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Dune (1984)Sailor et Lula (1990)

Saga David Lynch

Blue Velvet (1986)


 BLUE VELVET
(BLUE VELVET)

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Résumé :

A Lumberton, petit village paisible de Caroline du Nord, Jeffrey Beaumont découvre une oreille coupée dans l’herbe. C’est le début d’une enquête qu’il mènera avec Sandy, la fille de l’inspecteur local. Leur enquête les portera à découvrir les sombres secrets qui entourent une mystérieuse chanteuse, Dorothy Vallens, menacée par un homme terrifiant, Frank Booth.

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Critique :

En 1986, après l’échec de Dune, David Lynch peut rebondir grâce à Dino De Laurentiis qui accepte de produire son nouveau film Blue Velvet, dont le scénario écrit par Lynch lui-même tournait entre les mains de producteurs hollywoodiens depuis la fin des années 70. C’est en effet un film très personnel, voir le plus autobiographique, dans la filmographie du cinéaste. Lynch accepte un budget réduit de moitié et de diminuer son salaire, afin d’avoir le final cut sur son film – pour ne pas réitérer l’erreur de Dune, film colossal qui lui a échappé.

La séquence d’ouverture est peut-être le manifeste du film, et du cinéma de Lynch en général. On y passe d’une vision idyllique, au ralenti, d’un petit village américain comme sur une carte postale. Le ralenti donne un sentiment onirique, et du rêve, on passe progressivement au cauchemar – l’homme qui arrose sa belle pelouse verte semble pris d’un infarctus, et s’effondre, écrasé par son chien. La caméra plonge alors sous la belle pelouse verte, et nous montre des insectes grouillants. Tout au long du film, on navigue entre « micro » et « macro » : le microscopique, ce sont les insectes grouillants, les petits objets comme le bout de velours bleu découpé dans la robe de Dorothy, qui donne son titre au film, ou le chapeau de l’enfant de Dorothy Vallens. Ou encore, l’oreille coupée, fragment de corps, qui sera le début de l’enquête de Jeffries. De tous ces petits éléments intrigants que Lynch aime filmer en gros plan, on décolle vers des forces immenses, cosmiques : le bien, le mal, le grand ciel bleu, et les flammes de l’enfer. Deux fois dans le film, les personnages sont irradiés par une lumière blanche aveuglante et mystique. Lynch aime passer d’un univers à un autre, et d’une tonalité à une autre, du tragique au comique, du trivial au cosmique… Un mariage d’atmosphères qui fait de Blue Velvet la matrice de la série Twin Peaks. Les scènes coupées de Blue Velvet révélées dans le bluray récent du film montrent beaucoup de scènes avec des personnages secondaires, qui évoquent le côté puzzle de Twin Peaks.

Pour créer un « monde », ce que Lynch dit vouloir faire en tant que cinéaste, il s’inspire de lieux. Après avoir baigné dans l’atmosphère de Philadelphie, lors de ses études d’art, Lynch en avait créé les univers industriels étouffants d’Eraserhead et Elephant Man, deux films en noir et blanc. Avec Blue Velvet, Lynch puise dans ses souvenirs d’enfance passés dans le Montana (à Missoula puis à Boise). De ces décors de l’Amérique boisée et montagneuse découleront deux œuvres, Blue Velvet et Twin Peaks (la série et le film Fire walk with me). Plus tard, Los Angeles inspirera ses films Lost Highway, Mulholland drive et Inland Empire. Lynch insuffle un sentiment d’immersion dans la petite ville de Lumberton, à force de petits détails. Le son, les atmosphères, jouent également beaucoup pour nous embarquer dans cette petite ville. 

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Blue Velvet est encore marqué par un certain classicisme, que Lynch cherche à atteindre depuis qu’il travaille avec des studios (depuis Blue Velvet). Le fim Twin Peaks, Fire walk with me, marquera la véritable rupture avec ce monde, pour retrouver l’indépendance de ses débuts. Blue Velvet est donc à la fois un film classique et un film surréaliste. Classique car il est celui de Lynch qui ressemble le plus à un conte initiatique. La première séquence montre l’élément déclencheur : la chute du père, son départ à l’hôpital. Soudain, la vie qui semblait éternelle ne l’est plus. Le village n’est plus paisible, et la vie de son fils Jeffries non-plus. Choqué à la vue de son père à l’hôpital, incapable de parler, Jeffries découvre alors l’oreille coupée. Il commence à voir derrière les apparences, ce qui se cache derrière les belles pelouses de son village. Une oreille coupée qui le mènera dans un autre monde… la caméra s’enfonce d’ailleurs dans l’oreille (comme elle s’était enfoncée dans le trou noir au début de Eraserhead, comme elle s’enfonce dans la boîte bleue dans Mulholland drive). Et la caméra sort d’une oreille, celle de Jeffries, à la fin du film. L’entrée et la sortie d’un monde ? Entre les deux, Jeffries aura évolué à travers sa quête – comme dans un film classique. Il aura découvert le « Mal », et surtout, que le Mal fait partie de la vie. A force de vouloir résoudre les mystères, il découvre que certains mystères doivent le rester. L’image finale du beau rouge-gorge qui mange un insecte, renvoie à l’être humain, capable de bonté comme de perversité.

En cela, Jeffries est comme un jeune Dale Cooper, l’agent de la série Twin Peaks, qui découvre que « le monde est étrange » (un leitmotiv dans la bouche des deux jeunes personnages Jeff et Sandy). Blue Velvet et Twin Peaks ont aussi en commun leur écriture de polar. Interprétés tous deux par Kyle Mac Lachlan, les héros des deux œuvres enquêtes autour d’une sombre affaire dans un beau village, et découvrent des ramifications plus grandes qu’ils ne le pensaient – jusqu’à des découvertes spirituelles, plus importantes que l’enquête en elle-même. L’aspect policier de Blue Velvet est accentué par la référence hitchcockienne, qu’on retrouve dans certaines musiques dramatiques, dans les images inquiétantes qui passent sur le téléviseur de la mère de Jeffries, et aussi dans le décor de Lumberton ville idyllique qui fait écho à L’ombre d’un doute. Le film baigne, de plus, dans une atmosphère des années 50-60, indéterminée (comme dans Twin Peaks). Ce flottement temporel ajoute un sentiment de rêve à tout le film – qui ne tranche jamais entre rêve et réalité, et c’est ce qui en fait la beauté.

Les musiques sont composées par Angelo Badalamenti, qui compose ici pour la première fois pour David Lynch. Ses morceaux alternent entre ceux dramatiques, orchestraux ; des morceaux plus jazzy, légers ; et des nappes sourdes et angoissantes, presque imperceptibles, associées à l’appartement de Dorothy Vallens. Les musiques préexistantes ont leur importance. Blue Velvet de Bobby Vinton est utilisé en séquence d’introduction et revient régulièrement. La chanson est réinterprétée par Dorothy Vallens, en liant avec le fétichisme étrange du gangster Frank Booth (son obsession pour le velours bleu). Autre moment musical marquant, la scène dans laquelle un des amis de Frank interprète en playback In Dreams de Roy Orbison. Une scène surréaliste, aux accents de Fellini par son étrangeté – et les femmes corpulentes à l’arrière-plan. Lynch appelle cette scène la « eye of the duck » de son film ; car, selon le cinéaste, chacun de ses films possède une scène qui est comme l’œil d’un canard, en apparence absurde mais pourtant primordiale.

Cette scène évoque ces moments d’illusionnisme du cinéma de Lynch : la chanteuse du radiateur dans Eraserhead, la scène de théâtre à la fin de Elephant Man, la chanson du Silencio dans Mulholland drive (encore Roy Orbison, cette fois en espagnol, « Crying » y devient « Llorando »). Enfin, une chanson, « Mysteries of love », est composée par Badalamenti. Elle apparaît progressivement dans le film en bande originale orchestrale, avant de devenir la chanson du slow de Jeffries et Sandy, dans une version chantée par Julee Cruise. Julee Cruise deviendra la chanteuse récurrente de la série Twin Peaks. Ce thème planant mène le film vers des hauteurs cosmiques. Il revient d’ailleurs dans la scène finale où la famille est réunie, tout comme Dorothy et son enfant. Une fin qui vient comme un apaisement, et une élévation, comme souvent chez David Lynch.

Blue Velvet est bien sûr un film mémorable grâce à ses interprètes. Dans leur duo de jeunes candides, Kyle MacLachlan et Laura Dern surjouent légèrement, et volontairement, cette naïveté enfantine. Mais, MacLachlan cache derrière cette candeur un sourire parfois malsain, et sa petite copine se demande d’ailleurs s’il est finalement « un détective ou un pervers ». Le visage poupin de MacLachlan est contrebalancé par un regard et un sourire parfois cruels. Quant à Laura Dern, c’est une fausse poupée barbie, capable de craquer dans des scènes d’émotions finales, dans lesquelles son visage se déforme de douleur (Lynch ira encore plus loin avec elle, dans cette direction, avec Inland Empire). Le diable est personnifié, dans le film, par Dennis Hopper. Lui aussi campe un méchant caricatural, souvent grotesque. Il peut faire rire, par ses mimiques, son ridicule, et l’instant d’après nous terrifier. Il campe une bête, sauvage. Mais il peut aussi pleurer, comme un petit enfant, dans les bras de sa belle brune. Dorothy, justement, est campée par Isabelle Rossellini (compagne du cinéaste à l’époque, et fille d’Ingrid Bergman et Roberto Rossellini). L’actrice est absolument époustouflante dans son rôle à double tranchant, perpétuellement ambigu. Est-elle pure victime, ou cherche-t-elle à avoir mal ? Elle semble contaminée par la folie de Frank, et contaminer à son tour Jeffries. Comme si le mal, la peine et la folie, étaient une force réelle à transmettre. Toute la beauté de Blue Velvet tient aussi à l’ambiguïté de ses personnages, apparaissant d’abord comme clichés, pour devenir de plus en plus intrigants et indéfinissables. 

Anecdotes :

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