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Ca va faire mal (1982)Le cadeau (1982)

Comédies françaises Années 80

Paradis pour tous (1982) par Sébastien Raymond


PARADIS POUR TOUS (1982)

Résumé :

Le docteur Valois est l’inventeur d’une thérapie révolutionnaire pour la dépression : le “flashage” qui fait voir de la vie uniquement ses côtés positifs. Les résultats sont stupéfiants sur les chimpanzés. C’est au tour des hommes d’en appliquer la méthode, Alain fait partie de ces heureux élus, les flashés, qui vont former très vite une communauté à la vision de la vie bien différente…

Critique :

La caricature que nous dépeint Jessua est effrayante et comique à la fois comme il se doit.

Bien plus féroce que Traitement de choc ce Paradis pour tous effraie par la froideur et surtout le cynisme royal des monstres créés par le docteur "Freudenstein" qu'incarne Jacques Dutronc. Ses patients dépressifs subissent un "flashage" qui les désinhibe entièrement, effaçant du même coup angoisse et compassion. Les êtres humains deviennent des robots incapables de souffrance et d'entendre celle des autres.

L'art s'éteint en même temps que la peur de mourir, le jugement critique s'altère, le goût du monde s'affadit, l'on s'éprend des pages de publicité, de toutes les niaiseries dénuées de pathos, la laideur disparaît en même temps que l'humanité. Tout le monde il est beau. Philippe Léotard, dans un dernier moment de lucidité déclare à Patrick Dewaere, totalement insensible à sa détresse qu'il ne peut pas lui vouloir car on n'en veut pas à une machine.

Ce qui compte désormais pour le flashé, c'est de faire du chiffre, d'être le plus efficace et compétitif possible, quel qu’en soit le prix pour les autres. Les perdants sont responsables de leurs échecs. La ligne droite, plus que les détours, dirige tous ces comportements et ce, jusqu'au meurtre. Le sur-homme nietzschéen ? Un peu en effet. Surtout ce dérèglement social condamne l'humanisme, décidément espèce en voie de disparition dans l'univers post-moderne.

Marrant comment cette angoisse du futur engendre autant de films d'anticipation tellement hargneux. On sent bien là la peur de la mécanisation de la société, la perte des repères dans le travail comme dans les rapports sociaux. Les plaisirs sont identiques, ordonnés, bien rangés, lisses, sans débordements, en un mot : inoffensifs pour le groupe. Le standard fait loi pour tous, l'individu flashé est mouton de panurge, consentant, promulguant la tonte avec allégresse, il l'anticipe même, désincarné, comme “eugénisé” du cervelet, inerte jusque dans les gênes de sa progéniture promise à l'innocence flashée dès la naissance.

Le simplisme des flashés abrutis par l'absence de réflexion montre bien que l'intelligence est une conception très complexe dans laquelle la peur de mourir et la socialisation ont leurs parts essentielles. C'est là peut-être la démonstration la plus éclatante de ce film.

Mais paradoxalement, il affiche aussi sa nature à la fois farceuse et un brin hédoniste avec une implacable insistance. Certes, la sexualité existe malgré tout, très libre, mais dénuée de passion, encore une fois. Machinale. Quand j'évoque la farce, je devrais plutôt parler d'ironie, ce serait plus juste. On voit bien la teinte d'humour très noir, flirtant elle-même entre complaisance et cynisme. Ambiguë. Mais au final, cela fonctionne parfaitement, horrible, drôle et futé, le film reste bien balancé.

Le mérite de cet exploit en revient sans doute autant à la mise en scène très nette, propre, un peu froide même, de Jessua (peut-être pas aussi glacée que les tee-shirts Lacoste et la coupe de cheveux Neuilly de Patrick Dewaere) qu'à la direction de jeu des acteurs. Le film semble leur laisser une belle liberté.

Il est couillument serti d'une épatante brochette de comédiens charpentés. Le dernier plan est une dédicace à Patrick Dewaere, suicidé peu de temps après le tournage. Cette mort répondant bien évidemment à une histoire personnelle tortueuse, mais 'tain, comment s'empêcher de faire le lien avec le thème de Paradis pour tous ? Diction, regard, prestance sont chez cet acteur d'une inévitable justesse, sans maquillage, ni forfaiture, un jeu à fleur de peau, frémissant de beauté.

Je suis un peu moins fan de Fanny Cottençon, si ce n'est de sa voix éraillée et sexy. J'ai un peu de mal à suivre la comédienne sur chaque scène, notamment les hystériques. Je l’aimais bien dans ces petites comédies des années 80, mais ici, j’ai un peu plus de mal.

Philippe Léotard m'étonne, me séduit et finit par m'impressionner avec force. Pour Stéphane Audran, c'est bien simple, j'ai les yeux pleins d'étoiles, une admiration sans borne. Par bien des aspects cette femme est extraordinaire. Elle dépasse mon entendement.

Jacques Dutronc est beaucoup plus insaisissable. Pas sûr que je sois capable sur ce film de bien apprécier son jeu.

Paradis pour tous est un film d'anticipation porté par une certaine terreur d'après 30 Glorieuses ou la part de désenchantement qui est propre aux années 70. Daté de 1982, le film est marqué par son époque et explicite beaucoup plus de non-dits sur cette fin de siècle que bien d'autres productions de ces années-là. Il le fait au scalpel, sans détour, net et précis, tout en sachant garder un mordant jubilatoire et délectable.

Anecdotes :

  • Le 6 juillet 1982, soit un mois avant la sortie du film, Patrick Dewaere mettait fin à ses jours.

  • Philippe Léotard raconte : "Sur le tournage de Paradis pour tous, Patrick m'a dit un jour, de but en blanc : "Dans un an, tu auras tous mes rôles : je serai mort." J'ai pris ça à la légère, Patrick avait de l'humour, noir parfois, mais ce n'était pour moi qu'une boutade... Et puis, quelques semaines plus tard, au moment de la postsynchronisation du film, nous nous sommes retrouvés en studio. Il se tenait devant son micro, consciencieux comme d'habitude, très pro. C'était une semaine avant sa mort. Sans m'annoncer, je m'approche derrière lui, et je lui donne une bonne tape sur l'épaule, en lui lâchant : "Alors, vieux ! T'es pas encore flingué ?"" Et une semaine après Patrick se tirait une balle dans la tête. Philippe Léotard s’est senti coupable et il a fallu beaucoup de générosité et de patience à Mado, la mère de Patrick Dewaere pour consoler et rassurer Philippe Léotard.

  • Alain Jessua est allé voir Patrick Dewaere sur le tournage de Mille milliards de dollars et l’idée du film a aussitôt séduit Dewaere. Même si l’entourage de l’acteur évoque la raison pécuniaire dans les motivations de Dewaere pour faire ce film, bien évidemment qu’il est fasciné par cette histoire de dépressif devenu cynique après son flashage. L’acteur confie qu’il y a dans ce scénario “beaucoup de choses qui me tiennent à cœur. C’est un film d’horreur mental”. Cet univers est aux antipodes de la production bien-pensante de l’époque.

  • A ce moment-là, Patrick Dewaere est dans une impasse, a atteint un point de non-retour, tant sur le plan personnel et existentiel que sur le plan professionnel. Il a du mal à accepter les faux semblants, les petites hypocrisies du métier. De fait, il acquiert très vite une image rugueuse d’emmerdeur sur les plateaux.

  • Le tournage a été difficile, avec une ambiance peu enthousiasmante. Notamment la relation entre Alain Jessua et Patrick Dewaere se détériore très vite. Patrick Dewaere ne trouve pas la confiance et l’estime qu’il a pu avoir pour Alain Corneau, Bertrand Blier ou Claude Sautet. L’assistant réalisateur Pierre Boffety estime qu’il “régnait sur ce film une atmosphère pourrie. Il y avait peu d’affinités entre Dewaere et Jessua. Ni entre les comédiens, d'ailleurs.”

  • Dans la distribution, Philippe Léotard est tombé dans la drogue. Ce dernier assume moins ses nuits déjantées que Dewaere. La production a même dépêché une sorte de surveillant pour le ramener chez lui après les prises. Pierre Boffety d’expliquer : “Le gamin est devenu un tox en 48h”. Le jeu de Léotard s’en ressent. Encore en forme le matin, il devient déplorable le soir, au grand dam de Jessua et de Dewaere, très pointilleux sur la rigueur professionnelle pendant un tournage. Il s’agace.

  • Alain Jessua parlait mal aux acteurs. Dewaere s’en accommode, disant qu’il était fou et qu’on ne parle pas à un fou.

  • Le tournage a pris du retard et s’est déroulé sur 14 semaines au lieu des 8 prévues. Pas uniquement à cause de Léotard mais plus sûrement de la mauvaise gestion (managment dirait-on aujourd’hui) des techniciens avec qui Alain Jessua s’embrouillait souvent.

  • Le film a été éreinté par la critique, quasi unanime à dénoncer la concomitance douteuse entre le sujet et la mort du comédien principal.

  • Le film n’eut pas un succès considérable, mais n’a pas du tout à rougir de presque 600.000 entrées en France, un score tout à fait honorable.

  • Stéphane Audran a été nommée aux Césars 1983 pour celui de meilleure actrice dans un second rôle. Malheureusement pour elle, elle ne l’obtint pas.

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