Lost Highway (1997) Résumé : A Los Angeles, Fred Madison, saxophoniste, est pris de doutes sur la double vie de sa femme Renée. Fred commence à être témoin de visions étranges. Le couple reçoit des cassettes vidéo de leur propre maison, filmée à leur insu… Critique : David Lynch met quand même cinq années à se remettre de Twin Peaks - Fire walk with me, son film consacré à la figure mythique de Laura Palmer, pour tourner en 1997 son nouveau film Lost Highway. Après avoir traversé la souffrance de Laura Palmer, Lynch débute une nouvelle période de sa filmographie où il fait vivre aux spectateurs le voyage cauchemardesques de personnages aux frontières de la mort et de la folie, avec Lost Highway, Mulholland drive et Inland Empire. Une véritable trilogie, dont Los Angeles est le point commun le plus évident. Los Angeles est bien sûr la ville des illusions, à travers la production cinématographique (glamour dans Mulholland drive et Inland Empire, pornographique dans Lost Highway). Une ville luxuriante, faite de clichés (le film noir et les gangsters sont convoqués dans Lost Highway, notamment dans une scène où le panneau Hollywood apparaît de manière insistante à l’arrière-plan). Une ville où nous sommes sans cesse détournés par les apparences factices, et derrière lesquelles se cachent de sombres réalités. La trilogie « Los Angeles » de Lynch a aussi comme point commun de perdre le public plus que ne le faisaient les premiers films du cinéaste, à travers des récits schizophréniques où les personnages principaux ne sont jamais clairement établis – les héros et héroïnes s’y dédoublent, changent de nom, de caractère, ou bien disparaissent, dans ces trois films. Le scénario de Lost Highway est écrit par David Lynch avec Barry Gifford, le romancier à qui l’on doit le livre Sailor & Lula (il avait également participé à la mini-série Hotel room de David Lynch en 1993). Sorte de film miroir et masculin du suivant Mulholland drive, Lost Highway conte une histoire de meurtre et de péché vue de manière onirique. Le film semble nous faire entrer dans l’esprit d’un homme dérangé et schizophrène. Néanmoins, la grande abstraction du film laisse ouvert le champ des interprétations les plus subjectives. Il est d’ailleurs peut-être le film de Lynch le plus « ouvert », chaque nouveau détail venant contredire telle ou telle interprétation. Lost Highway joue en effet d’une perpétuelle hésitation entre l’explication psychanalytique (le film comme hallucination d’un criminel délirant, enfermé dans sa cellule de prison), et l’explication ésotérique, mystique – une histoire de possession, obtenue par l’intermédiaire d’un Homme Mystérieux doté de grands pouvoirs. Le film montre l’aboutissement esthétique de Lynch. La photographie est de toute beauté, dans tes tons ocres, gris et noirs profonds. Elle est signée Peter Deming, dont c’est ici la première collaboration avec David Lynch, avant Mulholland drive en 2001 et la nouvelle saison de Twin Peaks en 2017. La qualité du travail sonore y est aussi exceptionnelle, venant créer des effets de terreur et d’oppression grandissants. Lynch utilise le son tel un illusionniste, comme dans cette scène incroyable où l'Homme Mystérieux prétend à Fred être au même instant chez lui. Fred en a la preuve en téléphonant à son propre domicile : l'Homme Mystérieux lui répond alors, tout en étant en face de lui. Une présentation de ses "pouvoirs" diaboliques, qui annonce le futur dédoublement de Fred. Au final, Fred sera à son tour magicien : à la fin du film, comme revenu dans le temps, il s'appelle lui-même à son interphone et prononce la mystérieuse phrase qu'il avait entendue, au début du film, "Dick Laurent is dead". Le film devient alors une spirale infernale, où le temps est peut-être à interpréter selon des conceptions orientales plutôt qu'occidentales (l'Homme Mystérieux parle d'ailleurs de l'Orient à une reprise dans le film). Les films de David Lynch contiennent bien souvent un "trauma" originel, à l'origine du mal qui traverse ses films. Ici, une première scène traumatisante semble être celle de l'acte sexuel manqué de Fred. La manière dont Lynch saisit en gros plan la main de Renée, qui tapote le dos de Fred d'une manière condescendante, créé l'impression d'un malaise irremédiable. La musique et les effets sonores viennent donner à cette scène un sentiment terrifiant. Peut-être Fred tue-t-il son épouse aussitôt - la structure éparpillée du film nous empêche de le dire clairement. Ce meurtre sera le second trauma du film, le "vrai" - une image brutale, violente, que Fred ne s'explique pas. La VHS semble lui prouver, pourtant, il n'en a pas souvenir. Anecdotes :
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