L'Échange (2008) Résumé : Los Angeles, 1928. Une mère célibataire recherche désespérément son fils qui a été enlevé. Lorsque la police lui remet un enfant qui n’est pas le sien, après une enquête bâclée, elle s’attaque aux institutions et se retrouve internée dans une unité psychiatrique. C’est le début d’un combat acharné pour découvrir la vérité. Critique : Christine Collins est superviseur au standard téléphonique local et elle accepte de faire des heures supplémentaires un samedi pour pallier l’absence d’une collègue. Elle quitte son fils de neuf ans, Walter (Gattlin Griffith), lui promettant qu’elle sera de retour à seize heures et qu’ils iront voir le dernier Chaplin au cinéma le lendemain. Lorsqu’elle rentre à la maison, Walter a disparu. Aux quelques minutes d’entame de plénitude familiale vont se succéder des moments d’angoisse, d’horreur et d’espoir pour connaitre le sort du garçonnet. Quand on sait que le long-métrage est pratiquement calqué sur une histoire vraie, l’émotion ressentie est décuplée. C’est la première fois depuis La sanction, tourné en 1975, que Clint Eastwood met en scène un film pour les studios Universal. Il a accepté l’après-midi même dès la lecture du script ; pendant la préproduction, Ron Howard avait été pressenti pour réaliser Changeling et il collaborera finalement à la production avec Malpaso. C'est le septième projet auquel Eastwood participe sans interpréter de rôle. Le tournage s'effectue assez rapidement afin que le long-métrage soit prêt à temps pour le Festival de Cannes. Bien qu’Hilary Swank et Reese Witherspoon soient intéressées par le rôle de Christine Collins, le réalisateur choisit Angelina Jolie, car elle est déjà mère et donc la plus à même de savoir le ressenti dans une telle situation, et il trouve aussi que le visage de l’actrice colle à l’époque. Malgré le sujet douloureux, Jolie aime le script et son engagement fut ‘very quick and simple’ aux dires d’Eastwood. Le film est basé sur des évènements tragiques oubliés jusqu’au jour où Joseph Michael Straczynski est contacté par un membre du personnel de l'hôtel de ville de Los Angeles. Cette personne était tombée sur des dossiers concernant les meurtres du poulailler de Wineville qui se trouvaient parmi d'autres documents prévus à la destruction. Straczynski a pris ces données et il est devenu obsédé par l'affaire, faisant des recherches approfondies pendant plus d'une année. Pratiquement chaque incident représenté au cours du long-métrage apparaît comme cité dans les relevés juridiques, avec un dialogue souvent repris textuellement à partir des transcriptions d’audiences des tribunaux. Straczynski a déclaré que quatre-vingt-quinze pour cent du script provient des six mille pages de documentation recueillie. Il a toutefois dû imaginer deux passages, dont celui à l’intérieur de l’unité psychiatrique pour lequel il n’existe pas de témoignage. Habitué à travailler à la télévision, le scénariste a écrit son premier jet de l’histoire en seulement onze jours et cette version fut retenue en vue du tournage. Lorsqu’il rencontra Eastwood afin d’évaluer les changements à effectuer, le réalisateur lui répondit : « Non, le premier jet est bon, tournons-le». L’auteur axe son script sur l’histoire de Christine Collins, pour honorer son combat, et la situation de Los Angeles en 1928, plutôt que sur Northcott, le criminel, ce qui influença Clint dans son choix. Straczynski est allé jusqu’à faire passer le script par le département juridique d'Universal, fournissant des preuves d'authenticité pour chaque scène, et les justifications du jury de Cannes sont par conséquent caduques, mais j’y reviendrai… L'échange traite plusieurs thématiques, dont la corruption, le traitement des femmes à cette époque, où elles étaient considérées comme fragiles et facilement dispensables en cas d’inconvénient, et la violence faite aux enfants, déjà centrale dans Mystic River. Le pasteur Gustav Briegleb – sublime John Malkovich – mène une campagne en s'opposant à l'incompétence, aux erreurs judiciaires et à la corruption généralisée du département de la police de Los Angeles et de son ‘Gun Squad’, un véritable peloton d’exécution. Il symbolise la résistance, aide Christine Collins dans son combat et lui conseillera de faire une intervention devant les médias. Le duo ne semble pas a priori de taille à lutter contre le système capable de tout broyer pour couvrir ses malversations. L'affaire Collins devient l'objet d'une campagne qui s’amplifie et inquiète les élus de la ville. Afin de faire taire la gronde, les forces de l’ordre n’hésitent pas à présenter à Christine un imposteur cinq mois après l’enlèvement ; un garçon retrouvé dans l'Illinois qui prétend être Walter. Les retrouvailles à la gare devant la presse sont une séquence forte du film, mais la police n’a pas réglé le problème par ce subterfuge. Comment une femme peut-elle accepter un enfant qui n’est pas le sien ? On aborde le second thème, où les femmes devaient tolérer l’intolérable sous peine des pires châtiments, comme l’explique la prostituée Carol Dexter (Amy Ryan), un personnage créé pour symboliser l'injustice que subissaient les femmes de l'époque. L’obstination de Mrs Collins à faire avancer les recherches pour son fils l'amène à entrer en conflit avec la police de Los Angeles, qui va tout faire pour protéger sa réputation. Malgré les preuves irréfutables d’imposture (taille, circoncision), ainsi que les témoignages du dentiste et de l'institutrice de Walter, le capitaine Jones (Jeffrey Donovan), qui personnifie la loi corrompue, rejette les accusations sur la mère, la traite comme une menteuse et une hystérique et l’a fait finalement interner au département psychiatrique du Los Angeles County Hospital, sous le fameux code 12, prétextant un comportement qu'il juge dangereux envers elle-même ; le but est de lui faire signer un document déchargeant le pouvoir de toute responsabilité. L’affaire aurait très bien pu être étouffée et en rester là, sans l’intervention d’un élément extérieur. Pendant l’internement – les deux séquences sont judicieusement montées en parallèle -, le détective Lester Ybarra (Michael Kelly), un personnage fictif qui représente en fait plusieurs policiers, se rend au ranch délabré de Wineville pour arrêter Sanford Clark (Eddie Alderson), un jeune Canadien en situation irrégulière. L’histoire horrible qu’il raconte permet à Christine Collins de retrouver la liberté ; au prix de l’inimaginable, d’une vingtaine d’enlèvements de jeunes garçons suivis d’assassinats commis par Sanford et Gordon Northcott. L’adolescent déclare avoir été obligé par son oncle de participer aux carnages et il identifie Walter comme une victime. La consternation du policier est parfaitement rendue par sa cigarette qui se consume lors de la confession de Clark. A noter qu’Eastwood a filmé cette scène sidérante telle qu'elle a été écrite. Si Mystic River était choquant pour le traitement infligé aux enfants, que dire de ce récit atroce ! La séquence du déterrement – « You put them in the ground, you can take them out of the ground » - est sûrement la plus dure du film, avec la scène des meurtres suggérés en ombres que le réalisateur a préféré à des images trop violentes, et met en confrontation deux polices, la corrompue (le capitaine Jones) et l’intègre (le détective Ybarra), qui a désobéi aux ordres afin de découvrir l’incommensurable tragédie. Le double jugement – la police et le criminel – permet la destitution des policiers corrompus, une réforme des lois sur l’internement et la condamnation à mort de l’accusé. L’histoire du film se déroule sur sept années, de la veille de l’enlèvement de Walter, qui eut lieu le 10 mars 1928, jusqu’au retour d’un des enfants en 1935, qui donne une fin faussement optimiste (‘Hope’) au long-métrage. Sans preuve formelle ni aveu de Northcott, Christine Collins garde un espoir pour son fils et elle continuera de le chercher toute sa vie. Cette fin incertaine est un choix personnel d’Eastwood afin de montrer que le destin est imprévisible. Changeling implique émotionnellement le spectateur, sans tomber dans le pathos, comme Eastwood a déjà su le faire avec MillionDollar Baby. Le message est de ne jamais perdre espoir face à la tragédie et de résister aux aléas injustes, et Clint imprime un cachet froid d’une implacable noirceur à ce film poignant et sublime, à mi-chemin entre le drame et le thriller. La composition des acteurs est parfaite jusqu’aux petits rôles. Evidemment, le duo Jolie/Malkovich est plus en évidence. Angelina Jolie méritait indéniablement un Oscar pour sa personnification de Christine Collins, une femme battante qui se lance dans un combat acharné et qui fait face à l'adversité suivant l’adage donné à son fils : « Never start a fight, always finish it ». Je ne suis ni fan de l’actrice, ni de la personne publique, mais son interprétation est remarquable, une des plus grandes compositions de la filmographie eastwoodienne. Elle communique ses différents états d’âme, allant de la résignation à la joie pure, lorsque les policiers viennent sur son lieu de travail lui annoncer que son ‘fils’ a été retrouvé, à la colère, lançant à l’imposteur qu’il l’appelle maman : « I want my son back ». John Malkovich est plus en retrait, surtout que certaines de ses scènes ont été coupées au montage, alors que le film durait près de trois heures. Cependant, il est toujours impérial à l’écran, à la réplique et timbre de voix justes, qu’il soit du bon ou du mauvais côté de la loi (Dans la ligne de mire). Le reste de la distribution n’est pas très connu, mais retient l’attention par une performance convaincante, y compris les enfants, avec une mention particulière subjective pour Michael Kelly, le flic opiniâtre. A noter que Riki Lindhome, la nurse blonde qui examine Christine, était Mardell, la sœur de Maggie dans Million Dollar Baby, son tout premier rôle. Morgan Eastwood fait sa seconde et dernière apparition au cinéma ; elle est la jeune fille en tricycle. Il n’y a rien à reprocher à la distribution, c’est le même constat pour la photographie de Tom Stern et la musique de Clint Eastwood, peut-être ma composition préférée des huit à l’actif de l’artiste. La réalisation est eastwoodienne, c'est-à-dire superbe. Angelina Jolie et d’autres participants au film soulignent que Clint ne dit pas ‘Action’, mais plutôt des phrases comme ‘Whenever you are ready’ [Dès que vous êtes prêts]. Le réalisateur explique que cela remonte à la période où il tournait des westerns. A ‘action’, tout le monde se crispait et les chevaux partaient dans tous les sens et plus personne n’était dans le champ de la caméra. Pour ajouter de la vraisemblance à certaines scènes, Eastwood demandait parfois à Angelina Jolie de les jouer, comme si elle les répétait qu'à lui, mais, en même temps, le cadreur commençait à filmer, sans que l’actrice ne s'en aperçoive. Le film est composé de nombreux passages impressionnants, mais certains marquent le spectateur plus que d’autres, tels les retrouvailles fabriquées de Christine avec son ‘fils’ à la gare et le déterrement des petites victimes déjà cités, mais, également, vers la fin du film, l’échange de Mrs Collins avec le pasteur qui lui conseille d’avancer dans la vie, avec la notion d’attendre. Pour la mère, son fils l’attend quelque part ; pour le pasteur, il l’attend à cet endroit où tout le monde ira un jour retrouver les êtres aimés. La rencontre Christine/ Northcott (« Did you kill my son ?/ I hope you go to hell ») est aussi un moment fort, mais la séquence la plus prenante est l’exécution avec les détails de la pendaison du meurtrier – craquement du cou, tremblements convulsifs des pieds – qui se gravent dans les mémoires. Cette longue séquence d’exécution peut être interprétée différemment. Alors qu’un critique du Monde voyait dans ces détails morbides un plaidoyer contre la peine de mort, Eastwood, de son côté, soulignait que Northcott était l’exemple idéal pour tout partisan du châtiment suprême ; dans un monde parfait, la peine de mort devrait être une punition appropriée pour les crimes envers les enfants, qui sont une justification de son existence selon lui. Evidemment, je rejoins ce raisonnement et je pense que le type du Monde s’est planté…. Changeling fut sévèrement critiqué aux États-Unis – en particulier par le New York Times et le Wall Street Journal – mais le film bénéficia d’un accueil enthousiaste en France et il sera plus conquérant à l’étranger qu’aux USA. La projection à Cannes fut chaleureusement accueillie et le long-métrage était même classé parmi les favoris pour Anecdotes :
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