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 saison 1Saison 3

Journal intime d'une call girl 

Saison 2


1. AU CŒUR DU SCANDALE
(ÉPISODE 2.1)

Scénario : Lucy Prebble
Réalisation : Fraser MacDonald

- Oh, I came up with a name. I wanna be called Bambi. […]
- Because you're quite doe eyed ?
- No, it's because my mom got shot.

Un paparazzi harcèle Belle pour lui soutirer le récit d’une nuit avec un homme politique dans le but de le faire tomber. Belle rencontre Alex, un anesthésiste qu’elle séduit involontairement, mais doit s’occuper aussi de Bambi, une jeune femme délurée qui veut devenir escort de luxe et qui l’a contactée pour qu’elle soit son mentor. Belle doit dans le même temps se rendre au baptême de son neveu…

La critique de Clément Diaz:

Pour faire évoluer son show, Lucy Prebble bouleverse les composantes de sa série. Dans cet ouverture de saison, la créatrice court à perdre haleine pour introduire tout ce qu’il y’a de nouveau : dans les trois saisons qui restent, Hannah, dont le double menace de plus en plus de la détruire, va désormais chercher une relation stable en plus de son métier. C’est le rôle dévolu cette saison à Alex. Cela va faire monter en puissance le grand thème de la série (la double identité de l’héroïne) tout en instaurant à chaque saison un arc feuilletonnant en plus du « client de la semaine ». C’est le format le plus efficace (aussi le plus difficile) pour une série, en opposition avec le stand-alone un peu mécanique de la saison précédente.

Elle va oser un humour plus délirant et massif, dans la lignée de Sex and the city, et introduit pour cela une tornade d’humour montée sur pattes : le personnage dingo de Bambi. Mais elle doit également soigner l’entrée d’Alex. Mais elle doit aussi écrire une intrigue indépendante. Conséquence : l’épisode forme un patchwork totalement décousu où l’on est ballotté sans transition d’une scène à l’autre. Cet effet de précipitation empêche chaque nouvel atout de se développer. L’on retrouve le même défaut du pilote de la série, mais en plus accentué, car ces innovations n’interagissent guère entre elles. Cependant, une fois passé ce début fourre-tout, la saison va s’appuyer sur ses atouts et offrir un spectacle plus abouti encore que la précédente.

La méprise vaudevillesque initiale instaure une ambiance plus festive qu’à l’ordinaire, typique du nouveau pas franchi par la série sur l’humour. Tout comme Ben à ses débuts, Alex n’a pas encore sa personnalité, et ne vit que par son lien envers Belle. Cela dit, Callum Blue arbore immédiatement les atours maladroits mignons d’Alex, et son déphasage comique dans lequel on reconnaît le frappadingue Mason de Dead like me, avaleur diplômé de couleuvres les plus improbables. Les jeux totalement désynchronisés de Billie et Callum assurent la comédie. Toutefois, il faut avouer que l’arrivée fracassante de Bambi est bel et bien l’événement du jour. Incarnée par une gouleyante (et insoutenablement sexy) Ashley Madekwe prête à redéfinir la notion même de cabotinage délirant, la fraîche jeune femme s’approprie immédiatement l’écran entre gaffes, rires suraigus, insouciante joie de vivre, et énergie explosive (que Poppy n’égalera jamais). On s’amuse par avance du mentoring de Belle envers Bambi : remises au point, quiproquos en pagaille, et coups de gueule répétés sont à prévoir, et on ne va pas cracher dessus, loin de là !

La comédie irrigue aussi la cérémonie de baptême avec une description tendrement ironique de la famille de Belle, galerie de culs serrés (mention à la sœur) dont l’on se demande vraiment si notre héroïne en fait partie. La scène souffre cependant de s’étaler alors qu’il ne se passe rien. Cependant, Lucy Prebble dégaine une nouvelle arme comique : les délires imaginaires de Belle, ici s’imaginant avouer à sa famille sa véritable profession. Le résultat évoque les plus grandes embardées burlesques de J.D. le médecin lunaire de Scrubs aux délires imaginaires les plus saugrenus.

Toutefois, cette succession enchaînée de gags ne masque pas l’absence d’un vrai scénario, donnant un aspect de film à sketches trop fragmenté pour convaincre. Prebble tente bien de compenser avec une touche plus sombre, grâce au chantage d’un odieux journaleux, affamé de scoops putassiers. Si Belle s’en sort en préservant son admirable discrétion professionnelle, ce segment est trop vite survolé. L’absence de tout arrière-plan sombre, pilier de la série donne à cet épisode un aspect Sex and the city : frais, joyeux, mais aseptisé et assez vide. Toutefois, il ne s’agit que d’un prélude certes prometteur, à la saison, qui va immédiatement trouver ses marques. Cela valait bien cette ouverture aussi amusante que dispersée.

La critique d'Estuaire44 : 

La série a l’audace de s’offrir un véritable pilote de saison, introduisant deux nouveaux personnages, ce qui, en proportions, signifie un véritablement chamboulement de son micro univers. Qui trop embrasse mal étreint, on peut regretter que le récit développe trop de thèmes à la fois, même si Secret Diary fait toujours preuve de la même efficacité narrative. Par son humour, ses retrouvailles familiales insérant une continuité temporale entre les deux saisons (quelques mois d’écart)  et les rêveries surréalistes à la Scrubs d’Hannah, le baptême s’avère très intéressant à suivre. C’est d’autant plus vrai qu’en filigrane il traduit bien la désocialisation de l’héroïne, toujours plus immergée dans son monde en marge. Son traitement aurait-sans doute nécessité un épisode entier, avec un rôle accru imparti à Ben (ici réduit à une séquence informative) et des vues plus prolongées de la délicieuse campagne anglaise, un sujet toujours apprécié des amateurs des Avengers, mais la séquence n’en demeure pas mois savoureuse.

Billie Piper se montre toujours impeccable dans l’incarnation de Belle et nous gratifie d’un adorable  message de bienvenue pour notre retour dan son journal. Un procédé astucieux, qui sera repris, sur un mode considérablement plus glacial, par Frank Underwood, dans le pilote de la deuxième saison d’House of Cards. L’épisode doit beaucoup à la parfaite entente installée d’emblée avec Callum Blue, lui aussi remarquable. On apprécie le retournement de point de vue  d’avec le Mason de Dead Like Me : c’est ici lui qui incarne un personnage raisonnable en découvrant un autre apparaissant passablement allumé. La relation se met en place avec naturel et un humour pétillant, un sans fautes, très prometteur pour la suite. On reste légèrement plus circonspect avec Bambi, centre déjà tonique mais qui revêt ici une tonalité négative à la Naomi, quand elle pique un client à Belle. Le personnage se voit introduit sous un jour trompeur et trop expéditif. L’opus se montre aussi cinglant que prémonitoire  envers les mœurs d’une certaine presse britannique ne respectant aucune vie privée, annonçant la scandale Murdoch éclatant peu de temps plus tard.

  • Deux nouveaux noms s’inscrivent au générique : Ashley Madekwe va incarner Bambi, nouvelle dans le métier d’escort, pendant 13 épisodes des saisons 2 et 3. Callum Blue va interpréter Alex, potentiel love interest d’Hannah, pendant 7 épisodes de cette saison 2.

  • Ashley Madekwe et Iddo Goldberg se sont rencontrés sur le tournage de la série. Ils se sont mariés quatre ans plus tard le 17 juin 2012.

  • A la demande de son client, Belle urine sur lui. Pourtant, sa wishlist de l’épisode 1.05 précisait qu’elle ne faisait pas les « water sports ». Il se peut toutefois qu’elle  consente à uriner mais n’autorise pas l’inverse.

  • Alex (Callum Blue) déclare qu’Interflora lui a sauvé plusieurs fois la mise. Interflora est une marque anglo-écossaise de fleurs fondée en 1923, qui était à l’origine une extension d’une compagnie américaine. Elle est aujourd’hui une entreprise internationale, et un des leaders sur le marché de la fleuristerie. Un lien discret avec le Whoniverse est peut-être à noter car la compagnie utilise un système de communication informatique appelé « Rose », comme Rose Tyler !

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2. RENDEZ-VOUS GALANT
(ÉPISODE 2.2)

Scénario : Lucy Prebble
Réalisation : Fraser MacDonald

 

Well, if you have a change of mind, my door is always open, as long as your legs are.

Alors qu’elle songe à recourir à une opération de chirurgie esthétique, Hannah est encouragée par Bambi à donner une chance à Alex et tenter une relation normale. Elle ne sait toutefois pas que Bambi cherche ainsi à lui voler des clients. Mais ce faisant, Bambi subit un terrible retour de flamme

La critique de Clément Diaz:

Après la parenthèse de fantaisie comique du précédent épisode, la créatrice revient au mode tragi-comique. L’épisode s’axe sur pas moins de trois thématiques sombres : la course effrénée et inhumaine de la beauté et de la jeunesse dans un monde ne supportant pas le vieillissement, un constat implacable de la désocialisation d’Hannah, due à son double castrateur, et le viol dans le milieu de la prostitution. Si l’humour irrigue les deux premières thématiques, l’épisode se termine sur un ton glacial avec la funeste erreur de Bambi qui passe très près du désastre. Ce virage dramatique inédit au sein de la série, saisit par sa surprise et sa brutalité, laissant à l’épisode une trace de malaise qu’aucune coda ne peut apaiser.

Si le début chez le chirurgien est assez poussif, il est en revanche effrayant par ses perspectives : Belle, superbe beauté de 24 ans, songe déjà à la chirurgie pour rendre son corps plus désirable (My body is my work assène-t-elle d’entrée). Au-delà de la mise en valeur de l’aspect concurrentiel et sans pitié de la prostitution, l’épisode développe tout un réquisitoire contre la tyrannie des apparences, notamment via le personnage très sympathique du chirurgien assumant de moins en moins un métier éloigné de son idéal de médecin « utile ». Son discours sur ce sujet fait écho à celui de son confrère de Clair de Lune (épisode Et l’homme créa la femme, saison 5). Roger Barclay apporte humanité et chaleur à son personnage, rare repère dans la vie borderline de Belle. La série ne se montre pas artificielle en alignant systématiquement des défaites d’Hannah face à Belle : l’on voit au contraire la jeune femme lutter au corps à corps avec son double pour défendre son soi réel, et sauver quelques victoires comme sa renonciation finale. Tout ce pan de l’histoire bénéficie de dialogues souvent drôles et savoureux, mais pas dupes. Hannah se défend aussi de Belle qui voudrait bien la voir renoncer à toute vie privée pour n’être qu’à son métier ; par une ironie sardonique, Hannah emporte le morceau, mais seulement grâce aux conseils de Bambi qui ainsi a le champ libre pour lui voler ses clients ! Si l’enfer est pavé de bonnes intentions, Bambi en aura dallé un bon bout de chemin ! Mais Prebble, au sommet de la subtilité scénaristique, ne fait pas de Bambi une Naomi bis. Son jeu opportuniste s’explique plus par sa candeur, croyant sincèrement « soulager » Belle de ses clients et lui faire prendre soin de sa vie privée. La farandole joyeuse et juvénile du jeu d’Ashley Madekwe est irrésistible. Elle fait un excellent numéro de petite fille gâtée lors de la mémorable confrontation avec Stéphanie, campée par une Cherie Lunghi une nouvelle fois impériale en dame de fer très humaine.

Lors du rendez-vous galant avec Alex, Hannah prend conscience que Belle a sapé tous ses réflexes sociaux. Il est difficile de ne pas rire lorsqu’Hannah s’enfonce impitoyablement devant son prétendant (énorme gag de la moustache). Elle se replie donc dans le silence, laissant le volubile Alex parler pour deux. Malgré la comédie de la situation, assurée entre autres par un Callum Blue toujours décalé et souriant, nous voyons une Hannah s’apercevant avec horreur de sa déconnexion quasi-totale avec le monde réel, son monde. L’on sent qu’elle serait plus à l’aise à séduire charnellement Alex que lors des phases de flirt et de vie commune (n’a-t-elle pas fourré le Docteur dans son lit en moins de deux ?). Les griffes du drame à venir apparaissent déjà. Le twist terrible de Bambi punie de sa négligence insouciante frappe très fort. Dans la lignée du « client dangereux » de l’épisode 1.06, l’épisode montre sans fard que même les escorts de luxe ne sont pas immunisés contre des agresseurs sexuels. L’effondrement de Bambi dans les bras de Belle est un vrai choc, et l’antidote parfait aux contempteurs de la série qui lui reprochent de « glamouriser » à outrance le milieu. Un épisode aussi riche que sombre, audacieux dans son humour jaune comme dans son dramatisme.

La critique d'Estuaire44 : 

Après l’effervescence du pilote de saison, la série en revient à un discours davantage coordonné, tout en renouvelant heureusement ses thématiques, au-delà du catalogue des prestations diverses et variées proposées par Belle. Sous une apparence humoristique (plusieurs scènes sont à pleurer de rire, dont le pilonnage d’artillerie entre Belle et Stéphanie), le récit interpelle belle sur son métier, décrit derechef sous un jour nettement moins flatteur que ne le pointent de nombreux blâmes adressés au programme. A côté de l’inquiétante péripétie vécue par Bambi, c’est bien la réification en marchandise du corps féminin qui se voit dénoncée avec force.

Un propos que le discours du prospère médecin élargit d’ailleurs à notre société du paraître. La narration évite le piège de la caricature en rendant ce dernier sympathique Ses faux airs de Julian McMahon achèvent d’ailleurs de donner à l’opus un petit air bienvenu de Nip/Tuck. On aime que Belle choisisse de demeurer elle-même, une victoire sur ce métier qui la dévore, elles ne seront guère nombreuses. La grossesse rend Billie Piper particulièrement radieuse et épanouie. La mise en scène reste finement ajustée  nous égale de toute la panoplie des astuces déployées pour dissimuler la grossesse d’une actrice : vêtements amples, angles de vue, postures, doublures, rien ne manque à l’appel. A montrer dans toutes les bonnes écoles de cinéma.

L’épisode présente aussi le mérite d’installer définitivement Bambi dans la série. Elle se montre un  tantinet désespérante quand elle continue à conjuguer crânerie et solution de facilité consistant à piquer les clients de Belle, mais au combien attachante par ailleurs. A l’instar de Billie Piper, Ashley Madekwe (actuellement dans Salem avec son mari Iddo Goldberg) sait à merveille conjuguer drôlerie et sentiment, notamment quand Belle, malgré une hilarant bouffée de colère au préalable, vole au secours de Bambi. La solidarité entre les deux femmes se montre émouvante, en contraste avec l’humour précédent, un joli moment dans la nuit de Londres, souligné par une pertinente musique de film noir.

Tout n’est pas parfait, le placement de produit est trop visible (ordinateurs et téléphones), Ben nous manque, Bambi ne saurait se substituer à lui, et le déjeuner avec Alex n’apporte pas grande chose, en dehors du fait qu’il ait lieu et du gag des moustaches. Mais l’épisode démontre avec vigueur que la série n’a pas épuisé toutes ses cartouches lors de sa première saison.

 

  • Dernier scénario écrit par Lucy Prebble, la créatrice de la série. Celle-ci va en effet la quitter car la direction qu'elle souhaitait prendre se heurta aux desiderata de la production. Elle déclara au journal Evening Standard : It was a show that didn't achieve the potential I wanted for it. I think it could have been a lot better. Elle dit plus explicitement au blog Theatrigirl : I left the series because I felt that, unfortunately, I wasn’t really being allowed to write what I wanted to write – more ambitious, complex drama.
  • David (Roger Barclay), le chirurgien et client de Belle, reviendra dans les épisodes 3.08 et 4.06 de la série.

 

  • Premier épisode sans Ben (Iddo Goldberg).

  • Billie Piper étant enceinte lors de la saison, une doublure corporelle est utilisée pour les scènes de nu. Cela est flagrant dans le montage : la caméra ne fait jamais voir le visage et les seins de l’héroïne ensembles, et les plans sur les seins sont manifestement des inserts rajoutés après coup !

  • Bambi déclare à Belle que, tout entière à son job, elle est « all work and no play ». Il s’agit d’une référence au proverbe anglais « All work and no play makes Jack a (very) dull boy » (« seulement travailler et ne jamais jouer fait de Jack un garçon bien ennuyeux »). Il est apparu sous cette forme au XVIIe siècle. Le proverbe met en garde contre le fait de trop travailler sans se distraire, avec le risque de devenir terne et renfermé. La phrase est surtout connue grâce à son utilisation dans le film Shining réalisé par Stanley Kubrick où elle est la phrase tapée inlassablement sur la machine à écrire de l’écrivain sombrant dans la folie. Le proverbe est parfois complété par « All play and no work makes Jack a (very) mere toy » (« seulement jouer et ne jamais travailler fait de Jack un simple jouet »)

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3. MÉNAGE À TROIS
(ÉPISODE 2.3)

Scénario : Julie Gearey
Réalisation : Fraser MacDonald

 

Hannah. I really enjoyed breaking up with you. Can we do it again soon, please ?

Belle reçoit une visite qu’elle aurait souhaité éviter : Helen, épouse de Matt, un de ses clients, a en effet découvert le pot-aux-roses. Encore étourdie par l’expérience, Hannah se demande si elle doit continuer à fréquenter Alex…

La critique de Clément Diaz:

Cet épisode très complet s’appuie sur divers thèmes avec efficacité. L’originalité de l’histoire est de questionner la moralité de l’univers de Belle, mais aussi de Belle elle-même en la confrontant au conjoint légitime d’un client. Évitant tant la culpabilisation que l’insouciance, l’entrevue entre les deux femmes s’avère bien écrite et émouvante. Plus que le ménage à trois du titre français, c’est le duel à trois entre Alex et Hannah d’un côté, et Belle de l’autre qui remporte l’adhésion, par son intensité, et sa résolution faussement triomphale. Julie Gearey relie astucieusement cette idée à la première, et, relayée par la mise en scène délicate et variée de Fraser MacDonald, d’une précision mirobolante, écrit un nouveau succès de plus.

L’épisode expose une vision pessimiste du couple. Nos changements de personnalité au cours de nos vies faisant que l’autre ne nous comprend plus et vice-versa, les fatales routines brisant les mariages, les enfants ralentissant voire stoppant l’intimité sexuelle, le regret tardif d’avoir perdu l’excitation juvénile de la vie de jeune célibataire… le touchant personnage d’Helen, incarnée avec un talent inouï par Olivia Poulet, exprime avec une grande force cette femme trompée oscillant de la colère révoltée à la haine de soi de n'avoir pas su garder son homme, et malgré elle curieuse des connaissances de Belle en sexualité masculine. Le mari volage est aussi le symbole d’un homme craquant sous le poids d’une vie surchargée (maligne explication de texte de Belle), rejoignant la description toujours plus féroce de la série d’une société excessive et sans repos... Belle est ramenée à sa position de putain, honteux statut aux yeux de la société. Elle ne brise pas de mariage par elle-même, car ce sont ses clients qui en décident ainsi (toujours cette volonté de la série de déculpabiliser la prostitution), mais fait face à l’amoralité de la situation. Immensément humaine et sympathique, elle se démène pour réconforter l’épouse trahie. Mais entre crises de colère et de chagrin, et gros instants d’horrible malaise qu’aucune phrase ne peut dissiper, l’on voit que les clashs entre l’univers de Belle et le monde « réel » demeurent toujours douloureux. Gearey pousse son acidité très loin, jusqu’à impliquer que malgré le choc, Belle et Matt, continuent leur relation tarifée, tout en réaffirmant que Girlfriend Experience ou non, Belle ne pourra jamais, même si elle le désire, se lancer dans une relation plus humanisée avec un client. Les délires répétés de Belle ne sont drôles qu’en surface : Helen devient une projection d’Hannah qui hurle sa culpabilité, sabotant le travail de Belle. Jusque-là, Belle étouffait Hannah, mais l’auteure, par un joli retournement, fait intervenir Hannah au milieu du travail de Belle, accentuant encore sa schizophrénie identitaire. Cet épisode est décidément guère rose de ce côté. En passant, la discussion avec Bambi sur la nécessité de rester professionnel dans le milieu se révèle d'une ironie cinglante en regard de ce qui se passera avec Byron.

Une telle alerte force évidemment Hannah à s’interroger sur une relation avec Alex, à qui elle cacherait un secret plus massif encore qu’une simple liaison. Une véritable lutte prend forme, au cours duquel Alex va s’acharner à sauver sa relation naissante avec Hannah pendant que Belle tente de pousser la rupture. Dialogué au cordeau, la confrontation est un modèle d’intensité dramatique. On admire comment Alex parvient petit à petit à casser les assauts de Belle, une belle leçon de PNL (réactions déphasées, affirmation des points positifs de leur relation actuelle, body language subtilement calculé, conservation de l’initiative…), que Callum Blue rend convaincante par son talent naturel. Ah, si Mason avait procédé de même avec Daisy… Mais ce faisant, Gearey fait éclater toute son ironie noire, car si Hannah-la-femme-amoureuse accepte enfin une relation, c’est au prix de l’accroissement de sa schizophrénie : sa relation est pervertie par le lourd secret qu’elle cache à Alex, et elle tombe dans le même piège que Matt. In fine, la victoire d’Hannah sur son double n’est qu’illusion. Le piège diabolique de cette coda est que si le téléspectateur applaudit la concrétisation Hannah/Alex, il n’est pas soulagé de la tension qui demeure.

La critique d'Estuaire44 : 

La série décide avec une astuce diabolique de confronter brutalement Belle à la réalité de la vie de couple (un combat de chaque jour, où l’issue heureuse n’est jamais garantie) au moment précis où celle-ci se voit pour la première fois offrir l’opportunité de vivre une telle expérience. Outre ses moments tragi-comiques assez délectables, la péripétie revêt des allures d’ordalie pour Belle, confrontée avec rudesse au fait que sa propre vie paraît-elle difficilement conciliable avec cette évolution. Ceci dramatise efficacement les débats, tout en se montrant déjà crucial pour le développement ultérieur de la série, avec un joli suspense quant à la conduite que va tenir notre héroïne de cette rencontre.

 Plusieurs options s’offraient à notre épistolière : celle relevant du vitrail des églises consistant à renoncer à sa profession aventureuse pour embrasser le parfait amour, celle s’assimilant au saut dans l’inconnu consistant à avouer la vérité à son élu et découvrir alors sa réaction (seulement envisageable en cas d’optimisme similaire à celui de qui se rend au restaurant comptant sur la perle qu’iva découvrir dans une huitre pour régler le dîner) ou encore l’option réaliste, guère festive mais lucide, voyant Belle renoncer à l’opportunité pour s’en retourner à la rassurante cage dorée de son univers à part.

Et bien entendu notre adorable Belle, toujours rivée à sa quête opiniâtre du bonheur, opte pour la quatrième voie, celle où elle ne renonce à rien, quitte à en payer le prix par le mensonge par omission. Dans cette City où notre amie se love et se meut, on appellerait cela une bulle spéculative, où Belle s’achète une prospérité à crédit et se déconnecte du réel. Évidemment l’issue s’en profile ipso facto, mais quel spectateur pourrait honnêtement assurer qu’il n’aurait pas lui aussi tenté sa chance, en s’en remettant à la providence des lendemains ?  Un choix tout à fait en accord avec la psychologie de Belle et qui confère à l’opus le statut  de carrefour de la saison, après lequel la narration s’accompagnera du cliquetis du compte à rebours de la machine infernale.

SI le fond de l’épisode s’avère irréprochable, on éprouve des sentiments plus divers à propos de sa forme. On aime que la mise en scène opte totalement pour une forme ultra théâtralisée des confrontations entre Belle et chacun des époux, avec une triple unité autant respectée que possible. On se croirait vraiment devant une scène, école de la plupart des comédiens britanniques et dont sont issus Olivia Poulet et Adam James, particulièrement à leur affaire dans avec un jeu habilement démonstratif, légèrement théâtralisé lui-aussi. Il est enthousiasmant, et prophétique pour la suite de la carrière de Billie Piper, que celle–ci se hisse à leur niveau avec un confondant naturel. Les amateurs du Docteur s’amuseront de reconnaître en Adam James le policier malheureux de Planet of the Dead face à Lady de Souza, décidément les femmes ne lui réussissent guère !

L’effet se voit toutefois gâché par le recours aux apparitions de l’épouse durant les ébats, un procédé assez lourd et répétitif, destiné à provoquer un rire facile. Il aurait mieux fallu jouer pleinement la carte du talent de Bille Piper pour exprimer le trouble de l’héroïne. Ici on se situe véritablement dans le démonstratif. Par ailleurs La série avait su jusqu’ici  conjuguer le portait de Belle avec celui des personnages secondaires, tel n’est plus le cas ici. Bambi et Ben, réapparu sans guère d’explications, se contentent de donner signe de vie et Alex n’exprime de nouveau pas grand-chose, la relation avec Hannah est considérée quasi exclusivement du point de vue de celle-ci. L’irruption de la forme feuilletonnesque a apporté une nouvelle dimension à la série, mais aussi centré les débats autour du parcours de la protagoniste, au détriment des autres rôles.

  • Les intéressés pour 1h30 de Girlfriend Experience avec Belle doivent payer 400£. Rappelons que la soirée et la nuit complète coûtent 1500£ (épisode 1.03).

  • Belle est omnivore et ne souffre pas d'intolérance au gluten.

  • Lors de sa discussion avec Matt, Belle et lui évoquent plusieurs termes techniques. Les "Mergers" sont une abréviation et Mergers & Acquisitions (ou "M&A") qui désigne les différents aspects du rachat d'une entreprise par une autre entreprise. Le terme français est "fusion-acquisition". Le FTSE 100 est un indice boursier des cent entreprises britanniques les mieux capitalisées cotées à la bourse de Londres. Une sorte d'équivalent du CAC40 français. Le PMT mentionné par Belle désigne le "Parent Management Training", programme crée pour traiter les enfants atteints de Trouble Oppositionnel par Provocation et de Trouble des Conduites. Enfin, Savile Row est une rue de Londres dans le quartier de Mayfair, mondialement réputée pour ses magasins de costume sur mesure, souvent très haut de gamme. Savile Row hébergea aussi Apple Corps, l'entreprise de maison de disques des Beatles en 1968.

  • Au bout de seulement quelques jours dans le "milieu", Bambi peut acheter une robe Balenciaga. Cristóbal Balenciaga (1895-1972), surnommé "le couturier des couturiers" est un des plus grands noms de la profession du XXe siècle. Renommé pour son grand talent, il révolutionna la mode féminine à partir des années 50, et eut des clients comme les Reines d'Espagne et d'Angleterre. Son entreprise de prêt-à-porter pour Homme et Femme est une des plus célèbres, luxueuses, et renommées dans le monde. Les débuts de Bambi l'escort ont dû être fracassants !

  • Alex mentionne que le film que lui et Belle vont voir est conseillé par Time Out. C'est une maison d'édition qui publie entre autres un magazine hebdomadaire des événements artistiques, et en particulier les sorties cinéma depuis 1968. Le magazine est implanté dans d'autres villes, et relate également les événements culturels dans pas moins de 25 villes (Paris, Abu Dhabi, Chicago, Berlin...) Les critiques cinéma de Time Out sont très attentivement lues par ses lecteurs, en particulier en Angleterre.

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4. D'AMOUR ET D'EAU FRAÎCHE
(ÉPISODE 2.4)

Scénario : Chloe Moss
Réalisation : Fraser MacDonald

- What does your boyfriend do ?
- He’s a doctor.

- I'll do everything but have sex.
- So will my wife.

Engagée dans sa relation avec Alex, Belle n’arrive plus à assurer ses services avec ses clients. Pour ne rien arranger, elle organise un déjeuner avec Alex et Ben qui tourne rapidement au vinaigre…

La critique de Clément Diaz:

A partir de cet épisode, Secret Diary explore des terres voisines de Californication : d’abord dans un humour plus vert, ensuite par une scène de repas qui conformément à la pratique de sa consoeur américaine vire à l’explication de gravures. Cependant, la série n’abdique pas son identité british : le comique demeure riche en surréalisme, tandis que les auteurs dynamitent le déjeuner non pas par des répliques assassines ou de délirants personnages, mais par des sous-entendus subtils, où chacun des protagonistes s’exprime davantage par ce qu’il cache, et menant à une dramatique crise entre Belle et ses boys. On félicite Fraser MacDonald qui nous régale d’une mise en scène se jouant de la difficulté de cacher la grossesse de l’actrice alors même qu’il met en valeur toute sa beauté surtout lors de la scène de lit. Une performance.

La séquence « client du jour » distille immédiatement un lien avec la série de Tom Kapinos avec ses dialogues plus crus qu’à l’habitude (pédagogique énumération de métaphores imagées de la menstruation), client sex, drugs and rock’n’roll totalement frappé, et préliminaires sexuels indissolublement hilarants entre les airs horrifiés de Belle et une Bambi n’hésitant pas à assurer le show jusqu’à la caricature explosive. Ashley Madekwe s’éclate décidément beaucoup dans le rôle d’une Bambi gaffeuse et adorablement candide. Par suite l’épisode se bat avec plus ou moins de difficulté contre des scènes assez bavardes. Ils ont cependant le mérite de mettre en valeur l’étendue de la crise à la fois professionnelle et personnelle de l’héroïne, dont la schizophrénie psychique s’accentue avec une irruption intrusive de la personnalité d’Hannah chez Belle, désormais culpabilisant de continuer son métier alors qu’elle est « casée » un point souligné d’ailleurs par la vraie Belle de Jour dans ses livres. Voir Hannah retrouver en s’en étonnant de l’alchimie magique de l’intimité sexuelle avec un homme qu’elle « aime un peu » (toujours cet art de la litote british) en dit long sur le chemin qu’elle doit parcourir pour se retrouver humainement. Évidemment, les fans de Doctor Who se tordent de rire lorsque Belle annonce stoïquement à Ben qu’elle sort avec un docteur, on frôle le crossover avec délices.

Cet épisode marque le premier point culminant du conflit entre les deux personnalités de l’héroïne. Alex prend pour une absence de réciprocité les entraves sociales que Belle impose à Hannah, et désespère de l’investir davantage dans leur relation. Alors même qu’Hannah ne demande pas mieux. La situation semble bien sans issue, Hannah payant déjà sa décision de maintenir divisées ses deux vies. Devant le déni perpétuel de son amie, Ben se voit forcé de la secouer, ce que dans son orgueil, elle n’apprécie guère. La dualité de l’héroïne devient de plus en plus ouverte : avec le client, Hannah perturbait Belle, le lendemain, c’est Belle qui perturbe Hannah d’une manière à la fois terrible et subtile : en déréglant les charmantes aspérités d’Hannah et en jouant sur son asociabilité : sa franchise rafraîchissante balance des remarques blessantes, son côté provocateur tourne au persiflage, son amour du moindre effort la fait se servir de Ben comme simple atout de jeu. C’est seulement au pied du mur, avec l’émouvant monologue final d’Alex (superbe Callum Blue), qu’Hannah parvient à se ressaisir, et achever, fait rare, l’épisode sur un cliffhanger. L’épisode sous-entend aussi une certaine jalousie de Ben, qui sous couvert de lui « rendre service » tient peut-être à couler la relation d’Hannah en sachant bien que tout lui révéler n’aurait que peu de chances de préserver sa relation. Cela ajoute encore à la crise entre eux. La lutte intérieure de l’héroïne est magnifiquement rendue par le métier sans failles de Billie Piper, qui préserve l’immense sympathie de Belle/Hannah, dont les crises ne sont que l’expression de sa panique alors qu’elle s’enferre toujours plus dans une impasse. Au milieu de ce sinistre état des lieux, on goûte la respiration que propose Bambi, certes toujours abusant de la générosité de sa mentor, mais se montrant supportrice, chaleureuse, vraie, et joyeusement complice. Cette complexité dans le portrait de chaque personnage continue de forcer notre admiration au sein de cette série offrant décidément bien plus que ce qu’elle semblait proposer au départ.

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La critique d'Estuaire44 : 

Pour l’essentiel l’épisode développe les conséquences du choix réalisé précédemment par Hannah, concernant la nature de sa relation avec Alex. L’intrigue a le mérite de sonner juste (le plus souvent) et de demeurer cohérente, mais là réside aussi sa limite : ce qu’elle raconte était hautement prévisible et aucun élément nouveau ne vient alimenter le récit principal de la saison. Même la révélation de la force du sentiment les unissant reste davantage une surprise pour les protagonistes que pour le spectateur. Cela nous vaut néanmoins une émouvante scène de conclusion, permettant enfin à Callum Blue de véritablement déployer son talent. Pour le reste, on s’en tient au statu quo, l’histoire du jour n’étant qu’un relai entre le postulat  et l’inévitable reconsidération de sa position que va devoir désormais envisager Belle. On est aussi un peu embarrassé par l’improvisation permanente et inefficace des mensonges de Belle, quelqu’un s’étant bâti avec succès une double vie depuis des années devait paraître plus rodé à l’exercice que cela (elle est à peine meilleure que la  Jemma Simmons d’Agents of SHIELD). Du coup certaines scènes humoristiques en résultent légèrement fabriquées.

La nature ayant horreur du vide, le fait que l’évolution de Belle occupe moins d’espace signifie mécaniquement une opportunité pour des personnages secondaires un tantinet négligés récemment. L’aventure vécue avec l’ingénérable Bambi génère cette fois un éclat de rire massif, entre histoire totalement surréaliste de l’éponge (dommage que l’on n’ait pas eu la réaction de Stefanie) et client du jour plus grand que la vie. Les amateurs du Docteur apprécieront de découvrir Billie Piper de nouveau voyager dans le temps, puisque la rencontre la fait basculer dans les rugissantes 70’s. On se croirait dans Life on Mars et c’est assez irrésistible, d’autant que le monsieur est finalement sympathique, tout concoure à l’amusement. La meilleure nouvelle de l’opus demeure que Ben a fini de seulement envoyer des cartes postale et reprend place dans l’action comme dans le panorama sentimental. Ses entretiens avec Belle, au café, puis au restaurant, composent les scènes les plus intenses de l’épisode. On aime que le déjeuner parte en vrille comme à la Californication, tout en restant très anglais et londonien. La mise en scène demeure élégante et dynamique, avec de jolies localisations de Londres, particulièrement nombreuses cette fois-ci. Le rendez-vous 70’s de Belle s’effectue près de Vauxhall Bridge, donc à proximité du SIS Building : on viendra nous dire après ça que 007 ne vit plus dans la Guerre Froide !

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  • Alex conduit une Volkswagen Golf V. Cela identifie temporellement la série car cette version de la Golf ne fut produite qu’entre 2003 et 2008 (année de l’épisode), avant d’être remplacée par la VI. Alex possède aussi un réveil Dalvey Voyager Clock. Dalvey est une marque d’accessoires de luxe pour hommes.

  • Bambi dit qu’Alex est « fit as a butchers dog ». Il s’agit d’un idiome né de la publicité Butchers pour chiens dont le slogan était « Is your dog as fit as a butchers dog ? » Il désigne quelqu’un semblant en pleine santé, bien nourri et bâti. Toutefois, l’idiome aurait aussi bien pu s’appliquer à Belle car elle désigne aussi quelqu’un ayant une vie sexuelle très remplie, voire carrément qui met n’importe quelle type de « viande » dans sa bouche. Huhum…

  • Référence à Barney Stinson de How I met your mother ? Dans l’ascenseur, Belle interrompt sa phrase en intercalant la proposition « Wait for it », devenue indissociable de l’épicurien impénitent de New York. Il est vrai que les deux personnages partagent le point commun d’avoir beaucoup de partenaires sexuels (et de partager la même situation personnelle finale).

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5. DÉSILLUSION
(ÉPISODE 2.5)

Scénario : Nicole Taylor
Réalisation : Peter Lydon

 

I've got another client now. The first one in 10 days. In whore terms, I'm practically a virgin.

Belle reçoit un jeune client handicapé moteur dans son appartement. Malheureusement, c’est à ce moment qu’Alex décide de lui faire une visite surprise…

La critique de Clément Diaz:

Pour briser le statu quo qui menaçait de grever la relation Alex-Hannah, les auteurs ont la peu reluisante idée de recourir aux ficelles les plus éculées du boulevard : Alex entrant chez Belle au pire moment, rien que ça. Il s’agit du thème central de l’épisode, qui doit souffrir de cette solution de facilité et de son application littérale. Toute l’équipe se concentre alors pour maintenir l’intérêt : dialogues très justes, interprétation au cordeau, thème secondaire de l’assistanat sexuel, réalisation parfaite, BO à tomber… la réussite formelle est totale. Il est frustrant de voir toutes les qualités esthétiques de la série au plus haut niveau au service d’un rebondissement si décevant.

La scénariste Nicole Taylor était trop lucide pour ne pas se rendre compte de la faiblesse de ce moment du feuilleton de la saison. Elle ajoute donc une ambiguïté sur le comportement de Belle (était-elle vraiment prête à tout lui dire, ou aurait-elle encore délayé ?), soigne le client du jour, compose une splendide aria pour Alex, et saisit toute la détresse de Belle en supprimant tout pathos inutile. L’épisode joue avec pudeur et retenue du thème litigieux des assistants sexuels, rôle ici assumé par Belle. Il s’agit là d’une acception réduite de ce métier le travail des assistants sexuels est plus psychologique que physique l’handicapé cherchant seulement un réconfort sexuel que sa condition ne lui permet pas d’assouvir en temps normal. Profession typiquement anglo-saxonne, et peu usitée ailleurs, c’est un sujet encore très récent dans les années 2000. Deux épisodes de Boston Justice ont traité ce sujet en 2006, et le film The Sessions avec Helen Hunt (2012) en fera son sujet central.

Dans ce service, la relation entre les deux parties est plus intime que la normale, et l’on voit presque Belle s’effacer derrière Hannah, bien plus qu’avec un client régulier comme Ashok. On est admiratifs de la suprême délicatesse de cette scène : Hannah doit mettre en confiance son client, demeurer douce, calme, lente, agir tout à fait à l’inverse de son ordinaire. La relation avec Blake (excellent David Proud) est touchante, et pas sans aspérités, Blake demeurant frustré de devoir payer pour coucher, et rendant plus rugueux leurs échanges. A plus grande échelle, la misère sexuelle des personnes par blocage physique ou psychologique y est pointée du doigt. On apprécie aussi la retenue digne et respectueuse du père, Clive Russell apportant beaucoup d’émotion malgré un rôle quasi muet. La mise en scène de Peter Lydon est très romantique et chaleureuse, sans doute une des plus belles que l’on puisse rêver, tandis que Billie Piper déborde d’émotions.

Malgré le gâchis de voir le feuilleton s’abandonner au mauvais boulevard lors de l’irruption catastrophique d’Alex, l’épisode enchaîne avec une remarquable explosion de fureur et de chagrin subtilement dialoguée. Callum Blue est stupéfiant d’intensité lorsque le voile se déchire. On apprécie aussi l’humanité impuissante prodiguée par Ben, tentant vainement de lui faire accepter la séparation des deux identités de l’héroïne. Mais il ne peut qu’y échouer car lui-même se leurre en voulant à tout prix y voir deux personnages différents : Belle est plus un miroir qu’une opposition d’Hannah (une configuration similaire à la Angel/Angelus pour les fans du Buffyverse) comme en témoignent ces incessants changements d’identité. L’on tient ici le germe de la graine fatale qui conduira au finale de la série. On se permettra d’être plus sceptique lorsque Alex lance une cinglante explication de texte à Ben sur ses réels sentiments envers son ex, cela casse le ton de la scène, et il est peu probable qu’Alex, dans l’état où il est, aurait pu penser à cela. La coda, irrésolue et sans lumière, relance les paris quant à la suite à donner à la saison. Au final, un épisode parvenant à dépasser sa faiblesse centrale grâce à sa brillance formelle.

La critique d'Estuaire44 : 

L’épisode voit se concrétiser la menace latente suscitée par le choix de Belle de ne renoncer à rien, quitte à opter pour la fuite en avant. Evidemment l’issue fatale apparaissait inévitable et le récit évite le piège d’un happy end absurde. Toutefois, son traitement de l’évènement pèche par une recherche superfétatoire de sensationnalisme. Plutôt qu’une révélation assénée par un ressort de vaudeville, il aurait été bien ambitieux de décrire Belle oser l’épreuve de vérité puis en dépeindre les développements chez elle et Alex. Ici le scénario cède à une cératine facilité, d’autant plus dommageable qu’un surcroit de mélodrame se voit ajouté par le client handicapé du jour.

En soi, la rencontre avec Belle résulte émouvante et sensible, mais elle aurait du faire l’objet d’un épisode à part, ici elle rajoute du lacrymal au lacrymal. Les auteurs perçoivent le danger et tentent d’y parer avec la personnalité plus humoristique et décalée du père, mais la greffe ne prend que médiocrement.

La finesse de la mise en scène et le choix toujours idéal de la musique d’accompagnement évitent le désastre, mais c’est avant tout le talent des acteurs qui sauvent l’épisode. Callum Blue se sort réellement les tripes durant la confrontation avec Alex. Les dialogues se montrent à la fois cinglants et compréhensifs, l’espèce de concorde s’installant entre les deux soupirants d’Hannah permet enfin au récit de sortir des sentiers battus, tout en questionnant plus qu’à l’ordinaire le positionnement d’Alex. Le passage a aussi l’habileté de ne pas charger Alex d’une étiquette de petit bourgeois aux valeurs étriquées. Alors que les numéros silencieux s’imposent souvent comme les plus malaisés pour un acteur, Billie Piper nous bouleverse par sa composition d‘une Belle totalement anéantie, dans le taxi et chez elle. Découvrir le silence perdurer alors que l’occasion d’une face à face avec Alex se présente nous fait pleinement mesurer le désarroi de notre amie devant l’écroulement de son rêve. Reste l’impression d‘une intrigue se perdant en partie car sacrifiant au sensationnalisme, on se croirait chez Moffat.  

  • Pour préparer un repas pour Alex, Belle lit Delia’s complete cookery course. Il s’agit d’un ouvrage de la cuisinière Delia Smith paru en 1989. Née en 1941, elle est une des plus célèbres de sa profession en Grande-Bretagne. Elle a publié de nombreux best-sellers vulgarisant des recettes et est une régulière présentatrice d’émissions de cuisine. Elle fut élevée au rang de Commandeur de l’Ordre de l’Empire Britannique l’année même de l’épisode (2009) pour sa contribution exceptionnelle à la cuisine britannique. Belle ne fait pas dans la demi-mesure pour éblouir ses petits amis !

  • La musique classique brièvement entendue dans la voiture de Gary est la fameuse Arrivée de la Reine de Saba, ouverture de l’acte III de l’oratorio Solomon (1749) de Georg Friedrich Haendel (1685-1759). C’est une des pièces les plus connues du répertoire classique anglais ; elle fut d’ailleurs utilisée lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques de Londres de 2012. Quant à la chanson folk favorite de Blake, il s’agit de Come pick me up de Van Alston et Ryan Adams, chantée par ce dernier. Cette chanson fait partie d’Heartbreaker, 1er album solo d’Adams après qu'il ait dissous le groupe de country Whiskeytown qu’il avait fondé en 1994.

  • Alex mentionne qu’il y aura des « Pimms » à la fête de son patron. Le Pimms ou « Summer cup » est une marque d’alcool, surtout prisée dans le sud de l’Angleterre. Elle existe depuis 1823, et se consomme diluée dans de la limonade et des morceaux de légumes.

  • « I mean, I'm touched all the time by my dad and PAs » déclare Blake. PA est ici l’acronyme de « Personal Assistants », engagés pour aider les personnes handicapées dans leur quotidien.

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6. PLUS DOUCE SERA LA CHUTE
(ÉPISODE 2.6)

Scénario : Rebecca Lenkiewicz
Réalisation : Peter Lydon

 

So glad I’m not Snow White. Fucked if I’m doing it with seven dwarfs.

Stéphanie accepte de donner à Belle un job : avec Bambi, elles assisteront à une réception costumée pour adultes organisée par des diplomates. L’ambiance de conte de fées tourne rapidement au cauchemar. Choquée, Belle prend une décision qu’elle risque de regretter au lendemain…

La critique de Clément Diaz:

L’épisode précédent palliait à la faiblesse de son rebondissement sensationnaliste par un soin accordé aux autres aspects du script. Rien de tel ici où la saison dérègle son feuilleton par la surenchère, avec cette fois un rapprochement avec Ben à la regrettable facilité. De plus, la substance narrative de la première moitié de l’épisode se révèle terriblement mince, malgré le spectre du thème du viol des prostituées resurgissant après le 2e épisode de la saison. La mise en scène plaquée or de Peter Lydon, exaltant avec un talent fou costumes et décors, et interprétation high class sauvent les meubles, mais il est patent que la saison traverse un creux en ce moment.

Le sous-entendu, outil scénaristique si british, parfume la brève introduction où Belle ne trompe personne (et surtout pas elle-même) en prétendant avoir tourné la page Alex et se remettre au travail. On goûte évidemment la discussion avec Stéphanie et son incomparable manière d’apporter son tough love à sa « fille » qu’elle estime sans doute le plus. Par suite, l’épisode épouse maladroitement le thème des fêtes adultes costumées, d’un kitsch plus outré tu meurs, où se télescopent personnages de contes de fées, gentes dames d’un siècle éloigné, héros de la culture populaire, le tout filmé avec faste par un Peter Lydon à la caméra généreuse et brillante. Le mélange est amusant, et les crossovers sont joyeusement bizarres, mais Rebecca Lenkiewicz oublie tout simplement de nous raconter par le menu cet autre aspect des services des escorts, comme c’est pourtant l’habitude de la série. Ce survol décevant du sujet s’accompagne de plus d’une dramatisation trop rapide et mécanique de l’intrigue, affadissant l’ordalie de Belle. Bon, Bambi a un beau moment badass quand elle pointe le flingue vers l’agresseur, mais l’épisode passe à côté de son sujet. On apprécie toutefois le lien fort entre les deux filles qui refusent de se laisser abattre après cette démonstration de la violence masculine, celle des puissants « intouchables » en particulier (cynique message vocal de Stéphanie). Ashley Madekwe embrase l'écran, et on l'aime comme ça.

L’épisode montre bien peu d’espoir en dépeignant Hannah tellement ravagée par la rupture et par cette douche froide qu’elle perd tout contrôle. Si elle nous émeut (registre que Billie Piper connaît sur le bout des ongles), on sent trop que les scénaristes veulent à tout prix noircir sa situation, quitte à ce que les événements semblent artificiels. La montée de la tension sexuelle avec Ben, et sa concrétisation finale, sont des ficelles beaucoup trop lourdes pour une série d’ordinaire si subtile, on tombe dans un des plus vieux clichés du cinéma. Alors, parce qu’on adore l’alchimie entre Billie et Iddo Goldberg, on regarde, mais les facilités que la série accumule en ce moment déçoivent. On note quand même l’ironie voyant que Ben, symbole d’une porte de sortie à la schizophrénie psychique de Belle, soit ici le révélateur de son état lamentable. Que Ben succombe à la tentation est explicable : la saison ayant rappelé que Ben éprouve plus qu’une amitié fusionnelle pour Hannah, et se montrant clairement jaloux d’Alex.



La critique d'Estuaire44 : 

Après l’abus de sensationnel et de claquements de porte précédent l’histoire du jour apporte une respiration bienvenue, évitant au fil rouge de la saison de subir une surchauffe. Une précieuse mi-temps dans la partie Alex/Hannah, qui a pour contrepartie que l’on ressent sans doute un peu trop qu’il ne s’agit que d’une parenthèse en marge. Pourtant, pour marginales qu’elles soient, les péripéties du jour ne signifient pas un quelconque ralentissement de l’action. Ainsi la party (fine) du jour va se révéler bien plus divertissante et animée que la soirée snobinarde découverte en début de première saison. Les amateurs des Avengers  apprécieront de découvrir l’une de ces belles demeures adornant la campagne anglaise, ainsi que leur série adorée. Le côté ludique du jeu de rôle/cosplay coquin  fonctionne à plein, par sa fantaisie comme par son aspect référencé.

Les Whovians seront derechef à la fête dans Secret Diary, avec le clin d’œil au Bad Wolf, mais aussi parce qu’un invité arbore déjà un fez, c’est cool. Surtout la thématique du conte de fées confère à l’ensemble un aspect de parodie triple X de Once Upon A Time devenant vite irrésistible, puisque l’on retrouve plusieurs personnages clés de la série (Charming n’est plus guère intéressé par Blanche Neige, le Chaperon Rouge est toujours sexy…) Une fois que l’on est lancé là-dedans, c’est simple, on n’en sort plus, y compris avec le prolongement dans une forêt presque surréaliste. Le sketch 007 est lui aussi amusant, même s’il débouche sur un certain excès, avec les coups de feu et le Prince Charmant se muant en Divin Marquis.

On enregistre avec plaisir le retour de Stefanie (ah tiens, Regina est là aussi, donc), toujours royale au sein de bars classieux. On regrette que l’engueulade prévisible soit expédiée par un message sur répondeur, mais les épisodes de Secret Diary s’assimilent toujours à une course éperdue contre le Temps. On aime beaucoup  retrouver une Bambi ayant visiblement franchi un cap, braise ardente en Caperucita Roja et suffisamment intrépide pour voler au secours de Belle. Un numéro éblouissant d’Ashley Madekwe. Ben confirme bien être le véritable Prince Charmant et c’est avec lui que l’épisode gagne une nouvelle dimension, avec ce final sensible et émouvant. Comme souvent Belle tait ses sentiments les plus profonds et laisse chacun subodorer ce qui l’anime. Aléas ou bouleversement, ces retrouvailles apportent in extremis tout un enjeu  à l’opus.

  • Unique épisode de la saison sans Alex.

  • Hannah avoue n’avoir jamais été amoureuse de Ben.

  • Lors de la réception, Belle précise qu’elle est déguisée en Rapunzel. C’est le nom allemand original de Raiponce, un conte recueilli par les frères Grimm dans le premier recueil des Contes de l’enfance et du foyer (1812). Elle arbore la même caractéristique physique de son personnage : une interminable chevelure blonde. Une adaptation Disney fut réalisée l’année suivant l’épisode, en 2010, par Byron Howard et Nathan Greno. Bambi est en petit chaperon rouge ou little red riding hood en anglais. La dirty joke est particulièrement évidente car dans le cadre de cette fête particulière, le mot « riding » (quelqu’un qui « chevauche ») prend un tout autre sens !

  • Lorsque « James Bond » est avec Bambi, il mentionne The Big « Bad Wolf ». Rappelons que « Bad Wolf » ou « Grand méchant loup » est la clé de la Mythologie principale de la saison 1 du reboot de Doctor Who où Billie Piper joue non seulement le rôle de Rose Tyler mais aussi celui de Bad Wolf ! Bon, apparemment, c’est confirmé, tout cela se déroule réellement dans un univers parallèle au Whoniverse.

  • Alors que Bambi et Belle fuient les diplomates tentant de les violer, Bambi mentionne qu’elles ont l’air de « Thelma and fucking Louise. » Elle fait bien sûr référence à l’iconique road movie Thelma et Louise. Ce film réalisé par Ridley Scott sur un scénario original de Callie Khouri qui remporta l’oscar en 1991, raconte la cavale tragique de deux femmes (jouées par Geena Davis et Susan Sarandon) traquées par la violence masculine dans toute l’Amérique. La situation de Belle et Bambi fait écho à la scène où Louise menace d’un révolver un homme essayant de violer Thelma avant qu’elles prennent la fuite. La différence est que Bambi ne presse pas la détente.

  • Le poteau indicateur : Upper hinton Chobhurst hill semble être fictif. S’il existe une rue Upper hinton, elle se trouve en plein dans la ville de Bournemouth, et non en rase campagne, tandis que Chobhurst hill ne semble pas exister.

  • Hannah a deux chambres dans son appartement. Pourquoi demande-t-elle à Ben de dormir sur le canapé alors qu’il pourrait aller dans la seconde chambre ?

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7. LA VOIE DE LA VERTU
(ÉPISODE 2.7)

Scénario : Tim Price
Réalisation : Peter Lydon

 

I thought it was Belle complicating things. It turns out it was me all along.

Belle décide de quitter sa vie de prostituée pour reconquérir Alex, et prend un travail de bureau, mais Alex n’est pas prêt à lui refaire confiance. Hannah s’ennuie d’ailleurs fermement dans son nouveau job. La nuit passée avec Hannah a ravivé les sentiments de Ben, mais il déchante en voyant qu’elle n’y accorde pas d’importance et n’a d’yeux que pour son docteur…

La critique de Clément Diaz:

Tim Price hérite d’une des meilleures parties du feuilleton de cette saison : l’autodestruction des trois côtés du triangle amoureux Belle-Alex-Ben. Désorientés, ils descendent de concert dans les ténèbres de leurs sentiments, jusqu’à rendre l’épisode sincèrement éprouvant pour le spectateur. La lueur d’espoir finale demeure tristement chimérique. L’irrésolue fin ouvre parfaitement la voie au finale de saison.

Alex se montre sous un jour guère lumineux, révoquant toutes les tentatives d’amendement d’Hannah. Il serait odieux si on ne mesurait pas en même temps la plaie béante qu’elle lui a infligé. On ne peut prendre parti pour qui que ce soit, car chacun demande de l’autre un trop lourd changement : pardon pour Alex bien conscient de l’emprise de Belle, sacrifice d’une des deux vies de notre héroïne. Leurs dialogues au rasoir font très mal. Il est surtout triste de voir Hannah jouer la comédie des larmes, de recourir à des ficelles de vaudevilles, pour le retenir. C’est toute la souffrance d’une âme en peine qui s’exprime, s’humilie, jusqu’à supplier un déchirant « droit à l’erreur » que nous demandons tous, mais que nous avons du mal à accorder à l’autre (qu’Alex soit chirurgien n’aide pas). La réconciliation sur l’oreiller ne fait qu’illusion, Alex voyant encore Belle en son amante charnelle ; l’incertitude demeure. Le sexe détruisant les rapports humains renvoie aux moments les plus noirs de Californication.

Hannah se voit acculée au sacrifice de Belle si elle veut garder Alex. Or, Belle est non une opposition d’Hannah, mais son acception exacerbée, brillante, tapageuse, elle est part d’elle-même, ce qu’Alex ne pourra jamais accepter, car demandant cette séparation. L’échec se profile à l’horizon. Cela est visible lors de la mémorable tentative du travail de bureau : chefaillon tyrannique, tâches minables, règles de travail accumulées jusqu’à l’absurde (le rendement d’efficacité poussé jusqu’à la caricature). La présence de Callum Blue/Alex, l’ancien Mason de Dead like me, invite d’ailleurs à voir l’entreprise comme une version sombre de Happy time, et où la lassitude ronchonne d’Hannah rappelle franchement la pince-sans-rire George Lass ! Qu’Hannah claque la porte sonne autant comme une victoire féministe (une femme n’a pas à s’abaisser professionnellement pour un homme)… que la consolidation de son impasse personnelle. Jointe à cette attaque de la déshumanisation du travail en entreprise, Tim Price atteint une abasourdissante densité en 22 minutes, on s’incline.

Ben subit un des pires sentiments humains : l’amour non partagé, de plus voué à la personne qui vous est la plus chère au monde. Hannah se montre cruelle en mésestimant les sentiments de son ami chéri, et chassant bien rapidement leur nuit de sa tête. On ne peut vraiment l’accuser, car c’est bien involontairement qu’elle brise le cœur d’un ami qui s’est trop vite illusionné. Mais en ne prenant pas la peine de réfléchir aux conséquences, elle se montre d’une douloureuse légèreté ; sur le coup, elle est vraiment la « crappy friend » qu’accuse Ben, qu’elle objétise en nounours contre lequel se blottir quand elle a un gros chagrin. Cela bien sûr sans s’en rendre vraiment compte. La descente aux enfers de Ben (coup d’un soir, rupture, agression, alcool…) est d’une intensité coupante, jusqu’à exploser dans la scène finale où Iddo Goldberg nous arrache le cœur en épave, et ajoute malgré lui à l’état d’âme lamentable de Belle la culpabilité. Mais Ben non plus n’est pas exempt de reproche car ce faisant, il révèle ouvertement la mascarade qu’est devenue sa relation avec Vanessa. Sa rupture fait éclater le paravent qu’il avait mis sur ses sentiments pour Hannah. Bien qu’invisible, Vanessa doit elle aussi souffrir de tirer un trait sur celui qu’elle devait épouser il y a encore quelques mois. On atteint le tréfonds avec le dernier contresens de l’héroïne, accusant Hannah et non Belle d’être à l’origine de cette situation. Elle persiste elle aussi à voir ses entités séparées, mais cette fois en chargeant son soi le plus intime et vrai. Le finale de la série est déjà là, dans l’ombre. Les trois acteurs, en pur état de grâce, vont jusqu’au bout des émotions de leurs personnages, achevant un des épisodes les plus riches de la série.

La critique d'Estuaire44 : 

Après une respiration bien placée au sein de la saison, cet épisode marque une accélération nous propulsant vers un final déjà annoncé comme guère joyeux. Après un fatalisme désolé assez décourageant, Belle se décide enfin à relever le gant et à mener son combat pour Alex. Ce mouvement signifie d’emblée une montée en puissance dramatique, qui nous séduit par son alliage subtil d’émotion et de véracité. L’auteur évite le piège de camper belle en héroïne parfaite, la montrant d’une remarquable insensibilité quand elle foule aux pieds les espérances de Ben (au  sentiment n’est plus égoïste que l’amour) ou d’une désarmante crédulité quand elle croit que simplement annoncer son évolution de carrière va faire revenir son élu. Mais cette crédibilité, même acerbe, du portait confère plus de force à l’admirable ténacité manifestée par notre amie se montrant aussi vaillante combattante que dans un certain univers alternatif avec une boite bleue. Certes le coup de pouce du destin paraît légèrement artificiel, mais on test touché de voir Belle saisir la balle au bond sans jamais renoncer.

La séquence à la simili Brazil dans l’entreprise cauchemardesque  apporte cet humour sans lequel Secret Diary ne saurait être tout à fait elle-même. Mais elle signifie un premier renoncement de Belle malgré tout son attachement à son combat. Chacun sait qu’il n’existe rien de plus difficile que de changer ce que l’on est et la péripétie inquiète déjà pour l’avenir. Il en va de même pour Alex, qui lui aussi, malgré la volonté sincèrement fichée, éprouve les pires difficultés à modifier son ressenti quant au parcours de Belle. On tient là une convergence en ciseau menaçant de trancher net la renaissances d’une relation. Si la narration s’effectue avec finesse, on regrettera simplement que la mise en scène opte  de nouveau, après déjà les visions de Belle, pour une approche très littérale des sentiments d’Alex. Désormais à la dérive après avoir brûlé ses vaisseaux, Ben complète ce tableau à la fois magistral et déjà pratiquement désespéré, avec la bouleversante scène finale (génial Iddo Goldberg). La mise en scène bénéficie derechef de superbes localisations de Londres, comme Piccadilly Circus ou l’OXO Tower de South Bank.

  • Le nom de la famille d’Alex est révélé : McLeod. On comprend mieux pourquoi il perd un peu la tête ici…

  • Tim Price devient le premier auteur masculin à écrire pour la série.

  • La voiture d’Alex tombe en panne dans Stephenson Street. C’est une longue rue de l’Est de Londres à côté de Star Lane Park.

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8. LES MOTS POUR LE DIRE
(ÉPISODE 2.8)

Scénario : Julie Gearey
Réalisation : Peter Lydon

- You can stay if you want. My bed. Promise I won't touch you. Got the line down the middle. I won't cross it.
- Good, because you're a terrible shag.

Stéphanie propose à Belle un « dernier client », Belle refuse pour garder Alex, mais constate rapidement qu’aucun emploi n’est pour elle comparable à celui d’escort. Ben lui propose d’écrire un livre sur son métier, mais elle n’a pas d’inspiration. Refusant de choisir, le destin choisira pour elle…

La critique de Clément Diaz:

Le finale souffre de ne présenter que les conséquences de l’épisode précédent. N’apportant rien au niveau des personnages, l’impression de pâle copie demeure. Le twist final, trop largement préparé, était aisément devinable. Cependant, Julie Gearey trouve une planche de salut avec une splendide fin en deux temps, où seule l’émotion règne. Comme pour le finale de la saison 1, le soleil trompeur d’un faux happy end achève cette saison sur une note amère, pessimiste quant au devenir d’Hannah face à l’écrasante influence de son double.

La scénariste doit liquider la relation Alex-Hannah ; pour cela, Hannah doit laisser Belle dominer sa personnalité, c’est-à-dire, revenir vers son métier. L’auteure choisit donc la solution la plus facile : tenter Belle par une offre alléchante. Que Stéphanie, personnage fin psychologue qui connaît sa « fille » peut-être mieux qu’elle-même, en soit chargée, apporte une saveur à cette facilité. On tombe toutefois dans la répétition lorsque Belle et Ben discutent d’emplois de substitution : le sujet a été débattu dans l’épisode précédent, cela n’apporte rien de nouveau. La scène chez MH Credit apparaît comme une ficelle voyante destinée à préparer trop ouvertement le twist final. On s’étonne que Ben fasse si vite son deuil d’Hannah après sa précédente plongée dans les abysses. Il faut aussi mettre en place la carrière d’écrivain que Ben propose à son amie. Cette fois le cliché prend la place de la facilité avec un clip assez pesant où Belle s’imagine avec Ashok qu’on a certes plaisir à retrouver et tapant son histoire en surimpression : elle n’écrit rien qu’on ne sait déjà et la scène n’a pas la moindre étincelle, érotisante ou émotionnelle. Pour préparer la fin, les auteurs s’ingénient à placer toutes leurs cartes sans subtilité le format de 22 minutes joue contre eux. Bambi, toujours splendidement incarnée, n’apporte pas grand-chose, ressassant la situation et n’agissant aucunement sur l’intrigue. On salue toutefois nos comédiens plus investis que jamais, et une BO à l’avenant.

La deuxième partie de l’épisode se révèle a contrario de la plus belle eau. En configuration Belle, notre héroïne renoue avec la toujours appréciée complicité avec le public via le 4e mur. Surtout son choix final achève de dessiner l’écrasante influence de Belle sur Hannah : même au plus fort de ses possibilités (ou presque), l’être intime de l’héroïne ne peut rivaliser avec son excitant et brillant alter ego. La scène de rupture prend à contre-pied par son ton apaisé. Alex avait déjà compris que sa relation était vouée à l’échec et a pu se préparer à affronter l’épreuve ; pendant que Belle encaisse avec sa force coutumière sans rien cacher de son déchirement intérieur. Les dialogues, très simples (et on sait que la simplicité est ce qu’il y a de plus difficile pour un scénariste), sont chargées de l’émotion flamboyante instillée par Billie Piper et Callum Blue, réunis dans un jeu d’acteur à l’unisson l’un de l’autre. On apprécie qu’aucun ne cherche à blâmer l’autre, c’est digne, droit, beau. Avec une subtilité terrible, la phrase d’accroche de la série « The first thing you should know about me is that I’m a whore. » acquiert alors un autre sens : celui d’une femme se considérant désormais uniquement comme prostituée. Hannah n’est pas encore morte, mais elle va mettre du temps à récupérer de sa défaite encore plus écrasante que celle de la saison précédente. Le final clinquant et brillant ne dupe pas une seconde : sous les sourires et le succès de sa nouvelle carrière d’écrivain, se dessine en creux un constat d’échec cuisant pour la vie intime de la jeune femme, et une restriction de son existence à celle de « poule de luxe ».

La critique d'Estuaire44 : 

Au-delà de la description du drame vécu par Belle, le récit de cette superbe fin de saison s’élargit à une magistrale description du phénomène particulièrement pernicieux que constitue l’addiction. En effet, les différentes stations qu’emprunte le parcours d’une Hannah en manque de l’adrénaline suscitée par son travail résultent universelles : elles peuvent aussi bien concerner le tabac, les stupéfiants, les jeux vidéo, la boulimie, etc. De quoi solliciter directement bien des spectateurs. De la dénégation jusqu’aux mensonges adressés à soi-même, en passant par la colère impuissante et le refus de l’aide d’autrui, pour enfin  s’abîmer dans l’embrasement des retrouvailles avec l’objet de son impérieuse passion, tout ce triste chemin se voit exprimé avec un talent infini par Billie Piper, qui délivre  ici l’une de ses plus belles compositions de la série.

On pardonnera le sensationnalisme éventé de l’apparition très prévisible d’Alex, car il autorise une idéale conclusion. L’acceptation de la situation par Belle se montre plus sonore que d’éventuelles dénégations. Elle ne cherche pas à nier, ni même à expliquer,  car elle intègre sa défaite finale en une amère épiphanie, malgré la sincérité de son combat. Tout ceci sonne très juste. Le récit parachève de refermer en subjugation pour notre héroïne. Aucune potentielle porte de sortie ne lui est aménagée, ce qui dramatise avec une force particulière ce dénouement. Outre établir une passerelle avec la saison suivante, le livre n’apparaît en définitive que comme une béquille pour Belle, lui permettant de rebondir mais pour mieux prolonger le chapitre central de sa vie que constitue la prostitution. 

Malgré ce portait approfondi de la protagoniste, les personnages secondaire, toujours superbement interprétés, ne se voient pas pour autant négligés. Alex réussit parfaitement sa sortie. En le regardant sortir de la chambre d’hôtel, les amateurs du Docteur pourront y voir un écho de Martha quittant le TARDIS, préférant la maîtrise à la recherche illusoire du bonheur, en éternelle seconde position dans le cour de l’être aimé. Après la crise précédente, Ben reprend comme si de rien n’était son rôle de confident. On aimerait y percevoir de l’abnégation, mais l’on devine qu’une autre addiction est à l’œuvre, renforçant la thématique de l’opus. Si Bambi se montre toujours touchante, on retiendra avant tout un nouveau flamboyant discours de Stéphanie, plus cynique (mais honnête à sa manière) que jamais. La mise en scène se montre comme toujours élégance notamment lors de la séance d’écriture, avec une scène d’amour tournée avec un inventif raffinement visuel. Le télescopage du  London Eye et de Canary Wharf dans les inserts, première et dernière étape des deux saisons de Rose, parlera également aux Whovians.

  • Nous apprenons le nom de famille d’Hannah : Baxter. Alex le mentionne lorsqu’il parle à une employée de MH Credit.

  • A gentlemen caller who's tired of eastern Europe wants to try a little of your English rose dit Stéphanie à Belle. Les Whovians auront détecté immédiatement une référence cryptée à Rose Tyler. Et encore une référence au Docteur, caramba !
  • Belle est amatrice de pancakes. Une londonienne pur sucre on vous dit.

  • Ben propose à Belle qu’elle devienne « agony aunt », terme utilisé pour désigner une personne (généralement une femme) donnant des conseils d’ordre personnel dans un magazine ou un journal.

  • Ben déclare qu’il a contacté les éditions Bloomsbury pour le livre de Belle. Il s’agit d’une maison d’édition indépendante fondée en 1986 par Nigel Newton, connue pour avoir édité la saga Harry Potter de J.K.Rowling. Son chiffre d’affaires s’élèverait aujourd’hui à 100 millions de livres.

  • Belle a rendez-vous à l’Hôtel Morton. C’est un hôtel de charme très huppé non loin du British Museum et de Covent Garden. Son design a été créé par The Bloomsbury group, un collectif d’artistes (écrivains, musiciens, peintres…) fondé après la seconde guerre mondiale. Virginia Woolf en fut une des co-fondatrices.

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