Saison 2 Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Etendu sur le sol de sa chambre d’hôtel, Cooper a une vision d’un géant qui lui délivre des indices. Pendant ce temps, Audrey est toujours piégée au One Eyed Jack. Les survivants de la nuit précédente se retrouvent à l’hôpital. Critique : Le dernier épisode de la première saison de Twin Peaks fut diffusé le 23 mai 1990. Après quatre mois d’attente, les fans de la série retrouvent leur show le 30 septembre de la même année. Entre temps, ABC a mystérieusement déplacé la case horaire du programme malgré son succès – ce qui causera progressivement une perte d’audience significative, menant aux difficultés de la future saison 2. Ce premier épisode de la saison 2 est signé Lynch et Frost, réalisé par David Lynch, et dure 1h30. Dans son introduction de l’épisode, la Dame à la Bûche parle des « choses qui existent mais que l’on ne peut pas voir à l’œil nu ». En effet, dès ce premier épisode, la saison 2 va prendre un tournant mystique significatif. Petit à petit, la recherche du coupable du meurtre de Laura Palmer va s’accompagner de celle du « véritable » coupable, une force maléfique, surnaturelle, qui cherche à posséder certains habitants de la ville… La première scène de cet épisode signé Lynch donne le ton. Cooper est entre la vie et la mort, quand Lynch décide de faire entrer un vieillard, serveur aux gestes lents, qui ne lui vient absolument pas en aide. On retrouve ici l’humour macabre de Lynch, basé sur une attente insupportable (voir la fin de Blue Velvet et le cadavre qui tient debout…). Le spectateur est crispé, tendu, et pourtant il a envie de rire. Puis, le vieux serveur laisse place à un Géant venu d’une autre dimension… Comme souvent dans l’univers de David Lynch, ces personnages d’un autre monde, aux « gueules » improbables, apparaissent à des personnages dans un état second, un état d’épuisement. Laura dans Fire Walk With Me, Fred dans Lost Highway, Diane dans Mulholland dr., tous atteignent un autre monde par le biais du sommeil, de l’épuisement, de la mort, du cauchemar, ou bien de la drogue. Rendus fragiles, les personnages peuvent voir le monde secret, celui qui se cache derrière notre monde des apparences. Encore une fois, dans cette scène, Frost et Lynch prouvent leur audace scénaristique en délivrant par la bouche du Géant des indices obscurs, qui seront éclaircis progressivement jusqu’à la découverte de l’assassin de Laura Palmer. En attendant, le Géant prend la bague de Dale Cooper. Elle lui sera rendue quand lumière sera faite… Les mots du Géant viendront donc hanter Cooper dans les épisodes à suivre, tout comme son rêve de la Black Lodge dans la saison 1. Comme d’habitude, nous retrouvons les personnages où nous les avons laissés. Cooper, d’une part, qui était abattu dans la dernière image de la saison 1, et que nous retrouvons au sol dans la saison 2. Mais aussi Audrey, prise à son propre piège au One Eyed Jack, où elle découvre que le propriétaire du bordel n’est autre que son propre père. Derrière les apparences, des réalités perverses se cachent. La scène se conclue par le regard triste d’Audrey. On retrouve alors Cooper, toujours étendu. Il parle à Diane, la mystérieuse interlocutrice par le biais de son dictaphone. Cooper dit une phrase essentielle pour comprendre la saison 2 : « ce n’est pas si terrible, tant qu’on peut empêcher la peur d’envahir son esprit ». On peut affronter une blessure par balles, si on ne laisse pas la peur nous envahir. Mais les habitants de Twin Peaks devront eux aussi empêcher la peur de les envahir. Et la peur, dans Twin Peaks, est incarnée par une entité : Bob. Cet esprit maléfique apparaît à la fin de l’épisode, dans une vision terrifiante du meurtre de Laura Palmer, revécu par la survivante Ronette Pulaski. Le Dr Jacoby délivre lui aussi un indice important, confiant à Cooper et Truman que Laura semblait avoir trouvé la paix intérieur juste avant sa mort, comme si elle voulait mourir. Pour ne plus avoir peur, Laura a finit par donner sa vie à son bourreau… James raconte lui aussi, dans cet épisode, un souvenir étrange de Laura : elle lui avait récité un poème écrit par elle, à propos du « feu », et de « Bob », l’homme qui lui « mettait le feu ». Des éléments issus du Journal secret de Laura Palmer, le livre de Jennifer Lynch sorti entre la saison 1 et 2, et qui font le lien avec la fin de la série et le film Fire walk with me. Autre présence d’un autre monde, le Manchot, qui réapparaît dans cet épisode. La musique d’Angelo Badalementi, atonale, faite de nappes de sons étranges, souligne l’aspect paranormal de ces personnages mystérieux (le Manchot, le Géant, Bob), qui sont de plus en plus omniprésents dans la série. Que veulent-ils ? Quels liens ont-ils avec le meurtre de Laura ? Après le dernier épisode de la saison 1, « The last evening », qui se déroulait entièrement de nuit, cet épisode 1 de la saison 2, « May the giant be with you », the déroule majoritairement de jour. L’épisode ayant une durée de 1h30, une bonne heure complète suit la journée à Twin Peaks. Sous la houlette de Lynch, c’est l’occasion de nombreuses scènes comiques autant que touchantes, mais, surtout, surréalistes. On ne comprend rien, mais on rit, on a peur, on pleure. Leland se réveille avec les cheveux entièrement blanc. Il chante, danse le swing, tandis que sa nièce Madeleine est terrifiée par le souvenir de son cauchemar dans lequel la moquette du salon devient noire. Leland arrive ensuite au Great Northern où son swing endiablé contamine les frères Ben et Jerry Horne, qui entament à leur tour une danse loufoque, sur le tapis et sur le bureau. Autre grande scène, entre Andy et l’agent Rosenfield, dans la droite lignée de Jacques Tati que Lynch adore : Andy, terrifié par Rosenfield, court vers son supérieur Harry, et se prend une planche dans la tête. Andy reste alors en déséquilibre pendant de longues secondes, un sourire ensanglanté aux lèvres. Par cet incident, il découvre la drogue que les autres enquêteurs ne parvenaient pas à dénicher chez Leo Johnson… A l’humour succède beaucoup d’émotion. Lynch aime les larmes, et le montre dans cet épisode, notamment à travers une scène de réunion entre Bobby et son père. Ce dernier raconte un rêve dans lequel il voyait son fils apaisé, réunis tous deux dans une sorte de paradis immaculé. Bobby fond en larme, révélant sa véritable nature sous ses faux airs de bad boy. Autre sentiment tragique, celui des chassés-croisés dans l’hôpital : Norma, rendant visite à Shelly, passe devant la chambre de Nadine. Elle espionne Ed, en train de consoler son épouse. Dans ses yeux, du dépit : toute leur vie, les deux amants resteront séparés par des coups du sort. La folie de Nadine, et sa tentative de suicide inattendue, les empêchera encore de déclarer leur flamme au monde, sous peine de passer pour deux monstres. Le brio de Twin Peaks, c’est aussi le mélange des genres, et une scène en témoigne aussi dans cet épisode : celle où Ed raconte sa vie avec Nadine, dans une tirade bouleversante, tandis que Rosenfield retient un fou rire en l’écoutant. Le spectateur se retrouve à la fois bouleversé par Ed (et par le jeu de son interprète Everett McGill), et pris de la même envie de rire que Rosenfield. Ce même mélange de sentiments, indéfinissable, apparaît dans l’une des dernières scènes du film, celle du dîner chez les Hayward. La nuit est tombée, et les parents Palmer, Maddy, et James, sont chez Donna et sa famille. La scène montre un apaisement, un moment de bonheur, avec les deux petites sœurs offrant un spectacle musical. L’une des sœurs lit, émue, un poème en hommage à Laura : « C’était Laura, habitant mes rêves ». La scène offre un mélange de tendresse et de malaise, accentué par une caméra flottante, en grand-angle, tournoyant autour des invités de manière lancinante. Finalement, Leland, se déclarant guéri de son malheur depuis qu’il a des cheveux blancs, se met à chanter. Tout le monde éclate de rire… Mais soudain, la chanson de Leland devient frénétique, inquiétante. Jusqu’à ce qu’il s’évanouisse. En somme, un épisode troublant, jouant de mélanges de sentiments comme Lynch sait les concocter. C’est aussi dans cet épisode que Donna devient pour la première fois très sombre, dès lors qu’elle chausse les lunettes noires de Laura. Comme si le malheur pouvait nous contaminer par un objet, Donna devient dure, elle fume, elle est sûre d’elle… Un changement perturbant pour le spectateur, habitué à un personnage angélique dans la saison 1. Mais, quand on connaît Le journal secret de Laura Palmer, et que l’on revoit la série après avoir vu Fire walk with me, rien d’étonnant à ce changement de personnalité de Donna, initié par Laura de son vivant dans la forêt et dans un night-club… La saison 2 s’ouvre donc sur un épisode brillant, mais difficile à cerner, et venant ajouter encore plus de complexité plutôt que d’apporter les réponses attendues par les spectateurs (d’où aussi, certainement, le désamour du grand public dès l’épisode suivant). Anecdotes :
Scénario : Harley Peyton Réalisation : David Lynch Résumé : Dale Cooper apprend par Albert Rosenfield que son ancien collègue Windom Earle s’est évadé d’asile psychiatrique. Audrey Horne est toujours infiltrée au One Eyed Jack. Donna reprend le poste de Laura au service de plateaux-repas et rencontre la vieille Mrs Tremond et son étrange petit-fils magicien. Critique : David Lynch est toujours à la mise en scène de ce second épisode de la saison 2, avec Harley Peyton au scénario. L’introduction de la Dame à la Bûche, pour cet épisode, nous dit « au-dessus, en-dessous. L’être humain se situe quelque part au milieu ». Par ces paroles énigmatiques, l’introduction souligne la thématique naissante de la saison 2 : des forces mystérieuses existent, sous nos pieds ou bien au-dessus de nos têtes, et influencent nos comportements. Cet épisode, « Coma », le démontre bien, grâce à la mise en scène de Lynch, particulièrement angoissante, et la musique d’Angelo Badalamenti. Un sentiment de surnaturel, presque horrifique, se glisse progressivement dans la série, tandis que le personnage de BOB devient de plus en plus omniprésent. Mais surtout, nous découvrons que de nombreux personnages à Twin Peaks sont en connexion avec « l’autre monde ». Dans la deuxième scène de l’épisode, Donna apporte un plateau-repas à l’étrange Mrs Tremond. Son petit-fils magicien fait disparaître la crème de maïs dans l’assiette, et prononce d’énigmatiques paroles. Mrs Tremond pousse Donna à rendre visite au voisin, Harold Smith, qui connaissait Laura. Donna toque à la porte de Smith, sans réponse. Quand elle tourne le dos, elle est pourtant épiée. Toute cette séquence, mise en scène par Lynch, et accompagnée de nappes sonores de Badalamenti, distille une angoisse digne des futurs Lost Highway ou Mulholland dr. (la scène des bungalows est similaire). La mise en place d’un univers parallèle et mystique continue d’être déployée dans cet épisode. La première scène révèle l’existence d’un ex-collègue du FBI de Dale Cooper, Windom Earle, qui s’est évadé d’asile psychiatrique. Une première mention, qui témoigne du fil conducteur prévu par les créateurs de la série dès le début de la saison 2. Si cette saison 2 donnera l’impression, en cours de route, d’improvisation et de maladresses, cet épisode « Coma » prouve pourtant que Lynch et Frost, mais aussi Peyton, savaient où ils allaient avec Windom Earle… Dans « Coma », d’autres personnages sentent la manifestation de forces maléfiques, comme le Major Briggs, le père de Bobby. C’est Margaret, la Dame à la Bûche, qui vient l’avertir « Délivrez… le message… ». Le Major Briggs, militaire très sérieux, comprend tout à fait l’excentrique Margaret, et se rend dans la chambre d’hôtel de Dale Cooper pour lui délivrer un message venu de l’espace. Pour son travail classé secret défense, il traque les messages en provenance des étoiles. Or, la nuit où Cooper a été touché de trois balles, un message est apparu : « Les Hiboux ne sont pas ce que l’on pense ». Dale Cooper, dans la dernière scène de l’épisode, en fera un rêve, dans lequel un hibou se superpose au visage du terrifiant BOB. Ce même BOB apparaît aux yeux de Maddy dans l’une des scènes les plus magistrales et les plus terrifiantes du cinéma de Lynch : la créature apparaît soudainement du salon, et s’approche du point-de-vue de Maddy et de la caméra, nous fixant directement dans les yeux… Difficile de ne pas sursauter face à son écran. Cette apparition était préparée par toutes les mentions angoissantes de BOB dans la série et dans cet épisode en particulier : une scène montre Ronette Pulaski hurler dans son lit face au portrait-robot de BOB ; une autre monde Leland Palmer blêmir quand il le reconnaît. Leland semble d’ailleurs indiquer que BOB est bien réel : « je connais cet homme ! à la résidence d’été de mon grand-père, quand j’étais petit ». Un épisode particulièrement angoissant, donc. Une angoisse diffuse, flottante, typiquement Lynchéenne. La bande originale d’Angelo Badalamenti multiplie les pistes de nappes sonores étranges et ralenties, façon Mulholland dr. avant l’heure. Le thème jazzy et entraînant de la saison 1 est nettement moins présent. Le thème enivrant est d’ailleurs zappé par Bobby et Shelly sur leur autoradio, comme lassés, pour un thème plus rock. Mais l’épisode contient également une nette dose d’humour, pour contrebalancer cette terreur montante. Lynch hérite beaucoup d’Hitchcock, qui lui aussi utilisait l’humour pour permettre au spectateur de souffler, avant de le relancer dans des scènes terrifiantes – exactement comme dans une montagne-russe. Dans « Coma », la comédie entre Lucy et Andy autour du bébé commence. Des gags visuels et sonores géniaux accompagnent les apparitions d’Andy : un premier le montre en prise avec un rouleau de scotch, rappelant le sparadrap du Capitaine Haddock dans Tintin et l’Affaire Tournesol. Le second gag est plus à la Jacques Tati (un Maître pour Lynch) : tandis qu’Andy tournoie, fait les cent pas, devant le commissariat, le son d’une mouche à l’intérieur du lieu accompagne ses déplacements, semblant exprimer ses ruminements intérieurs. Andy finit par déclarer à Lucy, qui vient d’écrabouiller la mouche, qu’il est stérile et ne peut donc pas être le père de son bébé. Cet humour est également parodique des soaps de l’époque, caricaturant de manière loufoque les histoires d’amour et de trahison des séries à succès. Le contraste comédie/horreur a d’ailleurs lieu dès la première scène de l’épisode, dans laquelle un chœur gospel en tenue de Charleston chante derrière Cooper et Rosenfield, avant que celui-ci n’annonce l’évasion de Windom Earle. Même humour décalé dans la scène de l’hôpital, où Cooper et Truman luttent contre un siège impossible à régler, avant d’interroger Ronette sortie de son coma. Les scènes entre Ben et Jerry Horne sont également très drôles et cyniques. Mais surtout, le plus savant mélange d’émotions a lieu dans l’une des dernières scènes de l’épisode, celle où James, Donna et Maddy chantent et jouent à la guitare. La scène est douce au départ. Puis elle devient étrange, quand on s’aperçoit que les micros déforment les voix, et donnent un ton aigu à la voix de James – mixage qui évoque à l’avance les futurs albums musicaux de David Lynch chanteur ! Les paroles, celles d’une chansonnette amoureuse « Just you… and I… together… », donnent lieu à un échange de regard passionné entre Donna et James. Mais, soudain, le regard de James se tourne vers Maddy. La ressemblance avec Laura Palmer ressurgit. Donna, elle, est aux bords des larmes. Elle finit par fuir le groupe en pleurant. James et Donna se réconcilie aussitôt, mais pendant ce temps, Maddy est seul dans le salon et voit BOB apparaître… En somme, un véritable roller-coaster d’émotions. Si « Coma » semble ne pas apprendre grand chose aux spectateurs, il pose pourtant de nombreux jalons, et témoigne de la grande cohérence de l’univers de Twin Peaks, qui glisse progressivement vers le surnaturel et l’horreur pure. Anecdotes :
Scénario : Robert Engels Réalisation : Lesli Linka Glatter Résumé : Au One Eyed Jack, un plan s’organise entre Jean Renault, le frère de Jacques, et Blackie, pour faire de leur otage Audrey une affaire juteuse. Donna, dont la relation avec James s’effrite, se rend chez Harold Smith, chez qui Laura allait se confier en secret. Critique : Après deux épisodes réalisés par David Lynch et qui introduisaient le ton plus mystique et effrayant de cette saison 2, l’épisode 3 est confié à deux membres de l’équipe de la saison 1, Lesli Linka Glatter à la réalisation, et Robert Engels au scénario. Robert Engels avait écrit l’épisode « The One Armed Man » dans la saison 1, or ce nouvel épisode d’Engels est encore marqué par la présence du Manchot… Quant à la mise en scène de Lesli Linka Glatter, on reconnaît son style visuel assez marqué (elle a réalisé « Cooper’s dream » dans la saison 1). Glatter multiplie notamment les mouvements, léchés, comme un travelling à 360° en introduction de ce nouvel épisode « The Mind behind the glass ». Cette première scène reprend l’atmosphère des précédents épisodes de Lynch : une musique sombre de Badalamenti accompagne ce mouvement de caméra, sur Ronette Pulaski en pleine de crise de panique à l’hôpital. Le tueur a tenté de frapper une nouvelle fois en se débarrassant du témoin gênant, et a laissé une lettre sous un de ses ongles. La scène suivante suit Donna chez Harold Smith, qui fait sa première apparition. L’ambiance reste toujours aussi sombre et mystérieuse… Ce nouveau personnage génial, effrayé par le monde extérieur, vivant au milieu de ses plantes, est à la fois source d’émotions et de peur. Est-il le timide et gentil soutien de Laura Palmer, ou son assassin ? L’ombre d’Hitchcock plane à nouveau ici, tant le personnage évoque Norman Bates – et ses entretiens avec Donna ceux entre Norman et Marion dans Psychose. Les fans purs et durs avaient pu découvrir Harold Smith en avant-première dans le produit dérivé Le Journal secret de Laura Palmer sorti entre la saison 1 et la saison 2. La part de fantastique-mystique implanté par les précédents épisodes réalisés par Lynch continue d’être développée : le Manchot réapparaît et révèle sa nature paranormale lors d’une crise provoquée par la vue du portrait de Bob ; Leland Palmer vient annoncer aux agents qu’il connaît lui aussi Bob, de son enfance à Pearl Lake, où Bob lui « jetait des allumettes », son témoignage semblant ainsi prouver la réalité de cet homme mystérieux… Même si Bob reste un mystère absolu, ce mystère est de plus en plus présent et inquiétant. Mais cet épisode montre aussi le retour des intrigues parallèles, celles qui happent le spectateur tout en l’éloignant de la résolution du mystère principal (le meurtre de Laura). Dans la saison 1, c’était par exemple l’incendie de la scierie. Dans la saison 2, c’est la détention d’Audrey au One Eyed Jack, qui tourne en vengeance personnelle de Jean Renault (nouveau personnage, frère de Jacques Renault) envers Dale Cooper. L’épisode alterne, comme toujours, entre les trois émotions principales de la série : peur, comédie, et drame. Les scènes dramatiques sont assez réussies dans cet épisode, comme celle montrant Donna lâchant son ressentiment face à la tombe de Laura Palmer : « Je voulais tellement te ressembler, Laura. Mais regarde ce que ça a donné. Je t’aime Laura, mais on essayait toujours de régler tes problèmes, et aujourd’hui encore ! ». Autre scène émouvante, celle montrant Ed qui chante un tube d’Elvis au lit de Nadine dans le coma, main dans la main… mais l’émotion se transforme soudainement quand Nadine agrippe sa main avec force, arrache ses chaînes, et se réveille de son coma en hurlant comme une pom-pom girl ! Le début d’une nouvelle intrigue comique et surréaliste avec Nadine… Les scènes comiques occupent d’ailleurs aussi une grande place dans cet épisode, avec la nouvelle intrigue du triangle amoureux entre Lucy, Andy et Dick Treymane (troisième nouveau personnage de cet épisode !). Peut-être le léger défaut de cet épisode est-il d’introduire trop de nouveaux personnages d’un coup. Un quatrième personnage aurait d’ailleurs dû y être introduit : la mère de James Hurley. Cette scène, qui a été tournée, a finalement été coupée et jamais révélée. Ne reste qu’un dialogue, dans lequel James bouleversé confie à Maddy le retour de sa mère. Si la brouille entre James et Donna ne constitue pas forcément le meilleur élément de la série (surtout au milieu de la saison 2…), cet élément reste fort ici grâce au surgissement d’une forte émotion, né du thème de Laura qui ressurgit (omniprésent dans la saison 1, il avait un peu disparu dans la saison 2), James hurlant dans la rue après Donna. Maddy, restée dans la maison, confie ses regrets à Leland : « je suis venue à un enterrement, et c’est comme si j’étais tombé dans un cauchemar. Je voudrais que tout redevienne comme avant ». Ce à quoi Leland répond (toujours sur fond du thème de Laura, bouleversant) : « On le voudrait tous. Que tout redevienne comme ces étés à Pearl Lakes… ». Sur cette scène d’émotion apparaissent Cooper et Truman pour annoncer à Leland son arrestation, pour le meurtre de Jacques Renault. En somme, si cet épisode introduit de nouvelles intrigues vouées à devenir faibles plus tard dans la saison (Dick Tremayne et le désamour de James et Donna), ces intrigues sont encore regardables à ce stade. Et, surtout, de nouvelles intrigues plus prenantes sont introduites : l’enlèvement d’Audrey, et l’enquête autour du mystérieux Harold Smith. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost, Harley Peyton, Robert Engels, Jerry Stahl Réalisation : Todd Holland Résumé : Leland confesse le meurtre de Jacques Renault. La venue d’un critique culinaire du nom de M.T. Wentz à Twin Peaks est sur toutes les lèvres. Jean Renault demande une rançon à Ben Horne contre la libération d’Audrey. Josie est de retour à Twin Peaks, avec dans les parages son « cousin »… Critique : L’épisode s’ouvre sur un plan étrange, abstrait. La caméra remonte le long d’un tunnel obscur, et des voix déformées crient au loin « Papa… Leland… Laura… ». Ce tunnel s’avère être l’un des petits trous du mur de la salle d’interrogatoire du commissariat de Twin Peaks, fixés par Leland Palmer dont on sent de plus en plus la folie. Leland nous apparaît comme mentalement détruit, par la mort de sa fille, de toute évidence. Dans cette première scène, il avoue le crime de Jacques Renault à Truman, en présence de Cooper et du Dr Hayward. Une confession en larmes, dont il faut saluer l’interprétation du génialissime Ray Wise. La manière dont son visage se déforme pour prendre une expression tragique et désespérée est absolument sidérante. Le casting est bel et bien la force majeure de Twin Peaks, qui contient certaines performances tout à fait incroyables. Aussitôt, le drame se transforme en comédie : le Dr Hayward sort abattu de ce qu’il vient d’entendre, et tombe sur Andy préoccupé par ses analyses de sperme. Andy se réfugie aux toilettes pour prélever l’échantillon en question, à l’aide d’un magazine X (Flesh World, la fameuse revue dans laquelle Laura et Ronette ont envoyées des photos). Mais Andy tombe nez-à-nez avec Lucy, et s’ensuit bien sûr un parfait quiproquo. Les quiproquos se poursuivent à la chaîne, puisqu’Andy fait ensuite tomber son flacon, se précipite à quatre-patte pour le récupérer, ce qui fait s’exclamer Cooper : « Andy, où avez-vous eu ça ? ». Andy, penaud, refuse de répondre, avant de comprendre que Cooper regardait ses bottes : les mêmes que celles vendues par le mystérieux manchot ! Une écriture diaboliquement ciselée nous mène donc de personnages en personnages, de quiproquos en quiproquos, en quelques minutes. On retrouve la finesse de la comédie, un peu perdue dans l’épisode précédent, mi-sitcom mi-Jacques Tati. Peut-être est-ce dû au quatuor de scénaristes qui s’est penché sur cet épisode. La mise en scène de cet épisode est également plus sobre que celle de Lesli Linka Glatter. Todd Holland, dont c’est le premier épisode qu’il réalise pour Twin Peaks, préfère les plans longs, d’une sobriété qui rappelle le pilote de la série. Souvent, la prise laisse les acteurs jouer de profil, filmés en courte focale, sans champ-contrechamp. Cet épisode « Laura’s secret diary » possède, de plus, une atmosphère toute particulière – pour ma part, de nombreux plans de cet épisode m’avaient marqué lors de la première vision de la série. Un sentiment de tristesse, de dépression, plane sur tout l’épisode. Encore une fois, on est dans l’atmosphère du pilote de la série. Les scènes sont entrecoupées de très beaux plans d’ambiance, le tout relié par un orage qui gronde dès le début de l’épisode, et qui se transforme en véritable tempête pendant la nuit. On passe par exemple d’une scène au Double R, où l’atmosphère est tendue entre Maddy et Donna qui s’entretiennent froidement, à un plan sur l’orage qui gronde au dehors, puis à Josie et Harry qui s’entretiennent eux aussi et pour qui l’orage gronde également. Tous les personnages semblent affectés, abattus, et le spectateur aussi, et l’orage qui berce l’épisode y est sûrement pour quelque chose. L’épisode est d’ailleurs très nocturne – dès la 26ème minute, la nuit tombe, jusqu’à la fin de l’épisode (toujours cette règle dans Twin Peaks de ne pas dépasser 24 heures). Une autre beauté discrète dans la réalisation de cet épisode, c’est le sens des transitions. Le personnage fantôme de M. T. Wentz, ce critique culinaire que tout le monde attend mais que personne ne connaît, est sur toutes les lèvres. Si bien que nous passons du Great Northern Hotel, où Ben Horn apprend de la standardiste que Wentz devrait arriver, au Double R où Norma parle aussi de Wentz avec Hank. Les deux scènes sont reliées par un effet visuel supplémentaire : Horn est au téléphone suite à l’annonce du kidnapping de sa fille, et le montage coupe pour nous mener à Norma qui est elle aussi au téléphone. Des petits détails, mais qui font la qualité hautement cinématographique de Twin Peaks dans ses meilleures heures. La photographie est elle aussi de toute beauté, surtout avec cet orage qui strie la nuit. Notons aussi les décors, toujours remarquables, et notamment celui de la maisonnette de Harold Smith : tout en bois, en végétation, et sans fenêtres, ce décor donne à chaque scène chez Harold Smith un mélange de sentiment de confort et d’étouffement à la fois. Pour en revenir au scénario, l’épisode marque le retour de Josie, qui avait disparue depuis la saison 1. Prétendumment à Seattle tout ce temps, elle semble tomber des nues en apprenant la mort de Catherine dans l’incendie de la scierie… Elle est de retour à Twin Peaks accompagnée par le mystérieux Chinois qui s’avère être son cousin. Ce retour marque celui des intrigues à tiroirs autour de la scierie et des arnaques à l’assurance… Les retrouvailles de Josie avec Truman sont d’ailleurs marquées sous le sceau de la suspicion. Dans cette scène fabuleuse, et vénéneuse, Josie et Truman jouent au chat et à la souris. Il l’interroge, et elle le détourne par ses charmes, jusqu’à l’amener sur le sofa où ils font l’amour – sous l’œil du cousin Chinois qui observe depuis la fenêtre. Toujours sur le plan du scénario, les quiproquos sont à l’honneur dans cet épisode, et font la cohésion de l’épisode. Après celui, en cascade, de l’analyse de sperme d’Andy, c’est au Double R que Norma et Hank prennent un client pour le mystérieux M. T. Wentz… avant de découvrir qu’il s’agit d’un procureur, peut-être là pour surveiller Hank, ex-taulard. Au Great Northern Hotel, c’est un étrange Chinois, encore un, affublé de lunettes de soleil et d’une longue moustache, qui est pris pour M. T. Wentz… Le dernier quiproquo nous ramène à la case départ, puisqu’il tourne autour d’Andy et Lucy. Cette scène mêle magnifiquement l’humour et le drame, puisque Lucy apprend de Dick qu’il veut lui payer un avortement. Les dialogues sont savoureux, et pourtant la situation est tragique au possible. Lucy, génialement campée par Kimmy Robertson, explose littéralement et s’enferme dans la salle de conférence. Elle pleure toutes les larmes de son corps, en marmonnant « Dick, Dick ! ». Andy qui passe à ce moment là, croit alors que Dick et Lucy sont en train de faire l’amour… Encore une fois, l’expression sur le visage d’Andy est à la fois hilarante et pitoyable. On rit, tout en ayant de la peine pour les personnages. La pluie, qui ne cesse de tomber dans cet épisode, vient comme laver cette peine, lors de la tirade du Juge Sternwood face à Leland Palmer, se concluant par « après toute cette affaire, nous nous retrouverons, et nous lèverons nos verres, au Walhalla ». Ce personnage du Juge Sternwood apparaît pour consoler les personnages endeuillés de Twin Peaks. A Lucy, dont il perçoit les problèmes, il déclame : « La vie est dure ma chérie, mais plus dure ailleurs qu’à Twin Peaks… ». La grande tristesse qui plane sur cet épisode est contrebalancée par la camaraderie qui lie Sternwood à Truman, et très rapidement à Cooper qu’il vient de rencontrer. Ce Sternwood est vêtu comme un Juge du Far West, comme issu d’un western de John Ford. On se dit en le voyant que le Temps n’existe pas à Twin Peaks. Peut-être Twin Peaks est-il un Paradis, qui accueille des êtres déjà morts, venus d’autres époques ? Quand Sternwood demande à Cooper ce qu’il pense de Twin Peaks, l’agent du FBI répond : « C’est le Paradis, Monsieur ! » Sternwood : « Et bien, cette semaine le Paradis a accueilli un incendie criminel, de multiples homicides et l’atteinte à la vie d’un agent ». Cooper : « Le Paradis est un endroit accueillant et étrange, Monsieur. » Anecdotes :
Scénario : Graeme Clifford Réalisation : Barry Pullman Résumé : Cooper et Truman préparent le sauvetage d’Audrey au One Eyed Jack. Le jugement de Leland pour le meurtre de Jacques est prononcé. Donna et Maddy s’apprête à voler le second journal de Laura chez Harold. Critique : Deux nouveaux venus sont aux commandes de cet épisode. Barry Pullman, qui signe son premier scénario ici, sera l’auteur de trois autres épisodes, dont le génialissime « Miss Twin Peaks ». A la réalisation, Graeme Clifford, dont ce sera malheureusement le seul épisode. Dans « The Orchid Curse », son style est sobre et efficace, essayant de s’inscrire humblement dans la lignée de David Lynch et de Mark Frost. Cet épisode ressemble d’ailleurs par de nombreux aspects au dernier épisode de la saison 1, « The Last Evening », le seul réalisé par Mark Frost. Comme « The Last Evening », « The Orchid Curse » possède lui aussi beaucoup d’actions, des actions qui s’emballent de plus en plus, par un montage alterné qui se resserre entre ces actions, créant un suspense de plus en plus fort jusqu’à la fin de l’épisode. Les scènes au One Eyed Jack reprennent d’ailleurs l’usage du steadycam utilisé par Frost dans « The Last Evening » qui donne le sentiment de flotter dans un labyrinthe de couloirs, comme pour créer là aussi une vraie continuité esthétique. Quand l’épisode s’ouvre, on se croirait d’ailleurs revenu dans la saison 1 : le thème jazzy résonne, et l’on retrouve Dale Cooper au saut du lit, cheveux décoiffés, racontant ses rêves à son dictaphone (« Diane… »). Il s’engage alors dans un exercice sportif, faisant le poirier (« Diane, j’ai à présent la tête en bas ! »). Une scène d’ouverture qui rappelle tout à fait l’épisode de la saison 1 « Traces to Nowhere » qui suit le pilote de la série. Mais ce clin d’œil n’est pas gratuit, puisque c’est en faisant le poirier que Cooper aperçoit enfin le mot laissé par Audrey Horne sous son lit. Cet oubli confirme la prophétie du mystérieux Géant : « vous avez oublié quelque chose ». Ce sera d’ailleurs la seule mention à un personnage surnaturel dans cet épisode, chose rare dans la saison 2 qui flotte habituellement beaucoup plus dans le fantastique. Après avoir suivi le quotidien de la ville (Lucy prend des vacances et quitte le commissariat ; Shelly et Bobby reçoivent la visite du représentant des assurances pour garder Leo Johnson transformé en légume), l’épisode reprend un élément annoncé la veille – donc dans l’épisode précédent : l’audience de Leland Palmer. Le respect du fil narratif dans Twin Peaks participe énormément au génie de la série. Chaque épisode nous fait vivre une journée dans la bourgade. Si bien qu’une annonce faite dans un épisode trouve sa résultante dans l’épisode suivant, donnant l’impression d’un très long film, parfaitement cohérent. Ce rythme « un épisode = un jour à Twin Peaks » donne aussi le sentiment d’appartenir à la ville, et que le temps se ralentit. L’effet est d’ailleurs saisissant quand le Juge Sternwood demande à Cooper « Depuis combien de temps êtes-vous ici ? ». « Douze jours, Monsieur ! » répond Cooper. Et effectivement, si on fait les comptes, la série n’a couvert que douze jours de la vie à Twin Peaks, depuis la découverte du cadavre de Laura Palmer. On a pourtant le sentiment d’y vivre depuis une éternité. L’audience de Leland et celle de Leo Johnson souligne d’ailleurs ce sentiment d’éternité qui règne à Twin Peaks : une audience paisible, dans le salon de l’hôtel, où l’accusé est défendu par un ami, le Shérif, dont le témoignage suffit à prouver la bonne fois de l’accusé, et où la délibération (pour Leo) se fait autour d’un bon verre au bar. Le début de l’épisode alterne ces scènes d’audience avec des scènes de comédie, toujours teintées d’étrangeté bien sûr. C’est notamment le retour de Nadine, guérie, mais pas tout à fait puisqu’elle est persuadée d’être une adolescente. Elle est aussi dotée d’une force surhumaine qui la dépasse, et qui la fait casser la porte du frigidaire. Ben Horne, lui, a à faire avec le mystérieux Monsieur Tojamura, au look délirant. Mais surtout, l’épisode prépare les actions à venir. Le rendez-vous est donné pour l’échange de l’argent contre Audrey Horne : ce soir, à minuit. Le suspense est automatiquement enclenché, comme dans la saison 1 avec l’incendie de la scierie. Cooper prépare, de son côté, avec l’aide de Truman, son propre enlèvement d’Audrey au One Eyed Jack. Parallèlement, Donna explique à Maddy qu’elle va voler le journal de Laura, ce soir, chez Harold. Deux « casses » en prévision pour la nuit, et auxquels l’épisode consacre toute sa deuxième moitié. Comme dans la saison 1, les événements restent en attente pendant de nombreux épisodes (Audrey bloquée au One Eyed Jack depuis le début de la saison), et s’emballent dans un seul et même épisode, en parallèle pour plusieurs personnages. Même une scène de comédie vient crisper le spectateur : Andy, qui découvre qu’il n’est plus stérile (dans une scène assez hilarante, où l’adjoint débordé dans le rôle de secrétaire est entouré de post-it même sur le front), veut appeler Lucy et découvre qu’elle n’est pas chez sa sœur, mais dans une clinique d’avortement ! Chez Harold Smith, Donna raconte ses souvenirs pour amadouer Harold, mais Maddy se tient au dehors, dans les buissons, prête à opérer. Donna joue le jeu et se plonge réellement dans un souvenir, ce qui offre une très belle scène à son interprète Lara Flynn Boyle, et qui recoupe la série avec le livre Le Journal secret de Laura Palmer. Donna raconte en effet la première expérience d’adolescentes vécue par Laura et elle, dans un lac dans la forêt, lors d’un bain de minuit avec des garçons canadiens. Une scène de confession vraiment réussie et très émouvante. Toutes les scènes chez Harold Smith sont d’ailleurs géniales, notamment grâce au thème merveilleux qu’Angelo Badalamenti a composé pour ce personnage. A l’émotion des scènes avec Harold vient s’ajouter une tension sous-jacente, tension complexe, à la fois sexuelle (Donna et Harold finissent par s’embrasser dans cet épisode), mais aussi la tension du vol à venir (Maddy attend toujours au dehors), et une tension encore plus importante qui tient de la nature réelle d’Harold : est-il un psychopathe ? est-il l’assassin de Laura derrière son apparente douceur ? Le suspense est redoublé par la mission de sauvetage au One Eyed Jack, véritable scène de suspense et d’action comme on en voit de temps en temps dans Twin Peaks (notamment dans le dernier épisode de la saison 1, donc). En somme, encore un épisode tout à fait réussi, et sous-tendu par l’une des meilleures intrigues de la série, celle d’Harold Smith. Anecdotes :
Scénario : Harley Peyton et Robert Engels Réalisation : Lesli Linka Glatter Résumé : James vient à la rescousse de Donna et Maddy chez Harold Smith. Audrey reprend connaissance, sauvée par Cooper. Shelly et Bobby ont la garde de Leo, qui est maintenant un légume. Le Manchot révèle sa vraie nature et celle de Bob… Critique : Demons réunit trois des meilleurs talents de Twin Peaks, au scénario Harley Peyton et Robert Engels, et à la réalisation Lesli Linka Glatter. Tous trois concoctent un épisode d’une très grande qualité, dont chaque scène est réussie, et dotée d’un sentiment d’angoisse grandissant comme pour nous mener à l’épisode suivant réalisé par David Lynch. Ce qui fait de Demons un grand épisode de Twin Peaks, c’est notamment la grande cohérence sous-jacente qui nous mène à l’épisode culte Lonely souls… Car, dans Demons, les masques sont enlevés du visage des personnages, tour à tour, comme pour nous mener à une plus grande révélation. Une scène clé dans cet épisode, celle du lac, dans laquelle Maddy prononce ces mots : « pendant un temps, j’ai pu être une autre. Maintenant, je redeviens moi ». A Twin Peaks, tout le monde a deux visages, l’un conscient (celui en société), l’autre enfouit. Et les secrets cachent d’autres secrets, toujours plus profonds… Même Laura avait deux journaux intimes. L’épisode reprend exactement là où le précédent nous avait laissé (signe des « grands moments » dans Twin Peaks, où l’ellipse n’est plus permise). Il fait nuit, et nous sommes chez Harold Smith, qui vient de se griffer le visage, et retient chez lui Donna et Maddy. Mais James surgit et vient les sauver – sans récupérer le journal de Laura. Seul, Harold pousse un hurlement de désespoir à glacer le sang (génial Lenny Van Dohlen, interprète de Harold). Un cri bestial, qui rappelle presque celui de Bob. Au dehors, James et Donna se réconcilient, sous le regard de Maddy, distante… Parallèlement, l’épisode nous ramène au près de Cooper, Truman et Hawk, qui viennent de sauver Audrey. La jeune fille est encore inconsciente, et marmonne dans son sommeil « papa… », évoquant le choc vécu au One Eyed Jack. Une fois réveillée, elle se souviendra du vrai visage de son père – premier masque retiré dans cet épisode. Cooper, quant à lui, réalise qu’Audrey était utilisée comme appât pour l’atteindre (Jean Renault voulait venger la mort de son frère). Ce n’est pas la première fois que Cooper a dépassé sa juridiction et fait risquer sa vie à un proche. Encore une fois, le passé de Dale Cooper est évoqué (une affaire à Pittsburgh), mais reste mystérieux. Les dix premières minutes de l’épisode alternent donc entre les deux groupes (James-Donna-Maddy, et Truman-Cooper-Hawk), au beau milieu de la nuit, avant de passer au lever du soleil. Le jour levé, nous retrouvons Leo Johnson, dans un état végétatif, gardé par Shelly et Bobby. Mais la fête est de courte durée : le chèque touché par les assurances est minuscule et, surtout, Leo émet un marmonnement inquiétant, laissant planer le doute sur son possible réveil. Au comissariat, Donna raconte au Shérif leur mésaventure et la découverte du second journal de Laura. Truman la met en garde : ces jeunes innocents, en cherchant la vérité sur Laura, se trompent de coupables et perdent le contrôle de la situation. La dernière fois, leur petit jeu a mené le Dr Jacoby à l’hôpital. Toujours, l’innocence de Donna et James est vouée à être entachée. Interrompant leur échange, Gordon Cole, le supérieur de Dale Cooper, apparaît. Interprété par David Lynch lui-même, ce personnage loufoque et attachant fait sa première apparition dans la série. Sourd, équipé d’un appareil qui ne semble pas fonctionné, il parle en hurlant. L’inspiration du personnage semble venir du Professeur Tournesol. L’impossible communication rappelle aussi Jacques Tati. Quand Gordon s’enferme avec Cooper pour « un peu d’intimité », tout le commissariat entend leur conversation. Gordon vient donc à Twin Peaks tenir au courant Cooper de certaines analyses, comme la drogue du Manchot (une drogue indéfinissable même par les experts du FBI). Mais surtout, il doit délivrer une lettre anonyme destinée à Cooper. C’est un mouvement d’échecs, envoyé sans aucun doute par Window Earle – l’ex-collègue de Cooper, évadé d’asile… Le mystère grandit autour de ce passé qui hante Cooper, qui a, lui aussi, des secrets bien enfouis. Au centre de l’épisode, la scène du lac, entre James et Maddy. Le thème de la série, rarement entendu en dehors du générique lui-même, résonne et nous emplit d’une émotion nostalgique. Sheryl Lee est parfaite en Madeleine, la douce cousine de Laura. Elle évoque le jeu bizarre qui s’est tenu entre elle et James : il a vu Laura en elle, et elle a aimé ça. James, toujours pur, ajoute : « mais c’était mal ». Maddy s’est plu à « être une autre un instant », mais elle est redevenue elle-même, et doit partir. Elle va quitter Twin Peaks, demain. Un adieu émouvant, tant ce personnage était attachant. Ce dialogue entre les deux ados offre une clé d’interprétation à beaucoup de scènes de cet épisode, et notamment à celles de Josie. Elle aussi révèle son vrai visage. Elle a jouée à être une autre, mais elle est rappelée par son « cousin » à revenir au pays, à Hong-Kong. Son cousin qui n’est plus son cousin, mais son assistant Monsieur Lee. Un autre adieu est fait dans cet épisode, entre Josie et Truman. Enfin, un dernier personnage se démasque dans cet épisode, et dans une scène mémorable : le Manchot. Philip Gerard, à qui Cooper empêche de prendre son médicament, révèle son vrai visage, celui de Mike, l’homme vu dans ses rêves par Cooper. Une scène dont la mise en scène est un exemple pour créer une tension (les visages, en gros plans, en contre-plongées, le rythme du montage, la musique…). Dans cette scène absolument terrifiante, chaque mot compte. Les dialogues sont des mots-clés (comme dans l’analyse qu’on pourrait faire d’un rêve), des mots-clés pour comprendre les épisodes précédents, mais aussi ceux à venir, et même le film Fire walk with me (et pourquoi pas la future saison 3 de 2017 ?). Qui est Mike ? Un « esprit qui possède ». Ancien acolyte de Bob, il s’en est détaché en même temps qu’il s’est coupé le bras. Il traque désormais Bob, pour l’arrêter. « C’est son vrai visage… Mais peu nombreux ceux qui peuvent le voir ». Qui peut voir Bob ? demande Cooper. « Ceux qui ont reçu un don… ou ceux qui sont damnés » répond Mike (Cooper ayant vu Bob, est-il élu ou damné ?). Bob est-il à Twin Peaks ? « Depuis près de quarante ans ». Où est Bob à présent ? « Dans un grand lieu fait de bois, entouré par la forêt… occupé par des âmes différentes, nuit après nuit ». Les enquêteurs en concluent : Bob est à l’Hôtel du Grand Nord ! Et l’épisode se conclue sur cette note effrayante, surlignée par une note tout aussi effrayante d’Angelo Badalamenti. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost Réalisation : David Lynch Résumé : Accompagnés du Manchot, Cooper et ses coéquipiers tentent d’identifier le tueur à l’hôtel du Grand Nord. Audrey interroge son père sur le One Eyed Jack. Hawk se rend chez Harold Smith, trop tard… Critique : Lonely Souls, le septième épisode de la saison 2, vient mettre le point final à un chapitre de la série. Il délivre en effet l’identité de l’assassin de Laura Palmer… David Lynch rêvait d’une série dans laquelle ce mystère n’aurait jamais été révélé ; Frost, lui, n’était pas du même avis. Ce fut le diffuseur, ABC, qui trancha. En quelque sorte, la saison 2 aurait pu s’arrêter après ce septième épisode. D’ailleurs, Lynch et Frost s’éloignèrent de leur série dès l’épisode suivant, la laissant aux mains des autres collaborateurs. On peut donc voir les épisodes 1 à 7 de la saison 2 comme un cycle, aussi long que la saison 1 (qui fait justement 7 épisodes). Une théorie très intéressante d’un internaute américain, Robert J. Peterson, permet de voir Twin Peaks comme une série de 4 saisons, la saison 2 redécoupée elle-même en trois chapitres de 7-8 épisodes chacun (voir ici : http://welcometotwinpeaks.com/theories/the-four-seasons-of-twin-peaks/) Pour apporter cette conclusion, le duo Lynch-Frost est aux commandes, et nous livre un moment mémorable de télévision – et de cinéma. La mise en scène de David Lynch est à son sommet, créant une atmosphère tant envoûtante qu’oppressante à chaque instant. Nous retrouvons les personnages au petit matin, ceux que nous avons laissés : Cooper, Truman, Hawk, Gordon Cole, et Mike le Manchot. Tous se tiennent en rang, un café et un donut à la main, dans le hall du commissariat, récapitulant les missions du jour (identifier Bob au Great Northern Hotel, et rendre visite à Harold Smith). Ironiquement Gordon Cole, joué par David Lynch, quitte Twin Peaks dès cette introduction, comme pour mieux passer derrière la caméra. La scène se conclue par le son du tchin-tchin des tasses de café comme transition sonore. La scène suivante montre Mike au Great Northern, entouré de touristes, et pris d’une crise de panique en voyant Ben Horne. Séquence totalement surréaliste, notamment par la présence de touristes jouant aux balles rebondissantes. La séquence suivante montre Hawk, découvrant le suicide d’Harold Smith… Une ambiance de tristesse, de terreur et d’étrangeté, est immédiatement installée. Cette ambiance se prolonge dans une séquence magnifique, où Maddy fait ses adieux aux Palmer, dans le salon de leur maison. La scène est intégralement filmée en un seul plan, un travelling qui va d’un tableau au canapé, en passant par tous les bibelots du salon au premier plan et notamment la photo de Laura Palmer en Reine de sa promo. Le tout tandis qu’un vinyle joue It’s a wonderful world de Louis Armstrong. Le lent travelling, interminable, et les bibelots au premier plan, viennent créer une tension lancinante à cette scène pourtant très douce. On ressent véritablement l’étouffement vécu par Maddy, qui cherche à se libérer de Twin Peaks et rentrer chez elle. Une mise en scène aux petits oignons donc, avec toujours ce sens magnifique des transitions. Là, c’est encore un camion transportant d’énormes arbres qui nous mène chez Leo Johnson. Ce dernier est toujours un légume, mais un légume qui parle par à-coups, et répète notamment en boucle : « Chaussures Neuves ». Bobby et Shelly espèrent que ces « chaussures neuves » pour trouver de l’argent caché par Leo avant son handicap. Cette relation entre Bobby et Shelly autour du mari de cette dernière est totalement malsaine, incroyablement malsaine pour les standards de l’époque à la télévision (même si ce mari est un criminel). L’épisode contient d’ailleurs une violence insurmontable, dans sa dernière scène, et la légende dit qu’ABC n’avait vu le montage définitif de l’épisode que trop tard pour le faire modifier avant sa diffusion – ce qui causa un grand trouble entre les créateurs Lynch/Frost et la production pour la suite de la série (ABC cherchant à stopper la série à petit feu, par des changements de programmation notamment). L’épisode met le thème de l’inceste au centre de son scénario (comme toute la série, d’ailleurs). Audrey confronte son père : « Tu te souviens de Prudence ? Je portais un masque blanc ». Ben Horne réalise qu’il a failli coucher avec sa propre fille… Audrey le questionne alors, sur le One Eyed Jack dont il est propriétaire, puis sur Laura. « As-tu couché avec elle ? », ce à quoi Ben répond que oui… Emu, il contemple la photo de Laura en noir et blanc. « Est-ce que tu l’as tué ? ». Ben, lentement, répond « Je l’aimais… ». Le thème musical de Laura ressurgit doucement, mêlé à des nappes sonores angoissantes, créant un sentiment de douleur et d’effroi… Ben Horne était-il à la fois l’amant et le tueur de Laura ? Tout semble l’indiquer dans cet épisode (tant l’enquête de Cooper que celle d’Audrey, mais aussi la crise du Manchot), ce qui mène à son arrestation. L’épisode contient autant de terreur que d’émotions lacrymales. Les sentiments sont toujours très marqués dans Twin Peaks, notamment à l’aide des thèmes d’Angelo Badalamenti, très reconnaissables pour converger vers telle ou telle émotion. Le café du Double R est un lieu permettant ces changements de musique, comme si elles sortaient du juke-box. Dans cet épisode, il y a notamment l’échange entre Norma et Shelly, qui doit quitter son poste de serveuse à regret pour s’occuper de Leo… Le thème musical est éthéré, nostalgique. Puis il bascule soudain vers un thème plus rock, quand Nadine surgit, et l’on passe des larmes au rire. Il faut louer le talent des comédiens, qui incarnent avec génie leurs personnages. Par exemple Peggy Lipton qui incarne Norma, et qui, dans cet échange burlesque avec Nadine, laisse pourtant transparaître une amertume toute intérieure face à celle qui lui volera toujours son amant sans s’en rendre compte. Puis, la nuit tombe. Et les événements se précipitent dans l’horreur et les larmes. Arrive une succession de séquences cultes, peut-être certaines des scènes les plus choquantes réalisées par David Lynch. Tout d’abord, Ben Horne est arrêté, en pleine réunion de business avec l’intriguant Tojamura. Pendant ce temps, chez les Parlmer, Sarah est au sol, suffoquant, tandis que le vinyle terminé tourne en boucle… Ben Horne est mis en cellule au commissariat, quand y apparaît la Femme à la Bûche. Cooper lui demande : « Il se passe quelque chose, n’est-ce pas Margaret ? ». Elle confirme… « Il y a des hiboux à la taverne ». Toujours dans la nuit noire, une silhouette menaçante apparaît chez Pete. Il s’agit de Tojamura, qui se jette sur lui. Tojamura lui révèle alors sa véritable identité… Un masque est retiré. Puis, deux apparitions mystiques ont lieue, avant qu’un dernier masque ne soit retiré. D’abord, Sarah Palmer voit un cheval blanc apparaître dans son salon. Signe de la Mort (sur son cheval blanc, comme dans l’apocalypse) ? Ou symbole de la présence d’une drogue ? Au Relais, on retrouve James et Donna, bouleversée par la mort d’Harold. Truman, Cooper et la Femme à la Bûche entrent et écoutent la chanteuse (Julee Cruise). Au registre des petits détails, géniaux, qui viennent apporter de l’humour au beau milieu de la tension, on notera la façon dont la Dame à la Bûche dévore les cacahuètes sous le regard gêné de Cooper. C’est alors qu’a lieu la seconde apparition, celle du Géant. Visible uniquement par Cooper, au milieu de la scène du concert, il lui délivre un message. « It is… happening… again » répète-t-il (« cela a lieu de nouveau »). Et en effet, du Géant nous retournons chez les Palmer, où Bob se révèle être Leland. Un autre masque s’efface, pour révéler son vrai visage, dans un jeu de miroir terrifiant où Leland s’observe et voit Bob. La scène qui suivra n’est que choc, violence, terreur. Maddy descend de sa chambre, et se fait violemment agresser par Bob. La scène alterne entre des ralentis troublants (dans la tête de Leland, peut-être, où il est Bob), et un retour à la réalité brutal. Maddy étendue au sol, Leland lui enfonce une lettre sous les ongles dans un plan insoutenable. Pendant un instant, l’angle de la caméra laisse même supposer un viol (pendant quelques secondes, mais le montage suggère une ellipse, dans ce moment de chaos). Nous retournons au Relais, où le Géant disparaît. Tout le monde dans la salle ressent quelque chose d’étrange. Bobby, au bar, a envie de pleurer. Donna, elle, fond en larmes. Le vieux serveur d’hôtel réapparaît et dit à Cooper : « Je suis tellement désolé ». Dans un ralenti final, les lumières sur scène changent et éclairent le visage de Julee Cruise, la chanteuse, de rouge. Cooper reste rêveur, et un fondu final nous montre les rideaux rouges. La fin géniale d’un épisode qui ne l’est pas moins, et d’un fil narratif passionnant. Pour autant, les épisodes suivants bénéficient de cette révélation. Comme chez Hitchcock (dans Vertigo, dans Psychose), la vérité est révélée en cours de route et créé alors un nouveau suspense tout aussi passionnant : le coupable sera-t-il arrêté ? Et si oui, comment ? Va-t-il tuer à nouveau ? Anecdotes :
Scénario : Scott Frost Réalisation : Caleb Deschanel Résumé : Ben Horne est toujours en prison, piètrement défendu par son frère avocat Jerry. Norma voit sa mère Vivianne et son nouveau mari débarquer au Double R. Lucy revient au commissariat, en compagnie de sa sœur Gwen. Critique : Cet épisode Drive with a dead girl ouvre une nouvelle partie dans Twin Peaks, celle de « l’après » révélation de l’assassin. Après l’épisode culte Lonely souls réalisé par David Lynch, c’est Caleb Deschanel, déjà réalisateur du très bon épisode Realization Time de la saison 1, qui prend la relève. Au scénario, le frère de Mark Frost, Scott Frost, qui écrira vers la fin de la série, en mai 1991, la fausse autobiographie de Dale Cooper, My Life my tapes. Forcément, cet épisode souffre de la comparaison avec l’épisode précédent. Il reste cependant un fort bon épisode, qui a pour principale force de nous montrer Leland Palmer sous son vrai visage, dans son quotidien, pour la première fois.
L’épisode reprend le fil de l’épisode précédent, le temps d’un plan nocturne, sur la maison des Palmer, d’où émanent des hurlements. Ainsi filmée, la maison douillette devient une maison de film d’horreur, ressemblant un peu à celle d’Amityville. Mais nous quittons l’horreur par un fondu enchaîné, nous menant au lendemain matin. Leland joue au mini-golf dans son salon, qui est couvert de balles. Donna et James passent voir Maddy, mais Leland leur raconte qu’elle est partie. Si Donna et James s’inquiètent un instant des balles qui recouvrent le salon, ils finissent par en rire, un rire affectueux envers la folie douce du gentil Leland… Comme les spectateurs jusqu’à l’épisode précédents, ils sont loin de se douter de l’horreur de la vérité sur Leland. Après leur départ, celui-ci se regarde dans le miroir et voit Bob ; il part ensuite au golf, avec le cadavre de Maddy dans son coffre… Il semble qu’à chaque meurtre commis, Bob a pris de plus en plus possession de Leland : après celui de Laura, il gardait encore l’apparence d’un père éploré ; après celui de Jacques, il devint radieux, ses cheveux devinrent blancs et il se mit à chanter du swing dans arrêt. Après celui de Maddy, Leland est pris de rires déments, il roule dangereusement en voiture, il propose à l’agent du FBI Dale Cooper de regarder ses clubs de golfs dans le même sac que le cadavre de Maddy… On assiste à la possession progressive de l’esprit de Leland par l’esprit maléfique de Bob, qui rend son hôte de plus en plus dément. L’épisode vient comme une pause diurne et paisible, après l’épisode nocturne et horrifique précédent. Les regrets, la nostalgie, et le surgissement de personnages du passé sont au centre du scénario de Drive with a dead girl. Ben, enfermé en prison, est défendu par son frère Jerry avocat. Si Jerry en avocat apporte une touche de comédie, Ben se montre sous un jour nouveau, celui d’un homme abattu. Les deux frères, déprimés, repensent au lit superposé de leur enfance, duquel ils voyaient une jolie jeune fille danser avec une lampe torche. S’ensuit une très belle image flash-back de cette danse, et des deux enfants contemplatifs. « Seigneur, que sommes-nous devenus ? » se demande Jerry. Plus tard dans l’épisode, une autre femme va ressurgir du passé : Catherine, dont la voix sur une cassette audio indique à Ben Horne qu’elle est toujours vivante. Revenue d’outre-tombe, elle le fait chanter, proposant de reprendre la scierie en échange du témoignage qui innocentera Ben dans l’affaire du meurtre de Laura. D’autres voix du passé ressurgissent sur une cassette dans le même épisode, puisque Bobby découvre le contenu de l’enregistrement caché par Leo : il s’agit d’une discussion secrète entre Ben et Leo lorsqu’ils préparaient l’incendie de la série. Le spectateur est renvoyé à son souvenir de la saison 1, puisque nous avions assisté à cet échange, sans savoir alors que Leo cachait un micro sous ses vêtements. Enfin, une autre femme surgit du passé de Norma, sa mère, qu’elle ne semble plus vouloir côtoyer. Sa mère, Vivianne, vient lui présenter son nouveau mari. Or, ce-dernier découvre que son gendre, Hank, n’est autre qu’un ancien camarade de prison. Ancien voleur et addict au jeu, le nouveau mari demande à Hank de garder le silence. Il affirme être devenu honnête, avoir suivit une thérapie, et chercher uniquement le bonheur auprès de sa nouvelle femme. Hank, lui aussi, cherche une nouvelle vie honnête. Pourtant, le spectateur sait, en les écoutant parler, que le passé les rattrapera d’une façon ou d’une autre. Audrey, elle aussi, préfèrerait revenir en arrière. Elle réapparaît dans la chambre de Cooper, où elle n’était pas venue depuis la saison 1. Mais la séduisante Audrey est devenue la triste Audrey, depuis sa mésaventure au One Eyed Jack et la découverte de la vérité sur son père. Mais le plus gros regret, dans cet épisode, pourrait presque paraître inaperçu : il s’agit de l’avortement de Lucy. Cette intrigue, qui aurait pu être choquante ou terriblement dramatique, les scénaristes n’en ont pas fait un élément trop lourd, fort heureusement, et sûrement grâce au comique naturel des personnages d’Andy et Lucy. Cette-dernière revient de la clinique après deux jours d’absence (les deux épisodes précédents montraient des remplaçants, à l’arrière-plan, dans son bureau). Elle apprend alors par Andy qu’il était peut-être finalement le père, n’étant plus stérile comme l’avaient indiqué les premières analyses. Mais cette annonce est perpétuellement interrompue par la sœur de Lucy, insupportable. Les drames de Lucy et Andy sont toujours, finalement, source de comédie. L’épisode fait aussi part belle à l’ésotérisme, avec l’enquête menée par Cooper uniquement sur les dires de Philip Gerard alias le Manchot. Cooper a cette belle phrase : « En d’autres époques, en d’autres lieux, il aurait pu être un voyant, un shaman. Dans notre monde, il est vendeur de chaussures et vit parmi les ombres. » Twin Peaks, en effet, repose sur nombres de réalités « oubliées » et ésotériques, issues de légendes anciennes et notamment Indiennes, donnant à la série une cohérence dans son fantastique. Des réalités qui paraissent saugrenues dans le monde d’aujourd’hui, mais auxquelles David Lynch, fidèle adepte de méditation transcendantale, donne beaucoup d’importance dans son œuvre. Mike le Manchot, dans cet épisode, est d’ailleurs au centre d’un des rares désaccords entre Cooper et Truman. Quand Mike innocente Ben Horne, ne reconnaissant pas Bob en lui, Cooper souhaite aussitôt libérer Ben, croyant sur parole Mike et ses visions mystiques. Truman, lui, considère que les preuves matérielles sont suffisantes pour accuser Ben du meurtre de Laura. L’épisode se conclue pourtant sur la découverte du cadavre de Maddy (ce qui innocentera potentiellement Ben dans l’épisode suivant). Une découverte tragique, troublante aussi, puisqu’elle fait écho par la ressemblance physique des deux cousines à celle de Laura au tout début de la série. Twin Peaks repose sur des cycles, des répétitions infernales (les musiques, qui reviennent régulièrement, les décors, les éléments naturels comme la chute d’eau qui ne cesse jamais…), et sur des doubles, des jumeaux (twins). Une dualité au cœur de la série, jusqu’à la découverte d’un monde parallèle, double du notre et dans lequel notre doppelgänger (double maléfique) nous attend… Scénario : Mark Frost, Harley Peyton & Robert Engels Réalisation : Tim Hunter Résumé : Donna mène Cooper à Mrs Tremond, qui s’avère être une autre femme que celle qu’elle avait rencontrée. Elle lui remet une missive de Harold Smith, qui contient un extrait du journal de Laura. Dans cet extrait, Laura décrit un rêve identique à celui de Cooper, où elle lui chuchotait le nom de son assassin à l’oreille… Critique : « Maintenant, nous savons. C'était presque mieux de ne pas savoir. Nous savons au moins ce que nous cherchions au début. Mais reste la question : pourquoi ? » Ce sont les mots introductifs de la Dame à la Bûche de cet épisode, Arbitrary Law. Autrement dit, les mots de David Lynch, car écrits et tournés par lui quelques années après la série, en «bonus» lors d'une rediffusion. En effet, David Lynch a plusieurs fois répété qu’il aurait préféré que le mystère reste entier des années durant. Et si, effectivement les épisodes suivants vont démontrer qu’il avait raison (mais peut-être la faiblesse de ces futurs épisodes viennent-ils justement de l’abandon de Lynch et de Frost aux manettes), cet épisode Arbitrary Law s'avère pourtant absolument mémorable dans la résolution de l'enquête et démontre que Twin Peaks reste intéressant même lorsque l’on connaît l’identité de l’assassin. De la découverte du cadavre de Maddy, dont nous revoyons une image, un fondu enchaîné nous mène aux enquêteurs, le lendemain matin, qui marchent dans les bois, filmés au ralenti. Rosenfield annonce que des résidus de poils blancs, d'un animal empaillé, ont été découverts sur la victime. Un indice qui renvoie directement deux épisodes en arrière, et plus précisément à un petit détail loufoque : Leland Palmer qui caresse un petit animal blanc empaillé dans le bureau de Ben Horne. Ce sens des détails donne à Twin Peaks ce sentiment de flux continu, de film cohérent découpé en épisodes d'une journée chacun. C'est justement dans cette scène d'introduction que Cooper demande à ses collègues : « Donnez-moi vingt-quatre heures ». On sait, dès lors, qu'il devrait découvrir l'assassin dans la journée, ce qui veut dire dans cet épisode. Et Arbitrary Law lui accorde bien vingt-quatre heures, puisque l'épisode ce conclue exceptionnellement un lendemain matin : après la mort de Leland, nous retrouvons nos enquêteurs dans la même forêt, échangeant leurs points de vue sur le mystère de la folie de Leland et sur Bob, l'esprit maléfique qui le possédait. Mais reprenons le fil de l'épisode. Après la scène introductive, dans laquelle Cooper s'engage à découvrir la vérité dans les vingt-quatre heures, nous retrouvons Donna et James à une table du Double R. Un thème planant, éthéré, et une lumière tamisée accentuent la tristesse qui plane sur eux, qui menace leur innocence. James vient, dans cette scène, offrir une bague à son amoureuse. Leur relation pure et naïve volera en morceaux à l'annonce de la mort de Maddy (dans cet épisode), puis après la découverte de la vérité sur Leland (épisodes suivants où le couple part à la dérive). Au Double R, la même atmosphère de tristesse menace tous les personnages présents : Norma et sa mère Vivianne ont un échange tendu, plein de ressentiments, et Andy répète tout seul la phrase écrite en français par Harold avant sa mort « j'ai une âme solitaire »... Donna, dans cet épisode, s'approche de la vérité parallèlement à Cooper - ce qui redonne de l'importance à ce personnage, meilleure amie de Laura. C'est elle qui mène Cooper à Mrs Tremond. La vieille dame s’avère être une autre femme, un double – encore un. Au lieu de la très vieille Mrs Tremond, on découvre une sexagénaire teinte, très maquillée, lunettes de soleil sur le nez. Un personnage qui peut évoquer, à l’avance, la Coco de Mulholland Dr. de David Lynch. Comme dans Mulholland Dr., d’ailleurs, on fait face à un personnage qui a le même nom, la même identité, le même domicile, qu’un autre, mais ce n’est pourtant pas le même… (Dans Mulholland Dr., les personnages s’intervertissent de manière confuse dans la dernière demi-heure du film). Tout cela semble indiquer que la vieille Mrs Tremond et son petit fils ont disparu. La nouvelle Mrs Tremond donne donc à Donna une lettre qui lui était destinée, laissée par le voisin Harold Smith avant son suicide. A l’intérieur de l’enveloppe, un extrait du journal de Laura, dans lequel la jeune femme raconte un rêve. Il s’agit du même rêve que celui de Cooper, vécu par Laura bien avant la venue de l’enquêteur du FBI à Twin Peaks... cette preuve de la réalité d’un univers parallèle plonge définitivement la série dans le fantastique et le mysticisme, après une saison 2 qui ne cessait de nous y emmener à coup d’apparitions de Bob, de Mike, de Mrs Tremond… Une dimension fantastique interrogée par les personnages eux-mêmes à la fin de l’épisode, quand Truman, Cooper, le Major Briggs et Albert Rosenfield s’interrogent sur Bob. La suite de la série nous mènera toujours plus vers la « Black Lodge », monde parallèle caché dans la forêt. Cette réalité parallèle, Cooper la ressent en interrogeant Mike le Manchot. Ce-dernier semble tout savoir du Géant, et de la bague qu’il lui a prise. En sortant dans le couloir de l’hôtel, Cooper croise alors le vieux serveur, toujours associé aux apparitions du Géant (toujours ces doubles qui hantent Twin Peaks). De son côté, Donna vit aussi d’étranges pressentiments, dans une scène terrifiante chez les Palmer. Venue apporter une cassette audio destinée à Maddy, Donna se retrouve piégée auprès de Leland. Avec les lunettes noires de Laura sur le nez, Donna lui rappelle sa fille... Bob apparaît alors dans le miroir, puis par un flash où il hurle dans un claquement de tonnerre... L'horreur du meurtre de Maddy va-t-elle se reproduire ? Leland invite Donna à danser, sur l'air de Louis Armstrong joué par le vinyle. La jeune fille commence à paniquer quand l'honorable père de famille lui serre les poignets brutalement. Finalement sauvée par le gong, c'est-à-dire par Truman qui apprend à Leland la découverte d'un nouveau cadavre, Donna devine alors instantanément, dans un frisson, qu'il s'agit de celui de Maddy. Dans Arbitrary Law, l’enquête de Cooper se clôt, mais ouvre donc aussi d’autres promesses, la dernière scène interrogeant le spectateur sur la réalité de Bob, s’il va réapparaître et commettre le mal à nouveau. Parallèlement, deux autres intrigues, secondaires, viennent-elles aussi à leur terme pour s'ouvrir sur de nouvelles attentes. D’une part, celle de la scierie, avec la révélation pour Ben Horne de la véritable identité de Tojamura. La scène a lieue dans sa cellule au commissariat. Plutôt qu'un long dialogue explicatif, Tojamura retire sa chaussure... et fait apparaître le joli pied féminin de Catherine. Un plan fétichiste, qui évoque ironiquement la relation perverse des deux anciens amants, mais aussi l'univers onirique de la série : un Chinois improbable aux pieds de femmes, il s’agit bien là d’une image de rêve ! L’autre intrigue qui trouve une forme de résolution, en même temps que de rebondissement, est celle de Lucy et son bébé. Elle annonce à Andy et Dick qu'elle va garder l'enfant, et attendre l'accouchement pour faire un test ADN. Il faudra donc attendre neuf mois pour connaître la vérité. Une nouvelle attente assez « soap » pour la suite de la série, qui se trouve ici à un carrefour. Le chemin emprunté sera bien celui-là, celui des petites histoires comiques ou dramatiques, celui du soap trop classique, tout juste teinté d’humour décalé mais qui ne fonctionne plus… avant que les créateurs ne constatent que ce chemin était une impasse, et que Lynch et Frost ne reviennent à la rescousse de Twin Peaks à la fin de la saison 2. Mais si Arbitrary Law montre l'impasse qui se profile pour la série, cet épisode reste justement le dernier grand moment avant cette impasse. Nous avons évoqué les grandes scènes que comportent la première partie de l'épisode : la découverte de l'extrait de journal de Laura, le meurtre manqué de Donna par Leland... L'épisode contient en son centre une autre scène géniale, celle de la confrontation des suspects et de la découverte de la vérité par Cooper. Celui-ci réunit Leland, Ben, Leo, Bobby, au Roadhouse. Alors que l'orage gronde, apparaît le vieux serveur de l'hôtel. Le Major Briggs, décidément connecté aux univers parallèles, l'escorte. Cooper explique que toutes les méthodes ayant été veines, il va devoir faire appel… à la magie. Le vieux serveur lui propose alors un chewing-gum, puis un à Leland, qui reconnaît ceux de son enfance. « Ils vont revenir à la mode » lui dit le serveur. Le temps s’arrête, par une série d’images fixes sur les personnages dans la pièce, tous figés dans la lumière éclatante de l’orage. Cooper voit alors apparaître le Géant, puis a une vision de son rêve initial, dans lequel il entend enfin ce que lui chuchote Laura dans la salle aux rideaux rouges : « c'est mon père qui m'a tué ». Retour à la réalité, la bague réapparaît. Cooper sait alors qu’il a la juste réponse. L’agent tend alors un piège à Leland, en incarcérant Ben Horne et en avisant Leland de le suivre en tant qu’avocat. A la dernière minute, Leland est jeté dans la cellule. Il explose, ou plutôt, Bob explose. Possédé, Leland répond à l’interrogatoire de Cooper, mais c’est Bob qui parle en lui. Tout cela pourrait être la démonstration d’une schizophrénie, pourtant, Bob/Leland s’adresse à Cooper en lui parlant brutalement de son passé à Pittsburgh. Sentant qu’il fait face à un être surnaturel, Cooper frémit – comme le spectateur. Plus tard dans l’épisode, alors que l’alarme incendie est déclenchée, Bob décide de tuer son hôte : Leland se tue à coups de tête contre la porte en métal. Le visage en sang, il meurt dans les bras de Dale Cooper. Le mal l’a quitté, et Leland réalise alors qu’il a tué sa propre fille. Il répète son nom, Laura, en larmes, sous les jets du robinet d’incendie. Il évoque Bob, dans des paroles confuses et fascinantes : « Je le voyais dans mes rêves. Je n’étais qu’un enfant, il est venu, il est entré en moi. Il me faisait faire des choses horribles. Ils voulaient Laura, elle ne les laissait pas entrer. Ils m’ont forcé à la tuer ». On voit soudain le portrait d’un homme abusé dans son enfance, devenu lui-même père incestueux et tueur. Mais pourtant, le mal semble être une entité réelle, doté d’un visage que plusieurs personnages a vu, et d’un nom, Bob. Alors, où se situe la vérité ? C’est toute l’ambivalence de Twin Peaks, et, aussi, le génie de cette série, que de ne jamais trancher entre rêve et réalité. « Il y a plus de choses dans le ciel et sur la terre, que n'en rêve votre philosophie », comme l’écrit Shakespeare dans Hamlet, et comme le cite le Major Briggs dans la dernière scène de cet épisode. Ces dernières scènes au commissariat font partie des plus mémorables de la série, et notamment grâce au jeu de Ray Wise en Leland Palmer. Scénario : Tricia Brock Réalisation : Tina Rathborne Résumé : Tout le village de Twin Peaks est réuni après les funérailles de Leland. Cooper s’apprête à quitter la ville, à regret. Mais des événements inattendus vont l’en empêcher. Critique : Vient l’après résolution pour Twin Peaks. L’épisode s’ouvre sur un plan de la forêt, puis, dans le salon des Palmer, un texte indique : 3 jours plus tard. C’est la première fois (et la seule ?), dans la série, qu’une ellipse saute plus de vingt-quatre heures. Il s’agit là d’une véritable rupture, marquant le passage à un nouveau chapitre. Si cet épisode est en-dessous des précédents et montre la pente descendante qu’emprunte la série, il contient encore de nombreuses pistes intéressantes. L’épisode s’ouvre sur une très belle scène chez Sarah Palmer. Cooper la console : « Leland n’a pas fait ces choses horribles, pas le Leland que vous connaissez. » « Non, répond-elle, c’est cet homme aux cheveux sales ». « Il est parti maintenant ». « Comme tous ceux que j’aimaient ». Bob, qu’il soit réel ou bien l’incarnation de la folie de Leland, a en effet tout détruit sur son passage. Il a pris Laura, il a pris Maddy et même Leland lui-même. Cet échange est filmé par un très beau travelling, lent, qui nous mène jusqu’au visage ému de Sarah en gros plan (magnifique Grace Zabriskie, grande actrice de l’univers de Lynch). La scène suivante nous mène au repas qui a lieu après l’enterrement de Leland (qui est ellipsé). Un moyen astucieux de retrouver tous les personnages de la série ou presque dans une même pièce – exactement comme le premier enterrement de la série, celui de Laura Palmer, dans l’épisode Rest in Pain, le seul autre épisode réalisé par Tina Rathborne décidemment associée aux funérailles ! Cette scène agit comme un réconfort pour les personnages mais aussi pour les spectateurs, eux aussi endeuillés de la « première » série qui a trouvée sa conclusion dans l’épisode précédent. On a plaisir à voir des personnages se croiser pour la première fois, comme le Major Briggs et le Dr Jacoby. Le sentiment de perdition est partagé par les personnages, comme Donna, qui a le sentiment que « toute la ville tombe en lambeaux », et James s’en accuse. Comme les scénaristes eux-mêmes, les personnages se posent la question et maintenant ? Le Major Briggs demande d’ailleurs à Cooper ce qu’il a prévu. Cooper pense profiter des vacances qu’il doit prendre pour revenir bientôt à Twin Peaks - il cherche une excuse pour rester, exactement comme les scénaristes et les spectateurs. Le récit est terminé, et pourtant nous voulons rester. Cooper le dit à Truman : « Harry, cette ville va me manquer ». Si bien que l’on continue de voir la vie à Twin Peaks, par attachement, et non plus par nécessité (résoudre un meurtre). C’est bien le défaut des épisodes qui s’annoncent, où toutes les intrigues paraitront factices, gratuites, et simplement inventées pour maintenir la série en route ! Seule une intrigue mène réellement la barque de Twin Peaks, la quête de Bob et de la mystérieuse « Lodge », cet au-delà perçu en rêves par Cooper. Il n’y a que cette intrigue, fantastique, déployée par Lynch et Frost dès le début de la saison, qui peut maintenir Cooper à Twin Peaks (et donc les spectateurs, car Cooper est lui-aussi un spectateur à Twin Peaks). Dans Arbitrary Law, cette intrigue progresse. Le dialogue final entre Cooper et Briggs, dans la forêt, contient des indices forts précieux. Cooper déclare qu’il « pense souvent à Bob, s’il existe ». Briggs y pense aussi, et répond « qu’il existe des puissances maléfiques dans ce monde ; certains hommes sont appelés à affronter les ténèbres. Si l’on choisit la peur, on peut tomber dans les ténèbres. Vous, vous avez un don. » Puis, Briggs demande à Cooper s’il a déjà entendu parler de la White Lodge. Cooper répond négativement, et, avant d’en savoir plus, s’accorde une pause… urinaire. Mais une présence menaçante s’approche dans les bois. Les hiboux ululent. Et le Major Briggs disparaît dans une grande lumière blanche. Cette quête de Cooper vers la White Lodge (mais aussi, la Black Lodge…) est donc lancée dès cet épisode. La disparition de Briggs est un rebondissement prometteur pour la suite. De même, les adieux d’Audrey à Cooper sont pleins de promesses pour la suite. Audrey tente une dernière fois de l’approcher, mais le pur Dale refuse. Elle le questionne, sur la femme qui l’a fait souffrir. Mais Cooper avoue que c’est lui, qui a fait souffrir une femme. Il évoque alors Caroline, cette femme qu’il devait protéger dans le cadre de son travail. Mais il est tombé amoureux, et il a baissé sa garde. Elle est morte, dans ses bras, et son collègue, Windom Earle, est devenu fou. Là encore, les germes de l’intrigue qui mènera Twin Peaks a sa conclusion sont plantés. Audrey conclue son dialogue en lui donnant rendez-vous, quand elle ne sera plus une petite lycéenne (un rendez-vous manqué à l’époque, peut-être résolu dans la saison 3 de 2017 ?). Mais surtout, elle quitte sa chambre en s’exclamant : « vous n’avez qu’un seul défaut… vous êtes parfait. » Seul, Cooper fronce les sourcils. C’est cette perfection, cette pureté, qui sera mise à l’épreuve dans son voyage dans la lodge. Finalement, cet épisode semble montrer que quelque chose retient toujours Cooper à Twin Peaks, car une plus grande épreuve l’attend. C’est peut-être la ville elle-même, ou ses esprits dans la forêt, qui le retiennent. Une scène évoque aussi ces esprits de la forêt, celle dans laquelle Catherine raconte à Truman ses semaines d’errance après l’incendie de la scierie. Elle dit avoir été sauvée par un ange gardien, une présence qui l’aurait sauvée en la menant à travers la forêt jusqu’à son refuge de vacances à Pearl Lake. Catherine dit avoir eu peur pour la première fois de sa vie – elle croyait être au Paradis, et était inondée de souvenirs. Truman réplique qu’il est près à la croire, et que d’ailleurs il « ne sait plus à quoi il croit, ces temps-ci ». Si tous ces indices montrent la bonne tenue scénaristique de ce nouveau chapitre de Twin Peaks, il est regrettable que les créateurs n’en aient pas fait la quête principale, menant plus rapidement à la conclusion. En l’absence de Frost et Lynch, qui ont quitté le navire, ce sont toutes les intrigues secondaires qui prennent le pas. Des intrigues burlesques deviennent omniprésentes, comme celles de Nadine qui retourne au Lycée sous l’ordre du Dr Jacob, ou celle du bébé de Lucy et de la jalousie des deux pères potentiels Andy et Dick. Là où, auparavant, une telle intrigue aurait été le contrepoint comique aux intrigues principales, elle prend désormais trop de place au sein du récit. Quant aux intrigues plus dramatiques, elles font pâle figure face à celle du meurtre de Laura Palmer. Elles sont du même acabit que les anciennes intrigues secondaires (l’incendie de la scierie, etc.), mais là encore, elles pâtissent de leur mise au premier plan du scénario. Ainsi, l’intrigue de vengeance de Jean Renault qui souhaite « crucifier » Cooper paraît forcée. Pour autant, ces éléments négatifs sont encore minoritaires dans cet épisode, qui contient beaucoup de bonnes idées, tant de scénario que de mise en scène. Il y a la scène finale entre Briggs et Cooper, le récit de Catherine assez envoûtant, ou encore une scène nocturne où Truman est réveillé en pleine nuit par une silhouette menaçante, qui s’avère être Josie, de retour, dévastée. Des petits détails font aussi le charme de cet épisode, comme une transition brutale entre une scène émouvante, entre Norma et sa mère Vivianne qui se brouillent définitivement (Norma déclare à sa mère qu’elle ne veut plus la revoir), et leurs deux maris respectifs, ivres au One Eyed Jack, en train de préparer un mauvais coup avec Jean Renault. Si Norma et sa mère se déchirent et pensent se haïr, elles ont pourtant épousé les mêmes hommes… Enfin, l’angoisse continue de planer sur Shelly, qui reste seule tous les jours à s’occuper de Leo. Au téléphone avec Bobby, elle dit « je veux une vie ». A cet instant précis, au premier plan, nous voyons Leo avancer très lentement sur sa chaise roulante. La « vie » dont rêve Shelly, risque de lui être reprise, quand Leo sortira de sa torpeur… En somme, un épisode encore riche, plein de belles idées, mais qui souffre d’être situé dans le déclin de la série. A revoir la série aujourd’hui, il est évident qu’un nouvel événement majeur aurait dû se produire dans cet épisode pour relancer la série jusqu’au final – probablement, un événement lié à Bob et Cooper. Cet événement majeur, finalement, viendra progressivement. Et, en attendant le grand final, de nombreux épisodes sembleront donc gratuits et, il faut bien le dire, assez ratés. Anecdotes :
Scénario : Barry Pullman Réalisation : Duwayne Dunham Résumé : Dans le cadre de l’investigation sur Cooper, son ancien collègue Dennis Bryson arrive à Twin Peaks – mais il s’appelle désormais Denise. Dick devient le frère adoptif d’un enfant turbulent, Nicky. Nadine tombe amoureux de Mike. Critique : Comment deux habitués de Twin Peaks ont-ils pu laisser passer tant d’erreurs dans cet épisode ? Au scénario, Barry Pullman, déjà auteur du très bon épisode The Orchid’s Curse, futur scénariste du très bon avant-dernier épisode Miss Twin Peaks, et Duwayne Dunham à la réalisation, qui signe son retour depuis l’épisode 2 de la saison 1 Traces to nowhere. Pourtant, cet épisode Masked Ball marque le début d’une période creuse pour la série. C’est dans cet épisode que les plus mauvaises intrigues naissent. Il y a, bien sûr, celle de James et la blonde fatale Evelyn. Il y a aussi la jalousie du Maire et de son frère, qui se marie avec une rouquine pulpeuse Lana. Enfin, Dick qui adopte un orphelin impossible, Nicky. Trois intrigues qui vont littéralement plomber la série pendant cinq ou six épisodes. Pourtant, il serait faux de croire que la série était vouée à l’échec depuis la résolution du meurtre de Laura Palmer. Si Lynch le croyait, et voulait simplement revenir à ce personnage central (par le préquel Fire walk with me), Mark Frost voulait emmener le personnage de Dale Cooper vers des horizons fantastiques. Or, cette intrigue naissante est la plus palpitante de ces épisodes bien pauvres de la seconde saison. Elle apparaît, trop peu, dans Masked Ball. Betty Briggs, l’épouse du Major Briggs, rend visite au Shérif et à Cooper en début d’épisode. Ses disparitions sont habituelles, dans le cadre de son travail top-secret. Pourtant, quand elle apprend par Cooper que sa disparition a été subite, Betty prend peur. Elle admet que son mari parle tout le temps de la Forêt de Twin Peaks… Plus tard dans l’épisode, Cooper demande à ses collègues s’ils connaissent la White Lodge dont lui a brièvement parlé Briggs avant de disparaître. Hawk explique qu’il s’agit, selon ses ancêtres, d’un lieu où vivent les esprits qui régissent les hommes et la nature. Il existe un reflet sombre de ce lieu, la Black Lodge. Selon la légende, en mourant, « tout esprit traverse la Black Lodge ; là, vous rencontrerez votre propre double sombre ; mais si vous affrontez la Black Lodge avec un courage imparfait, elle annihilera votre âme ». Après la White Lodge dans l’épisode précédent, c’est désormais son double maléfique, la Black Lodge, qui est mentionnée pour la première fois dans la série. Lentement, une mythologie s’installe, dans notre esprit et dans celui de Cooper. Quand l’employé du FBI questionne Cooper, celui-ci semble peu touché par les accusations qui pèsent sur lui. Il a l’esprit ailleurs. « Je pense à un jeu plus grand depuis peu ; le son du vent à travers les pins ; ce qui nous effraie dans l’obscurité et ce qui se cache derrière cette obscurité ». Cooper évoque déjà sa quête de « l’autre monde ». Il paraît dément, l’espace d’un instant dans cette scène, car il est, déjà, manipulé par Windom Earle, qui souhaite accéder à cet autre monde par le biais de Cooper. Windom Earle qui fait une première apparition vocale, par le biais d’une cassette envoyée à Cooper, dans cet épisode. Tous ces éléments sont posés, prêts à être développés. Malheureusement, ils ne sont visibles que par le connaisseur qui revoit la série une seconde fois. Pour celui qui découvre la série, ces pistes sont malheureusement noyées sous la majorité de scènes légères et burlesques. Gordon Cole fait d’ailleurs une apparition vocale pour dire à Cooper : « c’est la galère ! Mais on va y arriver ! ». Un clin d’œil amusant à David Lynch, interprète de Cole, déjà loin de la série, mais qui passe un coup de téléphone pour remonter le moral à ses équipes (on a d’ailleurs l’impression qu’il ne s’agit pas de Lynch mais d’un acteur imitant sa voix, ici un peu plus rauque, au bout du fil ?!). Venons-en aux mauvaises intrigues. La première rencontre de James et Evelyn n’est pas si mauvaise. James enfourche sa moto et roule au hasard, comme il dit le faire souvent. Ces images de James à moto sont d’ailleurs des rushs du pilote de la série, non utilisés ! James aboutit à un relais, en dehors de Twin Peaks. Sa rencontre avec Evelyn est vénéneuse. Le jeune homme bouillonne d’une rage à l’écran, parfaitement ressentie par le spectateur. Evelyn lui propose de réparer la voiture de son mari, ce qui sonne comme une invitation sexuelle. James accepte, mais se détourne timidement pour allumer le juke-box comme pour calmer ses ardeurs. La musique qui résonne est celle lancée par Bobby dans le pilote de la série. En somme, une scène assez réussie. Mais la seconde scène avec Evelyn est tout de suite plus ridicule. La parodie, le second degré, et l’hommage, sont souvent subtilement distillés dans Twin Peaks. Là, nous avons l’impression d’un hommage raté aux femmes fatales des films noirs, malencontreusement transformé en parodie de film X… Les tourments de James sont intéressants, mais malheureusement jamais assez creusés. Ce personnage prometteur a été victime de malchance : par exemple, une scène qui aurait pu être passionnante, avec James et sa mère (alcoolique, prostituée, dit-il), a été coupée du montage d’un des épisodes du début de la saison. Quant à Evelyn, elle semble tout droit sortie d’un mauvais soap et n’a pas sa place à Twin Peaks. Fort heureusement, elle n’y vit pas, et cette intrigue a lieu en dehors de la ville. On peut supposer ce que les scénaristes cherchaient à faire : une relation tortueuse, malsaine, entre le jeune homme et un avatar de sa mère qui semble l’obséder, le tourmenter. Malheureusement, ce n’est que supposition, puisque rien de cela ne passe vraiment à l’écran. Autre nouveau personnage, le petit Nicky, adopté par Dick Treymane. Si Dick n’était pas une valeur ajoutée depuis son apparition au début de la saison, il y avait une touche de décalage suffisante dans son personnage pour se marier correctement au surréalisme de la série. Malheureusement, les saynètes avec le petit Nicky, et ses deux papas Dick et Andy, sont premier degré – un humour enfantin, certes. On voit que le thème de l’homosexualité et même de l’homoparentalité sont sous-jacents, avec ces deux papas qui emmènent leur enfant manger une glace. Surtout, c’est dans le même épisode qu’un personnage travesti apparaît. Mais encore une fois, ces touches comiques étaient nécessaires à l’alliage de Twin Peaks auparavant, mais jamais en première ligne. Peut-être que cette intrigue aurait pu être supportable dans un scénario mieux ficelé… Mais il ne reste de cette idée que des scènes très lourdes, et nullement drôles – le comble. De même pour la troisième apparition ratée de cet épisode, Lana, la nouvelle femme du frère du Maire. Le Maire, personnage aperçu dans le pilote, et son frère, apparu dans l’épisode précédent, prennent une importance démesurée. Nous assistons au mariage, qui semble être l’événement central de l’épisode (alors que nous ne connaissons rien de ces personnages !). Leurs disputes, sensées nous faire rire, nous laissent de marbre. Heureusement, un quatrième personnage apparaît dans cet épisode : Denise Bryson, l’ex-collègue de Cooper, travesti. Son interprète David Duchovny, n’est pas encore le célèbre agent Mulder d’X-Files. Là, les blagues potaches attendues laissent place à un personnage attachant et intriguant, qui sauvent l’épisode du naufrage. De plus, la réaction des personnages, qui acceptent tous son apparence, est très appréciable (bien que Hawk soit trop surpris pour lui serrer la main de prime abord, il ajoute ensuite que les cheveux châtains lui vont bien). Enfin, le personnage échappe à toute catégorisation, ce qui en fait un membre bienvenu à Twin Peaks. Il n’est pas, en effet, homosexuel ; il aime juste les vêtements féminins depuis qu’il a dû en revêtir pour une mission du FBI ! Appréciant la qualité des vêtements féminins, Denis a préféré écouter ses sentiments et devenir Denise… L’apparition de personnages du FBI donne aussi à Cooper son importance, qui n’est plus un spectateur sans vie privée (façon Tintin), mais devient un personnage à part-entière. Par contraste avec ces apparitions, Cooper apparaît comme un villageois de Twin Peaks, pleinement habitué des lieux et soudé avec ses habitants. Du côté des quatre nouveaux personnages, trois sur quatre font flop. Du côté des personnages habituels, leur traitement est aussi souvent décevant, notamment celui de Nadine Hurley. Précédemment, la folie de Nadine nous faisait passer du rire (les tringles à rideaux silencieuses) aux larmes (la tentative de suicide, les tirades désespérées à son grand amour Ed). Là, Nadine devient bouffonne, et surtout, le gag est trop répétitif. Quant à Josie Packard, personnage troublant depuis le début de la série (dès le pilote, la première personne montrée est Josie devant son miroir), elle lève le voile sur son passé dans cet épisode. La scène, où elle avoue dans le lit avec Truman avoir été l’amante et esclave d’un homme à Hong-Kong, Thomas Eckhardt, est bien jouée, bien mise en scène. Mais les dialogues sont terriblement explicatifs. La dernière scène de l’épisode montre Josie se livrant à Catherine, acceptant de devenir à son tour son esclave. Andrew Packard, le mari supposé mort de Josie, et frère de Catherine, réapparaît alors. Un dernier dialogue, digne du pire soap possible, nous annonce que Josie sera utilisée comme appât pour faire revenir Thomas Eckhardt et le tuer… Fondu au noir. Première fois dans la série qu’un épisode se conclue sur un dialogue aussi manichéen. Le mauvais soap, parodié avec subtilité jusqu’à présent, à pris le dessus dans Twin Peaks. Ben Horne, lui, subit un meilleur traitement. Aperçu dans l’épisode précédent, quand il mettait dehors Bobby Briggs, il montrait les premiers signes d’un laisser-aller. Nous le retrouvons assis en tailleur sur son bureau, en robe de chambre et cravate, pas rasé. Choqué par la suite d’échecs et d’humiliations qu’il a vécus, il regarde des vidéos super 8 de son enfance. Une scène émouvante, réussie – qui mène Ben vers une nouvelle intrigue, celle de sa future folie (à nouveau, tournée au burlesque un peu lourdingue dans les futurs épisodes). Pour conclure, disons que le scénario « général » de Twin Peaks est nettement à la baisse à partir de cet épisode. Pourtant, quelques éléments restent intéressants, notamment autour de Cooper qui devient l’intérêt principal de la série, par les questions que sa situation soulève : va-t-il quitter la ville ou va-t-il quitter ses fonctions ? va-t-il affronter Windom, ou bien Bob ? que cache son passé avec Windom et Caroline ? On ne peut pas parler de désastre, de navet, puisque la mise en scène reste aussi très bonne, tout comme la qualité de la photographie, des décors, dans la continuité du reste de la série. On attend simplement le retour de Frost et Lynch aux commandes pour retrouver la série véritablement exceptionnelle à laquelle nous étions habitués. Scénario : Harley Peyton & Robert Engels Réalisation : Caleb Deschanel Résumé : Cooper cherche à acheter une maison à Twin Peaks. Dans une maison abandonnée qui l’intrigue, il découvre de la cocaïne. Dougie, le frère du Maire, meurt d’une crise cardiaque au lit avec Lana. Bobby espionne Hank Jennings pour le compte de Ben Horne. Critique : L’équipe de cet épisode, Harley Peyton et Robert Engels au scénario, Caleb Deschanel à la réalisation, est composée d’habitués de la série dans ses grandes heures. Pourtant, ils ne sortent pas de l’impasse dans laquelle se situe Twin Peaks. Encore une fois, et comme le précédent, cet épisode souffre de se consacrer beaucoup trop longtemps aux nouveaux personnages sans intérêt – on a parfois le sentiment que les diffuseurs ont imposé ces personnages pour renouveler la série, dans une course idiote à l’audimat qui correspondrait forcément à du sang neuf… A côté de cela, des personnages sont totalement ignorés, comme Shelly qui n’apparaît pas dans cet épisode, ou bien certains perdus de vue depuis plus longtemps comme Ronette, Mike le Manchot, Sarah Palmer ou Jacoby. L’épisode s’ouvre sur Bobby rendant visite à Ben Horne. Ce dernier est plus fou à chaque épisode. Dans son bureau, ils jouent aux petits soldats. Cette folie renvoie au jeu des temporalité dans Twin Peaks, que ce soit la ville en général qui flotte entre les années 50 et 80, ou bien le retour de Garland Briggs en aviateur des années 40, l’illusion de Jacoby de voir revivre Laura Palmer sous les traits de Maddy dans la saison 1, ou le rêve de Dale Cooper et de Laura qui les mènent 25 ans plus tard… Là, Ben Horne est persuadé de vivre au temps de la guerre de sécession. Audrey Horne, qui a droit à quelques belles scènes dans cet épisode, espionne son père depuis sa cachette secrète (comme au bon vieux temps de la saison 1). Face à son père dément, une tristesse se lit dans ses yeux. Audrey volera ensuite les photos prises par Bobby pour les remettre à Cooper, ce qui lui sauvera la mise. Denise Bryson apparaît alors à la porte de la chambre de Cooper, devant le regard interrogatif d’Audrey. L’ambiguïté comique de cette scène fonctionne : on sent qu’Audrey se demande quelle relation unie Denise et Cooper (« il faut nous laisser maintenant Audrey ! »), en même temps que mille autres questions qui lui passent par la tête. D’autres petites scènes rehaussent notre intérêt, comme par exemple un nouvel échange de mots tendres entre Ed et Norma. Les amants maudits de Twin Peaks ont toujours autant de regrets sur leurs vies. Autour d’une tarte aux cerises au Double R, ils se tiennent doucement la main un instant. Mais, surprise, Hank les voit. Voilà au moins une intrigue qui fonctionne : depuis le début de Twin Peaks, nous connaissons ces personnages, et depuis autant de temps la menace d’Hank, le mari jaloux, pèse sur eux. Nous sommes réellement pris de panique lorsque nous constatons qu’Hank a tout vu, car Ed et Norma sont extrêmement attachants. Parallèlement, toutes les nouvelles intrigues périphériques laissent de marbre. Le décès de Doug, le frère du Maire, donne certes une belle scène d’émotion de la part de ce dernier (image assez bouleversante d’un vieillard devant le corps mort de son frère), mais aussi à de nouvelles scènes ratées. Tous les hommes de Twin Peaks, à commencer par Hawk, tombent amoureux de Lana comme pris par un sortilège… Un humour potache dont on se serait bien passé. Même thématique de la sorcellerie avec Nicky, l’enfant adopté par Dick. Là encore, on pourrait sauver une scène, celle où Dick change une roue : on passe d’un sentiment à un autre, de la comédie (Dick lisant le manuel) au suspense (l’enfant s’isole, la voiture tombe sur Dick), puis à l’émotion (l’enfant effrayé à l’idée que Dick meurt, et Dick le prenant dans ses bras, pour la première fois sympathique d’ailleurs). Mais tous ces personnages sont superficiels. Nous ne connaissons pas réellement Nicky, ni Lana. Si bien que l’on n’adhère pas à leurs histoires, qui pourtant prennent la moitié de l’épisode. Quant à Nadine et sa force surhumaine de lutteuse, cette intrigue-là tourne aussi au ridicule. Josie en servante est aussi assez ridicule, et Catherine devient son propre cliché, pleine d’une soif de vengeance trop clichée pour être crédible… Sans mentionner James, et l’intrigue de série Z d’Evelyn Marsh. Là encore, la scène dans laquelle James embrasse Evelyn avait du potentiel. Elle nous perturbe, mais uniquement pour James que nous connaissons bien. Nous ressentons qu’il part à la dérive, qu’il veut se brûler les ailes. Mais, en face, le personnage d’Evelyn est tellement plat, cliché, que notre intérêt ne va pas plus loin. Comme l’épisode précédent, au-delà des intrigues périphériques, qu’elles soient correctes ou médiocres, c’est toujours Dale Cooper qui emporte notre adhésion et nous pousse à poursuivre la série. Dans cet épisode, ayant rendu son insigne, il se balade en tenue de pêcheur et cherche à acheter une maison à Twin Peaks, ce qui renvoie à l’épisode 4 de la saison 1 où il parlait déjà de ce désir immobilier à Diane. D’ailleurs, le nouveau personnage de Denise Bryson est immédiatement plus intéressant que les autres car il est lié à Dale Cooper. Une scène fonctionne très bien, celle où un gros plan nous montre des pieds de femme, en travelling arrière, qui avancent dans le Double R… avant de révéler Denise. Bryson interroge alors le mari de Viviane, Ernie, avec Cooper. Quand Ernie, terrifié à l’idée de retourner en prison, s’excuse et se justifie au lieu de faire ses aveux, Denise balance un « la ferme ! » très viril et assez hilarant. Ces dernières scènes ont lieu sous un orage violent, en pleine nuit, nous menant chez les Briggs où Bobby rentre se coucher, quand il tombe nez-à-nez avec sa mère tapie dans l’ombre. Betty Briggs est en larmes : elle n’est pas certaine que son mari réapparaisse, cette fois. Bobby cherche à la rassurer, et lui raconte le dialogue échangé avec son père, qui lui avait raconté son rêve merveilleux dans lequel Bobby avait un grand avenir. Une manière de recouper avec les épisodes du début de la saison et de redonner un peu d’unité à la série. Et, surtout, cette scène donne un peu de matière au personnage de Betty Briggs, toujours cantonnée à rester au second-plan jusqu’alors. Soudain, c’est le noir complet. Garland Briggs réapparaît dans l’ombre. Il est en tenue d’aviateur, et a l’air sonné. Son épouse lui demande si tout va bien ; et Briggs de répondre : « Non, chérie… Pas vraiment… ». Un peu plus tôt dans l’épisode, un collègue de Briggs est venu rendre visite à Cooper et Truman. Sans vouloir révéler la mission top-secrète de Briggs, il a donné quelques informations, et notamment que le message interstellaire du début de la saison « Les hiboux ne sont pas ce que l’on pense », ne provenait pas directement de l’espace, mais de la forêt de Twin Peaks… Qu’est-ce qui se cache dans ces bois ? L’épisode se conclue sur ces interrogations, sur un plan du ciel nocturne zébré d’éclairs. Malgré toutes les faiblesses de ce chapitre de Twin Peaks, c’est épisode parvient encore à tenir la route, et apporte des éléments au mystère de la Black Lodge. Scénario : Harley Peyton Réalisation : Todd Holland Résumé : Truman, Cooper et Hawk préparent un coup-monté pour arrêter Jean Renault. Ben Horne sombre et se prend pour un Général de la Guerre de sécession. Ed et Norma retombent dans leur passion, mais Hank les surveille… Critique : Après deux épisodes nettement en-dessous du niveau habituel de la série, Checkmate redresse la barre. Au scénario, on retrouve Harley Peyton, producteur de la série devenu en quelque sorte showrunner de cette partie de la saison en l’absence de Frost et Lynch. A la réalisation, Todd Holland, qui signe son deuxième et dernier épisode après le très bon Laura secret’s diary. Pour commencer, l’épisode rééquilibre l’importance donnée aux différentes intrigues. Les nouveaux personnages sont moins visibles et, même, invisible dans le cas de Lana – et c’est tant mieux ! La première scène montre des visions oniriques et surnaturelles du Major Briggs, avant de revenir à la réalité. Nous reprenons les événements où nous les avions laissé, c’est-à-dire à la réapparition de Briggs. Le Major est revenu avec une marque sur le cou, trois triangles rouges. Il est toujours traumatisé, parfois incohérent. S’il ne livre pas le secret de sa profession à Cooper et Truman, il évoque tout de même le projet Blue Book, commission d’enquête sur les ovnis, menée par l’Air Force américaine (projet qui a réellement existé). Selon Briggs, certains continuent les recherchent. Et dans le cas de Twin Peaks, c’est sous la terre qu’il faut chercher, dans la forêt… Mais Briggs est interrompu par un de ses supérieurs, et le secret-défense est préservé. Dans Checkmate, nous retrouvons aussi ce qui fait la force principale de Twin Peaks, l’alternance d’émotions. Après deux épisodes qui tentaient d’être tout le temps décalés et burlesques, cet épisode redonne la part belle au suspense, à l’effroi. Au commissariat, on prépare notamment un piège pour arrêter Jean Renault. Mais l’opération tourne mal, et pour sauver son collègue Bryson, Cooper se jette dans la gueule du loup. Il se retrouve pris en otage par Renault. Dans un très beau plan sur le visage de Cooper, qui écoute gravement, Jean Renault l’accuse d’avoir « apporté le cauchemar » avec lui à Twin Peaks… « et le cauchemar mourra avec vous ». L’angoisse est aussitôt contrebalancée par l’humour, puisque la prise d’otage tourne court grâce à l’arrivée de Denise, Denis déguisé en serveuse, cachant sous ses collants un revolver. La belle Denise roue alors de coup le complice de Jean Renault, qui ne s’attendait pas à ça, tandis que ce dernier est abattu par Cooper. D’autres éléments comiques retrouvent enfin leur intérêt, c’est-à-dire dans le contrepoint d’éléments dramatiques. Et c’est notamment le cas de Nadine. Dans une première scène, elle embrasse Mike sur la bouche au Double R. A cet instant comique succède immédiatement un moment d’angoisse : Norma sort des cuisines, et, se rendant chez Ed en secret, est stoppée par Hank qui la dévisage entre deux machines à café. La mise en scène des deux visages, enserrés par les machines, créé un sentiment de menace. Plus tard, Ed et Norma se quittent après avoir fait l’amour. Ed est seul, et Hank surgit. L’heure est grave, puisque la menace d’Hank pèse sur Ed depuis le début de la série (ou presque). Hank va-t-il le tuer ? Il commence par le tabasser, Ed est à terre impuissant, quand surgit Nadine, qui rentre du lycée. De l’angoisse, on passe immédiatement aux rires, car le délire de force surhumaine de Nadine trouve son point de chute inattendu ici : le très costaud Hank, voyou fini, se voit écrasé par Nadine en deux temps, trois mouvements. Une manière légère et imprévisible de dénouer (en partie) l’intrigue du trio amoureux Hank/Norma/Ed. On peut donc simplement regretter la poursuite de l’intrigue du petit Nicky, et surtout d’une scène inutile et ratée où Andy et Dick fouillent les papiers de l’orphelinat. Ian Buchanan dans son rôle surjoué n’est jamais drôle malheureusement. Surtout, l’humour ne fonctionne pas car leur intrigue est sans grand intérêt (on se désintéresse de savoir la vérité sur le petit garçon qu’on ne connaît à peine). L’intrigue de la folie de Ben Horne est bien plus convaincante, par exemple, car elle résulte des événements des dix derniers épisodes, c’est-à-dire une suite d’échecs pour Ben, jusqu’à son incarcération. De plus, cette intrigue fait sens avec l’histoire des Horne depuis le début de la série, Ben en Sudiste rejoignant la folie de son fils, ce personnage toujours à l’arrière-plan, handicapé mental et qui se prend pour un Indien (la tristesse de ce handicap plane sur la famille Horne pendant toute la série, en filigrane). Enfin, cette folie touche d’autres personnages de la série. Audrey, obligée de surveiller son père, devient plus mature. Bobby, qui pensait avoir trouvé la poule aux œufs d’or, se retrouve à nouveau en garde-malade. Toutes ses tentatives d’escroqueries sont vouées à l’échec. Il se lie alors de plus en plus avec Audrey, et tous deux semblent devenir adultes, lors de leurs discussions dans les couloirs de l’hôtel. Enfin, Catherine, qui vient pour exulter dans le bureau de Ben, passe de la haine à l’amour et retombe dans les bras de son amant, dans un plan large d’ 1 minute 50 qui laisse la place à Piper Laurie et Richard Beymer de démontrer l’étendue de leur talent (la mise en scène de Todd Holland, comme dans l’épisode Laura’s secret diary, est toujours soignée, sobre, et efficace). C’est d’ailleurs un épisode placé sous le signe des pulsions sexuelles, assez torrides : Nadine fond sur Mike au Double R, Ed et Norma retrouvent leur passion interdite, Catherine et Ben retombent dans les bras l’un de l’autre, et, bien sûr, il y a James et Evelyn. Autre problème de cette partie de Twin Peaks (bientôt résolue heureusement, la torture ne dure que quelques épisodes). On sent que les créateurs ont cherché à réaliser une intrigue sexuellement sulfureuse « à la Lynch » (la relation incestueuse du jeune garçon et de la femme plus mure dans Blue Velvet), mais le résultat ressemble fort à un mauvais film X. Comme toujours, ce développement aurait pu être intéressant pour James. Mais, en face, Evelyn reste un personnage complètement factice, cliché, digne d’un très mauvais soap. Elle passe après des figures féminines absolument marquantes, que ce soit Audrey, Donna, Norma, Shelly, et bien sûr Laura, et Maddy. La même intrigue, avec un personnage féminin de grande envergure (et jouée par une autre comédienne ?) aurait pu être un ajout bienvenu à la série. Ce n’est malheureusement pas le cas. Néanmoins, ce chapitre à le mérite de ne pas tomber dans l’humour potache comme celles de Dick-Andy, ni celle de Lana (non vue dans cet épisode donc). L’épisode offre surtout une magnifique conclusion, à partir de la prise d’otage de Cooper, qui nous mène jusqu’à la nuit. Une fois Cooper sauvé, et Jean Renault tué, alors que l’on pensait l’épisode se conclure là, nous retrouvons alors Shelly Johnson. Horreur, Leo Johnson a disparu. Il est réveillé. La scène se conclue par les hurlements de Shelly, et l’extinction des lumières… Au commissariat, Lucy parle au Shérif d’une « bombe » qui aurait explosée, dans la forêt, selon un mystérieux interlocuteur au téléphone. On parle d’un incident à la centrale électrique. Cooper scrute l’obscurité… avant de découvrir un cadavre dans la salle de conférence, attaché à un jeu d’échec. C’est le nouveau coup de Windom Earle, l’ex-partenaire du FBI devenu fou, menace toujours invisible mais de plus en plus présente. Cette dernière scène renoue avec l’angoisse des très bons épisodes de Twin Peaks. Anecdotes :
Scénario : Scott Frost Réalisation : Uli Edel Résumé : Cooper raconte à Truman l’histoire de Windom Earle, et de son épouse Caroline morte assassinée dans les bras de Cooper. Leo sort de son coma et s’échappe dans la forêt. Dick et Andy apprennent la vérité sur le petit Nicky. Critique : L’épisode précédent nous avait laissé avec de grandes espérances, grâce à une suite de scènes finales angoissantes et réussies. L’épisode suivant, Double play, reprend exactement là où nous en étions. Nous sommes la même nuit, dans le bureau du commissariat. Cooper explique le modus-operandi de Windom Earle, son ancien partenaire du FBI. Il connaît par cœur sa personnalité, et un duel à distance s’annonce. Le cadavre (joué par le frère de Kyle MacLachlan !) prouve la démence de Earle, prêt à tuer des « pions » pour accéder au « Roi » du jeu d’échec, à savoir Cooper lui-même, comme il l’avait annoncé dans une cassette audio quelques épisodes auparavant. Pendant ce temps, au beau milieu de la nuit, au Great Northern, Audrey et Bobby discutent de la folie de Ben. Audrey prend en main Bobby, et décide de faire un pacte avec lui pour redresser la situation. « à partir de maintenant, tu dois me lécher les bottes », lui dit-elle. « Et Shelly ? » demande Bobby. De cette phrase en suspens, nous transitons vers Shelly, seule avec Leo sortie de son coma… Un jeu de chat et de souris, Leo tapi dans l’ombre apparaissant et disparaissant, s’engage, façon slasher-movie. La scène, assez terrifiante, évoque des films comme Halloween ou Vendredi 13, où le Boogeyman surgit toujours là où on ne l’attend pas. Le fauteuil roulant, dont les roues brillent dans l’ombre, est utilisé comme arme contre Shelly, dans un plan qui évoque le tout premier slasher-movie, La Baie Sanglante de Mario Bava. Le décor de la maison de Leo, faite de bric et de broc, pas terminée avec ces bâches en guise de fenêtres, trouve toute son utilité dans cette scène où il devient un décor oppressant et plein de « pièges » pour Shelly. Les portes sont fermées, et la seule issue sera les bâches, qu’elle coupe au couteau pour essayer de s’enfuir. Le suspense est appuyé par un cri de hibou à l’extérieur, signe de danger dans la série. Bobby surgit finalement, et au terme d’une lutte et d’un coup de couteau assené par Shelly, Leo s’échappe dans la forêt. Il est sorti de son coma, mais n’a plus toutes ses fonctions mentales, ce qui en fait une bête dangereuse assez terrifiante… Une introduction très réussie donc, et pour laquelle il faut saluer la mise en scène de toute beauté d’Uli Edel, qui réalise son seul épisode de Twin Peaks ici. Le jour se lève, et nous retrouvons nos enquêteurs au commissariat. Une saynète entre Andy et Lucy entrecoupe l’enquête, mais de manière plus courte, plus naturelle, que les lourdes scènes comiques des épisodes précédents. On note d’ailleurs que cet épisode Double Play vient mettre un terme aux erreurs scénaristiques des deux épisodes précédents, à savoir l’intrigue du petit Nicky et celle de Lana. De la meilleure manière possible, Scott Frost, scénariste de cet épisode, vient conclure ces deux chapitres, pour mettre l’accent sur Windom Earle et Dale Cooper (Scott Frost sortira quelques mois plus tard l’autobiographie de Dale Cooper, My life my tapes). L’intrigue de Lana trouve sa conclusion en une scène, plutôt réussie finalement, où Jacoby annonce après « expertise » que la jeune femme n’est pas maléfique, juste dotée d’une forte libido. Le Maire surgit alors avec un fusil pour venger son frère, et Cooper décide de le laisser seul avec Lana. Après un plan assez drôle où les enquêteurs attendent patiemment derrière la porte (entrecoupé d’une pause pub), ils retrouvent le Maire couvert de baiser, prêt à adopter un enfant avec Lana. Quant à l’intrigue de Nicky, elle est aussi conclue en une scène, dans laquelle le Dr Hayward leur raconte la véritable enfance malheureuse de Nicky. Andy et Dick sont émus aux larmes comme deux bambins, et Lucy, toujours farouche, tient une tapette à mouche pendant toute la scène. La séquence trouve son point final quand Lucy écrase la mouche, laissant une trace de sang sur le bureau. Deux intrigues inutiles jusqu’alors, certes, mais qui donnent lieues à deux scènes finalement amusantes dans cet épisode. Bravo Scott Frost. Le tour de force aurait été de rendre l’intrigue d’Evelyn Marsh intéressante, et c’est presque le cas dans cet épisode. Là aussi, Scott Frost cherche à y mettre un terme – plus que bienvenu. La très belle idée est de faire rencontrer Donna et Evelyn. James réalise trop tard qu’il est le jouet d’un coup-monté pour assassiner le mari d’Evelyn, tué dans une voiture trafiquée par le faux-frère d’Evelyn (voiture que James a réparé auparavant). Evelyn devient enfin un personnage intéressant, quand elle avoue tout à James et, touchée peut-être par la grâce de Donna, lui supplie de s’enfuir « retrouver la jeune femme qui l’aime ». Elle jette à l’eau son plan, ou plutôt celui du faux-frère, et sauve James. Si cette intrigue était aussi une tâche dans la série, elle trouve là encore un beau rebondissement grâce à Scott Frost. Cela aurait fait une parfaite conclusion, malheureusement les scénaristes Harley Peyton et Robert Engels ont décidé d’y ajouter un épilogue dans l’épisode suivant… Pour le reste, l’épisode est vraiment une réussite. Les intrigues s’entremêlent mieux que dans les épisodes précédents. Par exemple, une scène dans un lieu va recouvrir plusieurs échanges, plusieurs intrigues. Au commissariat, on passe du petit Nicky à un échange entre Cooper et Truman au sujet du « cousin » de Josie, retrouvé assassiné – bref échange, mais qui vient ajouter un flux continu de mystère, flux que la série avait perdu pendant un moment. Au Double R, on passe d’un dialogue entre Ed et le Dr Hayward, Ed s’inquiétant que Nadine ne « tue un de ces jeunes garçons » en faisant l’amour avec eux, à un échange entre Norma et Ed, se promettant de donner libre court à leur amour maintenant que Hank retourne en prison. L’une des plus belles scènes de l’épisode est certainement celle où Cooper raconte la mort de Caroline, la femme qui l’aimait, et qui était témoin d’un meurtre qu’il fallait protéger. Cooper finit par dire à Truman que Caroline était l’épouse de son collègue Windom. Truman pense avoir saisi, et dit : « Windom vous tient responsable de sa mort »… Pire, répond Cooper : Windom l’a tuée. Et il a probablement été l’auteur du premier meurtre, dans lequel sa femme était témoin. Un génie du crime, qui feint la folie, mais qui ne perçoit plus la frontière entre bien et mal. Pendant cette tirade, une surimpression de Caroline apparaît sur le visage de Cooper. Puis, la voix de Cooper disparaît en off sous des images de la forêt de Twin Peaks dans la brume… D’autres très belles idées de mise en scène parsèment l’épisode, comme un fondu enchaîné reliant Donna et James vers le début de l’épisode, James apparaissant en silhouette noire, de dos, éploré. Ou encore, un plan dans le bureau de Ben Horne, commençant dans l’âtre de la cheminée (le feu, motif récurrent), puis s’éloignant, quand un train surgit, train électrique du jeu de petits soldats de Ben – petit train qui renvoie à l’épisode 2, saison 1, de la série, où un petit train dans une boutique nous menait à Nadine et ses tringles à rideaux. A nouveau, le petit train nous mène à un personnage sombré dans une folie douce. Ben est pris en charge par Jacoby. Le retour de Jerry, et ses échanges avec Jacoby, donne lieu à quelques répliques très amusantes (« vous croyez que c’est une bonne idée qu’il tienne une épée ? »). L’humour lié à la folie de Ben fonctionne plutôt bien, dans l’esprit complètement fou de la série, notamment quand il enclenche un énorme ventilateur pour lever son drapeau dans le vent, avant que Jacoby n’entame le chant des Sudistes pour l’accompagner dans sa folie. L’épisode développe encore un peu plus la mythologie de la White Lodge, avec le retour de Garland Briggs au commissariat, qui, toujours plus sonné, s’évanouit devant Lucy. Il annonce à Truman et Cooper que, pendant sa disparition, il pense avoir été « emmené » dans la White Lodge, probablement pour des expérimentations gouvernementales… Il n’en a aucun souvenir concret, mais le sentiment que des événements graves les attendent. D’ici là, il se tiendra « dans l’ombre », prêt à les aider dès qu’ils auront besoin de lui. Chez les Packard, Catherine révèle à Pete la réapparition d’Andrew Packard. Ce retour d’entre les morts sied particulièrement à la série, tout comme le retour d’un passé enfoui, celui de l’affaire du meurtre d’Andrew qui semble se résoudre des années après. Nous sommes dans un univers où les complots, les coups-montés, les rancunes, traversent les années. Et le passé devient souvent présent à Twin Peaks. C’est dans cet épisode que réapparaît Thomas Eckhardt, l’assassin présumé d’Andrew en complicité avec Josie (même si le meurtre n’a, en réalité, pas eu lieu). Il est incarné par l’excellent David Warner. Son apparition est plutôt réussie : au Great Northern, il est annoncé par son assistante, Jones (jouée par une excellente actrice également, Brenda Strong). Un travelling nous mène jusqu’à Eckardt, dont le feu de la cheminée se reflète dans le verre de ses lunettes noires. Enfin, l’épisode se conclue sur la déambulation de Leo dans la forêt. Un hibou le survol. Le nouveau thème de Windom, joué à la flûte, a été introduit en début d’épisode. Il réapparaît, cette fois en « in », puisque Windom joue réellement de la flûte, dans une cabane au milieu de la forêt. Il apparaît tel Pan, dieu de la nature, mi-homme mi-bouc et malveillant. Charmé par la flûte, Leo entre, hésitant. Windom, hypnotiseur (un génie du mal qui rappelle le Docteur Mabuse, aussi), lui dit d’entrer, « entrez, je suis un ami… ». L’épisode se conclue sur son jeu d’échec, les lumières soufflées par le vent. Après avoir donné une forme de conclusions aux intrigues comiques ratées des épisodes précédents, Double Play introduit le nouveau personnage phare de la fin de la série, Windom Earle, le Moriarty de Dale Cooper. Anecdotes :
Scénario : Robert Engels & Harley Peyton Réalisation : Diane Keaton Résumé : Cooper fait appel à Pete, champion d’échecs local, pour contrer Windom Earle dans son jeu diabolique. Donna tente de sauver James des griffes d’Evelyn. Ed et Norma décident de vivre leur amour au grand jour. Critique : Après deux épisodes qui remontaient le niveau de la série, voici probablement le pire épisode de la série. Il est réalisé par Diane Keaton, la célèbre actrice et réalisatrice. Comment expliquer ce désastre ? Peut-être par une mauvaise connaissance de la série de la part de Keaton. Son envie d’imiter Lynch se traduit par des effets kitchissimes en permanence. L’épisode est jalonné par des effets de ralentis et de surimpressions du plus mauvais goût. La caméra pointe du doigt les effets voulus absurdes ou surréalistes. Des éléments sont placés dans le décor comme pour des spectateurs stupides : des statuettes de hiboux, des cartes postales de hiboux… On ne sent vraiment plus dans la même série. Tout n’est pas à jeter pour autant. Quelques effets sont réussis, comme le raccord entre le pion d’échec posé sur le plateau, et le pied de Shelly, créant le lien entre les pions et les futures victimes potentielles de Windom Earle. Cette scène, au Double R, mêle habilement trois intrigues en quelques minutes : on passe du concours d’échecs, qui révèle Pete comme champion et comme nouvel assistant de Cooper dans sa lutte contre Windom, à Shelly qui demande à Norma de revenir au Double R, puis de Norma à Truman qui lui annonce que Hank va rester en prison. L’imbrication des intrigues est très bien obtenu grâce aux deux scénaristes Peyton et Engels. Plus tôt dans l’épisode, quand Shelly et Bobby témoignent de l’évasion de Leo au commissariat, Bobby doit assumer sa liaison avec Shelly. Ressurgit alors l’accusation de tentative d’assassinat sur Leo, ce qui pousse Bobby a livrer la vérité : il a vu Hank Jennings lui tirer dessus. Ainsi, un élément de l’enquête laissé en suspens depuis la fin de la saison 1 trouve sa réponse ici. De plus, ce témoignage met définitivement Hank de retour en case prison, ce qui recoupe avec l’intrigue amoureuse d’Ed et Norma. Ces deux personnages ont d’ailleurs droit à une très belle scène, la plus réussie de l’épisode : filmés en plongée dans le lit de Ed, lovés l’un contre l’autre, ils évoquent les regrets de leur vie et leur décision d’enfin montrer leur amour au grand jour. Nadine surgit alors (en arrachant la porte de son chambranle), et semble ne pas s’offusquer. En effet, elle est « au courant » pour eux, et ça ne la dérange pas. Elle va pouvoir sortir avec Mike sans culpabiliser… Quelques autres détails sont réussis, surtout du côté des scènes avec Cooper. Un gag « à la Lynch » fonctionne bien, celui des vêtements de Josie portés par Pete qui revient du dressing. Pete se tient en déséquilibre pendant de longues secondes avant de donner son fardeau à Cooper. Et le gag permet une transition vers un élément plus sérieux, puisque Cooper prélève aussitôt un bout de tissu d'une robe de Josie, qui s'averera correspondre au vêtement de l'agresseur de Dale (à la fin de la saison 1). L'épisode montre aussi le retour de Rosenfield, venu pour donner ses résultats d'autopsie du vagabond tué par Earle. Et ces scènes avec Rosenfield sont toujours des pépites, grâce à l'excellent Miguel Ferrer qui l'interprète. Rosenfiled conclue de son expertise sur le tissu prélevé par Cooper que Josie est bien l’agresseur de Cooper. Ce dernier, éclairé par le rétroprojecteur braqué sur lui, demande à son collègue de ne « pas dire un mot à Truman tant que tout cela n’est pas certain ». La scène coupe aussitôt sur un jeu de fléchette, auquel joue Truman seul dans la pièce d’à côté. Une belle manière de montrer l’étau qui se resserre autour de Truman, menacé d’apprendre prochainement que la femme qu’il aime est une criminelle. Malheureusement, tous les autres éléments de l’épisode sont assez ratés. D’une part, les deux dernières intrigues médiocres issues des épisodes précédents, celle d’Evelyn et celle de la folie de Ben Horne, sont concluent dans cet épisode – ce qui est une bonne chose en soi – même elles sont terriblement mal conclues. La folie de Ben Horne était, à mon goût, parfois amusante, ou même touchante, dans les épisodes précédents. Elle trouve sa conclusion dans cet épisode d’une manière pénible. Jacoby organise une mise en scène de Guerre de sécession dans laquelle le Sud est vainqueur, afin de faire sortir Ben Horne de son délire. Malheureusement, Keaton en fait des caisses sur la mise en scène cartoonesque de cette scène. Les personnages sont éclairés comme au théâtre, et bénéficie d’accessoires et de costumes improbables. Le cheval en plastique est associé à un bruitage de vrai cheval… Richard Beymer, l’interprète de Ben Horne, révèle dans le livre An oral history of Twin Peaks qu’il est entré en désaccord avec Diane Keaton lors du tournage de cette scène, lui reprochant le côte beaucoup trop artificiel de cette scène – et il avait raison. Heureusement, Ben sort de son délire, mettant un point final à ce chapitre. Son retour à la raison, sur le thème principal de la série, est assez réussi (« j’ai fait le rêve le plus bizarre… »). La seconde intrigue, celle d’Evelyn, était certes inintéressante jusqu’à présent, parfois même ridicule, mais les tourments de James rendaient ces scènes regardables. Dans cet épisode, où Evelyn et son amant tentent de piéger James, on assiste à un affreux nanar de bout en bout. Les dialogues sont niais, les réactions impossibles à jouer pour les acteurs, et la mise en scène d’une laideur absolue (ralentis insupportables). James, puis Donna, surgissent dans la maison d’Evelyn comme dans la parodie d’un très mauvais mélo. Malheureusement, aucun second degré ici. Evelyn, qui semble à chaque fois troublée par la pureté de Donna, redevient bonne et décide de sauver les deux jeunes amoureux, et de tirer sur son amant. Ainsi se termine, enfin, cette intrigue ratée qui aura pris 5 épisodes de Twin Peaks et qui aura été particulièrement présente dans celui-ci… L’intrigue de Josie et du retour de Packard donne lieu, là aussi, à des scènes assez surjouées. La série semble être devenu, parfois, le soap parodique Invitation à l’amour, car les scénaristes ont perdu cette distance et ce second degré vis-à-vis des intrigues sérieuses. Les coups bas, les complots machiavéliques, sont pris au pied de la lettre, au premier degré. Enfin, cet épisode présente également très maladroitement le personnage de Windom Earle, qui vient de faire son apparition à la fin de l’épisode précédent. Dans Slaves and masters, Windom Earle apparaît comme un méchant clownesque, caricatural. Son déguisement avec fausse moustache, pour se rendre au Great Northern, est dans la continuité des scènes cartoonesques de Ben Horne : dur à avaler, sans respect pour la réalité des personnages de la série. Earle vient poster une lettre pour Audrey Horne. Ainsi commence un nouveau jeu, dans lequel Earle va désigner une Reine de son échiquier, entre trois : Audrey, Shelly, ou Donna. Il passe à côté de Cooper, qui ne le reconnaît pas, et qui, au même moment, contemple une photo de Caroline (la femme de Windom, dont Cooper était tombé amoureux, avant que Windom ne l’assassine). La dernière scène montre Cooper dans sa chambre, découvrant le masque mortuaire de Caroline dans son lit, avec une cassette laissée par Windom. Une chute théâtrale, comme l’est tout le reste de l’épisode, mais qui a le mérite d’être assez efficace heureusement. Scénario : Tricia Brock Réalisation : Lesli Linka Glatter Résumé : Josie découvre que son mari, qu’elle croyait mort de ses propres mains, est vivant. Elle doit aussi affronter son tortionnaire revenu de Hong-Kong, Thomas. James quitte définitivement la ville, et Donna et lui se disent adieu. Audrey rencontre le beau John Wheeler. Windom Earle envoie une lettre déchirée en trois aux trois « Reines » de son échiquier : Audrey, Shelly et Donna. Critique : Après le très mauvais épisode réalisé par Diane Keaton, deux habituées de la série relèvent le gant avec The condemned woman. Tricia Brock a déjà écrit l’épisode Dispute between brothers, épisode qui suivait la mort de Leland. Quant à Lesli Linka Glatter, elle en est à son quatrième épisode depuis la saison 1, et fait partie des réalisatrices les plus talentueuses de la série. Le contraste avec la mise en scène de Diane Keaton est évident : fini les effets kitchs de ralentis, de surimpressions, de grand-guignol, place à des travellings subtils, des atmosphères d’angoisse et des émotions ambigües dignes de Twin Peaks. Les quatre intrigues médiocres des épisodes précédents étant conclues (Evelyn Marsh, le petit Nicky, la nymphomane Lana, et la folie Sudiste de Ben Horne), l’épisode se recentre sur les personnages solides de la série, avec bonheur. Cet épisode écrit et réalisé par un duo féminin va mettre un point final à l’intrigue d’un personnage féminin majeur de la série, source de mystères depuis le pilote de Twin Peaks : Josie Packard. Cet épisode sera d’ailleurs une première « conclusion » de la série, puisque ABC avait pensé la déprogrammer à la suite des mauvaises audiences, et pensait donc conclure sur cet épisode diffusé le 16 février 1991. Mais, grâce à la pression des fans, la série revint sur les écrans cinq semaines plus tard, fin mars 1991, à la case initiale du jeudi au lieu du samedi, pour cinq derniers épisodes qui montrèrent une meilleure audience. Comme souvent dans la série, le premier plan de l’épisode fait le lien avec le précédent. Ici, ce sont des pièces d’échecs. Nous ne sommes pas cette fois dans le cabanon de Windom Earle, mais au commissariat avec Dale Cooper et Truman. A côté du jeu d’échecs, le masque mortuaire de Caroline trouvé par Cooper la veille. Les premières scènes de l’épisode jonglent intelligemment d’un lieu à l’autre, entre le commissariat et les Packard. Truman demande à Lucy d’appeler chez les Packard, pour convoquer Pete dans la partie d’échecs contre Windom. Nous passons alors chez les Packard, où Josie fait face avec stupeur avec son mari qu’elle croyait mort, et même tué de ses propres mains, Andrew Packard. Josie s’évanouit. Un lien « cut » nous ramène au commissariat, sur un journal montrant Lee, le mystérieux assistant de Josie, retrouvé assassiné comme l’indique les grandes lignes du journal. A l’étau qui se resserre sur Josie répond celui qui se resserre sur Truman : Rosenfield est certain que Josie est l’asseyant de Cooper. Celui-ci veut préserver son ami et collègue, mais Truman a tout entendu. Les larmes aux yeux, il quitte le commissariat. Au Great Northern Hotel, Ben Horne est sorti de sa folie… ou pas tout à fait ? Il parle désormais de sauver les belettes en voie d’extinction. Il s’avère qu’il ne s’agit pas de folie, mais du dernier moyen de contrer Catherine, en faisant annuler le projet Ghostwood qu’elle lui a volé, sous couvert d’écologie ! Un nouveau personnage apparaît dans le cercle des Horne, John Justice Wheeler, un jeune homme venu à la rescousse des affaires de Ben, et dont va tomber amoureux Audrey malgré elle. Il s’agit là, probablement, de la dernière intrigue maladroite de la série. Le problème de ce nouveau personnage tient dans son côté trop uniforme. A Twin Peaks, chaque personnage a deux facettes, si ce n’est plus. Wheeler a peut-être deux facettes, mais elles sont tout de suite identifiées : d’un côté une apparente arrogance de nouveau riche, de l’autre quelqu’un de plus doux et profond qu’il n’y paraît. En somme, le Roméo idéal… Un personnage assez fade. Néanmoins, ses scènes avec Audrey se regardent sans trop de déplaisir. Lesli Linka Glatter sait mettre en scène leurs dialogues, pour les rendre assez touchants. Elles montrent le chemin qu’a décidé de suivre Audrey : devenir adulte à tout prix, dans les traces de son père. Elle se choisit donc un amoureux proche de la famille. Mais, ce changement de personnalité d’Audrey tient probablement à une seule chose, sa promesse faite à Cooper de revenir un jour le séduire, « quand elle sera grande ». Le changement d’attitude d’Audrey semble logique, depuis sa mésaventure au One Eyed Jack, puis celle de son père accusé à tort du meurtre de Laura. Au terme de ces péripéties, Audrey n’est plus dans le jugement du monde des adultes, elle comprend et accepte ses contradictions, et tente d’en faire partie en étant exemplaire. Si ce développement amoureux n’est pas des plus passionnants, un élément de menace le rend plus palpitant : le nouveau jeu de Windom Earle auprès de ses « Reines », dont fait partie Audrey. Dans cet épisode, juste après la rencontre d’Audrey et Wheeler, Audrey décachète l’enveloppe qui lui est destinée. Windom lui donne rendez-vous au Relais, cette nuit, pour « sauver celui qu’elle aime »… Plus tard dans l’épisode, c’est Shelly qui recevra cette lettre au Double R, où Windom se rend incognito (sans déguisement ridicule comme dans l’épisode de Diane Keaton !). Donna aussi est menacée. Un suspense terrible se créé, autour des trois jeunes femmes les plus attachantes de la série, et dont on se doute que l’une d’elles va mourir. Parallèlement à l’amour naissant d’Audrey, trois amours viennent à leur terme dans l’épisode. Nadine annonce à Ed qu’elle aime Mike. « Il faut appeler un chat un chat, Ed, on se quitte ». Norma, elle, rend visite à Hank dans sa cellule du commissariat de Twin Peaks. Fermement, elle demande le divorce, mais Hank, comme toujours, tente de l’amadouer. Saluons les deux interprètes, Peggy Lipton et Chris Mulkey, parfaits dans leurs rôles et particulièrement dans cette scène d’adieux. La scène se conclue sur les menaces de Hank, hurlant le prénom de Norma, dans un écho, tandis que la porte claque. Un hurlement qui évoque ceux de Bobby au début de la série, ou ceux de Ben Horne plus tôt dans la saison, eux aussi enfermés dans cette cellule. Le dernier adieu, c’est celui de James et Donna. Après l’errance de James chez Evelyn (et l’errance des scénaristes, on peut le dire), leur dernière scène est fidèle à leurs personnages. Elle a lieue sur les hauteurs de Twin Peaks, autour d’un pique-nique préparé par Donna. La lumière est irradiante, comme sur une carte postale qui viendrait représenter des jeunes parfaits de l’Amérique des années 50. Une mise en scène qui évoque les premières scènes qui leur étaient consacrées précédemment dans la série, notamment au bord du lac dans l’épisode 6 de la saison 1. Donna pardonne James, lui dit qu’il ne doit s’accuser en rien. Mais James veut partir, quitter Twin Peaks (en réalité, c’était le cas de son interprète James Marshall, tout comme pour Joan Chen prise par d’autres engagements l’empêchant de continuer à jouer Josie). Donna et James se promettent de se revoir, leur amour semblant assez pur pour survivre à cette séparation. Ils doivent juste oublier Laura, Maddy… et Evelyn, comme le dit Donna. Josie, elle, voit les deux hommes de sa vie réapparaître pour son plus grand malheur. Andrew Packard, son époux revenu d’entre les morts pour l’accuser de son crime (grâce à une machination avec sa sœur Catherine), et Thomas Eckhardt, le tortionnaire qui lui avait fait commettre ce meurtre et dont Josie tente à tout prix de ne pas retomber dans ses griffes. De plus, le troisième homme de sa vie, Truman, est shérif, et va donc devoir l’arrêter tôt ou tard pour ses agissements. Josie est acculée, terrifiée. Lors de ses scènes dans cet épisode, le thème de Laura Palmer est joué par un instrument sibyllin, spectral… On se rappelle alors de l’épisode 2 de la série, dans laquelle Josie disait à Dale Cooper à propos de Laura : « Quelque chose qu’elle m’a dit me trotte dans le tête. Elle m’a dit, je comprends maintenant comment vous vous sentiez à la mort de votre mari. Je ne peux pas m’empêcher d’y repenser, cette phrase me hante. » Josie semble suivre les traces de Laura et s’avancer vers une issue fatale. Un plan reprend la posture du premier visage vu dans l’épisode pilote, celui de Josie dans son miroir… Comme si les événements allaient se répéter. Et c’est bien ce qui arrive, dans la scène finale éminemment énigmatique. Après avoir découvert Andrew vivant, Thomas Eckhardt se rend dans la chambre d’hôtel de Josie au Great Northern. Dans sa chambre, Cooper apprend une nouvelle technique de pêche à la ligne, quand il entend des coups de feu. Dans une suite non loin, il découvre Josie et Eckhardt étendus dans leur lit. Eckhardt se lève… il est touché, et tombe, mort, un sourire aux lèvres. Josie pointe Cooper de son arme. Truman surgit à son tour. Mais, avant qu’aucun coup ne soit tiré, Josie s’affale. Elle est morte, subitement. Cooper voit alors apparaître une grande lumière, puis BOB, et l’Homme venu d’ailleurs (le nain vêtu de rouge). Après cette apparition, le visage de Josie apparaît dans la poignée de la table de nuit, tentant de s’en extirper, hurlant… On comprend que les fans, en 1991, aient fait pression auprès d’ABC pour que la série ne s’arrête pas ainsi ! Ce final est si troublant qu’il fait toujours sujet à débats chez les fans de Twin Peaks. D’un côté, il est réussi puisqu’il garde tout son mystère. D’un autre, l’apparition de BOB et du nain est trop gratuite, inattendue, et l’effet spécial final a très mal vieilli. Mais, en revoyant l’épisode une seconde fois, on constate à quel point Josie suit un chemin de croix, qui la fait mourir de peur. Et, quand on cède à la peur, on se donne à BOB. Au début de l’épisode, Josie est déjà défaillante, puisqu’elle s’évanouit… Dans les différentes interviews des créateurs de la série, on peut lire que la réalisatrice, Lesli Linka Glatter, ne comprenait même pas ce qu’elle tournait, en filmant cette scène ! On peut lire ici et là que cette fin dans la commode pour Josie était voulue par David Lynch lui-même – bien que le scénario ne soit pas écrit de sa main. Dans le scénario initial du préquel Fire walk with me, des éléments auraient dû être donnés sur Josie – dans la scène avec David Bowie, l’agent Phillip Jeffries ne « veut pas parler de Judy », or cette Judy serait la sœur de Josie… Dans l’épisode final de la série, des photos prises par l’acteur Richard Beymer (Ben Horne) témoignent de la présence sur le plateau d’une doublure de Joan Chen. Ainsi, Josie aurait dû réapparaître dans la Red Room, mais ce plan a été coupé au montage par Lynch finalement. Josie emportera donc tous ses mystères avec elle. Mais une théorie me plaît beaucoup, et je vous la confie ici : avant de mourir, Josie avait son arme pointée sur Cooper. C’est alors qu’elle est prise d’une sorte de choc, avant que BOB n’apparaisse et ne demande à Cooper « qu’est-il arrivé à Josie, Coop’ ? ». Ce qui est significatif, c’est que BOB s’adresse directement à Cooper, pour la première fois dans la série. Et si BOB avait pris l’âme de Josie à cet instant, grâce à sa peur, pour l’empêcher de tuer Cooper ? Pourquoi, la réponse est dans le dernier épisode… Scénario : Barry Pullman Réalisation : James Foley Résumé : Truman sombre dans une dépression après la mort de Josie. La sœur de Norma Jennings, Annie, arrive à Twin Peaks. Ben Horne tient une soirée en l’honneur de la préservation de la forêt de Twin Peaks et de ses belettes en voie d’extinction. Critique : Cet épisode marque le retour de la série après cinq semaines d’interruption, et de nombreuses lettres de fans suppliant pour son retour auprès d’ABC. Le scénario est signé Barry Pullman, habitué de la série, et la mise en scène James Foley, qui réalise un très beau travail pour ce seul épisode auquel il participera. Le travail sur les lumières est particulièrement réussi dans cet épisode, avec un travail sur le clair-obscur qui évoque le pilote de la série ; L’épisode s’ouvre sur Truman, repensant à Josie (avec un montage un peu maladroit d’images flash-back, seule vraie maladresse de cet épisode très réussi). Hawk retrouve Truman au Bookhouse, où le Shérif reste enfermé dans sa dépression. Comme le spectateur, Truman demande où en sont les choses au commissariat. Hawk évoque la partie d’échec contre Earle qui prend toute son attention à Cooper. Au Double R, Annie, la sœur de Norma, arrive. Elle est incarnée par Amber Heard, magnifique nouvelle recrue du casting de Twin Peaks. Son visage pur, ses grands yeux, lui permettent d’incarner à merveille cette jeune fille, sortie d’un couvent, mais au passé assez lourd et mystérieux, semble-t-il. La caméra passe d’Annie à Shelly, et au Major Briggs, à qui Shelly sert un morceau de tarte. Apparaît alors dans le cadre la bûche de Margaret. Celle-ci voit les triangles sur le cou du Major Briggs… Le thème menaçant d’Angelo Badalamenti, de nappes étranges, évoquant l’autre monde, retentit… Ce thème retentit également dans la scène suivante, quand Cooper annonce à Hawk que Josie est morte de peur, et en pesant 35 kilos selon l’autopsie. Ce mystère a-t-il un lien avec la vision de BOB vécue par Cooper ce soir-là ? De cette interrogation, on passe à la cabane de Windom Earle, où Leo sert toujours de serviteur-zombie. Windom réalise, en lisant le mouvement de Cooper publié dans le journal, qu’il a demandé de l’aide. Earle devient furieux d’apprendre que Cooper joue sans respecter ses règles, et promet qu’il y aura des conséquences. Quelques scènes plus tard, Windom se rend chez les Hayward, déguisé en campagnard (assez proche du look de Pete Martell). Il se fait passer pour un ami de longue date du Dr Hayward, du nom de Craig, venu rendre une petite visite. Il tombe sur Donna. Il entre, discute avec la jeune femme… Il lui laisse un « cadeau ». Quand son père rentre, il explique à Donna que Craig est mort devant ses yeux. Le téléphone laissé par Windom est celui d’un cimetière. Et le cadeau, une pièce d’échecs. Le Dr Hayward réalise alors que le maniaque que traque Cooper est rentré chez lui et a discuté avec sa fille en toute impunité… Un autre cadeau est remis, dans une scène où l’assistante de feu-Eckhardt, Jones, remet une mystérieuse boîte noire à Catherine. Boîte de Pandore, véritable puzzle pour Catherine, qui inspirera peut-être à David Lynch sa boîte bleue dans Mulholland Dr. On retrouve là le pur sentiment de mystère qui fait tout le charme de la série. Parallèlement, Pete Martell est au commissariat, où il étudie toutes les combinaisons possibles pour éviter que des pions ne « meurent » dans cette partie machiavélique. Mais il confesse à Cooper : des pions devront sauter, coûte que coûte. Dans la pièce d’à côté, Lucy et Andy apprennent les échecs, ce qui donne droit à une saynète comique réussie. Surgissent alors Briggs et la Dame à la Bûche. Dans la salle de conférence, Margaret raconte qu’elle a disparue dans la forêt à l’âge de 7 ans. Elle ne se souvient de rien, si ce n’est une grande lumière, et les cris des hiboux. Elle est réapparue avec une marque sur sa jambe, deux triangles, similaires à des collines. Le Major, lui, a trois triangles sur la nuque. La musique de Badalamenti accentue l’étrangeté de cette révélation, tandis que Cooper dessine ces schémas à la craie (musique atonale qui évoque l’au-delà, très présente dans le dernier épisode de la série). Windom vient s’amuser à frôler les « reines » de Twin Peaks de près, encore une fois, au Double R. Cette fois en accoutrement de motard, il discute avec Shelly Johnson. Dans cette scène parfaitement ciselée par le scénariste, Norma invite Shelly à se lancer dans le concours de Miss Twin Peaks. Shelly s’esclaffe, en imitant le discours d’une Miss idiote (excellente Madchen Amick). Windom Earle, au comptoir, n’en perd pas une miette, et incite lui aussi la jeune serveuse à s’inscrire… Cooper apparaît alors à l’autre bout du comptoir, sans se rendre compte de la présence de Windom. Cooper est servi par Annie, et tombe amoureux d’elle au premier regard. Malheureusement, Windom est présent lors de cet échange de regard… Une coïncidence inquiétante, qui place la rencontre de Cooper et Annie sous de mauvais auspices. Annie sert Cooper son café, et pendant cette action, Cooper aperçoit les marques d’une tentative de suicide sur le poignet de la jeune femme. Enfin, Cooper boit le café, qui est « parfait » - évoquant le charme de la saison 1 et ses répliques cultes sur le café, un peu oubliées depuis quelques épisodes. Quand Cooper lève la tête, Windom a disparu. En une brève scène, énormément de jalons sont posés, de manière entremêlée : le concours de Miss Twin Peaks va bientôt avoir lieu, peut-être avec Shelly, Cooper tombe amoureux d’Annie, Windom le sait, et Annie a essayée de se suicider dans son passé… Parallèlement à ces inquiétantes avancées, des saynètes plus légères viennent nous permettre de souffler, comme un entretien entre Ed, Nadine et Jacoby. Ed et Jacoby tentent en vain de faire comprendre qu’il ne s’agit pas d’une simple rupture d’adolescents, mais d’un divorce… Nadine, elle, réalise seulement une chose : elle s’aperçoit comme pour la première fois qu’elle est aveugle d’un œil. Un retour, peut-être, à son état « normal » qui commence ? Plus tard dans l’épisode, au Great Northern, nous retrouvons Nadine et Mike, qui est finalement tombé sous le charme de l’herculéenne Nadine. Mike s’est vainement déguisé en cinquantenaire, puisqu’il est reconnu par des amies du lycée. Quant au concierge, il reste pantois un instant, si bien que Nadine finit par appuyer violemment sur la sonnette de son bureau – la sonnette en métal s’en retrouve écrabouillée. Audrey, elle, vit son idylle avec Wheeler. Pour rendre ce personnage intéressant, Pullman et Foley en font une sorte de cowboy idyllique et un peu ridicule. La scène du pique-nique fonctionne plutôt bien, notamment grâce à la mise en scène dans un technicolor appuyé. Surtout, Wheeler ressent qu’Audrey a peut-être quelqu’un d’autre. « Il y avait quelqu’un d’autre, mais c’est fini », dit Audrey, évoquant son amour sans borne pour Cooper. Enfin, l’épisode se conclue par la cérémonie organisée par Ben Horne en l’honneur de la forêt et des belettes de Twin Peaks. Y participent Dick et un Pinkle (qu’on avait vu en assureur de Leo plus tôt dans la série), sorte de double de Dick, tout aussi agaçant, se détestant l’un et l’autre. Participent également, comme « modèles » du défilé organisé par Dick, Lucy et Andy - hilarant dans son costume, avec une expression hagarde sur le visage, Harry Goaz est merveilleux dans son rôle burlesque d’un bout à l’autre de la série. Le public présent est amorphe, malgré le mal que se donnent les organisateurs, ce qui rend la scène comique et bizarre à la fois. Pendant ce temps, Ben discute avec Catherine, qui lui lance des pique : « mais, ne serait-ce pas John Muir notre protecteur des séquoias ? Tu as toujours manqué de subtilité, mais là, vraiment… ». Or, Ben rétorque qu’il a vécu un véritable événement traumatique, qui lui a fait radicalement changé sa perception du monde. Oui, il était comme elle auparavant. Mais son désir d’améliorer les choses est sincère. Difficile d’en être sûr avec Ben Horne, pourtant, ce chemin vers la rédemption a peut-être un lien avec une scène fort mystérieuse… En effet, plus tôt dans l’épisode, Ben se rend chez les Hayward, où il discute sur le pas de la porte avec la mère de Donna, Eileen, en fauteuil roulant. Il finit par l’embrasser doucement. Quel lien secret les unit ? Ce rapprochement de ces deux personnages est une grande surprise dans le fil de la série. Le tout a lieu sous l’œil de Donna, qui espionne depuis les escaliers… Pour reprendre le fil de l’épisode, l’avant-dernière scène montre donc le fiasco de la soirée de la belette, le petit animal venant à s’échapper des mains de Pinkle, créant une panique apocalyptique dans l’assemblée. Dans le chaos, Audrey tombe dans les bras de Wheeler, qui l’embrasse. Le rythme étrange de toute cette scène, et les spectateurs dans la salle passant du stade amorphe à celui d’une panique de film d’horreur, donne lieu à une scène burlesque plutôt réussie. Mais la dernière scène est bien sûr plus inquiétante. Le cri d’une des spectatrices, en écho, termine la scène et nous mène à Truman, qui dort au Bookhouse. Jones, l’assistante d’Eckhardt, apparaît. Dans l’épisode précédent, Eckhardt avait dit, avant sa mort, qu’il avait « pris des dispositions » pour se venger du nouvel amant de Josie… Jones va-t-elle tuer Truman ? On le saura au prochain épisode, puisque nous la voyons assommer le jeune homme qui surveille Truman, puis se déshabiller pour se glisser, en chemise de nuit, dans le lit de Truman ! Une fin bien intriguant pour un épisode de qualité. Twin Peaks est vraiment de retour ! Anecdotes :
Scénario : Harley Peyton & Robert Engels Réalisation : Duwayne Dunham Résumé : Truman est réveillé par Jones qui tente de l’assassiner. Au Double R, l’amour plane sur Cooper et Annie, et, plus étonnamment, sur Gordon Cole et Shelly Johnson qu’il parvient à entendre miraculeusement. Cooper et ses coéquipiers visitent la Grotte du Hibou, dont les pétroglyphes correspondent aux tatouages de la Dame à la Bûche et de Garland Briggs… Critique : Cet épisode marque le retour de David Lynch à l’écran dans son rôle de Gordon Cole. Mais on sent aussi que le cinéaste est de retour en coulisses, tant cet épisode possède l’âme et l’atmosphère des épisodes de Lynch. La mise en scène est confiée à Duwayne Dunham, homme de confiance de Lynch, monteur de Blue Velvet, et à qui Lynch avait offert la réalisation du tout premier épisode post-pilote de la série Traces to nowhere. Le scénario est coécrit par Harley Peyton et Robert Engels. Ce dernier sera choisi par Lynch comme coscénariste du film Fire walk with me (au détriment de Mark Frost, comme pour se réapproprier la série). L’épisode commence par un mouvement panoramique de la caméra, qui balaye la pièce au Bookhouse, dans laquelle Truman dort. Une suite d’éléments – cerf empaillé, livres, garde assommé, bouteille d’alcool vidée, vêtements féminins au sol – nous remettent dans le contexte de la dernière scène de l’épisode précédent, en un seul mouvement façon Rear Window de Hitchcock (l’introduction qui présente toute la vie du personnage en un panoramique couvrant des détails de sa vie). Jones, l’assistante d’Eckhardt, apparaît dans le cadre, et commence à caresser Truman. Alors qu’on s’attend à un meurtre, elle le caresse, l’embrasse, sort un flacon de parfum et lui en met sur les lèvres… Dans son sommeil de plomb, Truman croit voir Josie – qui réapparaît en surimpression sur le visage de Jones. Que se passe-t-il ? Qu’est-on en train de regarder ? Un sentiment ambigu de crainte et d’incompréhension, typique de Twin Peaks, nous envahit. Finalement, Jones sort son arme, un fil métallique caché dans sa montre (l’arme du tueur dans Blow Out de Brian de Palma, hommage volontaire ou non). S’en suit une scène à suspense habillement menée, où l’on craint pour la vie de notre Shérif adoré. Il finit par prendre le dessus, et contemple son assaillant, perplexe. Quelques scènes suivantes, après avoir enfermé Jones en cellule, Cooper et lui concluent que l’assistante d’Eckhardt exécutaient ses derniers ordres de vengeance amoureuse. Se faisant, ils claquent la porte trop fort, ce qui semble résonner dans la tête du Shérif : pour soigner cette gueule de bois, Cooper lui donne sa solution, à savoir des huîtres, suivies d’un rôti de veau, d’un dessert copieux plein de crème… La technique marche, puisque Truman va vomir aux toilettes aussitôt. C’est le début d’une suite de répliques assez excellentes, signées Peyton/Engels, pour cet épisode fort d’un humour très habile. La technique consistant à dégoûter Truman pour le laver de sa gueule de bois est réutilisée par Gordon Cole, dont l’épisode signe donc également le retour. Cole réhabilite Cooper dans ses fonctions en lui rendant son insigne (ainsi qu’un nouveau Smith et Wesson). Un acte symbolique qui semble signer le « vrai » retour de Twin Peaks. Sur le bureau, pendant leur dialogue, un petit bonzaï trone, offert par Josie à Truman avant sa mort. Mais, en réalité, il s’agit encore d’un tour de Windom Earle, qui y a truffé un micro. La scène suit donc d’un côté l’avancement de l’enquête et l’échange entre Truman, Cooper, Cole et le père de Donna venu annoncer la visite inquiétante de Earle dans sa maison. Et, en montage alterné, nous voyons Earle qui profite de ces échanges depuis sa cabane. Mais de l’angoisse, l’humour n’est jamais très loin. David Lynch, alias Gordon Cole, sourd comme un pot, voit le bonzaï et décide de hurler dessus « Booooonzaï ! ». Depuis son cabanon dans la forêt, Earle sursaute assourdi. Un gag très à la Tintin, qui décidemment semble avoir influencé la série (Cole en Professeur Tournesol, et Cooper en Tintin, enquêteur sans imperfection, presque sans vie et sans âge). Earle, lui, répète son plan. Avec un jeu de cartes sur lesquels il a collé des photos de ses futures victimes, il réexplique à Leo le crime à venir (et donc, aussi, au spectateur qui aurait « décroché » pendant les chutes d’audience). Trois Reines, Shelly, Donna, Audrey, et un Roi, Cooper. L’élection de Miss Twin Peaks désignera celle qui sera tuée, devant les yeux du Roi-Cooper… Cette menace flotte désormais sur chaque épisode. L’affichette de l’élection de Miss Twin Peaks réapparaît de mains en mains, comme un détail lugubre. Elle est, par exemple, dans le courrier que Donna épluche chez elle. Elle est ensuite au Double R, entre les mains d’Annie Blackburn, qui en discute avec Shelly… L’autre lien qui nous fait jongler d’une scène à l’autre, c’est le sentiment diffus de l’amour. Audrey parvient de moins en moins à résister au charme de Wheeler. Plus tard, au Great Northern, alors qu’on suit Donna et Audrey enquêter sur le lien (amoureux, justement) qui a uni leur mère et père respectifs dans leur passé, un plan nous montre Nadine et Mike le lendemain de leur nuit passée à l’hôtel. Mike semble être transformé par cette nuit d’amour vécue avec Nadine. Au Double R, c’est Gordon Cole qui tombe en pamoison soudaine devant Shelly Johnson. Une scène merveilleuse, drôle et touchante, où Gordon Cole découvre qu’il n’a plus besoin de hurler : il entend Shelly ! Mais il est la seule qu’il entend. Une magnifique déclaration d’amour du co-créateur de Twin Peaks à l’une de ses actrices (on peut voir dans les bonus du bluray à quel point Lynch est toujours émerveillé devant la beauté de Mädchen Amick des années après la série). Lynch joue assez brillamment, dans la droite lignée de James Stewart (Mel Brooks a dit de Lynch qu’il est un « James Stewart de la planète Mars »). Toute la scène se déroule avec la Dame à la Bûche qui déguste sa tarte aux cerises à côté, ce qui ajoute encore plus de folie à cet instant. A Cole qui dit que Shelly a produit un miracle, Margaret rétorque que « cette tarte est un miracle ». Cole commande des « tonnes de tartes » à Shelly, car il a « les chaussettes en feu ! ». Pas déçu par la tarte, il déclare qu’il « écrira un poème sur cette tarte ». Parallèlement, Cooper est fasciné par un oiseau de l’autre côté de la vitre, et en discute avec Truman quand arrive Annie. Cooper devient aussitôt un enfant, comme son patron plus loin. Ils entament une discussion, dans laquelle l’alchimie entre Annie et Cooper est évidente – ce qui met du baume au cœur à Truman, heureux de voir un couple se former après avoir, lui, perdu son amour. Annie dit à Cooper se trouver bizarre, décalée par rapport au monde extérieur qu’elle ne connaît plus. Mais à Twin Peaks, personne n’est bizarre, et surtout pas aux yeux de Cooper. En filigrane, l’opposition entre le monde religieux d’où vient Annie, et qui lui donne le sentiment d’être en permanence anormale, et le monde païen de Twin Peaks, où l’anormalité est la norme. Cooper, en pamoison devant Annie, se lance dans une histoire drôle sur deux pingouins. Au terme de cette scène drôle et romantique, Annie reconnaît « la grotte du hibou » dans les dessins griffonnés par Cooper. En effet, Cooper, qui dessinait machinalement les tatouages apparus sur le cou de Briggs et sur la jambe de Margaret, a créé une forme de pétroglyphe. Et ce pétroglyphe est visible dans la « grotte du hibou »… L’amour se lit donc sur le visage des personnages, dans cet épisode (de Cooper, de Gordon Cole, de Mike Nelson, d’Audrey). C’est ainsi que le Dr Hayward devine tout de suite, simplement en voyant le visage de sa fille, que James lui a écrit. Le thème Just you résonne d’ailleurs un instant. Donna, elle, profite de croiser son père pour l’interroger sur le lien entre Ben Horne et sa mère. Will Hayward tente de mentir, plutôt mal, quand on sonne à la porte : ce sont des fleurs, sans nom d’expéditeur, pour Eileen… Plus tôt dans la journée, Donna a suivi Audrey dans sa cachette secrète, pour espionner le bureau de Ben Horne. Ben et Eileen y évoquent, près du feu (cette cheminée est un tel leitmotiv dans la série, lieu de tous les secrets malsains), des lettres « d’il y a vingt ans », des « vieilles blessures » que Ben va rouvrir… On comprend que Ben, dans sa quête de rédemption, souhaite faire la lumière sur un événement passé. Son épisode de folie Sudiste n’était donc pas gratuit dans la série. Cette folie a causé un grand choc, qui créé un nouveau Ben Horne, un Ben Horne honnête qui va révéler des secrets de son passé. Le spectateur ne peut que supposer pour l’instant : Ben est-il le vrai père de Donna ? Ou bien à l’origine du handicap d’Eileen ? Une intrigue vraiment troublante et inattendue, tant Eileen était un personnage effacé, apparemment sans mystère. Notons que le frère d’Audrey, handicapé mental, réapparaît aussi dans cet épisode le temps d’un plan (lui aussi un personnage presque invisible de la série). Personnage encore plus effacé, la mère d’Audrey (jamais revue depuis le pilote), a-t-elle quelque chose à voir avec cette affaire ? Donna, elle, semble réellement désabusée de tant de mensonges. Peut-être regrette-t-elle d’être restée à Twin Peaks, contrairement à James. Ben Horne, dans sa volonté de se racheter, se lance dans un beau discours à sa fille. Il évoque John Kennedy, qui souhaitait voir son frère auprès de lui après l’élection, pour toujours lui dire la vérité, même quand elle était mauvaise à entendre. Et c’est comme ça qu’il voit sa fille. Il souhaite désormais qu’elle soit son premier coéquipier. Audrey est touché. Mais derrière ces douces paroles, Ben sous-entendait qu’elle devait prendre l’avion dès ce jour pour rencontrer des écologistes à Seattle ! Audrey croise Wheeler, le cœur brisé de devoir le quitter… Dans la même scène, Wheeler et Ben ont ensuite une conversation seuls à seuls, dans laquelle Ben lui demande « comment devenir quelqu’un de bien ». Wheeler suggère de « toujours dire la vérité, et en premier lieu quand elle est dure à entendre ». Wheeler applique ensuite son principe, en annonçant à Ben qu’il est amoureux de sa fille. « C’est une vérité dure à entendre », dit Ben. Mais, là où un soap habituel aurait enchaîné sur un nouveau conflit (le père refusant de céder sa fille), Ben a une réaction tout à fait inattendue : il croque une carotte crue en souriant ! La dernière partie de l’épisode nous mène à la Grotte du Hibou dont a parlé Annie. Pour s’y préparer, Andy s’entraîne à la spéléo dans le hall du commissariat. Tandis que Lucy s’entraîne aux échecs, une corde semble tomber du ciel devant elle, et Andy la descend maladroitement. Lucy commence alors un dialogue tendre, tandis qu’Andy descend toujours de plus en plus bas, très mal à l’aise. Lucy, au passage, qui lui demande de faire attention à sa vie, et le remercie de l’avoir sauvée lors de l’incident de la belette de la veille, courageusement, contrairement à Dick qui s’est enfuit. Plus tard, nous retrouvons donc Andy en équilibre sur des rochers, dans la grotte du hibou. Au gag succède le mystère le plus total. Les notes basses d’Angelo Badalamenti créent une atmosphère absolument prenante, mystique. Ces sonorités basses, ralenties, sont d’ailleurs de plus en plus présentes depuis la saison 2 (presque absentes de la saison 1 beaucoup plus jazzy), jusqu’au film Fire walk with me qui en sera rempli, grâce à un travail sonore impressionnant (et qui mène, ensuite, aux films des années 2000 de Lynch dans cette même veine d’une tapisserie sonore angoissante). Dans la grotte du hibou, nos enquêteurs découvrent des pétroglyphes étranges, correspondant aux tatouages de Margaret et Briggs. En haut du symbole, un autre symbole : le feu. Soudain, un hibou apparaît dans la grotte, d’abord par un flash terrifiant, puis survolant réellement les personnages. Ces derniers tentent alors de le chasser, à coup de pioche, et la pioche d’Andy se retrouve alors coincée dans la roche. Mais encore une fois, un élément comique, ici la maladresse d’Andy, mène à un rebondissement plus sérieux : en retirant la pioche, une cavités secrète se révèle. A l’intérieur, un cylindre, sur lequel est gravé un nouveau symbole, qui pourrait ressembler à un hibou. Ce symbole réapparaîtra sur la bague visible dans Fire walk with me. Nous entrons décidemment dans un labyrinthe de signes ésotériques, aux portes d’un autre monde incompréhensible… Comme le dit Cooper dans cette scène : « Harry, je n’ai pas idée d’où tout cela nous mènera, mais j’ai le sentiment certain qu’il s’agira d’un endroit à la fois merveilleux et étrange ». Mais l’épisode ne se conclue pas tout à fait là. Annie est au Great Northern, seule au bar, cherchant à adopter une attitude « normale ». Cooper, lui, parle à Diane, la femme (imaginaire ?) de son dictaphone. Mais, pour la première fois, Cooper abandonne Diane en pleine phrase, pour s’approcher d’Annie. Les deux discutent autour d’un verre. Annie dit découvrir le monde. Cooper aimerait tant « voir par ses yeux ». Annie découvre maladroitement sa blessure au poignet, et Cooper demande si elle souhaite en parler. Elle ne peut pas encore le faire. Cooper se propose de « l’aider », d’une manière qui résonne comme une déclaration d’amour. Elle accepte. Une scène au romantisme total, qui fonctionne très bien. Si la légende dit que les scénaristes auraient initialement voulu faire finir Cooper et Audrey ensemble, le choix du nouveau personnage d’Annie fonctionne à merveille, notamment parce qu’Amber Heard est à la hauteur du rôle, et à la hauteur de Sherylin Fenn, dans un style tout à fait différent. Amber Heard en Annie a d’ailleurs une forme de pureté, d’innocence, qui sied à Cooper. Cette même pureté qui empêchait Cooper de toute façon de tomber amoureux d’Audrey, une amie de la jeune victime de son enquête ; puis, l’enquête de Laura Palmer résolue, les chemins d’Audrey et de Cooper se séparent. Il faudra une nouvelle venue, Annie, pour que Cooper devienne son guide dans Twin Peaks, comme s’il en était un habitant. A cette scène romantique succède la dernière, montrant Windom Earle, dans la grotte du hibou à la suite des enquêteurs (grâce à ses écoutes, probablement). Windom découvre un symbole resté inaperçu par les enquêteurs : le même symbole que sur le cylindre, mais retourné et au plafond de la grotte. Windom semble comprendre quelque chose en voyant le même symbole retourné… Le spectateur peut tout imaginer, et notamment l’existence d’un monde « retourné », une quatrième dimension qui serait le négatif du notre. Un monde sous-jacent, que Twin Peaks ne cesse de laisser entrapercevoir… Windom retourne alors le cylindre, pour faire correspondre les deux symboles. La grotte se met alors à trembler, du sable à couler, et l’épisode se termine sur cette vision chaotique et mystérieuse. Scénario : Mark Frost & Harley Peyton Réalisation : Jonathan Sanger Résumé : Pete et Catherine font face au casse-tête légué par Thomas Eckhardt. Annie et Cooper s’embrassent pour la première fois. Le concours de Miss Twin Peaks se prépare. Windom Earle tue un nouveau « pion ». Critique : Ce vingt-septième épisode de Twin Peaks, réalisé par Jonathan Sanger, producteur d’Elephant Man, est une belle réussite, menant progressivement vers une conclusion, sans précipiter les choses (beaucoup de scènes de « pauses » comiques dans cet épisode). La mise en scène de Sanger est de très bonne qualité, notamment dans l’introduction qui enchaîne trois saynètes, dont deux filmées en longs travellings, et reliées par des fondus enchaînés. L’épisode s’ouvre dans la Grotte du hibou, donnant l’impression de reprendre le fil de la nuit précédente. Mais, la première phrase prononcée par Andy, vient justement nous apprendre « qu’ici, on ne fait pas la différence entre la nuit et le jour ». Nous sommes donc le lendemain matin. Et nos enquêteurs découvrent alors que Windom Earle est passé par là. L’intérêt que porte Earle pour la Grotte du hibou inquiète Cooper. Comme résultat de son passage, un pétroglyphe nouveau est mystérieusement apparu sur la paroi de la caverne. Andy est chargé d’en garder la trace par un dessin. Un fondu enchaîné nous mène du visage de Cooper à celui de Windom Earle, qui raconte la légende de la White Lodge, un lieu vertueux, et de son reflet, la Black Lodge, un lieu maléfique. Earle souhaite accéder à la Black Lodge pour en tirer un pouvoir immense sur le monde (on retrouve là les ambitions d’un génie du mal typique des feuilletons à la Docteur Mabuse, Fantomas). Le plan se déplace, par un travelling à travers la cabane, de Windom à son public, Leo, mais aussi une tierce personne inconnue, une sorte de biker-hippie, probablement drogué, venu là en espérant se voir offrir une bière. La séquence nous mène jusqu’au pétroglyphe, reproduit par Windom sur l’écran d’un moniteur. Un nouveau fondu enchaîné nous mène à la scène suivante : un jeu d’échecs, chez les Martell, et Pete qui s’y entraîne. Un nouveau travelling circulaire révèle les lieux. Pete, lui, bredouille un poème sur Josie, éploré. Par des liens visuels (de Cooper à Windom, des dessins du pétroglyphe aux lignes de l’échiquier), nous sommes passés par trois lieux différents. Catherine surgit, et demande à Pete de cesser ses jérémiades, pour plutôt l’aider à ouvrir la boîte noire laissée par Thomas Eckhardt après sa mort. Pete se voit confié un second puzzle – il se retrouve, dans ces derniers épisodes, chargé de nombreuses missions, lui qui est ce bonhomme tranquille et attachant que l’on connaît depuis les premières images de l’épisode pilote. Personnage assez effacé derrière les intrigues de Josie et de Catherine dans les précédents épisodes, il se trouve enfin sur le devant de la scène à l’approche de la conclusion (il fait même partie du jury de Miss Twin Peaks !). Une manière de se recentrer sur l’âme de Twin Peaks, après la tentative malheureuse d’une surabondance de nouveaux personnages au milieu de la saison 2 (épisodes Nicky-Evelyn-Lana). Au Double R, nous retrouvons Shelly et Bobby, qui voit dans le concours Miss Twin Peaks une nouvelle grande idée pour devenir riche. Il force Shelly à s’y inscrire. Plus loin dans le café, c’est Lana qui soudoie son nouveau mari le marie Dwayne, à la faire gagner le concours en tant que membre du jury. Ces petites scènes comiques autour de Miss Twin Peaks ont un intérêt relevé et teinté d’angoisse par le fait que nous savons, nous spectateurs, que la gagnante sera tuée par Windom… Cooper entre alors dans le café, et demande à Annie une quantité massive de donuts pour ses hommes qui reviennent de la Grotte. Il invite ensuite Annie pour une promenade dans la nature l’après-midi même. Enfin, cherchant sa monnaie, il entend Shelly réciter machinalement le poème anonyme qu’elle a reçu récemment. Cooper l’interroge aussitôt, et découvre que poème a été déchiré en trois parties, envoyées à Shelly, Donna, et Audrey. La scène suivante montre Cooper récupérant les morceaux du poème – pas celui d’Audrey, qui est à Seattle comme l’annonce Hawk de retour avec le morceau de Donna, ce qui montre au passage ce sens parfait de la continuité qui régit Twin Peaks et qui donne cette impression d’immersion. Cooper reconnaît le poème : c’est lui qui l’avait envoyé à Caroline, avant qu’elle ne meurt assassinée par Windom. Cooper découvre également que le poème a été transcrit sous ordre de Windom par Leo Johnson, dont il reconnaît l’écriture. Plus loin dans le commissariat, Andy dessine les pétroglyphes sur le tableau à la craie. Le Major Briggs est là. Il dit avoir rêvé de ce pétroglyphe, ou de l’avoir vu dans son passé. Un flash nous remontre l’homme au capuchon (apparu lors de sa disparition dans les bois), puis des images de l’espace, et d’un hibou. La scène s’interrompt pour retrouver, au Great Northern, Dick Treymane, par un travelling fort cocasse depuis son nez ! Un nez blessé, par l’incident de la belette (qui a eu lieu deux épisodes plus tôt). Une saynète comique montre Dick soudoyant Ben Horne, qui ne se souvient pas de son nom alors qu’il est son employé. Dick finit par menacer d’appeler son avocat s’il n’a pas de compensations pour cet incident. Ben Horne commence à regretter sa gentillesse, avant de croquer dans sa carotte – nouvel ustensile, qui en fait un nouveau « freaks » de Twin Peaks (Margaret et sa bûche, Nadine et son bandeau, Ben et ses carottes ?). Dans les bois, Windom construit un édifice en forme de pion d’échecs, dans lequel il place le biker, heureux de se voir couvert de bière par Leo. Mais Windom n’a pas en vu un simple jeu d’alcoolique. Après avoir donné un coup de jus à Leo, qui lui tend une arbalète, Windom assassine l’inconnu d’un coup de fléchette (fléchette que nous avons vu façonnée par Leo un épisode auparavant, toujours ce sentiment de continuité bien entretenu par des petits détails). Toujours dans une alternance de scènes sombres et de scènes légères, nous passons alors à la préparation de Miss Twin Peaks. Le comité est composé de Pete Martell, Will Hayward et de Dwayne, le Maire croulant. Ben Horne tente d’imposer un nouveau thème, par un discours inspiré : la sauvegarde de leur forêt. Plus loin, Shelly se prépare à candidater, stressée. Bobby la rassure (pas vraiment), en lui disant qu’il lui écrira son discours… Entre Nadine, qui se présente au concours – toujours persuadée d’avoir 17 ans ! Bobby retrouve alors Mike, qu’il n’a pas côtoyé, si je ne m’abuse, depuis l’épisode Drive with a dead girl, treize jours auparavant s’il on se fie à la chronologie quotidienne de la série et au saut de trois jours après la mort de Leland. Bref, Bobby prend des nouvelles de son ami, et surtout veut en savoir plus sur cette idylle avec une « vieille ». Mike, sûr de lui, répète que « ce n’est pas ce que tu crois ». Bobby insiste, et Mike lui demande s’il peut « s’imaginer ce que donne une parfaite maturité sexuelle conjuguée avec une force surhumaine ? ». Il chuchote alors à l’oreille de Bobby ce qui semble être un récit salace, et Bobby hurle un WOW qui fait sursauter tout le hall. Chez les Martell, Truman rend visite à Catherine pour en savoir plus sur Josie. L’épisode consacre beaucoup de temps à ces petits dialogues, mises au point ou échanges tendres, plutôt que de faire à tout prix avancer l’intrigue – ce qui n’en fait pas un épisode mémorable, mais en tout cas touchant. Catherine parle alors avec sincérité de Josie. Au-delà de leurs différents (Catherine protégeant son territoire), elle trouve qu’il était « difficile de la détester ». Selon Catherine, de par ses origines sociales, Josie avait dû apprendre qu’il fallait montrer ce que les gens voulaient voir d’elle. On ne savait jamais où était la vérité avec elle. Un témoignage terriblement juste sur ce personnage troublant, toujours placide, toujours inatteignable. « Elle était tellement belle », dit Truman, ce qui coïncide avec cette idée d’une beauté lisse sur laquelle on ne peut lire la vérité. Cette remarque, maladroite, laisse un sourire amer sur le visage de Catherine. Pete surgit alors, et tous trois tentent d’ouvrir la fameuse boîte noire. Pete la fait tomber par erreur, ce qui finit par l’ouvrir. Et, dans la boîte, une autre boîte ! Celle-ci est couverte de symboles étranges, dans un cercle, avec différentes lunes. Des motifs mystiques, encore, qui renvoient aux pétroglyphes et autres tatouages qui ponctuent la série depuis quelques épisodes. Au lac, nous retrouvons ensuite Dale Cooper et Annie Blackburn, pour une excursion en barque. L’image est splendide, les couleurs magnifiques. La beauté fragile d’Amber Heard resplendit. Cooper parvient à la faire se confier un peu, même si elle dit ne pas vouloir parler de son passé. Elle laisse échapper qu’un garçon a causé ses malheurs, sa retraite dans un couvent et sa tentative de suicide. Cooper, en caressant doucement la blessure d’Annie au poignet, dit que lui aussi, un amour lui a donné envie de disparaître. Ils finissent par s’embrasser. A la musique émouvante d’Angelo Badalamenti succèdent soudain des nappes inquiétantes ; deux fondus enchaînés nous éloignent d’eux. Nous découvrons qu’ils sont observés aux jumelles par Windom Earle… Les treize dernières minutes de l’épisode se consacrent essentiellement à des scènes de dialogues, comiques, tendres, ou dramatiques. Au Double R, Cooper, Annie, Gordon et Shelly sont attablés autour d’une grande quantité de tartes aux cerises. Gordon Cole s’adresse à Shelly : « Shelly, je vais devoir partir de Twin Peaks, et je ne sais pas pour combien de temps… ». C’est aussi, on le ressent, David Lynch qui parle à Mädchen Amick, à l’approche de la fin de la série. « Et si je ne vous embrasse pas, je le regretterai toute ma vie ». Gordon embrasse alors Shelly, qui accepte, charmée par la gentillesse du personnage. Bobby surgit alors et casse le charme, furieux. Mais Gordon (hilarant David Lynch dans son rôle culte), le surprend par le niveau sonore de sa voix : « Vous êtes témoin d’un aperçu de trois-quarts de deux adultes partageant un moment de tendresse. Et ça va recommencer ! ». Gordon embrasse alors Shelly une seconde fois. Parallèlement, au Great Northern, Dick donne un cours d’œnologie en faveur de la campagne STOP GHOSTWOOD. Lana parvient à détecter un goût de banane dans le vin rouge, ce qui ravit Dick énamouré. Andy trouve aussi un parfum de chocolat. Lucy, jalouse, s’exclame : « pourquoi ne pas manger directement un banana split ? ». Plus loin, au coin d’une cheminée, Cooper et Wheeler ont une discussion sur l’amour. Face aux flammes, d’un rouge vif, Wheeler laisse entendre que l’amour, c’est l’enfer. Pour Cooper, l’amour, c’est le paradis. Leur échange est interrompu par un télégramme pour Wheeler, qui causera son départ de la ville dans l’épisode suivant. Enfin, une dernière scène d’échange nous montre les Hayward à l’heure du dîner. L’ambiance est toute autre. Donna questionne sa mère sur Ben Horne. Terriblement gênée, elle tente de mentir à l’aide de Will. Dégoûtée par ses parents, Donna déclare qu’elle s’est inscrite à Miss Twin Peaks : si elle gagne, l’argent lui permettra de quitter la ville et ses parents, pour étudier à l’étranger. Ainsi, les intrigues se recoupent, comme une fatalité, et Donna, poussée par son dégoût de sa bourgade, s’inscrit au concours qui lui fait risquer la mort… Un mort, c’est justement ce que révèle la dernière scène. Cooper retourne à la tonnelle près du lac, où il a passé l’après-midi avec Annie. Une immense boîte en bois y trône, avec une poignée et une inscription « tirez-moi ». Truman, Andy et Hawk l’attendent. Truman espère qu’il ne s’agit pas d’une bombe. Tout le monde s’éloigne, et Cooper ouvre la boîte à distance. A l’intérieur, le cadavre du hippie-biker, dans une pièce d’échec peinte en noir, et un mot : « la prochaine fois, ce sera quelqu’un que vous connaissez ». Anecdotes :
20. THE PATH TO THE BLACK LODGE Scénario : Robert Engels & Harley Peyton Réalisation : Stephen Gyllenhaal Résumé : A Twin Peaks, un mal étrange et passager semble saisir plusieurs habitants au bras. Windom Earle découvre le secret de l’accès à la Black Lodge. Cooper revoit le Géant qui cherche à l’avertir d’un mal prochain… Critique : Nous voici dans un nouveau « pique » de Twin Peaks. Après le premier rêve de Cooper, le final de la saison 1, l’apparition du Géant au début de la saison 2, la révélation et la mort de Maddy, et la mort de Leland, voici un nouveau climax en trois épisodes : l’accès à la Black Lodge, et le retour de Bob, l’esprit maléfique… Stephen Gyllenhaal, à la réalisation de cet épisode, effectue un travail splendide, vraiment à la hauteur d’un épisode de David Lynch. Dommage que ce réalisateur ne soit apparu qu’une seule fois aux commandes d’un épisode de Twin Peaks ! L’épisode doit aussi beaucoup aux atmosphères terrifiantes créées par la musique d’Angelo Badalamenti, qui nous envahissent en même temps que Bob semble être de retour… L’épisode reprend là où le précédent nous avait laissé, sur la découverte du cadavre au kiosque près du lac. Une équipe tente de faire basculer le pion d’échec géant, donnant à cet instant macabre une touche de comique involontaire. De même, tandis qu’un ami de la victime témoigne, Andy pleure à chaudes larmes derrière lui. Ce retour des larmes d’Andy est l’un des nombreux éléments qui rappelle l’épisode pilote dans cet épisode, comme si nous remontions dans le temps, comme si un nouveau cycle de meurtre recommençait… L’instant est grave, et nous le ressentons, d’une part grâce à une échéance proche : le concours de Miss Twin Peaks a lieu dans 24 heures. Donc, dans un épisode. Comme l’incendie de la scierie dans la saison 1, le concours de Miss Twin Peaks sert d’épée de Damoclès, de rappel d’un événement dramatique en préparation. Et comme la série reste fidèle à son principe du « 1 épisode = 24 heures », le spectateur voit s’approcher le moment fatidique. Or, toutes les femmes de Twin Peaks semblent s’y inscrire, une à une, fatalement. Au début de l’épisode, Lucy raconte à Andy qu’elle choisira le père de son enfant à cette occasion, dans 24 heures. Et elle s’inscrira au concours, en espérant gagner la somme d’argent remise à la Miss, pour élever son bébé avec le père de son choix. Les scénaristes de la série ont, avec grande perversité, retourné le whodunit initial du « qui a tué Laura Palmer ? » en « qui va être la Miss Twin Peaks assassinée ? ». Cette idée de la Miss Twin Peaks future victime est aussi géniale en cela que Laura Palmer était, initialement, la véritable « Miss Twin Peaks », celle dont tout le village parlait. En devenant à son tour la Miss Twin Peaks, une femme va rejoindre le sort funeste de Laura… Au grenier chez les Hayward, Donna fouille dans les archives familiales. Elle découvre son acte de naissance, sur lequel son père n’est pas mentionné, et des photos de famille où Ben apparaît. Elle est interrompue par sa mère, qui, de l’étage inférieur, lui dit qu’elle est convoquée au commissariat. Cette convocation au commissariat va être répétée, comme une alerte, à Audrey et Shelly également. Au commissariat, Garland Briggs a travaillé toute la nuit pour aider Cooper et Truman. Il a retrouvé des archives sur Windom Earle à l’époque où il travaillait avec lui sur le projet Blue Book (projet réel de l’Air force lié aux ovnis), et leur explique qu’il était le meilleur d’entre eux, avant de devenir obsessionnel et destructif, dès lors que le projet s’est tourné vers la forêt de Twin Peaks… Une vidéo d’archive montre Windom dément, parler de la Black Lodge et de ses pouvoirs. Il parle de sorciers, de « dugpas » (synonymes de sorciers au Tibets, des « adeptes de la voie de la main gauche », c’est à dire adeptes du Mal). Cooper comprend alors que Windom ne cherche pas à l’atteindre, mais à atteindre la Lodge, et que ses crimes ne sont qu’une couverture. Windom, lui, écoute toujours leurs propos depuis sa cabane, grâce au micro dans le bonzaï. Au Double R, un plan sur une habitante de Twin Peaks (que l’on ne connaît pas), nous la montre soudain terrifiée de voir son bras droit trembler. Une courte musique de violons angoissants retentit… Plus loin, Shelly et Bobby discutent. Bobby lui exprime son regret de l’avoir délaissée, pris par son ambition, et déclare vouloir passer sa vie avec elle. Le baiser échanger entre Shelly et Gordon Cole a été un déclic : Bobby aime Shelly, pour la vie. Leur échange est interrompu par un coup de téléphone, Shelly étant convoquée au commissariat à son tour. Cooper réunit donc Audrey, Shelly et Donna au commissariat. Un très beau travelling passe sur les visages des trois femmes, chacune racontant qu’elles ont vue un homme étrange dans la semaine. Le même, Windom Earle. Cooper leur annonce qu’elles sont en danger. Au même moment, dans la forêt, Leo comprend que Shelly est danger, en contemplant sa photo parmi les victimes ciblées par Earle. Une touche d’humanité qui surgit en Leo, devenu une sorte d’animal pourtant, et d’autant plus touchante. Malgré tout le mal qu’il lui a fait, Leo aimait vraiment Shelly. Il prononce son prénom « Shelly », difficilement, et tente de se rebeller contre son tortionnaire. Mais, le cerveau toujours endommagé, il ne réfléchit pas et pense électrocuter Earle quand il s’électrocute lui-même, ce qui provoque l’hilarité de Earle. La mise en scène de Gyllenhaal est de toute beauté. Il créé un ballet de chassés-croisés dans cet épisode, une suite de montages alternés, qui viennent créer un sentiment d’urgence, de suspense qui monte crescendo. Le réalisateur fait preuve d’un sens ingénieux des travellings également, dans de multiples scènes. Au Great Northern, un travelling nous montre Audrey de retour, croiser Pete Martell puis disparaître, puis Wheeler sortir de l’ascenseur. Dans un même plan, à quelques secondes près, les personnages se ratent. On retrouve alors Ben Horne, en consultation avec le Dr Hayward, qui le supplie de ne pas révéler leur secret. Mais Ben est dans une quête de rédemption et de vérité que rien n’arrête. Hayward le croit sincère, mais cette « bonté est une bombe à retardement ». L’idée de bombe à retardement est très présente dans ces derniers épisodes (la boîte reçue par Catherine contient-elle une bombe, comme elle se le demande au départ ? la boîte sur la tonnelle près du lac contient-elle une bombe, se demandait Truman ?). Quelque chose VA exploser, on le sent. Audrey rejoint ensuite son père dans son bureau, et ce dernier se lance dans un nouveau discours inspiré, exprimant son désir de voir sa fille porte-parole de la protection de la planète en Miss Twin Peaks. Audrey pouffe, nie : mais le suspense mis en place nous fait sentir qu’elle va s’inscrire, qu’une fatalité est en route. On frissonne pour tous ces personnages féminins de Twin Peaks qu’on aime temps. Finalement, Ben dit à Audrey que Wheeler quitte la ville. Audrey s’enfuit aussitôt. Audrey partie, un plan montre Ben seul dans son bureau. Soudain, les violons retentissent, et il se retourne brutalement vers sa cheminée. Qu’a-t-il vu ? Nous ne le saurons jamais. Bob ? Le fantôme de Josie ? Audrey, elle, retourne dans le hall, où elle recroise Pete, et à qui elle demande de lui servir de chauffeur pour rattraper Wheeler. Une course contre la montre qui va rythmer l’épisode et lui donner son sens de l’urgence. Une urgence contrebalancée par les fameux temps-morts de la série, temps-morts lynchiens (le Maire et son micro, plus tard). Un autre superbe travelling nous mène, en s’élargissant, du tableau où les pétroglyphes sont dessinés à la craie, à Truman et Cooper. Ce dernier pense soudainement à Annie, rêveur, passant du sérieux de l’enquête à un sentiment de joie enfantine qui l’envahit. Une forme de faiblesse, dont il se rend compte, mais qu’il ne peut stopper. Truman, à ces mots sur le pouvoir de l’amour, se décompose – une expression suffit pour que le spectateur comprenne qu’il pense toujours à Josie. C’est à cet instant que Cooper est pris du mal dans le bras à son tour, toujours avec cette même musique aux violons. Leitmotiv absolument terrifiant de l’épisode. On se rappelle du Manchot, de son bras coupé pour combattre BOB. Et, dans Fire walk with me, le Nain dira « je suis le bras ». Le major Briggs, lui, se dégourdit les jambes dans la forêt. Il est soudain pris d’une douleur, sur ses marques dans le cou… Apparaît alors un étonnant cheval, en réalité Windom et Leo dans un costume de cheval. Le cheval parle à Briggs, puis sort un pistolet, et tire une fléchette. Terrifié, n’ayant pas eu le temps de réagir, Briggs s’effondre. Au même moment, au Double R, les marques laissées par une tarte aux cerises ressemblent à du sang… Cooper et Annie discutent, et dans cette discussion amoureuse, Cooper propose comme une blague à Annie de se présenter au concours de Miss Twin Peaks. Ce serait une bonne manière de « passer de l’autre côté ». Cooper veut dire par là, se sociabiliser. Mais ses paroles sont comme une funeste prémonition. Et tout ce dialogue tendre se voit marqué par un travelling arrière, qui, inexorablement, s’éloigne des deux personnages. En même, temps la musique country du restaurant se voit couverte par les basses terrifiantes d’Angelo Badalamenti. Cooper embrasse Annie, quand un bruit de verre éclate : en s’embrassant, ils ont renversé un plateau, et la vaisselle s’est brisée. Un dernier plan montre le café s’écouler, au ralenti. Les cerises comme du sang, la vaisselle brisée, le café qui s’écoule lui aussi comme une blessure… autant de signes hyper visibles d’un malheur proche, qui enserrent le cœur du spectateur. Après la déclaration d’amour de Bobby à Shelly (et quelque part, celle de Leo, pris au piège de Windom), c’est Audrey qui déclare sa flamme à Wheeler. Elle arrive juste à temps à l’aéroport. Là, Audrey lui déclare tout de go « je suis vierge ». Elle va droit au but : elle veut faire l’amour avec lui. Stupéfait, Wheeler l’accueille dans son jet. Ce moment saugrenu vient en fait conclure le profil d’un personnage que l’on connaît depuis le début de la série, et dont le comportement d’aguicheuse sûre d’elle cachait un désir bouillonnant. Audrey va enfin éteindre ce « feu » qui la brûle depuis le début de la série. Pete, lui, observe cela de loin, la larme à l’œil. Mais, soudain, son bras se met à trembler lui aussi… Dans la forêt, Earle interroge Garland, transformé en cible humaine de tirs d’arbalète. Fidèle à sa formation de militaire, Garland résiste. Mais Earle lui injecte un sérum, qui le plonge dans un état second. Briggs révèle ce qu’il sait du pétroglyphe, et de sa signification : « il y a un moment où Jupiter et Saturne s’alignent, alors ils vous accueillent ». Garland prononce alors des paroles à l’envers, comme possédé (en réalité, il prononce à l’envers : « le chewing gum que vous aimez va revenir à la mode », la phrase prononcée par le nain à Cooper dans son rêve). Autre code à décoder, chez les Martell, Catherine et Andrew s’évertuent à ouvrir la deuxième boîte. En touchant à certains endroits les symboles, en suivant des dates importantes (naissance de Eckhardt, naissance d’Andrew), la boîte s’ouvre. Mais, à l’intérieur, une troisième boîte ! Celle-ci, Andrew la casse simplement en mille morceaux. Finalement, à l’intérieur, le contenu se révèle : un gros morceau de métal. Pour l’instant, on en saura pas plus, car la scène se coupe sur l’air ravi de Catherine et Andrew face à ce morceau de métal. En plus de la course d’Audrey, en parallèle, nous avons vu le décor de l’élection de Miss Twin Peaks s’installer par plusieurs saynètes au cours de l’épisode. Finalement, Cooper et Annie s’y rendent. Là, ils dansent un slow, et s’embrassent passionnément. Annie lui dit se sentir en sécurité dans ses bras. Elle s’est décidée à s’inscrire au concours de Miss Twin Peaks. A côté d’eux, sur scène, le Maire tente un discours mais lutte contre le micro qui ne fonctionne pas. Exactement comme dans le pilote de la série, et, encore une fois, on se dit que l’histoire va se répéter… En effet, après quelques gags à la Lynch sur le Maire et son micro, celui-ci disparaît, et le Géant apparaît. Il fait de grands signes de bras à Cooper, semblant prononcer : « Non ». Nous passons à l’aéroport, où Pete est réveillé par l’envol de l’avion. Audrey le rejoint. Pete la rassure : « il va revenir, il vous l’a promis ». Audrey, triste, répond « il m’avait aussi promis de m’emmener à la pêche, il ne l’a pas fait. L’amour ça craint. ». Pete s’exclame « à la pêche ? », avant de décider d’emmener la petite Audrey lui-même à son sport favori. Dans les bois, Leo est en crise, Garland mal en point, et Windom, comme un fou, semble avoir toutes les clefs pour pénétrer la Black Lodge. Il comprend que le pétroglyphe est une horloge, et en même temps une carte, à mettre en superposition avec la carte de Twin Peaks pour trouver l’entrée. Nous retrouvons à nouveau le Géant, qui disparaît. La musique du slow reprend. Cooper, aveuglé par son amour, ne semble pas prendre en compte l’avertissement du Géant. La scène se coupe là, juste après ces mots du Maire (à propos du micro, mais, en fait, à prendre au sens large) : « something is wrong ». L’épisode se conclue par une dernière séquence sidérante, montrant des lieux vides dans la ville, le Double R, les couloirs du lycée, jusqu’à la forêt, et, dans cette forêt, ce qui semble être la Porte de la Black Lodge. Une forme de petite mare d’un liquide noir dans un cercle, au milieu d’un cercle d’arbres. Une lumière fantastique apparaît, puis un bras. Le bras de BOB. Puis, BOB apparaît entièrement. Il est de retour dans la ville. La caméra descend sur la petite mare noire, et, à l’intérieur, les rideaux rouges apparaissent. Le thème du Nain (l’homme venu d’ailleurs), au saxophone, se fait entendre au loin… Un final bluffant, qui annonce un final hallucinant Anecdotes :
Scénario : Barry Pullman Réalisation : Tim Hunter Résumé : Briggs s’échappe de la cabane de Windom à l’aide de Leo qui lui demande de sauver Shelly. Le concours de Miss Twin Peaks se prépare, tandis qu’Andy, Truman et Cooper, décodent peu à peu le pétroglyphe. Critique : Tim Hunter, réalisateur de l’épisode The One-armed man de la saison 1 et Arbitrary Law dans la saison 2 (la mort de Leland), se voit confié cet avant-dernier épisode de la série, Miss Twin Peaks. Au scénario Barry Pullman, scénariste de quatre épisodes en tout dans la saison 2. Eux deux, et supposément Lynch à en voir le résultat, concoctent cet épisode qui sert de prologue au final réalisé par Lynch lui-même. Un épisode presque aussi mémorable que ce final. L’épisode nous ramène à la cabane de Windom, où Leo aide le Major Briggs à s’enfuir, pour « sauver Shelly ». Une dernière image très touchante de Leo, qui contemple la photo de sa bien-aimée, prisonnier. Un fondu au noir, puis nous sommes à nouveau dans le cabanon. Windom réapparaît, furieux de voir Briggs disparu. Il s’en prend à Leo. En lui parlant, Windom affiche un visage blanchâtre, et une bouche noire (un peu comme un maquillage de clown d’une pièce de Robert Wilson). Que signifie cette image ? Windom est-il déjà allé dans la Lodge ? On ne le saura sûrement jamais. Un autre fondu au noir nous ramène dans la ville. Norma apporte, au Double R, les tartes concoctées pour le concours de Miss Twin Peaks. Un concours qui fera du bien, « surtout cette année ». Elle pense, en disant cela, à Laura Palmer. Laura, figure qui fait son retour dans ces derniers épisodes, comme un retour dans le temps. Qui sera la Reine cette fois ? Reine de la ville, et victime à la fois ? Norma est dans le jury. Votera-t-elle pour sa serveuse Shelly, ou sa sœur Annie ? Audrey, elle, n’a pas du tout envie d’être « la Reine de la ville ». Elle le dit à son père, au coin du feu dans son bureau. Elle est toujours triste depuis le départ de son amoureux. Ben, lui, se plonge dans la lecture de toutes les philosophies orientales. Il lui dit que toutes les réponses doivent s’y trouver – et peut-être est-ce là un indice pour le spectateur, lancé par Lynch, qui voudrait trouver des réponses à Twin Peaks. La philosophie Tibétaine et les croyances mystiques orientales semblent en effet la réponse à nombre de mystères de la série. Au commissariat, Andy ne quitte plus des yeux le pétroglyphe. Cooper reparle de Josie à Truman : quand elle est morte, elle tremblait de peur, comme un animal, et selon lui, elle est morte de cette peur. C’est alors que BOB est apparu aux yeux de Cooper, comme assoiffé par cette peur, comme s’il s’en nourrissait. Cooper pense que BOB vient de cette fameuse Black Lodge, et il faut absolument la trouver avant Windom. Mais ce dernier écoute tout grâce à son micro caché dans le bonzaï. Grâce aux réflexions de Cooper, il a toutes les réponses. Il crie « Eureka », comprenant que la peur est la clé d’entrée dans la Black Lodge. « Ces créatures de nos cauchemars apparaissent quand nous avons peurs ». Earle quitte définitivement les lieux, prêt à affronter sa quête, laissant seul Leo, retenu par la bouche à un nid de mygales. Dans cette myriade de scènes à décoder, cet épisode nous montre Dale Cooper et Annie Blackburn céder à leur passion, et faire l’amour pour la première fois. Cooper quitte sa posture d’observateur « pur », pour devenir un personnage de chair et de sang. C’est aussi Dale qui va écrire le discours d’Annie – peu inspirée par Miss Twin Peaks – et c’est ce discours qui fera élire Annie… Comme si Cooper, en choisissant Annie, la tuait. Exactement comme Caroline, l’autre femme de sa vie, dont il était tombé amoureux, provoquant son assassinat indirectement. Dans la forêt, le Major Briggs déambule, dans un état second, quand Hawk le croise en voiture et vient à son secours. Au commissariat, Cooper et Truman tentent de l’interroger, mais il tient des propos incohérents. A l’écoute de son nom, il dit « Garland ? Quel drôle de nom. Judy Garland ? ». Est-il si incohérent, ou bien pris de visions ? Car Judy est un prénom important dans Fire walk with me. Or, juste après, il prononce cette phrase, « Fire walk with me ». Chez les Martell, Catherine abandonne la quête de la boîte. N’est-ce qu’une boîte dans une boîte dans une boîte ? Cette boîte devient métaphorique de la série, et du cinéma de Lynch : il y a toujours un mystère qui reste insoluble dans ses films. Une autre boîte, bleue, et sa clé, sont un mystère indéchiffrable dans Mulholland Dr. Mais Andrew parvient finalement à casser le bloc de métal, à coups de revolver. A l’intérieur, il y trouve une clé… Parallèlement, Andy semble avoir découvert la clé, lui aussi, celle du pétroglyphe. Il ne cesse d’appeler « Agent Cooper ! », en vain. Car celui-ci est trop concentré à décoder le sens des paroles insensées de Briggs. D’une part, Briggs déclare « la peur et l’amour ouvrent la porte ». Pour Cooper, cela signifie qu’il y a deux endroits, la White Lodge à laquelle on accède par l’amour, et la Black Lodge par la peur. Puis, Briggs dit « protégez la Reine ». Soudain, Cooper saisit que l’élue de Miss Twin Peaks sera prise par Windom. Pendant tout ce temps, Andy continue d’appeler Cooper, mais se fait rabrouer par le Shérif. Maladroitement, Andy fait tomber le bonzaï et le brise. D’abord sermonné, il est finalement remercié : à l’intérieur, le micro de Windom leur révèle que ce dernier a tout entendu, et qu’il a donc un grand temps d’avance sur eux. Finalement, Cooper et Truman se précipitent au concours de Miss Twin Peaks pour le sécuriser, sans écouter la révélation d’Andy. Au concours de Miss Twin Peaks, les scènes de danse s’enchaînent, créant un contrepoint horrible à la menace dramatique qui pèse sur l’événement, à la façon d’une scène à suspense d’un film d’Hitchcock. Bobby, qui observe depuis les coulisses, a un regard moqueur sur la Dame à la Bûche, au bar. Il tourne la tête, et voit la même Dame à la Bûche derrière lui, en coulisses – en fait Windom Earle. Il tourne la tête à nouveau : au bar plus personne. Intrigué, il se dirige vers le double de la Dame à la Bûche et lui dit « vous êtes venue en famille ? », avant de se faire assommer par Windom. On sent que les événements s’enchaînent, et vont vers le pire. Windom accède aux coulisses, et observe la cérémonie. Lucy, sur scène, exécute un numéro de danse totalement inattendue qui se conclue par un grand écart (son interprète Kimmy Robertson a une formation de danseuse). Andy arrive ensuite, toujours à répéter « Agent Cooper ! ». Mais, sur scène, la danse de Lana l’ensorcelle et l’arrête dans son élan. Le comique burlesque vient interrompre la course des événements, comme souvent dans la série. En coulisses, Donna interroge Ben Horne. Ce dernier commence à avouer la vérité, difficilement « ta mère, et moi… ». Mais Donna l’interrompt : « vous êtes mon père », et part, effondrée, avant qu’il n’ait pu répondre. Sur scène, Annie fait son discours – celui écrit par Dale. Les nappes sombres de Badalamenti surgissent en arrière-fond… indiquant, qu’à tous les coups, elle sera la victime de Windom. Celui-ci, justement, est montré qui écoute le discours depuis le haut des coulisses. Lucy, elle, réunit Andy et Dick pour annoncer qui sera le père de son enfant. « Peu importe le vrai père, je choisis Andy ». Dick est content d’être débarrassé de ce fardeau et s’en va. Andy, lui, est honoré, prouvant l’amour sans borne qu’il porte à Lucy. Néanmoins, pour l’instant, il doit « trouver l’agent Cooper », et abandonne à son tour Lucy, qui marmonne « les hommes… ». Finalement, l’élection désigne Annie. Un travelling avant l’isole de toutes les autres candidates (façon Hitchcock, encore, qui isolait l’assassin dans un groupe de jazz dans Jeune et innocent par un travelling de la sorte). Dernier contrepoint comique avant le drame, Dwayne s’indigne « elle n’est à Twin Peaks que depuis quinze minutes ! ». Soudain, les lumières s’éteignent. Des flashs stroboscopiques apparaissent. Flashs peut-être peu crédibles, mais qui donnent une tension à la scène insupportable – digne, vraiment, d’un film de David Lynch. Nous sommes immergés dans ce chaos, de flashs, et de fumées. Tout le monde hurle, court dans tous les sens. Nadine reçoit une masse sur la tête et tombe, assommée. Annie se voit aidée par le Dr Hayward. Cooper voit Windom. Ils se font face. Mais Windom fait sauter un explosif entre eux pour disparaître, comme un magicien. Il kidnappe alors Annie à l’aide d’un chloroforme, et le cri de la jeune femme résonne dans la nuit. Les lumières reviennent, après cette scène intense. Cooper déclare à Truman que Windom a pris Annie. Andy peut enfin s’adresser à l’agent du FBI : « Le pétroglyphe, c’est une carte ! ». Anecdotes :
Scénario : Mark Frost, Harley Peyton & Robert Engels Réalisation : David Lynch Résumé : Cooper part à la recherche d’Annie, dans l’autre monde, par un accès situé dans la forêt de Ghostwood… Critique : Et voici le dernier épisode de la série Twin Peaks. Un chef d’œuvre au sein d’une série elle-même géniale. Ces 50 minutes sont peut-être l’un des meilleurs morceaux de cinéma livrés par Lynch. Le scénario initial, écrit par Frost, Peyton et Engels, disponible à la lecture sur internet, fut totalement réécrit au tournage par Lynch qui n’est pourtant pas crédité comme scénariste. Mais les séquences dans la Black Lodge et la White Lodge sont entièrement nées de son imagination. Et grâce à ces séquences, la série laisse une marque indélébile dans nos souvenirs. L’épisode s’ouvre au commissariat, dans la nuit, avec Andy et Lucy collés l’un à l’autre, terrifiés à l’idée qu’il aurait pu arriver quelque chose à l’un d’entre eux. Dans la salle de conférence, Cooper, Truman et Hawk déchiffrent le pétroglyphe. Le nain, le géant, y sont dessinés. Le feu, également. Cooper répète avec obsession : « fire walk with me, fire walk with me » (comme pour nous mener vers le film préquel à venir). Pete surgit dans le bureau, accusant la Dame à la Bûche d’avoir volée sa camionnette. Impossible, lui dit Cooper : la Dame à la Bûche va arriver d’une minute à l’autre. Elle entre en effet, laissant Pete perplexe. Margaret vient remettre à Cooper un flacon d’huile. Cette huile noire, son mari lui avait laissé avant de mourir dans l’incendie. Une huile « qui ouvre une porte », lui avait-il dit. Cooper et Truman la sentent : une odeur de brûlé, comme celle dont avait parlé Jacoby. Ronette est convoquée, et sent cette huile : elle est terrifiée. Cette huile, elle en a senti l’odeur lors de la mort de Laura. Tous les éléments du pilote sont convoqués, pour créer une boucle entre le début et la fin de Twin Peaks (retour de Ronette, de Sarah, et même de Laura elle-même…). Truman, lui, finit par reconnaître un élément du pétroglyphe : les 12 sycomores. Un lieu, dans la forêt de Ghostwood, un cercle de sycomores, s’appelle Glastonbury Grove. Hawk confirme, c’est là qu’il a trouvé la serviette ensanglantée et les pages du journal de Laura, après la découverte de son cadavre. C’est donc à Glastonbury Grove, le cercle des 12 sycomores, que se rend Windom Earle. Annie, courageuse, lui dit qu’il n’a qu’à la tuer maintenant, mais Windom préfère « contempler sa peur ». Il la mène dans la forêt, éclairé d’une lampe torche, tandis qu’elle prie. Ces scènes dans les bois, la nuit, sont absolument angoissantes, grâce à la mise en scène de Lynch, la photographie du grand Frank Byers, et de la musique du génial Angelo Badalamenti (les compositions pour cet épisode sont absolument terrifiantes). Windom Earle, face à la porte, dit « ils ne sont pas morts ! », puis entre avec Annie, totalement hypnotisée, derrière les rideaux rouges qui apparaissent puis disparaissent derrière eux. Chez Ed, Nadine sort de son délire, probablement à la suite du choc. Mike lui dit qu’il l’aime, mais elle lui demande qui il est. Elle se met à pleurer, à demander à Ed de l’aide, et ce que fait Norma ici. « Où sont mes rails à rideaux ?! ». Ed lui demande quel âge elle pense avoir, et elle répond trente-cinq. Il semble que Norma et Ed ne soient pas prêts de pouvoir se marier… La scène se conclue par une réplique de Mike « désolé, Ed, j’ai laissé les choses aller un peu loin ». Chez les Hayward, Donna prend ses affaires pour partir. Ben et Eileen tentent de la retenir. Ben dit que tout est de sa faute. Will Hayward surgit, et Donna, redevenue une petite fille, se blottit contre son père en criant « tu es mon père, tu es mon père ». Même Sylvia, la femme de Ben, apparaît – elle que l’on n’a jamais revue depuis le pilote. Va-t-elle faire la lumière sur tout ce mystère ? Elle a le temps de dire à son mari « qu’es-tu en train de faire à cette famille ? », avant que Will, furieux, ne pousse violemment Ben Horne, dont le front tape la cheminée. La dernière image que nous aurons de Ben est celle d’un homme au crâne fracassé. Dans la forêt, Cooper et Truman arrivent vers la camionnette de Earle. Cooper demande à Truman de le laisser : « je dois y aller seul ». Il s’avance jusqu’aux sycomores. Un hibou hulule. Le suivant à distance, Truman voit Cooper disparaître derrière les rideaux, pétrifié. Nous entrons alors, avec Dale Cooper, dans cet autre monde. La salle aux rideaux rouges est bien « réelle ». Ce n’est plus un rêve. La mise en scène de David Lynch nous donne un sentiment d’immersion, avec des effets de premier plan et d’arrière-plan qui créent une illusion de trois dimensions dans ce décor surréaliste. Un chanteur à la voix étrange apparaît, interprétant une chanson « Under the sycomore trees », bouleversante. Il disparaît dans un fondu. Un fondu au noir nous mène au lendemain matin. Truman et Andy attendent dans la forêt. Andy se lance dans une longue série de questions à son chef : « vous voulez un café ? avec un dessert ? avec une tarte ?... ». Un effet comique qui ne fait même pas rire, tant nous sommes tendus, et eux aussi. Nous sommes tristes de ne plus pouvoir rire. En parallèle de ces scènes hallucinantes, nous suivons encore le sort de quelques personnages, à savoir Audrey, qui se rend à la banque de Twin Peaks. Elle a décidé de s’enchaîner à la porte de la salle des coffres, pour revendiquer la sauvegarde de la forêt de Ghostwood. Lynch créé alors une scène dont il a le secret : les employés de la banque sont des vieillards, la secrétaire est amorphe et le patron marche au ralenti. Audrey lui demande de prévenir la Gazette de Twin Peaks de son action. Mais la scène est interminable. Arrivent Andrew et Pete, qui veulent ouvrir un coffre à l’aide de la clé laissée par Thomas Eckhardt. Audrey, toujours enchaînée, les laisse entrer. Le vieux banquier observe la clé à la loupe, lentement, très lentement. Il trouve enfin le coffre. Andrew et Pete l’ouvrent. A l’intérieur, une bombe, avec un mot : « je t’ai bien eu. Thomas ». L’explosion retentit. Un gros plan montre les lunettes d’Andrew voler avec des billets de banque. Lynch laisse ainsi en l’air ses personnages : qu’est-il advenu de Pete, et d’Audrey, deux des personnages les plus attachants de Twin Peaks ? Au Double R, le Major Briggs et son épouse s’embrassent, sous les yeux de Bobby et Shelly qui font de même. Bobby lui propose de se marier. Mais Shelly lui rappelle qu’elle est toujours mariée à Leo officiellement. « A cette heure-là, il doit s’éclater dans les bois », lui dit Bobby. Une image flash montre Leo, toujours retenu au fil des mygales par les dents… Entre alors dans le Double R le Dr Jacoby et Sarah Palmer – encore une fois, Lynch souhaite faire ses adieux à tous les personnages du pilote. Sarah se met face au Major Briggs. Elle s’exprime alors d’une voix transformée, grave, inhumaine : « Je suis dans la Black Lodge avec Dale Cooper ». S’agit-il de Leland Palmer s’exprimant à travers le corps de sa femme ? Garland semble comprendre… Nous quittons ainsi ces personnages, avant de revenir à la Lodge. La deuxième grande séquence dans la Lodge est presque intenable, tant nos émotions sont mises à rude épreuve. Cooper revoit le nain, qui lui dit « quand vous me reverrez, ce ne sera pas moi ». Laura apparaît, et lui dit « je vous reverrai dans 25 ans ». Des phrases qui, rétrospectivement, laissent rêveurs quant au retour de la série prévu le 21 mai 2017. Laura dit « en attendant… », fait un geste des mains, et disparaît. Puis, le vieux serveur apparaît. Il répète, « café ! », et se transforme en Géant. Il dit « un seul et même », et disparaît à son tour. Cooper veut goûter le café, mais il s’avère rigide. Il renverse la tasse, mais le café est redevenu liquide. Enfin, dernier état, le café est gluant, pâteux. Un cri féminin retentit. Cooper s’enfuit, traverse le couloir, et retombe sur une pièce identique (dénommée par le nain « la salle d’attente »). Il revient en arrière, tombe à nouveau sur la même pièce. Et ainsi de suite, jusqu’à ce que Maddy apparaisse. « Surveillez ma cousine », dit-elle à Cooper. Réapparaît alors le nain, avec des yeux vitreux. Laura réapparaît, avec des yeux vitreux à son tour. Ils réapparaissent, mais ce ne sont plus les mêmes. Que signifient ces yeux vitreux ? Sont-ce leurs doubles maléfiques ? Leurs « doppelganger » ? Laura hurle, un cri strident, insupportable, et sur son visage apparaît celui de Windom en flash pendant une seconde. Cooper s’enfuit, et se rend compte alors qu’il a le ventre en sang. Il marche difficilement, blessé. Il se voit mort, parterre, aux côtés de Caroline. Caroline se transforme en Annie, vêtue de la robe de Caroline. Elle disparaît à son tour. Des flashs lumineux. Cooper s’enfuit en appelant « Annie », désespéré. Un fondu enchaîné, et, comme d’un autre point de vue, Dale Cooper à nouveau : mais, est-ce un autre Dale ? Annie réapparaît, mais, dans la robe qu’elle portait au concours de Miss Twin Peaks. Cooper répète « Annie », mais son ton est plus froid. Annie lui dit « j’ai vu le visage de l’homme qui m’a tué. C’était mon mari ». « Qui est Annie ? » demande Cooper. « C’est moi », et là, Annie s’est transformée en Caroline (la maîtresse de Cooper, effectivement tuée par son mari, Windom, il y a des années). Caroline se transforme en Annie et lui dit : « Tu te trompes, je suis vivante ». Annie se transforme alors en Laura, comme si toutes ces femmes n’étaient qu’une. Elle hurle à nouveau, et Windom réapparaît. « Si tu me donnes ton âme, je laisse Annie vivante ». Cooper accepte. Windom lui plante un couteau dans le ventre. Mais soudain, un immense feu remplit l’image, qui se rembobine : le couteau est retiré. BOB apparaît enfin. BOB dit à Cooper « il a tort, il ne peut pas prendre ton âme. Je vais lui prendre la sienne. Va-t-en. » BOB rit. Il saisit l’âme de Windom, dont la tête prend feu. Cooper s’enfuit. Un autre Cooper, aux yeux vitreux, apparaît, et rit aux côtés de Windom. L’autre Cooper croise Leland, qui dit qu’il n’a « tué personne ». Apparaît le second Cooper, au sourire sadique (qui regarde les spectateurs). Les deux Cooper se poursuivent, et le méchant Cooper finit par rattraper le bon Cooper… BOB réapparaît une dernière fois et regarde les spectateurs. Dans la nuit, Cooper réapparaît dans la forêt, aux côtés d’Annie ensanglantée. Truman vient à leurs secours. Le lendemain matin, au Great Northern, le Dr Hayward et Truman sont autour de Cooper. « Il revient à lui », dit Hayward. « Je ne dormais pas », dit Cooper. Il s’exprime avec froideur, comme son double maléfique dans la Black Lodge. Cooper demande des nouvelles d’Annie. Truman le rassure : elle va s’en sortir, à l’hopital. Cooper répète alors, deux fois de suite, qu’il doit se brosser les dents. Il s’enferme dans la salle de bain, et Hayward et Truman se regardent avec un mauvais pressentiment. Dans la salle de bain, Cooper vide le tube de dentifrice comme un dément. Il se regarde dans le miroir, puis se propulse contre lui (comme Leland s’était jeté contre la porte du commissariat, tête la première, possédé par BOB). BOB apparaît dans le miroir, face au visage de Dale… Le front ensanglanté, celui-ci répète « How’s Annie ? How’s Annie ? » (comment va Annie ?) avec un rire maléfique. Fin. David Lynch nous laisse sur cette image, qui viendra enter les fans pendant… vingt-cinq ans, et même un peu plus. Cooper, possédé par BOB, sera de retour un quart de siècle plus tard, en 2017, comme prédit par Laura Palmer dans la salle aux rideaux rouges. Anecdotes :
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Livre : L'histoire secrète de Twin Peaks L'HISTOIRE SECRÈTE DE TWIN PEAKS Ecrit par : Mark Frost Sortie : 18 octobre 2016 Résumé : L’agent T. P. du FBI se voit confier une mission par son supérieur Gordon Cole : parcourir et analyser un mystérieux dossier, retrouvé dans une malle, non loin d’une scène de crime, le 17/07/2016. Le contenu du dossier semble lié à l’enquête menée par Dale Cooper à Twin Peaks des années auparavant. Critique : L’histoire secrète de Twin Peaks, écrit par le cocréateur de la série, Mark Frost, s’inscrit après deux autres volumes issus du show. Le premier, Le journal secret de Laura Palmer, écrit par la fille de David Lynch, Jennifer Lynch, était comme un objet arraché au monde imaginaire de Twin Peaks. Sorti entre la saison 1 et la saison 2, il était raconté à la première personne par Laura Palmer. Il délivrait quelques secrets pour la future saison, comme l’existence d’un journal « secret » confié à un certain Harold Smith. Le second livre, Dale Cooper, my life my tapes, fut écrit par un autre membre de la famille Twin Peaks : Scott Frost, le frère de Mark Frost. Scott Frost était également scénariste de la série. Le livre parut en mai 1991, soit avant les deux derniers épisodes de la saison 2. Lui aussi issu d’un objet culte de la série, le dictaphone de Cooper, il inventait une biographie à l’enquêteur en partant de son enfance, jusqu’à son arrivée à Twin Peaks. Il retraçait l’histoire des Etats-Unis à travers l’évolution du jeune Cooper, et contextualisait l’histoire de Windom Earle au sein de la chronologie de Cooper. Enfin, nouveau-livre objet, The Secret history of Twin Peaks, écrit par Mark Frost lui-même, vient faire patienter le spectateur à l’approche de la saison 3 de la série, plus de 25 ans après le dernier épisode de la saison 2. Comme ses prédécesseurs, ce livre vient trouver toute sa justification dans sa qualité de livre-objet. Il se présente en effet comme un dossier, retrouvé « le 17/07/2016 » sur une « scène de crime qui fait encore l’objet d’une enquête active ». Soigneusement protégé dans une malle, le dossier se voit confié, dans le prologue du livre, par Gordon Cole (le directeur adjoint du FBI joué par David Lynch dans la série), à une enquêtrice nommée « T.P. ». Tout au long du livre, l’agent « T.P. », qui s’avère être une femme – probable nouveau personnage de la saison 3 – annote le mystérieux dossier de ses commentaires. Elle cherche avant tout à en découvrir l’auteur, qui se dénomme lui-même « L’Archiviste ». Ce dossier, comme nous l’avertit Gordon Cole dès l’introduction, est lié à l’enquête menée par Dale Cooper dans la ville de Twin Peaks il y a des années. Le concept du livre de Mark Frost est donc assez jubilatoire : qui est l’auteur des lignes que nous lisons ? Le second mystère est, bien sûr, l’identité du nouveau personnage T.P. Le livre a aussi le mérite d’être un magnifique objet graphique, juxtaposant photographies, faux documents manuscrits, articles de journaux, etc. Le livre a l’intelligence de « tourner » autour de la ville de Twin Peaks, jouant le suspense vécu par tout fan qui attend d’en savoir plus sur ce qu’il est advenu des personnages, sans jamais satisfaire réellement cette curiosité. Car le récit commence… bien avant la série originelle, au début du siècle ! Nous découvrons une enquête centrée sur les croyances Indiennes, puis sur les affaires d’ovnis. Coup de génie de Frost, il donne à un personnage totalement secondaire de la saison 2 un rôle majeur et secret : Douglas Milford, le frère du maire, énamouré de la rouquine Lana, s’avère être un agent secret spécialiste des ovnis. Nous lisons donc une suite de pièces à conviction, réunies par le mystérieux Archiviste, centrées sur la vie de Douglas Milford – pour quelle raison, nous ne le savons pas encore. Nous entrevoyons le Twin Peaks des années 1920, quand le jeune Douglas vivait encore dans sa ville natale. Adolescent, il fut le témoin d’une expérience troublante dans la forêt… Puis, nous quittons les lieux pour suivre Milford à travers sa vie pleine d’aventures surnaturelles. Là, le livre rejoint de manière presque ironique le projet initial de Frost et Lynch : avant d’écrire Twin Peaks, les deux créateurs pensaient réaliser une série sur l’affaire Monroe-Kennedy. Cet aspect se retrouvait dans la série, par petites touches amusantes (Cooper, ou Ben Horne, faisant souvent référence à ces affaires d’Etat). Retour aux sources dans ce livre, puisque la vie de Douglas Milford, citoyen né à Twin Peaks, rejoint les hautes sphères secrètes, et recoupe avec des affaires comme celle du Watergate. Par ce mélange de fiction et de faits réels, Mark Frost exécute ici l’épisode le plus Lovecraft-ien de tout l’univers Twin Peaks. H.P. Lovecraft avait créé une ville imaginaire, Providence, et une croyance (le mythe de Cthulhu), décrits avec force de détails dont certains issus de faits réels (faits scientifiques, anecdotes historiques), pour créer le trouble chez ses lecteurs. Dans le livre de Mark Frost, les enquêtes de Milford côtoient la fiction (les personnages de la série Twin Peaks par exemple), et la réalité. On y croise donc comme protagonistes : l’explorateur Meriwether Lewis (dont la mort serait en fait lié à ses découvertes faites dans la forêt de la future ville de Twin Peaks), Richard Nixon, Aleister Crowley (célèbre sataniste), ou Ron Hubbard (créateur de la scientologie). Le vrai et le faux s’entremêlent de manière abyssale – par exemple, l’histoire vraie d’un des grands inventeurs américains ayant permis le vol sur la lune de 69, sombré dans les croyances occultes de Crowley. Le tout se voit annoté par le personnage de « T.P. », dans les marges du livre. Ses annotations viennent régulièrement confirmer les faits comme authentiques, écrivant très souvent le terme « Vérifié. », suivis de lignes descriptives des faits, ou bien parfois « reste à prouver ». Mark Frost nous plonge dans un brouillard paranoïaque, similaire parfois à celui de la série X-Files (là encore, la boucle est bouclée, puisque Chris Carter s’était fortement inspiré de Twin Peaks pour créer X-Files). Alors, Twin Peaks saison trois sera-t-elle une série fantastique consacrée aux ovnis ? On en doute fortement. Si c’est justement le sujet du livre de Mark Frost, c’est pour mieux traiter cet aspect de l’univers Twin Peaks sous forme écrite, et le laisser de côté dans la version filmée – qui sera, rappelons-le, réalisé entièrement par David Lynch pour l’intégralité des épisodes. A propos du livre de Frost, David Lynch a d’ailleurs déclaré récemment dans une conférence de presse qu’il ne l’avait pas lu, qu’il s’agissait de l’œuvre de Mark Frost avant toute chose. Lynch avait aussi déclaré n’avoir jamais lu le livre de sa fille de Jennifer ! Or, loin de désavouer les œuvres écrites de ses collaborateurs, Lynch semble indiquer qu’il s’agit d’œuvres en elles-mêmes, et non de « béquilles » pour la série. Et L’histoire secrète de Twin Peaks le prouve : Frost a l’intelligence de ne pas déflorer la future série. Essentiellement tourné vers le passé, la rétrospection, les seuls éléments vraiment nouveaux ne concernent que des personnages dont nous sommes plutôt certains de ne pas les voir dans la saison 3 - comme le major Briggs (dont l’interprète Don Davis est décédé), et Douglas Milford (personnage décédé dans la saison 2, après une nuit d’amour avec Lana). Seul le centre du livre octroie quelques pages à la vie de Twin Peaks dans les années 80 et 90. Des dossiers trouvés au « Bookhouse », écrits par exemple par l’agent Hawk, nous donnent des nouvelles de certains personnages après la fin de la saison 2. Nous en apprenons plus sur certains de nos protagonistes préférés, comme Lawrence Jacoby, Margaret la Dame à la Bûche, Ed et Norma, Hank Jennings, Ben et Audrey Horne, et sur l’affaire Packard, autour donc de Josie, Catherine, Pete, Andrew et Eckhardt. Après cette parenthèse, d’environ 80 pages, située au centre du livre, sur « la vie à Twin Peaks », l’archiviste reprend le fil de son récit sur Douglas Milford. Nous quittons à nouveau Twin Peaks, pour y retourner finalement dans les dernières pages. Les enquêtes ufologiques de Milford le ramènent à sa ville natale, où les éléments les plus troublants rejoignent le dernier épisode de la saison 2. Au terme du dossier, les investigations sur les complots et les ovnis se trouvent tout à fait justifiées lorsque l’identité du narrateur « Archiviste » est révélée, et elles sont dépassées par des plus grandes questions, spirituelles, qui renouent avec le ton général de la série. Le mystère Dale Cooper n’est pourtant pas plus révélé. Nous n’en savons pas plus sur ce qui nous attend dans les futurs épisodes de Twin Peaks en mai 2017. Tout juste quelques détails nous ont été subtilement délivrés, sans jamais gâcher le plaisir de la découverte future de la saison 3. On pourrait juste regretter que le livre n’ait pas la grandeur, émotionnelle surtout, du Journal secret de Laura Palmer. A trop vouloir préserver le contenu de la future saison, le livre nous laisse l’impression d’être parfois un peu gratuit, anecdotique (la découverte de l’identité de l’Archiviste est par exemple trop expédiée). Le choix de s’orienter vers des mystères « autour » de Twin Peaks, à la lisière de Twin Peaks et du monde réel (complots, mystères réels), est à la fois la force et la (petite) faiblesse du livre. Mais, par l’impressionnant travail de Mark Frost, il reste passionnant à lire, et conserve une vraie dose de mystère. Si le livre est fidèle à la série, c’est par son accumulation d’énigmes, qui viennent à toute s’entrecroiser, créant une intense impression d’immersion chez le spectateur/lecteur – c’est peut-être ça, la Frost’s touch. Son livre contient d’ailleurs plus de mystères qu’il n’y paraît, notamment s’il on repense aux mots d’introduction de Gordon Cole : ce dossier accompagnait une scène de meurtre, commis en juillet 2016... Le meurtre de qui ? Un autre mystère dont la clé est peut-être cachée dans ces pages, ou dans la saison 3. Anecdotes :
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Saison 3 11. There's fire where you are going 13. What story is that, Charlie ? 15. There's some fear in letting go 1. MY LOG HAS A MESSAGE FOR YOU Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Un nouveau message est délivré à Dale Cooper par le géant. A New York, dans une impressionnante installation, un jeune enquêteur surveille une gigantesque boîte en verre vide. A Buckhorn, Dakota du Sud, un cadavre est découvert. A Twin Peaks, Margaret prévient l’agent Hawk : sa bûche a quelque chose à lui dire. Critique : Onze ans après son dernier film Inland Empire, vingt-cinq ans après la série d’origine, David Lynch retourne à Twin Peaks. Il le fait en compagnie de Mark Frost, co-créateur des saisons 1 et 2. Produit par Showtime, ce « Retour » à Twin Peaks repose sur une équipe technique composée de piliers de la série d’origine : Duwayne Dunham au montage (monteur et réalisateur des deux premières saisons), Angelo Badalamenti à la musique, Johanna Ray au casting… Nouveau venu d’importance, Peter Deming, chef opérateur de deux chefs d’œuvres de Lynch, Lost Highway et Mulholland drive. L’esthétique de ces deux films laisse imaginer un retour très sombre, notamment visuellement. Sombre, le retour de Twin Peaks l’est. Les premières images, un prologue issu de rushs de la série d’origine, montre Dale et Laura dans la Black Lodge, lorsque ce serment était prononcé : « I’ll see you in 25 years ». Quelques nouvelles images de la ville apparaissent alors, dans la brume : la forêt, la scierie. Les couloirs du lycée, le cri d’une étudiante, issus du pilote, apparaissent, puis la photo de Laura. Alors, le thème d’origine résonne, et un générique proche de celui de la série originale débute. La chute du Grand Nord est filmée depuis le ciel, elle éclabousse l’écran comme une décharge extatique sur les notes d’Angelo Badalamenti. L’eau se fond dans les plis d’un rideau rouge, qui ondoie comme des flammes. Ce nouveau générique indique plusieurs choses. D’une part, la série sera à la fois Twin Peaks (la musique mythique est bien là), et en même temps sera différente : on passe de l’ancien générique apaisé, lent, à un nouveau montage plus rapide d’images en surimpressions menant de la forêt et de la chute aux rideaux rouges de la Black Lodge. Ce montage plus présent dès le générique, alternant réalité des paysages et monde des rideaux rouges, indique peut-être que la temporalité sera éclatée dans cette saison 3, que les fils narratifs seront plus sinueux. Ce retour à Twin Peaks ne réutilisera probablement plus l’ancienne narration chronologique et ancrée dans Twin Peaks, qui suivait strictement 24 heures de la vie de la bourgade par épisode. L’épisode débute alors vraiment. Sombre : l’image est en noir et blanc. Dale Cooper retrouve le Géant. Trois nouveaux indices lui sont donnés. « Je comprends », dit l’agent Cooper, apparemment toujours coincé dans la Black Lodge, ou ailleurs, vingt-cinq ans après. Fondu au noir. Dans la forêt, le Dr Jacoby se fait livrer plusieurs pelles. On apprendra seulement dans cette saynète que Jacoby vit désormais dans la forêt, dans une caravane. La caméra est flottante, elle filme cette scène anodine comme une présence menaçante… La scène ne dit pas grand-chose, apparemment, et l’on soupçonne que c’est petit à petit que les personnages de la série d’origine referont surface, à la manière d’un puzzle qui se reconstitue. Mais avant, nous voyageons à New York. Les arbres de Twin Peaks s’effacent par fondu au noir et sont remplacés par les tours de New York, transition admirable qui joue sur la verticalité de deux mondes, forêt et mégalopole. Avec ce changement géographique, comme dans Fire Walk With Me avec Deer Meadow, Lynch tourne autour de Twin Peaks, repousse notre attente. En nous montrant quelqu’un qui attend, dans son canapé, comme nous : Sam, un jeune homme semble vivre enfermé en haut d’un building, où il observe une boîte en verre à l’aide d’un système complexe de caméras et de branchements. Un bonzaï, une lampe, un sofa, composent son espace de vie. Le bonzaï renvoie-t-il à Windom Earle ? On apprendra dans une scène suivante que le jeune homme est un « agent » (mais de quel organisme ?) et qu’un précédent agent a « vu quelque chose » dans la boîte en verre. Une jolie jeune femme, Tracey, cherche désespérément à le séduire, lui apportant son café, et surtout à entrer, pour voir l’intérieur de cette installation. Mais il ne cède pas, lui rappelant que tout ceci est « top secret ». Dans cette scène, le désir est brûlant, par la sensualité des deux jeunes acteurs : la sensualité des couples de jeunes était primordiale dans les deux premières saisons de Twin Peaks, et elle était toujours menacée par une présence. Souvenons-nous de James et Donna menacés par le fantôme de Laura, et de Bobby et Shelly menacés par Leo, le mari routier toujours absent, mais aussi toujours prêt à surgir. Retour à Twin Peaks. A nouveau, une saynète nous montre deux personnages connus : Ben Horne et son frère Jerry. Rien ne semble avoir changé, à l’Hôtel du Grand Nord. Ben discute avec sa nouvelle employée Beverly d’un problème de sconse qui s’est introduit dans une chambre (on se souvient des furets de la saison 2). Ben est physiquement le même, mais il est devenu plus sévère et « moral », semble-t-il. Que cache cette évolution ? Qu’est-il advenu d’Audrey ? Qu’est-il arrivé après le dernier épisode de la saison 2, où Ben avait violemment été frappé par Doc Hayward ? Des questions en suspens : après tout, vingt-cinq ans ont passé, et ce qui frappe, c’est surtout l’aspect immuable de la vie de Ben Horne, toujours derrière son bureau, toujours avec les mêmes bibelots, et toujours la même allure dans son costume de patron. Jerry Horne, par son comportement, reste Jerry, provocateur, cynique et fou. Ses changements à lui sont d’ordre physiques : il a une longue barbe blanche, une tenue de hippie. Jerry semble toujours trempé dans des trafics. Ben, lui, corrige son frère quand celui-ci lui demande s’il a déjà « sauté » la nouvelle, lui rappelant le mot R-e-s-p-e-c-t en l’épelant, avant de le sermonner pour avoir mis sur la tête le bonnet de leur mère. En une scène d’une sobre efficacité, on retrouve les dialogues de comédie à bâton-rompus de Ben & Jerry, signe rassurant du passé de la série. Mais quelque chose cloche, et c’est peut-être le vide sonore : pas de musique jazzy qui emplissait auparavant la scène et rythmait les paroles. Quelque chose « manque » à Twin Peaks… et c’est sûrement l’Agent Cooper. Ce manque du héros correspond peut-être au manque, pour l’instant, des musiques mythiques de la série. Une deuxième saynète s’enchaîne à celle de l’hôtel du Grand Nord : au commissariat, là aussi inchangé à l’exception des ordinateurs, Lucy est toujours à l’accueil. Comme la scène précédente, il s’agit d’une pause humoristique et rassurante. Comme une madeleine de Proust, nous savourons de retrouver Lucy toujours aussi décalée. Elle ne peut apporter de réponse à un visiteur des assurances : quel Shérif Truman veut-il voir ? L’un est malade, l’autre à la pêche… Nous apprenons là qu’il existe deux frères Truman, et, surtout, que l’un d’eux est malade. Là encore, quelque chose cloche. Le « retour » ne sera pas uniquement nostalgique, il sera teinté aussi de différences, de manques. Après ce passage diurne et léger à Twin Peaks, c’est la noirceur à nouveau. La forêt, la nuit. Une musique hard-rock qui évoque Lost Highway et Rammstein résonne – il s’agit en réalité d’un morceau rock, « American Woman », ralenti x2 par David Lynch, portant la casquette de sound-designer en chef de sa propre œuvre, comme sur Twin Peaks: Fire Walk With Me ou bien Inland Empire, cette fois avec l’aide de son collaborateur Dean Hurley. L’homme qui conduit la voiture a les cheveux longs, une veste en cuir noir, une chemise en peau de serpent. Il est menaçant, terrifiant. C’est Dale Cooper. Mais on l’appelle désormais Mister C. Il se rend dans une bicoque en bois, où il maîtrise le gardien en quelques gestes qui témoignent de sa force criminelle. Là, une nouvelle « créature » apparaît dans l’univers de Twin Peaks, Buella. Après un échange mystérieux, le doppelgänger (double maléfique) de Cooper, qu’on imagine possédé par BOB, s’en va accompagné d’un jeune homme et d’une jeune femme, Ray et Darya. Dans cette scène, par quelques éléments simples et dans un découpage épuré, Lynch créé une tension permanente : ce sont les deux personnages handicapés tapis dans l’ombre, c’est Otis le moustachu dont la main frôle sans arrêt une arme à feu, c’est le hors-champ d’une pièce d’où arrive et où repart Buella. Et bien sûr, c’est aussi le travail du son, fait de nappes sourdes si typiques du travail de Lynch. La pression ne redescend pas, lorsqu’à New York, Sam, le jeune agent, fait finalement entrer Tracey. Devant la boîte en verre, ils cèdent au désir et commencent à faire l’amour. Si la scène possède une force érotique stupéfiante, c’est par la durée prise par le cinéaste. Une durée qui créé la tension, érotique d’une part, et horrifique d’autre part. Car, en parallèle de la scène de sexe, la boîte en verre devient noire. On est là presque comme dans Psychose, et l’on sait l’importance du cinéma d’Hitchcock chez Lynch, lorsque Marion prenait sa douche et que le rideau transparent de la douche était teinté de l’ombre d’un intrus s’approchant inexorablement. Dans la boîte en verre aussi, une présence apparaît, un corps blanchâtre, dont on pourrait presque penser qu'il s'agit d’un alien. Une scène troublante et marquante, à juste-titre climax central de l’épisode, et située, justement, au beau milieu de cette première heure. Sexe et horreur s’y enchaînent, et terminent en une apogée violente où la créature tue le couple en bondissant sur nous comme sur eux. Le son explose alors, après avoir bourdonné dans les basses pendant les longues minutes de tension qui ont précédé. Après ce choc, nouveau fondu au noir, et nouveau voyage surprenant. Nous sommes, à chaque fois, téléportés sans prévenir vers de nouveaux lieux inconnus, créant un sentiment instable. De nouveaux visages, de nouvelles intrigues, qui ne se relient pas encore, à priori, ni à ce que l’on connaît de Twin Peaks, ni à Dale Cooper absent depuis sa première scène avec le Géant. Bienvenue, donc à Buckhorn, Dakota du Sud. Ville imaginaire, cette fois, nouvelle bourgade créée par Frost et Lynch après Twin Peaks et Deer Meadow. À Buckhorn, donc, une femme – obèse et accompagnée d’un minuscule chien, humour hérité de Jacques Tati que Lynch adore – découvre, dans son immeuble, une drôle d’odeur chez sa voisine et appelle la police. A l’humour façon Tati, Lynch mêle bien souvent l’horreur, et c’est le grand talent du cinéaste de mêler des émotions contradictoires. Les policiers piétinent devant la porte à cause de la voisine incompréhensible, puis d’un voisin chauve et louche, dans une longue scène qu’on croirait issue d’une pièce de Beckett. Mais, derrière la porte enfin ouverte, attendent les traces d’un meurtre sordide, gore : une tête coupée qui appartient à la voisine, Ruth, libraire de la ville, et le corps d’un homme non-identifié. Au premier duo d’agents de police succèdent deux autres enquêteurs, Dave et Constance, duo flegmatique qui rappelle celui d’une courte scène de Mulholland drive. Retour à Twin Peaks, cette fois de nuit. Un plan survole la forêt, ce lieu fétiche de la série (pour l’avant-première de la saison 3, en guise de discours, Lynch n’a parlé que de son amour des forêts). Nouvelles retrouvailles, avec cette fois Margaret la Dame à la Bûche, qui appelle le commissariat et demande l’agent Hawk. Nouvelle maladresse de Lucy, au standard – comme au bon vieux temps, elle s’éternise à expliquer le fonctionnement du téléphone à l’agent demandé. Mais, là encore, aux similitudes s’ajoutent les différences. Les cheveux de Hawk sont blancs, mais, surtout, ceux de Margaret ont disparus, elle est atteinte du cancer et est équipée d’une aide respiratoire. Triste écho à la mort réelle de son interprète, Catherine Coulson, une semaine après le tournage, réellement atteinte du cancer. Tout au long de cette saison, il y aura des ponts entre le monde réel et celui de la fiction, parfois par ce rapprochement entre la condition d’un comédien ou d’une comédienne et son personnage. Ces deux premiers épisodes semblent d’ailleurs montrer Lynch et Frost tourmentés par le sujet du vieillissement et de la mort. Et, au cœur de cette scène, le manque. Quelque chose du passé n’est plus. Le message de la Bûche, délivré par Margaret à Hawk, est une mission : il doit retrouver la pièce manquante concernant l’agent spécial Dale Cooper. Pour cela, il doit « user de son héritage » (au sens d’hérédité, en anglais), se plonger dans le passé donc. Dans cette nouvelle saison de Twin Peaks, le Temps n’est jamais linéaire, il est déconstruit, ou bien pris à l’envers. Par cet indice sur l’héritage de Hawk, on pense bien sûr aussi à ses racines Indiennes, élément très présent dans le livre de Mark Frost L’histoire secrète de Twin Peaks et toujours sous-jacent dans la série, des tapisseries de l’hôtel du Grand Nord au récit de légende Indienne de la Black Lodge. Les dernières scènes de ce premier épisode – mais ce n’est que la « moitié » de l’introduction, puisque les épisodes 1 & 2 ont été diffusés couplés comme un film d’1h50 lors de la première – montrent l’étau qui se resserre, à Buckhorn, autour d’un homme apparemment normal, Bill Hastings, dont on a retrouvé les empreintes sur les lieux du crime. Les premières scènes très opaques (New York) ou bien sans enjeux apparents (les saynètes à Twin Peaks) laisse place à une enquête qui prend forme. Le récit est lancé, et l’on retrouve la veine policière qui irriguait Twin Peaks à l’origine : tous les éléments des saisons 1 et 2 seront bien là, polar, horreur, comédie, sensualité, mais sous des formes inattendues et renouvelées. De même à Twin Peaks où l’agent Hawk est désormais chargé d’une mission. Il rouvre le dossier « Laura Palmer », afin d’y retrouver une pièce manquante concernant l’agent Dale Cooper, et fait pour cela appel à Lucy et Andy. Répétition et différence, encore et toujours : les deux collègues n’ont absolument pas changés, et s’en est même inquiétant. Mais, différence et signe du temps passé, ils sont mariés et parents, d’un certain Wally dont ils parlent beaucoup, beaucoup trop pour Hawk qui tente de les recentrer sur la nouvelle enquête qu’il leur confie. Cet échange basé sur le contraste entre la logorrhée d’Andy et Lucy et le mutisme sérieux de Hawk nous apprend tout de même que l’agent Cooper a bel et bien disparu, introuvable depuis « plus de vingt-quatre ans », ayant disparu avant la naissance de leur Wally. Frost et Lynch tissent des traits discrets, non ostentatoires, avec la série d’origine qui se concluait par Cooper possédé par BOB, et laissait Lucy enceinte, joue contre joue avec Andy dans leur dernière scène. Et, dernier souvenir offert aux fans, Hawk promet à Andy et Lucy « du café et des donuts » pour les encourager dans leur travail. Nous sommes donc bien au début d’un retour à Twin Peaks, encore partiel, mais plein de promesses. Tous les éléments de la série d’origine sont là, mais détournés, renouvelés, dans des lieux étrangers. Le passage dans la bourgade éponyme ne constitue qu’une part frustrante de l’épisode, frustration volontaire de la part de Frost et Lynch comme pour mieux savourer ces scènes à Twin Peaks, qui durent en tout 9 minutes 30 sur les 50 minutes de cette première partie. Au-delà du retour à Twin Peaks, il s’agit surtout du retour du cinéaste David Lynch, qui nous offre de nouveaux mondes et de nouvelles atmosphères à ajouter à la fantasmagorie développée dans sa filmographie, et dont la salle de la boîte en verre de New York est la plus marquante de ce premier chapitre. C’est donc à la fois bien Twin Peaks et à la fois une nouvelle œuvre de la filmographie de Lynch, peut-être même une œuvre somme, qui relie tous les univers du réalisateur… Car le Cooper maléfique a quelque chose du Fred de Lost Highway, roulant lui aussi dans la nuit au son d’un rock maléfique ; l’enquête à Buckhorn et la découverte du cadavre dans le lit rappelle l’ambiance de certaines scènes de Mulholland drive ; et les apparitions dans la boîte en verre évoque certains effets spéciaux artisanaux et terrifiants de Inland Empire. Ce retour à Twin Peaks est un voyage sensoriel, tout en posant nombre de clés qui seront, on le devine, importantes pour la suite. L’esthétique marque le bond des vingt-cinq ans, avec une qualité numérique, un format 16/9, et des effets spéciaux digitaux. Et en même temps, le travail sur les contrastes et les tons sombres poursuit la série d’origine et Fire Walk With Me. Enfin, cet épisode est bel et bien un bout de « film », comme avait prévenu Lynch. Twin Peaks The Return est un film de 18 heures, coupé en chapitres, et dont Showtime a d’ailleurs diffusé les deux premiers épisodes comme un long-métrage d’1h50. Un film auquel un Oscar du meilleur acteur est à remettre à Kyle MacLachlan, impressionnant dans son nouveau double maléfique C., usant de son regard noir et d’une nouvelle voix plus grave. Pour le moment, le « bon » Dale est toujours dans la Loge, tout comme le spectateur est toujours coincé à la lisière de Twin Peaks. Comme une conséquence, les musiques d’Angelo Badalamenti sont absentes, laissant plutôt places aux effets de sound-design menaçants de Lynch. Gageons que, Dale délivré, nous retournerons progressivement de plus en plus à Twin Peaks. Anecdotes :
2. THE STARS TURN AND A TIME PRESENTS ITSELF Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : A Buckhorn, l’étau se resserre autour de Bill Hastings. Sa femme Phyllis semble complice de ce piège avec leur avocat, qui se révèle être aussi son amant. Mais Phyllis est assassinée par le double maléfique de Cooper en rentrant chez elle. Ce dernier cherche à échapper à la Black Lodge, tandis que son double, le Bon Dale, cherche à en sortir. Critique : Le deuxième épisode de Twin Peaks The Return est bel et bien le deuxième segment d’un long-métrage, comme le montre la coupure du montage : un son de basse qui concluait la scène de l’épisode 1, lorsqu’un bout de chair était trouvé dans un coffre, nous relie dans l’épisode 2 à Bill Hastings, paniqué dans sa cellule de prison à Buckhorn et dont les pensées noires semblent s’incarner par ces basses bourdonnant dans sa tête. Son épouse Phyllis, inoffensive femme bourgeoise en apparence dans le premier épisode, qui s’inquiétait pour sa réception du soir lorsque la police sonnait à sa porte, se révèle être la perverse instigatrice d’un piège se refermant sur son mari, avec l’aide de son amant, avocat du couple. Comme dans les premières saisons de Twin Peaks, les images les plus lisses cachent des perversions. Seul, Bill Hastings retrouve ses pensées noires en répétant « Oh, my God… », la caméra exécute un travelling latéral, et un être spectral apparaît alors dans la cellule d’à côté. Une créature noire qui disparaît dans les airs… Parallèlement, en rentrant chez elle, l’épouse d’Hastings croise une autre créature, Cooper/BOB, tapi dans l’ombre. Les deux semblent complices d’une machination, reliant le récit de Buckhorn à celui du double maléfique de Cooper. Plus tard, nous retrouverons Cooper/BOB alias « Mister C. », qui dîne avec Darya et Ray et un troisième associé, le mutique Jack, discuter d’une information à soutirer de la secrétaire d’Hastings. Ainsi, le meurtre de Buckhorn serait directement lié à une quête du double maléfique de Cooper. Mais alors que l’on recolle des pièces du puzzle, Lynch et Frost nous embarquent à Las Vegas comme pour agrandir ce puzzle, encore et toujours. Dans la ville du jeu, dans un bureau luxurieux, un certain Mr Todd (Patrick Fisher, vu dans Mulholland drive) remet une somme d’argent à un employé, en parlant d’une fille « qui a le job ». Un langage crypté qui poursuit ce jeu de complexification cher aux créateurs de la série et de nouvelles pistes à analyser à l’infini. Son jeune employé, Roger, ose lui poser une question : « pourquoi le laissez-vous vous forcer à faire ces choses ? ». Todd réplique qu’il lui conseille de ne jamais laisser entrer « quelqu’un comme lui » dans sa vie. De qui parlent-ils ? BOB ? Cooper ? Le mystère reste entier, dans cette scène qui évoque fortement les échanges mafieux à Hollywood dans Mulholland drive. On pourrait presque y voir ici Lynch qui s’auto-parodie, sur-jouant son goût du mystère avec des « missions secrètes » et des gangsters de cinéma. Notons que le plan d’introduction aérien de Las Vegas reprend la musique jazzy « Freshly Squeezed », première apparition de l’ancienne B.O. de la série dans cette nouvelle saison. Plus tard dans ce deuxième épisode, un plan dans la forêt reprendra le morceau de Badalamenti « Dark Mood Woods » (issu de la saison 2). Pas encore de nouveaux thèmes d’Angelo Badalamenti donc, mais pour faire le lien entre les saisons de 1990-1991 et celle de 2017, des musiques d’origines sont reprises, en toute liberté : « Freshly Squeezed » est utilisé dans un tout nouveau contexte (Las Vegas), tandis que « Dark Mood Woods » est utilisé dans un esprit de continuité, associé à l’approche de la Black Lodge comme dans la deuxième saison. Ce thème « Dark Mood Woods » résonne dans la forêt, tandis que Hawk et la Dame à la Bûche communiquent par téléphone. Ces courtes scènes chez Margaret, bloquée à l’autre bout du fil sur son fauteuil, sont source d’une émotion liée à notre monde réel : elles sont doublement bouleversante pour le spectateur qui connaît le lien d’amitié qui unit le réalisateur David Lynch et l’interprète Catherine Coulson, déjà assistante sur le tournage d’Eraserhead où Lynch avait eu l’idée de lui attribuer un jour une bûche pour la faire jouer dans un de ses projets. Personnage et actrice se rejoignent définitivement, par le cancer qui atteint les deux. A l’autre bout du fil, Hawk trouve Glastonbury Grove, le lieu de passage vers la Black Lodge… Il attend devant, comme Harry Truman vingt-cinq ans plus tôt. Nous ne verrons pas la suite de cette escapade nocturne vers la Black Lodge, car nous sommes projetés à l’intérieur de ce lieu maléfique et fantastique. A l’intérieur, le « Bon Dale » est toujours en attente. Le Manchot, Mike, réapparaît. Puis, Laura Palmer. Cooper ne peut croire qu’il s’agit d’elle : elle est morte, comment peut-elle avoir vieilli ? Toujours la thématique du Temps, réinterrogé en permanence, mis en doute, et le vieillissement source de trouble. La réponse est une nouvelle énigme : « je suis morte, et pourtant je vis ». Bien sûr, chaque instant de cet échange entre Dale et Laura semble porteur d’indices, comme l’étaient les rêves de Dale Cooper par le passé. A nouveau, Laura embrasse Dale, comme vingt-cinq ans auparavant, et lui chuchote à l’oreille. Mais que lui dit-elle ? Nous ne l’entendons pas, comme dans la toute première apparition de la Loge où elle chuchotait le nom de l’assassin sans que Dale ne s’en rappelle au réveil. Cette fois, Cooper semble s’effrayer du secret chuchoté à l’oreille. Laura disparaît alors, dans un hurlement terrible, en s’envolant, se déformant, comme un ballon de baudruche. Comme si elle mourrait une dernière fois : peut-être devait-elle revenir uniquement pour sauver Dale, comme lui était apparu en ange gardien à la fin de Fire Walk With Me ? Dans cet échange, n’oublions pas un moment stupéfiant : Laura pose sa main sur son propre visage, qui s’ouvre en deux, produisant une intense lumière. Effet surnaturel, qui rappelle là encore Inland Empire, film dans lequel Lynch commençait déjà à chercher une nouvelle manière d’utiliser l’outil numérique, avec par exemple le visage monstrueux et déformé apparaissant subitement en surimpression sur celui de Laura Dern. Certes, ce goût pour les effets spéciaux était déjà présent dans son premier film Eraserhead, mais à l’époque par un usage du stop-motion ou de sculpture très personnelles du cinéaste (le bébé monstrueux). Twin Peaks The Return mélange ces deux types d’effets avec brio, notamment dans la Black Lodge : le rideau rouge se met à voler, ouvrant sur un espace noir où un cheval blanc attend, image à la fois abstraite et hyper-détaillée par la qualité du numérique ; puis, on découvre une « évolution du bras » (« the evolution of the arm »), c’est-à-dire l’Homme Venu d’Ailleurs transformé en Arbre à tête de gomme. Image surréaliste qui évoque, là aussi, les premiers délires visuels d’Eraserhead. En même temps, ce nouveau « Mike » colle à la phrase prononcée par celui-ci dans le dernier épisode de la saison 2 : « quand vous me reverrez, ce ne sera pas moi ». Sa tête, semblable à de la gomme, évoque Eraserhead autant que la réplique culte : « ce chewing-gum que vous aimez reviendra à la mode » (« that gum you like will come back in style ») issue du premier rêve de Cooper, dans la saison 1. « L’Arbre » apprend à Cooper que son double maléfique, son doppelgänger possédé par BOB, doit entrer dans la Black Lodge, pour que lui puisse en sortir. Le montage propose un raccord de la Black Lodge au monde réel, sur ces mots, montrant le double maléfique ayant remplacé Cooper dans cette réalité. « Mister C. » change de voiture avec son complice Jack et procède alors à un geste étrange, menaçant, serrant lentement la mâchoire de Jack. L’a-t-il tué ? Dans la nuit, « C. » retrouve sa seconde complice, Darya, dans un motel. A nouveau, les atmosphères de Lost Highway ressurgissent, dans cette scène magistrale où Lynch fait durer l’échange créant une tension insoutenable. Mister C. se tient dans la pénombre, et l’espace d’une seconde sa silhouette noire ressemble à celle du BOB interprété par Frank Silva dans les deux premières saisons… Il se rend dans la salle de bain pour se brosser les dents, clin d’œil possible à la dernière scène de la saison 2 où Cooper possédé par BOB déclamait sombrement devoir se brosser les dents avant de se jeter la tête contre le miroir de la salle de bain. Dernier écho tragique du passé, la version maléfique de Cooper sort un dictaphone, son objet fétiche associé à l’humour des premières saisons, mais là comme un piège se renfermant sur Darya : il a placé sur écoute son téléphone, et révèle connaître ses intentions de traîtrise. Dès lors, Darya se sait condamnée à mourir, mais la scène dure et dure encore, Mister C. interrogeant sa captive dans le lit de longues minutes avant de la tuer. Par cette confession forcée, Lynch et Frost révèlent un certain nombre d’informations : Ray, l’autre complice, était sensé récupérer des coordonnées géographiques auprès de la secrétaire d’Hastings à Buckhorn ; ces coordonnées sont peut-être en lien avec le retour de Mister C. dans la Black Lodge, lieu où il est rappelé le lendemain, mais auquel il va chercher à échapper. Potentiellement en lien avec la Black Lodge, Mister C. montre à Darya un symbole qui rappelle celui de la Owl Cave et de la bague verte de Fire Walk With Me, mais transformé en une sorte de gros point noir ailé. Darya ne reconnaissant ce symbole, elle est tuée dans un instant difficilement soutenable où elle se débat, avant d’être maîtrisée par Mister C. et tuée sous l’oreiller, au son d’un « pop », et son corps émettant ensuite une sorte de fumet – les mises à mort sont toujours l’objet d’une mise en scène inventive et macabre chez Lynch, comme en témoignait déjà celle de Phyllis Hastings accompagnée d’un étrange soubresaut numérique. Par son interrogatoire, Mister C. a également appris que Ray reçoit des ordres d’un certain « Jeffries » qui cherche à éliminer Mister C. S’agit-il de Phillip Jeffries, l’agent du FBI joué par David Bowie dans Fire Walk With Me ? Mister C. entre en communication avec lui par un système caché dans une mallette – les fans les plus assidus reconnaîtront l’exacte mallette avec laquelle Windom Earle plaçait Cooper sur écoute dans la saison 2, détail de plus aux rappels permanents d’éléments des premières saisons et de Fire Walk With Me. A l’autre bout du fil, une voix qui se prétend bien être celle de Phillip Jeffries, autre retour improbable du passé. Tout comme l’Homme Venu d’Ailleurs (le "Bras", devenu "l'évolution du bras" sous forme d'arbre surmonté d'un chewing-gum), le personnage de Jeffries réapparaît par une voie détournée, cette fois par la voix. A nouveau, Frost et Lynch questionnent le Temps et la mort, puisque son interprète David Bowie est décédé avant le tournage de cette saison. Surprise totale donc, concoctée par les deux auteurs, que ce retour de Jeffries, qui dit avoir « raté » Cooper « à New York » : Jeffries est-il l’agent à l’origine de la salle d’observation et de la boîte en verre ? Sans cesse, on cherche à reconstituer le puzzle, tout en restant dans l’impossibilité d’en avoir une vue d’ensemble. Cooper demande à Jeffries s’il est toujours « nulle part », autre rappel de Fire Walk With Me où Phillip Jeffries apparaissait et disparaissait aussi subitement dans les bureaux de Philadelphie. Enfin, Jeffries mentionne Garland Briggs, affirmant que Cooper et Briggs se sont rencontrés : même surprise d’un retour improbable, là encore à cause de la mort de son interprète, Don S. Davis nous ayant quitté en 2008. On le constate, les dialogues dans ce retour à Twin Peaks sont plus que cryptiques, et selon le niveau de connaissance du spectateur sur l’univers entier de l’œuvre, ils seront totalement flous ou bien plus précis : ici, ceux qui auront lu le livre de Mark Frost, L’histoire secrète de Twin Peaks, savent que Cooper possédé par BOB a rendu visite au Major Garland Briggs après la fin de la saison 2, ce à quoi fait potentiellement allusion la voix de Phillip Jeffries. Mais s’agit-il bien du même Phillip Jeffries ? Car les doubles sont nombreux dans Twin Peaks, et celui de Cooper exprime ses doutes face à cette voix qui semble trop en savoir : « êtes-vous Phillip Jeffries ? Qui êtes-vous ? ». Un écho de cette première scène dans la Black Lodge, où le Bon Cooper croyant rêver se demandait si Laura était bien Laura. Où encore à cette scène de Fire Walk With Me dans laquelle Jeffries pointait du doigt Cooper en demandant : « Qui croyez-vous que cela soit ?! ». Phillip Jeffries fait ses adieux à Cooper avant de raccrocher, car « demain », Cooper retournera dans la Black Lodge et Phillip « sera de nouveau réunit avec BOB ». On reconnaît là l’art de Mark Frost de tendre des fils entre les épisodes pour créer l’attente du spectateur : on peut espérer voir, dans la suite de l’épisode ou dans l’épisode 3, Cooper/BOB retourner dans la Black Lodge. La promesse d’évènements importants à venir est souligné dans la fin de la séquence, où Mister C. se rend dans la chambre voisine pour retrouver Chantal, une complice secrète, à qui il demande de se rendre à un « certain endroit » avec son mari dans « quelques jours ». La scène se termine par un échange salace entre les deux personnages, sombres et monstrueux tous deux – ce nouveau personnage féminin est incarnée avec brio, comme toujours, par l’excellente Jennifer Jason Leigh. Dans la Black Lodge, l’approche du « moment clé » se fait sentir. Dans l’univers de Twin Peaks, tout est question de dates, de coordonnées, de planètes qui s’alignent – bref, de Temps et d’Espaces. Dans cet espace parallèle qu’est la Black Lodge, l’Arbre « évolution du bras » délivre un nouveau message au Bon Cooper : « Time and Time Again ». Seraient-ce les paroles du standard de jazz I’m a fool to want you ? « time and time again, I said I’ll leave you… ». Une chanson co-écrite et chantée par Frank Sinatra, personnage dont l’ombre flottait sur la série par les imitations de Leland Palmer (mais aussi par son implication dans l’affaire Marylin Monroe qui servit de première inspiration au duo Frost/Lynch dans l’écriture de l’affaire Laura Palmer). On sait que le « Bras » aimait la musique, puisqu’elle « flotte toujours dans les airs » là d’où il vient. C’est aussi une énième mention du Temps, cette fois répété encore et encore, la où le Manchot questionnait Cooper sur l’indétermination entre Passé et Futur. Toujours est-il qu’il « est temps », le temps pour Dale de fuir, à présent : « go now ». Cooper suit le Manchot, et cherche à s’échapper. Mais il fait face à un rideau infranchissable. Il croise à nouveau Leland Palmer, vingt-cinq ans après l’épisode final, qui lui dit : « Trouvez Laura ». Autre promesse, autre attente, lancée au spectateur : Cooper retrouvera-t-il Laura ? De quelle manière ? Ces bouts de phrases énigmatiques, tournées à l’envers par les comédiens et remises à l’endroit au montage selon l’idée géniale de Lynch, sont aussi une invention scénaristique géniale : autant de promesses dont on attend des retombées, et de casse-têtes qui hantent le spectateur pour la suite des évènements. Car nous avons été habitués à interpréter les mots prononcés dans la Black Lodge depuis l’époque où Cooper nous avait averti : « break the code, solve the crime » (« défaites le code, résolvez le crime »). Il fallait interpréter les indices d’un rêve, comme en psychanalyse, pour mener une enquête de police. Mais cette fois, « quelque chose cloche », comme s’en inquiète le Manchot (« something is wrong… »). Et pour cause : en ouvrant les rideaux, Cooper a soudain une vue plongeante sur une autoroute, où son double maléfique conduit – image à la René Magritte, peintre ultra cité par Lynch dans l’univers de Twin Peaks. Cooper ne sait s’il doit sauter, et un double de l’Arbre, surmonté cette fois d’une tête de Maïs (le « garmonbozia », sûrement) hurle : « non-exist-ent ! ». Ces dernières paroles sont effroyables. Que signifient-elles ? Cooper est-il voué à rester inexistant ? A ne jamais retrouver le monde réel ? Où est-ce la Loge qui n’existe pas, signe que tout ceci n’est qu’un rêve ou un délire de Cooper devenu fou ? Le sol de la Lodge devient volumineux, et mouvant : précédemment, les effets numériques avaient levé les rideaux et montré un cheval flottant ; cette fois, des effets spéciaux concrets, tangibles, transforment notre perception de la Black Lodge. Cooper terrifié saute dans une eau noir – est-ce la fameuse huile noire, la « Black Oil » donnée par Margaret à Cooper pour trouver l’accès de la Black Lodge à la fin de la saison 2 ? L’eau noire se transforme en vide cosmique, et Cooper chute alors dans un amas d’étoiles. Une image qui évoque la réplique de Laura Palmer dans Fire Walk With Me : « on tomberait de plus en plus vite dans l’espace jusqu’à exploser ». Mais aussi avec la chanson Falling d’Angelo Badalamenti, chantée par Julee Cruise, et dont la version instrumentale est le thème principal de Twin Peaks. Cooper est projeté à New York, où il apparaît dans la boîte en verre. Les mystérieuses séquences de la boîte en verre trouvent ici leur point de chute, c’est le cas de le dire. Et au même moment, les deux jeunes agents Sam et Tracey sont encore vivants, dans la pièce d’à côté : signe du dérèglement de la temporalité dans cette nouvelle saison, nous sommes revenus en arrière dans la chronologie du premier double-épisode. « Est-ce le passé, ou le futur ? », question du Manchot qui semble très importante dans la compréhension de Twin Peaks The Return. L’apparition monstrueuse qui va tuer les deux jeunes agents a-t-elle un lien direct avec l’apparition de Cooper, flottant dans la boîte en verre ? Cette séquence, qui nous fait passer avec Cooper par un vide intersidéral avant d’être en lévitation rappelle les expérimentations visuelles les plus folles de Lynch, celles d’Eraserhead et Inland Empire, aux deux extrêmes de sa filmographie. Nous sommes soudain dans la maison des Palmer, où Sarah regarde seule la télévision, fumant cigarettes sur cigarettes, de nombreuses bouteilles d’alcool sur la table. Nouvelle image du temps qui a passé, terrible. Les images sur l’écran de télévision sont celles d’un tigre attaquant un autre animal, violemment, de nuit. Ces images semblent fasciner Sarah Palmer, tandis que des sons étranges résonnent autour d’elle. « Listen to the sounds », a prévenu le Géant, et il semble possible que cette scène intrigante contienne des indices sonores cachés. La scène s’arrête là, et nous passons alors au Roadhouse dont le néon Bang Bang Bar nous projette vingt-cinq ans en arrière. Le lieu n’a pas changé, et à l’intérieur, nous retrouvons Shelly avec ses amies quadragénaires. Elle parle de sa fille Becky – l’a-t-elle eue avec Bobby ? On ne le sait pas encore. Shelly s’inquiète du choix de petit ami de sa fille, Steven, et cette conversation renvoie au passé de Shelly qui elle-même choisissait mal ses petits copains. Il semble donc que le passage du temps ait été favorable à Shelly, devenue une femme belle et heureuse, entourée d’amies, ayant appris de ses propres mauvaises expériences amoureuses pour éduquer sa fille. Mais les apparences sont toujours trompeuses à Twin Peaks. Qui est l’homme mystérieux, en veste de cuir, qui lui fait un signe au bar ? On peut simplement reconnaître son interprète, Balthazar Getty, déjà vu dans Lost Highway. Derrière lui, au bar, les fans attentifs peuvent reconnaître l’acteur Walter Olkewicz qui incarnait Jacques Renault dans les premières saisons – encore une fois, un étrange revenant puisque le personnage Jacques Renault est sensé être mort depuis la fin de la saison 1. Le générique de fin indique que son nouveau personnage est celui de « Jean-Michel » Renault. James Hurley réapparaît aussi, accompagné d’un jeune homme inconnu : est-ce son fils ? Shelly reconnaît James et suppose qu’il jette un regard amoureux à l’une de ses copines. Shelly leur explique que James « est cool », et qu’il a eu un accident de moto. Ces échanges rapides ouvrent des pistes sur les vingt-cinq années que nous avons manqué, sans savoir si ces pistes sont importantes ou non. Toujours est-il que ces personnages sont toujours là, à Twin Peaks, sirotant un verre au Roadhouse. Le Temps n’est pas toujours à l’origine de manques ou de différences, il peut aussi donner l’étrange impression que rien ne change jamais. Sur scène, le groupe des Chromatics interprète une chanson dont les paroles disent : « at night I’m driving in your car, pretending that we’ll leave this town ». On ne quitte jamais vraiment Twin Peaks. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : L’agent Cooper s’échappe de la Black Lodge, mais se retrouve dans un autre univers inconnu. Son double maléfique est pris de vertiges. Un autre double, Dougie, semble au plus mal lui aussi. Critique : L’introduction constituée par les deux premiers épisodes partait dans une foule de directions, empilant les nouvelles trames et les nouveaux mystères pour lancer le retour à Twin Peaks, créant la frustration en laissant Dale Cooper absent du monde réel puis suspendu dans un vide cosmique. Le troisième chapitre se concentre sur notre héros, apportant une forme de résolution au puzzle complexe des deux premiers chapitres. A la suite de saynètes présentant des lieux et des personnages nouveaux, succède un épisode suivant Cooper dans son voyage entre les mondes. L’introduction le montre à nouveau en train de chuter dans l’espace, avant de se retrouver au balcon d’un bâtiment immense. La manière dont son corps atterrit évoque les effets spéciaux surréalistes de Eraserhead, remis au goût du jour des effets numériques. Cooper fait face à une mer violette. Il entre, et découvre une femme aux yeux recouverts de chair. La femme semble asiatique – une réminiscence de Josie Packard ? Probablement pas, puisqu’en réalité le générique final nous révèlera son nom comme étant celui de Naido. Les couleurs sont d’un rose pâle, créant un nouvel univers fascinant. Sur le côté, une machine au chiffre « 15 » fascine Cooper. La femme mystérieuse veut lui parler, mais n’y parvient pas : elle ne peut prononcer que des suffocations saccadées, tandis que le montage opère des saccades similaires, avec un effet d’aller-retour d’images très perturbant. Cooper et la femme sortent de la pièce mauve et se retrouvent dans l’espace, sur une plateforme volante. Bref, une succession d’images hallucinantes qui plongent le spectateur dans un état de rêve éveillé, sublime moment d’imagerie surréaliste à la Lynch. La femme semble se sacrifier en appuyant sur un levier, avant d’être projetée dans l’espace. Puis, dans les étoiles, une forme flottante apparaît : le visage de Garland Briggs, qui prononce « Blue Rose », évocation de la Rose Bleue, le mystérieux « code secret » de Gordon Cole dans la séquence d’introduction de Fire Walk With Me. En faisant apparaître Garland Briggs, par la magie du montage, David Lynch continue son travail de réincarnation des disparus de la série (après avoir fait revenir Phillip Jeffries/David Bowie vocalement dans l’épisode précédent). Quand Cooper redescend, la pièce est similaire et différente à la fois : les teintes sont différentes, et le montage n’est plus saccadé. Comme si Naido avait changé toutes les données en tirant sur le levier. Même la machine est transformée, dotée désormais d’un chiffre 3. Le goût de Frost et Lynch pour la numérologie et les détails nous pousse à chercher ici encore une interprétation, sans pouvoir l’obtenir, comme dans un rêve impossible à décoder. De même, Naido a cédé sa place (ou s’est transformée ?) en une autre femme, au visage d’occidentale et pour cause puisqu’elle est créditée au générique sous le nom de « American Girl ». Cette nouvelle femme mystérieuse est incarnée par Phoebe Augustine, qui jouait Ronette Pulaski dans les premières saisons, et là encore il s’agit probablement d’une fausse piste vouée à ouvrir l’imaginaire du spectateur. Le visage nous rappelle celui de Ronette, et chacun peut dès lors se laisser aller aux extrapolations pour expliquer son apparition en « american girl » d’un autre monde. Ce personnage invite Cooper à se dépêcher, car « Mother » (la Mère) arrive et en effet, d’inquiétants coups sont frappés aux parois. Mais se dépêcher pour aller où ? Cooper semble trouver une issue dans la machine numérotée du chiffre 3, et soudain, le montage nous mène au monde réel où son double maléfique roule en berline noire dans le désert. Tandis que Mister C. est pris de vertiges et semble attiré par son allume-cigare, le bon Cooper entre alors dans la machine, comme aspiré par la lumière et les sons qu’elle émet. Son corps se déforme, disparaît dans le métal. Ne reste que ses chaussures – autre effet loufoque et déstabilisant à la Eraserhead, où le héros perdait la tête d’un coup de gomme. Dans le désert, Mister C. perd aussitôt le contrôle de son véhicule et a un accident. Les rideaux rouges lui apparaissent. Mais Mister C. se retient de vomir… Nous sommes alors menés ailleurs, dans un village en plein désert nommé Rancho Rosa. Là, un nouveau double de Cooper apparaît : Dougie. Il est aux côtés d’une prostituée, magnifique femme noire et nue dans son lit, qu’il paye. Ce dénommé Dougie est-il lui aussi un « doppelgänger », ou un autre type de double ? Kyle MacLachlan l’interprète comme un personnage plutôt stupide, bien différent de Cooper et de son double Mister C. Il a une coiffure ridicule, un peu de ventre, des vêtements colorés kitchs. Et c’est pourtant ce personnage ridicule qui porte au doigt l’importante bague de jade verte, celle vue dans Fire Walk With Me. Et, comme par conséquent, le bras gauche de Dougie est soudainement « mort », réminiscence de la fin de la saison 2 où plusieurs personnages étaient atteints de douleur à ce bras lorsque la porte de la Black Lodge s’ouvrait. Il est pris d’un malaise, il vomit une étrange mixture et se retrouve transporté dans la Black Lodge, où le Manchot récupère la bague. Dougie « désenfle », se désintègre : son visage disparaît dans une fumée noire, là encore façon Eraserhead, et se transforme en bille dorée ! Pendant ce temps, le double maléfique de Cooper semble échapper à la Black Lodge et vomit enfin, une matière qui semble être un mélange noir et jaune, peut-être de « black oil » et de « garmonbozia », deux matières inventées dans la saison 2 et dans Fire Walk With Me. La police découvre plus tard sa voiture accidentée, d’où émane une odeur insupportable – on se souvient des odeurs d’essences dégoûtantes qui émanaient des apparitions de BOB (à l’époque, dans le corps de Leland) ou du pot de « black oil » dans la saison 2. Mais la question reste en suspend : Mister C. est-il encore vivant ? Le « vrai » Dale Cooper retourne quant à lui dans le monde réel par les prises électriques (!), dans son costume du FBI. Twin Peaks nous mène là à un instant de pure hallucination, même si tout repose sur une logique, secrète peut-être, mais cohérente : la machine du monde de Naido et de l’American Girl était donc une forme de prise électrique, et ce conduit relie les mondes réels et parallèles. David Lynch répète souvent en interview être fasciné par les mystères de l’électricité, et dans Fire Walk With Me, il associait le son émit par l’Homme Venu d’Ailleurs (aussi appelé le « Bras ») aux poteaux électriques. BOB y prononçait « e-lec-tri-ci-ty » dans un plan où la caméra se plongeait dans sa gorge. Dale Cooper se réveille donc dans cette maison de Rancho Rosa, avec cette prostituée prénommée Jade (comme la bague verte, de Jade ?). Mais là est le hic : Cooper semble amnésique. Marchant comme un zombie derrière Jade, il est un pantin source de comédie et de malaise à la fois. Jade retrouve dans la poche de Cooper la clé de sa chambre d’hôtel du Grand Nord, celle de 1991… vestige et signe d’un Temps « mis en pause » comme par magie pendant vingt-cinq ans. En quittant Rancho Rosa, en voiture avec la prostituée, Cooper évite par chance ou, là aussi, par magie, d’être vu par des snipers qui l’attendent. Tout simplement en se baissant au bon moment pour ramasser la clé de la chambre d’hôtel du Grand Nord, tombée tandis que Jade roule sur un ralentisseur. Ce retour de Cooper à la réalité donne lieu, de manière inattendue, à un humour tordu comme seul Lynch et Frost peuvent le concocter. Pour finir ce passage à Rancho Rosa, une dernière saynète montre une voisine, visiblement droguée car piquée de partout, hurlant en boucle « 1-1-9 ! » (le numéro d’urgence 911 à l’envers ?). Son fils observe par la fenêtre l’approche des snipers, qui mettent ce qui semble être une bombe ou un traceur sous la voiture de Dougie. Après cette première partie qui résout, en partie seulement, le retour de Dale Cooper au monde réel, nous retournons à Twin Peaks, où Hawk arrive avec le café et les donuts. Un nouveau signe est posé sur la porte : un dessin de donut et le mot « disturb » (« donut/do not disturb »). La scène qui suit est placée sous le signe de l’humour, un humour inchangé : celui du duo de Lucy et Andy, dont les ressorts comiques sont basés sur la répétition et la lenteur des réactions. Vingt-cinq ans après, la mécanique marche toujours, et c’est un pur délice que de revoir Kimmy Robertson, Harry Goaz et Michael Horse, échanger un joyeux dialogue de sourds, basé sur une succession de répliques absurdes. La scène suivante est elle aussi une saynète légère et en apparence gratuite, un « à-côté » qui nous permet de retrouver nos personnages fétiches : cette fois c’est le Dr Jacoby, qui peint ses pelles d’une pellicule dorée. Elles sont accrochées à un système artisanal et complexe délirant. Mais toujours aucune explication sur son projet. Retour à Las Vegas, où Cooper est abandonné par Jade à l’entrée d’un casino. Lorsqu’elle prononce « tu peux y aller, maintenant » (« you can go now »), Cooper revoit en pensée Laura prononcer cette même phrase dans la Black Lodge. Bien qu’amnésique, Cooper associe toujours le réel aux indices de la Black Lodge, comme vingt-cinq ans auparavant. Cooper répète les quelques mots qu’il vient d’entendre dans la bouche de la jeune femme, « call for help », à la guichetière du casino. Il tend un billet de 5 dollars donné par Jade, et l’employée pense alors qu’il veut jouer et le mène aux machines. Là, Cooper gagne coup sur coup, guidé par des visions de la Black Lodge, le rideau rouge et une petite flamme apparaissant en surimpression sur des panneaux de jeux. Tout se passe comme par magie, comme si un bon sort protégeait notre héros. Mais ce héros est désormais devenu un pantin muet, image saisissante, tragicomique, dans un mélange de sentiments contraires comme sait les créer David Lynch avec brio. C’est ainsi que nous laissons Dale Cooper pour l’instant, la dernière séquence nous menant à Philadelphie. C’est la seconde ville connue de l’univers de Twin Peaks, déjà apparue dans Fire Walk With Me lors des scènes aux bureaux du FBI, où travaillaient Cooper, Albert Rosenfield, Gordon Cole et Phillip Jeffries. Vingt-cinq ans plus tard, nous retrouvons Gordon et Albert en réunion, entourés de plusieurs collègues. Lynch, dans son rôle de Gordon, présente (encore) une nouvelle affaire. Cette fois, celle d’un homme criant son innocence dans le meurtre de sa femme, et laissant aux policiers une série d’indices pour les mener au véritable assassin : une photo de filles en maillot de bain, une d’un enfant, une pince coupante, une mitraillette… Est-ce une affaire d’importance, ou un nouveau pas-de-côté burlesque ? Le spectateur hésite entre concentration et relâchement. On découvre, autour de leur table, une nouvelle collègue, l’agent Tamara Preston, présentée pour les fans comme narratrice du livre de Mark Frost The secret history of Twin Peaks. Elle leur présente l’avancement dans l’affaire de New York : la police locale ne sait rien de ce qui a pu se passer, ni même qui était le propriétaire de ce laboratoire où les deux victimes, Sam et Tracey, ont été trouvées décapités. Tammy a récupéré les images vidéos enregistrées autour de la boîte en verre, et on y aperçoit la forme spectrale. « What the hell ? » s’exclame Gordon Cole, ironiquement joué par Lynch, comme si le cinéaste lui-même ne comprenait rien à son histoire ! Sur ces images vidéos, cependant, Cooper ne semble pas être apparu. Comment expliquer cette absence sur l’enregistrement ? C’est justement à cet instant qu’un appel apprend à Gordon Cole que l’agent Cooper a été retrouvé… dans une prison dans le Dakota du Sud. Cette dernière découverte donne lieu à un échange de comédie entre Gordon/Lynch et Albert/Miguel Ferrer, l’un sourd comme un pot, l’autre toujours cynique, sous l’œil amusé de la discrète Tamara. Gordon et Albert se promettent de garder le secret sur cette réapparition de Cooper, et prévoient de lui rendre visite dès le lendemain. Nouvelle promesse scénaristique pour nous mener à l’épisode suivant. Notons que l’une des répliques d’Albert, « The Absurd Mystery of The Strange Forces of Existence », est un clin d’œil à un projet avorté de David Lynch, « Ronnie Rocket, The Absurd Mystery of The Strange Forces of Existence ». Twin Peaks, The Return est truffé d’échos du passé de David Lynch, de reprises d’images de ses précédents films, comme si le cinéaste y affichait le désir de laisser là son œuvre testament. L’épisode se termine, comme le précédent, par un concert au Roadhouse. Cette fois, un groupe folk-country, les Cactus Blossoms. La musique est là « pour elle-même » : la caméra ne se tourne pas vers le public pour y révéler un dialogue, et le générique de fin défile. Jusqu’à présent, la série ne livre aucun nouveau thème d’Angelo Badalamenti, uniquement des nappes sonores inquiétantes fruit du sound-design de David Lynch et de Dean Hurley, ainsi que deux anciens thèmes de la série initiale, et des morceaux de musiques pop, electro ou country. Comme si, tant que Dale Cooper n’était pas de retour à Twin Peaks, quelque chose manquait. Cooper nous manque, mais pas Kyle MacLachlan, à qui Lynch et Frost offrent l’occasion de briller dans une galerie de doubles : tantôt le « bon » Dale dans la Black Lodge, Mister C. son double maléfique, Dougie le clone ringard et pathétique, puis, un quatrième rôle, celui d’un Dale amnésique projeté dans le monde réel. « Call for help » nous mène dans des zones inattendues, tant par son introduction totalement surréaliste et abstraite, véritable peinture en mouvement (n’oublions pas que Lynch a commencé par la peinture et n’a jamais quitté cet art) que par la seconde partie de l’épisode d’un comique absurde. Jusqu’à présent, Lynch et Frost font le choix de nous égarer, hors de nos zones de confort, et hors de Twin Peaks majoritairement. On ne retrouve pas l’immersion dans la bourgade, comme dans les premières saisons (où chaque épisode couvrait 24 heures de la vie de la ville). La troisième saison de Twin Peaks demande au spectateur de s’y engouffrer sans préjugés, comme souvent chez Lynch. Un fan connaisseur des autres œuvres du cinéaste aura d’ailleurs plus de facilité à accepter ce grand labyrinthe. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Cooper/Dougie, toujours amnésique, est en limousine par un chauffeur du casino, chez lui, où l’attend son épouse. Pendant ce temps, Gordon, Albert et l’agent Tamara retrouvent Cooper « Mister C. » en prison dans le Dakota du Sud. A Twin Peaks, le Sherif Frank Truman suit l’enquête de Hawk. Ce dernier suit la piste de la Dame à la Bûche autour de "la pièce manquante" concernant Cooper. Critique : Lynch et Frost continuent de nous surprendre, pour le meilleur, si tant est que le spectateur accepte de se perdre dans ce nouveau labyrinthe qu’est le « retour » à Twin Peaks. Toutefois, après un troisième chapitre 3 à la première partie Eraserhead-esque (le monde mauve et céleste de Naido et de l’American Girl), la quatrième partie « Brings back some memories » est plus ancrée dans le réel. Mais c’est un réel absurde, tantôt comique, tantôt effrayant. Nous retrouvons Cooper-amnésique au Silver Mustang Casino de Las Vegas, où il est guidé par une bonne étoile – en fait, une apparition des rideaux rouges de la Black Lodge – qui lui permettent de gagner tous les jackpots des machines à sous. Si Cooper est devenu un pantin, il est entouré d’autres zombies, image terrifiante de notre déchéance filmée par Lynch, et notamment par un personnage de petite vieille devenue sorcière à force d’attendre avec avidité le jackpot. Dans cette scène, Cooper-amnésique est reconnu par des amis, mais si l’épouse est inquiète, le mari, lui, discute comme si de rien n’était, ou presque, avec celui qu’il prend pour Dougie (le personnage brièvement vu dans la scène avec la prostituée, Jade, dans l’épisode 3). Cooper, répétant les derniers mots de chaque phrase comme un bébé qui découvre le monde, parvient à « discuter », comme si notre humanité était tellement abêtie qu’il était suffisant, en guise de conversation, de bredouiller quelques syllabes. Lynch et Frost poursuivent cette veine absurde au-delà de nos attentes, puisque Cooper « discute » ensuite avec le patron du casino, qui l’accuse de tricherie, et s’en sort libre avec un sac de plusieurs milliers de dollars. Ayant mémorisé les quelques mots de ses « amis » croisés dans le casino, il répète son nom « Dougie Jones » et est conduit en limousine jusqu’à son quartier, où les mots « red door » (porte rouge) permettent au chauffeur de le déposer. Lynch peut ici rester pleinement dans le domaine de la comédie, genre qu’il n’effleure que brièvement dans son univers habituellement. Le cinéaste est pourtant un grand admirateur de Jacques Tati. Et, surtout, ce chapitre sur notre Cooper-zombie pris pour un autre lui permet de redonner vie au premier projet écrit avec Mark Frost, mais jamais réalisé, One Saliva Bubble, film loufoque où une expérience scientifique intervertissait les habitants d’un quartier résidentiel. Cette nouvelle trame au sein de Twin Peaks suit donc celui que l’on appellera désormais « Cooper-Dougie », provoquant à la fois nos rires et notre crispation. C’est l’humour piétinant, jouant sur l’attente, hérité de Tati et Beckett, et qui poursuit voir qui accomplit les scènes de comédies des premières saisons, souvent centrées sur Andy et/ou Lucy. La lenteur et l’absurde de ce nouveau chapitre rappelle les images d’Andy restant en équilibre après s’être pris une planche dans la tête, ou bien encore l’incompréhension et la lenteur du vieux serveur qui ne faisait rien pour sauver Cooper abattu au début de la saison 2. Ici, le temps s’arrête à nouveau jusqu’à en rire nerveusement, lorsque le chauffeur de la limousine attend avec Cooper-Dougie devant sa maison, sans rien faire. Humour par clin d’œil, un hibou passe à cet instant et le chauffeur déclare détester cela. Et, pour achever le piège dans lequel est enfermé Cooper, une femme ouvre la porte et le prend pour son mari : Cooper est désormais marié à Janey-E Jones, incarnée par Naomi Watts ! L’humour devient alors triste, on est dans l’humour noir. Les Jones vivent une vie étriquée, où l’épouse semble habituée à l’absence de son mari, et nullement surprise de le voir muet et attardé. Elle passe de la colère à la joie en découvrant les billets de banque, devant son époux qui pourrait être atteint d’Alzheimer, image sordide qui poursuit celles des zombies du casino, et surtout du manque total d’attention prêtée au pauvre Cooper-Dougie perdu. Chaque être est perdu dans sa bulle, inattentif aux autres, même au sein du couple. C’est une nouvelle vue sur le XXIème siècle individualiste qui s’inscrit dans Twin Peaks ; le directeur de Showtime David Nevins avait affirmé, avant la première diffusion, que ce nouveau Twin Peaks aurait quelques résonnances avec l’Amérique de Trump. A cette éventuelle vision politique, le handicap de Cooper a une autre portée, celle du passage du temps, centrale dans la nouvelle saison. Vingt-cinq ans plus tard, le fringant agent du FBI n’est plus que l’ombre de lui-même, un homme malade que l’on doit diriger d’un point à un autre, ne parvenant plus qu’à répéter les mots qu’il entend. L’aspect autobiographique est à chercher du côté du coauteur, Mark Frost, dont le père Warren (qui incarnait le Docteur Hayward dans la série) était atteint d’Alzheimer à l’époque de l’écriture du projet. La mémoire est au centre de cet épisode (dont le sous-titre choisit par Showtime est « Brings back some memories », phrase prononcée par Bobby Briggs). A la fin de la séquence chez les Jones, Cooper répète deux mots : « Home » et « My life », qui résonnent comme des appels au secours de l’Agent Cooper cherchant à retrouver la mémoire. Dans la scène suivante, les souvenirs sont aussi rappelés, comme si le montage s’effectuait par thème – ce qui est très probable, Lynch ayant eu la totale liberté de déplacer les séquences selon son goût au sein des 18 épisodes, avec son fidèle collaborateur et habitué de la série, le monteur Duwayne Dunham. On retrouve justement David Lynch lui-même, en Gordon Cole, qui attend son supérieur. Apparaît alors Denise Bryson, incarnée par David Duchovny, qui enfile la perruque et la robe pour reprendre son rôle culte de la saison 2. La scène n’apporte pas beaucoup d’éléments à l’intrigue, elle est avant tout une madeleine de Proust, et ces « madeleines » sont nombreuses dans la saison 3, ce sont autant de saynètes qui ne font pas ou peu avancer l’intrigue mais qui nous offrent le plaisir des retrouvailles. Il s’agit surtout ici d’une forme de retrouvailles de Gordon/Lynch avec le passé de la série, dont l’humour était l’une des caractéristiques, et qui ressurgit ici par le personnage cocasse de Denise. C’est aussi un double langage qui est proposé, celui de la mise en abyme, avec la présence de Lynch comme comédien : Denise dit « faire confiance » à Gordon, et être certain qu’il suit la piste de « quelque chose d’énorme ». « Enorme ! » (« Big ! »), répète Gordon, comme si Lynch parlait là de sa série pour rassurer le spectateur. David Lynch dans son rôle de Gordon tient d’ailleurs une place importante dans cet épisode, et semble constituer, avec Albert et Tamara, un nouveau trio d’importance. Comme si Lynch, en se mettant au premier plan, voulait montrer à quel point il assume sa nouvelle création. Nous passons alors à Twin Peaks, à priori la même nuit, comme si la chronologie « s’apaisait » au fur et à mesure que le spectateur retrouve ses repères et entre dans le cœur du récit de la saison 3. A l’accueil du commissariat, Lucy tombe à la renverse en voyant apparaître le Sheriff Truman qu’elle croyait à la pêche : Lucy n’a pas compris, au fil des vingt-cinq ans écoulés, le fonctionnement des téléphones portables. Andy et Lucy vient la rassurer, et ils semblent être les seuls personnages à n’avoir absolument pas changés, comme l’incarnation, à eux deux, de la nostalgie des premières saisons. Le shérif Truman, lui, n’est plus le même : il s’agit de Frank, le frère de Harry. Il est interprété par Robert Forster, qui aurait dû initialement jouer Harry Truman dans la série originelle, mais qui fut indisponible et remplacé par Michael Ontkean dans ce rôle. Robert Forster jouera finalement pour Lynch dans Mulholland drive, et donc dans ce retour à Twin Peaks. Son frère de fiction, Harry Truman, personnage culte qui formait un duo important avec Cooper dans la série d’origine, est quant à lui « malade » (on le sait depuis l’épisode 1). L’existence d’un deuxième frère Truman est une surprise préparée par le roman de Mark Frost, The Secret history of Twin Peaks, où il était introduit. D’ailleurs, ce quatrième épisode recoupe une seconde fois avec les informations de ce livre, puisque la scène suivante nous apprend que le Major Briggs est bien le dernier à avoir croisé l’Agent Cooper, avant de mourir dans l’incendie qui a ravagé son observatoire, il y a vingt-cinq ans. Cette information nous est donnée par son fils Bobby Briggs, qui réapparaît donc dans cet épisode 4, en agent de police. Suite logique de l’évolution de Bobby, le « bad boy » chez qui se dessinait déjà un avenir plus sage au fil des premières saisons, et notamment lors d’un échange bouleversant avec son père Garland qui lui racontait un rêve merveilleux où il voyait son fils dans le futur, devenu un adulte serein et heureux. Avec Bobby, Frank Truman, Andy et Lucy, Lynch nous offre un ballet au sein du commissariat, franchissant porte après porte comme pour se réapproprier ce décor si important de la série. Les choses y ont un peu changé, les boiseries et la décoration sont les mêmes. Il semble y avoir plus de collègues (même si, dans la série originale, de nombreux figurants faisaient souvent leur apparition à l’arrière-plan) et une salle vidéo sert désormais à surveiller la ville, témoignant à nouveau d’un regard plus volontairement politique posé sur l’Amérique moderne. Bobby, d’ailleurs, semble fatigué de ne surveiller que des ragondins et des écureuils. Cependant, un événement un peu plus important est mentionné dans les dialogues, la mort d’un adolescent par overdose à l’école. Evènement qui aura peut-être, ou non, son importance, mais qui rappelle la mort de Laura Palmer et les trafics du One Eyed Jack de la série d’origine. Laura ressurgit d’ailleurs tel un fantôme, lorsque Bobby pénètre dans la conference room où il constate que Hawk a ressorti les archives de l’affaire Laura Palmer. Face à lui trône la photo de Laura en reine du lycée – cette photo iconique servait de fond aux génériques de fin des premières saisons, et Bobby embrassait cette photo à travers la paroi vitrée dans Fire Walk With Me. Vingt-cinq ans plus tard, la vue de cette photo le fait pleurer et à cet instant, le Bobby des années 90 ressurgit sur son visage vieillit, dans ses expressions et le jeu un peu too much, mais que l’on adore tout de même, de Dana Ashbrook. Et le thème de Laura Palmer, si culte, refait son apparition pour la première fois. « Mec, ça ramène des souvenirs » (« …brings back some memories »), bredouille-t-il en larmes, sous le regard ému de Hawk, et de Andy et Lucy qui se prennent la main. Le thème de Laura Palmer continue, et couvre la scène de ses nappes sombres, quand les collègues évoquent la disparition de Cooper. Cette présence du thème principal « réincarne » Twin Peaks pour de bon. Comme dans le passé, le commissariat est le théâtre d’un enchaînement de saynètes au teintes différentes, passant du rire aux larmes, de l’enquête policière à la romance, lorsqu’un personnage passait du couloir à la salle d’interrogatoire ou au bureau d’accueil de Lucy. Dans cet épisode, la scène qui s’y déroule dure 14 minutes en tout. Dans sa dernière partie, c’est la comédie qui prend le dessus lorsque sur le parking (décor jamais filmé auparavant en dehors des vues introductives sur le commissariat), Frank Truman rencontre le fils de Lucy et Andy, Wally. Il est incarné par Michael Cera. Une scène tout à fait improbable, toujours dans l’esprit du ressort comique du duo Andy-Lucy, désormais trio avec leur fils Wally qui se prend pour Marlon Brando. Le regard de Frank Truman rappelle celui de son frère Harry dans les premières saisons : désabusé, impatient d’arriver au bout de cet échange sans queue ni tête. Du pur délice. Le lendemain matin, le réveil de Cooper-Dougie donne lieu à des scènes toujours aussi improbables. Les vêtements de Dougie sont trop grands pour Cooper. Mais, de l’humour, on passe soudain à l’angoisse, quand la Black Lodge réapparaît dans la chambre de Dougie, en surimpression. Le manchot lui dit : « vous avez été piégé », en lui montrant la bille dorée extraite du corps de Dougie. Oui, il semble qu’un esprit maléfique ait fait revenir Cooper au monde réel en lui volant sa mémoire, le piégeant dans la vie de Dougie Jones. Et, est-ce bien le monde réel ? Dans quelle dimension se situe ce troisième double, Dougie, son épouse et son fils ? Tout y est si artificiel que l’on pense parfois être dans la « quatrième dimension », celle de la série de Rod Serling où l’Amérique était souvent inquiétante à force d’être trop lisse. Quelques images plus tard, Dougie est angoissé à l’idée d’aller uriner – un humour potache qui rappelle l’enlèvement du major Briggs dans la saison 2, où Cooper allait déjà satisfaire un « besoin naturel ». En se tournant vers le miroir, Cooper se contemple avec fascination. Une musique éthérée apparaît… A nouveau, les souvenirs ressurgissent – ici, ceux de la fin de la saison 2, bien plus sombres. Cooper rencontre alors son fils, Sonny Jim, avec qui il échange un pouce levé, incessant rappel du passé puisque ce pouce levé était iconique de l’agent Cooper, et déjà rejoué avec lenteur par le vieux serveur au début de la saison 2. Cooper-Dougie descend au rez-de-chaussée de sa maison où son amnésie fait rire son fils, et le morceau de jazz Take Five de Dave Brubeck couvre la scène, idée géniale qui provoque nos rires en même temps que notre malaise. Sa cravate sur la tête, Cooper-Dougie réapprend tous les mouvements de la vie quotidienne, et un dernier élément du passé de Cooper surgit : il boit à nouveau du café, pour la première fois depuis son retour. Fasciné, il répète : « café… ». Mais il le crache, violemment, en hurlant et en souriant comme un enfant devant son épouse atterrée. Encore un grand moment de mise-en-scène, où Lynch nous bombarde d’émotions en quelques minutes, pour finir sur une note à la fois jubilatoire et sinistre. Le tout en compagnie de Dave Brubeck, célèbre jazzman dont la bande sonore de Twin Peaks imitait souvent le style dans les premières saisons. Le thème associé à Dale Cooper dans les saisons 1 et 2 était en effet très proche du célèbre Take Five. A Buckhorn, de nuit, l’enquête se poursuit. Le double cadavre découvert (une tête de femme, la libraire Ruth Davenport, et un corps d’homme, inconnu) délivre quelques nouveaux indices. Les analyses ADN de l’homme décapité donnent lieu à une identification, mais bloquée, car il s’agirait d’un militaire. Qui est ce militaire mort et décapité ? On pense aux présences militaires dans Twin Peaks, qui bloquaient la recherche de la vérité sur la Black Lodge dans la saison 2, et, bien sûr, au Major Briggs. Après cette brève scène qui poursuit le récit policier initié à Buckhorn dans l’épisode 1, nous retrouvons Gordon, Albert et Tamara, qui partent vers le Dakota du Sud pour retrouver Cooper. Leur voyage en voiture donne lieu à un nouveau gag à la Professeur Tournesol, quand Albert tente d’expliquer que Tamara est malade en voitures (« car-sick »), et que Gordon croit l’entendre parler de Cosaques. Arrivés en prison, les enquêteurs locaux expliquent qu’ils ont trouvé, dans la voiture de Cooper de la cocaïne, une arme, et une patte de chien – comme toujours, c’est l’occasion pour Albert de placer son humour pince-sans-rire. Le trio rend ensuite visite à « Cooper », en réalité le double maléfique, Mister C. Plus que jamais, les traits de BOB (Frank Silva, décédé depuis le tournage des premières saisons), semblent inscrits sur le visage de Kyle MacLachlan, terrifiant dans son incarnation de cette créature malveillante. Pervers, le double maléfique prétend être heureux de retrouver son supérieur Gordon. Mais sa voix est terriblement grave, inquiétante. Albert Rosenfield semble terrifié face à l’image de son collègue. On se souvient que Rosenfield a vu BOB s’échapper du corps de Leland, dans la saison 2, et se demandait ce qu’était « BOB » en réalité : un simple mot pour désigner le Mal commis par l’Homme, ou une vraie entité ? Une scène absolument glaçante, grâce à l’usage savant du son, bien sûr (les fameuses « nappes de basses » à la Lynch qui envahissent le fond sonore, mais aussi le travail vocal de Kyle MacLachlan), et par l’ambiance issue du décor, sombre et claustrophobique. Comme dans Le Silence des agneaux, la vitre ne semble pas assez solide pour protéger les agents du FBI du monstre maléfique ; d’autant que le premier épisode de la saison nous a montré une vitre se briser, celle de la boîte en verre de New York, sous l’impulsion d’une créature tueuse. Le trio sort prendre l’air pour délibérer, et au dehors, la lumière est bleutée, irréelle. « Rose Bleue », prononce Rosenfield. « Plus bleue que jamais », dit Gordon. Encore une fois, les notes d’humour présentes dans le dialogue se mêlent à une tension sourde qui va crescendo. Au cours de l’échange, Gordon amplifie « au maximum » son oreillette de déficient auditif, pour pouvoir chuchoter avec Albert. Le mixage audio du film change alors, le son ambiant devenant plus fort – idée géniale de Lynch, ce grand Maître des Sons. Ce changement de réglage audio permet donc aux deux collègues de parler plus bas, mais la hausse du volume des ambiances créé à elle-seule une « musique » angoissante. Quelque chose cloche, notamment dans réaction d’Albert, qui confie avoir autorisé Phillip Jeffries (David Bowie, dans Fire Walk With Me) à donner une certaine information à Cooper. Cette information, c’était le nom d’un agent, qui est mort quelques jours plus tard. Le visage de Gordon/Lynch, plus buriné avec l’âge, se décompose, tandis qu’il songe : « Cooper and Phillip… what the hell ? ». L’échange se termine autour d’une promesse : Gordon et Albert doivent retrouver « une personne bien précise » pour examiner Cooper. Albert sait où « elle » boit des verres. Qui sera cette protagoniste, qui semble bien connaître Cooper ? L’épisode pourrait se conclure sur cette dernière scène, en cliffhanger. Ce qui est le cas, narrativement parlant. Mais Lynch prend le parti, depuis l’épisode deux, de terminer les épisodes par un concert au Roadhouse, comme pour éviter le coup (trop) classique du fondu au noir sur une note de suspense. Cette fois, c’est le groupe Au Revoir Simone. La chaîne Showtime, sûrement en accord avec Frost et Lynch, a décidé de diffuser ces quatre premiers épisodes en ligne dès le 21 mai. Ce bloc de quatre épisodes est en effet un parfait premier chapitre du retour. Après trois épisodes d’exposition, qui menaient Cooper du monde de la Black Lodge au notre, par un parcours semé d’embûches et de scènes surréalistes, ce quatrième épisode commence à approfondir les intrigues lancées en introduction. Après plusieurs pas de côté dans les trois premiers épisodes, à Buckhorn, à Las Vegas, à New York, et une temporalité difficile à saisir, la série semble retourner de plus en plus vers une chronologie plus classique et se resserrer autour de quelques lieux, dont Twin Peaks où nous passons de plus en plus de temps. Le retour progressif des anciens personnages est d’une élégance absolue. Au lieu de nous bombarder des visages connus comme des friandises pour fans, Lynch et Frost donnent à chacune de leurs réapparitions un caractère sacré. La réapparition de Bobby Briggs, par exemple, est un moment magique – d’abord de dos, hélé par le Shérif, comme s’il était encore un jeune bad boy traînant dans les couloirs du commissariat. Puis, se retournant, révélant sa veste d’agent de police ! Enfin, cet instant magique où il retrouve le visage de Laura Palmer, et nous l’âme des premières saisons, grâce à la musique de Badalamenti. Ce progressif retour à Twin Peaks s’exécute comme un rite magique. Nous parcourons le monde, en tout cas plusieurs villes des Etats-Unis, et tout semble être relié à Twin Peaks d’une manière mystérieuse et ésotérique. Un tour de magie nécessaire pour « réincarner » la série, comme Lynch et Frost réincarnent nombre de morts en quatre épisodes. Le premier épisode est dédié à la mémoire de Catherine Coulson (décédée d’un cancer après le tournage, faisant ses adieux en Dame à la Bûche malade) et à Frank Silva (BOB, réapparaissant par extraits de l’ancienne série mais aussi par l’incarnation de Kyle MacLachlan). L’épisode 3 est dédié à la mémoire de Don S. Davis (le Major Briggs, réincarné par truquage, son visage apparaissant dans les étoiles), et l’épisode 4 à Miguel Ferrer (décédé lui aussi d’un cancer, présent dans la saison 3 en Albert Rosenfield pour notre plus grand bonheur). Enfin, il y a David Bowie, lui aussi battu par le cancer, réincarné par la voix au téléphone et les dialogues qui mentionnent son personnage, Phillip Jeffries. Twin Peaks, The Return est une opération magique de réincarnation, exécutée avec subtilité et maestria par Mark Frost et David Lynch. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Cooper, toujours piégé dans la vie de Dougie Jones, est mené à son travail, dans un grand cabinet d’assurances, par son épouse. A Rancho Rosa, des tueurs à gage sont toujours sur sa trace, tandis qu’à Twin Peaks, Hawk et Andy continuent leurs recherches. Au Pentagone, on ouvre une enquête autour des empreintes de Garland Briggs retrouvées à Buckhorn, malgré le décès du Major il y a vingt-cinq ans. Au Double R, Shelly peut compter sur Norma pour se confier : sa fille Becky sort avec Steven, un jeune camé minable… Critique : Ce cinquième épisode, Case files, montre à quel point Lynch et Frost vont au bout de leurs idées, quitte à les mener loin dans l’absurde. Les deux coauteurs y sont obligés : impossible de faire les choses à moitié, car cette nouvelle saison doit être forte et imposer de nouvelles idées « cultes », pour ne point pâlir face aux mythiques premières saisons. Et des idées vouées à devenir culte, il y en a, dans ces cinq premiers épisodes. D’une part, par nombre de détails comiques. Petit à petit, la série retrouve son dosage entre humour et horreur, tel qu’on le connaissait dans les deux premières saisons. Case files révèle par exemple l’usage des pelles fait par le Dr Jacoby : il tient en fait une chaîne vidéo sur internet, par webcam, totalement délirante, et vend ces pelles dorées pour « se sortir de la merde » à 29$99. L’humour est présent dès l’une des premières scènes, quand l’agent Constance Talbot, à Buckhorn, présente les résultats de son examen légiste du corps décapité : « la cause de la mort, je crois qu’on lui a coupé la tête… et oui, je fais toujours du stand-up le week-end ». Autre moment surréaliste où l’humour fait mouche : dans les bureaux du cabinet d’assurance où travaille Dougie Jones, le café d’un employé est remplacé par un thé latte, et la colère de cet employé se transforme en sourire béat voire coquin. Citons enfin la scène entre Frank Truman et son épouse Doris. Le shérif reste totalement impassible devant sa femme, qui ne cesse de l’accabler de tous les maux, avant de finir par conclure, face au silence de son mari : « tu es im-pos-sible ! ». Une scène qui évoque celle du film Une Histoire vraie, dans laquelle Alvin Straight restait sans mot dire devant une automobiliste en pleine crise de nerfs après avoir écrasé un cerf. L’autre forme d’humour typiquement Lynch-éenne, c’est ce goût de l’étirement, de l’épuisement des situations jusqu’à l’absurde, hérité peut-être lointainement de Samuel Beckett. La force de l’épisode Case files tient justement de l’intrigue Cooper-Dougie qui s’étire plus que de raison. Cooper est piégé dans ce personnage amnésique, ni Dougie, ni totalement lui-même. Des réminiscences de sa vie de Cooper lui reviennent, mais par bribes, comme atteint d’Alzheimer. Toutes ces séquences sont donc à la fois tragiques et hilarantes. Lynch pousse ici au paroxysme le mélange des émotions, et son art de l’attente. Depuis trois épisodes, notre héros est un légume, et rien ni personne ne semble pouvoir le sauver ! A cette situation s’ajoute un regard sur notre société, celle en dehors de Twin Peaks, de ces bureaux où tout le monde agit poliment envers le pauvre Dougie, sans jamais se moquer, mais sans jamais vraiment s’inquiéter pour lui non-plus. Personne, pas même son épouse (les épouses sont décidemment mal vues dans cette nouvelle saison) ; elle ne lui demande pas ce qui lui est arrivé, et ne veut pas vraiment le savoir. Car Dougie était probablement un être invisible, « plouc » qui ne s’intéressait réellement à personne, ne pensant qu’aux jeux et aux prostituées, et qui par conséquent n’intéressait personne non-plus. Etait, car Dougie est-il toujours de ce monde, ou bien Cooper a-t-il pris sa place ? Dougie est-il mort dans la Lodge, piégé par le machiavélique Mister C. ? Un flottement perturbant, qui semble nous mener à une conclusion peut-être tragique. Dans une scène troublante et très émouvante, Cooper-Dougie regarde « son » fils, et se met soudain à pleurer, apparemment sans raison. L’émotion est redoublée par une musique éthérée, premier nouveau thème d’Angelo Badalamenti qui fait brièvement son apparition. Cette idée de dédoublement physique de Cooper – son corps possédé par BOB d’un côté, et son âme réincarnée en Dougie de l’autre – poursuit à la puissance mille l’expérimentation visuelle de la fin de la saison 2 (le dernier épisode, qui montrait pour la première fois Dale et son double dans la Black Lodge). De même, l’attente frustrante de voir quelqu’un venir en aide à Dougie rappelle les longues premières minutes de la saison 2, où nous retrouvions Cooper sur le point de mourir dans son hôtel, sans que personne ne vienne l’aider, si ce n’est un vieux serveur aux gestes ralentis. Après trois premiers épisodes très oniriques et « atmosphériques », dont un épisode 3 proche par moment du délire visuel d’Eraserhead, Twin Peaks The Return renoue progressivement avec l’atmosphère policière de la saison 1. D’ailleurs, depuis la sortie de Cooper de la Black Lodge dans l’épisode 3, chaque épisode semble plus chronologique et de moins en moins décousu. De plus, ce cinquième épisode est le premier à proposer de nouvelles musiques d’Angelo Badalamenti : le thème éthéré et triste sur la scène de Cooper-Dougie pleurant devant l’enfant ; un court thème jazzy dans les bureaux de Dougie ; un thème sombre dans les bureaux de Las Vegas ; quelques notes cuivrées surprenantes lors de l’explosion de la voiture. A ces musiques de Badalamenti s’ajoutent deux morceaux de Johnny Jewell, jazzy et mélancoliques, en introduction (« The Flame ») et en conclusion de l’épisode (« Windswept »). Quant à la toute première scène de ce cinquième épisode, l’apparition d’un morceau de rap/hip-hop montre bien comment Lynch cherche à nous déstabiliser, à ne pas simplement répéter les habitudes des premières saisons, notamment grâce aux choix musicaux. Quant aux concerts du Roadhouse, s’ils concluaient chaque épisode depuis le deuxième chapitre de la saison, cette fois, la scène de concert est au milieu de l’épisode. Le spectateur croit alors l’épisode déjà terminé, par ce conditionnement. Mais, comme rien n’est jamais sûr dans le monde de Twin Peaks, la caméra se tourne vers les clients du bar et la scène se poursuit. Richard, un jeune homme agresse une jeune fille. Ce jeune personnage malveillant est crédité au générique de fin sous le nom de… Richard Horne. Un fils ou petit-fils de Ben ? Audrey serait-elle sa mère ? Et son prénom, Richard, est-il en lien avec les indices du Géant dans l’épisode 1 (« Richard & Linda ») ? Richard est joué avec brio par Eamon Farren, acteur qui parvient à créer une aura de terreur autour de son personnage malgré son jeune âge, évoquant le Frank Booth de Blue Velvet joué par Dennis Hopper (Eamon Farren était déjà l’excellent interprète du film Chained de Jennifer Lynch, la fille de David Lynch). Et, tandis que Richard agresse la fille venue lui demander « du feu » pour sa cigarette, sur scène, la musique est rock et les lumières deviennent stroboscopiques – motif visuel récurrent chez Lynch, évocateur d’une disjonction électrique et annonciateur du passage dans d’autres mondes inquiétants. Les jeunes femmes à la table voisine pourraient être, vingt-cinq ans plus tard, des doubles de Laura, Donna, Maddy… On pressent que les évènements vont se répéter, comme si ce nouveau Twin Peaks jouait à la fois de l’amnésie (Cooper coupé du monde dans une autre ville, perdu), et de la renaissance, de l’éternel recommencement (les nouveaux personnages voués à mourir comme les anciens). Qui sera la nouvelle victime des forces maléfiques, tapies dans la forêt de la Twin Peaks et dans les secrets de ses habitants ? Peut-être s’agira-t-il de Becky, la fille de Shelly Johnson ? Elle fait son apparition dans ce cinquième chapitre, incarnée par Amanda Seyfried, jeune comédienne au charisme magnétique. Frost et Lynch ne nous révèlent toujours pas qui est le père de Becky, mais nous montrent sa mère Shelly toujours serveuse au Double R, aux côtés de Norma devenue une belle femme d’âge mure, à l’allure plus stricte, amère, que dans le passé. Quels autres drames ont jalonnés ses derniers vingt-cinq ans, à elle ? Le livre de Mark Frost The secret history of Twin Peaks, sorti avant cette saison, nous en donnait un petit aperçu. Notons que le soutien solidaire entre ces deux héroïnes, Norma et Shelly, contrebalance les nombreuses scènes où la gent féminine apparaît négativement, dans les quatre premiers épisodes, majoritairement lors de scènes de comédies, avec les personnages de Phyllis Hastings, Doris Truman, Janey-E Jones. Bien sûr, leurs maris ne sont pas des anges (sauf peut-être Frank Truman, mais que cache cette dispute violente, au-delà de l’apparence de mégère de Doris ?). C’est surtout le mariage qui est dépeint comme un calvaire, avec cette succession de couples malheureux depuis cinq épisodes. La jeune génération semble elle aussi vouée au malheur, avec Becky et son fiancé Steven, un garçon mal vu par Shelly, comme mentionné dans l’épisode 2. Camé, il cherche un travail, plus que maladroitement, lors d’une scène comique d’entretien chez Mike Nelson, devenu un cinquantenaire bien rangé, travaillant derrière un bureau, et qui se voit soudainement renvoyé à l’image de l’adolescent minable qu’il était lui aussi vingt-cinq ans plus tôt. Ce nouveau couple, Becky et Steven, vient rejouer celui de Shelly et Bobby comme un double du passé, comme si les erreurs passaient de mère en fille inexorablement. Amanda Seyfried et Caleb Landry Jones sont deux jeunes acteurs à la hauteur de cette « relecture ». La scène dans laquelle Becky plane, après un sniff de cocaïne, en voiture, est hypnotique. La menace qui plane sur elle est connue par les spectateurs : va-t-elle sombrer comme Laura, va-t-elle se perdre dans la forêt ? Plus les éléments de l’intrigue se resserrent autour de Twin Peaks, plus l’on sent qu’un malheur va y éclater. Frost et Lynch prouvent encore leur maîtrise du scénario, jouant avec nos nerfs en distillant de nouveaux éléments tout en repoussant toujours leur résolution. De même au niveau des détails cachés dans les dialogues les plus anodins en apparence : d’épisode en épisode, des répliques évoquent le personnage culte du Shérif Harry Truman, sans jamais le montrer. Dans ce cinquième chapitre, son frère Frank lui téléphone et lui demande la date de ses résultats médicaux. Harry Truman risque-t-il de mourir, hors-champ ? De même, l’épisode 4 nous promettait l’arrivée d’un personnage féminin « qui connaît bien Cooper », et qui confronterait son double maléfique Mister C. en prison. L’épisode 5 ne nous montre pas cette femme, laissant le spectateur continuer ses hypothèses (Audrey Horne ? Diane la femme du dictaphone ? Annie Blackburn ?). L’absence de réponse à cette intrigue lancée dans l’épisode précédent prouve que le récit Twin Peaks The Return s’exécute dans un montage libre : sans suivre une chronologie traçable, chaque épisode fait des détours, laisse de côté un lieu et des personnages (ici Gordon, Albert et Tamara), pour en favoriser d’autres. Ce cinquième épisode applique d’ailleurs la phrase prononcée dans la Loge, « Time and Time again » : le temps est répété en boucle entre l’épisode 4 et l’épisode 5, puisque nous avions laissé Cooper-Dougie au petit déjeuner dans l’épisode précédent, avant de montrer des scènes de nuit à Twin Peaks et Buckhorn, avant de revenir en arrière dans l’épisode 5 où Cooper-Dougie sort de sa maison avec son épouse et son fils, dans la prolongation du petit-déjeuner vu précédemment. Reflet du spectateur, invité dans l’univers de Twin Peaks pour enquêter, Tamara Preston enquête avec soin les documents autour de l’Agent Cooper. Apparue comme une jolie plante accompagnant Gordon Cole, Tamara se révèle ici en agent studieuse et méticuleuse. Une image qui correspond plus à celle de la narratrice du livre de Mark Frost The secret history of Twin Peaks, où Tamara intervenait dans les marges pour « vérifier les faits ». Elle semble d’ailleurs repérer dans cet épisode un détail troublant sur les empreintes digitales de Cooper. Nous n’en saurons pas plus, mais cet indice peut renvoyer à une autre révélation : les empreintes du cadavre à Buckhorn sont bien celles du Major Garland Briggs, et au Pentagone, une militaire, le lieutenant Knox, est chargée d’enquêter sur ce dossier. Son supérieur lui rappelle que les empreintes de Garland Briggs sont réapparues 16 fois après sa « mort », depuis 25 ans. Mais, cette fois, un véritable cadavre, sans tête, certes, correspond aux empreintes. Comme toujours, tandis qu’on en apprend plus (le cadavre est bien celui de Garland), s’ouvre un nouveau mystère, celui d’un mort qui laisse des empreintes pendant vingt-cinq ans avant que son corps ne soit enfin retrouvé. Ce goût de l’énigme sans cesse relancée est la marque de fabrique de Twin Peaks, depuis les premières saisons, et ce cinquième épisode nous en fournit un bel exemple. Les scènes d’enquête sont toujours très présentes, depuis l’épisode 4, et à l’image de Tamara penchée sur le dossier Cooper succède celle de Hawk et Andy, épluchant toujours les feuillets de l’affaire Laura Palmer, dans la salle de conférence du commissariat de Twin Peaks. Mais leur étude aboutit, encore une fois, à un échange de répliques comique entre Andy et Hawk. Ces enquêtes parallèles donnent au spectateur le sentiment que toutes vont mener au même point : le retour de Dale Cooper à la vie, et à Twin Peaks. Nous attendions ce retour du héros avec la nouvelle saison de Twin Peaks : Lynch et Frost en ont fait l’objet même de l’enquête policière de la série, repoussant nos désirs et nos attentes préconçues. Une autre saynète autonome, détachée du reste, montre Jade, la prostituée vue dans l’épisode 3, retrouver la clé du Great Northern Hotel et la jeter dans une boîte aux lettres. On devine que cette clé sera celle qui débloquera la situation, mais comment ? On ne peut que l’imaginer, pour l’instant. Tandis que Cooper est de plus en plus le centre de toutes les recherches, il semble ressurgir très progressivement sous la carapace de Dougie Jones : aux assurances Lucky 7, l’employé invisible Dougie devient soudainement inspecteur, balbutiant un « il ment » à propos d’un collègue malhonnête, Anthony Sinclair. Cooper semble toujours guidé par une force invisible depuis son retour au monde réel – peut-être les esprits de la Black Lodge, ou bien ses anciens talents d’agent du FBI qui ressurgissent sous la carapace handicapée de Dougie ? Dans la scène suivante, Cooper est interrogé par son patron au sujet de ces accusations balbutiées – là encore, personne ne pense à amener Cooper à l’hôpital, et tout le monde lui parle en faisant abstraction de son air hébété, une situation qui rappelle les mécanismes et la logique absurde des rêves. Cooper se voit confier des dossiers, pour trouver la preuve de l’escroquerie d’Anthony Sinclair. Le monde extérieur agit sur Cooper-Dougie pour refaire de lui un enquêteur. Et tandis que l’on retrouve des bribes de Cooper en Dougie, BOB réapparaît bien lui aussi en Mister C. En prison, celui-ci se contemple dans le miroir et, dans un plan terrifiant, le visage de BOB se superpose à celui de Cooper… Il faut, encore une fois, saluer l’interprétation tout à fait sidérante de Kyle MacLachlan. Le travail de ses expressions, de la forme de son visage, le déplacement de son corps, lui permettent d’incarner deux créatures absolument différentes, Cooper-Dougie (Cooper piégé dans un corps handicapé et une fausse identité), et Mister C. (le « Doppelgänger » maléfique de Cooper). L’un est est pataud, amorphe, source de comédie en même temps qu’écho tragique d’Alzheimer (le père de Mark Frost, Warren Frost qui incarnait le Dr Hayward, souffrait de cette maladie dans les dernières années de sa vie) ; l’autre est menaçant, à la hauteur de Frank Silva dans les premières saisons, et pour l’interpréter, McLachlan raconte qu’il l’a joué comme un requin. Dans une scène de cet épisode, Mister C. donne le coup de téléphone auquel il a le droit en prison, et l’instant devient terrifiant comme lors de l’entretien passé avec Gordon, Albert et Tamara dans l’épisode 4 : Mister C. compose un numéro interminable, et déclenche comme un sorcier tout-puissant les alarmes de la prison et perturbe le système électrique. Qui, de Cooper-BOB ou de Cooper-Dougie arrivera le premier à Twin Peaks ? Le Bon Cooper, lorsqu’il sortira de son amnésie ? Ou le maléfique Mister C., s’il s’évade de prison ? D’un côté, la vie de Cooper-Dougie ne cesse de renvoyer à Twin Peaks : clé du Great Northern retrouvé dans sa poche et mis dans une boîte-aux-lettres ; multiples répliques de ceux qui l’entourent et qui rappellent des éléments cultes de la série d’origine ; objets et coïncidences du monde extérieur comme le café et les pouces levés. Mais les forces maléfiques autour de Mr C. sont elles aussi multiples. Des tueurs à gage font leur ronde à Rancho Rosa, la ville où vit Cooper-Dougie. Ils semblent engagés par Mister C. – ou serait-ce en fait Phillip Jeffries le commanditaire, l’agent du FBI joué par David Bowie dans Fire walk with me ? Deux séquences de cette cinquième partie se déroulent à Buenos Aires, ville dont le scénario de Fire walk with me et le film des scènes coupées The Missing Pieces révélaient que Phillip Jeffries y avait fait sa dernière apparition. Ces nouvelles scènes à Buenos Aires, très brèves, ne montrent qu’un récepteur (ou sorte de beeper), mais semble lié au « chef » des gangsters… Autre présence maléfique, deux gangsters de Las Vegas venus tabasser puis licencier le gérant du Silver Mustang Casino suite aux multiples jackpots gagnés par Cooper-Dougie. Incarnés par James Belushi et Robert Knepper (deux "gueules" sans égales), les deux gangsters pointent du doigt Cooper sur les écrans de contrôle, faisant promettre au remplaçant que cet homme ne revienne jamais dans leurs murs. Cette scène violente de passage à tabac, Lynch a l’idée géniale de la mettre en scène avec trois danseuses vêtues de rose. Les trois pin-ups sont dans la même pièce, et leurs calmes mines rêveuses multiplient le trouble de la scène. En cinq épisodes, tout se resserre autour de Cooper, qu’il soit Cooper-BOB ou Cooper-Dougie, par une trame policière très présente depuis la fin de l’épisode 3. Et plus la série avance dans les enquêtes (à Buckhorn, à Philadelphie, à Twin Peaks), plus nous revoyons de scènes de vie dans la ville de Twin Peaks même. Cette fois, six scènes se déroulent à Twin Peaks dans ce chapitre, avec pour la première fois un retour au décor du Double R (après les retrouvailles au commissariat, au Great Northern, chez Sarah Palmer et chez Margaret Lanterman dans les épisodes précédents), et un bref aperçu de Nadine chez elle, et de Jerry Horn dans les bois, personnages reliés au Docteur Jacoby par son show internet qu’ils regardent simultanément. Le spectateur retrouve peu à peu ses marques dans ce gigantesque puzzle qu’est Twin Peaks saison 3. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Dougie est ramené chez lui par un agent de police. Son épouse, Janey-E, doit se charger elle-même de payer des dettes de jeu qu’il a contracté auprès de petites frappes. Dougie, lui, voit le Manchot réapparaître : ne mourrez pas, lui dit-il. Albert Rosenfield prend contact avec Diane. A Twin Peaks, Richard est sous l’emprise d’un gangster terrifiant, Red. Défoncé, Richard provoque un accident de voiture, et s’enfuit. Carl Rodd, le propriétaire du Fat Trout Park, en est témoin et voit une aura cosmique apparaître au-dessus de la victime… Hawk trouve la chose qui « manquait » dans l’affaire Cooper. Critique : La sixième partie de Twin Peaks The Return est un épisode carrefour. Véritable carrefour, celui où a lieu un terrible accident ; mais aussi le carrefour narratif de cette troisième saison. Dans cette sixième partie, Frost et Lynch décident de « recouper » de nombreuses pistes, d’apporter des réponses à des énigmes laissées en suspens depuis le début de la saison. Dans cet épisode, ils révèlent enfin qui est la femme qu’Albert Rosenfield va consulter pour identifier Cooper, évoquée deux épisodes auparavant : il s’agit de Diane, la femme à qui s’adressait Cooper dans le passé par son dictaphone. Elle est incarnée par Laura Dern, dans un nouveau look lynchien, cheveux blonds décolorés qui rappellent la perruque de Rita dans Mulholland drive. Une première apparition mise en scène avec brio : Rosenfield est d’abord en communication avec Gordon Cole, au téléphone, en voiture. Gordon, à l’autre bout du fil, goûte un « très bon Bordeaux », en charmante compagnie féminine, tandis que Rosenfield doit sortir sous des trombes d’eau (on note la présence à l’arrière-plan d’un Starbucks COFFEE comme détournement d’une enseigne omniprésente aujourd’hui en forme de clin d’œil aux obsessions de la série). Rosenfield lâche un « va te faire voir Gene Kelly ! » à l’adresse de la météo pluvieuse, réplique digne de ce personnage de râleur ; avant d’entrer dans un bar au néon rose, le Max Von’s Bar (hommage loufoque à Max Von Sydow ?). À l’intérieur Albert se dirige vers une femme, dont on ne voit que le dos un long moment, avant de se retourner à l’appel de son prénom : Diane… Révélation de l’existence de ce personnage uniquement nommé, moment attendu depuis vingt-cinq ans par les spectateurs de Twin Peaks. Voir Laura Dern, actrice culte de la troupe de Lynch (Blue Velvet, Sailor et Lula, Inland Empire) rejoindre le monde de Twin Peaks donne des frissons. L’épisode répond à d’autres attentes. D’un côté, l’univers de la famille Jones à Las Vegas est creusé, et nous nous attachons de plus en plus à ces personnages. Sans répondre au mystère de l’échange Dougie et Cooper (comment un sosie de Cooper a-t-il pu être créé de toute pièce pour le piéger ?), l’épouse Janey-E, jouée par Naomi Watts, prend du relief – notamment lorsqu’elle règle une dette de jeu de son époux, d’une main de fer, à deux maîtres-chanteurs minables. Si Janey-E est insensible face à la forme de handicap de son mari, on comprend désormais que c’est au terme d’années d’une vie de couple impossible. Quand elle voit la photo de la prostituée aux côtés de son mari, elle est en colère mais nullement surprise, comme si les fautes de l’époux étaient si nombreuses qu’elle s’y était habituée. Janey-E, pour supporter l’homme qu’était Dougie et pour sauver son ménage, s’est visiblement construit des nerfs d’acier jusqu’à devenir insensible, et c’est cette femme insensible que nous avons rencontrée dans l’épisode 4. Ici, pourtant, un tendre baiser sur le front de Dougie témoigne de leur amour passé. Leur fils Sonny Jim a aussi plus de dialogues dans cet épisode, notamment lors d’une scène touchante où son fantôme de père vient le border. Cooper-Dougie est alors fasciné par la lampe de chevet qui s’éteint en frappant dans ses mains, comme un enfant. Il faut noter le talent du jeune comédien Pierce Gagnon dans le rôle de Sonny Jim. Dans ces instants d’affection envers son fils ou son épouse, on croirait voir le Bon Dale ressortir de sa carapace. Le sort de notre héros devient de plus en plus bouleversant : l’épisode s’ouvre là où le précédent nous avait laissé, sur l’image tragicomique de Cooper-Dougie abandonné au pied de la statue. Il faudra l’aide d’un bon policier, généreux et compréhensif, pour le ramener à sa maison. Petit à petit, les éléments de la vie de Cooper lui remontent à l’esprit. Face aux dossiers confiés par son patron dans l’épisode précédent, il doit « enquêter », comme par le passé. On note que les situations d’enquête sont désormais partout : Cooper-Dougie doit éplucher ces dossiers à Las Vegas ; à Twin Peaks, Hawk, Andy et Lucy font de même ; à Buckhorn, Dave et Constance cherchent toujours à résoudre le mystère du double cadavre ; à Philadelphie, Gordon, Albert et Tamara enquêtent sur le double de Cooper. Potassant donc ses dossiers, Cooper-Dougie touche le chiffre 7, trait blanc sur fond noir qui ressemble aux zigzags de la Black Lodge, et soudain réapparaît comme un flash le feu tricolore de Twin Peaks, image culte de la série d’origine. Puis, le Manchot revient et l’interpelle de sa Black Lodge, en surimpression avec le monde réel du salon des Jones : « Réveillez-vous… » répète-t-il à Cooper-Dougie. Puis : « Ne mourrez pas ». L’âme de Cooper pourrait-elle s’éteindre, piégée dans une vie de légume ? On pense à l’effacement de la personnalité du héros dans Eraserhead, sa tête effacée d’un coup de gomme. Ou quelqu’un va-t-il physiquement supprimer Dougie d’un coup de fusil, et avec lui Dale Cooper piégé à l’intérieur de ce corps ? La phrase prononcée par le manchot dans l’épisode 4 le prévenait déjà d’un risque : « l’un de vous doit mourir ». Un seul Cooper peut exister. Mais lequel ? Cooper-Dougie ou Cooper-BOB ? L’ennui, c’est que pour émerger, on suppose que Cooper doit renaître tout en effaçant la personnalité de Dougie, l’homme avec lequel on le confond. Cela expliquerait-il les larmes de Cooper face à son enfant Sonny Jim, dans l’épisode précédent, conscient d’avoir usurpé son père ? Ce sixième chapitre est aussi le plus émouvant de cette nouvelle saison. Si la première paire d’épisodes était noire, angoissante, puis les épisodes suivants penchant de plus en plus vers l’humour absurde, ce sixième épisode laisse place aux larmes. Dans l’épisode cinq, la présence des enfants était déjà source d’émotions et de craintes – tel l’enfant de la femme droguée, qui risquait la mort en touchant à la bombe sous la voiture, ou encore Sonny Jim qui faisait pleurer Cooper. Dans ce sixième épisode, nous retrouvons Carl Rodd, le propriétaire d’un parc de caravanes, le Fat Trout Park – personnage introduit dans le film Fire Walk With Me. L’éternel Harry Dean Stanton l’incarne, et ses premières scènes dans cet épisode sont mémorables. Le vieil homme « traîne encore ses bottes » (comme il le disait dans Fire Walk With Me). S’il semble désabusé, il s’émerveille pourtant de la nature et… d’un enfant, qui joue, devant lui. Le spectateur s’attend, peut-être, à voir le vieil homme délivrer son dernier souffle devant cette image idyllique. Mais, sur la route, Richard Horne, le jeune homme inquiétant apparu au Roadhouse dans l’épisode 5, conduit une camionnette propulsée à 200 à l’heure. Le jeune homme écrase l’enfant et s’enfuit. Plusieurs témoins estomaqués restent sur le bord de la route, dont le vieux Carl. Lui qui semble increvable, évoquant dans la scène qui précède son goût des cigarettes qu’il fume sans interruption depuis 75 ans, voit mourir un tout petit garçon sous ses yeux. Alors, une lumière spectrale lui apparaît, comme le corps astral ou l’âme de l’enfant, qui flotte au-dessus de la scène puis s’élève vers le ciel. « God »… balbutie Carl. Le vieil homme s’approche alors de la mère éplorée, et d’un regard tendre, vient éponger ses peines, grand moment d’humanité dans cette saison qui tendait jusqu’alors à montrer la déshumanisation, l’individualisme et la froideur de notre siècle. Une scène qui coupe le souffle, par sa densité d’émotion et par le sentiment mystique qu’elle dégage. L’émotion de cette scène est appuyée par la musique, qui se déverse après tant de silences : il s’agit d’un nouveau thème d’Angelo Badalamenti, dont nous n’avions entendu qu’un bref extrait dans l’épisode 5, lorsque Cooper pleurait en regardant son fils. Auparavant, dans l’épisode 4, c’était un thème déjà connu mais lui aussi élégiaque, celui de Laura, qui réapparaissait sur les larmes de Bobby. Comme si les musiques d’Angelo Badalamenti étaient déclenchées par les larmes, et signes du retour progressif des émotions lacrymales dans Twin Peaks. Comme si, de notre monde actuel sombre et cynique, il fallait suivre le « retour à zéro » de Cooper et retrouver la mémoire de nos sentiments oubliés, enfouis à Twin Peaks, et de la musique qui y flottait dans les airs. Un autre aspect donne à cette scène, centrale dans l’épisode, un aspect fascinant. C’est la contradiction de nos sentiments : on y passe d’un moment doux à un moment cruel, de la stupéfaction du choc à la non-réaction quasiment ridicule des passants atterrés, du choc de la voiture percutant l’enfant à la stupéfaction face à l’image mystique de la flamme dans le ciel. De même, nos sentiments face au bourreau sont contradictoires : le tueur automobiliste, Richard, n’est pas uniquement un personnage maléfique et monstrueux comme présenté initialement. Dans la scène qui précède l’accident, il est présenté comme le sous-fifre d’un gangster surnommé "Red" – personnage qui apparaissait au Roadhouse dans l’épisode 2, et joué par Balthazar Getty, déjà vu dans Lost Highway. Richard Horne apparaît dès lors comme un jeune homme perdu, habité par une grande haine, et sûrement beaucoup de souffrances, face à Red, le gangster, qui le met à l’épreuve et le terrifie. Habité par cette peur et cette haine, Richard roule à toute allure pour se défouler, criant tout seul au volant des insultes à l’égard de Red. La peur est donc la raison directe de l’accident – elle envahi la tête de Richard, se transformant en haine, et il ne porte plus attention au monde qui l’entoure ni à la route devant lui. Dans cette situation, Richard rappelle un peu Laura : dans Fire Walk With Me, on voyait comment la peur, incarnée par BOB, en harcelant Laura, la poussait à commettre des actes mauvais, qui ne lui ressemblaient pas. Ce sixième épisode joue aussi – comme toute la série Twin Peaks depuis vingt-cinq ans – de la figure du double. Ce carrefour où a lieu l’accident est en réalité l’endroit même où Laura avait vu le Manchot, roulant à toute allure d’un seul bras à bord de sa camionnette, dans Fire Walk With Me. Le Manchot, lui, apparaît à Cooper après une image de feu tricolore. Des associations d’idées et d’images relient les scènes entre elles, comme dans un rêve (« wake up, wake up », répète le Manchot). De même, le thème musical de la scène de l’accident apparaissait quelques secondes dans l’épisode 5, lorsque Cooper-Dougie regardait son fils dans une voiture, en pleurant. La musique relie deux scènes où l’on pleure devant un enfant, avec la même présence centrale d’une voiture. Comme si le monde de Cooper à Las Vegas était le miroir de celui, où il est cruellement absent, de Twin Peaks. Autre double dans cet épisode : le policier qui vient en aide à Dougie et le ramène chez lui le renvoie à sa propre image passée, celle d’agent du FBI. Mais ce bon policier renvoie aussi à son double négatif, Chad, un agent égocentrique et cynique du commissariat de Twin Peaks. Ce personnage apparaissait brièvement dans l’épisode 4, il se révèle comme le « méchant » du commissariat de Twin Peaks dans ce sixième chapitre. Comme s’il entachait l’univers jusqu’alors si idéal de ce commissariat, où toutes les âmes étaient bonnes jusqu’alors. Chad se moque du drame vécu par le Shérif Frank Truman et son épouse Doris, le suicide de leur fils après le traumatisme de la guerre. Ce détail renvoie le spectateur à sa propre appréhension d’une scène de l’épisode 5, dans laquelle Doris était présentée sous les traits d’une mégère caricaturale – c’est le poids des années et d’un drame qui a fait d’elle cette triste caricature. Et cette histoire elle aussi possède un double, dans l’épisode 6, celle de Linda, qui vit dans une caravane au Fat Trout Park, en fauteuil roulant des suites de blessures de guerre. Linda, un simple nom pour l’instant, prononcé par son mari à l’adresse de Carl Rodd, mais qui résonne avec l’introduction du tout premier épisode, dans laquelle le Géant disait à Cooper : « Richard et Linda ». Comment ces deux personnages, Linda dans son fauteuil roulant, Richard le jeune apprenti gangster mal dans sa peau, vont-ils être liés ? Si, bien sûr, il ne s’agit pas d’homonymies, comme souvent dans le monde double de Twin Peaks (on se souvient de « BOB » et « Mike », des êtres de la Black Lodge, homonymes de Mike et Bobby, les lycéens). Par ces multiples nouveaux détails, la série pose de plus en plus de jalons à Twin Peaks, recentrant l’équilibre autour de la ville éponyme. Chaque épisode offre plus de scènes dans la bourgade, avec dans celui-ci 22 minutes à Twin Peaks, minutage le plus haut depuis le début de la troisième saison. Nous retrouvons la scierie lors de la scène entre Richard et Red ; Carl Rodd réapparaît au Fat Trout Park, lieu associé à Fire Walk With Me ; et même le pilier électrique numéro « 6 », dont les câbles semblaient relier l’Homme Venu d’Ailleurs avec notre monde dans Fire Walk With Me, réapparaît après la mort de l’enfant… L’épisode nous offre également une nouvelle scène au Double R, cette fois assez anecdotique et amusante (preuve que la série commence à « se poser » à Twin Peaks) entre une cliente, Miriam - qui sera témoin de l’accident par la suite -, Shelly et sa collègue Heidi, petit rôle culte d’Allemande au rire inimitable apparue dans le pilote et le dernier épisode de la série d’origine. L’épisode alterne d’ailleurs entre ces émotions, rires et larmes – notamment, aussi, quand un tueur à gages nain exécute une sanglante mission à Las Vegas, dans une scène à la fois grotesque et gore. Absents de l’écran, plusieurs présences maléfiques planent comme une lointaine menace dans cet épisode. Mister C. (le double maléfique de Cooper) n’est pas présent, mais Frost et Lynch nous promettent une confrontation entre Diane et lui dans l’épisode suivant. Autre présence menaçante et invisible, Phillip Jeffries (le personnage joué par David Bowie dans Fire Walk With Me), évoqué dans les épisodes précédents, est peut-être ce fantôme qui envoie des messages depuis Buenos Aires à Mr. Todd, le gangster de Las Vegas, qui transmet à son tour l’ordre d’exécuter Cooper-Dougie et la complice ayant raté sa mission au tueur à gages. Bien sûr, difficile de savoir si ces ordres émanent bien de Phillip Jeffries, ou alors de Mister C. ou bien même d’un autre personnage connu inconnu. Enfin, même le « Bras » (l’Homme Venu d’Ailleurs, désormais transformé en Arbre) est rappelé à notre souvenir quand le pylône électrique numéro « 6 » apparaît : dans Fire Walk With Me, le chant de l’Homme Venu d’Ailleurs émanait des câbles de ce pylône. Enfin, le gangster Red semble lui aussi possédé par une entité, capable de tours de magie impossibles. Il y a aussi les êtres protecteurs, comme le Manchot, qui, lui, apparaît bel et bien pour alerter Cooper : « Don’t die » (« ne mourrez pas »). Ce faisant, il semble opérer une série de gestes incantatoires : parviendra-t-il à ressusciter Cooper par sa magie ? Cette résurrection n’a toujours pas eu lieu, même si, dans cet épisode, l’ancien agent revêt à nouveau son costume noir et blanc revenu du pressing… Quant à Hawk, il agit lui aussi pour Cooper, à l’autre bout des Etats-Unis à Twin Peaks, où il découvre enfin la « pièce manquante », grâce à son héritage – finalement un logo « Nez-Percé » sur une porte de toilettes au commissariat. La pièce manquante : un clou de cette porte, et à l’intérieur de cette porte, des feuillets. S’agit-il de pages du journal de Laura Palmer ? Ont-elles été posées là, vingt-cinq ans plus tôt, par le Manchot qui, dans l’un des épisodes des premières saisons, subissait une crise dans ces mêmes toilettes ? Tout semble, en tout cas, se recouper. L’attente est longue, mais elle semble nous mener quelque part. Où ? Sûrement un endroit « étrange et fascinant », comme le disait Cooper vingt-cinq ans auparavant. Le spectateur est mis à l’épreuve dans cette attente de retrouver le monde de Twin Peaks tel qu’il le connaissait – à travers les yeux de Dale Cooper. Cette épreuve qui nous est proposée est comme celle de la Black Lodge : nous devons l’affronter « avec courage et pureté ». Entre temps, pendant ce voyage, David Lynch nous bombarde d’images et de sensations folles, dans ce qui s’avèrera peut-être la série la plus artistique de tous les temps, et son œuvre la plus grande. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Hawk a découvert les pages arrachées du journal de Laura Palmer, dans lesquelles Annie l’incitait, par un rêve, d’inscrire : « le Bon Dale est dans la Lodge ». Frank Truman se replonge alors dans le passé de l’affaire Palmer, et de la disparition de Dale Cooper. A Buckhorne, le lieutenant Knox découvre le cadavre sans tête du Major Briggs, tandis qu’un esprit traverse le couloir. A la prison de Yankton, Diane confronte Cooper. Critique : Après une sixième partie qui marquait la réapparition des larmes et de la musique dans Twin Peaks, avec un nouveau thème tragique d’Angelo Badalamenti mémorable, ce septième chapitre est celui du retour dans la ville de Twin Peaks et de la « récompense » pour les fans. Après 6 épisodes qui nous ont plongés dans un puzzle sombre et complexe, qui nous ont perdus dans différentes métropoles (Las Vegas, New York, et de nouvelles villes fictives comme Buckhorn ou Rancho Rosa), l’épisode 7 poursuit la logique d’un retour progressif dans la bourgade, et dans le passé. Les épisodes 2, 3, 4, 5 et 6 n’ont cessé de faire des détours, comme l’indique le minutage des séquences passées à Twin Peaks : Partie 1 : 9 min. Partie 7 : 24 min. Le minutage des séquences passées à Twin Peaks semble indiquer que Frost et Lynch veulent nous ramener dans la ville éponyme par petites touches, comme par une force centripète, au fur et à mesure que l’intrigue progresse. Le septième épisode s’ouvre d’ailleurs directement dans la forêt de Twin Peaks. C’est la première fois dans cette saison que le spectateur se retrouve directement dans la ville éponyme. Jerry Horne est perdu dans les bois, totalement défoncé, au téléphone avec son frère Ben. Dans la scène suivante, au commissariat, Frank Truman lit les pages arrachées du journal de Laura Palmer, retrouvées par Hawk dans les toilettes. La conversation fourmille d’informations et de références aux saisons passées. Après six épisodes évoluant dans un épais mystère, Lynch et Frost récompensent le spectateur par ces informations nettes et précises : il s’agit de pages arrachées au fameux journal secret de Laura, retrouvé chez Harold Smith (épisode « Lonely Souls » de la saison 2 où Hawk découvrait Harold pendu). Il y a 3 pages, or 4 pages avaient arrachées à l’époque – une page reste donc toujours manquante. Frank Truman, Shérif qui n’a pas suivi l’affaire, cherche à y voir clair. Une mise en abyme malicieuse de la situation des spectateurs, qui, vingt-cinq ans plus tard, doivent se replonger dans les dédales de l’affaire Laura Palmer. Selon Hawk, les pages auraient été cachées dans le commissariat par Leland lui-même (ce qui renvoie, peut-être, à la phrase prononcée par Leland dans la Lodge dans l’épisode 2 : « Find Laura », « retrouvez Laura »). Enfin, ces pages retrouvées évoquent une scène de Fire Walk With Me, dans laquelle Laura rêvait d’Annie Blackburn qui lui disait : « le Bon Dale est dans la Lodge ; note-le dans ton journal ». Voilà donc comment Hawk retrouvera, peut-être, Dale Cooper : par le rêve fait par Laura Palmer 25 ans plus tôt. Fascinant pont entre les scénarios d’œuvres écrites à un quart de siècle d’écart. Frank Truman appelle alors son frère Harry, toujours relégué hors-champ. Harry Truman, personnage culte des saisons 1 et 2, est toujours souffrant et, à chaque conversation téléphonique, son état semble empirer. Si un thème surnage de ce Twin Peaks saison 3, c’est celui du Temps. Le temps et ses qualités, parfois surnaturelles (sauts dans le temps, « is it future ? or is it past ? »). Mais aussi le poids du temps ; la Dame à la Bûche, souffrante d’un cancer, apparaît crâne rasé dans l’épisode 1 et 2 ; dans cet épisode 7, Harry Truman semble être coincé à l’hôpital, et la maladie qu’il doit « combattre » est peut-être aussi un cancer ; plus tard dans l’épisode, Beverly, l’employée de l’hôtel du Grand Nord, se dispute avec son mari gravement malade et coincé dans un fauteuil roulant (là encore, il semble s’agir d’un cancer) ; enfin, nous retrouvons aussi le Docteur Will Hayward, incarné par Warren Frost, le père du co-créateur Mark Frost. Le comédien, atteint d’Alzheimer, et décédé après le tournage de la saison 3, réapparaît dans son rôle par Skype interposé avec Frank Truman. La scène offre un beau décalage entre le décor intemporel et boisé du commissariat, et l’écran d’ordinateur branché sur Skype, camouflé par un système ingénieux (comme passe-temps, David Lynch adore bricoler les tables !). La conversation échangée entre Frank Truman et Hayward évoque en filigrane cette mort qui approche. La fiction et la réalité se rejoignent, quand Hayward évoque ses pertes de mémoire dans le dialogue. Quant à Truman, qui cherche à en savoir plus sur l’affaire Palmer et la disparition de Cooper, il est confronté coup sur coup à deux témoins trop malades pour vraiment l’aider (son frère au téléphone, Hayward diminué sur Skype). Mais Hayward se souvient d’une chose : il y a vingt-cinq ans, il a vu Cooper à l’hôpital, et ne l’a pas « reconnu » car il était comme un autre homme. Hayward évoque aussi à cette occasion Audrey Horne, dont nous apprenons qu’elle était dans un coma à la suite de l’accident de la fin de la saison 2. Le passé semble donc difficile à raviver. C’est aussi le cas dans le Dakota, où Gordon et Albert peinent à convaincre Diane (la secrétaire de Cooper, devenue enfin personnage réel dans l’épisode précédent grâce à l’incarnation de Laura Dern). Elle refuse d’abord de retourner voir Cooper pour l’identifier en prison. Se laissant finalement embarquer, Diane est terrifiée par « Mister C. », le double maléfique de Cooper. Séquence encore magistrale que cette confrontation de Laura Dern et de Kyle MacLachlan, le couple culte de Blue Velvet en 1988. MacLachlan est toujours aussi sidérant dans son incarnation du Mal. Laura Dern est à couper le souffle. Diane et Cooper – en réalité, BOB – ont vécu une « dernière nuit » qui a traumatisé Diane, des années auparavant. Lynch poursuit avec Laura Dern leur exploration de sentiments brûlants transparaissant par son jeu et son visage déformé, au bord des larmes, dans la lignée de son interprétation de Sailor et Lula et Inland Empire. Laura Dern incarne une Diane « mi sainte mi danseuse de cabaret » (comme décrite dans le livre Dale Cooper, My Life my tapes), agressive et usant pléthore de « fuck you », mais immédiatement attachante. Ses retrouvailles avec MacLachlan sont aussi émouvantes que celles avec David Lynch – le cinéaste partageant pour la première fois des scènes de jeu avec son actrice culte. Lors de ces scènes avec le nouveau quatuor du FBI, Diane renvoie Tamara Preston à sa place de novice, mise en abyme des statuts des deux actrices dans l’univers de Lynch, l’une grande habituée, l’autre nouvelle recrue. Autre jeu de complicité avec les spectateurs, Lynch/Gordon Cole évoque un détail de l’épisode 4 lors d’un dialogue avec Tamara et Albert : il évoque la manière étrange dont Cooper prononçait « Very » à l’envers, « Yrev very », lors de l’entretien en prison. Or, cet élément était imperceptible, comme si Lynch et Frost comptaient sur la vigilance des fans analysant et sur-analysant la série pour repérer ce détail. C’est bien ce qui est arrivé, puisqu’une vidéo fut partagée sur internet par les fans, pour mettre au ralenti l’indice caché du « yrev-very » de Cooper-BOB, avant que Gordon Cole ne l’évoque trois épisodes plus tard ! Si l’épisode 7 a un motif dominant, c’est donc celui des retrouvailles. Celles de Frank et son frère Harry Truman – auront-elles lieu un jour ? Celles de Hawk avec l’affaire Laura Palmer. Celles de Diane et de Cooper aussi, terrifiante. Tout semble se recouper, se rejoindre, et c’est aussi le cas du cadavre du Major Briggs qui retrouve son identité… au cours d’une scène où la Lieutenant Knox, du Pentagone, croise sans le voir un être venu d’ailleurs, clochard sombre et spectral (est-ce le même que celui aperçu dans l’épisode 1 ? difficile à dire… il pourrait s’agir, aussi, d’un être du « Convenience Store » vu dans The Missing Pieces, les scènes coupées de Fire Walk With Me). Autres retrouvailles, celles du spectateur avec des plans cultes. Dans l’épisode 6, un plan du feu tricolore était réapparu, directement issu du pilote de 1990. De même, le 7ème épisode nous montre à nouveau les chutes de l’Hôtel du Grand Nord, la nuit, dans un plan visiblement issu de la série d’origine. La saison 3 semble bien effectuer un retour magique dans le temps, en prenant le public à rebours volontairement. Plus on avance dans la saison, plus on recule dans le temps pour retrouver le Twin Peaks d’origine. Autre plan réapparu, celui des monts boisés perdus dans la brume. Ils nous mènent à Andy, qui attend dans la forêt un habitant des caravanes du Fat Trout Park. A 16h30 (4:30, renvoyant à l’indice du géant « 430 » ?), Andy doit retrouver cet habitant – en lien, semble-t-il, avec l’accident de l’épisode 6. Or, l’homme n’arrive pas, et ce rendez-vous manqué est un nouveau mystère. Sur cette séquence, le thème de Laura Palmer résonne à nouveau, ce même thème qui hantait les saisons 1 et 2 et qui était réapparu dans l’épisode 4 de la nouvelle saison. Autre mystère, un son, un sifflement fantomatique, qui trouble Ben Horne et sa belle employée Beverly, dans l’Hôtel du Grand Nord… Serait-ce Josie, qui hante les murs – retrouvailles paranormales avec ce personnage disparu dans la saison 2 ? Ou bien la présence surnaturelle d’esprits Indiens ? Ou encore l’âme perdue de Cooper, dont Beverly a reçu la clé de chambre d’hôtel, avant de la montrer à Ben Horne ? « Ecoutez les sons », disait le Géant dans le premier épisode, et ce septième chapitre prouve encore ô combien cette phrase est importante. Plus tôt dans l’épisode, Gordon Cole siffle une mélodie étrange dans son bureau dans une séquence poétique et apparemment gratuite, avant d’enchaîner sur une discussion avec Albert qui révèle toujours plus de la relation ambivalente entre l’agent du FBI et son directeur, témoignant d’une pointe de fatigue ou de ressentiment dans leur amitié. Cet instant où Gordon sifflote n’est peut-être pas anodin en lui-même : Gordon semble chercher dans les tréfonds de sa mémoire pour retrouver un air, mais les dernières notes ne collent pas… L’air ressemble à celui du film de Fellini Amarcord (film sur le souvenir), mais déformé. Enfin, dernières retrouvailles, celles de Cooper avec sa mémoire. Après le premier pouce levé, le premier café, le retour de ses réflexes d’enquêteur contre un collègue malhonnête, Cooper-Dougie maîtrise un tueur en sortant de son travail. Face au tueur à gages nain venu l’assassiner, Cooper redevient soudain un agent du FBI expérimenté, et désarme l’assaillant en quelques mouvements impressionnants. Lors de ce retour du passé, « l’évolution du bras » (l’arbre à tête de chewing-gum) réapparaît dans le bitume et hurle à Cooper de « serrer la main » du tueur. Cooper, pris pour Dougie, devient alors héros médiatique l’espace d’un instant, mais semble encore plus perdu que jamais – Cooper a-t-il oui ou non retrouvé la mémoire ? Quelqu’un le reconnaîtra-t-il à la télévision ? Nous le saurons au prochain épisode. A cette scène succède celle où, à Twin Peaks, Ben Horne découvre grâce à Beverly la clé de la chambre 315, celle où Josie a tiré sur Cooper il y a vingt-cinq ans… Le 7ème épisode serait-il celui où la situation de Cooper se débloque ? Mais parallèlement à la « libération » de Cooper-Dougie qui retrouve ses capacités physiques, son double maléfique se libère lui aussi des barreaux de la prison de Yankton, s’évadant dans la nuit avec son complice (et traître ?) Ray Monroe, avec l’aide du directeur de la prison qu’il a menacé. Le maléfique Mister C., habité par BOB, retournera-t-il à Twin Peaks avant le bon Cooper ? Une forme de course s’installe entre les deux Cooper, et il s’agit dès lors d’arriver « à temps » à Twin Peaks avant l’irréparable. A Twin Peaks, un long plan fixe – de 2 minutes, comme seul semble pouvoir se le permettre un auteur de la trempe de Lynch – montre le Roadhouse après un concert, vide, et un employé qui balaye. 2 minutes de « rien »… Oui, mais du « rien » se déroulant à Twin Peaks ! Cette longueur renvoie aux longs plans du laboratoire à New York, qui jouaient sur nos nerfs : nous voulions voir Twin Peaks, nous restions bloqués à New York. Mais cette fois, l’attente du spectateur est récompensée : au terme des 2 minutes, la caméra passe près du bar, et nous donne accès à une conversation téléphonique de Jean-Michel Renault. Ce frère Renault, que nous ne connaissions pas, est mêlé, comme ses frères dans les deux premières saisons, à une louche affaire de prostitution de jeunes femmes blondes... Le retour à Twin Peaks a bel et bien lieu, enfin : les intrigues s’y entremêlent, avec ses trafics cachés, de drogue et de jeunes femmes, ses histoires de mort (la collision de l’épisode 6), ses histoires d’amour (Becky et Steven), et ses enquêtes au commissariat. Et ce retour est célébré par un générique final au Double R de Norma et Shelly. Le restaurant est plein de clients, plein de vie, et plein de musique. Si la toute première scène au Double R (dans l’épisode 5), l’après-midi, manquait d’une musique au juke-box, cette fois un tube des années 50, « Sleepwalk », couvre à plein-volume les conversations. Le générique défile, et sous cette musique vintage, une seconde musique apparaît : un thème menaçant signé Badalamenti, issu de la saison 2. Souvenir de la série d’origine où les musiques tapissaient chaque scène, quitte parfois à même se chevaucher – à l’époque, sous les dialogues, il arrivait que deux morceaux de Badalamenti soient montés en superposition, offrant d’étranges dissonances. C’est à nouveau le cas ici, et cette musique sombre, sous la musique pop, était un thème associé à Windom Earle. Une manière de dire qu’aucun souvenir des saisons 1 et 2 de Twin Peaks ne sera oublié. De l’amnésie de ces 25 ans, tout le passé refera finalement surface, par clins d’œil ou plus directement dans le récit. Retour aux sources après tant d’amnésie, ce septième chapitre offre encore de grandes émotions aux fans purs et durs de Twin Peaks. Mais au-delà de ces délices scénaristiques, il s’agit encore de grand cinéma, avec de grands numéros de comédiens et des séquences magistrales, véritables leçons de cinéma, comme celle du mystérieux son qui résonne au Grand Nord et que la caméra « cherche » par un travelling avec Ben et Beverly, ou bien celle des effrayantes retrouvailles de Diane et Cooper. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Ray et Mister C. s’évadent. Ray a les cordonnées. Ils s’éloignent de l’autoroute. Rien ne se passe comme prévu… Des années auparavant, un événement imprévu a aussi provoqué une faille… Critique : Comment résumer ce huitième chapitre de Twin Peaks, The Return ? David Lynch a apporté à la télévision, en 2017, le choc expérimental apporté au cinéma en 1968 par Stanley Kubrick avec 2001 : L’odyssée de l’espace, auquel il rend hommage. David Lynch se permet d’arrêter le récit, au sein d’une série, art où le scénario prédomine trop souvent sur la mise en scène, pour laisser libre cours à son imaginaire visuel et sonore, en 50 minutes d’un voyage cosmique. Pourtant, l’épisode débute là où nous avait laissé le précédent, à savoir par l’évasion de Ray et Mister C. en pleine nuit. Ray a les « coordonnées » qui comptent tant pour Cooper-BOB. Ce dernier s’apprête à le tuer, mais, première surprise de l’épisode, il se fait piéger par Ray qui lui tire dessus. Une image inattendue, tant Mister C., véritable esprit du mal mi-Hannibal Lecter mi-Docteur Mabuse, semblait imbattable. Mais, l’instant d’après, tout change à nouveau : des esprits apparaissent de la forêt. Des vagabonds aux visages noircis, comme nous en avons vu dans les épisodes 1 et 7, apparaissent en surimpression, tandis qu’une lumière blanche stroboscopique strie la nuit. Ces flashs sont souvent la marque, chez Lynch, du passage du monde réel à d’autres univers souterrains et cachés. Ray est terrifié face aux spectres vagabonds qui ressuscitent Mister C. et extraient le visage de BOB (celui du comédien Frank Silva) de son abdomen. Parallèlement, à Twin Peaks, le groupe Nine Inch Nail joue sur la scène du Roadhouse. Ce sera la seule scène de l’épisode à se dérouler dans la ville. Ce concert metal est monté en parallèle de la réincarnation de Mister C., comme un rite diabolique. Ray, lui, s’enfuit, et téléphone à Phillip Jeffries pour le prévenir de la mort probable de Cooper. En quelques minutes, les événements ont été grandement perturbés. Cooper réincarné est-il toujours possédé par BOB ? Quel impact aura cette réincarnation ? Phillip Jeffries (David Bowie dans Fire Walk With Me), qui est toujours omniprésent, mais hors-champ, sera-t-il revu dans l’un des futurs épisodes ? Nous sommes à la quinzième minute de l’épisode, quand nous sommes soudain propulsés en 1945, dans le désert de White Sands au Nouveau Mexique. De nuit, le désert est filmé en noir et blanc. Soudain, le premier essai de Bombe H se produit devant nos yeux. Image sidérante, magnifiquement réalisée, sur la musique de Penderecki dédiée aux victimes d’Hiroshima. La caméra s’approche de l’explosion et s’y engouffre. C’est parti pour 40 minutes de visions hallucinantes. Nous passons d’abord par toutes les couleurs, les formes, comme dans l’œil de l’explosion, et en même temps dans le vide intersidéral. Réécriture visuelle de 2001 : L’odyssée de l’espace, film clé dans la cinéphilie de Lynch et auquel il rend ici hommage. Mais ces images abstraites rappellent aussi le travail de Lynch comme peintre, lui qui a commencé par cet art avant « d’animer » ses tableaux pour en faire ses premiers courts-métrages dans les années 70. Et, surtout, elles sont liées au récit de cette saison de Twin Peaks : nous rejoignant ici les sphères intersidérales vues dans l’épisode 3, lorsque Dale Cooper se retrouvait dans l’espace aux côtés de Naido, la femme aux yeux cousus. L’explosion atomique de 1945 a-t-elle ouvert une brèche dans l’espace, entre notre monde et d’autres mondes parallèles ? La Black Lodge était l’un de ces autres mondes. Un autre lieu mystérieux est celui du « convenience store » (station-service épicerie, difficilement traduisible en français) : dans les premières saisons de Twin Peaks, le Manchot disait que lui et Bob vivaient dans un « conveniance store » ; dans Fire Walk With Me, Phillip Jeffries disait avoir rencontré des êtres en haut d’un « convenience store ». Dans ce huitième épisode, les images d’atomes laissent place à celle d’un convenience store : dans ce décor abandonné, toujours filmé en noir et blanc, une épaisse fumée et une lumière stroboscopique apparaissent, en même temps que des spectres aux visages noircis. Au-delà de l’expérimentation hallucinatoire, cet épisode semble nous dire que la Bombe H a ouvert un chemin entre le monde de ces spectres et le nôtre. Le « convenience store », près du site de l’explosion, est-elle cette porte entre deux mondes ? Nouvelle plongée dans l’inconnu, d’un « cut » du montage : nous voyons une créature, qui semble être celle de la boîte en verre de New York. Est-elle la « Mère », qui frappait à la porte et dont parlait la Fille Américaine dans l’épisode 3 ? (« my mother is coming ! »). La créature semble pondre des œufs, dont l’un d’eux renferme le visage de BOB. Puis nous voyageons à nouveau dans l’espace, fait d’étoiles ou de bulles rouges. Sommes-nous dans un fœtus ? Une forme ronde et dorée apparaît. Nous survolons alors la mer, une mer violette, et nous retrouvons un immense bâtiment au milieu d’une île. La mer violette et le bâtiment sont-ils ceux vus dans l’épisode 3, où Cooper atterrissait et rencontrait Naido ? Dans cet immense bâtiment, la caméra s’engouffre dans une petite lucarne. Une femme en tenue de cabaret, la Senorita Dido (comme l’indiquera le générique de fin), se tient près du Géant. Lui est crédité en tant que « ??? » aux génériques de fin du premier épisode et de celui-ci : serait-il Dieu, pour perdre son surnom du « Géant » pour celui de points d’interrogations ? Un Dieu que l’on ne peut nommer ? L’épisode semble le montrer. Il contrôle les événements depuis son château, où l’on retrouve une sorte de grosse cloche similaire à celle qui flottait dans l’espace dans l’épisode 3. Le Géant parcourt les lieux jusqu’à un théâtre – double du théâtre Silencio de Mulholland drive (tourné, peut-être, dans le même théâtre). Là, le Géant revoit les images précédentes de l’épisode, celles de l’explosion atomique, sur un écran. Il s’arrête sur l’image de BOB dans l’œuf. La Señorita Dido entre et voit le Géant en lévitation. Sur ces images fascinantes, une nouvelle musique d’Angelo Badalamenti se joue : une musique électronique lente et majestueuse, envoûtante. Le Géant produit par sa bouche une texture dorée, fait d’étoiles scintillantes. Tout l’épisode alterne brillamment entre noir et blanc et couleur, comme au sein d’une peinture en mouvement. Lynch mêle aussi les images réelles et de synthèse pour créer des images surréalistes mémorables. La lumière qui émane du Géant est-elle pleine « d’âmes » ? Elle rappelle l’âme du petit garçon tué dans l’épisode 6, qui s’envolait vers le ciel. De cette âme, une sphère jaune s’extraie et flotte jusqu’aux mains de la Señorita Dido et à l’intérieur, le visage de Laura Palmer apparaît. « Laura est la clé » disait la Dame à la Bûche dans son introduction du pilote de la saison 1. Elle est envoyée sur Terre, à travers l’écran de projection, par le canal d’un saxophone géant (instrument renvoyant aux musiques de Twin Peaks, et notamment au thème sur lequel dansait l’Homme Venu d’Ailleurs dans la Black Lodge au début de la saison 1). Sur Terre, nous passons alors au 5 Août 1956. Toujours un désert du Nouveau Mexique, et toujours en noir et blanc. Un œuf éclot. Un cafard-crapaud ailé en sort, créature dégoûtante évoquant le bébé gluant de Eraserhead. Lynch utilise toutes les technologies, artisanales et numériques, anciennes et modernes, pour créer son trip hallucinatoire. Ici, la créature numérique est contrebalancée par l’usage du noir et blanc. Plus loin, dans un village près du désert, un jeune garçon et une jeune fille, adolescents, discutent et se séduisent. La jeune fille découvre une pièce de 5 cents au sol, côté face, ce qui semble la ravir. Ces pièces de 5 cents semblent avoir une importance dans la saison 3 (avec la scène de Red et Richard dans l’épisode 6 ; on peut voir aussi ces mêmes pièces dans le cercle de feu du Manchot dans la première saison de Twin Peaks). Pendant ce temps, un spectre déambule dans le désert. Plusieurs autres spectres apparaissent sur la route, à la grande surprise d’un couple d’automobilistes. Le spectre, terrifiant, leur demande s’ils « ont du feu » à plusieurs reprises. Les automobilistes parviennent à prendre la fuite. Puis, ce spectre se rend dans les studios de la radio locale, où il tue la standardiste puis l’animateur radio. Se saisissant du micro, il délivre un message hypnotique, en boucle : « This is the water. And this is the well. Drink full and descend. The horse is the white of the eyes and dark within » (que l’on pourrait traduire ainsi : « Ceci est l’eau. Et ceci est le puits. Buvez et descendez. Le cheval est le blanc des yeux et l’obscurité à l’intérieur »). On se souvient du fameux poème du Manchot, sorte de lythanie magique : « Through the darkness of future past, The magician longs to see, One chants between two worlds, Fire walk with me ». A l’écoute du chant du spectre qui passe à la radio, plusieurs villageois s’évanouissent. La fille adolescente, dans son lit, s’endort aussi à son écoute et le cafard-crapaud ailé en profite pour s’introduite dans sa bouche. Quelle signification donner à ces images ? Par association d’idées, elles rappellent le viol de Laura Palmer par BOB, qui s’introduisait dans sa chambre, là aussi par la fenêtre entrouverte pendant son sommeil. Mais qui est cette jeune fille des années 50 ? La « mère » de BOB, dans son incarnation physique (donc du dénommé Robertson, le véritable BOB que Leland Palmer a croisé dans son enfance) ? Ou bien Sarah Palmer (en faisant un lien avec le cheval mentionné par l’incantation du spectre) ? Impossible de le dire pour le moment. Mais, si cet épisode 8 semble purement abstrait, nombre d’éléments de la mythologie de la série, et du livre de Mark Frost The Secret History of Twin Peaks, sont pourtant convoqués. Il est probable que cet épisode sera central, et s’éclaircira au fil des événements à venir. Quant à Laura, vient-on d’assister à sa naissance ? Ou bien, à autre chose ? Autre chose lié à l’épisode 2, où Laura apparaissait puis disparaissait dans un hurlement, dans la Black Lodge ? Un épisode libre et fou, splendide visuellement et auditivement, diffusé avant une pause de deux semaines dues aux vacances aux Etats-Unis. De quoi laisser les spectateurs réfléchir à ces images mémorables pendant cette pause, avant de se lancer dans la deuxième moitié de Twin Peaks, The Return. Anecdotes :
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Mister C. est vivant. A Las Vegas, les détectives Fuscoes enquêtent sur l’agression de Dougie Jones et découvrent que celui-ci semble exister que depuis 1997. A Twin Peaks, Hawk, Frank Truman et Bobby Briggs découvrent un indice laissé par Garland avant sa mort… Critique : Après un huitième chapitre noir comme le café, dont l'hallucinant voyage jusqu'aux sources du mal fera date, le neuvième épisode reprend le fil du « retour » à Twin Peaks. Ce fil, c'est celui d'un lent réveil, d’une sortie de l'amnésie, de la recherche d'un monde oublié, et de la résurgence de sentiments que l'on croyait perdus. Les larmes, les pleurs, si présents dans le Pilote tourné par Lynch en 1990, semblaient absents du monde de 2017 tel qu’il était filmé au début de cette saison. Et, marquant cette absence, la musique d'Angelo Badalamenti se faisait cruellement absente, au profit d'effets de sound-design angoissant. A partir de l'épisode 2, des thèmes anciens étaient rejoués (« Dark Mood Woods » à Glastonbury Grove, puis dans l’épisode 4 « Laura's theme » quand Bobby revoit la photo de sa bien-aimée). Il faudra attendre l'épisode 5, pourtant, pour que de nouveaux morceaux du compositeur apparaissent : un thème est joué quelques secondes dans l’épisode 5 lorsque Dale pleure devant Sonny Jim, puis ce thème est joué intégralement lors de la scène de l'accident tuant un petit garçon dans l'épisode 6. L'épisode 8 offrait lui aussi un nouveau thème, lorsque le Géant laissait sortir de lui une chaude lumière, possible espoir d'amour dans un monde maléfique. Dans l'épisode 9, ce sont les retrouvailles entre Bobby Briggs et sa mère Betty qui donnent naissance à un nouveau morceau de Badalamenti. A nouveau, un thème éthéré, accompagnant une scène bouleversante, et soulignant le retour d'un objet du passé, l’indice laissé par Garland Briggs clairvoyant aux futurs enquêteurs dont l'un d'eux est Bobby, devenu un homme intègre comme son père l’avait imaginé dans un rêve. La musique de cette scène de 2017 créé un pont avec celle du récit du rêve de Garland de la saison 2, accompagnée d’un morceau éthéré assez proche. L'épisode 9 abonde de musiques en tout genre : ce nouveau thème se marie à une multitude d'anciens morceaux, ce qui en fait l'épisode le plus musical de la série à présent. Lynch laisse durer plusieurs minutes le morceau « Deer Meadow Shuffle » sur les Détectives Fusco à Las Vegas, les associant par cette musique à notre souvenir des flics désagréables de Deer Meadow dans Fire Walk With Me. La musique est à nouveau associée au retour du passé lorsque Cooper regarde fasciné le drapeau américain. L'hymne national retentit en écho dans le cerveau de Cooper cherchant à retrouver qui il était. Moment à la fois émouvant et burlesque, où le souvenir du devoir patriotique d'agent du FBI laisse place à une image incongrue et fétichiste sur des chaussures de femmes, lorsque son regard se déplace sur des talons rouges, qui rappellent éventuellement Audrey Horne (dont la toute première scène du pilote insistait sur ses talons). Ce que montre l'épisode 9, c'est donc essentiellement les sentiments qui refont surface. L'épisode nous fait brillamment passer du rire aux larmes, puis à la terreur, comme le faisait l'ancienne saison. Andy et Lucy retrouvent de leur malice, lors de la scène de l'achat en ligne du fauteuil. La scène de Betty Briggs nous fait pleurer puis rire, alternant entre le sérieux de l'instant, et l’insistance avec laquelle Betty souhaite offrir un café aux enquêteurs, alors qu’ils attendent impatiemment de connaître le secret laissé par Garland. A Buckhorn, Diane octroie enfin un sourire à Gordon quand celui-ci se remet à fumer en souvenir du bon vieux temps de leurs pauses clopes. Cette scène résume à elle seule la saison 3 : il aura fallu attendre un silence froid et interminable, avant d'obtenir ce tendre échange de sourires ! De même, il faut passer par les univers froids du monde actuel dans les premiers épisodes pour remonter à la source de nos émotions et retrouver une forme d'humanité, épisode par épisode (d'où la puissance de la scène de l'accident dans l'épisode 6). Le rire surgit là où ne l'attend pas, et l'amour aussi, quand, dans la morgue de Buckhorn, Albert et Constance se rencontrent. La narration éclatée géographiquement des épisodes précédents mène de manière inattendue à cette rencontre parfaite des deux légistes, et en quelques répliques cyniques échangées du tac au tac autour d’un corps sans tête, c'est le coup de foudre ! Le retour à Twin Peaks est donc un retour aux sentiments des premières saisons de Twin Peaks. On retrouve cet alliage formidable de la série d'origine, petit à petit. De même, l'intrigue commence à se recouper. Les fils cessent de se perdre en réseaux complexes, et commencent à se rejoindre. Ce seul épisode délivre nombre d’informations concrètes : la découverte du message de Briggs, le lien entre Mr C. et le mystérieux Duncan Todd de Las Vegas, et le lien qui unissait Bill Hastings à Ruth Davenport. Le meurtre de cette dernière apparaît sans conteste lié à l'intrigue ésotérique, celle de la Black Lodge et des deux Cooper. Bill Hastings, que nous n'avions pas revu depuis le premier double épisode, réapparaît et ne semble plus une pièce de puzzle perdue. Presque toutes les trames sont reprises dans l'épisode 9 pour y apporter quelques réponses - à l'exception, peut-être, de celle de New York qui reste un mystère.
David Lynch dit dans ses interviews que cette nouvelle saison ne devrait pas être désignée comme « la saison 3 » de Twin Peaks, mais comme une œuvre à part sous le nom de : Twin Peaks, The Return. Et c'est bien toute l'histoire d'un retour qui est traitée en 18 épisodes. Une histoire homérique de voyage à la fois physique, spirituel, et sensoriel. À chaque nouveau chapitre, le voyage progresse vers Twin Peaks. Le minutage des scènes dans la bourgade augmente globalement depuis les premiers épisodes (22 minutes dans cet épisode), et surtout tous les éléments de l’intrigue commencent à être reliés à la ville : les coordonnées tant recherchées par Mister C. sont découvertes par les agents de Twin Peaks ; à Las Vegas, d'autres policiers découvrent que Dougie Jones n'existait pas avant 1997 et enquêtent sur son compte... Lynch et Frost jouent avec notre attente d'un « retour à Twin Peaks » pour en faire le but même de leur intrigue, un retour peut être impossible, mais dont chaque épisode nous donne l'impression qu’il est imminent.
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Richard Horne cherche à échapper à la police après l’accident. A Las Vegas, les frères Mitchum découvrent Dougie Jones, « Mister Jackpot », à la télévision… Gordon et Albert se rendent compte que Diane communique secrètement avec Mister C. Critique : Le 9ème chapitre offrait beaucoup d’indices dans la très complexe narration de ce retour à Twin Peaks. L’épisode 10 continue dans ce sens, et constitue d’ailleurs un beau diptyque avec l’épisode 9. L’élément qui restait le plus mystérieux, à savoir les scènes à New York du premier épisode, se voient apporter un début de réponse : le millionnaire à l’origine de ce laboratoire serait bel et bien Mister C. Le double maléfique chercherait donc bien à piéger Cooper au moyen de cette technologie étrange qu’est la boîte en verre. Mais, si Lynch et Frost délivrent des informations, ils n’oublient jamais de complexifier d’autres trames en parallèle. Sur le plan de la chronologie, en effet, nous sommes plus que jamais perdus. Les scènes semblent être montées comme un jeu de carte battu. La trame de Richard Horne, laissée en suspens depuis l’accident de l’épisode 6, trouve ses conséquences directes dans cet épisode 10. Quant à Jerry, il est perdu dans les bois depuis l’épisode 7 ! Les costumes des personnages (les pulls de Lucy, les cravates de Ben Horne) semblent indiquer que tout ce que nous voyons à Twin Peaks se déroule sur un laps de temps réduit, mais dont le montage « en boucle » nous donne l’impression de s’étaler, ou d’aller et venir entre passé et futur. Ce jeu avec la chronologie contraste avec la narration des deux premières saisons, où nous passions une journée entière à Twin Peaks dans chaque épisode, et retrouvions nos personnages là où nous les avions laissés dans l’épisode suivant. Dans ce Retour, le spectateur peut se demander à chaque seconde quand se déroule la scène qu’il contemple. Un jeu de piste indiqué par le Manchot dans le premier double épisode : « Est-ce le futur, ou le passé ? ». Dans un monde atteint d’amnésie et de léthargie, « quelque chose ne va pas », prévenait-il. C’est que le temps se répète en boucle, « encore et encore », comme le dit L’Evolution du Bras. Toutes ces phrases, le scénario et le montage (de Duwayne Dunham et David Lynch) l’incarnent. Comme dans l’épisode 9, ce nouveau chapitre tend à renouer avec des sentiments plus chaleureux. Janey-E découvre le torse de son mari chez le médecin, stupéfaite de le découvrir athlétique – et pour cause, il s’agit de Dale Cooper, agent du FBI, et non plus de son mari bedonnant Dougie. S’ensuit une scène où Cooper-Dougie se laisse faire comme un jouet sexuel. Idée splendide et hilarante, ses bras ballottent des deux côtés du lit comme ceux d’un pantin. Parallèlement, à Buckhorn, Gordon et Tamara ont des yeux d’enfants en espionnant Albert et Constance dîner aux chandelles. On retrouve l’équilibre humour/noirceur de la série d’origine dans d’autres scènes, comme celle du nouveau show du Dr Jacoby et de sa spectatrice Nadine dont nous apprenons qu’elle a ouvert sa boutique de rideaux silencieux ! Autre moment burlesque : l’un des frères Mitchum, les gérants du casino, se voit violemment giflé par une télécommande lorsque sa poupée blonde Candie veut écraser une mouche. Comme toujours dans cette nouvelle saison, les apparences effrayantes se dégonflent au profit d’un moment d’humour ou d’humanité. Ici, c’est le gangster de film noir qui devient bien moins terrifiant, une fois sa vie de couple révélée : sa belle blonde Candie apparaît nettement plus dangereuse que lui. Mais, face à ces sentiments plus lumineux, l’horreur vient toujours peser dans la balance. Au tout début de l’épisode, nous retrouvons Richard Horne réglant son compte à la pauvre Miriam, témoin de l’accident. Scène horrible à laquelle succède un morceau de country joué paisiblement par Carl (Harry Dean Stanton). Morceau émouvant, brisé en même temps qu’un carreau, quand Steven jette une tasse depuis sa caravane. Et l’horreur reprend : Becky et Steven rejouent les disputes de l’effroyable Léo Johnson et Shelly, la mère de Becky. Plus tard, une nouvelle scène avec Richard Horne le montre comme une créature abjecte, lorsqu’il maltraite sa propre grand-mère Sylvia. Là encore, notons que cette scène puissante délivre aussi des informations : Richard Horne serait peut-être bien le fils d’Audrey Horne, toujours invisible dans la saison 3 à ce stade. De Las Vegas à Buckhorn, dans la seconde partie de l’épisode, la bande sonore est nappée d’extraits de morceaux angoissants des premières saisons, donnant la sensation d’un mal prêt à surgir. À Buckhorn, le charme de la scène du restaurant laisse place à un moment d’effroi et de stupeur, quand Gordon Cole est pris d’une vision de Laura Palmer dans l’embrasure de sa porte. Moment surréaliste où le personnage et son créateur, le réalisateur, se confondent. Est-ce Gordon Cole ou David Lynch qui revoit ses images de Laura, issues de Fire Walk With Me ? On sait combien ce personnage et son interprète, Sheryl Lee, ont marqué à jamais le réalisateur. Notons d’ailleurs que la scène s’ouvre sur Gordon exécutant des dessins pendant son temps libre, comme le ferait David Lynch lui-même – il dessine les cornes d’un daim puisqu’il est à « Buck-Horn » (notons l’humour retors de cette saison !) le tout menacé par une main de géant. Que vient lui avertir le spectre de Laura ? Quelques secondes plus tard, c’est Albert qui se tient dans l’embrasure de la porte. Il apprend à son supérieur que Diane n’est pas celle que l’on pense : elle communique avec Mister C. Les scènes de tendresse entre Gordon et Diane sont dès lors réinterprétées, poursuivant une série de jugements mis à mal au cours de cette saison. « Laura is the one ». C’était la phrase de l’introduction de la Dame à la Bûche du pilote de la saison 1, en 1990 (ces petites introductions tournées après-coup par David Lynch pour une rediffusion de la série). Aujourd’hui, Margaret prononce cette phrase dans le cadre même de la série, dans un nouvel échange avec Hawk. Apparue seulement dans l’épisode 1, l’oracle réapparaît, toujours plus émouvante – là encore, actrice et personnage se confondent, dans l’adieu fait au spectateur avant d’être attrapé par le cancer. Cette réapparition de Margaret, et ses phrases comme « le cercle est presque bouclé », « Laura est la clé », après cette apparition de Laura dans les yeux de Gordon, donne plus que jamais le sentiment d’un « retour » imminent. Qu’est-ce qui empêche ce retour ? Qu’est-ce qui retient Cooper enfermé dans le corps de Dougie ? Sont-ce les astres, les planètes, Jupiter et Saturne qui ne se sont pas encore alignées ? Ou bien est-ce le monde cruel hors de Twin Peaks qui joue contre ces retrouvailles ?
Lynch consacre les 7 dernières minutes de l’épisode à une chanson au Roadhouse, celle de Rebekah Del Rio. Dans une robe aux motifs de la Black Lodge, la chanteuse déjà apparue dans Mulholland drive livre une impressionnante interprétation d’une chanson écrite par Lynch lui-même. « My dream is to go to that place, you know the one, where it all began on a starry night… » Les paroles résument à elles seules nos sentiments à ce stade du récit, moment magique pour conclure ce chapitre. 11. THERE'S FIRE WHERE YOU ARE GOING
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : A Twin Peaks, Becky est en furie et part avec la voiture de sa mère voir Steven, armée d’un revolver. Hawk et Frank Truman continuent leur enquête à partir de l’indice délivré par Garland Briggs. A Buckhorn, Bill Hastings mène l’équipe du FBI sur les lieux qui ouvriraient vers « la zone ». A Las Vegas, les frères Mitchum s’apprêtent à abattre Dougie Jones. Critique : Le chapitre 11 s’ouvre sur des enfants, jouant à la balle. La balle s’éloigne sur la route, et là, ils découvrent une femme se traînant hors des bois, ensanglantée. C’est Miriam, qui a survécu à l’attaque de Richard. Les enfants sont le grand nouveau leitmotiv de ce retour à Twin Peaks. Quasi-absents de tout l’univers Lynchien jusqu’à présent, sauf sous forme de monstre dans Eraserhead, ils apparaissent en grand nombre dans cette saison 3, du fils de Dougie Jones à ceux jouant à la balle dans cet épisode, en basant par le fils de la droguée à Rancho Rosa, et bien sûr l’innocent petit garçon tué sous les roues de Richard. Plus tard dans l’épisode 11, un enfant tire une balle dans une vitre du Double R, provoquant la terreur des clients et des passants à Twin Peaks. Bobby Briggs gère l’incident, et fait face à un enfant-zombie muet et monstrueux, vêtu d’un treillis militaire comme son père. La place des enfants dans la saison 3 semble trouver son sens : ils sont l’espoir d’un monde empli d’amour, mais aussi la menace d’un monde vaincu par la haine. Les gentils petits garçons peuvent être écrasés par des fous impunément, et ceux déjà contaminés par la folie des pères continuer de grandir dans cette folie. La scène suivante, Hawk, qui déchiffre les symboles d’une carte léguée par ses ancêtres, voit dans le maïs un symbole de fertilité, mais devenu noir, symbole de mort. Les enfants portent sur leurs épaules le devenir du monde, vers la Black Lodge ou la White Lodge. Les adultes, eux, peuvent veiller à ce qu’ils ne reproduisent pas leur schéma. Est-ce que ce sera le cas pour Becky, la fille de Shelly et Bobby ? Difficile à dire, lorsque l’on découvre que Shelly continue de répéter ses erreurs – elle a quitté Bobby, devenu un homme bien, et sort à nouveau avec un homme dont elle ne sait pas encore qu’il est un gangster, Red. Peut-être est-ce alors aux adultes de redevenir des enfants, de renaître ? Bobby Briggs, lui, a vécu cette renaissance dans la scène de la saison 2 où son père l’a fait pleurer, faisant ressurgir l’émotion du petit garçon dans le corps du bad boy adolescent. Dans la saison 3, Cooper-Dougie lui-même semble venir de naître. Son double maléfique, Mr C., a disparu des écrans depuis le début de l’épisode 9, où on le retrouvait après l’apparente extraction de Bob de son abdomen. La renaissance du Bon Dale repose-t-elle sur la mort de Mr C. ? Dougie devient-il progressivement Dale au fur et à mesure que Mr C. perd de ses forces ? Serait-ce pour cela qu’il doit absolument faire exécuter Dougie Jones ? La balance entre l’horreur et l’innocence, et le passage de l’un à l’autre, comme deux forces en lutte, est au centre de Twin Peaks, et plus que jamais dans ce 11ème épisode. Il y a le surgissement de Miriam ensanglantée dans le jeu des petits enfants, image issue des souvenirs d’enfance de Lynch (souvenir d’une femme nue vagabondant hagarde dans son village, raconté par le cinéaste dans le documentaire The Art Life, et qui avait déjà donné l’image d’Isabella Rossellini nue tuméfiée dans Blue Velvet). Puis, le montage coupe sur Becky dans sa caravane, prise d’une crise hystérique. Une soudaine musique angoissante remplit l’espace sonore, tandis que Becky appelle sa mère, hurle, s’époumone, que Shelly court la retrouver… La séquence est tout bonnement hallucinante. Shelly se jette sur sa propre voiture pour stopper sa fille, s’accroche sur le capot. Quel drame va surgir, cette fois ? Shelly nous regarde à travers le pare-brise comme elle regarde sa fille, tentant en vain de faire éviter le pire. Becky s’éloigne et sa mère rebondit sur la pelouse, éjectée comme un sac, ses chaussures s’envolant, sous l’œil surpris de Carl Rodd. Sa bienveillance est immédiatement rassurante pour le spectateur, comme l’est Harry Dean Stanton lui même, avec son corps cabossé de vieux sage. Finalement, Becky ne fera "que" tirer sur la porte d’un appartement vide. Steven est plus bas, caché avec la fille avec qui il trompe probablement Becky – mais attention aux apparences trompeuses dans Twin Peaks. Le générique nous apprendra que la fille en question est Gersten Hayward, la sœur de Donna (vue il y a 25 ans dans une scène où elle jouait au piano tandis que son autre sœur Harriet lisait un poème pour Laura). Dans la même scène, nous avons découvert également que Bobby est bien le père de Becky, lorsque Shelly l’appelle à la rescousse. Fin d’une introduction folle, palpitante et surprenante, où Lynch nous fait ressentir la montée du stress quand il envahit et obscurcit notre âme (Becky au volant devient folle de rage comme l’était devenu Richard avant d’écraser un enfant…). A Buckhorn, Bill Hastings mène l’équipe du FBI sur les lieux où se trouve une porte vers « la zone ». Autre scène, autre chef d’œuvre. Le lieu n’est qu’un terrain vague avec quelques bicoques abandonnées, et possède pourtant une atmosphère hautement mystérieuse sous la caméra de Lynch. Le cinéaste, incarnant Gordon Cole, Maître des affaires « Blue Rose », parvient à voir l’autre dimension cachée derrière les lieux. Le ciel se transforme en spirale évoquant le générique de Vertigo d’Hitchcock, tandis que Gordon semble disparaître dans des flashs électriques. Encore une fois, Gordon Cole et David Lynch ne font qu’un, lorsque lui seul semble voir « au-delà ». Les autres protagonistes restent spectateurs, attendant de connaître la vision du chef. Manquant d’être engouffré par sa vision, de disparaître (comme l’a fait l’agent Desmond dans Fire walk with me), Gordon est sauvé par Albert. Terre-à-terre et cynique, il forme avec Gordon un duo qu’on imagine être celui de Frost-Lynch. Quel sublime don au spectateur que ce dernier rôle tenu avec brio par Miguel Ferrer avant sa disparition. Albert trouve donc un élément concret, lui – le cadavre de Ruth Davenport. Plus loin, un spectre de vagabond noirci, encore un (après ceux apparus dans l’épisode 1, 7 et 8), apparaît sur le terrain-vague. Il s’approche dangereusement de la voiture de Bill Hastings… Quelques secondes plus tard, la tête de celui-ci explose. Dénouement effroyable d’une scène où se succède vision hypnotique, tension sourde, et qui se conclue sur de l’humour noir par Gordon répliquant sobrement : « he is dead. » Clap de fin pour Bill Hastings, incarné sublimement par Matthew Lillard. Le soir même, à Twin Peaks, Bobby et Shelly raisonnent Becky à une table du Double R, sous le regard compatissant de Norma depuis le comptoir. Scène d’émotion et de tendresse, brutalement interrompue quand Shelly sort embrasser son nouveau boyfriend : c’est Red, le gangster refourguant la drogue à Richard dans l’épisode 6. Emotion à nouveau modifiée quand une balle de revolver brise le carreau du restaurant. Tout le monde panique, et Bobby Briggs gère la situation. Tout autour de lui semble devenir un cauchemar délirant : la balle est tirée par un petit garçon dont la mère hurle et le père reste stoïque ; Jesse, le jeune flic brun encore rarement aperçu, apparaît pour simplement l’avertir qu’il a entendu un coup de feu depuis la station du Big Ed ; une femme klaxonne comme une folle ; dans sa voiture, sa fille accroupie se relève en vomissant. Du grand David Lynch, qui nous fait accepter le plus improbable, les situations réelles se transformant en situations de rêves, dans un entre-deux surréaliste. Plus loin géographiquement et plus loin dans l’épisode, réel et rêve se mêlent aussi : à Las Vegas, les frères Mitchum doivent tuer Dougie Jones, mais Bradley, l’un des deux frères (joué par Jim Belushi) « a fait un rêve »… Progressivement, alors que la rencontre avec Dougie s’approche, le rêve lui revient. Dans son rêve, son frère était déjà cicatrisé de la blessure de Candie : le sparadrap est retiré, et la blessure a bien disparue. Dans son rêve, Dougie Jones avait une boîte en carton… or, Dougie/Cooper, guidé par le Manchot apparu dans un flash, arrive avec une boîte en carton. Dans son rêve, elle contenait une tarte aux cerises. « Cherry Pi-ii-e ! ». C’en est bien une. Le tout dans le désert, avec un Dougie-Dale toujours aussi désorienté, donne une mémorable scène surréaliste. L’épisode se conclut par un dîner amical entre Dougie-Dale et les deux gangsters, magnifique création d’un duo mi-gangsters de Scorsese mi-Laurel et Hardy. Le trio féminin dont Candie est la star ajoute à la poésie surréaliste du moment. Les trois "amis" dégustent la tarte aux cerises – ou plutôt, Dougie-Dale l’engloutit. Plus tôt dans l’épisode, Gordon Cole retrouvait avec plaisir du café et des donuts, "le rêve du policeman" (réplique dite par Cooper dans la saison 1). Petit à petit, le passé refait surface par des détails, des petites clés vers la série d’antan. L’épisode se termine quand Cooper, fasciné, semble se réveiller à l’écoute d’un tragique morceau de piano… dont le générique révèle qu’il est composé par Angelo Badalamenti, et intitulé « Heartbreaking ». Cette musique, sublime, semble faire ressurgir l’humanité de Cooper coincée dans le corps de Dougie. Surgit alors la vieille dame du casino, celle qui a surnommé Dougie "Mister Jackpot" pour l’avoir fait gagner avec l’aide des puissances de la Loge… Elle est désormais élégamment habillée, coiffée, maquillée, et accompagnée de son fils qui est revenu dans sa vie. Sur ce morceau romantique poignant, nos larmes jaillissent, tant la vieille dame, ayant perdu vingt années de sa vie en zombie des casinos, reflète les vingt ans perdus par Cooper. Lui est désormais coincé dans une léthargie qui rappelle le sort terrible des personnes atteintes d’Alzheimer. La vie est précieuse, et surtout l’humanité, un geste de tendresse, l’entraide, l’amour, le sont. Du jour au lendemain, nous pouvons perdre cette humanité et devenir des automates. Cette musique réveillera-t-elle Dale Cooper ? On ne le saura qu’au prochain épisode, car Lynch et Frost ne cessent de nous faire croire à ce « retour », pour mieux le repousser toujours.
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Albert et Gordon intronisent Tamara Preston dans l’équipe des affaires « Blue Rose ». A Twin Peaks, au supermarché, Sarah Palmer éprouve un sentiment de menace. Frank Truman vient apprendre à Ben Horne que son petit-fils est celui qui a tué le petit garçon dans l’accident de voiture… Critique : Le 11ème épisode de Twin Peaks : The Return nous laissait avec de nombreuses attentes : voir cette journée du 1er octobre marquée par le rendez-vous du Major Briggs près de Jack Rabbit’s Palace, revoir Mister C., savoir ce qui arrivait à Dougie-Dale après le morceau de piano… L’épisode 12 nous laisse, très volontairement apparemment, sur notre fin, toujours dans cet art du contrepied que maîtrisent Lynch et Frost. Au lieu d’apporter la conclusion attendue de plusieurs pistes connues, cet épisode fait un pas de côté et part sur d’autres trames. Et, comme les différents chapitres d’un roman, les épisodes de Twin Peaks : The Return peuvent difficilement se juger indépendamment. Ce douzième chapitre contient nombre d’indices, d’informations, de dialogues, qui semblent très importants pour la suite. Alors, bien sûr, ce douzième épisode souffre de la comparaison avec le 11ème et précédent chapitre, palpitant d’émotions et de sensations fortes (cris, larmes et vortex…). Celui-ci distille un sentiment d’inquiétude et de mystère par beaucoup de dialogues, et s’apprécie pour ses détails. A la première vision, il est probablement très déceptif. Pourtant, nous sommes comme invités à le revoir tant chaque scène semble recéler des indices importants. Pour exemple, le drapeau français aperçu dans l’épisode 10 trouve ici une forme de réponse comique, en la personne d’une jolie française accompagnant Gordon Cole. Mais cette sublime créature féminine, semblant venir d’un rêve comme les trois filles rose bonbon accompagnant les frères Mitchum, évoque aussi Lil, l’étonnante femme apparue dans Fire walk with me aux côtés de Gordon. Une fois la Française partie, Gordon explique un jeu de mot qu’elle n’a pu saisir. Non anglophone, elle n’a pu décoder l’humour de Gordon, comme les enquêteurs du FBI doivent décoder les affaires « Blue Rose ». On se souvient comment Desmond et Stanley décodaient les mimiques et les vêtements de Lil dans Fire Walk With Me comme autant d’annonces du réalisateur-personnage Gordon/Lynch. Dans la saison 3, chaque image, chaque mot, chaque chiffre, invite le spectateur a faire ses recherches et à « décoder » les mystères d’épisode en épisode. A l’heure d’internet, les fans ont découvert et communiqué entre eux le résultat des coordonnées de Ruth Davenport, révélées dans l’épisode 11 : même si Twin Peaks est un monde fictif, ces chiffres ont mené les fans au Nord de Washington, vers un lieu dont la vue satellite était la même que celle montrée par Frank Truman. Dans cet épisode 12, Lynch et Frost valident les recherches du spectateur, lorsque Diane tape à son tour les chiffres sur son téléphone, et obtient pour réponse : Twin Peaks. L’interactivité de la série est également passée par le site web de Bill Hastings, The Search for the Zone, créé dans notre monde réel et découvert par les fans après l’épisode 9, ou encore, bien sûr, par le livre de Mark Frost The Secret history of Twin Peaks. Dans ce dossier d’enquête, l’essentiel des pages se concentre sur le passé d’un personnage de la saison 2 et ses enquêtes sur les ovnis pour le gouvernement. Le livre de Frost mêlait habilement fiction et réalité, sur la base des véritables enquêtes du Projet Blue Book. Dans cet épisode 12, Albert mentionne tout ce chapitre, lorsqu’il intronise Tammy dans l’équipe « Blue Rose ». Nous en apprenons enfin plus sur cette mystérieuse expression apparue en même temps que Lil dans Fire walk with me. Albert décrit les affaires Blue Rose comme un groupe formé pour approfondir les mystères du projet Blue Book abandonné, en empruntant des voies non-conventionnelles. « Blue Rose » furent les derniers mots d’une femme avant sa mort dans l’une de ces affaires – rappelant le « Rosebud » de Citizen Kane. Gordon avait nommé Philip Jeffries à la tête de ce groupe, et lui-même avait recruté Cooper, Desmond, et Albert. La présence des rideaux rouges, lors de cette scène, et l’arrivée de Diane à travers ses rideaux, génèrent un malaise : Tamara est-elle vouée à disparaître, comme l’agent Jeffries ou l’agent Desmond ? (notons que l’interprète de Tamara, Chrysta Bell, est chanteuse, comme les deux interprètes de ces agents, David Bowie et Chris Isaak). Ou bien est-ce Albert qui est menacé ? Gordon dit « s’inquiéter pour lui ». L’épisode 12 est celui du déchiffrage, du décodage. Le montage de la série fonctionne comme un puzzle à reconstituer. Pourquoi une scène de l’épisode 5, celle du premier show de Jacoby, est-elle rejouée plan par plan dans ce nouvel épisode ? Que signifie ce retour du temps ? N’oublions pas les premières phrases entendues dans la Loge dans cette nouvelle saison : « Is it Future or is it Past ? » est la première question du Manchot, et « Time and Time Again » est la première déclaration de l’Evolution du Bras. Lynch et Frost cherchent à décupler notre attention, à traquer les éléments qu’un saut dans le temps pourrait nous faire manquer, et nous mettent ainsi dans le même état que le bon Dale piégé dans son amnésie. Un Dale Cooper étonnamment absent de cet épisode. Il n’apparaît que dans une scène très courte avec son fils Sonny Jim. Or, rien ne dit que cette scène n’est pas, elle aussi, située dans le passé – les vêtements de Sonny Jim sont ceux de l’épisode 5, indiquant que cette scène pourrait être un retour sur des scènes oubliées des épisodes précédents, comme celle de Jacoby. De même, le double maléfique de Cooper, Mister C., est toujours invisible depuis le début de l’épisode 9… Les allez-retours temporels nous ont fait perdre de vue les deux Cooper pour le moment, comme pour mieux préparer le terrain de la résolution de son voyage. Seul lien avec Mister C., une scène montrant Hutch et Chantal abattant le directeur de la prison Murphy, comme demandé par leur boss. Une scène courte, où la mort de cet homme est filmée froidement à travers le viseur du fusil. La scène aurait pu être plus longue si Hutch avait pu le torturer, mais Chantal « a faim ». L’homme meurt devant son enfant en pleurs, et les deux tueurs à gage s’en vont manger. Deux animaux cruels, et l’œil de Hutch paraissait celui d’un vautour à travers le viseur de son arme. Episode sombre, ce douzième chapitre marque le sentiment de menace par la musique. Plusieurs fois auparavant, la nouvelle saison à réutilisée des morceaux issus des saisons précédentes ou de Fire walk with me. Dans l’épisode 9, le thème des policiers antipathiques de Deer Meadow (Fire walk with me) revenait pour nous éclairer sur les Détectives Fusco de Las Vegas. Cette fois, il s’agit du morceau associé à la disparition de Desmond dans Fire walk with me, qui fait sa réapparition soudaine lorsque Diane dit « Let’s Rock », rappelant le danger de faire partie de l’équipe des « Blue Rose Cases ». La scène suivante, montrant Sarah Palmer en crise au supermarché, laisse entendre un second morceau de Fire walk with me, fait de notes inversées et évoquant la présence d’un autre monde menaçant, prêt à nous aspirer. Le thème de Laura, mais uniquement ses notes sombres, réapparaît ensuite lorsque Hawk se rend à la maison des Palmer… Comme les musiques, des plans du passé sont directement convoqués grâce aux technologies de la restauration. Des plans des chutes du Grand Nord, ou du feu tricolore dans la nuit, avaient été réutilisés dans des épisodes précédents. Cette fois, ce sont des couloirs de l’hôpital, vus dans le pilote originel de la série, qui sont réutilisés et retravaillés en terme de colorimétrie pour nous mener à Miriam dans le coma. A six épisodes de la fin, l’image de Diane trouvant les coordonnées de Twin Peaks sur son téléphone donne le sentiment que les multiples intrigues mènent toutes enfin à Twin Peaks. Et pour cause, l’épisode 12 bat le record de scènes dans la petite ville. On y passe 34 minutes, plus de la moitié de l’épisode – ce stade n’avait jamais été dépassé dans les précédents épisodes (dont les records étaient de 24 minutes à Twin Peaks, dans les épisodes 7 et 10). Avec l’événement à venir, le 1er et le 2 octobre, annoncé par Garland Briggs avant sa mort, dans la forêt de Twin Peaks, on peut imaginer que les épisodes prochains vont progressivement passer de plus en plus de temps dans la ville éponyme, jusqu’à, peut-être, s’y dérouler intégralement comme dans les premières saisons. Dale et Mister C., l’équipe du FBI, tous sont voués à retourner dans la bourgade apparemment, et Lynch et Frost jouent de cette attente quasi-insupportable. A Twin Peaks, justement : l’épisode laisse un temps de côté les Briggs, le commissariat, pour se concentrer sur deux figures féminines marquantes des premières saisons, dont nous attendions toujours des nouvelles. La première, Sarah Palmer. Deux scènes magnifiques montre la mère de Laura devenue une pauvre alcoolique, tenant des propos incohérents aux caisses des supermarchés. Or, nous comprenons que ses paroles ont probablement une raison d’être : « des hommes arrivent », dit-elle. Sarah, connectée aux autres mondes, sent l’arrivée d’un événement dramatique, tout comme le spectateur… Soudain, ce sont les fous et les folles que l’on croise tous les jours, dans la rue ou au supermarché, que l’on reconnaît en Sarah. C’est toujours ce même travail de compréhension, d’humanisation, où les personnages fous ou négatifs sont finalement compris, qui est au cœur de Twin Peaks The Return. L’humanité rejaillit aussi dans toutes les scènes de Carl Rodd, homme aigri dans Fire walk with me, devenu bienveillant avec les années. Dans une vignette de cet épisode, il vient en aide financièrement à l’un des habitants des caravanes dont il est le gérant. L’événement menaçant évoqué par une Sarah apparemment folle, la seconde scène vient l’appuyer. Hawk vient lui rendre visite, car il pensait à elle à cause de la réouverture du dossier Cooper. Mais, aussi, parce qu’il a entendu parler d’elle au supermarché… Alors que Sarah était une personne plutôt douce dans le passé, elle laisse Hawk sur le palier, l’empêchant de rentrer, n’attendant que son départ. Or, un bruit est entendu dans la cuisine… La caméra reste sur Hawk et Sarah, et notre imaginaire comble l’impossibilité de voir la source de ce bruit. Un spectre, un monstre, un personnage que l’on connaît ? Scène très troublante, qui nous laisse dans l’attente d’événements importants dans la maison des Palmer. L’autre scène majeure de cet épisode est bien sûr la réapparition de Audrey Horne. Comment souvent, Lynch et Frost vont à l’encontre de tout « fan-service ». On aurait pu imaginer une réapparition finale de Audrey, retrouvant Cooper au terme de la saison ; ou bien une Audrey vivant défigurée après l’explosion de la banque de la fin de la saison 2… Ou encore une scène avec Richard, qui semble être son fils. Rien de tout cela. Audrey arrive d’un coup, d’un seul, sans prévenir. Elle se tient près du feu, et parle avec son mari. John, le bellâtre de la saison 2 ? Non, un petit homme chauve et difforme, Charlie, coincé derrière son bureau. Audrey, elle, n’est plus la jeune fille perfide et sexy d’autrefois. Elle a cependant gardé son franc-parler, et elle semble être toujours une femme d’action et de décision. La scène, pendant 10 longues minutes, joue avec notre stupéfaction et avec l’attente d’Audrey, qui cherche un certain Billy – son amant, comme elle le dit ouvertement à son mari. En 10 minutes, nous sommes bombardés de nouvelles informations. Charlie et Audrey sont en instance de divorce. L’amant d’Audrey, Billy, a disparu depuis deux jours. Son camion a été volé par Chuck, et Tina est la dernière à avoir vu Billy. Qui sont Tina, Chuck, Billy ? Difficile à dire ! Chuck, le voleur de camion, est-il celui interrogé par Andy dans l’épisode 7 ? Billy est-il l’homme recherché à la fin de l’épisode 7, au Double R, par un passant criant son nom ? Ce vol de camion a-t-il un lien avec l’accident provoqué par Richard Horne, le probable fils d’Audrey ? A Sarah et Audrey, deux figures masculines répondent dans cet épisode : Ben et Jerry Horne. Une brève scène nous montre Jerry s’échappant enfin de son trip dans la forêt, dont nous avions des flashs depuis l’épisode 7. Ces scènes donnaient l’impression d’un temps suspendu, bloqué, piégé comme l’était Jerry dans la forêt depuis plusieurs épisodes. Son évasion semble marquer la fin d’un chapitre. Son frère, Ben, reçoit la visite de Frank Truman. Là encore, cette scène recèle un nombre impressionnant d’informations. Nous avons la confirmation que Richard Horne est son petit-fils et donc probablement le fils d’Audrey, mais nous apprenons surtout qu’il n’a « jamais eut de père ». Et, enfin, Ben tend la clé de la chambre de Cooper à Truman. Là encore, un élément laissé en suspens depuis l’épisode 7, et qui trouve son point final ici. En somme, ce douzième épisode est retors, complexe, et sombre. Peu d’humour, si ce n’est celui de Gordon qui fait face à un Albert stoïque, et celui presque irritant, lancinant, de la scène d’Audrey et Charlie. Audrey et Sarah ont vieillies, et semblent vivre un quotidien cauchemardesque. Ben Horne est accablé du fardeau de son petit-fils, et de son frère détraqué. Au FBI, un doute plane toujours autour de Diane, et ses échanges avec Mister C. sont une menace persistante. Le gardien de prison Murphy est tué devant son fils, et cette scène est froide, noire, sans affect. Lynch se fait ici plus « discret » dans sa mise en scène, venant mettre en valeur avec sobriété les dialogues de cet épisode qui semblent poser les jalons des derniers chapitres à venir. Un épisode de transition, qui a la lourde tâche de repousser le final après les nombreuses promesses des épisodes précédents, mais qui n’en ai pas moins un chapitre important en termes de narration. 13. WHAT STORY IS THAT, CHARLIE ?
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Chez Lucky 7, Anthony Sinclair constate avec effarement que Dougie n’est pas mort : au contraire, les frères Mitchum l’adorent… Il va alors tenter de l’empoisonner. Dans le Montana, Mister C. se rend à la « Ferme » pour régler ses comptes avec Ray, mais il doit d’abord affronter au bras de fer le chef d’un groupe de gangsters. A Twin Peaks, Ed voit Norma tomber sous le charme de Walter qui gère les succurcales du Double R. Audrey, elle, semble piégée dans sa folie, attendant toujours de retrouver Billy. Critique : L’épisode 12 était un exercice de style autour de la frustration. De nouvelles pistes opaques ne cessaient d’être lancées, tandis que les trames dont nous attendions une réponse étaient laissées en suspens. Et, surtout, les deux personnages principaux, Cooper-Dougie et son double maléfique Mr C., étaient quasiment absents ! Seule une scène montrait Dougie-Cooper se prendre une ballon en pleine tête (une scène hors de toute chronologie. L’épisode 13 apparaît alors la réponse haute en émotions, venant combler les derniers « trous » de la narration avant le grand final. L’épisode s’ouvre en musique, une musique surprenante, absurde (on se rappelle du thème de hip-hop associé à Lorraine dans les épisodes 5 et 6). Une folle farandole arrive aux bureaux de Lucky 7 : il s’agit des frères Mitchum, de leurs trois poupées blondes et de Cooper-Dougie. Après leur dîner dans l’épisode 11, l’épisode 12 n’avait apporté aucune suite à leur aventure. Déjà, l’épisode 13 comble la frustration : les Mitchum sont en fête, et offrent à Mullins le même modèle de BMW qu’à Dougie. Mais, à Twin Peaks, l’humour précède bien souvent l’effroi. Et la musique folle se transforme en nappe inquiétante, quand Anthony Sinclair téléphone à Duncan Todd et apprend qu’il doit tuer Dougie en 24 heures… L’épisode est ainsi une merveille de sentiments mélangés, inattendus. Lynch nous fait passer d’une émotion à une autre comme personne. Ou bien, il superpose ces émotions apparemment contradictoires pour créer des moments de magie. Sur une version carillonnante du Lac des Cygnes, le petit Sonny-Jim joue dans sa nouvelle aire de jeu offerte par les gangsters. Un projecteur de théâtre rend l’instant au-delà du réel, tandis que Janey-E dit que son fils est au « septième ciel ». La scène est à la fois touchante et triste, quand on pense à la vie étriquée dans laquelle est coincée Dale Cooper à présent, et l’illusion dans laquelle vit Janey-E. Le thème des illusions commencent d’ailleurs à être de plus en plus présent, au fur et à mesure que la saison s’approche de la fin. Au fil de la filmographie de Lynch, chaque œuvre semble aller plus loin dans le questionnement de la réalité : notre vie n’est-elle qu’un long rêve ? Lost Highway, Mulholland drive, et Inland Empire se concluaient tous par une sortie du rêve ou d’un monde illusoire. Dans l’épisode 11 de cette saison, Bobby semblait vivre un cauchemar éveillé lorsqu’un enfant tirait par la fenêtre du Double R, et le gangster Bradley Mitchum voyait son rêve devenir réalité quand Dougie Jones lui amenait une tarte aux cerises. Le sous-titre du treizième épisode est une phrase prononcée par Audrey dans sa scène « What story is that, Charlie ? ». En effet, nous retrouvons Audrey là où nous l’avions laissée, en pleine dispute avec son époux. Pourtant, les lieux ont changé – il ne sont plus dans la même pièce, quoique que vêtus de la même manière, et poursuivant la conversation là où elle était. Audrey ne sait plus « où elle est », et très souvent « qui elle est ». Charlie lui demande de se reprendre, à moins qu’elle ne veuille qu’il ne « stoppe son histoire à elle aussi ». Audrey ne vit-elle que dans une illusion ? « Quelle histoire ? », demande-t-elle. Une histoire de retour dans le temps, peut-être. La scène qui précède celle d’Audrey montre Sarah Palmer, regardant un match de boxe bloqué en boucle sur la même séquence. Une dizaine de fois, la télévision rejoue le même coup de poing, accompagné de sons étranges de buzz électriques dont on ne sait s’ils viennent de la retransmission ou du salon de Sarah… Cette boucle temporelle qui annihile le réel se poursuit dans les détails de chaque scène. Quand Bobby discute avec Norma et Ed au Double R, Bobby dit qu’il a découvert « aujourd’hui » les indications laissées par son père. Or, cette scène de la découverte du message de Garland date de l’épisode 9 (le 29 septembre très probablement) ! De plus, ce message donnait rendez-vous aux enquêteurs deux jours après (le 1er Octobre à 2h53). Or, il semble bien que les épisodes tournent en rond à Twin Peaks, ne cessant de montrer en boucle les mêmes journées du 29 et du 30, repoussant sans cesse la tant attendue scène du 1er Octobre à 2h53. Impossible, donc, de bien savoir quand se déroule chaque événement. Et cela, principalement à Twin Peaks. Ce brouillage temporel intensifie les mystères qui planent sur la ville. Becky dit à Shelly que Steven a disparu : mais cette disparition date-t-elle d’avant ou après la crise de folie de Becky vue dans l’épisode 11 ? Ailleurs, c’est Charlie qui a disparu ? Mais qui est Charlie ? A quel moment exactement Audrey le cherche-t-elle ? La phrase d’Audrey, la télévision de Sarah et les bruits bizarres de son salon, le projecteur de théâtre dans le jardin des Jones… ajoutez à cela un écran gigantesque, dans une scène où des gangsters observent fascinés Mister C. tuer Ray. Scène sublime où l’on retrouve Mister C. disparu de nos radars depuis l’épisode 9 – autre effet des mystères du montage non linéaire de cette saison. Mister C. se rend à « la Ferme » pour tuer Ray, mais doit d’abord affronter au bras de fer le chef d’une troupe de tueurs. La scène pourrait être issue d’une mauvaise copie de Tarantino, et Mister C. en rit lui-même : « Qu’est-ce que c’est ici, le parc pour enfants ? ». Alors, David Lynch filme un bras de fer comme on en n’avait jamais vu. D’un cliché éculé du cinéma de gangsters, Lynch glisse vers le cauchemardesque, le paranormal, quand Mister C. semble prendre contrôle mentalement de son adversaire. Cette manière de détourner une scène de duel classique, Lynch l’avait déjà fait dans une scène coupée de Fire walk with me et que les fans avaient pu découvrir dans The Missing Pieces : l’agent Desmond affrontait le Shérif de Deer Meadow en combat de boxe, et la scène prenait progressivement une atmosphère onirique et hypnotique. Mister C. gagne et peut alors extirper les informations dont il a besoin de Ray, blessé d’une balle dans la jambe. Et nous autres spectateurs sommes aussi satisfaits que lui de connaître ces informations : Ray est bien engagé par Phillip Jeffries pour tuer Cooper, afin de « récupérer » Bob ; la bague de jade vert permet bien de lutter contre Bob ; enfin, Ray donne à Mister C. les fameuses coordonnées et lui indique un lieu, le « Dutchman », où se trouverait Phillip Jeffries. Mais, tandis que ces informations sont données, dans l’autre pièce, de l’autre côté de l’écran de surveillance, un nouveau mystère s’ouvre : le jeune Richard est là et observe. Est-il lié à ces gangsters et à Mister C. et si oui en quoi ? Encore une fois, la narration sinueuse de Twin Peaks : The Return créé en permanence le sentiment de manquer d’informations, et la crainte de ne pas voir surgir les conséquences de quelque complot secret. Le rêve s’invite encore dans cette scène quand Ray meurt, son corps se retrouvant alors dans la Loge, et le Manchot récupérant la bague de jade vert. A Las Vegas, la logique du rêve s’invite toujours plus dans la réalité. Les détectives Fuscoes ne peuvent croire à la réalité onirique qui s’offre à leurs yeux : Dougie Jones, selon le résultat des empreintes digitales, serait Dale Cooper un agent du FBI, encore en prison deux jours auparavant. Impossible : ils jettent donc les résultats à la poubelle. Quant à la tentative d’empoisonner Dougie, Anthony Sinclair l’abandonne purement et simplement quand son étrange collègue se met à lui toucher les cervicales… Dougie est en fait fasciné par ses pellicules, mais cela suffit pour qu’Anthony pense qu’il a « vu clair en lui » ! Il jette le café, et le poison, et se confesse à son patron Mullins. Lynch et Frost nous en embarqué dans leur rêve, à tel point que l’on accepte de tels retournements de situation surréalistes. Ajoutons que l’épisode 13 comble nos désirs de spectateurs des saisons d’origine. Après l’apparition, tant attendue mais frustrante, d’Audrey Horne dans l’épisode précédent, où elle apparaissait comme une mégère, nous découvrons l’autre facette de cette scène. Audrey semble en fait coincée dans la folie. « C’est comme Ghostwood, ici », dit-elle. Encore un personnage qui vit dans la même confusion mentale que nous autres spectateurs (après Dougie-Cooper amnésique, Lucy et Andy qui « parfois ne savent plus quelle heure il est », Doc Hayward qui a Alzheimer, Jerry qui est drogué dans la forêt…). Mais aussi, cette double présentation d’Audrey joue de nos préjugés encore une fois, comme c’était le cas avec Janey-E ou Doris Truman. En plus d’Audrey, l’épisode 13 nous montre plus de Nadine. Elle a enfin le droit à un vrai dialogue, né du passage du Docteur Jacoby devant sa vitrine où trône l’une des pelles en or de « Dr Amp ». Nadine n’a pas changé d’un iota, semble-t-il, et son interprète Wendy Robie retrouve avec brio toute la folie de son personnage par ses intonations de voix exaltées. Au Double R, rien n’a changé non-plus, semble-t-il : Ed est toujours l’impossible amant de Norma, qui lui préfère un businessman probablement ripoux du nom de Walter. Rien d’étonnant, alors, qu’Ed et Bobby se retrouvent comme deux vieux amis. Everett McGill (Ed), Dana Ashbrook (Bobby), Peggy Lipton (Norma) : tous trois sont de formidables comédiens, dont c’est un pur délice de voir les retrouvailles dans la peau de leurs personnages respectifs. Le tout mené par les dialogues de Frost et Lynch, parfaitement ciselés. Poursuivant la thématique d’un mal moderne qui contamine Twin Peaks, le businessman vient rompre ce moment de douceur. Avec sa tablette qui jure dans le décor boisé du café, il sermonne Norma sur le prix de ses tartes, et sur la tenue de son Double R d’origine. En effet, le Double R est devenu une franchise dans tout le pays, sous le nom des « Norma’s Double R ». Obnubilé par les chiffres, Walter en oublie la magie secrète de la recette de la tarte aux cerises…
L’épisode consacre ses 20 dernières minutes à Twin Peaks, dans une atmosphère de nostalgie teintée d’angoisse. Les visages de nos personnages préférés sont tous réapparus. Ils n’ont pas changés, et c’est à la fois heureux et malheureux. Car tous sont bloqués dans le passé. Audrey est bloquée dans un cauchemar. Sarah Palmer est bloquée, elle aussi, dans le monde obscur de son salon, face à la boucle temporelle de sa télévision. Ed et Norma sont bloqués dans leur éternelle relation impossible. Bobby vit dans le souvenir de ses amours (Laura, Shelly), et, au Roadhouse, un dernier personnage réapparaît : James. Pas vu depuis l’épisode 2, il apparaît ici guitare à la main, sur scène, où il interprète « Just You ». Chanson d’adolescent, écrite aux côtés de Donna et Maddy, deux figures aussi lointaines que celles de Laura Palmer. Pour autant, le vieux James enfermé dans son souvenir fait pleurer une spectatrice, Renée, laissant un peu d’espoir pour James de sortir du piège du passé pour connaître un peu de joie. Son oncle Ed, lui, s’ennuie ferme à sa station essence tandis que défile le générique de fin.
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Gordon joint le Shérif Frank Truman qui l’informe de son enquête sur les « Deux Cooper ». Diane révèle que Janey-E est sa sœur. Gordon raconte un rêve dans lequel Monica Bellucci lui délivrait des indices importants. A Twin Peaks, l’équipe du Shérif se rend dans la forêt, sur le lieu indiqué par le Major Briggs, à 2H53… Au soir, James, qui travaille comme agent de sécurité au Great Northern, écoute l’histoire extraordinaire de son jeune collègue anglais Freddie. Sarah Palmer se rend dans un bar, le Elk Point 9, où elle provoque un événement macabre et paranormal. Critique : Twin Peaks saison 3 ou Twin Peaks « The Return » a fait son sujet principal de notre envie de spectateurs de retrouver le monde de Twin Peaks vingt-cinq ans après les premières saisons. Mark Frost et David Lynch ont concocté une odyssée homérique (ou plutôt joycienne ?) autour de ce retour. Un retour comme but ultime du récit, dont chaque épisode a semblé le rendre de plus en plus impossible. A quatre épisodes du final, ce 14ème chapitre fait un bond déterminant vers le terme du voyage. La première scène montre en effet Gordon Cole, à Buckhorn, téléphonant au commissariat de Twin Peaks. « Lucy ? Vous êtes toujours là ?! » s’étonne-t-il. Enfin, donc, les trames se rejoignent. Déjà, dans l’épisode 12, Diane avait trouvé les coordonnées de Twin Peaks sur son téléphone. Désormais, c’est le fil du téléphone qui relie Buckhorn et Twin Peaks. Quant à Mister C., troisième part de cette saison divisée en trois trames, lui aussi possède enfin les coordonnées depuis qu’il a tué Ray, dans l’épisode précédent. Enfin, dans cette même première scène, le dernier pont entre toutes les trames est formulé : Diane révèle avoir une sœur du nom de Janey-E Jones… Frost et Lynch ont joué avec nos frustrations, repoussant sans cesse la possibilité du retour de Cooper, à la fois à Twin Peaks, et à son état normal. Comme si toutes les pièces du puzzle devaient d’abord être montrées, puis une à une réunies, avant de pouvoir procéder au « Retour » tant attendu. Si bien que notre cœur fait un bond lorsque les éléments se recoupent, dans cette première scène. Un autre effet de frustration est levé dans cet épisode, celui du montage elliptique et non-linéaire auquel Lynch nous avait habitué. Depuis le début de la saison 3, des scènes nous sont montrés comme des flashs, sans contexte nous permettant de les situer dans la chronologie de l’intrigue. Ainsi, certains passages sont rejoués, revécus, comme le « 119 » crié par la droguée de Rancho Rosa, ou l’un des show de Dr Amp. Ou encore, un épisode comme le 5ème revenait 24 heures en arrière dans le temps sans nous prévenir, si ce n’est par de petits indices (costumes, situations répétées). Et, surtout, la date du 1er octobre à laquelle le Major Briggs avait donné ordre à son fils et aux policiers de Twin Peaks de se rendre à un certain lieu dans la forêt, ce 1er octobre fatidique ne cessait d’être repoussé par le montage. Depuis l’épisode 9, nous tournions en boucle autour du 29 et du 30 septembre. Enfin, le quatorzième épisode résout ces problèmes temporels, et semble bien nous montrer les événements du 1er octobre, dans l’ordre chronologique. Nous passons alors les 40 dernières minutes de l’épisode à Twin Peaks, ce qui a pour effet de combler une frustration issue de treize épisodes où nous ne passions jamais que 10 ou 20 minutes dans la bourgade. On a le sentiment d’être « pour de bon » revenu à Twin Peaks… Cette gratification se poursuit jusque dans les événements de cet épisode. Pour exemple, l’arrestation de Chad, le flic corrompu de la nouvelle saison. Nos héros du commissariat de Twin Peaks nous semblaient vieillis, un peu à côté de la plaque jusqu’à présent : Andy semblait presque devenu demeuré, Frank Truman un peu largué par les éléments de l’affaire Laura Palmer, et Hawk très lent à découvrir la pièce manquante concernant Cooper. Des flics rouillés, accueillant sous leur toit un jeune agent corrompu, dont ils ne voyaient même pas qu’il trafique sous leur nez. Mais tout n’était que l’effet du montage, distillant les scènes à Twin Peaks et omettant volontairement des éléments – pour mieux nous mettre dans un état de confusion mentale. Résultat, nous découvrons avec surprise que Truman et ses hommes étaient « sur le coup », surveillant Chad depuis des semaines, s’apprêtant à l’arrêter dès que possible. L’enveloppe de Miriam, volée par Chad, n’était donc peut-être pas passée inaperçu par Lucy ! Episode positif donc, où le quatuor Truman/Hawk/Bobby/Andy se rend enfin au point donné par le Major Briggs. Dans une scène longue et de toute beauté, au milieu de l’épisode, les quatre flics progressent dans la forêt magnifiquement filmée sous l’œil du chef opérateur Peter Demming. La caméra flotte en steadicam autour d’eux et vers les arbres, renforçant la fascination, et les reflets du soleil donnent aux bois un aspect légendaire. L’atmosphère sonore mêle le son de la nature aux nappes étranges concoctées par David Lynch. Enfin, ils arrivent près du lieu, baignant dans une fumée surnaturelle et éclairée de flashs. Là se trouve une femme, nue. C’est Naido, la femme aux yeux cousus vue dans l’autre monde, au début de l’épisode 3. Elle est allongée auprès d’un cercle, qui rappelle la « porte » vers la Black Lodge à Glastonbury Grove. Pourtant, il est probable qu’il s’agisse d’un autre lieu : est-ce l’autre porte, celle de la White Lodge ? Probable, quand on sait que Garland Briggs cherchait le Bien à travers ses recherches classées Top Secret. Etait-ce à cet endroit que le Major Briggs avait disparu dans une grande lumière blanche, dans la saison 2, tandis que Dale Cooper se laissait aller à uriner contre un arbre ? Vingt-cinq ans plus tard, c’est un autre personnage plein de bonté qui traverse la porte : Andy. Dans une même lumière blanche, après l’apparition d’un vortex stupéfiant (vu déjà dans l’épisode 11 par Gordon Cole à Buckhorn), Andy disparaît, aspiré. Il se retrouve dans le monde en noir-et-blanc du Géant, qui lui révèle s’appeler le « Fireman » (L’homme du Feu). Andy est alors témoin de visions, comme sur un écran, sur le plafond. Des images déjà vues (« The Experiment », Bob, le Convenient Store, Laura, Dale et son double maléfique, le pylône électrique numéro 6), mais aussi probablement issues du futur : le téléphone du commissariat sonnant et Lucy fascinée ou terrifiée auprès d’Andy. Après cette scène de vision hallucinante, la caméra nous ramène à la réalité, dans la forêt. Là, les protagonistes réapparaissent par surimpressions, là où ils se tenaient quelques minutes plus tôt. Effet de retour dans le temps provoqué par leur vision de l’au-delà ? Toujours est-il que Hawk et Truman ne se rappellent de rien… Ainsi, potentiellement, des scènes de cette nouvelle saison peuvent avoir existé… et être « effacées ». Ce passage évoque les histoires de disparitions surnaturelles, évoquées dans le livre de Mark Frost The Secret History of Twin Peaks, comme les enlèvements par des soucoupes volantes. L’événement mystique est oublié, avant de ressurgir au fond de la mémoire des années après. Andy, lui, se souvient bien de tout, et devient le héros inattendu de la scène. Il porte Naido dans ses bras et dit quoi faire aux trois autres pour la sauver. Voir Andy devenir le héros du jour est un petit plaisir issu des premières saisons (l’arrestation de Jacques Renault à la fin de la saison 1, par exemple). Mais là où l’épisode 14 est aussi une pure merveille, c’est dans la manière dont il fait de chaque scène un moment onirique, entre rêve et réalité. Nous l’avons vu, les notions de rêve et d’illusion sont de plus en plus explicites depuis quelques épisodes (le rêve de Bradley Mitchum dans l’épisode 11, l’écran à travers lequel Richard regard Mister C., la phrase de Charlie à Audrey « tu veux que je cesse ton histoire ? »). L’épisode 14 poursuit cette voie. Dans la première scène, à Buckhorn, David Lynch lui-même raconte un rêve. Scène géniale où le cinéaste et le personnage de Gordon se confondent à nouveau. Il dit à ses collègues avoir « rêvé de Monica Bellucci encore une fois ! ». S’en suit une scène à Paris, en noir et blanc, retraçant son rêve, et dans lequel Monica Bellucci joue son propre rôle. L’apparition de la star franco-italienne pour se jouer elle-même accentue l’idée de brouillage entre la fiction et le réel, le rêve et l’éveil… Déjà, auparavant, Lynch et Frost avaient créé de tels effets : coordonnées géographiques invitant le spectateur à saisir son Google Maps pour découvrir où se situe la ville fictive de Twin Peaks ; blog ésotérique de Bill Hastings réellement créé sur le web… Monica, dans le rêve de Gordon, lui dit les mots suivants : « nous sommes comme le rêveur, qui rêve, et ensuite vit à l’intérieur du rêve » puis « mais qui est le rêveur ? ». Une phrase issue des Upanishad, l’ensemble de textes à la source de la religion Hindou. Le choix de cette phrase renvoie aux grands textes spirituels que Ben Horne se décidait à lire à la fin de la saison 2, mais aussi à toute la mysticité de Twin Peaks dans son ensemble et les multiples références au monde de l’Orient. Cette mysticité semble relier tous les films de David Lynch dans un grand tout mythologique, jusqu’au film le plus mineur, Dune, où Paul hurlait « le rêveur s’est éveillé ! ». Mais cette question « qui est le rêveur ? » est aussi, là encore, un regard direct de David Lynch au spectateur. La création artistique n’est que le fruit du rêve de l’artiste… Cinéaste surréaliste, David Lynch a donc peut-être bâti cette saison 3 avec Mark Frost en suivant la logique du rêve. Suivant cette logique onirique, ils ont plongé leurs personnages dans une aventure dont ils doivent maintenant ce réveiller. Ce n’est pas tant un rêve « concret », qu’un rêve généralisé. Que vient alors signifier cette scène du rêve de Monica Bellucci, au sein de la narration ? Filmée sobrement dans une rue de Paris, elle est presque plus réaliste que le reste des scènes. Comme pour dire que la vie peut parfois dépasser le rêve, lorsqu’elle nous cache des mondes parallèles, des vortex, des revenants… A l’apparition de Monica Bellucci, succède l’apparition de David Bowie alias Phillip Jeffries, dans sa scène de Fire walk with me. La scène de Bellucci pouvait avoir un sens « méta » (le rêve du cinéaste est le film que nous voyons), mais aussi narratif (attention, tout ce que nous voyons n’est peut-être pas la réalité). La réutilisation des images de Fire walk with me joue aussi sur les deux tableaux. Plus directement, sur le plan narratif, Gordon Cole revoit en souvenir le moment où Jeffries pointait du doigt Cooper en disant « Qui pensez-vous que ce soit ? ». Ce souvenir remonté des tréfonds de la mémoire de Gordon peut avoir plusieurs significations. Jeffries était-il revenu du futur pour prévenir du dédoublement à venir de Cooper ? Ou bien, au contraire, y a-t-il toujours eut deux Cooper ? Cette piste offrirait une relecture assez terrifiante des saisons 1 et 2, dans lesquelles Dale Cooper aurait déjà un double secret de lui-même… Mais cette apparition de David Bowie renvoie aussi à la phrase qu’il prononçait un peu plus tard dans cette même scène : « Nous vivons à l’intérieur d’un rêve ! ». Phillip Jeffries, dans la mythologie de Twin Peaks, fut le premier à mentionner textuellement l’hypothèse d’un piège onirique dans lequel les personnages seraient enfermés. Cette phrase, qui n’est pas remontrée ici, mais qui est associée à la scène culte de Jeffries dans Fire walk with me, semble prendre de l’importance dans ces derniers épisodes de la saison 3. Combien de scènes avons-nous vu qui seraient issues d’un rêve ? Lynch et Frost commencent à nous faire douter de la réalité de ce que nous voyons, à quelques épisodes de la fin, comme c’était le cas dans Mulholland drive. Avec la plongée surréaliste d’Andy dans l’au-delà, le rêve continue de s’inviter dans le réel en la personne de Naido. Créature asiatique aux yeux cousus, Naido provient d’un monde cosmique aperçu au début de l’épisode 3. C’est elle (avec une autre créature féminine, l’American Girl) qui a permis à Cooper de revenir dans le monde réel. Que signifie son apparition dans notre monde ? Naido, dans l’épisode 3, terminait en chute libre dans l’espace. A-t-elle atterrie dans la forêt de Twin Peaks au même instant ? La montre de l’American Girl, dans cette même séquence, indiquait bien le 1er Octobre à 2h53. Est-ce au même instant que Dale Cooper est revenu sur terre à la place de Dougie ? Ou bien Cooper a-t-il été envoyé dans le passé avant d’être présent au retour de Naido ? Cooper doit-il sauver Naido à son tour, après avoir été sauvé par elle dans l’espace ? Autant de question pour l’instant sans réponse, mais qui plongent le spectateur dans un raisonnement irrationnel et mystique. De retour au commissariat, Naido pousse des petits cris, comme des aboiements. L’importance de l’homme-animal dans la filmographie de Lynch n’est plus à souligner (Elephant Man, le bébé de Eraserhead…). Lynch saisit nos comportements factices (personnages artificiels de bourgades américaines ou d’Hollywood), pour faire ressurgir nos instincts oubliés. Dans la saison 1, dans ce même décor de cellules du commissariat de Twin Peaks, c’est Bobby et Mike qui aboyaient comme des chiens, montrant leurs crocs à James. Cette fois, Naido est une véritable créature de l’autre monde, ne pouvant communiquer autrement que par ses sons étranges. Elle est alors imitée par un prisonnier, ivrogne et défiguré, du sang coulant de la figure… Chad, troisième protagoniste enfermé ce soir-là, croit alors vivre un cauchemar. « Quelle maison de fou ! » hurle-t-il. Une maison de fou, le terme sera réutilisé à la fin de l’épisode par deux jeunes femmes discutant au Roadhouse. Dans leur conversation banale réapparaît Billy, l’homme cherché par Audrey. L’une des deux jeunes filles l’a vu avant sa disparition, le visage en sang. Les deux scènes se répondent, soit pour nous apporter des indices sur cette intrigue mystérieuse, soit pour mieux nous perdre chez les fous… Autre histoire de fou, celle racontée par Freddie, un jeune britannique décidé à s’installer à Twin Peaks après une révélation mystique. Freddie travaille comme agent de sécurité au Great Northern Hotel. Il a pour collègue James Hurley, dont c’est la troisième apparition dans Twin Peaks : The Return. Il était déjà aux côtés de Freddie dans l’épisode 2, au Roadhouse. Puis, dans l’épisode 13, James apparaissait chantant « Just You ». Cette fois, nous en découvrons vraiment plus sur le devenir de James, apparemment célibataire puisqu’il aurait le béguin pour Renée, qu’il espère croiser au Roadhouse. « Quel groupe y joue, ce soir ? », se demandent les deux collègues. La question est sans réponse. Et pour cause, les scènes du Roadhouse sont comme autant de mystères chronologiques, les conversations qui y ont cours semblant parfois être déconnectés de la trame narrative connue du spectateur. James et Freddie se promettent d’aller au Roadhouse ce soir. Audrey, elle aussi, cherche à se rendre au Roadhouse. Le lieu, qui a été le point final musical de nombreux épisodes, semble devenir un point de convergence attendu. James et Audrey vont-ils s’y croiser ? Les scènes du Roadhouse ont tant semblé déconnectées de tout jusqu’à présent que le lieu va peut-être devenir le point de rencontre final de cette saison. Mais, avant d’aller au concert, James écoute l’histoire de son jeune collègue Freddie. Et à nouveau, la réalité se transforme en rêve à l’écoute de son histoire : Freddie est inséparable d’un gant vert, qui lui donne la force d’un marteau-pilon, et obtenu à la suite de la rencontre avec un être venu d’ailleurs, le « Fireman ». Freddie à lui aussi rencontre ce Géant, qui lui a également ordonné de se rendre à Twin Peaks pour y « rencontrer sa destinée » ! James est fasciné par cette histoire, comme nous autres spectateurs. Ce petit jeune, avec un accent anglais à couper au couteau totalement caricatural, est aussi un reflet du spectateur. Combien de jeunes fans de Twin Peaks rêvent de s’y rendre pour rencontrer leur destinée ? Et si Twin Peaks n’était que le rêve de Freddie ? Peut-être est-il toujours à Londres, dans un quartier de l’East-End, ivre mort, rêvant d’un Géant et d’une ville nommée Twin Peaks ? Ce récit du « gant vert » est l’autre pendant du récit du rêve de Monica Bellucci fait par Gordon-Lynch plus tôt dans l’épisode. Et le rêve continue, se transformant en cauchemar, quand Sarah Palmer révèle sa véritable nature dans l’avant-dernière scène de l’épisode (la dernière étant la conversation des deux jeunes femmes au Roadhouse). Lynch et Frost nous ont totalement hypnotisés et aspiré dans cette nouvelle saison, et sont au point de pouvoir tout se permettre. Le devenir de Sarah Palmer est resté mystérieux au travers de ses premières scènes dans l’épisode 2, puis celles de l’épisode 12 et 13 au supermarché et sur le pas de sa porte, devant sa télévision. Tout juste savions-nous qu’elle semblait toujours prise de visions extralucides, comme elle l’était au début de la saison 1 (visions de Bob), et à la fin de la saison 2 (en communication avec quelqu’un dans la Black Lodge). Dans cette scène, Sarah se révèle plus que cela. Harcelée par un client du bar, dégoutant et cherchant à la draguer, elle retire son visage pour révéler une main sous son crâne… puis tue l’homme d’un coup de mâchoires ultra-rapide. Cette vision, d’un visage retiré comme un masque, avait déjà eut lieu dans l’épisode 2 avec Laura Palmer. Mais nous étions dans l’autre monde, celui de la Loge, où tout semble possible, où tous les délires surréalistes sont permis ! Revoir cette image dans le cadre d’un bar, entouré par une foule, créé notre trouble. Encore une fois, le rêve contamine la réalité. Mais, aussi, les forces maléfiques de l’autre monde contaminent le notre… Le rôle de Sarah Palmer est alors réinterrogé, tout comme l’a été celui de Cooper plus tôt dans l’épisode par le souvenir de Gordon (Cooper a-t-il toujours eut un double maléfique ?). On en vient à repenser aux scènes de Sarah dans les premières saisons : avait-elle déjà ce pouvoir maléfique à l’époque ? Etait-elle déjà une telle « créature » ? On en vient même à reconsidérer les événements de l’affaire Laura Palmer… Leland était-il vraiment le seul coupable ? Et si le « réveil », le sortir du rêve, dont parle cet épisode, était aussi la révélation de vérités sur les anciens événements de Twin Peaks ? 15. THERE'S SOME FEAR IN LETTING GO
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : A Twin Peaks, Nadine annonce à Ed qu’elle lui rend sa liberté : il peut se marier avec Norma. Ed se rend au Double R bien décidé… Au milieu de la nuit, Mister C. se rend au Convenience Store, où il est accueilli par des spectres de bûcherons le menant tout droit à Phillip Jeffries. Il a été suivi par Richard, qui l’a reconnu sur une photo préservée par sa mère Audrey. Dans la forêt, Steven, armé d’un revolver, semble au plus mal aux côtés de Gersten Hayward. Au Roadhouse, Freddie sauve James d’un mauvais pas grâce à son gant vert magique. A Las Vegas, Dougie-Dale semble avoir une révélation en allumant sa télévision. A Twin Peaks, Margaret Lanterman, la Dame à la Bûche, fait ses adieux. Critique : A l’approche du double-épisode final, David Lynch et Mark Frost concoctent quelques dernières heures totalement explosives. Ce quinzième épisode enchaîne les scènes sublimes, dont chacune nous emporte dans une atmosphère unique et vers des émotions très fortes. Les dix premières minutes sont consacrées à Nadine, Ed et Norma. Après avoir joué avec nos frustrations, distillant les scènes de Nadine et Norma au compte-goutte, attendant l’épisode 13 pour faire apparaître Ed, Frost et Lynch nous prennent par surprise en dénouant leur trio amoureux vieux de plus de 25 ans en quelques minutes ! Grâce aux vidéos du Dr Amp, Nadine a décidé de se « sortir de la merde » à l’aide d’une pelle en or, et vient redonner sa liberté à Ed pour de bon. Voir Nadine marcher le long des bois jusqu’à la station essence d’Ed, pelle en or sur l’épaule, reprend magnifiquement le personnage là où nous l’avions laissée 25 ans auparavant – la pelle en or, nouvel objet-miracle après les tringles à rideaux. Everett McGill et Wendy Robie délivrent leurs dialogues de la même manière qu’à l’époque, comme si leurs personnages avaient à peine évolué après toute ces années. Comme s’ils étaient « bloqués » dans le temps, dans l’attente de cette résolution. Après un fondu au noir, Ed est au Double R, où il vient annoncer la nouvelle à Norma. I’ve been loving you de Otis Redding recouvre la scène, mais la chanson romantique et passionnée s’interrompt quand Norma se détourne d’Ed au profit de Walter, le businessman. Rien n’a changé, là non-plus, et Walter a semble-t-il remplacé Hank… La musique d’Otis Redding se suspend dans une note ralentie, inquiétante, tandis que Norma annonce à Walter qu’elle rompt leur contrat. Sa famille, c’est Twin Peaks, et elle choisit de ne s’occuper que d’elle. Walter s’en va, la musique d’Otis Redding reprend, et Norma et Ed s’embrassent fougueusement. Une larme coule alors sur la joue de Shelly… Soudain, la bonté et l’amour semblent possibles. Face au monde de zombies vénaux d’aujourd’hui, représenté ici par Walter mais plusieurs fois montrés au cours de cette saison, la tendresse peut gagner. Alors, la caméra s’envole vers le ciel radieux, au-dessus de Twin Peaks… Mais la musique s’arrête dans un écho. Après cette magnifique scène, où des larmes de joies nous montent aux yeux, la caméra nous renvoie sur une route en pleine nuit. Le mal rode, en la personne de Mister C. Depuis de nombreux épisodes, nous craignons que ce double de Dale Cooper ne retourne à Twin Peaks pour y faire le mal. S’y rend-il ? Le suspense gonfle en même temps que les nappes menaçantes de la bande-son. Mais non, Mister C. a d’autres étapes sur son trajet. Il arrive au « Convenience Store », que nous retrouvons après son apparition dans l’épisode 8, issu des années 40. Cette seconde scène est un autre moment de bravoure dans le cinéma de Lynch. D’une part, le suspense est immédiat dès lors que Mister C. demande à voir Phillip Jeffries, le personnage joué par David Bowie dans Fire walk with me étant l’un des grands mystères de cette nouvelle saison. D’autre part, l’atmosphère de cette séquence est absolument étouffante, terrifiante. Nous vivons un cauchemar éveillé tandis que Mr C. grimpe les escaliers et aboutit magiquement à une pièce obscure dans laquelle deux spectres de clochards l’attendent. Ces créatures sont la création génialement effrayante de cette nouvelle saison, pour parer à l’absence de Michael J. Anderson (le petit homme venu d’ailleurs) et de Frank Silva (Bob). La première pièce dans laquelle arrive Mister C., aux papiers peints fleuris, avait déjà été le lieu d’un cauchemar, celui de Laura Palmer dans Fire walk with me (il s’agissait de la pièce représentée sur un tableau accroché au mur, et où elle retrouvait la vieille Mrs Tremond et son petit-fils). L’un des deux spectres tire sur un levier créant une sorte de foudre électrique – « electricity » semble être le mot-clé de tout Twin Peaks. Puis, Mister C. franchit deux espaces typiques de nos cauchemars les plus angoissants : un long couloir obscur et un escalier qui mène vers l’inconnu. Le tout est superposé avec des images de la forêt, la nuit. Cette surimpression est une idée splendide : elle résume à elle seule la mythologie de Twin Peaks, où tout est double. Ce lieu ésotérique existe, et en même temps n’existe pas. Les spectres et les monstres existent, et en même temps sont humains dans notre dimension. Bien et mal peuvent aussi se superposer. Enfin, Mister C. arrive à un dernier espace, sorte de cour de motel désert, où une nouvelle créature l’attend : une femme au visage d’homme, une expression sinistre sur le visage, en robe de chambre. Elle lui ouvre la dernière porte. Là, Mister C. communique enfin avec Phillip Jeffries… qui se révèle être une immense machine en ferraille. On retrouve l’audace du premier double-épisode où Michael J. Anderson avait été transformé en Arbre à tête de gomme. Mais Lynch nous a habitué à toutes les folies, et cette nouvelle hallucination fonctionne. Elle n’est pas dénuée d’humour, notamment lorsqu’on sait que Bowie était en pleine tournée de « tin machine » (machine d’étain) lors de sa venue sur le tournage de Fire walk with me. Mais l’angoisse est toujours présente, par la lumière stroboscopique d’un néon vétuste, et par les mots échangés entre la machine-Jeffries et Mister C.. Jeffries lui rappelle qu’ils avaient l’habitude d’échanger, et une image de Fire walk with me ressurgit : Jeffries regardant Cooper au bureau de Philadelphie, et affirmant qu’il « ne parlera pas de Judy ». C’est la seconde fois que cette scène est réutilisée, après le souvenir de Gordon. Elle sème le trouble dans notre esprit : Cooper était-il déjà « Mister C. » à l’époque ? Jeffries en convient, quand il demande à Mister C. : « tu es Cooper, alors ». Ici se cache quelque vérité sur le mystère du dédoublement de Cooper, un mystère absolument fascinant au cœur de Twin Peaks : The Return. D’autres mystères apparaissent dans cet échange avec Jeffries, ou plutôt l’âme de Jeffries. Pourquoi ne « voulait-il pas parler avec Judy » ? Qui est Judy ? Mister C. se pose ses questions, et Jeffries lui répond par un autre mystère : Mister C. a déjà rencontré Judy. Judy est-elle un personnage connu de nous tous ? Il faut savoir que le « mystère Judy » fascine les fans de Twin Peaks depuis la sortie de Fire walk with me… L’épisode final nous donnera-t-il la réponse sur Judy ? La réponse se trouve peut-être… chez Hitchcock ? Dans Vertigo, Madeleine était le double de Judy. Dans Twin Peaks, Madeleine était une forme de double de Laura, sa cousine et sosie. Le film Laura (de Otto Preminger) était lui aussi un film sur un double personnage féminin. Judy serait-elle un autre double de Laura ? Son « doppelganger » vu à la fin de la saison 2 ? Ou bien celle qui intriguait Dale au début de la saison 3 ? On n’en saura pas plus pour l’instant, la scène se concluant par Jeffries donnant apparemment le numéro de téléphone de Judy à Mister C., avant qu’un téléphone ne sonne juste au même moment dans la pièce. Mister C. est alors téléporté à l’extérieur, où un pistolet est braqué sur lui. C’est Richard. Dernier rebondissement de cet acte pour le moins stupéfiant, Richard dit qu’il a vu Cooper en tenue du FBI sur une photo, chez sa mère : Audrey Horne. Mister C. maîtrise Richard, et part avec lui dans le 4x4 au beau milieu de la nuit… Et le Convenience store disparaît, en pleine forêt, dans un éclat d’électricité et de fumée. Après un nouveau fondu au noir, retour à Twin Peaks où nous retrouvons Steven, personnage encore très mystérieux à ce stade du récit. Dans la forêt, lui et Gersten Hayward semblent dans un état grave, tremblant extrêmement. Leurs mots sont confus, mais l’on comprend que leur amour est interdit. Gersten est simplement la maîtresse de Steven, ou leur union cache-t-elle un secret plus complexe ? Leur rousseur pourrait laisser imaginer un lien de parenté, et donc un amour incestueux – un de plus dans l’univers de Twin Peaks sans cesse menacé par l’inceste. Au creux de l’arbre, le couple échange des paroles incompréhensibles, tandis que Steven charge un revolver. Un promeneur passe avec son chien, ce qui provoque la terreur du couple. Gersten se cache, le promeneur fuit, et Steven tire… Très probablement il s’est suicidé. La scène se termine sur Gersten pleurant, fascinée par les arbres gigantesques qui l’entourent. Après la scène d’Ed et Norma où l’amour était victorieux, celle-ci montre un amour interdit et dangereux, conclu par un coup de revolver. Autant dire que nous sommes sur des montagnes russes à ce stade de Twin Peaks : The Return. La violence se poursuit dans la scène suivante, au Roadhouse, où James dit quelques mots gentils à Renée avant de se faire tabasser par le mari de celle-ci et un autre homme. Mais le sentiment de violence se transforme en éclat de rire, quand le jeune collègue de James, Freddie et son gant vert, donne un léger coup de poing aux assaillants. Par le pouvoir du gant vert, le coup les propulse et écrabouille leurs visages ! A Las Vegas, on retrouve violence et humour aussi, quand l’un des agents du FBI local se trompe de famille Jones. Le supérieur lui hurle dessus, tandis qu’il contemple la fausse famille Jones dont l’un des bambins pousse un cri comme une alarme. Troisième saynète à la fois violente et drôle, toujours à Las Vegas, celle montrant la fin de Mr Todd. Appelant pour une énième fois Roger, Todd et son assistant se font tuer froidement par Chantal, incognito dans un joli tailleur noir. La balle explose le visage de Todd dans une image presque grotesque, en même temps que dégoûtante. Chantal s’en va et appelle aussitôt Hutch pour qu’il acheter des burgers-frites. Mais, avant de repartir, l’une des deux victimes pousse des gémissements. Soufflant comme une employée fatiguée par son job quotidien, elle retourne l’achever. Cette violence, un dialogue entre Hutch et Chantal (savourant leurs burgers) vient la remettre en question. Hutch critique son pays, faussement chrétien, mais réellement violent. Par cet échange, Frost et Lynch pointent du doigt l’enchaînement de violence depuis le massacre des Indiens. Les Etats-Unis d’Amérique ont comme fondement un bain de sang, expliquant le retour perpétuel de la violence dans ce pays. Twin Peaks s’inscrit d’ailleurs dans une longue lignée de livres et de films, parmi lesquels Shining de Kubrick (mais aussi le livre de Stephen King), où l’horreur et le fantastique trouvent naissance dans ce massacre initial des Indiens d’Amérique. Toute cette violence mène à une explosion, explosion réelle, celle du coup de jus de Dougie-Cooper dans LA scène de cet épisode. Toujours apathique, Dougie-Cooper mange un gâteau au chocolat quand il active la télévision sur « Sunset Boulevard ». Alors que l’on traquait l’élément du passé qui « réactiverait » Dale Cooper, ce n’est ni la tarte aux cerises, ni le café, ni un air de piano qui le réveille, mais un film des années 50, Sunset Blvd. de Billy Wilder… le film préféré de Lynch. Encore une fois, des ponts entre Twin Peaks et le monde réel sont bâtis tout au cours de cette saison. C’est dans Sunset Blvd que Lynch avait trouvé le nom de Gordon Cole pour son personnage – un nom seulement entendu dans le film de Wilder. Or, c’est cette scène précise qui réactive Cooper. Entendant les noms de « Norma », et surtout de « Gordon Cole », mais aussi fasciné par ces personnages du passé qui s’animent sur un écran, Cooper semble reprendre connaissance. N’oublions pas que Sunset Blvd est un film sur une actrice devenue le fantôme d’elle-même, cherchant à retrouver qui elle était. Mais Cooper est toujours coincé dans le mutisme, et saisit alors sa fourchette pour l’enfourner dans la prise électrique. « Electricity », le mot-clé de Twin Peaks, encore et toujours ! Le coup de jus provoque des éclairs, Janey-E hurle, et la scène se termine dans le noir, au son de la voix de Sonny-Jim demandant ce qui se passe, sans obtenir de réponse… Après tant d’attente, cette résolution au fil de Dougie-Cooper grâce à un autre film, celui que Lynch préfère, Sunset Blvd, est un grand moment d’émotion. Et à cette probable renaissance de Cooper, en même temps que grande mise en danger (va-t-il survivre à l’électrocution ?), succède une scène de mort. Là aussi, le lien entre fiction et réalité est étroit. C’est Margaret, la Log Lady, qui nous fait ses adieux. Au téléphone, elle adresse quelques derniers indices à Hawk, avant de lui annoncer qu’elle se meurt. Quand Margaret, et quand l’actrice Catherine Coulson, regarde soudainement la caméra frontalement et prononce la phrase « quand nous nous parlions face à face… », on se souvient avec des frissons des introductions de la Dame à la Bûche des saisons 1 et 2. Catherine Coulson fait ses adieux à son personnage, à la caméra, aux spectateurs, à son ami de toujours David Lynch (elle était son assistante réalisation sur son premier film Eraserhead). Les larmes sont retenues, le moment est solennel et sobre. Mais l’émotion explose quand Hawk annonce la nouvelle à Lucy. Alors, la musique d’Angelo Badalamenti résonne, comme un éloge funèbre, et les larmes de Lucy coulent en même temps – probablement – que celles de nombreux spectateurs. Hawk, et Michael Horse en même temps, baisse la tête en souvenir de Margaret/Catherine… Un fondu enchaîné sur son visage le fond dans la forêt, magnifique image évoquant la disparition qui nous attend tous. Finalement, la lumière de la maison de Margaret s’éteint toute seule, dans la nuit. Après cette dernière émotion, l’épisode se conclut sur deux scènes mystérieuses, deux derniers points d’interrogation. Tout d’abord, la troisième scène avec Audrey Horne, dont les apparitions rythment les épisodes depuis le 12ème chapitre. Cette fois Charlie et Audrey sont sur le pas de la porte, s’apprêtant à aller au Roadhouse. Mais ils se disputent encore, et Charlie repart dans le salon en retirant son manteau. Audrey devient folle de rage et commence à l’étrangler, quand la scène se coupe. Au Roadhouse, pendant ce temps, un groupe, The Veils, joue un rock puissant. Une jeune fille, l’air timide, se fait jeter de sa table par deux motards. A quatre pattes, elle passe inaperçue entre les jambes des spectateurs, les larmes aux joues. Qui est-elle ? Quel est son drame ? Nous ne le saurons pas. L’épisode se termine sur son hurlement, couvert par la musique rock. Final mystérieux, qui rejoue la scène où Cooper avance lui aussi à quatre pattes vers la prise électrique. Ce quinzième épisode ne cesse de répéter les scènes entre elles, créant des phénomènes d’écho comme dans un rêve. La scène d’amour idyllique d’Ed et Norma a son pendant cauchemardesque entre Steven et Gersten ; le levier électrique dans le Convenience store est activé tandis qu’ailleurs Cooper se réanime à coup de fourchette dans une prise électrique ; les scènes de violence décalées se succèdent au Roadhouse et à Las Vegas ; Cooper semble renaître tandis que la Dame à la Bûche se meurt, elle qui avait appelé Hawk au tout début de l’histoire pour le prévenir qu’il manquait quelque chose dans l’affaire Cooper… Si toutes les scènes se répètent comme dans un rêve, la question reste : qui est le rêveur ? Anecdotes :
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Mister C. embarque Richard avec lui vers un site mystérieux dont il a les coordonnées. Ils sont observés au loin par Jerry. A Las Vegas, Dougie-Dale est dans le coma, entouré par sa famille, Bushnell et les frères Mitchum accompagnés de leurs trois créatures féminines. Chantal et Hutch attendent devant la maison des Jones, également surveillée par le FBI. Diane raconte à ses collègues sa dernière nuit avec Cooper, qui l’a violée. Armée d’un revolver, Diane révèle sa vraie nature. Dale sort de son coma, et s’apprête à retourner à Twin Peaks, où Audrey va enfin au Roadhouse… Critique : Le 16ème épisode constitue le dernier chapitre avant le grand final, le double épisode 17 et 18 diffusé le 3 septembre 2017. Frost et Lynch continuent sur leur lancée, après l’épisode 15 riche en émotions de toutes sortes (effroi, larmes). L’épisode s’ouvre sur une route en pleine nuit, image devenue un leitmotiv depuis l’épisode 1 (la route menant à la cabane de Buella, la route empruntée par Ray et Mister C. après leur évasion, la route menant au Convenience store…). D’ailleurs, aux routes nocturnes empruntées par Mister C. répondent les routes lumineuses du strip de Las Vegas empruntées par Dougie/Cooper. « Toutes les routes mènent à Rome », dit l’expression. Et toutes ces routes vont finalement mener à Twin Peaks, on l’imagine. Cette fois, Mister C. est accompagné de Richard Horne. Mister C. ne se rend toujours pas à Twin Peaks, comme on pourrait le craindre, mais à un autre « site », mené par les coordonnées. Mister C. explique à Richard que deux personnes lui ont donné des coordonnées, et une troisième personne lui a donné des coordonnées différentes. Pour tester les deux premières, Mister C. envoie Richard comme cobaye. Le lieu est un rocher, situé en hauteur. « Two Birds with One Stone » avait dit le Géant dans l’épisode 1. Est-ce le rocher dont il parlait ? La précédente scène entre Richard et Mister C. nous avait confirmé que Audrey Horne était bien la mère du jeune délinquant. Dans cette scène, Mister C. envoie Richard sur le rocher où il meurt électrocuté, disparaissant dans une grande lumière blanche. Moment traumatisant, où nous sommes littéralement foudroyés comme le personnage. Un personnage à la fois horrible et pathétique, pour lequel nous avions tout de même une forme de compassion. Mister C. n’a que ces simples mots, froids, mais les yeux pourtant légèrement embués de larmes, pour Richard : « adieu, mon fils ». Ces mots sinistres semblent confirmer la théorie, affreuse, selon laquelle Audrey aurait été abusée pendant son coma par le double maléfique de Cooper… et que Richard serait donc le fils d’Audrey et du double de Cooper. L’événement était suggéré par Doc Hayward, racontant par Skype à Frank Truman qu’il avait aperçu Cooper errer près du service réanimation où se trouvait Audrey après l’explosion de la banque. Alors que Mister C. s’éloigne du rocher maléfique, plus loin, un autre membre de la famille observe la scène : Jerry Horne. Quand il voit, les jumelles à l’envers, Mister C. et Richard, il prononce un « dear God » ému. Après cette scène angoissante, une autre menace surgit. A Las Vegas, le van de Chantal et Hutch se gare devant la maison de la famille Jones. Face à eux, quelles sont les chances de Dougie-Cooper ? Pourtant, les événements vont tourner différemment, au profit du Bien, le tout dans un grand éclat de rire. Car l’épisode 16 est une succession de chocs, parfois grotesques, menant à une dernière note et à un dernier mot qui résume tout : « Whaaat ? » Les événements commencent à tourner à la comédie quand le FBI débarque à la porte des Jones. Le plus jeune enquêteur se fait toujours insulter par son patron, sous le regard étonné des tueurs à gage quelques mètres plus loin. A l’hôpital, Cooper est dans le coma. L’instant est grave, peut-être tragique… pourtant, le rire surgit. Quand Janey-E s’inquiète « on dit que des gens restent coincés comme ça des années », c’est presque une bonne blague lancée au spectateur par Lynch et Frost : vous croyez qu’on va oser vous faire ça, maintenant ?... Et, alors que nous sommes suspendu au devenir de Cooper, les frères Mitchum entrent dans la pièce, entourés de leurs « girls », rejoignant les Jones et Bushnell Mullins. Le duo des deux gangsters, géniale réinvention de Laurel et Hardy, est toujours aussi génial. Ils trimballent un énorme bouquet de fleurs avec une carte « Get well Dougie », et apportent un vrai buffet de bonne nourriture pour la famille Jones. Mais, surtout, les gangsters tout comme Mullins sont persuadés que « Dougie va bien ». On retrouve ce calme absurde, cette absence de réaction, que tous les personnages ont eu face au Cooper-zombie pendant 14 épisodes ! La folle parade de cirque que constituent les frères Mitchum et leurs Girls se rend ensuite chez les Jones, avec un camion de nourritures, de cartons… Le tout, toujours sous le regard de Chantal et Hutch, mais aussi d’une voiture du FBI face à eux. Tueurs à gage, mafieux et FBI dans la même rue… comment tout cela va-t-il finir ? Lynch et Frost choisissent une issue encore plus surréaliste : l’arrivée d’un quatrième élément, un voisin qui veut se garer. Or, le voisin est armé jusqu’aux dents, et une fusillade s’ensuit entre le voisin et Chantal et Hutch. Les deux gangsters meurent pitoyablement, mitraillés par le voisin, sans aucune réaction des agents du FBI, ni des deux frères Mitchum qui restent cachés. La scène se conclue par un échange savoureux entre les deux gangsters : « Quel voisinage ! » dit l’un, avant que son frère ne lui rétorque « … les gens subissent beaucoup de stress de nos jours ». A l’hôpital, Mullins est seul au chevet de Dougie quand il entend un bourdonnement. Le même bourdonnement entendu par Ben Horne et Beverly au Great Northern Hotel (l’âme de Cooper était-elle donc coincée au Great Northern tout ce temps ?). Mullins sort dans les couloirs à la recherche du bourdonnement, tandis que Cooper sort enfin de son coma. Moment tant attendu, auquel on croit à peine, tant nous avons appris à nous méfier de tout dans cette série… Pourtant, Dale Cooper est bel et bien là. Il a une vision du Manchot qui lui dit « Vous êtes réveillé ». Cooper a une réponse comme seul lui sait les formuler : « à 100% ». Avant que le Manchot ne disparaisse, Cooper lui donne une mèche de cheveux pour « en créer un autre » (un autre double de lui-même ?). Cela semble lié à « la graine », la petite bille dorée aperçue précédemment. Le Manchot, lui, donne à Cooper la bague de jade vert. Cooper semble alors en possession d’une arme pour lutter contre son double… En repensant à cette bague, apparue dans Fire walk with me, on ne peut qu’être fasciné comment elle en est venue à unir toute une mythologie si complexe. L’objet trouve ici son point de chute, son but, entre les mains de Cooper en route pour le dernier chapitre de l’histoire. Mullins, Janey-E et Sonny Jim réapparaissent et retrouvent un « Dougie » réveillé, et surtout éveillé. L’infirmière s’étonne de sa bonne condition physique. En quelques secondes, Cooper est dans sa tenue d’agent du FBI. Kyle MacLachlan redevient aussitôt le personnage que l’on a connu, souriant, sûr de lui, éternellement jeune et énergique. Et, quand Mullins alerte par téléphone que Dougie est de retour et souhaite prendre un avion pour l’état de Washington, les frères Mitchum s’empressent de préparer leur jet privé. Alors retentit le thème principal, Falling. Sur cette musique tant aimée des fans, Cooper termine de s’habiller et laisse ses dernières instructions à Mullins, à qui il fait ses adieux. Mullins lui demande « Et le FBI ? ». Cooper répond, le regard planté dans la caméra, une phrase vouée à devenir culte : « Je suis le FBI ! ». Ce moment de magie s’interrompt soudainement, tout comme le thème principal, quand Diane reçoit le dernier sms de Mister C. Alors, un autre thème, associé au double maléfique de Cooper dans l’épisode 1 (« American woman »), surgit. Diane, un pistolet dans son sac à main, se dirige vers la chambre d’hôtel où sont Gordon, Albert et Tamara. Après avoir fait des bonds de joie dans la scène précédente, notre cœur continue de battre mais de peur. La scène qui s’ensuit est un chef d’œuvre de suspense. Nous savons que Diane est armée, et Gordon semble s’en méfier aussi. Son regard est rivé sur le sac à main. La scène dure presque dix minutes, pendant lesquelles Diane se met à leur raconter sa dernière nuit avec Cooper. Elle raconte comment il est apparu dans sa chambre, comment elle a compris trop tard que quelque chose clochait, et comment il l’a violée. Diane raconte également que Cooper l’a emmené dans une vieille station essence (le Convenience store, probablement). Puis, Diane semble perdre les pédales. Le jeu de Laura Dern trouve ici un moment d’apogée. L’actrice est comme toujours capable d’aller très loin dans des émotions extrêmes, le visage déformé par la peur. Diane leur avoue avoir envoyé les coordonnées à Cooper, puis dit être « au commissariat du Shérif »… enfin, elle craque et dit qu’elle n’est « pas elle » (« I am not me ! I am not me ! »). De plus en plus nerveuse, Diane finit par sortir son pistolet, mais Albert et Tammy étaient prêts, arme à la main – élément que nous ne savions pas, pour plus vivre le suspense de la scène à la manière hitchcockienne. Diane est abattue, et, une seconde après, elle se volatilise. Sous le choc, Tammy déclare que tout cela est réel, que les Tulpas (être créés de toute pièce par magie) sont réels. Gordon, lui, s’interroge sur les paroles de Diane : « je suis au commissariat du Shérif ». Un double de Diane est-il à Twin Peaks ? Diane se retrouve alors dans la Loge, où le Manchot lui prononce ces mots : « You’ve been manufactured » (vous avez été créée), comme il l’avait dit à Dougie Jones. Mais, contrairement à Dougie, Diane le sait. Elle balance donc un « Fuck You » au Manchot, avant de délivrer sa graine, petite bille dorée, et de disparaître en fumée. Encore une fois, Lynch assume les effets spéciaux artisanaux pour en tirer un côté hallucinatoire et presque amusant, autant qu’inquiétant (les épaules de Diane se mettent à frétiller tandis que la bille dorée sort du vide laissé par sa tête en moins). Retour à Las Vegas, où Dougie s’apprête à suivre les frères Mitchum en jet privé. Il fait d’abord ses adieux à Sonny-Jim et Janey-E. Le thème déchirant d’Angelo Badalamenti, qui était apparu la 1ère fois lorsque Dougie-Cooper pleurait devant Sonny Jim, réapparaît. Cooper-Dougie, encore « zombie », pleurait-il déjà devant le sort réservé à ce petit garçon ? Ayant retrouvé ses capacités, Cooper rassure le garçon quand celui-ci s’exclame « si, tu es mon père, tu es mon père ! ». Le « Good Dale » est ainsi le reflet inversé de Mister C., qui envoie son fils Richard mourir sur le rocher. La scène se conclut sur Janey-E et Sonny Jim contemplant Cooper partir. « Qui que vous soyez, merci », lui dit Janey-E avant son départ, les larmes aux yeux. Mais, à nouveau, l’émotion fait des loopings, cette fois redescendant vers un peu d’humour, quand Cooper se retrouve dans la limousine des frères Mitchum. Sur un fond vert criant (tout comme la scène de l’épisode 4 où Gordon contemplait la photo du Mont Rushmore), les frères Mitchum lui demandent de raconter son histoire. La caméra montre alors le strip de Vegas défilant, ellipse sous forme de blague, puisque nous retrouvons ensuite les deux gangsters hallucinés par l’histoire qu’ils ont écoutée et cherchant à la résumer. Finalement, les frères Mitchum s’inquiètent d’accompagner Cooper au commissariat de Twin Peaks, craignant d’être mal reçu en leur qualité de gangster. Cooper leur affirme alors qu’il peut témoigner que les frères Mitchum « ont des cœurs en or ». Candie, muette jusqu’alors, s’exclame les larmes aux yeux : « Oh oui ils en ont ! ». Au terme de cet épisode fait de rebondissements inattendus, de chocs improbables (la mort de Richard foudroyé, la mort de Chantal et Hutch mitraillés, le réveil de Cooper, la volatilisation du double de Diane), nous retournons enfin à Twin Peaks, pour la seule scène qui s’y déroule. Nous sommes au Roadhouse. Le morceau folk qui débute laisse croire que le générique de fin va dérouler. Mais, nouvelle surprise, Audrey et Charlie entrent dans la pièce. Ils ne trouvent pas Charlie, et le morceau se termine. Soudain, le présentateur du Roadhouse annonce « Audrey’s Dance »… Tout le monde se recule pour observer Audrey. Malgré elle, Audrey se lance dans sa chorégraphie, comme vingt-cinq ans auparavant. L’instant est magique, sublime. Lynch et Frost nous manipulent comme jamais : nous attendions presque plus le retour de Cooper, nous l’avons eu, mais en prime nous avons le retour d’Audrey, la « vraie » Audrey… Pourtant tout est faux. La manière dont tout le monde la regarde est trop artificielle. Alors, surgit un homme qui fracasse le crâne d’un autre. Audrey prend peur, se dirige vers Charlie, quand soudain le décor change. Audrey est face à son reflet, dans une grande pièce blanche. Ne sachant plus ce qui se passe, elle ne peut que s’écrier : « What ?! ». L’épisode se conclut sur ce cliffhanger, le plus percutant de Twin Peaks : The Return. 17. THE PAST DICTATES THE FUTURE
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Gordon révèle à Albert et Tamara des informations sur « Judy », une force maléfique. Au commissariat, Lucy, Andy, et le Shérif Frank Truman accueillent Cooper, en réalité son double Mister C. Le vrai Dale Cooper, lui, s’apprête à arriver également, tout comme l’équipe de Gordon… Naido s’affole, tandis que Freddie rencontre sa destinée en affrontant Bob. Dale retrouve Diane en Naido, et quitte les lieux pour partir dans le passé retrouver Laura et tenter de la sauver. Critique : C’est le 3 septembre 2017 que Showtime diffusa le final de Twin Peaks : The Return, sous la forme d’un double épisode, 17 et 18. Un moment intense qui restera gravé dans les mémoires des fans qui l’ont vécu cette nuit-là, en sortant aussi chamboulés que lors du final de la saison 2, vingt-cinq ans plus tôt. L’épisode 17 retrouve Gordon et ses deux collègues, dans leur chambre d’hôtel devenue un bureau. Gordon/Lynch révèle alors un secret, caché à son ami et collègue Albert pendant vingt-cinq ans… Lynch, dans son rôle de Gordon, et dans son rôle de cinéaste, s’amuse à faire durer le silence qui précède sa révélation, de longues secondes. Comme un dernier moment d’attente avant le grand saut final. Gordon révèle alors le véritable objet de la quête de Cooper, Briggs et lui : traquer « Judy », une force maléfique. Cooper, avant sa disparition, a dit à Gordon de partir à sa recherche s’il disparaissait de la même manière que Briggs ou Jeffries. Ainsi, Lynch (et Mark Frost) créent un pont entre le Cooper des saison 1 et 2 et ce final, par ces derniers mots échangés en secret entre Cooper et Gordon avant sa disparition dans la Loge (à la fin de la saison 2). Nous le verrons, ce final ne cessera de proposer une relecture renversante de la réalité telle que nous la connaissions à Twin Peaks… A Twin Peaks, justement, Mister C., le double maléfique de Cooper, pénètre dans les bois et atteint le site qui semble être un portail vers la « White Lodge ». Il se retrouve en effet dans les décors du Géant (le « Fireman »). Mais celui-ci semble avoir tout prévu, puisqu’il piège Mister C. dans une cage au cours d’une nouvelle séquence-tableau, très surréaliste. Le Géant contemple la maison des Palmer, avant de changer d’image et d’envoyer Mister C. au commissariat. Ce n’est donc pas « notre » Cooper bien aimé qui a le droit aux retrouvailles avec Andy et Lucy, mais bien l’effroyable Mister C. La tension atteint alors un point paroxysmique dans cette saison, quand Mister C. discute froidement, un rictus cruel sur le visage, avec Andy et Lucy, tandis que Naido s’agite, effrayée dans sa cellule. Tel Hitchcock, Lynch ajoute une couche de suspense supplémentaire en montrant Chad qui s’évade de sa cellule, en parallèle. Paraissant d’abord naïfs face à Mister C., croyant avoir affaire à Cooper, Andy, Lucy, et Frank Truman comprennent rapidement qu’ils font face au double de l’agent du FBI. Truman, par son raisonnement ; Andy, par la vision qu’il a eut avec le Fireman ; Lucy, quand elle reçoit un appel du double, le « vrai » Cooper, arrivant en voiture à Twin Peaks. Aussitôt rejaillit une scène burlesque du début de la saison, où Lucy s’évanouissait face aux mystères des téléphones portables. La touche d’humour devient terriblement angoissante dans ce contexte, et l’on blêmit de voir arriver le « Good Dale » trop tard… Mais, grâce aux visions prémonitoires délivrées par le Fireman, la situation se règle déjà dans la prison : Andy et Freddie viennent à bout de Chad. Lucy, quant à elle, passe le bon Cooper au téléphone au Shérif, qui fait face à son double présent « en chair et en os »… Et c’est finalement Lucy, par la découverte du fonctionnement des téléphones portables, qui prend l’initiative de tirer sur Mister C., le tue, et sauve Frank Truman. La suite des événements prend la tournure d’un rêve délirant, angoissant et réjouissant à la fois. Le bon Cooper fait face au cadavre de son double maléfique, tandis que se réunissent autour de lui nombre de personnages aimés : Andy, Lucy, James, les frères Mitchum, Candie… Ils assistent, spectateurs hallucinés tout comme nous, à la scène. Les spectres bûcherons apparaissent et sortent Bob du corps de Mister C. sous la forme d’une roche en boule volante ! Là, Freddie rencontre « sa destinée », comme annoncé par le Fireman : il lutte contre Bob comme dans un match de boxe. La scène est cocasse, délirante, et pourtant effroyable grâce aux effets sonores et visuels. Frank Silva est réincarné une dernière fois dans cet avatar complètement fou de Bob. Comme si toutes les pièces mystérieuses du puzzle, aperçues auparavant, aboutissaient à cette conclusion extatique. Cooper, vif, précis, remet la bague de jade verte sur le doigt de Mister C. qui disparaît pour de bon. Puis, il récupère la clef de l’hôtel du Grand Nord auprès de Frank Truman totalement ébahi. A l’arrivée de Bobby Briggs succède celle de Gordon et Albert, donnant droit à un « Coop ! » chaleureux, et à celle de Candie, ébahie de la situation : « quelle chance que l’on ait fait tant de sandwichs ! ». Tout pourrait laisser croire à l’un de ces moments de bonheur, de douceur et d’humour, typiques des saisons 1 et 2 et dont nous sommes nostalgiques. Pourtant, quelque chose cloche (« something is wrong », disait le Manchot). Cooper voit Naido, la femme aux yeux cousus, dans le bureau du Shérif. Or, cette femme est issue d’un monde parallèle, un monde… de rêve ? Le visage de Cooper se fige alors en surimpression sur toute la scène. Tous ces échanges drôles, touchants, sont vus avec distance par un autre Cooper, translucide, flottant sur l’image. Par cette simple idée visuelle, une superposition qui dédouble Cooper, Lynch créé une angoisse qui nous ronge : et si tout cela n’était qu’un rêve ? Pourtant, Cooper, celui présent dans le bureau, optimiste et déterminé, annonce qu’il va « changer les choses », car le « passé dicte le futur ». Alors que Cooper semble s’apprêter à partir, Naido s’agite, et lui tend la main. Comme à travers une paroi, ils se contemplent. Alors, le visage de Naido se transforme, et la Loge réapparaît. Apparaît Diane, toujours jouée par Laura Dern, mais cette fois dotée d’une perruque rouge. Dans le bureau du Shérif, Naido s’est transformée en Diane, et Dale et lui s’embrassent. Au mur, l’horloge semble bloquée, la grande aiguille faisant du surplace, sur 2H52 (on se rappelle de 2H53, le rendez-vous donné par le Major Briggs ce 2 octobre, dans la forêt…). C’est alors que le Cooper en surimpression prononce la phrase de Phillip Jeffries : « Nous vivons à l’intérieur d’un rêve ». La dernière syllabe se transforme en note inquiétante et planante. L’autre Cooper, présent dans le bureau, fait une promesse qui semble impossible : « j’espère tous vous revoir bientôt ». Mais soudain, la lumière disparaît, comme lors d’une éclipse, et Gordon et Cooper ont juste le temps de s’appeler une dernière fois : « Gordon ? » « Coop ! ». Ne reste plus que le visage en gros plan de Cooper, celui qui était en surimpression, celui qui a dit « nous vivons dans un rêve »… C’est donc ce Cooper-ci qui aurait raison ? Le combat victorieux de Freddie et Bob serait trop surréaliste et héroïque pour être vrai ? Toutes les inquiétantes impressions de rêve contaminant la réalité, depuis plusieurs épisodes, trouve ici sa conclusion logique. Il est temps de se réveiller. Le visage de Cooper, perdu dans le néant en gros plan, laisse place à l’image, au ralenti, de trois protagonistes qui réapparaissent, ailleurs : Cooper, Gordon et Diane. Mais Cooper, cette fois, à de nouveau son épingle du FBI au revers de sa veste… Une autre réalité ? Le trio avance dans le noir, dans ce qui se révèle être les sous-sols du Great Northern. Le fameux bourdonnement est à nouveau présent. Et, armé de sa clef de chambre, Cooper ouvre une porte… Or, que fait sa chambre dans les sous-sols, désormais ? Cooper fait ses adieux, et, avant de franchir la porte, s’adresse à Diane : « on se voit au lever du rideau ». Cette dernière phrase avant de disparaître derrière la porte poursuit le jeu de rappels méta-filmiques, lancés plusieurs fois dans cette nouvelle saison – principalement à travers Gordon/Lynch, mais aussi l’usage du film Sunset Blvd. dans une scène clef, ou bien encore Monica Bellucci dans son propre rôle venant dire à Lynch qu’il vit dans un rêve… Cooper franchit la porte et retrouve le Manchot récitant son poème « the magician longs to see, fire walk with me… ». Or, dans la version longue du pilote de la saison 1 (si le pilote n’avait jamais donné lieu à la série), c’était dans les sous-sols du Great Northern que Cooper voyait le Manchot pour la première fois réciter ce poème, avant d’être téléporté dans la loge 25 ans plus tard – finalement, ces scènes seront remontées sous forme de rêve dans l’épisode 3 de la saison 1. A coups de flashs éléctriques, Cooper et le Manchot disparaissent pour se retrouver dans les couloirs sombres du Convenience Store. Ils avancent côte à côte, et grimpent l’escalier. Là apparaît en flash le « Jumping Man », l’homme au masque à nez pointu apparu dans Fire walk with me, toujours un mystère pour nombre de fans de la série. Cooper et le Manchot poursuivent leur chemin, vers l’hôtel de cauchemar où se cache Phillip Jeffries sous forme de machine (sorte de théière géante). Jeffries délivre quelques derniers indices à Cooper : « le temps est glissant ici ». Il délivre un symbole, celui de la bague, qui se transforme : d’une forme de hibou, il prend celle d’un 8, doté d’un point noir. Comme un signe de l’infini… Cooper peut désormais « y entrer… ». Où ? Dans l’espace-temps du « 23 février 1989 », la dernière nuit de Laura… Alors, le Manchot prononce « electricity » ! Soudain, le ventilateur, image obsédante de la maison des Palmer, apparaît… Le film devient en noir et blanc. Le spectateur est parcouru de frisson, quand il retrouve des images de Fire walk with me, remontées en noir et blanc. Leland regarde à sa fenêtre Laura partir sur la moto de James… Ils échangent dans les bois. Là, le Cooper d’aujourd’hui apparaît, à plusieurs mètres de distance, et observe la scène. Magie du montage et des effets spéciaux, qui vient redonner 25 ans plus tard un nouveau sens à une scène marquante. Laura, comme folle, regardait dans les bois et hurlait… Désormais, il semble qu’elle hurle en voyant la silhouette de Cooper. De même, quand Laura prononce la phrase « ta Laura a disparue, c’est juste moi maintenant », l’on pressent que le choix de cette séquence recèle des indices très importants. Laura quitte alors James, s’engouffre dans les bois. James part. Jacques Renault, Leo Johnson, Ronnette, réapparaissent. Ils attendent Laura… mais elle ne vient pas. Et là, la magie commence. Commence une des séquences les plus sublimes de l’histoire du cinéma. Le thème de Laura, présent dans cette scène de Fire walk with me, était absent jusqu’à présent. Il ne réapparaît que plus tard, lorsque Laura, s’arrêtant dans les bois, voit Cooper. Le Cooper d’aujourd’hui. Par un miracle cinématographique, David Lynch change le cours de l’histoire. Le thème de Laura rejaillit, comme nos larmes, tandis que la jeune Laura reconnaît l’homme vue dans ses rêves. Laura prend la main de Dale. Le 24 février, date de la découverte du cadavre : nous revoyons les images d’introduction de la série, ce pilote ci culte. Le cadavre de Laura disparaît… Dans la forêt, la couleur revient. « Where are we going ? » demande l’adolescente. « We’re going home » répond Dale. Et Laura suit Dale, tandis que le thème d’Angelo Badalamenti monte dans les aigus, et que la caméra remonte vers la cime des arbres. Une séquence magistrale, om il est impossible de retenir ses larmes. Nous retrouvons encore une fois l’introduction du pilote : Pete (Jack Nance, grand ami de Lynch mort trop tôt) est lui aussi réincarné, tout comme Josie et Catherine. Pete, qui « va pêcher », ne s’arrête pas : car il n’y a pas de cadavre sur la plage. Une dernière image nous montre Pete profitant de sa partie de pêche… Lynch et Frost ont produit un miracle, l’une des plus belles scènes de tous les temps, amenée après deux saisons et un film mythique, et une troisième saison vingt-cinq ans après. Or, l’épisode n’est pas terminé, et il reste l’épisode 18, véritable final. Sur quoi cette scène de réincarnation va-t-elle déboucher ? Proche de Vertigo d’Hitchcock, où Madeleine réapparaissait dans une lumière verte, cette scène s’inspire elle aussi du mythe éternel d’Orphée et Eurydice. Et, comme Vertigo, Lynch et Frost choisissent d’être fidèles au mythe. A Twin Peaks, des hurlements déments rugissent, et Sarah brise la photo de sa fille. Est-elle Judy, l’esprit du mal ? A-t-elle toujours souhaité la mort de son enfant ? De retour dans la forêt, Cooper tient toujours la Laura de 17 ans par la main – par un effet spécial saisissant, incompréhensible. Mais, soudain, la caméra isole Cooper, et le son du gramophone (entendu dans la première scène de The Return avec le Géant) retentit. Laura a disparue, et son cri retentit dans la nuit, dans la forêt. Le même hurlement poussé dans l’épisode 2 de cette saison, dans la loge. Des rideaux rouges apparaissent, ceux du Roadhouse : Julee Cruise, la chanteuse mythique des saisons originales, chante The World Spins. Chanson bouleversante qui dit « non, ne t’en va pas, revient par ici et reste pour toujours ». Cet avant-dernier épisode nous laisse sur cette musique emblématique, totalement pantois. Nous sommes passés par toutes les émotions, et avons vu une série de scènes qui nous semblaient totalement impossibles : Mister C. et Cooper réunis dans la même pièce, Bob vaincu, Cooper à Twin Peaks entouré de sa « famille » de cœur, et Laura réincarnée par un Cooper venu du futur pour la sauver… Un miracle cinématographique, même si, au sein du récit de Twin Peaks, ce miracle risque de n’être qu’une illusion.
Scénario : Mark Frost et David Lynch Réalisation : David Lynch Résumé : Mister C. brûle dans la Loge. Un nouveau Dougie-Dale rentre au foyer et retrouve sa tendre famille. Dale et Diane, eux, se retrouvent à Glastonbury Grove. Dans un désert, à 430 miles de Twin Peaks, ils franchissent une frontière invisible qui les transporte du jour à la nuit. Dans un motel, ils font l’amour froidement, et Cooper se révèle avec un mot d’adieux d’une certaine Linda qui l’appelle Richard. Cooper découvre qu’il est à Odessa, Texas, où il rencontrera finalement un avatar de Laura Palmer du nom de Carrie Page. Elle se décide à le suivre, pour retourner à Twin Peaks, une ville qu’elle semble ne pas connaître… Critique : Retour dans la Loge pour la dernière heure du final. Mister C. brûle sous nos yeux. Le manchot, quant à lui, répète « electricity », en mélangeant une mèche de cheveux de Cooper avec la « graine », bille d’or aperçue plusieurs fois cette saison. De cet acte magique apparaît un nouveau Cooper, qui ne reconnaît pas les lieux, et doté d’un grand sourire. Cut : à Las Vegas, un Cooper (est-ce bien le même, celui créé par le manchot ? Le montage semble nous le faire croire, mais le montage de cette saison subit les mystères du temps bien souvent. Ce « Cooper-ci » réapparaît chez les Jones. Serré par son épouse Janey-E et son fils Sonny-Jim, il ne dit qu’un mot, ému : « Home ! », tandis que résonnent la musique émouvante d’Angelo Badalamenti. La scène est ultra-rapide, et pourtant bouleversante. Peut-être le vrai happy-end de ce final. Et si nous assistions à toutes les vies possibles pour Cooper ? Et si ce final n’était qu’une suite de fins, arrivées dans des réalités différentes ? Ce choix-ci serait le plus beau, de revenir à une famille qui l’aime et qu’il aime, adoptant la simplicité et l’humanité de Dougie pour toujours. Une morale qui irait avec la passion que voue Lynch à la méditation : Dougie vit au présent, là où Cooper ira se perdre dans les affres du passé et du futur. C’est cet impossible retour au temps présent qui est peut-être le sujet premier du Retour à Twin Peaks. Mais, aussitôt, nous retournons dans les bois, où Cooper perd Laura à nouveau. Alors, Cooper se retrouve, sans transition, dans la Loge. Y était-il depuis tout ce temps ? Est-ce son nouveau double, par un tour de passe-passe du montage ? Les possibilités d’interprétations donnent le vertige… D’autant plus que nous revivons les scènes de l’épisode 2. Le Manchot redit à Cooper « Is it Future or Is it Past ? ». Seulement, les évènements se déroulent légèrement différemment. Laura ne réapparaît pas tout de suite. D’abord, Cooper va voir « The Evolution of The Arm », qui lui demande « est-ce l’histoire de la fille qui vit au bout du chemin ? », phrase prononcée par Audrey à Charlie plus tôt dans la saison. Oui, est-ce l’histoire d’Audrey, finalement, coincée dans sa folie ? Quel rôle joue Audrey dans cette réécriture de l’histoire ? Une phrase qui renvoie aussi à un film des années 70, The Little girl who lives down the lane, autre signe de film dans le film, de réalité dans une autre réalité. Puis, Laura réapparaît à Cooper, dans les exacts mêmes plans que dans l’épisode 2, et lui prononce à nouveau un secret à l’oreille. Est-ce encore le même secret ? Est-ce celui prononcé dans la saison 1 (« c’est mon père qui m’a tué ? »), ou bien un nouveau, Laura ayant désormais rejoint Cooper en âge ? La conclusion reste la même : elle disparaît dans un hurlement terrible. Cooper se retrouve alors téléporté face à Leland. Mais leurs postures sont inversées par rapport à l’épisode 2, comme vues dans un miroir. Leland lui redemande de « trouver Laura ». Cette fois, Cooper sort de la Loge, sans difficulté, en ouvrant les rideaux par un geste magique de la main. Comment a-t-il obtenu ce savoir ? Est-ce toujours le même Cooper ? Il retrouve alors Diane, comme convenu, « au lever du rideau », à Glastonbury Grove. C’est la première fois que Cooper sort par là où il est entré, à la fin de la saison 2, dans le monde de la Loge. Or, c’est bien à partir de cette scène du « rendez-vous au lever de rideau » avec Diane qu’un tel lever de rideau a lieu. Toutes nos convictions s’envolent, comme la fin d’un rêve, d’une illusion, pour la suite de l’épisode. Cette scène renvoie aussi à la scène de l’épisode 2 où Hawk allait à Glastonbury Grove, apparemment sans rien y trouver. Le final vient apporter la conclusion sous forme d’un miroir renvoyé aux premiers épisodes : le cri de Laura, entendu dans l’épisode 2 et l’avant-dernier épisode ; les images de la Loge répétées ; les indices du Géant et du Manchot s’incarnant finalement réellement dans cette conclusion… La structure de miroir fonctionne également entre les deux épisodes finaux, où des éléments sont répétés comme des leitmotivs, et où l’on ne sait où se cache réellement le point final. A Glastonbury Grove, Diane et Dale se demandent : « est-ce vraiment toi ? ». Impossible de le savoir, malgré la douceur apparente de leurs réponses positives, dites en se frôlant. Cooper et Diane sont alors en plein désert, au volant d’une vieille voiture, des années 50 : encore et toujours, on doit se demander « is it future or is it past ? ». Ils s’arrêtent dans une zone perdue, entourée de fils électriques. Le compteur indique « 430 » miles, correspondant à l’un des premiers indices du Géant… Diane redemande à Cooper s’il est sûr de lui, car « tout pourrait être différent derrière ». Cooper est sûr de lui, il roule : la voiture franchit une frontière invisible, et Diane et Cooper se retrouve alors en pleine nuit d’un seul coup. Changement de temporalité ? Changement de réalité ? Arrêtés dans un motel, Diane se voit elle-même, un peu plus loin en dehors de la voiture… Et le spectateur, totalement surpris par l’enchaînement de scènes, perdu dans un brouillard immense, ressent un sentiment d’inquiétante étrangeté si cher à Lynch. Rêve et réalité ne font plus qu’un. Impossible de déterminer dans quelle strate nous sommes : rêve, réalité, fantasme, autre dimension, passé, futur ? Dans l’hôtel, Cooper aussi se métamorphose, il semble être plus sombre. Tout est mouvant, tout glisse d’une réalité à une autre, nous jetant dans une confusion inquiétante. A mi-chemin entre le gentil Cooper et le diabolique Mister C., il exige de Diane qu’ils fassent l’amour. La scène reprend la musique des Platters, des années 50, « My Prayer », entendue dans l’épisode 8 dans la station radio où le spectre de bûcheron tuait le disc-jockey. Sur cette musique désormais synonyme d’horreur, Cooper et Diane font l’amour sans affect. Diane pose ses mains sur le visage de Cooper, dont le regard semble noir comme celui de son double Mister C. Qu’est-il en train de se passer sous nos yeux ? Encore une fois, nous sommes renvoyés au tout premier épisode : la scène de sexe des jeunes amants devant la boîte en verre avait libérée « The Experiment ». Diane et Cooper font-ils l’amour pour traquer cette « chose », qui serait « Judy » ? Ou bien rejouent-ils la scène de viol vécue par Diane ? Dans le cinéma de Lynch, les scènes de sexe sont souvent des traumatismes initiaux et points de départ du cauchemar. A la source de la double vie mentale de Fred, les problèmes sexuels avec Renée dans Lost Highway ; la scène de sexe où Rita repousse Betty dans Mulholland drive ; la tromperie du mari, mais lequel, dans les réalités confuses vécues par Nikki dans Inland Empire ; et bien sûr, les nuits où son père venait attoucher Laura dans Fire walk with me. Le lendemain, Cooper se réveille avec un mot d’adieux sur sa commode. Mais le mot s’adresse à lui par le prénom « Richard », et est signé par « Linda ». « Richard et Linda », autre indice du Géant dans le premier épisode. Pourtant, Cooper reste Cooper, puisqu’il est surpris par ce prénom. Mais lorsqu’il sort, le motel est différent, tout comme la voiture – c’est une Lincoln noire, celle de Mister C. lors de son accident dans l’épisode 3. Cooper est dans une ville du Texas, une ville bien réelle, du nom de Odessa. Autre renvoi à la réalité du spectateur, tant ce Retour à Twin Peaks était une « odyssée », reprenant nombre d’étapes du chemin d’Ulysse sous forme onirique. Etonnant aussi, lorsque l’on sait qu’Odessa est connue pour son immense statue de lièvre, en anglais « Jack Rabbit », comme le « Jack Rabbit Palace » mentionné par Garland Briggs à Twin Peaks… Sommes-nous définitivement dans la réalité, enterrant Twin Peaks dans les rêves ? De plus, Cooper n’est plus le même : il est plus sombre, sans charme. Une autre variation jouée à la perfection par Kyle MacLachlan. Est-il en fait le « vrai » Cooper, celui qui possède en lui une part sombre et une part lumineuse ? Les deux Cooper réunis ? Il est vrai que nous l’avons vu réellement sortir de la Loge, à Glastonbury Grove, seulement dans cet épisode. Cooper trouve alors un bar nommé « At Judy’s », et y entre. Cela pourrait être un signe réinterprété dans le monde du rêve. Là, il prend le contact d’une serveuse absente, non sans régler leur compte à trois cowboys machos. Le thème de la violence faite aux femmes, des femmes traitées comme des objets, fut donc un thème probablement volontaire de cette saison, menant à l’une de ces dernières scènes. Pourtant, Cooper est presque trop violent, trop froid, mettant la vie de nombreux clients en danger sans trop s’en inquiéter. Plus tôt dans la scène, il a bu son café sans aucune réaction. En comparaison, on ne peut s’empêcher de repenser au « Good » Dale Cooper vu dans les épisodes 16 et 17 depuis son réveil du coma : totalement identique à celui des années 90, il satisfaisait notre désir de spectateur, mais semblait en même temps artificiel. Peut-être lors de la surimpression de son visage au commissariat, le « Bon Dale » prenait-il conscience qu’il devait retourner dans la Loge pour retrouver sa vraie nature, faite de bien et de mal ? Une théorie possible, parmi des centaines d’autres, serait d’imaginer que le vrai Dale Cooper était celui des tous premiers épisodes de la saison 1, le pilote et l’épisode 1, plus froid, légèrement cynique, balançant aux locaux qu’il n’aurait aucune surprise de constater que Laura se droguait… Le « Good Dale », purement fait de bonté, serait apparu au terme de l’épisode 3 après son premier passage dans la Loge, lors de son premier rêve avec Laura… Nous retrouverions donc à Odessa, pour la première fois, le vrai Dale Cooper, celui qui a perdu vingt-cinq ans de sa vie. Et c’est ce Cooper-ci qui retrouvera Laura, dans une maisonnette, elle aussi ayant pris de l’âge, à la fois Laura et une autre, du nom de Carrie Page. On comprend pourquoi, peut-être, Laura était réapparue dans la Loge avec une coupe de cheveux différente – celle d’une Laura qui a continué à vivre, dans une autre réalité, et a vieilli. Cooper en était surpris, répétant que « Laura était morte ». Laura, elle, ou son double (Carrie Page ?), disait qu’elle était morte mais que pourtant elle vivait (« I am dead, yet I live »), et avoir « la sensation » de connaître Laura mais que « parfois ses bras se croisent dans son dos » (« I feel like I know her, but sometimes my arms bend back ») phrase culte de la saison 1 prenant tout son sens désormais. Moment abyssal, donc, quand Cooper voit Laura lui ouvrir la porte mais ne pas le reconnaître. Elle-même ne connaît pas ce nom, « Laura Palmer ». Pourtant, elle réagit au nom de Leland et Sarah. En entendant les prénoms de ses parents, Carrie reprend la voix aigue de l’adolescente Laura et son tremblement fragile. Elle décide alors de suivre Cooper, cet inconnu à sa porte qui veut la ramener à Twin Peaks. Dans ce moment sombre et prenant, Lynch et Frost se permettent un peu d’humour : « Washington… D.C ? – No, Washington State ! ». Affolée, Laura/Carrie court alors chercher des vêtements chauds. Tandis que, dans le salon, Cooper découvre un cadavre. Si Laura a été sauvée dans cette version de la réalité, elle reste peut-être entachée par la violence de sa jeunesse dont elle semble pourtant avoir tout oublié. Dans le salon, un cheval blanc miniature agit comme le symbole qui pourrait renouer toutes les théories autour de la série, petite babiole pourtant ridicule. Là encore, on hésite entre rire et fascination. S’ensuit alors de longues scènes de route, à travers la nuit. L’odyssée n’est jamais terminée… Carrie/Laura et Cooper/Richard parcourent ces routes comme dans un rêve : au dehors, rien n’est visible, et leur voiture pourrait aussi bien flotter dans le néant. Une voiture qui semble les suivre donne un sentiment de malaise. Quand la voiture les dépasse et disparaît, ils se retrouvent dans le noir complet… La bande sonore, toujours géniale, alterne différentes notes d’un son aigu, comme un souffle mystique, créant une incroyable tension lors de cet instant. Lors de ce parcours en voiture, Laura est au bord de l’endormissement, et parle dans un demi-sommeil, des propos étranges. Est-ce elle, la « rêveuse qui rêve qu’elle rêve ? ». Où est-ce Dale ? Dans l’épisode 17, il fermait les yeux face à la machine-Jeffries pour être transporté dans le passé. Dale et Laura font-ils un rêve en commun, comme par le passé ? La voiture pénètre enfin dans la ville de Twin Peaks. Tout est vide, désolé, lumières éteintes au Double R. Le restaurant ne possède plus sa bannière moderne « Double R To Go » (pour les plats à emporter) : signe que nous sommes dans une autre réalité, un autre Twin Peaks, que celui vu dans la saison 3. Un Twin Peaks du passé, ou du futur ? La question est cruciale, cette fameuse question posée dès l’épisode 2 par le Manchot (« is it future or is it past ? », également prononcée dans les « Missing Pieces » de Fire walk with me). Laura/Carrie ne reconnaît rien, pas même sa propre maison. Cooper frappe, et ce n’est pas Sarah qui ouvre. Cooper, lui, se présente pourtant bien comme l’Agent Cooper et non comme Richard… Mais, la propriétaire de la maison, elle, n’a jamais entendue parler de « Sarah Palmer ». La précédente propriétaire s’appelait Chalfond. Quand à elle, son nom est Alice Tremond. Deux noms qui font froid dans le dos, lorsque l’on connaît bien la mythologie de la série : il s’agit des deux noms donnés à la grand-mère et son petit-fils magicien, dans les premières saisons et dans Fire Walk with me. On se souvient également de cette même grand-mère, transformée en une sexagénaire teinte en roux, dans la saison 2 lors que Dale et Donna venaient enquêter suite à la mort de Harold Smith. Cette autre Mrs Tremond leur donnait une lettre d’Harold, contenant une page manquante du journal de Laura… Dernier détail troublant, vertigineux : l’interprète de cette nouvelle propriétaire de la maison des Palmer est en fait la véritable propriétaire de la maison ! Quand au prénom, « Alice », il renvoie bien sûr à Alice au pays des merveilles. La présence du mari, dont on n’entend que le son de la voix, continu de nous troubler. Cooper et Laura, désorientés, redescendent dans la rue. Le nom de Tremond fera-t-il retrouver sa mémoire à Laura ? Le thème de l’amnésie et du retour du passé sont eux aussi au cœur de cette saison. Dans Fire walk with me, c’est la veille Mrs Tremond qui lui avait donné un tableau, à accrocher sur le mur de sa chambre : « ce tableau fera bien sur le mur de votre chambre ». Cette phrase était dite comme si elle connaissait les lieux… Etait-elle donc la précédente habitante de la maison ? Avons-nous vu la jeune Mrs Tremond à l’instant même, future grand-mère de la série et de Fire walk with me ? Avons-nous vu aussi « Judy », la maléfique créature ? Judy serait alors l’avatar féminin de Bob, possédant Sarah comme Bob a possédé Leland, tous deux veillant à détruire Laura – une créature positive, née de la lumière du Fireman comme vu dans l’épisode 8. Cooper, quant à lui, désemparé, regarde le trottoir, se penche étrangement, et prononce ces derniers mots « en quelle année sommes-nous ? ». Laura, alors, change d’expression. Dans la maison, elle entend, ou croit entendre, sa mère l’appeler. C’est l’appel poussé par Sarah dans le pilote de la saison 1, ralenti, lorsqu’elle allait la réveiller : « Laura ! » Carrie/Laura pousse un cri déchirant – encore un. Dans la maison, la lumière semble exploser, dans un flash, avant d’être plongée dans le noir… fin. Sur le générique, nous revoyons Laura chuchoter à l’oreille de Dale, comme coincés dans l’éternité, sur un dernier morceau d’Angelo Badalamenti intitulé Dark Space Low particulièrement sombre et triste. Une chose est certaine : dans ce cri final, Carrie est redevenue Laura. Transformation de Dale en Richard, puis de Richard en Dale, de Laura en Carrie, puis de Carrie en Laura ; passage du passé au futur, du futur au passé, du rêve au réel et du réel au rêve… ces passages sont invisibles, avec pour seule frontière un lieu dans le désert entouré de câbles électriques. Lynch propose un final en métamorphose permanente. Des métamorphoses physiques, comme celle de Naido en Diane, tout comme celle de Bob en Leland dans le passé. Double et à la fois unique, chaque personnage l’est : « One and the same », l’une des phrases de la Loge à la fin de la saison 2. Lynch, n’oublions pas, est fasciné par La Métamorphose de Kafka, dont il a tiré un scénario jamais tourné. Et le portrait de Kafka, lui, trône cette saison dans le bureau de Gordon Cole incarné par le cinéaste. Ces dernières images de la maison des Palmer similaire et différente, d’un Cooper et d’une Laura plus tout à fait eux-mêmes, sont choquantes, terrifiantes, et terriblement tristes. Elles hantent le spectateur longtemps après sa vision. David Lynch et Mark Frost créent ainsi un final nous laissant sur une question immense, cosmique, où nous sommes perdus comme Cooper et Laura dans les affres du temps. Que se passe-t-il après ces images ? Le spectateur est laissé avec une multitude de questions, et pourtant ce Retour fait sens. Les épisodes 17 et 18 procèdent par une multitude de fins, toutes valables. La première fin serait celle montrant Dale ayant terrassé Mister C., retrouvant Diane et nombre de ses anciens acolytes dans le bureau du Shérif. Dans cette scène, Diane dit « se rappeler de tout », ce qui pourrait indiquer qu’elle est revenue de la faille temporelle qui va suivre. Deuxième fin, celle où Cooper sauve Laura à la fin de l’épisode 17, dans la forêt, et où la série n’a jamais eu lieue – alors, Cooper ne viendrait jamais à Twin Peaks pour enquêter. Troisième fin, celle où Cooper sort de la Loge à Glastonbury Grove et retrouve Diane. Ces retrouvailles se déroulent-elles avant la saison 3, avant tout ce que nous avons vu, mais dans une autre réalité ? Ou bien après ce qui va suivre, après les scènes avec Carrie/Laura ? Diane et Dale vont-ils en fait retourner au bureau du Shérif après cette réunion dans la forêt ? Bien sûr, la vraie fin peut être aussi celle que nous voyons, Dale et Laura dans une réalité qu’ils ne comprennent pas. Est-ce notre monde, celui du spectateur, dans lequel la vraie propriétaire de la maison l’incarne dans la série ? Et dans lequel Laura vit dans une « vraie » ville, Odessa ? La fin est aussi peut-être située dans le noir qui succède au cri, avant le générique. L’appel de Sarah correspond, peut-être, au réveil de Laura, et son cri à la découverte de la vérité : grâce à Cooper, par les rêves, elle a compris qui était « Bob » et se réveille en hurlant. Peut-être, ainsi, réussira-t-elle à fuir son domicile familial, et finira-t-elle en Carrie Page… Mais alors, est-elle piégée dans une boucle sans fin, vouée à revenir ici dans vingt-cinq ans ? Ces mystères se cristallisent tous en une image, celle du générique final, celle de Laura chuchotant des mots à l’oreille de Cooper, des mots que l’on ne peut entendre. Impossible de trancher, au terme de cette saison, ce qui est rêve et ce qui est réalité. Lynch revient à ce qu’il aimait tant dans Twin Peaks, et ce qu’il aurait voulu faire durer éternellement : un mystère profond, où l’on ne pouvait trancher entre la réalité d’un meurtrier de notre et celle d’une créature paranormale, Bob. Les réalités se superposent et se valent toutes, comme le Convenience store qui est tout autant une forêt, en superposition. Tout comme le monde mental de Henry dans Eraserhead était aussi une planète, physique, tangible, vue en superposition, en introduction du premier film de David Lynch. Le cinéaste parvient plus que jamais, au terme de Twin Peaks : The Return, à donner une réalité physique aux rêves, tangible. Nous « vivons dans un rêve », c’est-à-dire dans une couche de réalité que d’autres personnes, dans une autre réalité, n’effleureront que dans leur sommeil. Mais par un apprentissage mystique, et par la magie du cinéma, nos personnages peuvent passer d’un monde-rêve à un autre. A leurs risques et périls. Au risque d’être piégé dans une boucle sans fin. Le temps vécu comme une boucle rappelle le Bouddhisme, et les écrits de sagesse orientale si souvent cités, par clins d’œil et dialogues, depuis le tout début de Twin Peaks, étaient en fait les indices d’une plus grande réalité révélée, vécue, dans ce final majestueux et fascinant. Un final qui nous laisse avec autant de possibilités de l’interpréter que d’interpréter le monde. C’est dans cette impossibilité de trancher que se niche le génie de Twin Peaks, comme lorsque Albert, Dale, Harry Truman et le Major Briggs, dans un épisode de la saison 2, ne pouvaient mettre de mots sur ce qu’était Bob en vérité. Cette indécision fait tout le mystère du cinéma de David Lynch qui, grâce à son compagnon de route Mark Frost, livre ici l’un des chefs d’œuvre du 7ème art et de la série télévisée – car là aussi, on ne peut plus faire le discernement. |