (From Russia with Love) – 1963 3. Goldfinger (Goldfinger) – 1964 4. Opération Tonnerre (Thunderball) – 1965 5. On ne vit que deux fois (You only live twice) – 1967 6. Les Diamants sont éternels (Diamonds are forever) – 1971 7. Non-officiel: Jamais plus jamais (Never say never again) – 1983 1. JAMES BOND CONTRE DR NO Scénario : Richard Maibaum, Johanna Harwood, & Berkely Mather Ce cinq octobre 1962, près de trois mois avant le lancement de la deuxième saison des aventures de John Steed, la Grande-Bretagne se découvrait un nouvel héros national merveilleux de l'image : James Bond. James Bond contre Dr No se divise en trois parties bien distinctes. La première, se situant à Londres, montre que la série n'a pas encore tout à fait acquis sa forme définitive. Ainsi, si le Gun barrel s'installe déjà (sans Sean Connery), tel n'est pas le cas pour la fameuse séquence de pré générique, alors même que le Q de Desmond Llewelyn reste encore dans les limbes. Le film développe ainsi une résonance insolite avec l'époque Daniel Craig, car l'on y voit 007 recevoir son maigre matériel de la part d'un quidam transparent, voire ultérieurement par un insipide colis postal… Fort heureusement le reste de cette entrée en matière s'avère bien plus relevée. En effet, elle installe les fondamentaux de la série, notamment M et Miss Moneypenny, avec un Bernard Lee et une Lois Maxwell déjà savoureux et totalement dans leurs personnages. Surtout, nous découvrons un superbe portait en coupe de James Bond à l'orée de sa fulgurante carrière, de sa personnalité (célibataire prédateur et ancré sur de vieilles habitudes), mais aussi de son milieu, clairement upper class par son appartement, son club luxueux (et soucieux de légalité) mais aussi… ses fréquentations féminines. Après une jolie scène avec M où affleure déjà la complicité bourrue manifestée par ce dernier envers sa meilleure épée, 007 (encore privé de DB5), ayant déjà lancé son fameux « Bond, James Bond » peut dès lors s'envoler pour sa première aventure, sous le radieux soleil de la Jamaïque. Ce passage à la seconde partie du film s'effectue avec fluidité et efficacité. Tout au long du récit nous suivons pas à pas une enquête harmonieusement construite, où la découverte des indices et autres péripéties s'effectuent fort plaisamment. Si l'intrigue paraît fort bien agencée, la mise en scène de Terence Young semble par contre encore un peu trop effacée, on en demeure à un registre d'espionnage exotique, mais où seules surnagent quelques fortes scènes d'action, entre lesquelles on patiente agréablement. Il s'agit bien entendu du passage de la tarentule, une pure merveille d'épouvante, et de l'assassinat à froid du traître, une goûteuse entrée en matière du fameux « licence to kill », dotant 007 d'une aura de tueur assez jouissive. La relative atonie de la mise en scène se dénote cependant lors de diverses bagarres étonnamment faibles et de poursuites en voitures bien anodines, certainement du fait du budget encore modeste du film. La seule scène sortant du lot à cet égard (la descente enflammée de la voiture des « aveugles ») se voit d'ailleurs filmée avec une insistance destinée à optimiser l'investissement qui finit par mettre mal à l'aise. De plus, si les décors naturels s'avèrent déjà somptueux dès ce premier opus (une valeur sûre de la série) et mis en valeur avec dextérité, la réalisation pâtit par contre de décors élégants, mais terriblement froids et artificiels, dans la grande tradition des studios britanniques de l'époque. Davantage que dans la première partie (somptueux plateau du Club et bureau de M très réussis), ils finissent par conférer au film des allures d'épisode du Saint plus aisé que la moyenne. Il n'aurait plus manqué que Roger Moore soit déjà là ! La direction d'acteurs et l'intrigue nous valent par contre des personnages secondaires très relevés. Ainsi, le traître à l'Empire, le Pr. Dent, jouit-il de la gueule impayable et du jeu dégoulinant d'abjection d'Anthony Dawson, renouant avec la grande tradition du félon des films de cape et d'épée. Non dénué d'esprit ou de courage physique, le Pr. Dent constitue un digne premier adversaire pour Bond, même si l'intrigue a, bien entendu, l'habileté de le doter de la veulerie ad hoc afin qu'il ne fasse pas d'ombre à son terrible patron. Les faux aveugles insufflant une joyeuse malice dans leurs meurtres (The three blind mice) se montrent également très amusants, annonçant joliment les futurs meurtres musicaux de la Nouvelle-Orléans. Le valeureux Quarrel (excellent Johnny Kitzmiller, médaillé de guerre et premier acteur noir à remporter une palme, en 1956) incarne si caricaturalement et naïvement le loyal compagnon faire-valoir du Héros (on se croirait dans la Rubrique à brac de Gotlib) qu'il en devient proprement irrésistible. On retrouve chez lui la tendance de Ian Fleming à bien typer chaque peuple dans sa description d'un monde fantasmé de l'espionnage et de la Guerre Froide. Noir des îles, Quarrel se montre donc superstitieux mais dévoué envers ses patrons blancs… Disons que cela appartient aux éléments très datés auxquels il faut passer outre pour savourer la substantifique moelle de cet écrivain talentueux et imaginatif. Mais la grande idée de casting du film demeure bien entendu le choix de Jack Lord pour incarner le tout premier Félix Leiter. Aussi charismatique et classieux en Jamaïque qu'à Hawaï, il porte d'emblée le rôle si haut que ses successeurs auront bien du mal à relever le gant. Leiter ne se limite pas ici à poser au comparse de Bond, mais s'affiche bel et bien comme son quasi égal ; il reste bien dommage que la participation de Lord n'ait pas été récurrente ! On regrettera quelque peu que l'intrigue rate le coche en cantonnant le secrétaire du Gouverneur à un rôle anodin, alors qu'on y discerne en germe une opposition potentiellement très amusante avec Bond, l'homme d'action. Les Avengers le comprendront bien, après le duel hilarant opposant Travers à Steed dans Missive de mort (épisode très 007 par ailleurs…). Le passage à l'ultime segment du film (L'île du Docteur No et ses monstrueux habitants) s'effectue trop brutalement, avec un changement d'ambiance et de tempo excessif par rapport à l'enquête précédente. Cela donne un caractère passablement artificiel et mécanique au scénario, nuisant au film en le tronçonnant exagérément et en attribuant un fâcheux aspect de prologue à l'enquête. Mais ne boudons pas notre plaisir : en passant de l'espionnage à l'aventure, le film gagne du souffle et se montre enfin haletant. Après de spectaculaires péripéties en espace naturel, nous pénétrons enfin dans l'antre du Docteur, un décor enfin spectaculaire et digne de James Bond. Ken Adam se montre d'entrée un créateur de décor visionnaire et suprêmement raffiné, on ne soulignera jamais assez l'importance de son apport à la saga. La pièce principale demeure cependant bien le Docteur (le Maître des lieux). De par son ascendance chinoise, il se retrouve donc tout naturellement, selon l'optique de Fleming, fourbe, raffiné et cruel au dernier degré. Avouons franchement que cette fois l'on s'en réjouit, tant la composition de Joseph Wiseman se révèle délectable ! Le comédien va ainsi très intelligemment au bout du personnage, dans la meilleure tradition d'un Fu Manchu ou d'une Ombre Jaune. Le duel glacial du dîner apparaît d'ailleurs clairement comme la meilleure scène du film, elle se savoure avec une authentique délectation. No annonce avec panache cette succession de monstres froids et de génies du mal intensément pervers qui feront les riches heures de la série. On se demande d'ailleurs si les spectateurs de 1962 soupçonnaient à quel point cette évocation du SPECTRE se montrait prometteuse ! Les amateurs des Avengers apprécieront également le style de combat de No à la Cybernaute, tout en revers mortels de la main mécanique dirigés vers la gorge de 007… Certes, du fait d'un budget encore relativement limité, l'affrontement final ne manifeste pas ici l'ampleur qu'il revêtira par la suite. Mais qu'importe, il faut bien que jeunesse se passe et la vision de No glissant vers un trépas atroce en tentant de se raccrocher inutilement du fait de ses doigts mécaniques vaut toutes les fusillades du monde ! On se montrera plus sensible à quelques clichés (les roseaux pour se dissimuler sous l'eau, la sempiternelle gaine d'aération, le garde éliminé pour revêtir son costume etc.) ainsi qu'à certaines naïvetés assez désarmantes (alors que Sean Connery mesure aisément 50 cm de plus que les Chinois présents, il trouve une combinaison à sa taille et passe totalement inaperçu). De plus, cette base secrète remplie exclusivement de Chinois voit tous ses panneaux indicateurs scrupuleusement écrits en Anglais. Il demeure tout de même étonnant que 007 ne discerne pas les potentialités de cheval de Troie présentées par l'offre de No d'intégrer le SPECTRE. On s'interrogera également sur la nécessité profonde de bâtir toute la salle de commande autour d'une pile atomique ouverte, disséminant joyeusement sa radioactivité, au lieu de l'ensevelir sous le sarcophage coutumier. Mais ce ne sont là que broutilles, n'entravant que marginalement l'émerveillement du spectateur. James Bond contre DocteurNo, voit ainsi l'apparition de plusieurs artisans de son succès. Le suspense et le sens du récit de ce brillant scénariste qu'est Richard Maibaum répond déjà à l'appel. Il va être une véritable cheville ouvrière de la saga, car il n'écrira pas moins de 13 scénarios sur les 16 premiers films (il mourra 2 ans après son dernier opus Bondien, Permis de tuer). Mais le film se caractérise aussi bien entendu par la prise de possession éclatante et totale du rôle titre par Sean Connery. D'entrée, il s'impose en effet comme l'interprète absolu de 007, mêlant admirablement la sauvagerie d'un authentique tueur et une élégance toute britannique. On s'amusera d'ailleurs à remarquer la présence d'un chapeau melon dans son appartement… Connery traverse le film porté par un charisme inouï, et c'est bien lui qui transcende un film d'espionnage réussi en première pierre d'une légende commençant à s'édifier sous nos yeux. On ne peut qu'admirer l'audace et la vista de Messieurs Saltzman et Broccoli d'avoir tout misé sur un acteur encore relativement méconnu, mais convenant si naturellement au rôle et si proche de la vision de Fleming. Et notre héros a fort à faire, car il ne peut guère compter sur sa partenaire féminine principale pour assurer la réussite du film. Après la célèbre scène de Vénus sortant de l'Onde, produisant certes toujours son petit effet grâce à la sculpturale Ursula Andress, Honey Rider se transforme alors instantanément en boulet que 007 devra traîner tout au long du récit. C'est en vain que l'on recherchera la moindre scène ou réplique à mettre à son crédit, Honey ne participe absolument plus à l'action, au point que cela tend à la caricature, même au sein d'une ère Connery qui, globalement proche de l'œuvre de Fleming, ne verra guère d'émancipation de la femme. Si au moins elle se contentait de faire tapisserie, mais non, elle nous agonit également de remarques ou de questions toutes plus idiotes les unes que les autres, portant inexorablement les nerfs du spectateur à l'incandescence. Une espèce de summum se trouve atteint quand elle perd connaissance brusquement, 10 secondes après avoir bu un café. À son réveil, elle se demande pourquoi elle et Bond se sont évanouis. "Le café était drogué", argumente alors stoïquement 007. Au secours. On a beaucoup glosé sur le fait que Honey soit la première James Bond girl, mais de fait le titre revient à Sylvia Trench, jouée avec beaucoup de chien par une Eunice Gayson (inoubliable interprète de Lucille Banks dans La danse macabre) absolument divine en fourreau rouge. On comprend sans peine qu'il ait été alors prévu de l'élever au rang de personnage récurrent… Sylvia n'est pas la seule à joliment pimenter le récit car, même si oubliées au profit de Honey, Miss Taro (prototype des viles séductrices), la photographe impénitente, ou bien encore la délurée Sister Lily, incarnée par une autre interprète des Avengers (Yvonne Shima, dans Le clan des grenouilles), apportent de bien agréables moments, chacune dans son registre. On notera cependant que la version française trouve judicieux de doter les personnages féminins de voix totalement cruches, loin du travail de Nikki van der Zyl. Last but not least, un des grands attraits de James Bond contre Dr No réside dans son agréable parfum Sixties. Une foule de détails contribuent à conférer au film un attrait documentaire, des plus importants (arrière-plan de Guerre Froide et de crise des fusées, évocation de cap Canaveral, Jamaïque encore coloniale pour peu de temps, libéralisation des mœurs...) aux plus légers (mode, voitures, french twist d'Eunice Gayson – coupe alors très en vogue…). On note ainsi la présence récurrente de calypsos (Underneath the Mango tree, etc.), un style purement jamaïcain qui connaît alors un pic de popularité et qui apparaîtra d'ailleurs également dans les Avengers à la même époque (chanson de Vénus Smith dans L'école des traîtres, présence du grand chanteur Edric Connor dans La cage dorée). Les auteurs vont jusqu'à réaliser un pétillant clin d'œil à l'actualité avec l'apparition du célèbre portrait de Wellington par Goya dans l'antre de No, alors même que celui-ci vient d'être spectaculairement dérobé à Londres en 1961. Le bon docteur se serait-il adressé à Gregorie Auntie ? Pilote réussi d'une saga appelée à devenir la plus longue du cinéma mondial, James Bond contre Dr. No contient de fait tous les ingrédients du succès unique des aventures de 007, au point que la musique de son générique en deviendra l'indicatif ! Même si le film ne les développe pas encore toujours à la perfection, il annonce avec force les purs chefs-d'œuvre à venir, et marque les débuts fracassants de Sean Connery dans un rôle qu'il va porter jusqu'à d'inaccessibles sommets. Produit avec le budget encore relativement modeste de 950 000 $ (on va vite changer de braquet !), le film rapportera près de 60 millions de dollars. Sorti le 27 janvier 1963 en France, il y atteindra 4 772 574 entrées. Grands moments de la Saga James Bond : Monsieur? 2. BONS BAISERS DE RUSSIE Scénario : Richard Maibaum, d'après une histoire de Johanna Harwood Le 10 octobre 1963 voit la sortie du deuxième opus des aventures de 007, soit quelques jours avant la diffusion des épisodes L'homme aux deux ombres et Le cocon (Avengers saison 3), eux aussi très inscrits dans un contexte d'espionnage et de Guerre Froide. Bons baisers de Russie fait plus que tenir toutes les promesses de Dr. No : il les magnifie et incarne avec un panache unique l'incroyable qualité de ce printemps de la saga. C'est ainsi que nous observons avec un vif plaisir la mise en place des différents éléments du rituel Bond ne figurant pas encore dans James Bond contre Dr. No. L'étonnant théâtre d'ombre que constitue la première séquence, avec son désarçonnant rebondissement final, assure le succès du lancement de cette formule, appelée à devenir indissociable de la série. Elle introduit avec une efficacité des plus glaçantes le personnage de Red Grant, tandis que l'on s'amuse à reconnaître dans Morzeny, le directeur de « SPECTRE Academy » (les candidats éliminés le sont à titre définitif), le comédien Walter Gotell qui incarnera le Général Gogol dans cinq autres opus. Les génériques si spectaculaires et identifiants de James Bond connaissent également ici leur véritable envol, après les quelques silhouettes féminines rapidement esquissées de Dr. No. Ces lettres glissant sur une merveilleuse danseuse du ventre se révèlent aussi esthétiquement relevées que diablement lascives… L'ambiance proche-orientale se voit introduite avec bonheur, à l'unisson avec la très belle chanson de Matt Monro. On s'étonnera cependant de n'y trouver que la version instrumentale, mais ce titre très crooner sera entendu par deux fois dans le film, en version originale mais aussi en français ! De l'art de décliner un concept… La nouveauté majeure demeure cependant la véritable introduction du personnage de Q, par l'excellent Desmond Llewelyn. Ce dernier s'identifiera au rôle durant 17 films, soit jusqu'à son décès survenu en 1999, avec une unique interruption (Vivre et laisser mourir). Si sa prestation demeure encore plus timide qu'elle ne le deviendra, sans ses si savoureuses admonestations envers 007, le jeu du comédien se révèle déjà plus relevé que le très lisse Peter Burton, et apporte une incontestable valeur ajoutée au personnage. À cette occasion, nous découvrons une autre colonne du temple, la présentation des gadgets du jour, qui tous, sans exception, seront toujours utilisés au cours de l'aventure. On apprécie vivement l'aspect de bricolages ingénieux de ceux-ci, plus crédibles et ludiques que les déferlements à venir de haute technologie parfois sans âme. Si Bernard Lee continue à incarner à la perfection le très britannique M et sa relation délectable de sympathie parfois exaspérée envers Bond, Miss Moneypenny bénéficie d'un plus grand espace lui permettant d'insuffler un humour et une fantaisie des plus appréciables au film, notamment lors de l'irrésistible scène de l'écoute du message enregistré où M se montre incroyablement victorien ! Lois Maxwell introduit beaucoup de joie de vivre et de pétulance dans son jeu, on s'en régale. Ayant consolidé et amplifié l'éclat des fondamentaux de la série, Bons baisers de Russie fait aussi entendre sa propre musique, particulièrement captivante. On apprécie vivement cet instant de perfection : le film conserve le meilleur du monde fascinant de l'espionnage traditionnel (autant que fantasmé), tout en le dynamisant par une mise en scène davantage nerveuse que dans le film précédent, une solide dose d'humour et d'érotisme, un souffle épique indéniable au long de cette authentique odyssée, et bien entendu le charisme incroyable de son personnage principal. Toute la suprême habileté du film réside dans ce parfait équilibre, dans le plus pur respect de l'esprit du roman, sans presque aucun soupçon de dérive vers le barnum qui se manifestera ultérieurement. Cela ne prive pas le film d'user de moyens plus que conséquents, dédiés avec bonheur à des décors très réussis (grandiose salle du tournoi d'Échecs, antre de Blofeld, quartier général si orientaliste de Karim Bey...) et à de somptueuses vues d'Istanbul et de Venise. La tension dramatique atteint son paroxysme lors de nombreuses scènes d'action tournées avec un sens raffiné du spectaculaire, magnifié par la conséquente augmentation budgétaire opérée. Des scènes comme, entre autres, le combat féminin au camp des gitans (rien à envier aux Avengers) et l'attaque subséquente, ou l'assassinat si spectaculaire de Krilencu, restent gravées dans la mémoire des spectateurs (joli clin d'œil à Anita Ekberg, alors en pleine gloire après La dolce vita). Le summum demeure bien entendu le duel à mort entre Grant et 007, représentant la quintessence du genre et venant lui-même couronner toute la partie d'échecs mortifère très relevée du train. Clé de voûte du film, il était vital pour Young de ne pas décevoir l'attente d'un public ayant suivi les trajectoires des deux redoutables adversaires jusqu'à ce fatidique point de jonction. Grâce à un affrontement savamment chorégraphié et au jeu étonnant de sauvagerie des comédiens, le pari se voit remporté haut la main, assurant ainsi l'éclatant succès du film. On comprend que Sam Mendes ait voulu rendre hommage à cette scène d'anthologie dans la bagarre du train de Spectre. Les amateurs des Avengers retiendront une bouffée d'amertume en constatant qu'ici les acteurs accomplissent presque toujours eux-mêmes cascades et bagarres… La perfection n'étant pas de ce monde, on regrettera, de manière très secondaire, que Young (et sans doute les producteurs) aient cédé sur le tard à la tentation d'en rajouter. Les péripéties navales et l'affrontement avec l'hélicoptère demeurent certes réalisés à la perfection et satisferont sans doute l'appétit de spectaculaire du plus grand nombre, mais on y discerne tout de même une virtuosité tournant à vide. Ces scènes trépidantes rompent avec l'esprit plus réaliste du film et en rajoutent dans l'épate sans réelle justification. Cela donne une pénible impression de délayage de l'intrigue, comme s'il restait quelques mètres de pellicule à uiliser du mieux possible. D'autre part, si la plupart des modifications apportées au roman se justifient (notamment pour le duel final rapide et d'une terrible froideur qui serait mal passé à l'écran), on regrette une certaine simplification de 007, dont les divers moments d'angoisse sont soigneusement effacés, et qui au lieu de retenir un hôtel miteux mais délicieusement turc, descend ici dans un palace au décorum très occidental. Enfin, la scène des rats, totalement dantesque et digne de H.P. Lovecraft dans le roman, se retrouve ici ramenée à un insert passablement piteux, très loin de ce qu'offrira par exemple Indiana Jones et La Dernière Croisade ou Willard. Ces quelques réserves se cantonnent résolument à la marge car Bons baisers de Russie achève d'emporter l'adhésion grâce à ses personnages secondaires. De la qualité des adversaires dépend souvent la réussite de ce type de film, et c'est peu dire ici que nous sommes gâtés. Ainsi l'intrigue bénéficie d'une des plus belles idées de scénario recensées à ce jour : l'ajout du SPECTRE comme troisième puissance entre l'Est et l'Ouest, qui n'existait pas dans le roman de Fleming. Outre les nouvelles potentialités qu'elle introduit, elle approfondit la simple citation opérée dans Dr. No, apportant ainsi à la série la saveur toujours agréable des arcs narratifs. On remarque que le procédé sera repris lors de l'ère Daniel Craig, avec Quantum, mais également que la comparaison s'arrête là… Pour l'heure, les apparitions régulières de Red Grant, scènes toujours particulièrement relevées, viennent apporter une tension dramatique sans cesse renouvelée à un récit plus tonique que dans le film précédent. Le SPECTRE nous vaut aussi une scène irrésistiblement délirante quand Klebb et Morzeny passent en revue les entraînements des combattants de l'île, dans une atmosphère qui deviendra finalement l'apanage de la section Q. Détail amusant, sur la grande image servant de cible aux tireurs, on remarque distinctement quelques silhouettes arborant chapeau melon… Red Grant représente le grand adversaire du jour. Réactif, supérieurement doué, il se situe cent coudées au-dessus des tueurs interchangeables (et immodérément maladroits) du SPECTRE. Même si son effarante biographie a été ici ramenée à bien peu de choses, et sa dimension aux lisières du Fantastique totalement gommée, il n'en demeure pas moins une fascinante machine à tuer, si implacablement voué à sa mission et dépourvu d'humanité qu'il finit par évoquer les meilleurs moments de Terminator. Robert Shaw réalise une performance inouïe, et il fallait bien toute la présence physique et l'aura de Sean Connery pour rendre crédible la victoire finale de 007. Près d'un demi-siècle plus tard, Red Grant demeure bien l'un des adversaires les plus relevés de Bond : dépourvu de l'humour parfois burlesque d'un Jaws, il compte encore parmi les incarnations les plus glaçantes de la Faucheuse que le cinéma nous ait offertes. En lesbienne sadique et au-delà de la caricature, Rosa Klebb vaut aussi le détour non seulement pour son approche vénéneuse de Tatiana, mais aussi pour l'incroyable scène finale où l'étonnante énergie de Lotte Lenya permet au personnage d'échapper au ridicule pour au contraire joliment inquiéter (on remarque qu'au cinéma il est tout à fait exclu que Bond soit mis hors-jeu par une femme, toujours selon la simplification évoquée plus haut…). On lui préfèrera cependant l'autre créature retranchée de l'humanité dont nous régale le film, l'inoubliable Kronsteen, qui en seulement trois scènes, s'impose comme une référence absolue de la saga. Il y a bien sûr la scène impeccablement filmée de la partie d'échecs (les connaisseurs auront reconnu une célèbre victoire de Boris Spassky remontant à 1960), l'exposé purement jouissif de sa machination, entre humour glacial et délire mégalomaniaque, le twist létal dû à l'esprit si facétieux de Blofeld, mais surtout il y a Vladek Sheybal. Ce casting grandiose apporte au film un de ces moments de pure magie différenciant les œuvres très réussies des légendaires. Sheybal distille la même fascination que plus tard dans les New Avengers, Zarcardi exprimant un retranchement similaire de l'humanité, la fascination envers les oiseaux remplaçant l'intellect dégénéré. Inoubliable. Cette belle association de sémillants individus trouve son chef naturel en la personne du N°1, qui n'est encore Blofeld que dans le générique de fin où son interprète se voit subtilement désigné par un point d'interrogation ! Mais qui est le N°1 ? Une question appelée à un brillant avenir outre-Manche... On remarque qu'ici Blofeld apparaît chevelu, ce n'est pas qu'il porte des perruques à la Lex Luthor, mais seulement qu'il se trouve en fait incarné par Anthony Dawson, le peu reluisant Pr. Dent de Dr. No ! En VO, sa voix est cependant celle du grand comédien Eric Pohlmann, l'impressionnant Mason de Le clan des grenouilles (Avengers, saison 2). Ici en retrait comme dans Opération Tonnerre, Blofeld scande les inflexions majeures du récit par des scènes irrésistibles, notamment grâce à cet humour facétieux de tous les instants faisant son charme. La scène magistrale des piranhas justifierait à elle seule la vision du film tant elle introduit éloquemment la folie morbide du gaillard. Une entrée en scène particulièrement réussie, dotant l'arc des années Connery d'un méchant récurrent de haute volée (litote), l'ingrédient des séries vraiment réussies. Peu d'exemples viennent à l'esprit d'une Némésis dont l'affrontement perpétuel avec le héros se suit avec un tel plaisir sans faille (allez, Stavros et le Maître face au Docteur). Dès la fin du film, le spectateur attend le prochain round et parvenir à retarder cette échéance sans susciter de frustration ne constituera pas le moindre exploit de Goldfinger. Si cette succession hallucinante de génies du Mal et d'esprits pervers au dernier degré représente bien l'atout maître de Bons baisers de Russie, les forces du Monde Libre ne sont pas en reste pour autant ! Au premier rang d'entre elles se détache bien entendu James Bond lui-même, avec un Sean Connery confirmant avec éclat sa prestation déjà plus que concluante de Dr. No. Allier classe toute britannique et un esprit des plus fins à un comportement de tueur chevronné n'était guère évident, l'acteur y parvient cependant sans coup férir. La haute stature qu'il confère au personnage, toute en vitalité exacerbée et en élégance naturelle, s'épanouit particulièrement dans le contexte encore relativement réaliste du film. Bond n'a pas encore à disputer la vedette à des gadgets de Science-Fiction ou à des images de synthèse, et Sean Connery dispose de tout l'espace qu'il mérite pour développer son personnage. L'âpreté de ce monde encore proche de l'espionnage traditionnel de la Guerre Froide convient idéalement au charisme de Sean Connery, on se situe très loin de la distanciation introduite par Roger Moore qui, à son tour, se fondra parfaitement dans un univers devenu plus fantaisiste. Kerim Bey, porté avec brio par Pedro Armendariz dans les tragiques circonstances que l'on sait, s'avère être un personnage réellement irrésistible. Moins sauvage que dans le roman, avec son humour pince-sans-rire, sa petite moustache, ses chaussures soigneusement cirées, et ses costumes élégants, il évoque parfois un amusant Hercule Poirot levantin. Et certes ses petites cellules grises fonctionnent à la perfection tandis qu'il apporte un concours sans prix à 007, mais le plus important se situe bien dans la relation de complicité et d'amitié qui s'instaure entre deux personnages finalement moins différents qu'il n'y paraît au premier abord. Cela apporte une vraie saveur au récit et constitue une autre agréable spécificité de Bons baisers de Russie, car 007 se verra bien plus souvent entouré de faire-valoir que d'authentiques compagnons de route (que l'on se souvienne de Patrick Macnee dans Dangereusement vôtre…). Bond, blonds & Bombs : la progression représentée par Bons baisers de Russie comparativement au déjà excellent Dr. No se retrouve également dans le personnage féminin principal, Tatiana Romanova (à prononcer avec l'accent). En effet, elle participe davantage à l'action, et si elle se ressent toujours du machisme ambiant, commun tant au livre qu'au film, elle n'en manifeste pas pour autant l'hébètement amorphe de Honey. Bien au contraire, malicieuse, lutine, pétillante, elle resplendit elle aussi d'une joyeuse vitalité. Son côté femme enfant et la passion authentique qu'elle manifeste pour son grand homme ne sont d'ailleurs pas sans rappeler une certaine Tara King… l'accent russe irrésistible en prime. Incarnée avec un charme ravageur, mais aussi avec talent, par Daniela Bianchi, Miss Univers 1960 (le gros plan très suggestif sur ses lèvres reste sans doute l'instant le plus érotique de toute la série), Tatiana ne s'en vient pas alourdir le film, mais au contraire lui apporter légèreté et pétulance. On peut bien le dire, on est conquis ! Dommage que Daniela n'ait pas autant réussi sa carrière que son mariage, on l'aurait bien volontiers suivie dans de nouvelles aventures… C'est donc fort logiquement qu'une plus grande importance lui est accordée en réduisant le nombre de personnages féminins. Hormis Tatiana, 007 ne croisera en effet que le fameux duo de bohémiennes gladiatrices, appelé à devenir archétypal, mais dont l'aspect guerrier et brutal (des gitanes sans filtre : La dolce "Vida" et Zora la "Frousse") l'emporte sur la romance. On a l'impression que les actrices se haïssent autant que leurs personnages tant le combat paraît emprunt d'une vraie sauvagerie. Moins de jolis minois rencontrés donc, la danseuse du ventre et la « dame de compagnie » de Kerim Bey (jouée par Nadja Regin, Anna Danilov dans La trapéziste, l'un des épisodes retrouvés de la saison 1 des Avengers) lui demeurant périphériques, mais celui de Daniela suffit certes à satisfaire à toutes les attentes. D'autant que l'on n'oubliera pas Eunice Gayson, de nouveau fort accorte (et très upper class) en Sylvia Trench. La réapparition de celle-ci renforce plaisamment la sensation d'arc scénaristique et s'avère particulièrement pétillante. De plus, entre superbe campagne anglaise, joies de la godille (La poussière qui tue), présence d'un champagne dont la marque est d'ailleurs généreusement exhibée (ce ne sera, déjà, pas la seule insertion du film), et jusqu'à une voiture ressemblant fort à une certaine Bentley verte, la scène présente une saveur Avengers qui ne laissera pas l'amateur indifférent ! De fait, Sylvia fonctionne très bien comme personnage récurrent, de quoi avoir des regrets à propos de sa disparition, même si la question reste posée de la persistance d'une relation chez le plus grand séducteur du cinéma. À mon sens le meilleur Bond, film d'une rare intensité et au ton d'une justesse quasi absolue, Bons baisers de Russie marque l'accession au rang de légende d'une saga qui atteint son apex dès son deuxième opus. Sean Connery continue d'enthousiasmer et c'est parti pour durer ! Produit avec le budget en considérable augmentation de 2 millions de dollars (la montée en puissance ne fait que débuter !), le film rapportera près de 79 millions de dollars. Sorti le 30 juillet 1964 en France, il y atteindra 5 623 391 entrées. Grands moments de la Saga James Bond : Bond VS Grant Scénario : Richard Maibaum & Paul Dehn - You expect me to talk ? Le 17 septembre 1964, Goldfinger fait son apparition dans les salles obscures de Londres. Alors que la diffusion du premier épisode de l'ère Emma Peel apparaît encore lointaine, les Britanniques découvrent ainsi la raison pour laquelle Honor Blackman vient de quitter les Avengers. Son ultime apparition dans la série (Le quadrille des homards) remonte en effet au mois de mars de la même année. Goldfinger, considéré par de nombreux observateurs comme le meilleur opus de la série, et comme constituant la quintessence du style Bond, marque en effet un tournant. Alors que Dr. No constituait un printemps riche en promesses et Bons baisers de Russie un instant de grâce où le meilleur du film d'espionnage traditionnel se voyait dynamisé par l'action, l'humour et l'érotisme propres aux James Bond, Goldfinger correspond à l'envol définitif d'une saga qui y revêt le souffle et la démesure qui lui demeurent indissociablement attachés. D'une manière très symbolique, Ian Fleming décède au cours du tournage et le cinéma va désormais poursuivre une trajectoire de plus en plus indépendante (avec de passagers rapprochements) du personnage littéraire. L'intrigue développée par Goldfinger se montre d'une redoutable habileté. En effet, le spectateur reste longtemps dans le flou concernant la véritable fin poursuivie par Auric Goldfinger, de plus titillé par la mystérieuse appellation « Projet Grand Chelem » et habilement lancé sur le leurre du trafic d'or. L'imagination travaille agréablement au fil d'indices disséminés en cours de récit (implication chinoise, présence d'un rayon laser, omniprésence de l'or...), d'autant que la résolution de cette énigme produit un effet des plus sensationnels. Vraiment la présentation du plan par Goldfinger se révèle spectaculaire à souhait, mais surtout celui-ci accentue l'aspect délicieusement ludique du procédé en jouant à un jeu de devinettes très piquant avec 007. Le spectateur s'identifie ainsi totalement à ce dernier lorsqu'il démonte les ultimes rouages de Grand Chelem. Du grand art. L'intensité dramatique ne souffre pas d'une éventuelle apesanteur de l'affrontement car le très habile Richard Maibaum (appuyé par Paul Dehn, futur scénariste de grands films comme La nuit des généraux ou L'espion qui venait du froid) personnalise le conflit dès le commencement par la mort de Jill, avant d'encore renforcer cette dimension par le décès de Tilly. L'histoire connaît ainsi en permanence une véritable intensité, d'autant que l'auteur, un des socles du succès de 007, insère à profusion des répliques aussi mordantes que brillantes et sait à merveille incruster les moments d'action dans le canevas général, évitant toute impression d'artificialité. Dans un amusant parallèle avec ce qu'ont connu les Avengers, l'histoire affirme habilement son identité anglaise tout en s'ouvrant largement au vaste (et juteux) continent américain. Ainsi l'identification de 007 à Albion se trouve soulignée par le toujours très british M au cours d'une scène plus tendue que d'ordinaire, mais retrouvant heureusement un ton fort plaisant grâce à l'irremplaçable Miss Moneypenny (joli lancer de chapeau dans un film où ceux-ci se révèlent primordiaux !). Le dîner en compagnie du très sélect Gouverneur de la Banque d'Angleterre reste un authentique régal dans la plus pure tradition britannique (même le majordome est de la partie !), tandis que 007 et M se livrent à leur petite joute amicale coutumière si divertissante. L'apparition d'un Q prenant enfin toute sa dimension de bouledogue anglais qui ne « plaisante jamais durant le travail » parachève ce panorama, au cours d'un passage tonique devenu un classique appelé à un riche avenir (brillante idée personnelle de Broccoli). Desmond Llewelyn et Sean Connery manifestent une complicité vraiment irrésistible. C'est d'autant plus vrai que Q introduit la mythique Austin Martin DB5 qui va devenir la plus célèbre des compagnes d'aventures à quatre roues de Bond, de même qu'un des principaux signes de son identité anglaise. On n'oubliera pas la mémorable partie de golf, où l'on retrouve de sympathiques échos du Jeu s'arrête au 13. Néanmoins, par un souci commercial aussi évident que compréhensible, les producteurs désirent ouvrir encore davantage le marché américain à leur personnage, d'où le choix des États-Unis comme destination principale de 007. Celui-ci retrouve à cette occasion son complice Felix Leiter, incarné par un Cec Linder très sympathique, mais qui dépourvu de la présence d'un Jack Lord, va ici jouer essentiellement les utilités. La scène d'ouverture permet ainsi de découvrir le Miami des années 60, très éloigné de l'esthétique Eighties de Miami Vice. Les amateurs des Avengers découvriront ainsi une copie presque conforme du commencement de l'épisode très bondien Missive de mort : piscine, ton passablement machiste, interruption des vacances, etc. alors même que celui-ci constitue le premier épisode diffusé de Cathy Gale/Honor Blackman ! La suite des « Aventures de James Bond en Amérique » nous vaudra également de croiser des gangsters que l'on croirait issus des Incorruptibles, réussis mais quelque peu hors sujet ici (on observe d'ailleurs que Goldfinger les ventile façon puzzle avec une facilité déconcertante). De plus, le film comporte déjà plusieurs inserts commerciaux (quoiqu'encore discrètement comparé à ce qui suivra...), et si l'on passe volontiers sur la présence de British Petroleum (déjà là dans le film précédent) et autres fleurons britanniques, que penser des banderoles de Kentucky Fried Chicken complaisamment et longuement filmées ? Même si cela advient avec Leiter, on ressent comme une certaine faute de goût dans un 007. Disons-le, ce pendant américain, malgré l'impact du simili Fort Knox, n'apporte guère à la gloire du film. La mise en scène de Guy Hamilton s'impose par contre comme un des aspects les plus irrésistibles de Goldfinger. Le réalisateur maîtrise admirablement son sujet. Il filme avec autant de réussite les effarantes scènes d'action que des scènes de dialogues souvent aussi électriques. Son talent éclate dès l'inoubliable et ardente ouverture de pré-générique où la série atteint une nouvelle dimension. Inexistante dans Dr. No et habile introduction dans Bons baisers de Russie, elle acquiert ici ses caractéristiques définitives : véritable film dans le film, elle est réalisée avec des moyens plus que conséquents et enthousiasme d'entrée le spectateur tout en demeurant en décalage avec le récit principal. Les films suivants déclineront souvent avec succès ce rituel inauguré par Goldfinger qui deviendra un incontournable rendez-vous de la saga. On reconnaît au passage la capiteuse Nadja Regin, qui joua la petite amie de Kerim Bey. Le générique bénéficie lui aussi d'une véritable montée en puissance, entre flamboiement de l'or et présences féminines indéniablement érotiques mais évitant soigneusement le vulgaire. La sublime voix de Shirley Bassey (première star à être embauchée par la production) accompagne d'ailleurs idéalement la musique grandiose de John Barry et son impétueux déferlement de cuivres mêlant tubas, cors, trombones et trompettes incandescents. Après un tel chef-d'œuvre, on ne s'étonnera pas de voir revenir Shirley Bassey à deux reprises. Le titre fut un hit mondial, en quoi Goldfinger se révéla une nouvelle fois fondateur. La montée en puissance incarnée par Goldfinger se perçoit bien entendu par les splendides décors de Ken Adam, où le gigantisme et la magnificence s'allient à un goût artistique très sûr et qui dépassent tout ce qui a été observé dans les deux opus précédents. La salle du Laser – une idée tenant presque de la science-fiction à l'époque – l'antre pharaonien où Goldfinger expose son plan mégalomane, et le couronnement opéré par la reconstitution supposée de l'intérieur de Fort Knox (aucune information ne circulant sur ce point !) donnent un cachet supplémentaire à l'action qu'ils supportent et amplifient. Les décors de moindre dimension (écuries, chambres d'hôtel, résidence du Gouverneur...) bénéficient d'une exigence et d'une élégance similaires de la part de ce grand artiste qu'est Ken Adam. Hamilton ne se contente pas de filmer platement ces somptueux décors mais il leur donne vie en multipliant les plans audacieux et les mouvements alertes de caméra, comme dans ce large travelling arrière sur Bond dans l'ascenseur de Fort Knox ou les rapides va-et-vient entre Goldfinger et 007 lors du passage du Laser, restituant à merveille le stress paroxystique de ce moment. Il en va pareillement pour les décors naturels entre le golf délicieusement upper class, parfait écrin pour une scène de duel à fleurets mouchetés que Hamilton fait tendre habilement vers la comédie, ou l'utilisation si ingénieuse du dénivelé des routes de montagne quand Tilly manque de toucher James Bond. Les scènes de dialogue, toujours si pétillantes chez 007, se montrent également très vivantes ; on se situe très loin des caméras rivées au plancher caractérisant si souvent la première période des Avengers. Le plus grand soin se voit également accordé au montage, ce qui transparaît avec éclat lors de la formidable scène de la DB5 affrontant les séides de Goldfinger. Nerveux et fluide, il permet de conserver la force d'impact et la vélocité de l'ensemble tout en en rendant le déroulement parfaitement compréhensible pour le spectateur. Les ingénieux gadgets (y compris l'incroyable siège éjectable !) sont ainsi utilisés à leur optimum, tandis que l'on comparera avec profit ce joyau du cinéma d'action, appelé à devenir une référence absolue dans la suite de la saga, à l'ouverture brouillonne et chaotique de Quantum of Solace. La technologie ne fait pas tout, le talent a aussi son mot à dire... Cette maestria trouve son aboutissement dans le morceau d'anthologie de l'attaque de Fort Knox, où le suspense atteint des sommets via divers moments de bravoure dont la savante imbrication par Hamilton permet d'échapper au piège du trop plein. Ville morte, compte à rebours frénétique, duel James Bond/Oddjob, affrontement final, apparition surprise de Goldfinger dans l'avion... constituent une digne conclusion pour cette source inépuisable de scènes cultes et d'excitation sans cesse renouvelée qu'est Goldfinger. Toutefois, quelle que soit la vivacité de la mise en scène ou la splendeur des décors, la réussite d'un 007 se juge sur la personnalité des méchants. Avec Auric Goldfinger, la série définit ce qui va devenir sa figure de référence après la période SPECTRE : un homme surdoué, aussi génial qu'amoral et mégalomane, qui s'est bâti un empire légal mais dont la folle ambition conduit au crime de vaste échelle. Un adversaire fascinant, à la hauteur de James Bond, auquel Gert Fröbe prête sa forte présence et un jeu délectable, entre fausse bonhomie et cruauté démentielle. Le trouble de la personnalité, inhérent à ces adversaires, rejoint ici un travers éternel de l'humanité : la fièvre de l'or. Cette addiction profonde de Goldfinger, qui très explicitement, et avec un vulgaire tranchant avec l'élégance raffinée de 007, se traduit par une succession de tenues dorées tels les satrapes de jadis, donne un cachet supplémentaire à sa personnalité déjà fort impressionnante (les fans de Chapeau melon compareront à l'addiction non moins pathologique du Turner du Baiser de Midas). On lui préfèrera tout de même la démesure ultime d'un Blofeld car, inséré au milieu de l'arc narratif du SPECTRE, Auric demeure un électron libre, doué mais dépourvu de l'aura unique de cette organisation criminelle tentaculaire. Autre colonne du temple érigée à l'occasion de ce film, le Génie du Mal qu'affronte James Bond s'appuie sur un tueur en apparence invulnérable et toujours typé de manière amusante. Celui-ci va joyeusement semer la mort tout au long du film, avant le duel de rigueur avec 007 qui constituera l'un des clous du spectacle. Cette série dans la série connaît un superbe début en la personne de l'inoubliable Oddjob. L'impressionnant lutteur, médaillé olympique d'haltérophilie, qu'est Harold Sakata ne parlant pas un traître mot d'anglais, Oddjob demeurera muet, ce qui constitue une fabuleuse idée de mise en scène. En effet il va s'exprimer essentiellement avec son corps – des plus imposants – multipliant les mimiques divertissantes (avec un côté nounours sympathique franchement irrésistible) ou spectaculaires, comme ce broyage de balle de golf ou ses lancers mortels de couvre-chef demeurant gravés dans les mémoires. Alors que Grant et 007 avaient dû s'expliquer dans le cadre étroit d'un compartiment (ce qui n'empêcha pas le combat de demeurer une référence absolue du genre), cette fois les adversaires bénéficient du gigantesque décor de Fort Knox. Il en découle une superbe chorégraphie, utilisant fort astucieusement les différents éléments du plateau. Sakata se situe bien dans son élément et il se montre confondant de conviction, 007 ne doit d'ailleurs sa survie qu'à sa seule ruse ! On avouera un coup de cœur tout particulier pour ce tueur à l'efficacité aussi silencieuse que létale, ne serait-ce que pour utiliser un chapeau melon bardé de métal... Le duo central des adversaires s'entoure d'exécutants aussi impersonnels que falots et inefficaces, ce qui deviendra également son lot tout au long de la série. Les amateurs des Avengers en détacheront tout de même deux personnalités. Kisch, le tueur gazant peu fraternellement ses collègues, est incarné par Michael Mellinger, apparaissant dans l'épisode La trahison (Fraser). Dans un rôle hélas peu développé, on reconnaîtra surtout l'irrésistible Burt Kwouk que l'on retrouvera avec plaisir dans On ne vit que deux fois. Ce dernier fut évidemment Cato, le domestique ninja de l'inénarrable Inspecteur Clouseau, mais il apparut également dans Les cybernautes et Le quadrille des homards, où Honor Blackman participa pour la dernière fois à la série. Car bien évidemment, Goldfinger reste le James Bond pour lequel Honor Blackman aura quitté le Monde des Avengers ! Même si Pussy Galore (sic) apparaît quelque peu tardivement, on est ici véritablement au spectacle car dans la majeure partie de son rôle, Honor Blackman joue une partition très proche de Cathy Gale, entre caractère bien trempé, regard céruléen mais glacial, réparties cuisantes décochées sur un ton mordant, et bien entendu, maîtrise des arts martiaux ! En laissant agréablement vagabonder son imagination, on croit vraiment découvrir Cathy (qui a vécu une aventure similaire dans La cage dorée) en couleurs et avec une qualité d'image et de son sans comparaison aucune avec les débuts des Avengers… On se régale, d'autant qu'Honor Blackman, qui reste une des rares actrices non doublées du début de la série, donne une vraie flamme à son personnage et que la complicité avec Sean Connery apparaît éclatante. On remarquera toutefois que, dans la lignée du roman, le film souligne l'aspect « viril » du personnage, jusqu'à rendre celui-ci presque ambivalent, ce qui n'est pas du tout le cas de Cathy. L'actrice aurait été disposée à aller plus explicitement dans ce sens… Par contre, les supporters de Mrs Catherine Gale se désoleront de la voir finalement tomber si facilement dans les filets de 007, la femme libérée et affirmée se joignant alors docilement au troupeau des James Bond girls succombant infailliblement à la mâle attraction de leur idole. On reste déçu de la promptitude de ce retournement qui marque d'ailleurs la quasi fin de sa prestation. Déchue de sa précieuse particularité, elle n'aura plus à défendre un final des plus classiques, telle une Honey Rider. Hum… Par ailleurs, le Flying Circus (avec notamment des pilotes masculins aux perruques évidentes) parait tout de même bien ridicule, on lui préfèrera celui des Monty Python ! À côté de la figure de la James Bond girl principale, alliée de 007 et triomphant avec lui, Goldfinger, avec les sœurs Masterson, inaugure également la succession des personnages féminins au tragique destin que le valeureux chevalier mettra toujours un point d'honneur à venger. Chacune ne réalise qu'une courte apparition, mais valant des scènes remarquables au film. Si la superbe Shirley Eaton ne brille guère par son talent d'actrice, l'image de son corps doré reste un élément indissociable du film, comme de la série toute entière. On se demande néanmoins pourquoi il n'apparaît pas plus marqué par les affres de l'agonie… Ce n'est pas Shirley Eaton qui apparaît dorée dans le générique mais bien Margaret Nolan, modèle de charme populaire à l'époque, et qui interprète la petite amie de Bond au bord de la piscine de Miami. Le jeu de la top model Tania Mallet apparaît plus dense, à l'image de son personnage, ardent et tourmenté, annonçant Melina Havelock. La voir périr alors qu'elle est sous la protection de 007 reste une saisissante surprise, survenant de plus avec une rare brutalité. Une scène que l'on peut trouver plus forte que celle de la découverte du cadavre peinturluré. On regrettera vivement le refus de la mannequin de poursuivre une carrière au cinéma ! Le personnage de la bad girl, ou vile séductrice, reste par contre absent de Goldfinger ; rapidement esquissé dans Dr No, il ne fera véritablement son apparition que dans Opération Tonnerre. On n'oubliera pas de conclure cette rapide lecture du film en saluant une nouvelle fois la fabuleuse performance de Sean Connery. Impressionnant dans les scènes d'action comme dans les duels verbaux, il donne à son 007 un éclat incomparable, que cela soit dans l'excitation du péril aussi bien que... devant la beauté féminine. Le tout en lui conservant une classe très britannique tranchant avec l'ostentation vulgaire de Goldfinger. Il s'avérait ardu de dominer un film aussi riche et marqué par la rencontre de tant de talents divers mais il y parvient sans coup férir, s'affirmant bien comme l'authentique James Bond qu'il demeurera encore des décennies plus tard. Son association avec la DB5 reste l'icône absolue de cette période si enthousiasmante des tonitruants débuts de la saga. On remarque d'ailleurs que Q se réjouit que 007 acquière l'Aston Martin plutôt qu'une Bentley jugée avoir « fait son temps ». Décidément, après la captation d'Honor Blackman, cela sent la poudre ! Goldfinger marque bien la mise sur orbite d'une saga forgeant sa propre identité sous nos yeux, avec l'instauration définitive de ses canons. Musique, dialogues, mise en scène et décors, sans oublier les formidables comédiens, s'allient à la perfection. Si selon le goût de chacun, on pourra préférer la saveur d'espionnage classique rehaussé de Bons baisers de Russie et ses inégalables adversaires de 007, Goldfinger traduit cependant une authentique accélération, encore totalement exempte de la surenchère qui règnera dans les périodes ultérieures. Le film bénéficia du budget alors jugé important de 2,5 millions de dollars et fut le premier succès mondial de la saga. Il réalisa 125 millions de dollars de recette dans le monde, soit un ratio proche du record absolu. Rappelons qu'il s'agit bien sûr des dollars des années 60, et qu'il convient de multiplier par à peu près 7 pour en voir l'équivalent d'aujourd'hui. En France l'on compte par nombre d'entrées et le film y atteignit le total impressionnant de 6 675 099. Précisons d'ailleurs qu'il s'agit du nombre d'entrées maximum atteint par un James Bond dans notre doux pays, Casino Royale n'en obtiendra ainsi pas la moitié. La France adore tout particulièrement Sean Connery puisque les cinq plus grands succès rencontrés par la Saga correspondent bien aux films de l'Écossais. Grands moments de la Saga James Bond : Vous espériez que je parlerais?
Les plus belles courses-poursuites : Aston Martin DB5 4. OPÉRATION TONNERRE Scénario : Richard Maibaum et John Hopkins, d'après un scénario original de Jack Whittingham, d'après une histoire de Kevin McClory & Jack Wittingham, et Ian Fleming SPECTRE is a dedicated fraternity, whose strength lies in the absolute integrity of its members. Le 29 décembre 1965, les Londoniens, qui viennent de recevoir un superbe cadeau de Noël avec l'épisode Faites de beaux rêves (le 25) des Avengers, en découvrent un second : la quatrième aventure de 007 s'en vient dignement conclure l'année. On remarquera qu'elle précède de quelques jours une autre affaire de chantage de haut vol auprès du gouvernement de Sa Majesté, résolue heureusement par l'autre paire d'as du ministère, John Steed et Emma Peel, le péril biologique se substituant au nucléaire dans Silent Dust (le jour de l'An) ! Très symboliquement, le film avait été étrenné une semaine auparavant aux États-Unis, une première… Après les sommets atteints par Golfinger, Opération Tonnerre avait à relever un redoutable défi. Force est de constater qu'il n'y parvient qu'imparfaitement.. Pourtant le film débute idéalement avec la désormais traditionnelle séquence d'ouverture, particulièrement trépidante et rehaussée par d'heureuses retrouvailles avec l'Aston Martin DB5 et ses fabuleux gadgets. Le « jetpack Rockett belt » (ceinture fusée) utilisé par 007 demeure une image forte, d'ailleurs exploitée à satiété lors de la commercialisation du film. L'impression de véracité ressentie ne doit rien au hasard : l'objet existe bel et bien. Le premier modèle vient d'être conçu au début des années 60 par l'armée américaine en vue de transport de fantassins. Malgré diverses versions successives, le projet sera abandonné du fait de sa faible autonomie et de sa consommation ahurissante en carburant, mais l'appareil reste utilisé en sport extrême. Cependant, l'attrait majeur de cette introduction réside dans ce qui va devenir une des plus intéressantes particularités du film : la French Touch. Le charmant accent français de la correspondante française de Bond se révèle particulièrement chantant à nos oreilles et évoque irrésistiblement les performances équivalentes rencontrées dans les Avengers, notamment durant les saisons 2 et 3 où nos héros se montraient plus globe-trotters qu'ils ne le deviendront (Tueurs à gage, Combustible 23, etc.). De même, apercevoir le somptueux château Renaissance d'Anet (celui de Diane de Poitiers) ou la Tour Eiffel produit un effet similaire aux épisodes français des New Avengers. Nombrilisme chauvin ? On ne s'en lasse pas ! On note toutefois que la Perfide Albion jette un regard bien particulier sur l'Hexagone, comme déjà dans les romans de Fleming ou plus tard dans Dangereusement vôtre avec le pittoresque Aubergine (sic). Ainsi, le gendarme manifeste une rare obséquiosité face à Largo tandis que le redoutable Colonel Bouvard se montre d'un ridicule achevé en apparats féminins, même au cœur d'un remarquable et féroce combat. La moralité légère, forcément légère, de nos compatriotes se voit stigmatisée dans le film. François Derval (incarné par le solide Paul Stassino, admiré en pseudo Tito dans Le décapode) reste celui qui introduit le loup dans la bergerie par ses coucheries, tandis que Domino n'est au début du film ni plus ni moins que la cocotte de Largo avant d'entendre chanter les Anges (comme dirait l'incandescente Fiona) grâce au britannique 007… On atteint un sommet durant le Conseil du SPECTRE où un des « numéros » à l'accent français révèle (en VO) que le Quai d'Orsay a eu recours aux services criminels de l'Organisation. En VF, le Quai devient d'ailleurs pudiquement « les services spéciaux » sans plus de précision ! Les joies si particulières de l'Entente Cordiale… Le générique déçoit déjà quelque peu, mais non du fait de l'irrésistible et très évocatrice chanson - composée dans l'urgence par John Barry après le rejet de sa composition initiale - reconstituant le duo magique Barry-Shirley Bassey, avec une version du grand Tom Jones exploitant joliment le caractère tonitruant du mot Thunderball (déjà les Thunderbirds…). Il pèche en fait par les images relativement fades du jour. La série tente de varier ses effets en opposant l'élément aquatique au flamboiement doré de Goldfinger mais l'ensemble ressort bien plus terne, dépourvu du trouble captivant et érotisant du générique précédent. Néanmoins, le film continue sur sa forte lancée initiale, avec une excellente idée de scénario, celle de James Bond s'interposant par hasard dans le déroulement du complot du SPECTRE. Ce qui nous vaut un très amusant portrait de 007 en séducteur impénitent et un vrai suspense (denrée devenant plus rare par la suite), ainsi que qu'un affrontement encore larvé mais déjà prenant. La scène de « torture » de l'élongation trouvera d'ailleurs un plaisant écho dans Les anges de la mort des Avengers avec l'infortunée Purdey. Ce prologue particulièrement relevé nous vaut deux moments incroyablement intenses. C'est bien entendu d'abord le cas avec la scène devenue proverbiale du Conseil du SPECTRE où ce dernier scintille comme jamais de sa noire lumière d'Organisation planétaire du Mal. Blofeld et Largo s'y montrent impériaux tandis que le twist de la chaise électrique rajoute encore à l'horreur et à la folie diffuses de l'endroit. L'ensemble est porté par un décor une nouvelle fois magnifique et pertinent de Ken Adam, anxiogène à souhait. Cette scène trouvera un écho dans le lointain Quantum of Solace (elle y est, une nouvelle fois, la meilleure du film) comme dans toutes les parodies de 007 tant elle s'est hissée au rang de symbole de la saga. Tout comme dans Doctor No, on y relève une plaisante allusion à l'actualité avec la fameuse attaque du train postal (1963). On n'oubliera pas également la remise haute en couleurs des ordres de mission, qui outre un autre décor d'exception, permet de vérifier que les agents Double-Zéro sont bien neuf et que James Bond y occupe la septième place. À une certaine grandiloquence, on pourra néanmoins préférer la simplicité et le ton britannique du bureau de M avec ses pétillants duels amicaux. Comme un symbole, le film marque la fin du lancer de chapeau, le gimmick très ludique des premiers opus d'une saga qui commence déjà à en rajouter. Malheureusement, après ces débuts très prometteurs l'on déchante très vite. Richard Maibaum se montre mal inspiré en changeant totalement son fusil d'épaule par rapport à l'intrigue de Goldfinger, sans doute encore ici par volonté de renouvellement. Là où Goldfinger développait un savant puzzle dont la dernière pièce ne s'insérait qu'avant le grand final, Opération Tonnerre délivre trop rapidement tous les tenants et aboutissants, d'où un développement de l'intrigue trop prévisible et sans saveur. De plus, avec Goldfinger, on allait sans cesse de découverte en découverte, avec à chaque fois de nouveaux endroits mirrifiques à admirer dans la tradition des voyages extraordinaires. Ici, l'action se circonscrit bien vite en quelques points (hôtel, résidence de Largo, le Disco Volante...), avec des va-et-vient répétitifs jusqu'à en devenir lassants de 007 et Leiter. On éprouve rapidement l'impression de tourner quelque peu en rond. Certes, le talent de Ken Adam répond toujours à l'appel (la moindre chambre d'hôtel resplendit d'un design aussi élégant qu'épuré), mais la mise en scène de Terence Young apparaît également moins inventive et tonique que celle de Guy Hamilton, tout en demeurant certes efficace. Les scènes sous-marines, qui devaient certainement apparaître plus prodigieuses dans les années 60 qu'aujourd'hui, semblent bien trop longues. Le détournement de l'avion est interminablement exposé jusqu'à devenir un pensum, tandis que le combat sous-marin, lui aussi inutilement prolongé, se révèle une fausse bonne idée. Les mouvements y sont fatalement plus confus et fragmentés que dans un décor classique. On sent derrière tout ceci comme une volonté de pallier à la faiblesse de l'intrigue par une surenchère visuelle finalement indigeste. Il en va de même pour ces vues de fonds sous-marins et poissons exotiques dans la veine du Monde du Silence (on se demande parfois où est Jojo le Mérou). Si on rajoute encore les longues vues du carnaval filmées sans génie particulier, Opération Tonnerre finit par prendre comme un air de ces films de vacances interminables que l'on impose à des amis blasés et résignés. Ces quelques tares limitent le succès d'Opération Tonnerre mais ne signifient pas pour autant que l'on s'y ennuie, il s'en faut de beaucoup. De nombreuses scènes se montrent électriques, servies par les tranchants dialogues coutumiers à la série. 007 entame son jeu habituel de provocation envers son adversaire du jour, ce qui nous vaut une confrontation très pimentée avec Largo lors de l'impeccable scène du casino, mais aussi lors de la visite à sa résidence. On y retrouve toute la patte de Maibaum, suprême dialoguiste et ayant à l'évidence admirablement saisi tout le potentiel de ces personnages. Q poursuit son étonnante émancipation et inaugure ici ses interventions sur le terrain entre mauvaise humeur irrésistible à la Mac Coy et ping-pong hilarant avec 007. On avouera un coup de cœur total pour Desmond Llewelyn, incontestablement un des piliers majeurs de la série. À la lumière de cette scène digne des comédies les plus relevées, l'éclipse inexplicable de Q dans les deux premiers Daniel Craig (il est vrai que ce n'est pas l'interprète le plus rigolard de la saga) demeure encore et toujours un insondable mystère ! Enfin, si le combat sous-marin déçoit, il en va tout autrement avec la paroxystique course-poursuite, le final haletant dont le film avait besoin pour emporter l'adhésion. La scène cloue le spectateur sur son fauteuil, tandis qu'intelligemment Young renonce à toute chorégraphie dans le combat pour appuyer le chaos et la frénésie de l'instant. L'investissement massif qu'a exigé la mise au point du Disco Volante (qui glisse effectivement comme une soucoupe volante !) s'avère un placement des plus judicieux ! On observera également un souvenir agréable du bateau déjà si propice aux plongées sous-marines du Clan des grenouilles Avengeresque. Et puis la série peut toujours compter sur ses méchants, domaine où à l'époque elle s'affirme toujours incomparable (si ce n'est avec les Avengers !). C'est avec un plaisir sans mélange que l'on retrouve l'inégalable Blofeld. Trônant au-dessus de ses "sectateurs" comme une divinité antique dont il conserve encore l'aura mystérieuse, le Numéro 1 suscite toujours l'enthousiasme par sa folie glacée et son mépris total de toute humanité. Son apparition, comme il se doit, fait l'objet du plus grand soin, alors qu'elle renforce une nouvelle fois idéalement la saveur d'arc narratif de la période du SPECTRE. Après la scène du Conseil, son apparition lors du message adressé aux autorités paraît ainsi superbement mise en scène, avec son petit personnel le fixant en silence dans une pose totalement figée. On a l'impression de se retrouver devant les créatures décérébrées fixant la Mangeuse d'hommes (Steed s'en souvient encore) ou les autres entités de science-fiction de l'époque. L'effet est glaçant au possible et retranche plus encore Blofeld de l'humanité. Voir le viril et dominateur Largo s'empresser de lui répondre servilement au téléphone reste aussi un savoureux instant. Au défi de toute morale, on se réjouit franchement de voir cet adversaire hors normes demeurer hors de portée de 007, tout simplement pour éprouver le bonheur de le retrouver encore par la suite ! Emilio Largo prend toute sa place dans le panthéon des grands adversaires de Bond. Sa personnalité méditerranéenne, comme toujours somptueusement fantasmée chez Fleming, mêle le caractère impérieux des Césars, une cruauté sans borne, et une superstition à fleur de peau qui font de lui un méchant aussi délicieusement typé qu'irrésistible. Il manifeste également l'intelligence des plus vives et l'esprit pénétrant propres aux adversaires archétypaux de 007. Chacune des confrontations avec Bond se traduit d'ailleurs par des scènes électriques, savamment mises en scène par un Young ici à son affaire. La vitalité et la personnalité du grand acteur de genre qu'est l'Italien Adolfo Celi (L'Homme de Rio...) parachèvent le succès de ce méchant grand train, dont le célèbre bandeau est lui aussi devenu indissociable des parodies de Bond. On n'oubliera pas non plus ses fameux requins qui manifestent une certaine continuité dans le SPECTRE, après l'aquarium du Dr. No et les piranhas de Blofeld ! Vargas, malgré la présence de Philip Locke (bien connu des amateurs des Avengers pour jouer le Dr Pimble de Bons baisers de Vénus et deux autres rôles) ne développe par contre pratiquement rien, et doit beaucoup à son exécution originale au harpon par 007, un des très bons moments du film. Il ne ressort qu'à peine de l'indifférenciation pataude qui continue à caractériser la piétaille du SPECTRE. Mais malgré ce puissant duo masculin, on ne peut s'empêcher d'applaudir tout particulièrement à la prestation de Luciana Paluzzi dans le rôle flamboyant de Fiona Volpe, la véritable inspiratrice des bad girls et autres viles séductrices de la série. Elle fait réellement les délices d'un film qui lui doit d'irrésistibles moments. Il est faible de dire qu'elle a tout pour elle : perversité assumée, y compris sexuelle (avec un appétit aux confins de ce que permettait la censure de l'époque), jouissance du meurtre, esprit incisif et caustique, personnalité féminine enfin affirmée jusqu'au bout (contrairement à Pussy Galore), élégance raffinée de ces tenues bleues accompagnant à merveille sa rousse et abondante chevelure… Elle bénéficie du jeu ardent et étonnamment pertinent de Luciana Paluzzi dont on n'oubliera pas de sitôt les si grands yeux, rieurs et charmants, puis insondablement durs l'instant suivant ! Quelle femme et quelle actrice ! Jusqu'à camper un véritable alter ego de 007 vu à travers un miroir obscur. On ne boudera pas son plaisir de voir enfin 007 se faire moucher lors de l'échange d'amabilités de l'hôtel, et d'ailleurs lui-même apprécie en connaisseur ! Évidemment, leur rencontre sur la route constitue une deuxième énorme coïncidence scénaristique après le passage de la clinique, mais cette naïveté participe tellement au charme des années 60 que l'on ne s'en émeut pas, bien au contraire. La seule réserve provient du fait que les convenances du temps (et de l'œuvre de Fleming) la privent de toute capacité martiale, ce qui la condamne à une mort sans gloire, indigne de son statut et de sa performance. Un vrai coup de cœur, indubitablement ! Luciana Paluzzi participa avec le même succès aux Agents très spéciaux et croisa également OSS 117 ! Face à des adversaires de nouveau particulièrement relevés, 007 a fort à faire, mais parvient néanmoins à leur tenir la dragée haute grâce à l'irremplaçable Sean Connery. Celui-ci développe désormais une osmose totale avec son personnage fétiche et multiplie les morceaux de bravoure comme les dialogues percutants, toujours avec le même bonheur. Il intègre pour la première fois le fameux Gun Barrel, la scène devant être retournée du fait du passage aux écrans larges de la Panavision. On ne se lasse pas un seul instant de le voir interpréter à la perfection cet agent secret si peu secret et si british, décidément amateur de Don Pérignon 1955 après Goldfinger (effectivement un grand millésime). Il n'y avait que lui pour sublimer les invraisemblances du personnage, jusqu'à le rendre aussi irrésistible qu'excitant. La montée en puissance des gadgets qui commence à se ressentir (même si toujours ingénieux) ne lui fait pas encore d'ombre ; c'est bien la personnalité de Bond et l'aura de son interprète qui demeurent au cœur du film. Et ce n'est certes pas le Félix Leiter du jour qui lui portera préjudice, car après la classe et le charisme de Jack Lord puis la sympathie malicieuse de Cec Linder, nous avons droit ici au particulièrement falot Rik Van Nutter, qui rend le personnage à peu de choses près transparent. Le voir d'île en île faire le taxi en hélicoptère pour James Bond évoque irrésistiblement le Terry de Magnum, soit une référence absolue en matière de faire-valoir. De plus, la série tente d'utiliser la faiblesse que représente cette valse des interprètes de Leiter pour tenter de générer un pseudo suspense tout à fait inepte et transparent autour de l'identité de ce dernier, ce qui manifeste un cynisme assez misérable. Si Molly Peters interprète fort joliment l'infirmière particulièrement accueillante des débuts du film, on se souviendra surtout de la sculpturale Martine Beswick, déjà vue en féroce lutteuse gitane dans Bons baisers de Russie. Grâce à elle son personnage de Paula Caplan échappe à la triste condition d'utilité pour devenir un personnage à part entière d'Opération Tonnerre. Sa mort sordide, et son acceptation presque impersonnelle de la part de Bond, donne soudain au film comme une atmosphère d'Armée des ombres (avec son don du cyanure). Une bouffée glaciale décalée mais finalement fort bienvenue. On regrettera cependant que sa rencontre avec Fiona ne produise pas plus d'étincelles, car hélas abrégée par les ruffians du SPECTRE. À côté de ces deux lionnes, que penser de Domino ? Certes, Claudine Auger (Miss France 1958) est une authentique et très belle actrice (inexplicablement doublée en VF). Elle confère une vraie authenticité au personnage, et Domino, bien évidemment toujours élégamment vêtue de blanc et de noir sauf pour le carnaval, ne manque pas d'esprit. Première de nos compatriotes à apparaître dans la saga, elle renforce également l'agréable cachet français du film (tout en évoquant le très parisien André Claveau et le piano à bretelles), mais souffre terriblement du contraste avec Fiona (qui la considère d'ailleurs avec le dernier mépris), auprès de laquelle elle ne pouvait qu'apparaître terriblement fade et effacée. À propos du gadget imprudemment confié par 007, et bien entendu repéré en 30 secondes par Largo, on dira qu'il n'y a pas photo entre Domino et Fiona… Comme, entre bien d'autres attraits, James Bond symbolise aussi l'esprit série télé transposé au cinéma, on dira avec le vocabulaire ad hoc que – quoique nanti de nombreuses scènes pimentées et demeurant d'excellente facture, malgré un manque de matière – Opération Tonnerre apparaît comme un "épisode" de transition entre deux sommets de la saison Sean Connery : Goldfinger et On ne vit que deux fois. Avec un budget connaissant une foudroyante inflation (9 millions de dollars de l'époque, contre 2,5 pour Goldfinger), Opération Tonnerre restera longtemps le James Bond ayant connu le plus grand succès en valeur absolue (mais non en ratio) avec 141,2 millions de dollars de recettes mondiales. En France, il atteindra le total impressionnant de 5 734 842 entrées, soit tout de même près d'un million de moins que pour le précédent. Grands moments de la Saga James Bond : Extraction aérienne
Les plus belles courses-poursuites : Aston Martin DB5 5. ON NE VIT QUE DEUX FOIS Scénario : Roald Dahl The things I do for England. Après la diffusion de Qui suis-je ? (le 6 mai 1967), les Britanniques s'apprêtent à prendre leur mal en patience durant la trêve estivale des Avengers quand survient à point nommé On ne vit que deux fois, le 12 juin. De quoi passer un été sans soucis, mais non sans sushis. Pourtant, si On ne vit que deux fois va s'imposer comme l'un des plus flamboyants succès de l'ère Connery, il débute par une scène pré-générique particulièrement insipide. Alors que l'ensemble des films de cette première partie de la saga n'a que peu subi l'outrage des ans, revêtant une irrésistible patine sixties, il en va tout autrement ici. Ces maquettes de vaisseaux spatiaux accusent terriblement leur âge, et se démarquent à peine des séries B des années 50. À la même époque Star Trek faisait déjà nettement mieux ! On pourra formuler la même critique, certainement moins perceptible pour les spectateurs de cette époque, concernant des passages similaires ultérieurs. Décidément 007 et l'Espace ne font pas bon ménage, on en reparlera pour Moonraker. Pour parachever le tableau, on constatera une apparition très tardive de James Bond, avec cette pseudo exécution à laquelle bien entendu personne ne croit. Le héros n'y accomplit pas grand-chose, et cette scène, déconnectée de ce qui la précède, rompt la célèbre triple unité de temps, d'espace et d'action contribuant tant de coutume à cet exercice de style. Demeure tout de même la scène directement issue de l'imaginaire fantasmé de Fleming où la Grande-Bretagne se pose en arbitre entre USA et URSS, très amusante prise au second degré… On y note l'apparition assez piquante de George Murcell, l'inoubliable Needle de Meurtres à épisodes des Avengers ! Les amateurs de séries cultes britanniques reconnaîtront également parmi les policiers de Hong Kong Anthony Ainley, qui deviendra bien plus tard le Maître, l'archi ennemi du Docteur. On se situe néanmoins très loin des brillantissimes entrées en matière précédentes. Après ce cas d'école d'une mauvaise introduction d'un grand Bond, le film rebondit à l'occasion d'un générique particulièrement enthousiasmant. La voix mélodieuse de cette grande chanteuse qu'est Nancy Sinatra s'avère irrésistible. L'esthétique asiatique de l'ensemble, entre éléments graphiques japonisants et rougeoiement des volcans retrouvant les flammes troublantes de Goldfinger, introduit de plus l'un des atouts majeurs de On ne vit que deux fois : la découverte de l'Empire du Soleil Levant durant les lointaines années 60. En effet, après les allers-retours parfois lassants d'Opération Tonnerre, le film retrouve et amplifie le grand souffle du voyage manifesté par Goldfinger. Certes l'ambition marketing paraît pareillement évidente, 007 tâchant de se vendre au Japon après les USA, ces deux pays constituant, avec l'Europe, le socle incontournable du succès commercial. Mais là où Goldfinger, malgré le superbe final, traitait cette dimension sans guère de brio, avec des scènes américaines se limitant à des gangsters caricaturaux hors sujet et des plans de fast foods, On ne vit que deux fois présente l'intelligence et le talent de bâtir un axe majeur de son histoire. En parant à un effet catalogue grâce à une insertion très fluide de ces éléments dans le récit, et en bénéficiant de moyens imposants, le film multiplie avec bonheur les références à la culture japonaise traditionnelle. Le spectateur occidental a ainsi l'occasion de découvrir la chorégraphie et l'ambiance unique des combats de Sumo, mais également les pousse-pousse (bien connus des amateurs des Avengers !), les costumes urbains ou ruraux, de fête ou de travail, le saké (à 36,6°C précise l'incollable 007), les sublimes paysages et reliefs, les spectaculaires châteaux forts du XVIe siècle, l'habitat et l'art de vivre, les exotiques cérémonies du thé et du bain, les célébrations du Shinto et jusqu'aux Ninjas archétypaux, nantis de leur attirail mortel coutumier (les Brigades de Tigre, en quelque sorte). Le film annonce clairement la vogue Ninja de la décennie suivante ! L'ensemble demeure élégant et recherché, aux antipodes de l'avalanche de kitsch qui ensevelira Octopussy, et confère un cachet fascinant au film, à l'image du Japon éternel. Pourtant On ne vit que deux fois ne se limite pas à cette brillante approche, mais présente la suprême habileté de saisir le contexte contemporain d'un archipel situé à un moment charnière de son histoire. En effet, après l'ère Meiji, les années 60 voient le deuxième bond en avant du Japon. Celui-ci, qui a achevé sa reconstruction, se lance énergiquement à la conquête de la modernité et de la prospérité. Le film évoque avec succès les différents moteurs de cet envol : conglomérats industriels gigantesques, haute technologie et miniaturisation, constructions navales ou automobiles… Aki conduit ainsi une Toyota 2000 GT, première incursion marquante d'une voiture étrangère dans la saga, parfaitement justifiée par le contexte. Les traditions ancestrales et la quête effrénée de la nouveauté s'entremêlent au cours de superbes vues de la capitale, le film constituant de fait un passionnant documentaire sur les fondations de ce Néo Tokyo et de ce Japon technologique qui vont tant fasciner futurologues et auteurs de science-fiction au cours des décennies suivantes. De fait, les japonais s'en sortent admirablement bien dans la vision fantasmée du monde développée avec tant d'éloquence par Fleming, au point que l'on voit Tanaka donner la leçon à 007. Complicité insulaire ? Le Japon apparaît comme une Grande-Bretagne d'Orient et le film ressort grandi de cette évocation respectueuse, tranchant avec les clichés et l'ironie mordante habituellement manifestés envers les autres peuples. Nos amis Anglais ne sont d'ailleurs pas en reste avec, dans la grande tradition de Kipling, une belle galerie de ces magnifiques figures de l'Empire sachant s'adapter au vaste monde tout en conservant Mother England au cœur, ce qui nous évoque quelques vieux briscards des Avengers ! C'est d'abord le cas avec le toujours so british M et son aussi fidèle que pétillante secrétaire qui, dans une étonnante préfiguration des délirants QG de Mère-Grand, ont transporté meuble par meuble le décor de Universal Import & Export à bord d'un sous marin ! Si la scène se révèle particulièrement divertissante (avec une variation inattendue du fameux lancer de chapeau), on gardera également en mémoire l'étonnante prestation de Charles Gray en Anglais raffiné, acclimaté depuis longtemps à un Archipel qui le fascine, sans pour autant renoncer à sa propre culture. Un numéro autrement plus relevé que la version particulièrement édulcorée de Blofeld qu'il nous présentera dans Les diamants sont éternels. Mais cette éloquente vision du Japon n'entrave pas, bien au contraire, le développement d'une passionnante intrigue. Roald Dahl, ami de Fleming, et surtout connu pour ses contes pour la jeunesse, y démontre un authentique talent de conteur, sachant toujours maintenir l'intensité dramatique à l'incandescence, et une vraie faculté de dialoguiste, tant le film crépite d'échanges croustillants. On pourra regretter qu'On ne vit que deux fois se détourne si profondément de l'intrigue originale de Fleming - une première dans la saga - au profit d'un certain classicisme (le thème sera d'ailleurs repris quasi à l'identique dans L'Espion qui m'aimait). Il n'en reste pas moins que la mécanique paraît parfaitement huilée, alternant avec bonheur séduction torride, humour pétillant, et action trépidante, jusqu'au grand final de rigueur, ici particulièrement spectaculaire. Après tout, on aime aussi James Bond parce qu'il s'agit d'un rituel, et c'est toujours avec un plaisir intact que l'on en retrouve les figures imposées. De plus, le SPECTRE se positionne également ici dans son meilleur rôle, agent perturbateur dans le jeu des grandes puissances, après Bons baisers de Russie. Nouveau venu parmi les réalisateurs de la saga, Lewis Gilbert se montre d'entrée parfaitement à l'aise avec l'énorme machinerie que sont désormais devenus les James Bond. Il sait mettre en valeur tant les sublimes paysages nippons que les formidables moments d'action émaillant le récit : spectaculaire plan aérien de 007 luttant sur un toit, affrontement épique avec l'imposant chauffeur – interprété par Peter Fanene Maivia, authentique champion de lutte – hélicoptère enlevant la voiture des poursuivants, attaque de la base du SPECTRE (colossal décor réalisé à Pinewood), ou encore l'ébouriffant duel aérien de la petite Nellie. À cette occasion, la série réitère la manœuvre de la séquence d'ouverture d'Opération Tonnerre avec le pack ascensionnel, en utilisant derechef une véritable invention (ici de l'officier de la RAF Ken Wallis), tout en communiquant massivement sur ce passage. La scène, tournée en Espagne du fait des craintes des autorités japonaises, nécessita 85 prises et plus de 5 heures de tournage. Elle s'acheva lors d'un terrible accident, un membre de l'équipe technique ayant eu une jambe amputée après un choc avec l'hélice. Le montage de Peter R. Hunt montre une telle efficacité qu'il lui valut de mettre en scène l'opus suivant de la saga. Un regret toutefois : nous nous étions bien volontiers habitués à voir s'accroître le rôle dévolu à Q et à Desmond Llewelyn, mais cette scène si irrésistible se voit ici rapidement expédiée sous un vague prétexte d'urgence. De fait, le correspondant a été imparti à l'aspect purement mécanique de Nellie, au détriment des personnages, un choix peu judicieux. Par son trucage particulièrement évident, même selon les normes de l'époque, l'éruption volcanique finale détonne également, à moins de croire qu'un hommage ému a été rendu à Godzilla, Mothra, et consorts… Surtout Gilbert peut compter sur un Ken Adam en complet état de grâce. Ce grand artiste découvre de nouveaux horizons à explorer lors de son approche du style japonais. Cette fusion réalisée à la perfection entre son art si élégant et imaginatif et cette nouvelle source d'inspiration symbolise toute la fructueuse rencontre de l'Occident et de l'Orient lointain sous-tendant tout le film. On se situe dans un domaine totalement subjectif mais on peut à bon droit estimer qu'On ne vit que deux fois constitue le chef-d'œuvre de Ken Adam par l'incroyable feu d'artifice que constituent les nombreux somptueux décors qui nous sont révélés. Les bureaux de Tanaka incarnent ainsi une parfaite symbiose entre les deux Japons, traditionnel et moderne. Le repaire pompier et mégalomane de Blofeld tranche astucieusement avec le goût exquis de ces demeures, même les plus humbles. Et que dire de l'époustouflante base du SPECTRE ? D'ailleurs, l'entrée en scène de ce N° 1 devenant Ernst Stavro Blofeld alors qu'il se situait jusqu'ici en retrait constitue le second attrait majeur du film, d'autant qu'elle s'effectue via une grandiose idée de casting, le recrutement de ce grand acteur qu'est Donald Pleasence. La découverte de son visage, savamment amenée au fil du récit, était bien entendu attendue avec effervescence par les amateurs de la série, d'où un choix particulièrement crucial concernant l'interprète. Or Pleasence va marquer le rôle aussi définitivement que Sean Connery pour James Bond. Cet acteur vétéran, dont la carrière ne rend pas tout à fait justice à l'immense talent, a l'intelligence d'interpréter son personnage avec une démesure toute shakespearienne. Son Blofeld répond à toutes les attentes que l'aura de mystère nimbant l'individu avait suscitées. Ainsi, il se montre tel qu'en lui-même, totalement retranché de l'humanité par sa terrifiante cruauté, sa mégalomanie exacerbée jusqu'à la démence, mais aussi son intelligence supérieure et pénétrante, sans commune mesure avec les pantins l'environnant. Sa difformité physique accroît encore l'effroi et la fascination exercés par ce génie du Mal appelé à devenir archétypal, à l'inverse d'un Chiffre qui, ultérieurement, irritera plus qu'autre chose. Un adversaire hors normes pour James Bond, donc, d'autant que leurs électriques confrontations, aux cinglants dialogues, représentent des moments particulièrement marquants du film. On n'oubliera pas le regard hanté par la folie homicide de Donald Pleasence, qui installe d'entrée son personnage parmi les plus grands adversaires que le septième art nous ait offerts. On peut considérer que ni le pourtant très savoureux Telly Savalas, ni le sensiblement plus éteint Charles Gray, ni le trop intériorisé Christopher Waltz, n'atteindront de tels sommets. C'est d'ailleurs ce « premier » Blofeld qui deviendra la référence pour tous les pastiches de la saga ! D'une manière sans doute inévitable, mais néanmoins particulièrement marquée, Blofeld (Pleasence juste après Le Voyage fantastique...) phagocyte les autres méchants du film. Ceux-ci ont le plus grand mal à simplement exister, que cela soit le transparent Osato, cadre supérieur sans aucun cachet particulier (Dieu que Largo est loin), ou le trop rapidement esquissé Hans, dont l'affrontement avec 007 ne représente qu'une bien falote répétition des duels avec Red Grant ou Oddjob. Le pire demeure cependant l'affligeante Helga Brandt, aux poses et discours grandiloquents, totalement dépourvue de l'éclat sauvage d'une Fiona Volpe dont elle constitue un triste clone. L'actrice Karin Dor fait également bien pâle figure à côté de la flamboyante Luciana Paluzzi. Cette impéritie des adversaires se voit cependant plus que compensée par la prestation de Pleasence. Nous avons de plus à nouveau le plaisir de retrouver Burt Kwouk dans un environnement japonais technologique évoquant furieusement le Tusamo d'Harachi ! 007, comme son meilleur interprète, se montre très solide et dynamique, mortel, mais également charmeur et subtil. Le Dom Pérignon 1955 s'affirme bien comme son champagne favori ! Les films se succèdent sans que l'impact du jeu et de la personnalité de Sean Connery ne s'émoussent le moins du monde. Son envie de poursuivre l'aventure s'érode néanmoins et on comprend sans peine l'émoi suscité par l'annonce de son retrait ! D'une manière très habile, 007 se pose ici comme porte-parole d'un spectateur dont il partage l'enthousiasme et l'émerveillement ressentis en découvrant la civilisation japonaise à un moment clef de son histoire. À cet égard, son amicale rencontre avec un Tanaka symbolisant la nature duale du Japon, entre tradition et ère nouvelle, se révèle très savoureuse, où une ironie malicieuse précède une solide complicité. Outre un maquillage japonais passablement ridicule, le seul élément affligeant demeure ce machisme revendiqué et plastronnant dans lequel s'émulent les deux compères. C'est notamment le cas avec l'aréopage de jeunes « collaboratrices » de Tanaka qui nous vaut un concours de lourdeur se voulant divertissant mais, de fait, consternant de bout en bout. L'élément féminin du film bénéficie cependant d'un charmant, mais déséquilibré, duo d'agents secrets. Aki (Akiko Wakabayashi) paraît particulièrement irrésistible, d'autant qu'avec sa modernité, son élégance haute couture, sa bondissante voiture de sport, et sa vaillance doublée de malice, elle n'est pas sans évoquer quelque peu une certaine héroïne de série télé connaissant alors une forte popularité. Son duo avec 007 nous vaut de nombreuses scènes d'action, mais également une romance finalement véritablement touchante. Si la scène purement ninja de son assassinat se révèle remarquable, on regrette sa disparition au profit d'une certes ravissante mais plus jeune et effacée Kissy (Mie Hama). Elle présente l'intérêt d'ouvrir une fenêtre sur le Japon populaire des petites îles (elle est doublée dans les scènes aquatiques par Diane Cilento, alors épouse de Connery), mais demeure tout de même bien mièvre. On se gardera bien d'énoncer qu'à Emma Peel succède Tara King (même si on le pense un peu) car les deux femmes demeurent encore soumises au mâle, et même au pays des arts martiaux, ne combattent pas. La prestation de Kissy durant le combat final fait d'ailleurs peine à voir, y compris avec le pitoyable alibi du revolver. Chez le 007 des années 60, la femme demeure faible et dépendante de la protection masculine. Cet aspect, bien à rebours de l'évolution des mœurs, et au moment où triomphent les Avengers, reste bien le seul élément quelque peu détonnant d'une époque Connery si enthousiasmante par ailleurs. Les deux actrices sont authentiquement japonaises, un choix diplomatique de la production qui devait ardemment négocier pour obtenir l'autorisation de filmer plusieurs sites culturels importants… Lewis Gilbert affirme également que les actrices présentes en Europe ou en Amérique étaient trop émancipées pour ces rôles ! Le caractère plus effacé de Kissy est en grande partie dû aux difficultés d'apprentissage de l'Anglais de Mie Hama qui firent évoquer son retrait par la production. L'actrice affirma alors qu'après avoir ainsi perdu la face, elle se verrait contrainte au suicide ! Et elle resta donc dans l'équipe… Ancienne employée des bus de Tokyo, elle devint une star du cinéma japonais, au point d'être surnommée la « Brigitte Bardot nippone » ! Dans les années 70, elle se consacra à la télévision où elle anima un talk-show très populaire. Akiko Wakabayashi connut une carrière météorique dans le cinéma japonais, où elle fut également la vedette féminine de l'inénarrable King Kong contre Godzilla (1962, avec également Mie Hama), avant d'épouser un riche avocat… Karin Dor et Tsai Chin Ling (la charmante chinoise de l'ouverture) connurent également de très belles carrières, la première principalement en Allemagne et la seconde au théâtre (elle est d'ailleurs diplômée de la RADA !). On ne vit que deux fois se découvre comme un sublime voyage à la rencontre d'une fascinante civilisation située à l'autre bout du monde, mais connaissant, tout comme l'Occident, une formidable accélération au cours de cette extraordinaire décade des années 60. Le spectacle devient une totale réussite grâce à un épique récit d'aventures, un héros porté par son interprète idéal, et la révélation réussie de son plus grand ennemi. Une immense réussite, même à l'échelle particulièrement relevée d'une période Sean Connery dont le constant renouvellement de la qualité ne cesse de forcer l'admiration. On ne vit que deux fois bénéfice d'un budget à peine supérieur à celui d'Opération Tonnerre (9,5 millions de dollars des années 60, contre 9 pour le film précédent), mais connaît, hélas ! un moindre succès commercial, quoique toujours imposant, avec 111,6 millions de dollars de recettes, contre 141,2 millions. La France suit la même tendance, avec 4 489 249 entrées contre 5 734 842. Grands moments de la Saga James Bond : Petite Nellie
Les plus belles courses-poursuites : Toyota 2000 GT 6. LES DIAMANTS SONT ÉTERNELS Scénario : Richard Maibaum & Tom Mankiewicz — The scorpion. Le 30 décembre 1971 (soit deux semaines après les États-Unis, auxquels ce film est à nouveau principalement adressé), le public anglais découvre les nouvelles aventures de 007. Un frisson particulier les accompagne car Les diamants sont éternels marque le grand retour de Sean Connery dans le rôle qu'il a créé ! Après une première image très japonaise, peut-être pour relier le film à On ne vit que deux fois plutôt qu'au fiasco précédent, la séquence d'ouverture introduit efficacement le revenant avec des scènes très ludiques dissimulant son visage jusqu'à une révélation en pleine lumière. Le passage nous rassure également sur le retour du mâle héros après le falot Lazenby, puisque 007 n'hésite pas à user d'une violence marquée envers une damoiselle pour parvenir à ses fins (Denise Perrier, mannequin chez Playboy et unique Miss Monde française en 1953 : la scène est d'ailleurs tournée au Cap d'Antibes) ! La brillante démonstration se conclut par une très efficace scène de combat contre des tueurs du SPECTRE (ornés bizarrement de casques rappelant Le mort vivant des Avengers) et une apparente élimination de Blofeld. James Bond, le vrai, est de retour, et il n'est pas content. CQFD. La réapparition de l'acteur s'accompagne de celle des grands noms d'une saga cherchant à capitaliser sur son acquis après la terrible secousse d'Au service secret. Guy Hamilton, réalisateur de Goldfinger, revient donc aux commandes en amenant avec lui tout son savoir-faire. La mise en scène du film en sort dynamisée et autrement électrique que lors de l'opus précédent. Les scènes d'action se succèdent à un rythme plus soutenu, avec souvent une vraie efficacité à la clef : fuite trépidante en LEM sur fond de désert, frappe orbitale, attaque cette fois spectaculaire de la base de Blofeld (de nouveau héliportée comme pour rattraper le coup après le bâclage précédent), etc. La scène la plus relevée dans ce domaine demeure tout de même l'affrontement sans pitié dans l'ascenseur, dont la férocité et l'exiguïté évoque le fameux duel avec Red Grant. Les amateurs des Avengers n'en seront pas surpris car ils y reconnaîtront Joe Robinson, l'imposant lutteur et cascadeur ayant formé Honor Blackman pour les nombreux combats de Cathy Gale. Son imposante présence se retrouve dans l'épisode des Avengers : Le 5 novembre, et ils écrivirent ensemble le Honor Blackman's Book of Self Defense en 1965. Robinson achève ici fort joliment sa carrière à l'écran, avant de se consacrer à l'enseignement des arts martiaux. Outre le sens du tempo et de l'image d'un Hamilton sachant également toujours aussi bien mettre en valeur les sublimes paysages traversés, Les diamants sont éternels s'appuie également sur un autre retour, celui de Ken Adam. Même s'il n'atteint pas ici les sommets de On ne vit que deux fois, on admire comme toujours son sens raffiné et audacieux du design, dans des décors portant indubitablement sa griffe (le bureau de Blofeld, la villa de Whyte...), mais aussi originaux comme ce sublime satellite, bien supérieur à sa reprise de Meurs un autre jour, cette ahurissante suite d'hôtel très Las Vegas, ou cette baignoire si glamour où 007 prend son bain (on retrouvera l'idée dans l'épisode Hollywood des X-Files). Le spectateur ne peut qu'admirer la propension d'Adam à décliner son style au gré des pays traversés par 007 avec toujours un rare impact. Classicisme renouvelé également en matière musicale, avec un John Barry toujours à la baguette, mais surtout avec les retrouvailles avec Shirley Bassey, déjà interprète de Goldfinger et qui se révèle encore merveilleusement inspirée ici. L'imagerie du générique allie à merveille les éléments féminins traditionnels avec la splendeur de diamants somptueusement filmés. L'inexpugnable Richard Maibaum se voit confirmé à l'écriture des aventures d'un agent secret hors normes qu'il connaît à la perfection, notamment par des dialogues toujours percutants. S'il décline effectivement avec maîtrise les différents rituels de la série, on lui reprochera un certain manque de timing déjà manifesté dans Au service secret, où le temps d'exposition de l'histoire se révélait beaucoup trop long. Ainsi la première partie de l'histoire, la remontée parsemée de cadavres le long de la filière des trafiquants, où les diamants se repassent selon un modèle proche de L'homme au sommet, commence par divertir, mais finit par lasser tant elle se prolonge. Quand elle s'achève à l'arrivée aux laboratoires de Whyte pour laisser place au segment principal de l'intrigue, une partie trop conséquente du film s'est déjà écoulée. Mais, davantage encore, Maibaum, et le nouvel arrivé Tom Mankiewicz (qui manifestera le même penchant sous l'ère Moore) vont précipiter l'histoire dans un travers qui viendra, hélas ! atténuer l'impact du film et son éclat : la trop grande inclinaison vers la comédie, parfois jusqu'aux confins de la parodie. Si l'humour a toujours fait partie intégrante des James Bond, il ne constitue qu'un élément du cocktail subtil caractérisant les opus réussis de la saga, aux côtés de l'action, du suspense ou de la figure de l'adversaire. Or ici il bondit au premier plan, au point d'imprégner et de dénaturer ces autres rouages du film. Ainsi, une nouvelle fois après Goldfinger, la série s'en va creuser le riche sillon américain, tant le public de ce pays est devenu une composante primordiale de son succès. Le fils du grand Joseph Mankiewicz fut désigné pour assister Maibaum pour ne pas répéter la vision cavalière de l'Amérique aperçue dans Goldfinger. Mais paradoxalement, Les diamants sont éternels va plus loin que les caricatures rapidement esquissées de ce précédent film, en offrant certes une véritable immersion américaine, mais cette tentative se voit grevée par cette omniprésence d'un humour tantôt plaisant, tantôt pesant, qui va l'empêcher d'atteindre l'intensité de la découverte japonaise de On ne vit que deux fois. Les gangsters rencontrés relèvent de portraits sarcastiques proches des Tontons Flingueurs, divertissant mais hors sujet ici. Le fabuleux décor des illuminations nocturnes de Las Vegas aurait pu faire l'objet d'une intense poursuite en voiture à la Bullitt, mais si les cascades spectaculaires ne manquent pas, on tombe dans une surenchère où Hamilton doit de plus gérer un shérif et des adjoints confinant au burlesque. On ne dira pas que tout ceci fait songer à Shérif fais-moi peur (on le pensera néanmoins), mais on reste en deçà de ce que le film aurait pu nous offrir. Whyte apparaît comme une caricature vite irritante de Howard Hughes, d'autant que Jimmy Dean en fait vraiment inutilement des tonnes, sans aucune nuance. Le passage du véhicule lunaire se voit précédé d'un passage que l'on dirait issu du Lone Gunman, suggérant fortement que les alunissages furent en fait réalisés en studio… Le Leiter du jour verse lui aussi dans l'excès, avec un rapprochement très net vers les officiers supérieurs de police qui se multiplieront dans les séries policières des années 70. Par contre on appréciera ce crématorium si délicieusement typique, dirigé par l'onctueux et ondoyant Mr. Slumber (!), qui n'est pas sans rappeler un certain Mr. Lovejoy et l'agence Cœur à Cœur ! Il est incarné par David Bauer dont le ton très anglais ne surprend pas car il a réalisé une grande partie de sa carrière en Grande-Bretagne après avoir fui le MacCarthysme. Il apparaît ainsi dans de nombreuses séries anglaises (dont cinq participations au Saint). Dans les Avengers il fut l'Évêque, le dirigeant de Bibliotek et patron de Lois Maxwell dans Les petits miracles, mais aussi le Russe Ivanoff faisant l'acquisition de Mrs. Peel dans Maille à partir avec les taties ! Les seconds rôles ne sont pas en reste, avec un M manifestant un agacement particulièrement marqué face à un 007 encore plus irrespectueux que de coutume, sans doute un peu trop. Q est en roue libre, testant notamment des bagues truquant les bandits manchots, tandis que Miss Moneypenny se retrouve déguisée en douanière sans réelle justification. L'humour trop expansif dérègle quelque peu cette atmosphère si attractive des opus précédents. L'apparition de Laurence Naismith (le fameux juge Fulton d'Amicalement Vôtre) symbolise cette évolution qui se trouvera parfaitement incarnée par son complice Roger Moore au cours des années 70, mais qui jure quelque peu dans l'intensité sans égale observée jusqu'ici durant l'ère Connery. Cette distanciation, encore hors de propos dans ce contexte, se retrouve hélas chez les adversaires, la fascinante galerie de portraits découverte jusqu'ici débouchant sur d'improbables personnages à l'humour pesant et dépourvus de toute aura. Messieurs Wint et Kidd nous valent des personnages d'homosexuels caricaturaux au-delà de toute nuance (on s'étonne de ne pas les voir beurrer des biscottes) et de surcroît très répétitifs. Même si leurs meurtres originaux, mais aussi inutilement sophistiqués (quelle idée de laisser 007 dans un pipeline sans rien prévoir au-delà !), divertissent, on se situe néanmoins à des années-lumière de l'impact d'un Red Grant ou d'un Oddjob. Ils auraient été excellents dans Chapeau Melon (Meurtres distingués !), mais l'univers de James Bond n'est pas le Monde des Avengers ! Le film paraît bien verser franchement dans l'auto-parodie. Ce sentiment se voit renforcé par les certes inattendues catcheuses Bambi et Thumper, mais dont les quelques préliminaires de combat se résolvent par une baignade déconcertante de facilité. À quoi rime tout cela et où sont les passionnants combats de jadis ? L'humour est bien entendu acceptable, voire désiré, sauf s'il devient envahissant au point d'en occulter tous les autres aspects que l'on est en droit d'attendre d'un James Bond. Plus encore, le film atteint une véritable déchéance avec Blofeld, ce Génie du Mal occupant une place si marquante dans la saga et qui nous fascinait tant depuis Bons baisers de Russie. Il avait déjà subi une première altération dans Au service secret, mais l'abattage de Telly Savalas permettait de maintenir un intérêt chez le spectateur, tandis que Charles Gray nous en offre un portrait sans grandeur aucune. Le si inquiétant adversaire s'est mué en un individu vaguement précieux et mondain, plus ridicule que menaçant. L'histoire des clones ne se traduit que par quelques effets théâtraux des plus faciles tandis que l'on observe un nadir avec cette vision d'un Blofeld grotesquement grimaçant et travesti. Avec les sémillants Wint et Kidd, il ne manquait que cela pour achever de donner une image des plus particulières d'un SPECTRE qui n'est plus que l'ombre de lui-même. Cette fois, il est vraiment temps de baisser le rideau ! Fort heureusement, Blofeld connaîtra un crépuscule plus digne de lui dans Rien que pour vos yeux, avant de le retrouver dans le reboot de l'ère Craig avec Spectre. Cette dérive du film vers le pastiche se retrouve enfin chez 007 lui-même, ce qui accompagne d'ailleurs idéalement un manque de passion flagrant chez Sean Connery, si irrésistible jusqu'ici. Revenu dans la saga suite à un vaste contrat avec United Artists (avec notamment deux autres films à venir, tandis que Connery offrira généreusement son considérable cachet à une œuvre écossaise), il s'agit visiblement plus pour l'acteur d'une nécessité à accomplir avec professionnalisme que d'un film où s'investir pleinement. Son absence rejoint la désinvolture manifestée à plusieurs reprises par 007, qui semble souvent plus en goguette que lancé dans une quête périlleuse, aidé en cela il est vrai par la faible inquiétude véhiculée par les ennemis du jour. Si le manque patent de conviction fait que Connery ne suscite pas un 007 aussi enthousiasmant que naguère, il demeure néanmoins cent coudées au-dessus de l'indigent Lazenby, consolidant le film sous cet angle. Son talent et son professionnalisme demeurent, l'empêchant de sombrer dans le désabusement. Il n'en reste pas moins que sa dernière apparition dans la saga (on ne fera pas état de l'insignifiant et faisandé Jamais plus jamais) résonne comme le combat de trop… Si l'atmosphère déjà seventies s'étendant déjà sur le film ne convient guère au 007 de Sean Connery, définitivement inscrit dans les années 60, il en va tout autrement pour sa partenaire féminine, la très tonique Tiffany Case, incarnée par la sculpturale Jill St John. Le manque de célébrité de celle qui succède à Diana Rigg s'explique par l'aura de Sean Connery, il n'est certes plus besoin de recourir à une béquille féminine ! Même si elle souffre toujours du machisme ambiant, elle participe plaisamment à l'action (éventuellement à contresens), et pas seulement par les nombreuses tenues affriolantes se succédant ! Tiffany incarne avec entrain toute l'amoralité mais aussi l'énergie et la joie de vivre de Végas. Jill St-John apporte un vrai naturel à son personnage, la parfaite associée de 007 pour un tel film, elle chez qui la part si importante dédiée à l'humour ne dépare pas, bien au contraire. Jill St-John connut par la suite une carrière essentiellement limitée aux séries télé, mais défraya la chronique en multipliant les amants et maris célèbres et fortunés. En 1990, après huit années de vie commune, elle épousa Robert Wagner, rencontré sur le tournage du pilote de L'amour du risque, avant de prendre sa retraite de comédienne. Jill St-John connut enfin un grand succès d'édition avec des livres de recettes de cuisine ! Sur un registre similaire, mais encore plus accentué, on n'oubliera pas la très craquante Abondance de la Queue (sic), jouée par l'irrésistible - et richement dotée par la nature - Lana Wood (sœur cadette de Nathalie Wood, dont curieusement, Jill St John épousa le veuf, et qui connut une belle carrière dans les séries télévisées américaines). Si la délicieuse cocotte de Casino verse franchement dans le burlesque lors de son plongeon olympique, l'apparition, dans des circonstances peu claires, de sa dépouille dans une seconde piscine manifeste un bel humour noir. Cette lugubre image, efficacement filmée, fait rejaillir par contraste le manque de densité du film. Film très plaisant, Les diamants sont éternels constitue cependant davantage un pastiche qu'un authentique 007, de par la trop grande orientation vers l'humour ainsi que son interprète principal ayant visiblement déjà l'esprit ailleurs. S'il pèche surtout par l'inanité des adversaires du jour (triste agonie pour le SPECTRE) dans une série ayant connu tant de triomphes dans ce domaine, il réussit néanmoins à distraire. Alors qu'un cycle touche à sa fin, le départ définitif de Sean Connery laisse 007 orphelin et la série dans la plus grande interrogation, alors même que la tentative de clonage s'est révélée un échec patent. La poursuite de la saga nécessite absolument un second souffle par l'exploration de nouvelles voies. Mais, fort heureusement, un chevalier à la lumineuse auréole, déjà formé à la rude école des voitures de sport et des casinos mondains, est sur le point de voler à son secours… Le retour temporaire de Sean Connery aura permis à la série de renouer avec un succès ayant pâli lors du Au service secret de Lazenby. Alors que le budget ne connaît qu'une augmentation modérée (de 6 à 7,2 millions de dollars), les recettes bondissent par contre en avant, avec 116 millions contre 64,6 précédemment. En France, le film réunit 2 493 739 entrées. Grands moments de la Saga James Bond : Combat dans l'ascenseur
Les plus belles courses-poursuites : Ford Mustang 7. NON-OFFICIEL - JAMAIS PLUS JAMAIS Scénario : Lorenzo Semple Jr, Dick Clement (non crédité), Ian La Frenais (non crédité), d'après une histoire de Kevin McClory & Jack Whittingham, et Ian Fleming Le 07 octobre 1983, le public new-yorkais découvrait Never Say Never Again, les nouvelles aventures cinématographiques de l’illustre James Bond. Il en ira pareillement pour les Londoniens, le 14 décembre, au Warner Cinema de Leicester Square, au West End. Mais une troublante confusion accompagnait les foules : la sensation étrange et persistante que le 007 avait déjà été diffusé cette année-là, en juin. Qu’était-il donc advenu ? Que Never Say Never Again demeure l’unique James Bond non produit par Eon (hormis l'adaptation de Casino Royale dans la série Climax! de 1954 et le quasi psychédélique Casino Royale de 1967) s’explique par affrontement juridique opposant Eon à Kevin McClory. Durant les années 50, Ian Fleming s’était en effet associé à l’auteur irlandais Kevin McClory (ainsi qu’à Jack Whittingham) afin de développer des récits d’espionnage destinés à être adaptés au cinéma. Or, en 1961, Fleming s’arroge l’un de ces pré-scenarii sans en référer à ses partenaires et l’adapte en un roman qui sera Opération tonnerre. McClory en appelle à la justice et, en 1963, il est reconnu codétenteur des droits relatifs à une adaptation au cinéma. Au passage, il se voit également attribuer une paternité partagée à propos de Blofeld et du SPECTRE, ce qui devait largement expliciter l’éclipse ultérieure de ceux-ci dans les productions Eon (du moins jusqu'en 2013, date à laquelle la MGM en réacquit les droits, d'où leur retour dans le film Spectre). En effet, la production du film Opération Tonnerre apporte son lot de nouvelles querelles judiciaires, retardant le tournage jusqu’à ce qu’un accord soit trouvé entre Eon et McClory. Outre un volet financier, il est prévu que McClory attende au moins dix ans avant de produire un remake du film, finalement sorti en 1965. Les années 70 voient donc McClory se lancer avec énergie dans son grand projet, malgré diverses autres vicissitudes. Une double opportunité lui permet de parvenir à ses fins au début de la décennie suivante : d’une part le soutien acquis de la Warner Bros et celui, davantage déterminant encore, de Sean Connery. En 1971, celui-ci délaissait le smoking de 007, allant jusqu’à promettre à son épouse qu’il ne le revêtirait plus jamais, d’où le clin d’œil du titre, comme le confirme Roger Moore dans son livre écrit pour le Cinquantenaire de la saga (James Bond, 2012). Or si elles furent très loin de ressembler à une traversée du désert, les années 70 ne permirent pas à Sean Connery de rallier de telles cimes de popularité. Ce sont surtout les participations de luxe (Le crime de l’Orient Express, Un pont trop loin, Bandits, bandits...) et les succès davantage critiques que publics (Zardoz, L’homme qui voulut être roi, Outland...) qui furent au rendez-vous. Outre l’apport médiatique, la survenue de Connery, très investi, va signifier un précieux apport d’expérience, même s’il ne parvient pas à pallier aux faiblesses de la production technique. Celle-ci s’avérera passablement chaotique, même si McClory a pris la précaution de s’entourer de professionnels chevronnés, dont Irvin Kershner (L'Empire contre-attaque, 1980) à la mise en scène ou Douglas Slocombe à la photographie. Nanti de tels renforts et d’un budget clairement supérieur à l’Octopussy d’Eon (36 millions de dollars contre « seulement » 27,5), Never Say Never Again, pouvait espérer rivaliser pleinement avec son rival, le semestre séparant la sortie des deux films n’en émoussant en rien la rivalité. Toutefois, force est de constater qu’une relative déception prévaut. La reconduction, quasiment à l’identique hormis emplacements et prénoms, du scénario de Thunderball, tout comme la présence de Sean Connery lui-même, obligent à une comparaison directe avec ce film. Or cette perspective écrase littéralement l’entreprise de McGlory. Quoique moins marqué, le différentiel de qualité avec Octopussy s’affirme patent. La perte de l’étiquette Eon s’accompagne en effet de conséquences allant au-delà du simple conditionnement marketing, voire du pur et simple snobisme. Sans doute davantage que pour nombre d’autres sagas cinématographiques, les James Bond s’apparentent dans leur essence à un rituel (en ce sens, elle avoisine d’ailleurs les séries télévisées). Auprès de son public, l’absence du fameux Gunbarrel (manquant seulement dans Eon dans les trois premiers Craig) ou du mythique indicatif induisent une perte d’identité marquée, conférant dès son début un goût d’ersatz au film. Le phénomène s’avère d’autant plus marqué qu’inexplicablement Never Say never Again ne tente même pas de se battre avec les armes demeurant légalement à sa disposition. Ainsi, il restait possible d’au moins insérer une séquence pré-générique, permettant de se raccrocher, même partiellement, au cérémonial identificateur. Mais non, la projection débute par un lancement définitivement standard, voire banal. Malgré Connery, la magie demeure donc largement absente, un handicap que le film éprouvera par la suite les plus grandes difficultés à combler. Par ailleurs, Eon n’implique pas seulement une marque, mais aussi tout un bagage technique et humain. Les énormes machineries constituées par les tournages des James Bond demeurent parfaitement maîtrisées par une équipe quasi familiale, se retrouvant souvent de films en films, jusqu’à acquérir de précieux automatismes et développer une émulation permanente. Les souvenirs de Roger Moore, distillés dans son livre James Bond, explicitent parfaitement cette mécanique impeccablement rodée au fil du temps, autorisant chacun à donner son meilleur. Or l’équipe hétéroclite réunie à grands frais par McClory va a contrario éprouver les pires difficultés à œuvrer avec efficience, multipliant les incidents de production, au grand agacement de Connery. L’inefficacité et les retards divers finissent par grever considérablement le budget. On aboutit au paradoxe selon lequel, nanti d’un budget plus conséquent, Never Say Never Again apparaît à l’écran bien davantage fauché aux blés que son rival Octopussy. Aussi kitsch soit ce dernier, en terme de travail de production il rejoint les standards des James Bond, tandis qu’ici on se retrouve parfois face à une série B. Malgré la splendeur du yacht ou d’une villa à peine entrevue, plusieurs décors apparaissent réellement indigents, notamment la grotte de l’affrontement final, au carton-pâte repérable jusqu’au risible. Le casino manque également de classe, on dirait un hall de gare. La comparaison entre le salon bourgeois de la réunion du SPECTRE et le design splendide de la salle de Thunderball se montre également impitoyable. Sean Connery est le protagoniste, mais les décors évoquent Roger Moore, celui du Saint. Cette impression de production au rabais se voit accentuée par le manque d’énergie et de créativité d’une mise en scène souvent paresseuse (rien à voir avec Thunderball), filmant platement aussi bien les paysages que Sean Connery. Irvin Kershner ne semble avoir guère investi de créativité dans le projet, mais résulte toutefois parfaitement professionnel pour les scènes d’action. Celles-ci demeurent le plus souvent percutantes, même si parfois un peu trop prolongées (notamment le duel de la clinique). La poursuite motorisée dans ce qui ressemble fort au vieux Menton s’impose comme clou du spectacle. On regrettera toutefois le si bref affrontement final contre Largo, vraiment trop vite expédié. Thunderball avait quelque peu abusé des scènes sous marines, nous nous voyons ici réduits à la portion congrue, mais les extérieurs restent le plus souvent magnifiques. La Riviera réussit décidément particulièrement aux héros anglais ! Never Say Never Again subit également des ans l'irréparable outrage. Plusieurs éléments le situent clairement dans les 80’s, grande décennie, mais dont les éléments distinctifs résultent aujourd’hui particulièrement datés. Il en va ainsi des mélodies de Michel Legrand, agréables à fredonner même si ne relevant en rien de James Bond, mais qui revêtent aujourd’hui un charme suranné. Les tenues d’aérobic de Domino nous évoquent Véronique & Davina (Gym Tonic est alors en pleine gloire) tandis que celles de Fatima nous remémorent que la tonitruante décennie ne pactisa jamais avec le concept de demi-mesure. Le plus embarrassant réside néanmoins dans la scène du jeu vidéo. Extraire James Bond de ses casinos pour le propulser dans l’univers révolu des jeux d’arcades autorise quelques placements de produits (Centipede !), mais paraît hors sujet. On sait qu’il n’existe pas de plus sûr moyen de ringardiser un film que de coller à la modernité technique du moment, par nature évolutive. Le jeu de Largo se profile aujourd’hui comme archaïque et simpliste, illustrant que, nonobstant la nostalgie, l’art vidéo ludique a depuis formidablement progressé. Thunderball souffre moins de cet aspect, car situé dans ces Sixties constituant les Royaumes de l’Aventure, une Atlantide perdue dont l’entrain, la fraicheur, et la vitalité se bonifient avec le temps. Optant pour le kitsch et l’exotisme de fantaisie, Octopussy évacue le problème en se situant d’emblée dans l’Ailleurs. La présence de Sean Connery représente bien entendu un atout pour Never Say Never Again, d’autant que sa conviction tranche avec la paresse de la mise en scène. Évidemment l’âge est là, et il faut quelques minutes pour s’habituer à un maquillage évident. Mais l’acteur conserve son brio et parvient à porter à bout de bras une bonne partie du film, du moins celle des passages dialogués. On remarque toutefois que son James Bond ne renâcle pas devant les gags, accentuant le versant humoristique entrepris lors de Diamonds are forever. Que cela soit pour compenser une moindre disponibilité pour les scènes d’action ou pour coller à l’ère du temps, le film rejoint ici partiellement la tonalité d’Octopussy. De fait, Sean Connery développe un jeu avoisinant désormais celui de Roger Moore : jouer sur la présence physique ne fonctionne qu’un temps, tandis que l’humour distancié pâtit nettement moins de l’érosion des ans. Si 007 se montre divertissant grâce à un Connery optimisant bon nombre des meilleures répliques du film, ses alliés se réduisent malheureusement à des silhouettes. La Miss Moneypenny du jour s’avère particulièrement transparente et M se réduit à un numéro colérique dont on a rapidement fait le tour. Algernon se montre plus amusant, mais ne marque guère les esprits pour autant. Dès la rencontre à l’aéroport, Leiter se limite aux poncifs inhérents au Noir sympathique et débrouillard, faire-valoir classique du héros blanc. Le film y va également fort sur les clichés inhérents aux barbaresques arabes, sur ce point-ci il reste encalminé sur les pires aspects des récits des années 60, alors que nous nous situons deux décennies plus tard. Quoiqu’anecdotique, l’apparition d’un jeune Rowan Atkinson amuse ; on se plait à penser qu’il s’agit du début de la carrière de Johnny English. Kim Basinger ne démérite pas en Domino et le duo formé avec Connery se montre assez complice pour fonctionner. L’actrice brille d’une sensualité qui va faire merveille dans les années à venir, jusqu’à lui assurer une place de choix dans le panthéon des 80’s. Toutefois, elle se heurte au même écueil que Claudine Auger en 1965 : la faiblesse du rôle, Domino se limitant à une énième damoiselle en détresse tout au long de son parcours, hormis le twist final, efficacement rendu ici. Never Say Never Again n’apporte aucune évolution non plus à ce poncif des années 60, tandis qu’avec Octopussy, et peut-être davantage encore, la piquante Magda, le film de Roger Moore se situe pour le coup bien davantage dans la modernité. Outre Connery, ce sont bien les antagonistes du jour qui sauvent le film de la vacuité. Klaus Maria Brandauer a l’intelligence de ne surtout pas tenter d’imiter Adolfo Celi et de créer un Largo totalement différent. Davantage complexe et psychotique, il fascine par sa nature duale, son apparente cordialité rendant plus terrifiante encore l’émergence de sa folie. L’acteur dévore l’écran et électrise enfin le film, les confrontations avec Bond ou Domino résultent très réussies. On ne comprend par contre pas pourquoi il se voit doté du titre emblématique de Numéro 1, une coquetterie n’apportant rien. Never Say Never Again choisit d’incarner Blofeld avec un Max von Sidow privilégiant l’humour à l’effroi. Même tronquée à l’écran, sa prestation demeure plaisante, même s’il ne fait pas oublier le Blofeld de 1965, quasi déifié en divinité du Mal. Barbara Carrera nous régale d’une incandescente Fatima Blush, valant plusieurs scènes pimentées au film. On aurait toutefois apprécié davantage de confrontations avec Largo et un final moins outré de la dame. A travers une scène laborieusement écrite afin de pouvoir placer le gadget du stylo, on la fait basculer dans une folie finalement pathétique, alors que la glaciale Fiona Volpe avait su jusqu’au bout rester maîtresse d’elle même. Fatima ne lui aura pas en définitive contesté le titre de meilleure femme fatale de la saga, mais qui pourrait rivaliser avec Luciana Paluzzi ? Malgré ses maladresses et sa mise en scène passe-partout, Never Say Never Again évite l’ennui grâce à ses extérieurs, ses combats, un Connery très impliqué, et un percutant duo de méchants. On reconnaîtra à son crédit quelques innovations pertinentes, avec des déplacements géographiques limitant l’impression d’enchâssement de l’action parfois ressentie devant les allées et venues de l’opus de 1965, ou le raccourcissement de passages fastidieux, comme le vol des ogives. Mais il demeure bien plus regardable comme un potable blockbuster des 80’s que comparé aux standards des 007. Le public ne s’y trompa pas et, tout en apportant un succès certain au film, préféra nettement Octopussy, avec 183,7 millions de dollars de recettes contre 160 pour Jamais plus jamais, alors que le budget de ce dernier demeurait supérieur. L’honneur était sauf pour Eon et son statut non remis en cause. Moore et Connery restèrent sagement à l’écart de la confrontation, un somptueux cachet soulageant toute douleur d’amour propre. Mais Connery a beau cligner de l’œil en fin de film, il ne revêtira plus jamais le smoking de 007, hormis pour une participation vidéo ludique. A contrario, la victoire obtenue ne compte certainement pas pour rien dans la décision d’attribuer une septième fois le rôle à Roger Moore, pour A view to a kill. Grands moments de la Saga James Bond : Pas de deux
Les plus belles courses-poursuites : Yamaha XJ 650 Crédits photo : Sony Pictures.
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