Beetlejuice (1988) Résumé : Adam et Barbara Maitland sont un jeune couple très amoureux et qui adorent leur maison. Malheureusement, suite à leur décès, ils doivent la hanter 125 ans. Ce qui risque d’être long surtout lorsque la famille Deetz, mélange de stupidité et de snobisme, emménage « chez eux » ! Ils veulent à tout prix les chasser. Critique : Un bon moment que ce film, une comédie horrifique pleine de trouvailles et de drôleries. Dommage que sa structure soit plus celle d’un film à sketches (certes bons) que d’une véritable histoire. On évolue entre le burlesque (scène du mambo) et la poésie macabre (têtes réduites). Cette présence du comique dans le macabre va devenir un marqueur du réalisateur au point que l’on pourra à bon escient créer l’adjectif « burtonien » ; un style immédiatement reconnaissable. La structure du film est celle de mondes emboîtés et cela commence dès l’ouverture qui est un trompe-l’œil ! Le spectateur est ainsi saisi d’emblée par ce souple mouvement de caméra qui fait dérouler une ville sous nos yeux en même temps qu’une musique entraînante, très dynamique captive l’oreille ; à la fois étrange et drôle. Mais cette ville est une maquette, la reproduction à l’identique de la vraie ville ! Peut-être une manière pour Tim Burton de dire que deux mondes se superposent. Il pousse même l’entourloupe plus loin avec la manière dont il nous présente, en même temps qu’à ses protagonistes, qu’ils sont morts ! On apprécie aussi l’ironie du « Manuel pour personnes mortes ». Ces mondes emboîtés sont bien évidemment ceux des vivants et des morts et il y a déjà un thème « burtonien » avant la lettre dans la manière dont ils nous sont présentés. Celui des vivants n’a rien de spécial et on sent bien qu’il n’intéresse pas Burton qui le caricature à travers la famille Deetz. Par contre, le monde des morts ! Quand les Maitland cherchent de l’aide pour se débarrasser des nouveaux venus, ils arrivent dans une salle d’attente aux tons jaunes et verts sales, glauque et, après une longue attente (!) rencontrent leur « assistante sociale », Junon, à qui Sylvia Sydney donne une allure élégante – même si la fumée de sa cigarette lui sort par le cou ! – et un peu blasée. La représentation de la Vie éternelle est à la fois hilarante et déroutante : c’est une bureaucratie formaliste, débordée, absolument dénuée de sentiments (« Les resquilleurs seront punis de la double peine capitale », déjà la lutte contre la fraude !). Ultérieurement, le monde des morts sera plus coloré et plus « vivant » chez Burton qui se cherche encore dans cet opus. Notons un fait étrange dans cette salle d’attente : les morts qui patientent (l’éternité c’est long surtout vers la fin !) portent les stigmates de la manière dont ils sont décédés mais pas les Maitland ! Pour habiter ces mondes emboîtés, il fallait des personnages « habités » justement et là aussi, c’est festival ! D’un côté, nous avons la « normalité » des Maitland mais ils sont morts ! Le couple Maitland nous a été présenté en quelques saynètes pleines de joie de vivre. Alec Baldwin et Geena Davis débordent d’énergie et on croit d’emblée à leur couple désireux de profiter de leurs vacances pour fonder une famille et profiter de leur maison qu’ils adorent. Beaux projets interrompus par leur décès. Un décès qui est loin d’être filmé comme une tragédie, presque comme un gag ! De l’autre côté, la famille Deetz est un joli morceau de bravoure ! Charles est très terre-à-terre, Délia est une artiste « branchée » d’un snobisme stupide et la fille de Charles, Lydia, une gothique. On comprend que les Maitland soient effondrés ! Commence un long moment de « cohabitation » entre des morts essayant maladroitement de faire peur (les clichés sur les fantômes sont passés à la moulinette d’une ironie mordante façon « Le fantôme de Canterville » d’Oscar Wilde) et des vivants qui sont loin de tout cela. Sauf Lydia qui voit le couple défunt. Dès sa première scène, Wynona Ryder a crevé l’écran et imposé sa présence. Bien que plus jeune que Jeffrey Jones et Catherine O’Hara, elle profite de son large temps de présence pour leur voler la vedette. La connexion avec Alec Baldwin et Geena Davis est aussitôt une évidence. Elle incarne une fille malheureuse mais sensible en quête d’une raison d’aimer vivre. C’est tardivement dans le récit que survient le personnage qui lui donne pourtant son titre ! Beetlejuice nous a d’abord été présenté via une publicité à la télé puis les Maitland font appel à lui pour chasser les Deetz. C’est en effet un « bio-exorciste » que le film « L’Exorciste » (vu 2749 fois) fait « rire comme un bossu » ! A la base, Tim Burton voulait Sammy Davis Jr pour le rôle mais la Warner refusa. C’est le producteur David Geffen qui suggéra Michael Keaton. Lequel commença par refuser le rôle car il trouvait le personnage haïssable mais Burton insista et se dit ouvert à tout ce que Keaton pourrait proposer. L’acteur crée un clochard sorcier friand de blattes totalement déjanté, excentrique, d’une grossièreté confondante ! Il va aider les Maitland mais à sa sauce et c’est un mélange de fantaisie délirante et d’horreur ; en outre, le serpent dont il prend la forme a un visage qui n’est pas sans évoquer le Joker de Batman…le film suivant de Burton. Le nom du personnage est « Bételgeuse » ainsi que l’on peut le voir à plusieurs reprises car Michael McDowell faisait référence à l’étoile souvent citée chez Lovecraft mais la Warner se décida pour « Beetlejuice » plus facilement prononçable ! Le final est le meilleur moment du film car il joue sur plusieurs plans simultanément. On a une part dramatique avec Lydia qui veut se suicider et Barbara qui la réconforte (« Être mort ne rend pas la vie plus facile » ; ce film est un festival d’aphorismes délicieux !), loufoque avec les Deetz qui veulent créer un « centre paranormal », un parc d’attraction et un hôtel de luxe car avoir des fantômes chez soi apportent un cachet et une plus-value !!!, le macabre avec la séance de spiritisme qui tourne mal puisque les Maitland risquent de mourir (!), le délirant avec la façon dont Beetlejuice sauve ses clients – une prestation hallucinante de Michael Keaton qui s’est emparé du rôle avec une autorité qui donne une force à chacune de ses apparitions – et on termine avec l’atroce et l’abjecte façon dont le « bio-exorciste » veut se payer de ses efforts. Malgré la tension grandissante et les manières outrancières de Beetlejuice, le spectateur n’a cessé de sourire voire de rire franchement tellement le grotesque est partout. Les dernières scènes montrent qu’un modus vivendi a été trouvé mais c’est surtout Lydia qui est transformée et le sourire, la joie de vivre retrouvé ainsi que l’énergie mise par Wynona Ryder dans ces dernières scènes qui sont toutes pour elle fait vraiment plaisir par leur tendresse. Finalement, mourir n’apparaît pas si terrible ! Anecdotes :
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Edward aux mains d’argent (1990) Résumé : Créé par un inventeur mort avant de « l’avoir terminé », Edward vit seul dans un château abandonné. C’est là que Peggy, représentante en cosmétiques, le trouve et le ramène chez elle. Avec ses mains-ciseaux, Edward devient pour un temps la coqueluche du quartier. Critique : Un des films les plus connus de Tim Burton qui commence à imposer sa patte. Des éléments, comme la banlieue où se passe l’action ressemble à celle de Beetlejuice mais, cette fois, l’ironie grinçante du réalisateur en donne une interprétation toute personnelle. Si le film a d’indéniables qualités, il ne développe pas grand-chose une fois passée la scène d’exposition initiale. Le déroulé est extrêmement linéaire, ce qui ne veut pas dire qu’il ne soit pas intéressant, mais il s’avère sans véritable surprises. Visuellement, c’est bluffant. D’entrée de jeu, le réalisateur pose une dichotomie révélatrice. La banlieue sans nom est colorée (jusque dans les voitures !) mais abrite des gens absolument conformistes sur lesquels Tim Burton pose un regard acide. Les « commères » du quartier, la dénommée Joyce en tête, en prenne pour leur grade dans un jeu de massacre permanent. Elles sont pathétiques, suiveuses, girouettes et autocentrées. Quelque part, cette banlieue est un peu celle de George Clooney dans son Suburbicon même si Burton place son film dans son époque. En contraste, le château où vit Edward est gris mais Edward lui-même se montre chaleureux. Le château est en hauteur quand toutes les maisons, identiques, sont posées à plat. Le propos du réalisateur est clair et net : Edward n’appartient pas à notre monde. Tout le propos du film tient en l’acceptation pour un temps d’Edward mais, à part le voir faire de la taille de tout un tas de trucs, que se passe-t-il ? Le pique-nique de présentation et le passage à la télévision d’Edward ont un côté « bête de foire » dérangeant au fort contraste entre le « monstre gentil » et le public intrigué ou bassement intéressé. La causticité de Tim Burton se lit aussi dans cette scène où une femme prend littéralement son pied en se faisant tailler les cheveux. C’est grotesque et il est évident à qui va la sympathie du réalisateur. Plus intéressant, c’est l’évolution de la relation entre Kim, la fille de Peggy et Edward. D’abord franchement hostile (ils ont mal commencé c’est vrai !), elle évolue vers plus de sympathie et une profonde affection. Le film ne raconte pas grand-chose mais il y a tout de même une évidence : c’est un conte de fée. Pratiquement, une nouvelle version de La Belle et la Bête. Si on oublie ça, le film devient illisible. Comment comprendre que personne ne se soit soucié du château abandonné ? Comment vivait l’inventeur ? Le décor du château n’a absolument rien de réaliste et, lorsque l’on verra des moments du passé d’Edward, c’est une impression d’irréalité poétique que nous éprouvons. Un mélange du gothique et du mécanique mais moins abouti que, plus tard le montrera Crimson Peak. L’idée de Tim Burton était d’arracher Edward à son contexte de conte de fées pour le placer dans le cadre déconcertant des banlieues normalisées privées de sensibilité artistique et qui doivent beaucoup aux souvenirs du jeune Burton. Pour ce dernier, Edward est l’incarnation physique de la solitude. Pour lui, les monstres sont des incompris. Edward est le premier d’entre eux. La Fox avait d’abord pensé à Tom Cruise pour incarner Edward, ce qui aurait été une idiotie complète car Edward n’est pas un héros mais un anti-héros. Burton voulait que le public regarde Edward sans a priori et a choisi pour cela un quasi-inconnu, Johnny Depp. C’est une réussite complète qui lança la carrière du comédien qui devint un des piliers de l’univers Burton. Durant tout le film, le visage de Johnny Depp est peu expressif mais tout passe par le regard, par la gestuelle et c’est peu à peu qu’Edward s’humanise. C’est le rôle de Kim à qui Wynona Ryder apporte une force qui se révèle peu à peu. C’est à partir du moment où le personnage prend davantage d’importance que le récit bascule. D’abord le visage dur et le corps raide manifestant une vraie hostilité envers Edward, Kim se détend, apprivoise autant qu’elle est apprivoisée (magnifique et très poétique scène de la danse sous les flocons) et l’actrice rend excellemment compte de l’évolution des sentiments de son personnage. Le film a un dernier titre de gloire et il est tout à l’honneur de Tim Burton dont il montre la fidélité à ceux qu’il admire. Le rôle de l’inventeur, qui crée et élève Edward, est tenu par Vincent Price. Le grand acteur américain, héros des films d’horreur des années 1950 et 1960, était pratiquement tombé dans l’oubli. Très âgé et malade, c’est son dernier rôle mais, grâce à Tim Burton, il a pu sortir la tête haute. Anecdotes :
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Mars Attacks! (1996) Résumé : Des milliers de soucoupes volantes venues de Mars viennent sur Terre. L’évènement provoque des réactions très diverses dans la population ou chez les autorités. Certains préconisent la force et d’autres le pacifisme. Les Martiens vont mettre tout le monde d’accord ! Critique : Véritable pochade sur un thème éculé, ce film est un massacre des élites américaines en règle ! Les personnages sont une telle bande de ratés que le casting eut du mal à se faire ! Des agents ne voulaient pas voir leur « poule aux œufs d’or dans des rôles de loosers » selon le magazine Première ! Mais Jack Nicholson était prêt à tenir tous les rôles ! Souvent jubilatoire, Mars Attacks ! n’est cependant pas sans défauts. Il y a trop de personnages. Du coup, l’action n’est pas toujours facile à suivre ; elle se disperse et le rendu est assez haché. Le temps d’exposition est trop long (près d’un tiers du film) et il y a beaucoup de scènes inutiles qui ralentissent le rythme. En 1962, la Topps Company, société produisant du chewing-gum (ce que mâche Lisa Marie quand son personnage débarque à Washington pour une des meilleures séquences du film), sortit une série de cartes colorées racontant l’invasion de la Terre. On y trouve les principales séquences du film ainsi que l’apparence des Martiens. Pour écrire le film, Tim Burton et le scénariste Jonathan Gems éparpillèrent les cartes sur le sol et sélectionnèrent celles qui leur plaisaient ! Tous deux voulaient que le film ait de l’envergure et concerne une destruction planétaire. Sur ce dernier point, le résultat est très mitigé et se limite à raser Big Ben, le Taj Mahal et l’île de Pâques. La Tour Eiffel est absente mais, consolation, le Président français est le premier à mourir. Le côté « sale gosse » de Tim Burton se lit aussi dans la manière, particulièrement irrévérencieuse, avec laquelle ces destructions sont faites. Le film se moque aussi de la manière dont la guerre du Golfe (1990-1991) fut présentée à la télévision. Le général Casey est une parodie de Colin Powell. Le choix de « l’arme ultime » est également moqueur et on peut comprendre que tout le monde n’ait pas apprécié ! Dernier pied de nez du réalisateur : les héros qui se révèlent dans ce jeu de massacre sont des enfants noirs qui dézinguent les Martiens avec habileté grâce à leur pratique intensive du jeu d’arcane et un fils de redneck du Kansas considéré comme un bon à rien parce qu’il est moins primaire que sa famille et sa grand-mère « dont l’esprit est déjà dans l’espace » ! Notons que, de la famille présidentielle, seule la fille survit et Tim Burton, qui est un tendre, accorde une fleur pour fin. Il faut saluer les acteurs qui ont accepté de jouer cette bande de baltringues et, en premier lieu, Jack Nicholson, absolument impérial dans sa satire de Roosevelt (causerie au coin du feu). Il est, de fait, le personnage principal et il tient absolument la barre, tantôt complètement largué, toujours indécis et terminant avec un monologue génial qui ressace tous les clichés du discours pacifiste et bien-pensant. Dans le même ordre d’esprit, Pierce Brosnan interprète un scientifique bête à manger du foin et qui ne comprendra rien à rien de tout le film. En matière de débile profond, Sarah Jessica Parker interprète une greluche satire de certaines présentatrices de télévision et qui « annonce » les décérébrées de la télé-réalité. Dernier ahuri bien gratiné, Rod Steiger dont le personnage est une nouvelle incarnation du Docteur Folamour. On sent que la sympathie de Burton va vers Richie, incarné par le débutant Lukas Haas, qui a des grands yeux ouverts sur le monde et pas collé sur la ligne d’horizon. Un rêveur. Un futur artiste peut-être. Quelque part, c’est le monde du rêve et du spectacle qui sauve une planète que les « réalistes » avaient abandonné. Anecdotes :
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Ed Wood (1994) Résumé : Passionné de cinéma, mais perpétuellement désargenté, Ed Wood endosse toutes les casquettes pour réaliser des films. Critique : Un film difficilement classable, une sorte de biopic sur « le plus mauvais réalisateur de tous les temps » tout autant qu’une réflexion sur le cinéma, sur la création en général ainsi qu’une mise en abyme. Si le film manque parfois de rythme, il ne manque pas de sincérité et la tendresse de Burton envers un cinéaste, qu’il considère à l’évidence, comme un devancier, est indéniable. Son Ed Wood s’arme d’optimisme face à l’humiliation et n’est pas aussi naïf et ringard qu’il semblait l’être. C’est un vaillant rêveur. Il incarne l’espérance et l’absence de compréhension que Burton juge méritoire. A travers la création de trois films réellement réalisés par Ed Wood – Glen or Glenda (Louis ou Louise en VF), La fiancée du monstre et Plan 9 from outer space – Tim Burton met en scène le processus créatif et il n’élude aucun des problèmes techniques et matériels que rencontre ce qu’on rassemble sous le vocable de « production ». Le choix de tourner un film sur Ed Wood permet de raconter tout cela car il a justement connu tous ces problèmes et il s’est démené pour y apporter des solutions. Si Burton passe par la case comédie pour montrer les approximations parfois phénoménales du réalisateur (finir de nuit une scène commencée de jour par exemple) ou les réponses plus ou moins abracadabrantesques trouvées (comment se procurer une pieuvre ?), jamais il ne le fait passer pour un clown. Ce qui ressort des maladresses d’Ed Wood, c’est sa sincérité ; sa passion du cinéma. Comme le dit Johnny Depp dans une scène : « Je veux juste raconter des histoires ». Le film est aussi une satire tendre d’Hollywood quand Wood présente ses projets aux cadres des studios : c’est un mimétisme avec ce qu’a vécu Tim Burton ! Ed Wood est aussi un film sur l’amitié. Toute l’équipe qui entoure Wood est sans doute une vraie troupe de cirque mais la plupart sont des fidèles. A travers eux, c’est toute l’admiration de Tim Burton pour les marginaux, les phénomènes qui ressort. Mais le film raconte surtout la rencontre entre Ed Wood et Bela Lugosi au crépuscule de sa vie. Ce que l’on ressent à travers les scènes entre Johnny Depp et Martin Landau, c’est un véritable « coup de foudre » amical. Lugosi est aussi un père de substitution pour Ed. En retour de cet investissement sentimental (et pécunier), Ed attend de Lugosi qu’il donne de la crédibilité à ses films. Le jeune réalisateur ne cache pas son admiration et le vieil acteur fatigué et rongé par la déchéance est touché par cette joie sincère. A travers sa création, Tim Burton atténue ce qui s’apparente à un processus d’exploitation car Wood fait travailler Lugosi jusqu’à la corde alors que ce dernier est âgé et fatigué. Mais pour retrouver un peu de sa gloire, Lugosi s’aveugle. Procédé psychologique fréquent. Ce sont les meilleurs moments du film et Martin Landau est prodigieux dans son interprétation de Lugosi. Avec un maquillage génial, l’acteur (qui avait 65 ans au moment du tournage) se rajoute dix ans de plus mais surtout montre que la drogue a accéléré le vieillissement (Lugosi est mort à 74 ans). Il ne dissimule pas ses faiblesses mais il montre avec conviction les efforts de Lugosi pour être à la hauteur des attentes de Wood et retrouver un peu de sa gloire d’antan ; quitte à s’abaisser (scène avec la presse à l’hôpital). La marginalité est présente à différents titres, mais c’est l’ambigüité sexuelle qui est la plus flagrante. Ainsi, Ed a un ami homosexuel qui songe à changer de sexe. Ed, lui-même, s’il proclame aimer les femmes (il en a deux dans le film), se travestit régulièrement et tourne même en tenue féminine ! On a une scène dans laquelle, sur une musique orientale, Wood/Depp fait une danse du ventre ; ce que l’acteur, dans les bonus appelle « un strip-tease dans un abattoir » ! Ce qui nous vaut un joli manifeste pour la différence lorsqu’Ed/Depp s’impose face à un producteur qui est aussi un homme d’Église ! Tim Burton ne juge pas mais il proclame tranquillement le droit à la différence, quelle qu’elle soit. Ed n’hésite plus à se montrer publiquement déguisé, y compris devant Orson Welles ! Cette dernière scène est brève mais, outre que Vincent D’Onofrio incarne avec une grande véracité un des réalisateurs les plus talentueux de l’histoire du cinéma, c’est là que se trouve la quintessence du film avec ce discours simple, bref mais puissant sur la création. « Quand ça marche, ça vaut le coup ». Pour sa seconde participation aux œuvres de Burton, Johnny Depp réalise une jolie prestation. Son visage mobile reflète parfaitement les états d’âmes et la passion qui anime Ed. Bill Murray incarne Denis, l’ami homosexuel. L’acteur joue avec sobriété et c’est davantage son maquillage et une certaine préciosité qui révèle visuellement la sexualité du personnage. Celui-ci ne cache rien d’ailleurs et nous sommes pourtant dans les années 1950 ; il fallait du courage et c’est par la tranquillité du personnage que l’acteur fait ressentir ce courage. Petite amie de Burton à l’époque, Lisa Marie incarne Vampira, une actrice qui a réellement existé. Ultra maquillé – comme la vraie – Lisa Marie, parfois un peu statique, montre tout de même comment Vampira passe d’un certain dédain envers Ed Wood à membre de sa bande. Si l’amitié est réelle, c’est aussi – et pour le coup Tim Burton n’idéalise pas – qu’ils sont compagnons d’infortune. Le travail de production est impressionnant. D’abord, on peut souligner le souci de réalisme de Burton qui tourna en noir et blanc ! C’est visuellement très beau et cela montre aussi le respect du réalisateur pour son sujet. Faute de moyens, Ed Wood tournait en noir et blanc. Le côté fauché des productions d’Ed Wood est aussi montré par les plateaux très « épurés » mais, à travers cela, c’est le travail de Burton qui est souligné puisqu’il a fallu reconstituer les studios où Wood tournait. Plutôt que prendre des extraits des œuvres de Wood, Tim Burton les a retournés ! Le réalisateur de 1994 montre donc comment travaillait le réalisateur de 1954 ; cette mise en abyme double et renforce le discours sur la création. Elle se raconte mais on nous la montre en action. C’est un « processus créatif en marche » qui se déroule sous nos yeux. Au-delà d’un film, c’est le cinéma lui-même qui se met en scène. Anecdotes :
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Sleepy Hollow (1999) Résumé : En 1799, l’inspecteur Ichabod Crane, qui se vante d’être un policier moderne et rationnel, est envoyé par ses supérieurs élucider trois meurtres étranges commis par décapitation dans le bourg isolé de Sleepy Hollow, habité par une communauté hollandaise. Sur place, bien que courtoisement accueilli, l’inspecteur Crane ne s’attire pas la sympathie de la population et se heurte à ce qu’il appelle de la superstition puisque, selon les notables, le coupable de ces meurtres est un cavalier sans tête mort depuis vingt ans ! Critique : Chef d’œuvre de Tim Burton, ce film mêle avec bonheur horreur, émotion et humour noir. Le réalisateur voulait rendre hommage à la mythique Hammer, d’où le choix également de Christopher Lee pour un tout petit rôle. Ironiquement, quand le nom de l’acteur apparaît au générique, il a déjà quitté le tournage ! Ce film s’appuie sur une œuvre majeure du folklore américain mais, plus largement, ce sont les contes de fées qui sont mises à l’honneur avec la recréation de cet univers noir. D’ailleurs, le film est largement tourné en nuances de gris piqueté de couleur. Visuellement, c’est très fort et cela fait ressortir la dimension fantastique du film. Dans un premier niveau de lecture, il y a l’opposition évidente du rationalisme et du fantastique. Le cœur de Burton ne penche visiblement pas du premier côté tant il se plaît à ridiculiser Ichabod Crane ! La scène où Crane/Depp reconstitue l’attaque est une parodie jouissive des méthodes de la police scientifique ! A aucun moment, la science n’aidera le policier. Par contre, la raison l’aidera à reconstituer l’écheveau des machinations d’ici-bas. Cette opposition s’est vue soulignée d’entrée de jeu entre la scène de poursuite en calèche et le travail de Crane à New York. En outre, le côté « policier » est évacué très vite lorsque les notables – une belle brochette réunie par Burton ! Tous acteurs de talent, choisis « parce qu’ils étaient un peu dingues » selon la formule de Michael Gambon – racontent à Crane la légende du cavalier sans tête. L’histoire ne vise donc pas tant à savoir qui est le coupable (d’autant que Crane n’est guère doué !) que de permettre à Ichabod d’accepter la possibilité de l’inexpliqué ; d’admettre que la raison ne peut pas tout. La plus grande ruse du Diable est de faire croire qu’il n’existe pas disait le pape Benoît XVI mais, ici, c’est pire encore puisque le cavalier se montre ! L’œuvre au noir est en plein déroulement ! Il est intéressant que l’histoire soit située en 1799 car, ainsi que le souligne Crane, elle appartient au XVIIIème siècle et non au XIXème qui s’annonce comme le siècle du progrès scientifique. C’est comme s’il fallait accepter ce passé infréquentable pour l’exorciser et passer à autre chose. Légende américaine, « La légende du cavalier sans tête » semble dire aux États-Unis qu’il est temps d’abandonner leur passé pour se projeter vers l’avenir. Pour que Ichabod Crane accepte le mystère, il passera par trois rêves (nombre symbolique ainsi que le montrent tous les contes) et, depuis Lovecraft, autre écrivain américain, on sait l’importance du « monde des rêves » ; trois magnifiques séquences mêlant à la fois une poésie onirique donnant l’occasion à Lisa Marie, dans un rôle muet, de se montrer belle et mystérieuse ; et horreur du passé de Crane qu’il revit un peu plus loin à chaque fois. Il ne pourra pas résoudre le mystère avant d’avoir accepté son passé. En ce sens, Sleepy Hollow est un film psychanalytique explorant l’inconscient collectif de l’Amérique et celui particulier de Crane. L’Histoire a une place particulière. Elle explique en effet la présence du cavalier par les horreurs de la guerre d’indépendance américaine. Ensuite, c’est l’histoire locale qui est en jeu car ce sont les relations établies historiquement entre les personnages qui expliquent le surgissement du cavalier au milieu de la communauté. Une communauté repliée sur elle-même, qui hésite entre faire bloc contre l’étranger (un classique) et exorciser les démons qui la rongent et l’empêche d’avancer. Quelque part, Crane agit à la fois comme un révélateur (il met à jour les tensions) et un psychanalyste (il fait parler les gens). Quand les choses sont dites, elles sont acceptées et peuvent être combattues. Détail croustillant, pour incarner les membres de la communauté flamande, Burton engagea des acteurs britanniques ! Pour aller au fond des choses, Tim Burton a recours aux procédés de l’horreur et c’est une réussite. Les attaques du cavalier sont des merveilles combinant le meilleur de la technique à une musique excellente et une réalisation littéralement inspirée. Une des plus fortes, c’est lorsque le juge veut s’enfuir et que Crane l’interroge. On passe brusquement d’une ambiance sinistre mais « normale » à une ambiance infernale puis, une fois le crime accompli, à une pincée d’humour ! Johnny Depp est absolument génial, au meilleur de sa forme. Il donne corps à Crane en faisant ressortir son ambiguïté, être à la fois dans l’excentricité et dans la fragilité, selon le portrait que trace Burton du personnage. Anecdotes :
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