Le Chien des Baskerville (1959) Résumé : La mort brutale de sir Charles Baskerville semble relié à une malédiction familiale. L’héritier, sir Henry, n’y croit pas mais la lande de Dartmoor paraît véritablement receler une menace mortelle. Critique : La Hammer pouvait difficilement passer à côté de ce chef-d’œuvre de la littérature britannique à la sombre atmosphère fantastique mais elle l’adapte à sa sauce gothique et parfois sensationnaliste. Le film montre la méthode de déconstruction/reconstruction qu’utilise la Hammer dans ses adaptations. C’est ainsi frappant concernant les personnages. Le docteur Mortimer, par exemple, ne ressemble en rien au personnage du roman : c’est un colosse qu’on aurait plutôt vu dans celui de Barrymore ! Plus frappant encore, le personnage de Frankland. Dans le roman, c’est un procédurier aigri et au caractère de cochon. Ici, c’est un pasteur (!), entomologiste par passion, extraverti, volubile et porté sur le sherry (le porto). Il apporte certes de la légèreté et une dose d’humour comme les Excentriques de Chapeau melon mais on est perplexe sur cette figure qui ne colle pas vraiment avec l’atmosphère angoissante. En fait, ce personnage est loin d’être inutile mais il ne réalise rien par lui-même. L’ouverture également, qui illustre la légende racontée par Mortimer, insiste sur l’atmosphère de violence et de décadence à travers les lumières, les gestes et la voix. Les ruines d’une abbaye permettent de dramatiser la scène de la mort de la jeune fille et de l’incarner dans un espace clos. Le personnage de Stapleton et celui de sa fille Cécile sont aussi très reconstruits. Il faut tout voir pour apprécier la trahison que réussit Peter Bryan. Le premier est un rustre mal dégrossi et sec dont chaque phrase semble brutale. Ewen Solon ne rend pas du tout sympathique le personnage. Quant à Cécile, sa première apparition est plutôt « légère » mais on parle ici de sa tenue et de sa posture. Marla Landis apporte la brève touche d’érotisme maison qui est d’autant plus savoureuse qu’elle porte des vêtements bleus et rouges ; couleurs traditionnellement attribuées à la Vierge Marie ! A côté, le personnage de sir Henry est nettement conventionnel et Christopher Lee le joue bien, avec talent mais il est clairement en second rôle. L’atout majeur de cette adaptation assez fidèle sur le fond, c’est sa touche gothique. Si le manoir Baskerville est conforme à l’image du manoir britannique d’une aristocratie avant tout rurale (et image d’une Angleterre éternelle), ce n’est finalement qu’un détail à côté de ce traitement gothique. Le mot est à prendre au sens artistique et littéraire. On parle de « roman gothique » pour parler de cette veine littéraire qui met en jeu des éléments médiévaux et exagère les caractères. L’ouverture du film, revenons-y, est dans cette veine avec cet aréopage de fins de races. Une ouverture qui manifeste la force de Terence Fisher dans l’art de l’ellipse et de la suggestion car nous ne verrons ni le coup mortel ni l’attaque du Chien. Mais ce sont surtout les décors qui relèvent de cette veine et distingue la Hammer. Le décor de l’abbaye que nous avons admiré brièvement au départ sert aux retrouvailles de Watson avec Holmes. C’est un bel effet gothique dans la plus pure tradition des ruines issues de la Réforme anglicane et dont la littérature « gothique » (pour reprendre l’expression de Maurice Lévy) a su faire ses choux gras au tournant des XVIIIe et XIXe siècles. La Hammer se place ici comme héritière de ce « romantisme noir ». Si le décor de la lande est minimaliste et souvent faux, le décor de l’abbaye même en plein jour résonne beaucoup plus juste et que ce lieu autrefois saint ait été profané par une entité maléfique est bien sûr tout sauf un hasard. Terence Fisher n’était peut être pas anticatholique ni athée mais il a su tout au long de sa carrière utiliser avec réussite le cadre chrétien pour en faire un décor horrifique et symbolique. Ici, il y a eu profanation. Ailleurs, un savant se prendra pour Dieu. Le Chien des Baskerville c’est aussi l’histoire d’un duo : Holmes et Watson. La Hammer réussit un coup de maître avec le choix des interprètes et la manière de représenter les personnages. En Sherlock Holmes, Peter Cushing est à l’aise d’entrée. La démonstration attendue de ses dons d’observation au départ confère un petit côté cocasse car l’acteur joue avec une légèreté drolatique. Admirons le sourire qu’André Morell donne à Watson : il souligne que le bon docteur s’amuse de voir un autre se faire avoir ! Il montre surtout la parfaite entente entre les deux hommes. Peter Cushing varie ses expressions à merveille. On l’a vu léger, il se fait grave (à l’hôtel où il sauve une première fois sir Henry) voire impitoyable (contre le Chien). Le charisme de l’acteur éclate dans la scène où Holmes retrouve Watson dans les ruines de l’abbaye. Sa survenue est aussi excellemment mise en scène avec une certaine dramaturgie et la cape qu’arbore l’acteur entre en résonnance avec la mythologie Hammer. Tout au long du film, André Morell aura, de son côté, composé un Watson plutôt fidèle à son modèle canonique. Loin de tout comprendre, il n’est pourtant pas un benêt (Holmes n’a pas besoin de lui raconter un roman pour qu’il saisisse ce qu’implique le portait disparu) et il inspire le détective par ses commentaires. En outre, il montre un grand courage, une fidélité et une loyauté remarquable. Sans doute un des meilleurs Watson du cinéma. Anecdotes :
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