L'inspecteur ne renonce jamais (1976) Résumé : Harry Callahan doit liquider une organisation terroriste, qui a pris le maire de San Francisco en otage. Cette fois, l’inspecteur a pour partenaire une recrue féminine avec qui il n’est pas enthousiaste de travailler. Critique : Le troisième volet des aventures de l’inspecteur Harry Callahan a une saveur particulière pour moi. C’est en effet à partir de 1977 que je suis devenu un inconditionnel d’Eastwood, allant à la sortie de chacun de ses films comme d’autres vont à la messe le dimanche, y compris pour les plus anciens qui bénéficiaient d‘une ressortie telle la trilogie des dollars ! Je récuse tout de suite les mauvaises langues qui pensent que je suis donc un vieux schnock ; je n’ai pas pu voir The Enforcer à l’époque, étant reconduit, car le film était interdit aux moins de dix-huit ans (eh oui, vous avez bien lu) et il me manquait quelques unités… En tout cas, Eastwood est depuis cette période synonyme de cinéma pour moi, même si ce troisième Dirty Harry est moins percutant que les deux premiers. Certains pensent pourtant que c’est la meilleure suite, comme le biographe attitré de l’acteur, Richard Schickel. C’est, bien entendu, un excellent polar mais on est obligé de faire la comparaison avec L’inspecteur Harry et Magnum Force, un cran au-dessus, surtout que la partition musicale n’est pas l’œuvre de Lalo Schifrin, le seul Harry qu’il n’aura pas sur ses tablettes. La musique de Jerry Fielding est correcte ; cependant, il manque la touche jazzy du compositeur argentin, même si cela s’en approche parfois comme lors de la poursuite sur les toits. La réalisation de James Fargo, sa première, est incontestablement inférieure à celle de Don Siegel, et le méchant de l’histoire, Bobby Maxwell (DeVeren Bookwalter), est convaincant, mais il n’arrive pas à faire oublier Scorpio ou l’escadron de la mort des films précédents. Le scénario de L’inspecteur ne renonce jamais n’est pas très original : un groupe terroriste, qui se fait appeler ‘The People's Revolutionary Strike Force’ (la force de frappe du peuple en VF), menace San Francisco et exige qu’une forte rançon lui soit versée sous peine de carnage dans la ville. L’enlèvement du maire fait monter les enchères, mais la réalisation s’attarde peu sur les personnalités de ce groupe de tordus, prêts à tout pour que leur exigence soit exécutée. Néanmoins, leur violence et cruauté ont dû contribuer à une interdiction partielle et à la censure d’une scène en France (pourtant, les années 70 ont vu des films bien plus violents). Le pré-générique avec la superbe blonde autostoppeuse comme leurre (Jocelyn Jones) – que cela vous serve de leçon, guys ! - présente sans ambigüité Bobby Maxwell, le chef du gang, un tueur sadique et pervers, un psychopathe radié des forces spéciales pendant la guerre du Vietnam, qui va utiliser la fourgonnette et les uniformes des malheureux employés pour son plan diabolique. Les exactions des terroristes sont entrecoupées par le quotidien de Callahan, des petites vignettes qui ont fait le succès des deux premiers opus. Le personnage n’a heureusement pas changé et donne l’impression que Clint Eastwood est Harry Callahan (‘Callagan’ dans la version française, car le doubleur avait sûrement des difficultés avec le h aspiré !). Cette fois, on colle entre les pattes du gros macho Kate Moore (Tyne Daly, cinq ans avant Cagney et Lacey), une partenaire fraichement débarquée des bureaux, - ni jolie, ni franchement tartignolle -, ce qui génère des situations particulièrement cocasses dès leur première rencontre, à l’entretien d’embauche. Ainsi, Callahan invente une ‘situation hypothétique’ pour tester Kate, dans laquelle Mrs Grey –une bureaucrate quinquagénaire – viendrait lui proposer une partie de poney…Hilarant ! Pour notre plus grand plaisir, Callahan est toujours un flic impulsif qui n’a que faire de ses supérieurs et de la bureaucratie. La séquence, où il lance sa voiture dans la vitrine du magasin de spiritueux pour libérer les clients et liquider les voyous, fait partie des bonnes scènes d’action du film. Les truands veulent un véhicule et il leur en donne un à sa façon ! Rétrogradé temporairement au personnel par son supérieur, le capitaine McKay (Bradford Dillman), pour usage excessif de la force, il méprise la politique du maire qui est d’attirer les femmes dans les forces de l’ordre (au milieu des années 70, il y en a très peu sur le terrain). Sur ordres du magistrat, qui a mis en place des quotas (ce genre d’inepties a commencé à cette époque), Kate est embauchée d'office comme inspecteur, bien qu'elle n’ait effectué aucune arrestation et qu’elle n’ait jamais été confrontée à des situations périlleuses en neuf de carrière dans les bureaux. Elle devient une des premières inspectrices du pays – à ce titre, ce film est précurseur – car le cambriolage d’un entrepôt d’armurerie et le meurtre de Frank DiGeorgio (John Mitchum) remettent Callahan en chasse dans les rues de Frisco. C’est dommage que le bon gros DiGeorgio se fasse tuer car il était un personnage sympathique de la saga, ayant participé aux deux premiers films. A ce propos, la réplique d’Harry sur les pâtes à son collègue avant d’entrer dans le magasin – ‘too much linguini’ – est un clin d’œil à une répartie de L’inspecteur Harry. So long DiGeorgio ! En enquêtant dans les milieux des activistes politiques et religieux, Callahan trouve chez les militants noirs des alliés et non des ennemis ; on reviendra aux dialogues des deux côtés (en VO) qu’on ne trouverait plus dans les productions d’aujourd’hui aseptisées. L’arrestation du leader, "Big" Ed Mustapha (excellent Albert Popwell), fait même démissionner l’inspecteur. Qu’en ont pensé Les cahiers du cinéma prompts à stigmatiser l’acteur après la sortie de L’inspecteur Harry ? Callahan continue son enquête en civil, aidé par Kate, qui prend des risques pour sa carrière et sa vie. L’enlèvement du maire puis, surtout, le final à Alcatraz sont prenants et la chasse dans l’enceinte désaffectée maintient le suspense jusqu’au fameux, et controversé, « You fuckin' fruit. » à l’adresse de Maxwell que l’inspecteur saupoudre au bazooka (elle est facile !). Cependant, Callahan n’a risqué sa vie que pour sauver le symbole institutionnel et pas l’homme méprisable qui l’incarne. Parmi les autres passages marquants, notons l’homme qui feint une crise cardiaque afin de ne pas payer ses factures de restaurant, la longue poursuite sur les toits qui se termine à l’église et, bien entendu, l’hilarante scène où la fille gonfle une poupée pour Callahan, alias Larry Dickman, dans le ‘salon de massage’. Les personnages sont dans l’ensemble bien interprétés, malgré de nombreux poncifs chez les terroristes, à commencer par le chef de la bande, Bobby Maxwell, vétéran du Vietnam et rayé de l'armée pour cause de schizophrénie. Kate Moore reste le personnage le plus intéressant, surtout que la relation avec Callahan ne souffre pas de stéréotype si on excepte la séquence de l’autopsie, qu’on peut considérer comme une sorte de bizutage. Elle sauve la vie du maire et celle de Callahan. Notons le retour sympathique du lieutenant Bressler (Harry Guardino), absent de Magnum Force (et pour cause !). Quant à Clint Eastwood, il ne se contente pas de ‘dérouler’ dans un rôle qu’il maitrise parfaitement. En professionnel consciencieux, il est en top forme et complètement immergé dans son personnage. Eastwood a refusé le rôle de Benjamin Willard d’Apocalypse Now de Coppola (joué par Martin Sheen), car il ne voulait pas passer quatre mois à tourner aux Philippines. A la place, il préféra reprendre son Magnum .44 et arpenter les rues de Frisco. Ce film permet d’enrichir le dictionnaire des répliques ‘eastwoodiennes’. Chaque Harry a sa phrase culte ; au fameux « Do I feel lucky ? » de Dirty Harry et « A man's got to know his limitations » prononcée dans Magnum Force, suit ici un « Marvelous », que ponctue Eastwood d’un ton sarcastique toute action qui lui déplait. Néanmoins, la réplique la plus connue provient du quatrième film, qu’on évoquera en temps voulu ; elle fut même reprise par le Président des USA ! Sinon, dans la sélection, très fleurie, du présent opus, les échanges Callahan/McKay tiennent le haut du pavé. Lorsque l’inspecteur est envoyé en pénitence au service du personnel, il concède : « Personnel? That's for assholes! » et le capitaine lui répond qu’il y a passé dix ans ! Les échanges de ce type entre les deux personnages pullulent mais celui qui reste le plus connu – et qu’on voit ressurgir régulièrement sur les réseaux sociaux – se situe quand Callahan remet son insigne à son supérieur, mécontent que le leader des militants noirs soit arrêté pour rien : « Here's a seven-point suppository, Captain. » Le capitaine se perd en conjoncture : « What did you say? » avant le coup de grâce : « I said stick it in your ass. ». Cela se passe de traduction… On voit pointer un début de politiquement correct avec l’utilisation du terme "minority community" (dans la bouche de McKay) ; c’est du même acabit avec Bressler lorsque l’inspecteur demande : « What about that punk? ». Le lieutenant: « You mean the suspect?” » et une réponse sans appel: « Suspect my ass! ». Ah, de telles répliques sont réjouissantes dans un univers actuel où la langue de bois et l’impunité de tout poil règnent en maitre. Il ne faut pas s’ôter de l’esprit que la série des Harry est une dénonciation du politiquement correct et des malversations politiques, qui ne s’intéressent qu’au paraître au dépend des résultats ; la formidable scène de la lettre de félicitations tire toute sa subtilité de cet état de fait. Pour terminer dans ce registre – les dialogues, avec les scènes d’action, sont le point fort du film, ce qui compense un scénario un tantinet faiblard – on a les échanges que j’évoquais plus haut entre Callahan et Mustapha, l’excellent Popwell qu’on reverra dans le quatrième Harry. A l’arrivée devant l’échoppe de barbier, le QG du leader, Callahan répond aux interrogations de Kate, perplexe : « This is the Fillmore chapter of the VFW... Very Few Whites». Je ne sais pas comment cela a été traduit mais ça ne doit pas voler haut. Le jeu de mots de Callahan lorsque Mustapha lui dit que ses amis vont prendre soin de sa collègue : « Well, that's mighty white of you. ». L’autre côté n’est pas en reste avec le fameux ‘honky’, une insulte raciste vis-à-vis des blancs, surtout employée aux USA, et : « Let's see how fast you and the lady fuzz can get your white asses out of here! ». Rien de foncièrement raciste dans tout ça (les jérémiades de certaines critiques sont pitoyables), mais simplement un état d’esprit bienveillant qui n’existe malheureusement plus de nos jours. Sans rivaliser avec les deux premières aventures de la série, L’inspecteur ne renonce jamais est un très bon film policier qui dénonce les absurdités bureaucratiques, la corruption politique au sein de la justice et les dérives du politiquement correct naissant. Ce troisième opus était censé être le dernier de la saga mais, sept ans plus tard, un sondage favorisa le retour d’Harry Callahan… Anecdotes :
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