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 saison 1 saison 3

Collection Alfred Hitchcock

Années 70


1. FRENZY
(FRENZY)

L'intitulant du nom de son projet mort né « Frenzy », Sir Alfred allait enfin retourner à Londres où il n'avait plus tourné depuis « Le grand alibi ». Mais le film qu'il y tourna était le genre de thriller qu'il faisait à ses débuts, la seule nouveauté typique des années 70 étant la nudité. Le scénariste Anthony Schaffer lui proposa un projet sensiblement proche du roman. Bien qu'il fut acclamé par la foule et accueilli en héros, le réalisateur était déçu par Londres .Il pensait être revenu sur les lieux de son enfance, mais ce monde là n'existait plus.

Très vite, il allait déchanter sur nombre de points : il rencontra Michael Caine qu'il envisageait pour le rôle de Rusk, le tueur, mais Caine refusa de tourner dans le film. Le Maître songea alors à Barry Foster (qui sera en 1975 la vedette de la série policière « Van Der Valk »). La première scène se veut désopilante montrant un homme politique proclamer que l'eau de la Tamise est désormais pure de toute infection, alors qu'apparaît un cadavre de femme nue, victime du tueur à la cravate. Sir Alfred fait son apparition au milieu des badauds.

Dieu merci, Sir Alfred ne nous a pas laissé « Frenzy » comme testament. Vexé par l'échec de « L'étau ». « Frenzy » était un projet de film qu'il nourrissait de faire depuis des années sous la forme de film genre nouvelle vague. Jugé peu rentable par les studios hollywoodiens, le projet était dans les cartons. Hitchcock très tôt a aimé des réalisateurs comme Bunuel ou Murnau, puis les Truffaut, Antonioni. Il avait envie de faire un film d'art et d'essai.

En 1971, Hitchcock lit « Goodbye Picadilly, farewell Leceister Square », un roman d'Arthur La Bern publié en 1966 dans lequel il lui semble reconnaître un peu son film « The lodger » dont il n'a jamais réussi à faire un remake parlant tout au long de sa carrière. Il décida donc d'utiliser cette occasion à la fois pour moderniser l'histoire de Jack l'éventreur, mais aussi pour retrouver sa chère Angleterre natale.

Pour le rôle de Blaney, le héros accusé à tort , il engagea Jon Finch, chose qu'il regretta vite. Finch avait tenu des propos déplacés sur Hitchcock avant le tournage, disant qu'il était « sur le retour », et rancunier, le maître l'ignora tout le reste du film, disant même au chef opérateur de ne pas faire de gros plan sur lui.. Il est vrai que Jon Finch est un piètre choix : le comédien qui aurait pu nous épater et nous émouvoir en jouant les « Richard Kimble » accentue ici le côté looser du personnage dans le roman, et en fait une sorte de gigolo qui ne suscite pas la compassion.

On se console avec Alec Mc Cowen qui campe l'inspecteur Oxford dont l'épouse s'est mise à vouloir faire découvrir à son mari toute la cuisine française. Ces scènes désopilantes où le mari remet discrètement dans la marmite les poulpes, crustacés ou tripes à la mode de Caen pimentent le film d'un humour typiquement anglais.

C'est cependant une piètre consolation car Barry Foster est loin d'égaler Anthony Perkins et bien qu'il fut le « chouchou » du maître pendant le tournage et le revit même après, dès que le spectateur le voit il sait qu'il est l'étrangleur à la cravate. La scène du viol de l'ex femme de Bainey, Brenda (Barbara Leigh Hunt) sera la première scène de « seins nus » dans un film d'Hitchcock, et exposera le film à un « public averti » pour sa sortie en Amérique.

D'ailleurs, en allant au-delà de ses fantasmes, en montrant l'autre face de Janet Leigh dans la douche, Hitchcock ne nous suggère plus le sexualité. Et en cela, il ressemble à n'importe quel metteur en scène des années 70. Pour tourner la scène dégradante où Barbara Leigh Hunt a ses vêtements arrachés avant d'être violée et étranglée, il ressentit une gêne profonde et fit évacuer le plateau du maximum de techniciens.

Hitchcock fut angoissé sur le tournage par l'attaque cardiaque qui paralysa sa femme et du s'absenter. Jamais plus il ne tournerait loin d'elle, « Complot de famille » et son dernier projet non abouti « Short Night » devaient être tournés à Hollywood. Il demanda à Henry Mancini (« La panthère rose ») de composer la musique qu'il rejeta pour confier la partition à Ron Goodwin. Nous y avons sans doute perdu au change.

Beaucoup de gens ne retinrent du film que le meurtre de Brenda, le gros plan sur la langue pleine de bave qui coule et cette manière de montrer le meurtre de façon crue déçut les admirateurs d'Hitchcock, lui qui savait jouer de la caméra et suggérer.

Que reste-t-il alors de « Frenzy » ? D'abord cette scène typiquement hitchcockienne montant Rusk se battre avec des sacs de pommes de terre dans un camion pour récupérer un insigne qu'il a perdu sur l'une de ses victimes, Babs (Anna Massey), la dernière petite amie en date de Blaney. Il y a aussi le mouvement de caméra à la Murnau (réalisateur du premier « Nosfératu » que Sir Alfred vénérait) lorsque Rusk et Babs montent jusqu'à l'appartement de Rusk. Le crime a lieu cette-fois derrière la porte et nous devinons ce qui se passe.

Le réalisateur retrouva Elsie Randolph qu'il avait dirigée dans « A l'est de Shanghaï » en 1931 et lui confia un rôle de réceptionniste d'hôtel.

Le film aurait gagné à nous laisser plus longtemps douter de l'identité de l'étrangleur et à nous faire supposer que Blaney aurait davantage de mal à s'en sortir. Au lieu de cela, tout suspense est éventé. A noter qu'au début du film, nous retrouvons la silhouette de Jeremy Young, plusieurs fois invité dans les avengers (« Interférences », « Le club de l'enfer », « Le monstre des égoûts ») dans le rôle d'un détective.

« Frenzy » est un film l'on aurait aimé aimer, puisqu'il est l'une des deux incursions du maître dans les années soixante dix, mais le résultat nous laisse sur notre faim. Cette-fois, le petit budget ne réussit pas le miracle de « Psychose ». Hitchcock n'est cependant pas tombé dans le piège de faire un film d'horreur à la Hammer. Mais son obstination à vouloir faire un remake de « The lodger » l'a incité à inventer un Jack L'éventreur des années 70 peu convaincant.

Bien évidemment, si Michael Caine avait accepté de jouer Rusk, le film aurait gagné en qualité (On pense au rôle de Caine dans « Pulsions » de Brian De Palma). La ridicule coiffure frisée de Barry Foster est une suggestion du maître. Il fit lire à Foster de nombreux livres sur Neville Heath, le célèbre Serial Killer des années 40.

Le film fut tourné aux studios Pinewood, qui avaient abrité les tournages des James Bond, mais Sir Alfred n'aima pas l'endroit. Il trouvait Londres trop moderne et inconnu pour lui.

Parfois, Hitchcock laissait la caméra à son assistant réalisateur Colin Brewer pour boire une vodka orange pendant l'heure du thé avec son directeur de la photo Gilbert Taylor et Barry Foster. Ce qu'il n'aurait jamais fait du temps de Grace Kelly, Ingrid Bergman et James Stewart. En voyant « Frenzy », on se dit que si Hitchcock était né plus tard, il aurait été un réalisateur comme un autre.

On retrouve dans la distribution Jean Marsh (vue dans le prégénérique des Persuaders » « Minuit moins huit kilomètres »), Billie Whitelaw (« L'impasse aux violences »), Clive Swift (« Le songe d'une nuit d'été » avec Diana Rigg), Vivien Merchant (la femme de l'inspecteur Oxford). C'était à l'époque un film sans stars, Jon Finch étant seulement connu pour le « Macbeth » de Polanski, et Alec Mc Cowen était surtout un comédien de théâtre.

Hitchcock avait entendu les bruits disant que c'était son dernier film, son « dernier tour de piste » et qu'Universal ferait une grosse campagne publicitaire même si le film était moyen. Il fut heureux de l'accueil des anglais et des foules qui se massaient pour voir le tournage en extérieurs. Le film se termine par un coup de théâtre peu crédible, l'inspecteur Oxford entendant une sorte de voix intérieure rappelant les cris de Blaney jurant son innocence, et il se met à enquêter sur Rusk d'une façon un peu tirée par les cheveux.

La scène finale où Blaney s'évade et croit tuer Rusk (il frappe en fait le cadavre de la dernière victime de L'étrangleur) fait la part belle à l'inspecteur qui voit surgir Rusk et sa malle. « Vous n'avez pas mis de cravate aujourd'hui, Monsieur Rusk ». Ce trait d'humour typiquement hitchcockien conclut le film.

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2. COMPLOT DE FAMILLE
(FAMILY PLOT)

Pour ce qui allait être son dernier film, Alfred Hitchcock souhaitait au départ une histoire d'espionnage, mais les scripts que lui proposait le studio ne l'enthousiasmaient pas Les deux célèbres producteurs de séries TV Richard Link et William Levinson eurent l'idée de lui adresser un roman de Victor Canning, "The Rainbird pattern" publié en 1972. Hitchcock trouvait le roman trop tragique (Tous les personnages y meurent) et il proposa au scénariste Anthony Schaffer de lui donner de l'humour et de la distance.

En septembre 1973, Schaffer trouvant le livre difficile à adapter jeta l'éponge et le maître confia le scénario à Ernest Lehman, le scénariste de « La mort aux trousses ». Il lui demanda de transposer l'action en Californie alors que le livre se déroule en Angleterre et le projet commença sous le nom de « Deceit ». Le tournage pris du retard en raison d'un malaise cardiaque du maître en août 1974. Après une opération et la pose d'un peacemaker, Hitchcock fut sur pied en janvier 1975 et se sépara de Lehman avec lequel il avait des différends constants, même s'il reste crédité au générique.

Alors que le casting se profilait, il était question de donner le rôle principal à Jack Nicholson mais Sir Alfred du se rabattre sur Bruce Dern, qui avait joué le marin et amant brutal de la mère de « Marnie ». Universal insistait pour que Liza Minelli joue la voyante mais le réalisateur lui préféra une actrice de théâtre, Barbara Harris. Pour rappeler un peu la célèbre Patty Hearst, qui défraya la chronique, fille de milliardaire qui enlevait des gens, il choisit l'actrice Karen Black. Enfin, le studio Universal voulut lui imposer Roy Thinnes qui n'a jamais été prophète en son pays, la série « Les envahisseurs » n'ayant pas été rediffusée de 1968 à 1992.

 Bien que Thinnes ait joué un nazi dans « L'odyssée du Hidenburg », Sir Alfred le trouva peu convaincant et prit en catastrophe William Devane. Il en fut également déçu. Le choix initial d'Hitchcock était John Houseman pour le rôle du diamantaire kidnappeur, mais l'âge de l'acteur empêcha de concrétiser ce vœu.

Ayant quasiment tout enlevé du livre de Canning, même le titre, boudant Lehman qu'il interdisait de studio et se désintéressant très vite de Karen Black, le maître se concentra sur Barbara Harris et Bruce Dern. Il ne leur rendit pas la vie facile en refaisant faire souvent les prises de Dern, et en décidant contre l'avis du studio de préférer la lumière pour la caméra à l'obscurité.

Le film grouille d'allusions à ses précédentes œuvres (la corniche de « La main au collet », la voiture sans frein comme le Cary Grant ivre de « La mort aux trousses »). Il ne faut pas attendre de « Family Plot » un suspense glauque à la « Psychose », mais rechercher plutôt vers « Qui a tué Harry ? », une comédie qui déconcerta le public.

Le film serait une comédie policière banale sans le génie du maître qui sait toujours où placer sa caméra. Il fait d'une histoire pas passionnante au départ un brillant exercice de style, éventant de nombreuses surprises (On voit Devane cacher les diamants, son butin habituel, dans un lustre). Bruce Dern devient un frégoli, passant du chauffeur de taxi crasseux au détective en smoking et plein de classe, même si le physique de l'acteur n'est pas à son avantage. Barbara Harris n'a rien de glamour après toutes les blondes Ingrid, Grace, Vera, Tippi et représente une femme assez humble et enjouée, visiblement contente de jouer sous la direction de qui vous savez.

Karen Black (qui faillit retrouver Roy Thinnes comme partenaire puisqu'elle avait joué avec lui dans l'épisode des « envahisseurs » « la rançon ») a eu le tort de vouloir rendre son personnage plus sympathique et de changer ses costumes. Hitchcock la réprimanda et ne lui parla plus, mais dans la scène finale, on voit que son personnage hésite à tuer le couple et offre même à son complice joué par William Devane de laisser sa part de diamants s'il le fait.

Contrairement à ses habitudes, Hitchcock se désintéressa de la musique qui fut confiée à John Williams pas encore célèbre comme aujourd'hui (Il venait juste de faire « Les dents de la mer ») et ajoutée une fois le film terminé. Pour l'anecdote, ayant vu le film à sa sortie en 1976, je sus qu'il n'existait aucun vinyle de la partition de « Complot de famille ».

L'intrigue est volontairement simple : Une voyante, Blanche Tyler (Barbara Harris) et son amant George Lumley, chauffeur de taxi (Bruce Dern) recherchent pour le compte d'une vieille dame l'héritier fils naturel écarté d'un héritage, celui des Rainbird. L'héritier est Arthur Adamson alias Eddie Shoebridge, un assassin et un kidnappeur (William Devane) aidé d'une complice nommée Fran, aux inquiétantes lunettes noires dans la première scène du film(Karen Black) et pensent que les deux larrons sont à leur poursuite pour leurs crimes alors qu'ils veulent leur donner l'héritage de la vieille dame Julia Rainbird à Adamson.

Contrairement au livre, qui se terminait par un carnage général, pas de sang dans le film. Le ton est à la comédie policière et Hitchcock à presque 76 ans a retrouvé la forme. Ceux qui comme votre serviteur débutent la vision de l'œuvre par ce film sont loin d'imaginer les affres de « Vertigo », « Psychose » et « Les oiseaux ».

Le film est une succession de quiproquos, d'enlèvements, de tentatives ratées de meurtres contre le couple Harris-Dern. Dans le film, la riche Julia Rainbird est incarnée par Catherine Nesbitt que le réalisateur connaissait depuis l'époque du muet. Elle avait joué dans un film écrit par sa femme, Alma Reville Hitchcock. Elle donne à son personnage à la fois un côté un peu excentrique mais aussi serein.

Le seul personnage menaçant (qui trouve la mort) est le complice de l'héritier diamantaire, Malonay, joué par Ed Lauter.

Le film se regarde avec plaisir même s'il marque parfois quelques longueurs. Il fait l'objet d'une campagne publicitaire sans précédent et suit le retour triomphal de Sir Alfred en 1971 en Angleterre avec « Frenzy », après trois films mal accueillis : « Marnie », « Le rideau déchiré » et « L'étau ». A chaque tournage, Hitchcock avait l'habitude (ou faisait semblant) de s'endormir derrière sa camèra déconcertant l'équipe. En réalité, il était vigilant, mais pensait toujours au prochain film.

Pour Hitchcock, la conception du film était le moment le plus passionnant. Malgré son admiration pour plusieurs comédiens (Grace Kelly, Ingrid Bergman, James Stewart et Cary Grant), les acteurs n'étaient pas, pour lui, la clef de la réussite d'un film. Après avoir souffert de ne pas avoir le director's cut sous l'ère David O Selznick, alias DOS, Hitchcock était devenu son propre producteur. Et il engageait pour chaque film de nombreux scénaristes, n'hésitant pas à imposer des réécritures incessantes par différents auteurs. Ayant été déçu par Paul Newman sur le tournage du « Rideau déchiré », et agacé par les exigences financières de Cary Grant, ayant détesté Kim Novak dans « Vertigo », on peut supposer qu'il eut la paix avec les interprètes de « Complot de famille ».

Le prochain film pour lui était « Short Night » dont il avait acheté les droits en 1970, sur la désertion de l'agent double anglais George Blake, et il pensait pour son casting à Sean Connery ou Robert Redford, ainsi qu'à Liv Ullman. Il rencontra aussi Clint Eastwood qui rêvait du rôle principal. Les scénaristes étaient légion : réconcililé avec Ernest Lehman, il lui associa Hilton Green, Robert Boyle, Albert Whitlock, Norman Llyod, puis David Freeman et Thom Mount dans une seconde ébauche.

Hitchcock était déçu, à juste titre, de l'accueil mitigé que recevait « Complot de famille » qu'il avait conçu comme un film léger. En mai 1979, Hitchcock, souffrant de polyarthrite, du cœur et d'une dépression nerveuse, annonça au patron de Universal qu'il abandonnait le tournage de « Short Night ».

Ironie du sort : dans « Complot de famille », Hitchcock fait son apparition traditionnelle derrière la vitre de la porte du bureau des actes de décès.

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Crédits photo : Universal Pictures.

Captures réalisées par Patrick Sansano