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Saison 2Saison 3

Baron noir

Saison 3



1. CHECK UP



Scénario : Eric Benzekri et Raphaël Chevènement

Réalisation : Antoine Chevrollier

Résumé :

Philippe Rickwaert a à peine achevé sa peine d'inéligibilité, qu'il annonce à Kahlenberg qu'il compte se présenter à l'élection présidentielle qui aura lieu deux ans plus tard. Or les différents chefs des partis politiques sont plus préoccupés par les prochaines élections régionales. De plus des enquêtes quali mettent en évidence que pour l'opinion publique, Rickwaert reste perçu comme l'éternel Baron noir du Parti socialiste, ce qui constitue une tache indélébile et donc un obstacle majeur à ses ambitions présidentielles. 

Critique :

Baron Noir semble être une série qui s’améliore intelligemment à chaque saison. La première posait dès le départ un goût des plans-séquences en steadycam assez virtuose, ainsi que le brio de son écriture, sa capacité à créer une grande tension et du vrai divertissement avec des personnages de politiciens français, calqués sur notre réalité contemporaine. Toutefois, quelques grosses ficelles étaient de temps en temps utilisées du côté des rebondissements, comme du côté de la mise en scène. La seconde saison fut plus fine que la première, parvenant à préserver le suspense sans suicide d’un protagoniste, ni trucage des urnes, ni démission d’un Président, mais simplement avec des confrontations d’idées, des coups de pokers, des ralliements et des trahisons. Il restait pour défauts des musiques pas assez recherchées, un peu en boucles, ainsi que certains effets de mise en scène trop appuyés ça et là (malgré une très bonne tenue générale).

Dès l’ouverture de cette troisième saison, on constate que ces derniers défauts sont gommés. La mise en scène est superbe, les cadres hautement cinématographiques. La réalisation d’Antoine Chevrollier, qui signait déjà les épisodes 5-8 de la saison 2, se fait plus maîtrisée, plus finement stylisée. Les ombres sont plus profondes, les couleurs plus chaudes. Par ailleurs, on note justement l’arrivée d’un nouveau chef opérateur (Benjamin Roux) qui acte ce pas de plus vers un visuel cinématographique. L’introduction sous la neige est bluffante ; plus tard, de nombreux raccords nous surprennent, ou nous touchent, et certaines atmosphères suffisent à nous captiver. Il y a une séquence vraiment très belle où Rickwaert tente de convaincre successivement des membres du PS de l’utilité de sa candidature, et où il fait face à la même réponse (« et ta condamnation ? »), tout en plan-séquence virtuose dans un restaurant. La caméra se ballade de table en table, alors que le temps passe et que l’on retrouve Rickwaert à chaque fois devant un nouveau visage fermé… Notons aussi par exemple la très belle atmosphère de la scène dans le jardin de Vidal, à la tombée du jour, où il parle de ses roses à Véronique, là aussi majoritairement en plan-séquence, d’une grande élégance.

Quant à la musique, toujours composée par Evgueni Galperine et Sacha Galperine, elle apporte de nouveaux thèmes, plus originaux. Le thème « thriller » un peu trop lourd de la seconde saison est relifté, collant mieux aux images, exprimant l’intériorité des émotions de Rickwaert. De manière générale elle se fait plus mélancolique et envoûtante.

Côté scénario, les deux auteurs maîtrisent parfaitement les personnages. Les acteurs aussi. L’impossible réconciliation de Rickwaert et Cyril est particulièrement touchante, d’autant qu’elle est mise en parallèle avec la réconciliation de Rickwaert et sa fille. Quand Philippe avait perdu l’amour de sa fille, il avait déporté son affection vers Cyril. Désormais, aux jolies scènes père/fille se succède donc une scène très sombre où Rickwaert laisse Cyril au plus bas.

La vie présidentielle d’Amélie est aussi une des qualités de l’épisode, et Thorigny apparaît plus nettement comme un personnage bourrin et antipathique, un méchant plus savoureux, là où ses traits paraissaient trop vagues dans la saison 2. L’affrontement entre Rickwaert et Kalhenberg, qui ouvre la saison, est aussi une promesse alléchante. Enfin, le pas de Rickwaert vers Vidal créé vraiment notre stupéfaction, autant que notre plaisir tant les scènes avec François Morel sont réussies. Notamment la toute dernière, marquante, où Rickwaert est hué par la foule de Debout le peuple, avant d’être applaudit quand leur leader l’accueille.

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2. DIASPORA

Scénario : Eric Benzekri, Olivier Demangel, Thomas Finkielkraut

Réalisation : Antoine Chevrollier

Résumé :

Trop handicapé par l'état moribond du Parti Socialiste, Philippe prend tout le monde de court et rallie "Debout le Peuple" de Michel Vidal. Il applique en réalité une vieille tactique politique baptisée l'entrisme.

Critique :

La série poursuit sur sa lancée dans ce deuxième épisode toujours aussi bien écrit et bien mis en scène. Dans un style toujours aussi cinématographique, aidé des nouvelles musiques plus émouvantes et audacieuses, la série brille par le ton qu’elle a su trouver. Au premier plan, l’humanité des personnages, leurs émotions, leurs réflexions. Arrivé à cette troisième saison, Baron Noir gère parfaitement l’aspect tragique de son récit, y intégrant plus subtilement l’exposé du monde politique français.

Ainsi, la découverte de nouveaux couples est une bonne pierre apposée à l’édifice de la série. Amélie Dorendeu rencontre un expert de la Françallemagne, très bien joué par Alex Lutz, et l’on sent immédiatement une possible love story apparaître. D’un autre côté, on découvre l’épouse de Michel Vidal, qui connaît par cœur les travers de son mari et offre un regard supplémentaire sur l’alter-ego de Mélenchon, qui reste une personnalité puzzle, contradictoire et fascinante.

L’épisode, qui fait traverser au spectateur l’étape des Régionales, lance aussi l’enjeu des prochaines Présidentielles. Dès cette élection régionale, les pions de l’élection nationale se posent. Là encore, le récit des régionales se mêle parfaitement au récit intime des différents personnages. Le ralliement du candidat PS du Nord au parti de Debout le Peuple, donc dans le camp de Véronique et Vidal, provoque la rupture amoureuse de Véronique et Kalhenberg. Une scène assez déchirante, portée par les deux excellents comédiens, Astrid Whettnal et Philippe Résimont.

Parallèlement, les régionales sont aussi le moment des retrouvailles entre Rickwaert et Cyril. Philippe fait son méa-culpa, retrouve son fils spirituel. Ils se promettent de rester soudés, unis pour porter Philippe à la Présidentielle. En effet, si Philippe rejoint Vidal, c’est une tactique de plus. Il joue à l’infiltré. Et, comme dans un excellent film d’infiltré, Vidal finit par s’en douter. Effrayé de voir son stratagème s’effondrer si tôt, Philippe qui avait convaincu Cyril de rejoindre le camp Vidal lui aussi, lui demande à la dernière minute de tout simplement s’écarter des Régionales, de se retirer pour le second tour. Déboussolé, Cyril écoute son cœur : non seulement il se retire de ces élections, mais il se retire de la vie politique tout court. Ce coup de théâtre est doublement fort : non seulement, il joue avec nos émotions comme un yoyo, puisqu’à peine réunis, Philippe et Cyril se retrouvent à nouveau éloignés. Cyril pardonnera-t-il à Philippe d’avoir provoqué sa disparition politique ? Reviendra-t-il l’aider ou bien avec une envie de vengeance ? Le twist est aussi fort dans son rapport à notre réalité : alors que Cyril semblait calqué sur Manuel Valls dans la saison 2, les scénaristes prennent assez de liberté pour le faire suivre un autre chemin que leur modèle de départ (prêt à rallier le camp de l’extrême gauche ; puis se retirant de la vie politique). Jouant avec nos attentes concernant des modèles réels, la série nous surprend d’autant plus. Les scénaristes démontrent ainsi à quel point, en politique, rien ne se passe jamais comme prévu. Les aléas de la vie bousculent toujours les stratagèmes.

Dans son coin, c’est ces aléas qu’aimeraient maîtriser Amélie : en chute dans les sondages pour la prochaine Présidentielle, elle aimerait faire « dérailler » l’élection, provoquer un choc qui perturbe tous ces adversaires. C’est dans cette optique qu’elle étudie une nouvelle Françallemagne, entièrement basée sur un grand renouveau écologique. 

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3. #METOO

Scénario : Eric Benzekri, Olivier Demangel, Thomas Finkielkraut

Réalisation : Antoine Chevrollier

Résumé :

L'élection de Véronique Bosso en Hauts-de-France conforte la position de Vidal. L'irruption du GUD lors d'une réunion en non-mixité dans un lycée inspire Rickwaert qui va en profiter pour attirer de nouveaux électeurs au parti de Vidal et les lui prendre une fois le chef affaibli. Les plans d'Amélie Dorendeu pour la « Françallemagne » sont mis à mal par une affaire de harcèlement sexuel visant le chancelier allemand, qui doit démissionner.

Critique :

Encore un très bel épisode, peut-être encore meilleur que les deux premiers. Ici, le jeu d’« infiltré » ou d’entrisme de Rickwaert au sein du mouvement de Vidal prend la part belle. Le face à face est fascinant, voir angoissant par moments. Tout le portrait de Vidal prend de l’ampleur, porté par François Morel. Une vision à la fois touchante et inquiétante de cet alter-ego de Mélenchon. Ayant vu pendant deux saisons le jeu permanent de coups-bas, de tactique qui prévaut sur les convictions, et dont le Parti Socialiste et le Baron Noir sont devenus maîtres, on saisit mieux le besoin de Vidal de créer son propre parti, lavé de cette forme de corruption des idées. Seulement, Vidal s’enferme dans son autorité, persuadé par ses bonnes intentions qu’il peut se passer de toute forme de débat. Si on sait que ce portrait part du « vrai » Mélenchon, de ce que l’on sait de cette figure réelle par différents recoupements, le personnage de Vidal devient avant tout un grand personnage de fiction, tragi-comique, fascinant, brillant, effrayant aussi, drôle parfois, très humain.

Evidemment, c’est aussi le cas du personnage de Philippe, qui ici plus que jamais avale des couleuvres – l’exemple le plus frappant étant de devoir écouter Vidal insulter hargneusement Cyril, que Rickwaert a dû écarter du chemin pour poursuivre son parasitage du mouvement Debout le peuple…

La série, dans sa saison 3, touche aussi intelligemment à une forme de modernité qui pousse les mouvements politiques à se questionner : ici avec la fille de Philippe qui veut photographier un groupe racisé anti-raciste, avant que ne surgissent des casseurs du FN. D’un autre côté, Dorendeu apprend que le Chancelier allemand est visé par des accusations de harcèlement sexuel, ce qui fait tomber à l’eau le processus de dialogue autour de la Françallemagne écolo de la Présidente… Une modernité qui marche sur la tête aussi, avec les portraits dressés par des conseillers en communication selon lesquels Amélie devrait redevenir « féminine » pour conquérir l’opinion, donc assumer une histoire d’amour publiquement. Si elle ne les écoute pas instantanément, elle choisit un interview par Karine Lemarchand pour se « livrer » sur un plan plus intime… mais conclut l’émission par un twist, l’annonce d’un grand projet pour modifier l’élection Présidentielle : sa nouvelle manœuvre pour déstabiliser les concurrents à l’élection, alors que celle de la Françallemagne ne peut plus fonctionner. Ou comment le réel pousse toujours les politiciens à se réinventer, quitte à être roublards, mélangeant opportunisme, ambition, et conviction (puisqu’initialement de gauche, Dorendeu pourrait être réellement contre la part trop monarchique de la 5ème république).

Cette annonce pousse aussitôt Rickwaert à conseiller à Vidal de demander au peuple de sortir dans la rue, manifester pour une constituante… ce qui était le plan secret de Dorendeu. Comme si Rickwaert et Dorendeu restaient liés de manière invisible, ayant finalement le même cerveau. Bref, ce troisième épisode continue de maintenir la série à un haut niveau depuis le début de la saison.

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4. INVENTAIRE

Scénario : Eric Benzekri et Raphaël Chevènement

Réalisation : Antoine Chevrollier

Résumé :

Devant la réaction des militants de Debout le peuple, Amélie Dorendeu précise l'essentiel de sa réforme : une modification de l'article 6 de la Constitution, supprimant l'élection du Président de la République au suffrage universel. Vidal s'exprime contre sur les réseaux sociaux sans consulter le bureau, et Rickwaert décide de soutenir la proposition. Un grand débat public est organisé entre Vidal et Rickwaert, surveillé par une équipe de trolls agissant pour Dorendeu.

Critique :

Par le coup de poker d’Amélie Dorendeu, Rickwaert se voit offrir un face à face avec Vidal bien plus tôt que prévu. Alors que Vidal tweet seul, sans consulter aucun membre de son parti, « contre » le référendum proposé par Amélie, Rickwaert tweet pour. Il cherche ainsi à emporter avec lui les membres de Debout le Peuple qui trouvent Vidal trop autoritaire. Par le « non » de Vidal à la proposition de Dorendeu, pourtant proche de son propre programme – une nouvelle République –, Rickwaert lève le masque de Vidal. En s’infiltrant dans son parti, comme un équilibriste, Rickwaert a essayé de réunir les gauches, et voyant que c’était impossible face à l’égocentrisme de Vidal, il saisit l’occasion de le détruire.

L’épisode, toujours aussi inspiré en terme de mise en scène, offre aussi un sort plus positif au Baron Noir. Comme à la sortie d’une longue traversée du désert, du début de la saison 2 jusqu’à cet épisode, il gagne enfin une grande bataille publique. Non sans une dernière épreuve : le dentiste, juste avant son discours, l’obligeant à soigner sa mâchoire enflée mais sans anesthésie pour pouvoir parler en public dans l’heure qui vient.

Une fois lancé dans la fosse aux lions, Rickwaert est écouté par sa fille dans la foule, qui avoue enfin auprès de sa nouvelle petite amie s’appeler Rickwaert : « c’est mon père ». Beau climax d’une grande scène de discours politique, symbolisant bien la force de la série : dépeindre les coulisses de la sphère politique française, mais au service d’un récit et de personnages de fictions.

Philippe gagne aussi sur le plan affectiv, par la collaboration avec une conseillère en communication, Naïma, dont il tombe amoureux. Jolie manière de jouer autour conflit relation de travail/relation amoureuse dans ce milieu politique, où tous paraissent enfermés dans leur bulle. Ils ne rencontrent presque plus que des collaborateurs, tombent amoureux de collègues. Et quand le travail vient à les opposer, ces monstres de politiques risquent souvent de choisir le travail plutôt que l’amour, comme on l’a vu avec Kalhenberg et Véronique. Est-ce qui attend Naïma et Philippe ? Ce sera peut-être un nouvel enjeu, lancé par cet épisode assez positif, qui, s’il est plus tourné vers l’enchaînement des actions politiques, des affrontements, que vers l’ambiguïté des personnages comme dans les 3 premiers, reste de très bonne tenue scénaristique et visuelle. 

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5. SATANAS

Scénario : Eric Benzekri et Raphaël Chevènement

Réalisation : Thomas Bourguignon

Résumé :

À trois semaines du référendum, le Oui stagne. Persuadé que ce résultat est dû à l'impopularité de Dorendeu, Rickwaert tente de convaincre la présidente de renoncer à participer à la campagne, non sans avoir annoncé qu'elle ne démissionnerait pas en cas de défaite. Lors d'un déplacement, Amélie tente d'échanger avec des manifestants qui l'accueillent aux cris de « Dictature dorendiste ! ». Un manifestant finit par la gifler, et se révèle être un admirateur de Christophe Mercier, enseignant et vidéaste antisystème qui rejette la démocratie représentative.

Critique :

La série continue d’être passionnante en cette saison 3, adaptant plus que jamais ses rebondissements à ceux du réel. Haine des élites, monarchie présidentielle qui isolerait le poste de Président de la réalité, nouvelles forces politiques issues de blogueurs, vidéastes en ligne… De toute part on sent une révolution, la fin d’un système démocratique, mais d’où viendra-t-elle ? Sur un mode anarchiste, du « peuple », mais mené par une figure finalement assez obscure de youtubeur ? Sur le mode voulu par Vidal, une 6ème République qui ne pourrait être amené que par l’élection du leader à la 5ème ? Ou par l’extrême-droite de Chalon, un pouvoir livré aux mains du fascisme ?

Si tous les personnages sont fictifs, on voit bien ici comment la fiction s’inscrit dans un conflit réel, vécu de l’intérieur par la sphère de ceux qui font de la politique depuis des années. Très intéressant de voir Rickwaert découvrir par la bouche de sa fille le youtubeur Mercier, sorte d’alter-ego d’Etienne Chouard, aussi à l’avant-garde de Raoult. Bien sûr, la série adopte comme arène fictionnelle le monde des politiciens français, et le youtubeur existe automatiquement comme antagoniste. C’est un point-de-vue, celui de la série, avant tout porté par le regard du vieux socialiste Rickwaert, que de dépeindre ces nouveaux visages « hors-systèmes » comme des dangers.

Toutefois, si la série nous fait avant tout aimer Rickwaert et nous donne envie de le voir réussir, elle nous fait glisser par tous les points-de-vues. On comprend aussi le personnage de Mercier, il paraît sincèrement engagé. La série permet de nous interroger : vaut-il mieux un système basé sur une concurrence de loups de la politique, ou un renversement mené par le peuple, avec un leader issu du peuple et sincèrement mené par ses idées ? La sincérité de Mercier n’est-elle pas dangereuse ? Persuadé d’avoir une « mission », moins contrecarré que les hommes politiques professionnels qui eux sont en permanence obligés de renoncer à certaines de leurs envies, il paraît impossible de débattre avec Mercier.

Comme il paraît parfois impossible de débattre avec Vidal. Toutefois, Vidal dit aimer « changer de personnage », ce qu’il fait de mieux : il veut tellement le pouvoir, lui aussi, qu’il peut s’adapter aux situations. Est-ce que cette part de cynisme, liée à l’envie de pouvoir, ne serait pas garante de la démocratie ? Ces hommes et ces femmes qui cherchent en permanence à exister dans la sphère du pouvoir sont bien obligés de s’adapter en permanence, de changer d’avis, de ligne, en fonction du flux permanent de ce qui populaire et impopulaire. A l’inverse, des forces nées en dehors de cette sphère pourraient s’enfoncer dans la violence par l’obsession d’une idée, d’un programme, persuadé qu’il n’existe qu’une vérité.

Baron Noir, tout en révélant les failles d’un vieux système politique, en révélant ses coulisses, lui rend aussi une forme d’hommage : c’est au moins un système où l’on peut débattre, marchander. Il n’y a pas qu’une vérité, on a des valeurs mais on doit bien parfois céder au chantage du parti adverse, ou du sien. Cela passe par des coups de pokers, des retournements de veste, mais cela ressemble un peu à une démocratie.

Pourtant, peut-être parce que cette démocratie n’est pas toujours belle à montrer, le grand public ressent une défiance et paraît vouloir se tourner vers des figures de solitaires, des figures « extrêmes » : dégagisme, extrême-droite, ou youtubeurs. Belle image de Vidal qui dit soudain à tout son staff « laissez-moi réfléchir » : en plongée, la table se vide, Vidal reste seul, penseur de Rodin, statufié.

Par le biais des vidéos, d’internet, des nouvelles figures politiques comme celle fictive de Mercier paraissent pouvoir s’adresser à « tout le Peuple » d’un coup, à l’inverse de l’élite des élus qui ne se parle qu’entre eux. Pourtant, concrètement, il s’agit aussi de tribuns, qui parlent seuls devant leur écran. Si le Peuple like, envoie des smileys, ou sort dans la rue, il n’en reste pas moins que ces figures là ne veulent pas réellement « parlementer ».

C’est donc le nouvel enjeu de cette fin de saison : un système menace de s’effondrer. Faut-il le rénover ? Peut-on le rénover ? Ou bien va-t-il être renversé, et si oui, par qui ? Quelle place pour le Baron Noir, dont les talents et l’expertises ne peuvent fonctionner qu’au sein de ce système-là ? Cette nouvelle urgence est très bien incarnée à l’écran par la scène de la gifle donnée à la Présidente, scène assez renversante. D’autant qu’on s’attache paradoxalement de plus en plus au personnage de Dorendeu, si bien campée par Mouglalis.

Ce questionnement nouveau se pose dans cet épisode par le vote référendaire proposé par Amélie, Oui ou Non à la nouvelle forme d’élection Présidentielle qu’elle propose. C’est encore une fois l’occasion pour Rickwaert d’exister publiquement, en affrontant autant le youtubeur Mercier que Vidal. La conclusion de l’épisode, qui montre ces derniers se réunir, est une bonne trouvaille de cliffhanger. Si la série continue de s’inspirer de la réalité, on peut imaginer que le mouvement de Mercier et le parti de Vidal ne parviendront pas à créer une nouvelle force commune, mais le suspense reste entier.

Cette nouvelle phase de la saison marque aussi le changement de réalisateur (comme dans la saison précédente, où Ziad Doueiri laissait la place à Antoine Chevrollier), cette fois Antoine Chevrollier laisse la place à Thomas Bourguignon, également producteur de la série. L’unité visuelle reste là, grâce au talent du chef opérateur Bruno Degrave qui fait des merveilles (à la suite de Benjamin Roux), et bien sûr aussi à celui du réalisateur. Les fioritures virtuoses de Chevrollier qui faisaient le charme des premiers épisodes sont rendues un peu plus discrètes désormais : il reste quelques plans stylisées ou raccords audacieux (le visage de Vidal qui se noie dans une trompette de fanfare), mais de manière plus sobre, la mise en scène se faisant plus à l’épaule, dynamique, qu’en prouesses de steadycams et de travellings. On reste toutefois dans ce qui se fait de mieux parmi les séries françaises, et arrivé à ce stade notre sentiment se confirme : chaque saison de Baron noir paraît encore meilleure que la précédente. 

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6. OUI

Scénario : Eric Benzekri, Olivier Demangel, Thomas Finkielkraut

Réalisation : Thomas Bourguignon

Résumé :

Trop handicapé par l'état moribond du Parti Socialiste, Philippe prend tout le monde de court et rallie "Debout le Peuple" de Michel Vidal. Il applique en réalité une vieille tactique politique baptisée l'entrisme.

Critique :

Très bel épisode, qui nous surprend dès sa scène d’ouverture dans un train, où Philippe demande Naïma en mariage, avant de se voir interrompu par des passagers qui veulent discuter politique. Le champ du réel et de l’intime se mêlent, à l’image du reste de la série, comme un résumé de la série dans un wagon. L’épisode poursuit sur cette lancée, où le mariage, idée qui ne tente pas trop Naïma au départ, devient l’occasion d’inviter les grands pontes de la gauche et d’essayer un nouveau coup médiatique. Quand Vidal finit par s’y inviter, on croit que Rickwaert a tout gagné.

Mais, autour du champagne, Vidal constate que ses vues et celles de Kalhenberg, le plus centriste du PS, seront irréconciliables malgré tous les efforts de Rickwaert. Vidal veut que Mercier, le youtubeur, puisse se présenter. Tout explose à partir de cette opposition, la rixe est relayée sur le net… Alors que Vidal quitte le mariage, en ayant regagné la confiance d’Aurore Dupraz qui part avec lui, Amélie Dorendeu profite de ce nouveau rebondissement pour annoncer sa candidature à la réélection, en proposant elle-même que Mercier se présente, invitant les Maires de France à lui offrir 500 signatures.

Parallèlement, Amélie a elle aussi jouée avec la communication 2.0. en se montrant aux bras de son nouveau petit ami (bon casting avec Alex Lutz). L’épisode joue donc très joliment de ce mélange d’intime et de politique, pour créer un double suspense : Qui gagnera l’élection ? Parmi ces couples, lesquels seront détruits par le jeu politique ?

Dans le premier suspense, qui est celui que nous vivons tous les 5 ans et que la saison 3 met en scène, apparaît de plus en plus la stratégie du Front National. Eux aussi subissent des dissensions, entre radicalité anti-européenne ou tentative de manger la droite traditionnelle. Ces scènes sont moins nombreuses, mais incarnent le plus grand antagonisme du point-de-vue de Rickwaert et du spectateur, ceux dont nous craignons le plus l’accession au pouvoir. Pourtant, la série parvient très bien à incarner les arguments de chaque parti, par son art des dialogues. Du youtubeur au Front National, de l’extrême-gauche au Centrisme à la Dorendeu, en passant par le camp Rickwaert, le spectateur peut vivre bulle par bulle la logique de chaque parti. Le tout incarné plus que jamais par des trajectoires de personnages, à l’image de ce mariage qui occupe toute la deuxième moitié de l’épisode. 

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7. BRÜDER

Scénario : Eric Benzekri et Raphaël Chevènement

Réalisation : Thomas Bourguignon

Résumé :

Ayant renoncé à une candidature à la présidentielle au nom de son discours sur l'unité de la gauche, Rickwaert est persuadé que la présidente le nommera Premier ministre après sa victoire. Au premier tour, Dorendeu devance Mercier, qui double Chalon. Vidal, arrivé quatrième, voit Debout le peuple lui échapper et préparer son ralliement au YouTubeur, bien que le candidat du RN ait appelé à voter en faveur de ce dernier. Philippe est effectivement appelé par Amélie, qui veut le désigner à Matignon sur un programme social et écologiste. C'est alors que la presse révèle l'accord secret entre la présidente et l'ancien chancelier allemand sur le partage du siège français à l'ONU.

Critique :

Le rythme s’accélère pour entrer dans ce qui va constituer un double chapitre final, les épisodes 7 et 8. Le scénario semble faire un bond dans le temps en commençant directement au débat du 1er tour, où Rickwaert est étonnamment absent. On comprend alors qu’il s’est retiré, pour louer l’union de la gauche, misant sur une réélection d’Amélie et une accession au poste de 1er ministre. La première partie de l’épisode joue sur un suspense nouveau et bien trouvé : et si Philippe délirait ? S’il avait trop confiance dans son instinct, qu’Amélie n’allait jamais l’appeler pour être 1er ministre ? C’est la question que se pose Naïma et le spectateur avec elle. Notre héros est-il un si génial tacticien, après tout ?

Le suspense est levé dans une première partie, à coups de fausses pistes lancées par la Présidente : oui, elle veut effectivement Rickwaert en 1er ministre. Mais comme d’habitude dans la série, les protagonistes doivent faire face à l’imprévu : alors qu’Amélie prévoit sa tactique et réfléchit déjà à son second mandat avec Philippe, un leak révèle les SMS échangés entre Amélie et le Chancelier Allemand au sujet du siège commun à l’ONU. Un scandale éclate en France, confortant les propos du youtubeur Mercier : une caste prendrait des décisions dans le dos du peuple. Amélie chute dans les sondages, au profit de son opposant Mercier. Ici, la série touche parfaitement du doigt le sentiment de sidération qui nous traverse régulièrement à la découverte d’un scandale, qui vient bousculer entièrement les prédictions politiques.

La mise en scène de Thomas Bourguignon offre ici une excellente synthèse de la série, entre style virtuose quant aux raccords ou aux mouvements de caméras, et moments plus invisibles au service des dialogues. Certaines scènes de 5 ou 6 minutes d’échanges nous prennent aux tripes, comme la descente en flèche de Vidal par ses propres militants, ou l’échange qui s’en suit entre Rickwaert et un Vidal au plus bas. Partant du personnage de Mélenchon, la série rend à la fois un bel hommage à ce protagoniste, bourré de contradictions, qu’on a aimé détester dans les épisodes précédents, et pour lequel on éprouve ici une grande empathie. Le spectateur ne sort pas de la série plus ou moins convaincu par un parti ou une personnalité, mais il a pu lever le voile sur les mécanismes de ce monde, et se rappeler que ceux qui le constituent sont finalement rien que des humains, imparfaits, comme nous.

Même empathie pour Amélie, pourtant arrogante bien souvent, ici détruite par le récent scandale. Alors que Mercier est amené à gagner, à renverser la République donc, Philippe trouve la seule solution : qu’Amélie soit destituée avant le second tour. Amélie, qui renoue enfin avec Philippe, doit assumer la justesse de cette analyse et se faire hara-kiri. Elle accepte à une seule condition : qu’il se présente et gagne la Présidence. Notre héros gagne et perd tout à la fois… grande trouvaille des scénaristes de la série.

Bref, l’épisode nous fait vivre un véritable trajet de montagne-russe, pris en étau dans la temporalité de l’entre-deux-tours, créant un suspense intense et se concluant sur un dernier choc qui hausse énormément nos attentes pour le dernier épisode.

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8. AHOU !

Scénario : Eric Benzekri et Raphaël Chevènement

Réalisation : Thomas Bourguignon

Résumé :

Après que le Conseil constitutionnel a prononcé l'empêchement de Dorendeu, Rickwaert se présente en candidat unique de la gauche à la nouvelle élection présidentielle, face à Mercier, Boudard et Chalon. Amélie, qui rencontre Philippe en secret pour lui imposer de la dénigrer dans ses meetings afin de fédérer les électeurs, se retire dans sa maison d'enfance avec Olivier.

Critique :

Un dernier épisode tout simplement ébouriffant, et complètement juste vis-à-vis de tout ce que la série a construit jusqu’ici. La première moitié de l’épisode montre l’exécution du plan de Rickwaert : le Monsieur Terrorisme d’Amélie révèle que la Présidente a bien demandé l’exécution de trois Djihadistes sur le territoire français, hors de l’Etat de droit. D’un temps de tension à un autre, l’épisode décrit ce qui arriverait en cas d’un tel scandale (le Conseil Constitutionnel qui se penche sur l’annulation de l’élection ou son maintien).

Puis, l’annulation de l’élection annoncée, le milieu de l’épisode raconte la nouvelle campagne Présidentielle accélérée, sur 30 jours, où Rickwaert parvient à convaincre toute la gauche de se réunir autour de lui. A ce stade, on est suspendu, tant l’usage des mécanismes de l’élection Présidentielle servent magistralement au suspense de la fiction. Et encore plus quand vient le débat final, entre Rickwaert et Mercier. 8 minutes de tension, où notre héros, pour une fois, ne nous déçoit pas. Il défend le système de la République, et en cela il défend la série. Très beau moment où le personnage, arrivé au terme de l’aventure, explicite presque le propos de Baron Noir : oui, le système pousse à s’adapter, à parfois trahir ou se trahir soi-même, à revenir sur des mesures… Mais ce même système permet aussi, parfois, de grandes victoires, de grandes avancées pour le pays et les citoyens.

Ce grand moment mène à un dernier temps de suspense, les résultats de l’élection : moment génial où la série joue avec notre habitude de ce moment rituel, utilisant nos souvenirs de ces instants où la France se fige devant son poste de télévision, pour voir apparaître le visage de notre protagoniste principal après 3 saisons passées avec lui.

Si la fin pourrait être heureuse, elle finit sur une note sombre qui résume toute la série : pour éviter la catastrophe, Rickwaert a demandé à Amélie de disparaître. La dernière image, très belle, de la silhouette en ombre chinoise de Rickwaert, rappelle une dernière fois combien toucher au pouvoir détruit autour de soi. Philippe, au final, est un personnage touchant et sincère, d’abord mené par ses convictions dans ses jeunes années, qui a vite compris que pour porter ces mêmes convictions au pouvoir il devait être un grand stratège, devenir le « Baron Noir ». S’engager en politique, dit la série, à des contreparties : quand on touche au pouvoir, on perd ses proches, on trahit, on ment, on triche… Impossible de faire sans, ou alors le camp d’en face gagnera. Si cela peut donner l’image d’un pouvoir corrompu, Baron Noir nous dit que les politiciens qui le constituent sont tout de même, au départ, portés par des valeurs, et, in fine, rien que des hommes et des femmes, imparfaits.

Il est dit qu’il n’y aura pas de saison 4. Si tel est le cas, Baron Noir arrive en fin de saison 3 à une parfaite conclusion sur le plan narratif (nous quittons notre héros enfin aux portes du rôle qui l’inspire tant), sur le plan des émotions (un dernier grand moment de joie, puis un retour au tragique), et sur le plan des questionnements posés par la série. Le tout est allé crescendo, chaque saison plus parfaite que la précédente, ce qui fait de Baron Noir l’une des meilleures séries françaises de ces dernières années. 

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