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Saga Bertrand Blier

Préparez vos mouchoirs (1978)


PRÉPAREZ VOS MOUCHOIRS

classe 4

Résumé :

Raoul aime Solange, mais leur couple bat de l'aile, faute d'avoir eu un enfant. Un jour, Raoul offre Solange à Stéphane, un inconnu rencontré dans une brasserie. Un ménage à trois se met en place mais Stéphane n'arrive pas, lui non plus, à mettre Solange enceinte, contrairement aux espoirs de Raoul. Le trio devient moniteur d'une colonie de vacances où Solange se prend d'affection pour un adolescent surdoué, fils d'industriel et souffre-douleur de la colonie...

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Critique :

En cette fin de décennie 70, Bertrand Blier atteint le sommet de sa carrière avec, entre autres, ce film exceptionnel. Après Les Valseuses, c'est le retour du duo Depardieu-Dewaere, qui va à nouveau nous régaler. Ce second volet de la fameuse trilogie qui s'achèvera avec Tenue de Soirée réussit l'exploit d'atteindre le niveau du premier, et parfois même de le dépasser.

Difficile d'imaginer qu'un film légendaire auquel je ne trouvais aucun défaut puisse être surpassé par une œuvre ultérieure du même auteur, et pourtant Blier a réussi cette gageure.

Là où son illustre prédécesseur avait surpris par ses aspects joyeusement paillards et libertaires, Préparez vos mouchoirs va jouer sur le registre de la finesse, une finesse exceptionnelle tellement les sujets abordés sont traités avec délicatesse. Mieux que cela, avec poésie même, si l'on pense par exemple à la façon dont Raoul dépeint son amour pour Solange.

Depardieu et Dewaere changent de partenaire féminine, et le choix de Carole Laure pour le personnage de Solange s'avère particulièrement judicieux, une réussite complète. Je suis persuadé que, pour ce rôle, Carole Laure était préférable à Miou-Miou, en tous cas je n'imagine pas une autre actrice à sa place.

Question visuel, l'actrice canadienne, dont on voit avec bonheur et à plusieurs reprises la poitrine arrogante, n'a rien à envier à Miou-Miou, et c'est elle aussi une très bonne comédienne. J'avoue que sa pointe d'accent canadien me fait craquer : irrésistible...

Le film est scindé en deux parties bien distinctes, de durées équivalentes. La première montre les efforts de Raoul et Stéphane pour tenter de rendre le sourire à Solange, efforts qui se révèlent tous plus vains les uns que les autres.

Raoul est moniteur d'auto-école et a tout pour être heureux, ou du moins aurait tout si sa femme ne déprimait pas. Il rencontre Stéphane un dimanche après-midi, dans une brasserie, et lui offre Solange. Bon observateur, Raoul avait remarqué que, mine de rien, Stéphane reluquait sa femme tout en lisant son magazine...

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Stéphane est un fan de Mozart, une passion exclusive qui le fait ignorer ou mépriser les autres compositeurs classiques. Ainsi, la musique de Mozart accompagne le spectateur tout au long du film, en alternance avec les compositions de Georges Delerue. Blier inaugure une tradition, la musique classique en guise de fil rouge dans certains de ses films.

Raoul et Stéphane sont éperdument amoureux de Solange, au point d'accepter sans sourciller leur présence réciproque aux côtés de la belle. Mais que ne feraient-ils pas pour tenter de sortir Solange de la dépression dans laquelle elle s'enfonce ? Passer ses journées à faire le ménage, à tricoter et à confectionner des bouquets de fleurs ne suffit pas à Solange.

L'ennui de Solange est une occasion pour Bertrand Blier d'ajouter des petits détails sympathiques qui contribuent à l'adhésion des spectateurs. Ainsi, Solange installe le même bouquet de fleurs partout où elle s'installe, et tricote le même pull à tous les hommes qui traversent sa vie, amants ou non : Raoul, Stéphane, le « voisin de palier », Christian, M. Beloeil.

Est-il besoin de préciser à quel point Patrick Dewaere et Gérard Depardieu éclaboussent de leur classe la distribution ? Ils sont bien secondés par Carole Laure et par le toujours excellent Michel Serrault qui, en tant que « voisin de palier », conseille à nos deux amis de trouver un « truc » pour distraire leur compagne, à l'occasion des vacances d'été qui approchent.

La seconde partie démarre avec le « truc » en question. Raoul et Stéphane sont devenus moniteurs d'une colonie de vacances, et c'est là que Solange rencontre Christian Beloeil, l'adolescent de treize ans dont elle va s'éprendre.

Cette liaison au parfum de soufre donne l'occasion aux détracteurs de Blier de parler de « pédophilie », et bien entendu le film en gardera une mauvaise réputation et sera évidemment interdit de télévision pendant plusieurs années.

Cette vision de l'histoire est une erreur majeure. Beloeil est un surdoué en avance sur son âge non seulement pour les études, mais aussi en matière de rapports amoureux. Persécuté par les autres gamins dans le dortoir de la colonie, il trouve refuge dans la chambre de Solange, qui justement en a assez de dormir avec Raoul ou Stéphane en alternance.

Il n'y a qu'un seul lit dans la chambre, et c'est bel et bien Christian qui sent le désir s'éveiller en lui et va faire des avances à une Solange de prime abord sidérée par l'audace de celui qu'elle a toujours vu comme un gamin innocent.

Beloeil s'y prend tellement bien qu'il finit par vaincre les réticences de Solange, et que celle-ci se donne à lui. Mais la scène dure plus de dix minutes, preuve de la surprise et du désarroi de Solange face à ce qui va à l'encontre de tous les codes, de la morale établie, de tout ce qu'elle respecte.

La France vient de traverser les années 70 avec le souvenir de l'affaire Gabrielle Russier, une enseignante qui s'est suicidée après avoir été condamnée par la Justice pour avoir eu une liaison amoureuse avec un de ses élèves, mineur au moment des faits. Cette histoire d'amour entre une adulte et un adolescent rappelle l'affaire Russier et ne peut se départir d'un parfum de scandale, alimenté par les défenseurs de « l'Ordre moral », dont la fin tragique de l'enseignante n'a pas fait bouger d'un iota leurs certitudes.

Bertrand Blier cherchait sans doute, quitte à choquer le bon peuple, à faire évoluer les mœurs. Quarante ans après, il semble que les mœurs aient évolué dans un sens contraire. Pour preuve, il paraît évident que, de nous jours, il ne pourrait plus refaire un tel film.

Pourtant, il avait très bien mené son affaire, donnant à son histoire de la tendresse, de la sensibilité, de la délicatesse. A aucun moment, Solange ne donne l'impression de se livrer à du « détournement de mineur ». Au contraire, Christian doit longuement insister pour la convaincre. Solange est en manque d'enfant et elle voit Christian comme un enfant, avant que ce dernier ne lui fasse comprendre qu'il attend d'elle qu'elle soit pour lui autre chose qu'une maman...

La fin s'avère assez ironique. Raoul et Stéphane ont tout fait pour distraire Solange et pour lui faire un enfant, et ils se voient damer le pion par un adolescent de treize ans qu'ils avaient manifestement sous-estimé. Solange, opportunément devenue femme de chambre chez les Beloeil, se retrouve enceinte de Christian, sans que cela perturbe M. Beloeil, accablé par la disparition de sa femme (amnésique et partie avec le « voisin de palier »...) et devenu paralysé.

Voilà ce que découvrent Raoul et Stéphane en sortant de prison (séjour dû à Solange et à son jeune ami), alors qu'ils s'attendaient à ce que leur bien-aimée leur demande de l'aide. Mais pas besoin d'aide, Solange profite largement de la fortune des Beloeil...

La justesse de l'interprétation ne concerne pas uniquement les rôles principaux. Il faut saluer les prestations impeccables de Jean Rougerie et de Eleanore Hirtz dans les rôles des parents Beloeil, et celle du jeune Riton Liebman dans celui de leur surdoué de fils.

Préparez vos mouchoirs demeure un des chefs-d’œuvre de Bertrand Blier, qui se revoit toujours avec grand plaisir, même quand on le connaît par cœur.

Anecdotes :

  • Ce film a obtenu l'Oscar du meilleur film étranger. Voilà qui démontre le gouffre qui sépare l'intelligentsia américaine, à l'origine de la récompense, et l'Américain traditionaliste des campagnes, qui n'a probablement jamais vu le film et c'est tant mieux puisqu'il ne pourrait que scandaliser sa conception rigide de la morale.

  • On note quelques approximations géographiques : Béthune est située dans le département du Nord par Stéphane, qui en tant que résident de cette ville et qui plus est enseignant, ne devrait pas ignorer qu'elle se trouve en réalité dans le Pas-de-Calais. Même erreur lorsque la DS des Beloeil est immatriculée 59 au lieu de 62. En revanche, Raoul ne se trompe pas lorsqu'il donne l'adresse aux gendarmes : Béthune, Pas-de-Calais.

  • Une nouvelle fois, Blier inclus dans son scénario une ville imaginaire : Saint-Etienne-en-Beaufort, où se trouve la pension de Christian.

  • Pour se rendre à Béthune, Solange prend un train Paris-Lille. Or, Béthune se trouve sur la ligne Paris-Dunkerque, et non sur la ligne Paris-Lille. Et il est curieux qu'un train de grande ligne soit tracté par une simple draisine. Ce détail qui sonne faux est probablement dû à des questions budgétaires. La location à la SNCF d'une locomotive électrique aurait certainement coûté beaucoup trop cher. Sur cette scène, l'absence de figurants est également préjudiciable. Comment peut-on croire que Solange soit la seule passagère qui descende à Béthune ?

  • Si certains acteurs renient parfois leurs débuts ou leurs rôles de jeunesse, ce n'est pas le cas de Riton Liebman, qui a avoué avoir eu du mal à retrouver des rôles aussi intéressants et valorisants que celui de Christian Beloeil.

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