Million Dollar Baby (2004) Résumé : Une jeune femme déterminée travaille avec un entraineur de boxe réputé pour se sortir de la misère et devenir boxeuse professionnelle. Critique : Voulant s’assurer les meilleurs services, la boxeuse novice Maggie Fitzgerald (Hilary Swank), serveuse esseulée et désargentée, souhaite que Frankie Dunn l’entraine. Il refuse tout d’abord, ne désirant pas coacher une fille, mais il cède devant la volonté et la ténacité de Maggie. Eastwood interprète de nouveau un personnage solitaire, ignoré de sa fille unique et ayant peu d’amis, comme dans Les pleins pouvoirs. Il dirige une petite salle de boxe miteuse à Los Angeles, The Hit Pit, avec son vieil ami, Eddie ‘Scrap-Iron’ Dupris (Morgan Freeman), un ancien boxeur. Dunn a déjà découvert de nombreux prodiges dans sa carrière d’entraineur, sans pouvoir les amener vers le titre suprême. En définitive, Maggie devient la boxeuse talentueuse qu’il a toujours rêvé d’avoir à entrainer et également sa fille de substitution qui comble son vide existentiel. La jeune femme s’aguerrit et enchaine les combats en victoires par K.O. et, bien que Dunn refuse de la pousser trop loin, il organise finalement un championnat du monde à Las Vegas contre la redoutable Billie « L'Ourse bleue ». C’est assez inimaginable d’apprendre que le producteur Albert S. Ruddy a mis quatre années pour trouver quelqu’un intéressé par le projet ! Eastwood lut le script et déclara : « C’est déprimant mais, Dieu, que c’est magnifique ». Néanmoins, les studios Warner, malgré leur longue collaboration avec l’acteur-réalisateur, trouvèrent le sujet trop épineux et refusèrent de débloquer trente millions de dollars et Eastwood dut persuader Lakeshore Entertainment d’en mettre la moitié. A sa sortie en salle, l’intérêt n’est pas au rendez-vous, mais dès que les nominations aux statuettes sont dévoilées, Million Dollar Baby commence à susciter l’engouement. Le long-métrage va devenir un des plus grands chefs-d’œuvre eastwoodiens, être nominé sept fois aux Oscars et en rafler quatre, comme Impitoyable douze ans plus tôt : Meilleur film et Meilleur réalisateur (à 74 ans, Eastwood est le metteur en scène le plus âgé à gagner cette récompense), Meilleur actrice pour Hilary Swank et Meilleur second rôle pour Morgan Freeman. Swank remporta le Golden Globe ainsi que Clint pour la réalisation et c’est sa fille, Kathryn, maitresse de cérémonie, qui lui remit le globe. J’ai décidé de procéder comme beaucoup de critiques de l’époque, et certaines actuellement, à savoir ne pas dévoiler le dernier tiers de l’histoire. En effet, le succès du film a reposé sur le fait que pratiquement aucune analyse n’éventait la dernière partie du script. Ceux qui la connaissent remarqueront dans mes écrits quelques sous-entendus – mais pas de photographie -, car la notoriété de Million Dollar Baby s’appuie sur cette découverte, qui donne une autre direction au long-métrage. La cassure est d’autant plus dramatique que personne ne peut se douter de ce qui va se passer au vu de la première heure, car la boxe n’est finalement qu’un prétexte à une rencontre filiale et à traiter des sujets plus graves. Les gens allaient voir ce qu'ils pensaient être un film de boxe féminin, mais ils sortaient de la salle bouleversés, car le thème se révélait bien plus émouvant. A la controverse soulevée par le film, Eastwood répliqua « qu'il n'est pas nécessaire d'être pour l'inceste pour aller voir Hamlet ». Le long-métrage est essentiellement pour l’artiste la vision du rêve américain et lors d’une interview accordée au Los Angeles Times, il prend de la distance avec les actions de ses personnages soulignant : « Je liquide des gens dans les films avec un .44 Magnum. Mais cela ne signifie pas que je pense que c'est ce qu’il faut faire ». Sans divulguer la fin, les thèmes de Million Dollar Baby sont les relations familiales – la fille absente de Dunn et la famille exécrable de Maggie -, la rédemption, la vieillesse – Clint y reviendra lors de ses deux dernières apparitions à l’écran - et la religion. En ce qui concerne l’église, encore plus en évidence que pour Mystic River, le drame précédent de Clint, ou Pale Rider, elle est directement critiquée à travers la remarque du prêtre que Dunn consulte depuis 23 ans : « If you do this thing, you'll be lost ». En arrière-plan dans les films sus-cités d’Eastwood, la religion est ici développée comme un trait de caractère de Frankie, qu’on voit faire sa prière au pied de son lit et aller à la messe suite à un problème avec sa fille qui n’est pas révélé. Dunn cherche également à se racheter d’avoir laissé le combat de Scrap durer, bien qu’il n’en parle jamais. Il pense même avoir réussi lorsqu’il dit à la cafétéria : « Now I can die and go to heaven ». Les relations Maggie/ Frankie sont le fil rouge du film, basé sur la narration de Scrap, ancien boxeur de Dunn qui a perdu un œil ; une mésaventure vieille de vingt-cinq ans qui morfond le manager au plus profond de lui-même, car il se sent responsable de ne pas avoir arrêté le combat. Dunn passe son temps à lire des poèmes de Yeats et à tenter d'apprendre le gaélique. D’entrée, il refuse d’entrainer Maggie (« Girlie, tough ain't enough ») et considère qu’elle est trop âgée à 31 ans, mais la jeune femme, serveuse le jour, est consciente que la boxe est son seul moyen de se sortir de ce quotidien chaotique et elle revient s’entrainer dur le soir au point que Scrap, qui a sa chambre sur place, lui prodigue quelques conseils. Dunn finit par accepter et enseigne la règle numéro un : ‘Protect yourself at all times’. On assiste à un superbe jeu d’acteurs et Eastwood interprète un personnage solitaire, qui montre – fait assez rare – sa sensibilité à l’écran. Comme quatre années plus tard dans Gran Torino, que je préfère, l’acteur joue le rôle d'un vieil homme seul, rongé par la culpabilité, qui n'a pas la foi et qui va nouer un lien puissant avec une personne inattendue ; des rencontres de laissés-pour-compte du rêve américain qui, ensemble, vont unir leurs talents afin d’arriver au bout de leur espoir. Petit à petit, la relation devient comme celle d’un père et d’une fille et Maggie remplace en quelque sorte la fille de Dunn qui ne donne pas de nouvelle ; un thème filial qu’Eastwood affectionne car il l’avait déjà traité dans Les pleins pouvoirs. Les deux personnages ne peuvent compter que l’un sur l’autre, car Maggie a une famille ignoble et profiteuse. Frankie montre à sa protégée comment bouger sur ses jambes et frapper le sac… Tout est une question de détails, de gestes patiemment appris et répétés dans quelques séquences étudiées, car les scènes d’entrainement s’éternisent tandis que les combats s’enchainent dans un montage rapide. L’entraineur pygmalion offre à Maggie un peignoir de satin vert sur lequel est brodée en lettres d’or l’expression gaélique "Mo Cuishle", une annotation significative, qui restera longtemps un mystère pour la boxeuse… Les combats et les victoires s’enchainent, mais Dunn, tel un père protecteur, veut protéger Maggie des coups. A noter l’excellent passage qui fait mal lorsqu’il lui remet le nez cassé en place entre deux rounds ! Elle a vingt secondes pour descendre son adversaire avant que ça pisse le sang sur le premier rang de spectateurs…Maggie a toujours rêvé de passer de la pénombre des salles d'entraînement à la lumière des réunions de boxe (superbes clairs-obscurs obtenus par le directeur de la photographie Tom Stern). Swank est excellente et vole la vedette à ses prestigieux collègues, en serveuse pauvre qui prend les restes de viande des tables qu’elle débarrasse. Les passages de combats sont entrecoupés par des séquences plus dramatiques, comme à la cafétéria au bord de route, la préférée de son défunt père. Maggie conte des histoires à son sujet qui démontrent qu’elle le vénère, comme celle où il a abrégé les souffrances de son chien condamné. Dunn, impressionné, pense même acheter l’endroit… Morgan Freeman a un rôle un peu en retrait, comme le conteur qu’il est dans le film du début à la fin, et cette seconde collaboration eastwoodienne – après Impitoyable et avant Invictus – lui valut un Oscar mérité. Scrap connaît Dunn et il sait qu’il recherche depuis vingt-cinq piges une sorte de rédemption. Il est en quête d'expiation en aidant une boxeuse amateur à réaliser son rêve de devenir une professionnelle. Scrap a vécu cent neuf combats, mais le 110ème improvisé lui donne le sourire (« Get a job, punk. »). Il est le seul à pouvoir comprendre Dunn, qui s'est replié sur lui-même et vit dans un désert affectif ; Eastwood redevient un personnage mystérieux, au passé secret, qui parle peu, à l’instar de l’homme sans nom. Parmi les séquences entre les deux personnages, notons celle, jubilatoire, des chaussettes trouées: « Cause my daytime socks got too many holes in them. » La distribution est sublime et ne fait pas d’ombre au récit. Jay Baruchel, (Danger, Terreur en français), imprime même une note humoristique dans le seul rôle valable de sa jeune carrière, où il enfile les nanars comme des perles. On peut simplement reprocher la nationalité donnée à Billie, interprétée par Lucia Rijker, boxeuse néerlandaise et entraineuse de Swank pour le film, née d’un père du Surinam. Celle qui était surnommée Lady Tyson est censée être une ancienne prostituée d’Allemagne de l’Est…Jerry Boyd, l’auteur du livre, ou Paul Haggis, le scénariste, n’ont pas dû faire de voyage en ex-RDA, car Lucia Rijker n’a pas du tout l’apparence d’une Allemande de l’Est…Sinon, faites attention à la petite fille dans le camion qui croise le regard triste de Maggie : c’est Morgan Eastwood, alors âgée de huit ans ; elle refera une apparition aussi courte dans L’échange quatre ans plus tard. Eastwood est au sommet de son art et démontre, encore une fois, qu’il est un des rares cinéastes à pouvoir travailler sur n’importe quel genre, et à n’importe quelle fonction. Après Mystic River, l’artiste endosse à nouveau le rôle de compositeur, en plus de ceux d'acteur, réalisateur et producteur, et cette musique discrète et remarquable, qui allie piano jazz et guitares mélancoliques, lui permettra d’être nominé au Grammy. La mélodie accentue habilement chaque séquence et les jeux de lumière. A travers sa filmographie, Eastwood conte l’histoire des Etats-Unis, ses coutumes et sa civilisation, et Million Dollar Baby en fait pleinement partie avec cette quête du rêve américain, qui peut s’avérer dangereuse. Le long-métrage en appelle aux sentiments sans tomber dans le sentimentalisme niaiseux, ni le pathos dégoulinant. Cela reste digne. Dans un cinéma hollywoodien trop souvent saturé d’innovations technologiques et d’effets numériques, il est bon de pouvoir compter sur Clint Eastwood pour nous servir des œuvres intemporelles. Il continue d'illustrer des thèmes chers à l'Amérique et à lui-même, tels la valeur du travail individuel, le mérite qui l'accompagne et la transmission d'un savoir. Amputer délibérément une partie essentielle d’un tel film dans une critique constitue un handicap certain mais nécessaire pour permettre à ceux qui ne connaissent pas encore ce chef-d’œuvre de l’appréhender correctement puis de le revoir avec un regard différent, mais ce n’est évidemment pas un film d’Eastwood qu’on se passe en boucle…. Anecdotes :
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Bird (1988) Résumé : La carrière et la vie perturbées du musicien de jazz, Charlie ‘Bird’ Parker. Le saxophoniste arriva à New York en 1940 et il attira rapidement l’attention pour sa remarquable façon de jouer. Junkie dès le plus jeune âge, il devint également alcoolique, et sa femme, Chan, le soutint du mieux qu’elle put jusqu’au bout de sa courte vie. Critique : Ce biopic conte les hauts et les bas du saxophoniste qui brûla la vie par les deux bouts. Sa santé vacillante l’aurait conduit dans une institution pour malades mentaux sans la présence de Chan, sa femme compatissante et attentionnée. Jusqu’au bout, malgré les démons qui le rongeaient, il interpréta un nouveau style de musique qui révolutionna le jazz. Musicien accompli, il devint un créateur de génie en élevant le saxophone comme personne. Le film s’attarde sur la carrière et, surtout, les drames personnels de Parker, son addiction à la drogue et à l’alcool, son désir effréné de nouvelles conquêtes, mais aussi son amour incommensurable pour Chan. Le long-métrage est constitué de scènes de sa vie, de son enfance à Kansas City, à son décès, survenu à l’âge de 34 ans. Clint Eastwood, amoureux du jazz dès son enfance, a toujours été fasciné par Charlie Parker et sa musique depuis qu’il le vit jouer à Oakland en 1945. Avant le tournage, le réalisateur/producteur rencontra Chan Richardson, la femme du musicien, dont les mémoires servirent de script au film. Elle donna à Eastwood une collection d’enregistrements qu’elle gardait dans un coffre de banque. Bird fut tourné plus de trente ans après le décès prématuré de Parker, dont le comportement autodestructeur, composé de drogues et d’alcool, n’a pas permis d’établir pleinement son génie musical auprès du public de son vivant. Quinze ans après Breezy, Eastwood passe pour la seconde fois derrière la caméra sans jouer. Il a travaillé sur un budget relativement réduit avec des acteurs de renommée secondaire à l’époque. Le film s’appuie davantage sur les tourments de la courte vie de Parker et son histoire d’amour avec Chan et délaisse l’angle purement musical, ce qui permet au public qui aime le jazz, sans en être de fins connaisseurs, d’adhérer au projet. Par contre, les inconditionnels de ce style de musique, comme mon père à qui j’ai emprunté ce film que je n’avais jamais vu, reprochent cette approche. Eastwood met l’accent sur le côté dépressif du saxophoniste avec une abondance d’obscurité, que cela soit dans les night-clubs ou les scènes de rues, très souvent sous la pluie, qui rend ce long-métrage morose en transmettant plus l’aspect tourmenté de Parker que son rayonnement musical. Parmi les critiques à l’encontre du film, la longueur est souvent mentionnée et il est vrai qu’une quarantaine de minutes en moins aurait pu donner plus de vigueur à ce long métrage de 2h40. La vie de Parker est évoquée à de nombreuses reprises par des flashbacks et parfois des flashbacks dans les flashbacks, ce qui demande un second visionnage pour en apprécier toute la signification, et ce procédé, destiné à souligner l’état mental tourmenté du musicien, peut déconcerter les moins assidus. Certains de ces retours en arrière sont très intéressants, comme les premiers pas de Parker, ‘Charlie from just around’, et la cymbale lancée pour l’arrêter, d’autres le sont moins. Bird débute par une représentation dans un petit jazz club new yorkais puis un retour au domicile difficile avec une dispute et une tentative de suicide qui situe l’action à environ six mois avant le décès le 12 mars 1955 et Chan semble blasée : « That was stupidity. Now I have to call an ambulance. » La santé de Parker est ruinée par ses dépendances aux drogues, à l’alcool, et les ulcères qui le rongent. A cela, il doit faire face aux policiers qui le harcèlent pour coincer les dealers. Le musicien avait l’habitude de dire que Chan le rendait ‘paisible’ alors qu’elle désirait ‘rendre les hommes fous’. Elle se plaignait constamment des nombreuses maitresses de Charlie, et elle se retrouve de son côté enceinte d’un autre musicien….Mais elle est toujours là pour Parker en essayant de convaincre les propriétaires de clubs d’engager son époux. La carrière du saxophoniste est surprenante ; alors que sa tournée à Paris est un triomphe et que son nom est donné au plus grand jazz-club de New York, le "Birdland", il doit pour survivre se produire avec des orchestres médiocres et accepter d'enregistrer des disques commerciaux. Finalement, la mort prématurée de sa fille le pousse au désespoir. Certaines scènes ressortent de l’ensemble, comme, par exemple, Parker qui joue du saxo dans la rue et réveille Dizzy en plein milieu de la nuit en improvisant ‘Now’s the Time’, ou le saxophoniste qui accompagne Red Rodney à un mariage juif. Dans ce registre, il faut évoquer la courte scène lorsque Parker fait stopper la voiture conduite par Audrey, sa maitresse énigmatique, devant la demeure d’Igor Stravinsky à Los Angeles. Les deux génies se toisent de loin et le chef d’orchestre referme sa porte. Audrey est interprétée par la jolie blonde Anna Thomson, la prostituée agressée dans Impitoyable, et elle assiste passive à une autre grande scène du film lorsque Parker envoie télégramme sur télégramme à Chan après le décès de leur fille. Le saxophoniste est confronté aux changements de goûts musicaux lors d’un passage surprenant, avec l’éclosion du rock and roll et la transformation des clubs de jazz en boites de strip-tease. La tournée dans le sud est également un bon moment où Rodney passe pour un chanteur noir albinos afin d’éviter les tensions raciales. Alors que le trompettiste est à son tour soumis à la drogue, il a une conversation prémonitoire avec Parker, se demandant lequel des deux atteindra la quarantaine. Et lorsqu’il demande à Rodney de lui botter le cul – au sens premier du terme – Parker concède alors qu’il a gâché sa carrière. Evidemment, la dernière conversation téléphonique prémonitoire de Parker avec Chan fait partie des séquences incontournables. Il est conscient de sa fin proche, de ses espoirs perdus et de son sentiment de solitude, mais il transmet aussi son amour pour toute sa famille en tentant de rassurer son épouse. Il va chez la baronesse Nica et il décède d’un arrêt cardiaque et, en entendant le rapport du médecin: «Approximately 65 years of age. », elle ne peut que constater, dubitative: « He was 34. » Malgré un rythme lent, le film séduit par le jeu des acteurs, mais aussi, évidemment, la musique qui éblouit, même les novices. Il ne faut pas négliger les décors de l’époque bien reconstitués et la prodigieuse photographie de Jack N. Green qui démontre sa collaboration passée avec Surtees lors de superbes plans dans l’obscurité des night-clubs et les ténèbres du monde glauque de Parker – un film à regarder dans le noir -, et les magnifiques images lumineuses de la tournée dans le sud des Etats-Unis. Si le film captive, en dépit de ses longueurs, cela est dû au jeu des deux acteurs principaux. Forest Whitaker, qui remporta Eastwood a travaillé sur des projets plus personnels et il a connu une pause dans les succès de sa carrière entre 1988 et 1992. Bird fait partie de ces choix intimistes qui ont connu quelques critiques, dont celle du détestable Spike Lee, raciste et antisémite, souvent en désaccord avec Eastwood et cantonné dans ses délires comme lors de la sortie de Mémoires de nos pères…Quoi qu’il en soit, malgré ses nombreuses récompenses et les critiques élogieuses, le film fut un échec commercial, mais il faut le découvrir car cette histoire dramatique présente de nombreux attraits indéniables. Deuxième film eastwoodien basé sur la musique après Honkytonk Man, Bird a obtenu des critiques publiques controversées à cause du rythme lent, du ton extrêmement pessimiste, et du déroulement chronologique aléatoire privilégiant quelques moments clefs de la fulgurante trajectoire de Parker. J’ai hésité entre deux et trois et il est possible que mon jugement change à un second visionnage. Les connaisseurs de jazz regrettent que le film ne s’intéresse que superficiellement à l’importance du saxophoniste dans l’histoire de la musique, préférant mettre l’accent sur l’enfer de la vie privée de l’artiste. Pour la seconde fois, après Pale Rider, Eastwood fit une apparition au festival de Cannes pour Bird, une incroyable coïncidence lorsqu’on sait que pour l’acteur-réalisateur-producteur, le western et le jazz sont les deux moyens d’expression capables le mieux de définir la culture et le mode de vie américains. Anecdotes :
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Pink Cadillac (1989) Résumé : Un chasseur de primes est à la recherche d’une jeune femme qui est poursuivie par son mari et une bande de vauriens camés et extrémistes. Lorsqu’il la retrouve, ils font équipe pour récupérer son bébé kidnappé par le gang de tordus. Critique : S’il y a un film qui passe totalement inaperçu dans la filmographie de Clint Eastwood, c’est bien Pink Cadillac, que certains pays, dont Ce film conte les exploits de Tommy Nowak, un chasseur de primes bourru et solitaire incarné par Eastwood, qui est mandaté pour retrouver une jeune femme, arrêtée pour trafic de fausse monnaie, qui s’est enfuie à bord d’une Cadillac rose appartenant à son mari, un petit voyou affilié à une organisation raciste, qui avait planqué une considérable somme d‘argent dans le véhicule. Progressivement, Nowak se prend d’affection pour la fugitive, qui a laissé sa fillette chez sa sœur, et il l’aide à affronter cette bande de dégénérés lancée à ses trousses. Je ne connaissais pas du tout le film et je m’attendais au pire, mais Pink Cadillac n’est pas aussi ‘mauvais’ que moult critiques s’évertuent à démontrer. Il reprend cependant des situations qu’il est impossible d’éluder, tellement la ficelle est grosse. Ainsi, le ‘bounty hunter’ qui se prend d’affection pour une fille inquiétée par la justice, c’est du déjà vu : Lou Ann McGuinn, jouée par Bernadette Peters, fait immédiatement penser à Gus Mally (Sondra Locke) de L’épreuve de force. C’est exactement la même chose pour la bande de tarés drogués extrémistes qui renvoient au gang des Black Widows des films avec Clyde l’orang-outan cités plus haut. L’intrigue n’est pas sensationnelle, loin s’en faut, le jeu des acteurs ne laisse pas un souvenir impérissable mais Pink Cadillac présente quelques attraits, sur lesquels je vais revenir, qui me font classer le film entre L’épreuve de force et les deux ‘Clyde movies’, un petit deux vu qu’il n’y a pas de demi-mesure. Il n’y a pas énormément de passages mémorables ; j’en tire trois du lot, la première scène où Eastwood/Nowak persuade un truand au téléphone qu’il a gagné un gros lot et qu’on va venir le chercher en limousine (en fait, c’est le chasseur de primes qui arrive dans le véhicule). Adepte du déguisement, Nowak est affublé d’une moustache et d’une veste jaune fluo pour coincer un malfrat et on a droit à une poursuite intéressante. Comme pour Firefox, la moustache sied aussi bien à Eastwood que des cheveux à Kojak et on comprend la réaction du voyou : il faut toujours se méfier des moustachus…Pour finir, la scène du bar dans laquelle Eastwood joue bien le demeuré avec la bande d’abrutis jusqu’à l’urinoir…Par contre, le final est bâclé même si la ‘happy end’ fait sourire. Pas de grandes répliques non plus, bien que quelques-unes fassent sourire, comme Lou Ann qui demande à Nowak si les menottes sont la partie sado-maso du job ; on peut y voir un clin d’œil à La corde raide. Il y a aussi la réplique sur les armes à feu : « I have strong feelings about gun control. If there is a gun around, I want to be controlling it.” A l’instar du Canardeur et d’Honkytonk Man entre autres, l’action se situe dans l’Amérique profonde que chérit beaucoup Eastwood. Le long métrage balance entre le road movie et le film d’action où l’acteur reprend de temps à autre son aspect de justicier qui lui colle à la peau. Si l’intrigue ne casse pas trois pattes à un canard, elle se suit néanmoins sans ennui et la pétillante et plantureuse Bernadette Peters n’a pas à rougir de la comparaison avec la maigrichonne Sondra Locke à tout point de vue. Elle est même un des points positifs du film, allant jusqu’à parfois voler la vedette au grand Clint. Dans le reste de la distribution, on reconnaît Geoffrey Lewis (Ricky Z), dans une de ses sept collaborations avec Eastwood, et le juge est l’excellent Paul Benjamin (English de L’évadé d’Alcatraz) lors d’un passage très bref. La partition musicale de Steve Dorff est agréable ; quant à la réalisation de Buddy Van Horn, c’est sa troisième et dernière et je la place au-dessus des deux autres (Ça va cogner et La dernière cible). Malgré un échec cuisant, le plus mauvais chiffre d’entrées depuis Les proies en 1971, Pink Cadillac est bien meilleur que d’autres films plus connus de la star et j’encourage les inconditionnels de l’acteur à le découvrir car, même s’il fait partie du dernier tiers des films d’Eastwood, il est assez plaisant à regarder sans que, bien évidemment, Anecdotes :
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La Dernière Cible (1988) Résumé : Après être devenu une star médiatique suite à l’arrestation d’un mafieux, l’inspecteur Harry Callahan enquête sur les meurtres de plusieurs personnalités du show-business et des médias. Toutes les victimes figurent sur une mystérieuse liste secrète de notoriétés locales, susceptibles de disparaître rapidement, établie candidement par un réalisateur de films d’horreur. Lorsque son nom apparaît en dernière place sur la liste, l’inspecteur, aidé d’une journaliste, piste et finit par épingler le tueur psychopathe. Critique : Cet ultime opus des aventures de l’inspecteur Harry est le plus court et, il faut le reconnaître, le moins bon des cinq films. Au box-office, les fans ne se sont pas laissés abuser car c’est celui de la saga qui fit le moins cliqueter le tiroir-caisse (moitié moins de recette que l’excellent épisode précédent, Sudden Impact). En fait, on peut écrire qu’Eastwood fut un peu contraint de reprendre une dernière fois son Magnum. Les studios Warner Bros avaient en effet accepté de financer le projet cher à l’acteur concernant Charlie Parker et, en contrepartie, il avait souscrit aux doléances du studio de tourner un autre Dirty Harry, film plus commercial, qui fut le troisième et dernier long métrage produit pendant son mandat de maire. Malpaso apporta l’argent mais Eastwood se désintéressa du script et ne se colla pas derrière la caméra en laissant Buddy Van Horn, responsable des cascades et chef de la seconde équipe, aux manettes. Ce désintérêt flagrant de la star pour ce cinquième Harry démontre que le film a été conçu uniquement à des fins contractuelles. Pratiquement un quart de siècle après avoir connu la renommée, Clint Eastwood subissait un tassement dans sa carrière à la fin des années 80. Ses films attiraient moins de gens mais sa popularité auprès des critiques ne cessait de croitre. La stratégie de la star de compenser les déficits d’œuvres personnelles par des films commerciaux trouva ses limites, et, heureusement, il changera son fusil d’épaule, sans jeu de mots, dès le début des années 90. L’histoire de The Dead Pool fut écrite par trois connaissances d’Eastwood sans aucune expérience, à part celle d’avoir été consultants sur Firefox, l’arme absolue…! D’ailleurs, aucun des trois n’a fait autre chose de conséquent pour le cinéma par la suite, ce qui explique un résultat bien décevant en comparaison avec les quatre autres films. Le scénario poussif est indigne et fait penser à un pâle épisode de la série connue de l’époque, Rick Hunter. Il n’y a pas de véritable intrigue, et certaines pistes, telles que les films d’horreur ou l’importance des médias, ne sont qu’effleurées. On décèle un côté lorgnant vers la parodie, mais est-ce vraiment assumé ? Ce n’est pas sûr ; cependant, la plupart des fans de la série sont certains d’une chose : La dernière cible est l’épisode de trop. Certes, tout n’est pas à jeter car certaines scènes et répliques font partie de l’univers légendaire de Dirty Harry, sans oublier la musique de Lalo Schifrin, qui utilise à bon escient quelques bribes de la superbe partition du film original de 1971. Ainsi, Callahan attire la presse, devient célèbre et il est susceptible de véhiculer une bonne image de la police, surtout si son coéquipier est un Asiatique. Mais où est passé le ‘politiquement incorrect’ des opus précédents ? Où est le thème dérangeant du film ? ….Harry Callahan rentre dans le rang, comme pour satisfaire les désidératas des producteurs. Alors que le témoignage de Callahan permet de mettre un ponte de la mafia à l’ombre, l’inspecteur devient la cible de tueurs patentés ; la sortie du parrain fait penser à la première scène de Magnum Force et les tentatives des sous-fifres de la mafia à Sudden Impact. Les répliques, telles que ‘Swell’, ‘Marvelous’, sont des reprises des opus précédents et on a l’inévitable attaque d’un commerce – ici, un restaurant chinois – par une bande de dégénérés, qui se conclut par une réplique assassine : « You're shit outta luck ! ». A cela s’ajoutent les mêmes obligations des autres films de la saga : faire profil bas avec la presse et accepter un nouveau coéquipier, ici Al Quan (Evan C. Kim). Tout se précipite lorsqu’un célèbre réalisateur de films d’horreur met au point avec son équipe un nouveau jeu – The Dead Pool – qui consiste à choisir dix personnalités qui, à leur avis, ne survivront pas à la fin du tournage pour diverses raisons (mauvaise santé, professions à risques). Quand les personnes de la liste du réalisateur succombent de morts violentes, dont un chanteur rock junkie, Harry rentre en piste pour découvrir que son nom est ciblé et il doit s’accommoder de la présence d’une journaliste, Samantha Walker (Patricia Clarkson), qui désire ardemment faire un papier sur ce flic hors norme. Parmi les répliques, la plus connue – et usitée par les fans américains – est : « Opinions are like assholes. Everybody has one. »[Les avis, c’est comme les trous du cul, tout le monde en a un]. Sortie en société, elle garantit du meilleur effet, j’écris en connaissance de cause ! Les deux scènes clés du film sont celles de l’ascenseur et de la poursuite avec la voiture miniaturisée. Si la première peut convaincre, la seconde désacralise le personnage et d’une certaine façon la saga, même si elle est, parait-il, la préférée d’Eastwood. De plus, elle n’atteint pas son but, loin s’en faut, qui était de rivaliser avec la poursuite de Bullitt! Personnellement, j’en privilégie une troisième : la visite de Callahan au mafieux Janero à la prison de San Quentin, avec des répliques tranchantes comme des lames de rasoir : « See that gorilla down there? That's Butcher Hicks... and he's killed three men. You know how he did it? He tore 'em apart with his teeth! Didn't even find all the pieces... you might say he has an unhealthy appetite.”[Tu vois ce gorille là-bas? C'est le boucher Hicks ... et il a tué trois hommes. Tu sais comment? Il les a déchirés avec ses dents! On n’a même pas retrouvé tous les morceaux ... On peut dire qu'il a un appétit malsain.]. Quant au final, c’est d’une exagération déplacée. Dans les films précédents, Callahan liquidait l’ignoble salopard en légitime défense, alors qu’ici, il harponne le cinglé qui n’a plus de balle dans sa pétoire. On est en pleine démesure dans la surenchère, après le bazooka de The Enforcer, c’est le harpon monstrueux qui punaise le tueur sur la porte. Il était temps d’arrêter les frais…. L’interprétation est, avec le scénario, l’autre point faible du film. Personne ne convainc et même Eastwood fait sa partition Callahan sans forcer son talent. Dans un de ses premiers rôles, Jim Carrey (James au générique) apparaît brièvement en junkie défoncé, tandis que Evan C. Kim, le coéquipier Quan, et Patricia Clarkson, la journaliste Samantha Walker, sont transparents. Kim n’arrive pas à la cheville de tous les partenaires du célèbre policier, même s’il effectua toutes ses cascades - le partenaire asiatique qui pratique le kung-fu, ben voyons - et Clarkson a une voix désagréable au possible. En fait, c’est Liam Neeson qui tire le mieux son épingle du jeu en cinéaste imbu de sa personne. Quant au tueur, c’est l’une des plus grosses aberrations du script, car il n’existe pas, alors que ceux des quatre autres films avaient de l’envergure. Avec La dernière cible, on assiste à la déchéance d’Harry Callahan qui n’est plus que l’ombre de lui-même, car nous sommes très loin des deux premiers épisodes qui constituent de véritables références du genre. C’est rageant de terminer une saga de cette façon, alors que Sudden Impact offrait justement une conclusion parfaite. Même si on éprouve un certain plaisir à revoir le célèbre inspecteur, la satisfaction est gâchée par une histoire indigne, ne comportant aucun message politiquement incorrect contrairement aux précédents films, ce qui aboutit à un film policier banal, ancré dans les années 80. Même si on retrouve, lors de quelques rares répliques et scènes, le Harry Callahan qu’on affectionne, La dernière cible est clairement l’épisode le plus faible car il s’éloigne de ce qui faisait l’identité et le succès de Dirty Harry, en dénaturant le personnage emblématique des années 70. Eastwood traversait une mauvaise passe avec deux films consécutifs aux résultats commerciaux décevants, et le prochain ne va pas redresser la barre, au contraire, touchant là le fond du fond… Anecdotes :
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Chasseur blanc, coeur noir (1990) Résumé : Un metteur en scène hypothèque le tournage d’un film en Afrique pour satisfaire son obsession de tuer un éléphant. Critique : C’est dans l’avion en revenant de France, où il avait présenté Bird, que Clint Eastwood lut le script de White Hunter Black Heart. L’acteur-réalisateur fut fasciné par le personnage principal plein de contrastes, alternant générosité et cruauté. Il a d’ailleurs toujours été intéressé par le comportement obsessionnel, mis en évidence dans Honkytonk Man et Bird, centrés sur deux personnages autodestructeurs. A l’instar de ces films, Chasseur blanc, cœur noir présente un rythme lent qui peut décontenancer une partie des fans d’Eastwood, qui se rendit à l’occasion pour la première fois en Afrique. Ce long métrage est évidemment inspiré du légendaire John Huston sur le tournage de The African Queen en 1951, avec Humphrey Bogart et Katharine Hepburn, même si l’actrice vieillissante contesta la véracité du film à l’époque. Eastwood obtint le feu vert des studios Warner Bros – son vingtième projet pour eux - en acceptant par avance de tourner La relève juste après. Ce système de ‘donnant-donnant’ a jalonné la carrière d’Eastwood, ce qui lui permit de réaliser ce qu’il voulait, souvent avec succès, mais en ce début des années 90, ce n’est plus le cas. Les deux films tournés l’un derrière l’autre n’affolèrent pas le box-office et Chasseur blanc, cœur noir fut même le plus gros échec eastwoodien de la décennie. Le script est fidèle au roman éponyme écrit en 1953 par Peter Viertel, ami de John Huston. Trente-sept ans après la publication, Viertel coécrivit le scénario de ce film avec James Bridges et Burt Kennedy. Ainsi, le renommé John Wilson (Clint Eastwood), endetté, a pour projet de partir en Afrique afin de tourner son prochain long métrage, mais tout le monde qui l’approche juge qu’il est un metteur en scène borné, égocentrique et acariâtre. Wilson a invité son ami Pete Verrill, évidemment Viertel à l’écran (interprété par Jeff Fahey), pour qu’il termine le scénario du film qui sera, aux dires du réalisateur, un chef d’œuvre. Il a convaincu le producteur Paul Landers (George Dzundza) que le film doit être tourné en Afrique et l’équipe de production part pour le continent noir. Sur place, Wilson ne se préoccupe guère de son projet cinématographique, néglige son casting et donne la priorité à son obsession, aidé de Kivu, un indigène : la chasse à l’éléphant. Je n’avais pas revu ce film depuis sa sortie et, vingt-sept ans plus tard, mon ressenti est exactement le même qu’à l’époque, à une différence près. J’avais vu le film en version française et j’étais passé à côté du changement de voix adopté par Eastwood. L’acteur personnifie Huston en empruntant un accent anglais, mais ça prend un certain temps à s’habituer à cette diction un peu pédante, à ce style de voix trainante auquel on n’est pas accoutumé. L’interprétation surprend, surtout que l’acteur a précisé dans des interviews qu’il ne connaissait pas Huston et qu’il n’avait eu aucune volonté de le copier, même si certains aspects, telle la cigarette, sont présents. Eastwood parle comme jamais il n’a fait dans un de ses films et il rayonne sur la distribution très hétérogène, dont aucun membre ne faillit, sans pour autant pouvoir entrer en compétition à une quelconque récompense. L’intrigue est sûrement le point faible du film ; il ne se passe en effet pas grand-chose et le long métrage est particulièrement bavard. Le début en Angleterre s’attarde sur les préparatifs indispensables (rencontre avec le producteur, achats à l’armurerie), avec déjà une scène ‘bouche-trou’, dans laquelle la girlfriend de Wilson expose son scénario stupide basé sur Horace, un chien en rut…Le départ en Afrique n’accélère pas le rythme et même si certains passages retiennent l’attention (le transfert épique en avion), l’ensemble est poussif et sans entrain avec un match de football interminable blancs contre noirs. Il ne faut pas oublier qu’on assiste aux à-côtés du tournage d’un film et si on ne connaît pas la personnalité de John Huston, ni la particularité d’African Queen, on risque d’avoir des moments de lassitude. Sans la présence d’Eastwood au générique, il est d’ailleurs probable que je ne connusse pas ce film… Le meilleur passage du film, à mes yeux, est composé de deux incidents successifs à l’hôtel Lake Victoria. Vu qu’ils sont souvent relatés dans diverses critiques, j’en conclus que je ne suis pas le seul à penser ainsi. John Wilson est sur le point de diner avec la ravissante Margaret MacGregor (Mel Martin), lorsque la jeune femme se montre particulièrement antisémite dans ses réflexions. En présence de Verrill, de confession juive, Wilson raconte alors une soirée au Savoy, où une jolie femme avait émis des propos similaires ce qui l’avait poussé à dire : « Madam, I have dined with some of the ugliest goddamn bitches in my time. But you, my dear, are the ugliest bitch of them all.” Puis devant la situation actuelle: « You, madam, are the - Well, you know the rest. » A noter que ces dialogues sont strictement véridiques et ils furent reproduits à l’identique au roman. Dès que Mrs MacGregor quitte la salle, confuse et furieuse, Wilson provoque Harry (Clive Mantle), le maitre d’hôtel, qui vient de maltraiter des serveurs noirs. Et Wilson/Eastwood de balancer à Verrill, qui tente de le dissuader de se battre : « We fought the preliminary for the kikes; now we'll fight the main event for the niggers. » [Nous nous sommes battus aux préliminaires pour les youpins. On va se battre maintenant en plat de résistance pour les nègres]. Des actes, peut-être pas la réplique, qui ont dû rabattre le caquet des critiques toujours prompts à classifier l’acteur… L’obsession de Wilson constitue le thème principal du long métrage, mais la raison de l’acte est à peine effleurée et la justification de Wilson sur le sens d’abattre un éléphant a du mal à convaincre : « It's not a crime to kill an elephant... it's bigger than all that... it's a sin to kill an elephant » [Ce n'est pas un crime de tuer un éléphant, c'est plus fort que ça : c'est un péché.] La scène pénultième – la confrontation avec l’animal et la réaction du réalisateur – n’atteint pas les sommets espérés dans sa conception et c’est la séquence finale, lorsque Wilson est confronté à sa folie qui lui fit perdre son nouvel ami, qui reste en mémoire du spectateur (avec le mot final ‘Action’ qui marque le début du tournage du film). Malgré les éléments négatifs que j’ai énumérés ci-dessus, j’ai attribué un trois sur quatre au film, car il reste une des œuvres les plus atypiques de la carrière d’Eastwood. En dépit des sujets graves, le film distille un humour léger ou sarcastique de qualité. Il faut voir Eastwood/Wilson quitter l’hôtel Lake Victoria en maugréant une insulte à chaque personne qu’il croise et la séquence où il reçoit au village toute la production avec un ouistiti dans les bras. C’est jubilatoire, comme certains aspects de l’histoire qui lui vont tel un gant. Ainsi, la discussion sur la fin du long métrage en tournage que Wilson préfère dure, quitte à froisser quatre-vingt-cinq millions de mangeurs de pop-corn, ressemble à du Eastwood (même si la tournure dramatique fera changer d’avis le personnage). On peut ajouter la belle photographie de Jack N. Green, aussi bien en Angleterre qu’en Afrique, aux points positifs. Le quatre sur quatre, je le réserve néanmoins pour d’autres films d’Eastwood ou même d’autres longs métrages sur la chasse en Afrique comme L’ombre et la proie tourné en 1996, avec Michael Douglas. En négociant avec Warner Bros, je ne pense pas que Clint Eastwood s’attendait de toute façon à un succès commercial. Pour ce film, il prend du recul sur le système hollywoodien et, avec une autodérision acerbe, il se plait à se moquer de ce milieu. Cependant, sans réelle intrigue, ni interprétation transcendante, je fais partie de ceux qui considèrent Chasseur blanc, cœur noir comme une œuvre intimiste de l’artiste. Certains jugent au contraire que le film appartient aux meilleurs de sa filmographie, même s’il est évident qu’il est très souvent oublié car situé juste avant une période qui peut être considérée à raison comme l’apogée eastwoodienne. Pour y arriver, il reste une dragée assez dure à avaler… Anecdotes :
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