Ère Daniel Craig 1. CASINO ROYALE Scénario : Neal Purvis & Robert Wade et Paul Haggis Je suis resté désappointé dès la scène d'ouverture devant un face-à-face convenu au possible (au dernier recensement, le gag de l'arme déchargée a été utilisé 25 266 fois depuis 1950, 25 267 fois désormais), délicatement assorti par un combat classieux au possible dans les toilettes. On a vu la même scène en plus spectaculaire dans Terminator 3 avec en prime Kristanna Loken et surtout un peu d'humour ! Vraiment, on a connu par le passé des introductions autrement stimulantes que celle-ci… Ah, les fleurs sur le cadavre du sympathique colonel, so British !… Le malaise s'accroît avec un générique porté par une chanson très fade dont je suis à peu près certain qu'elle ne deviendra pas un de ces standards irrésistibles, reconnaissables dès les premières notes, des décennies après leur parution… Les images elles-mêmes n'ont pas la splendeur onirique ou spectaculaire des autres 007, on se retrouve ici face à un clip un peu haut de gamme (très Depeche Mode), rien de plus. Et puis comment dire, on se retrouve entre mecs, c'est d'un triste… Les piques sortant des révolvers sont d'un ridicule achevé, ils font penser à ces petits drapeaux marqués "Boum" ! Mais, attendez ! Des hommes apparaissant tout rouges, avant de tomber en poussière ? Bon sang ! Mais c'est bien sûr. Ce générique veut convaincre un monde incrédule que le cauchemar a déjà commencé. Si c'est ça, pas de problème, il remplit parfaitement son objectif. Cela va faire trente ans que les génériques de James Bond m'enthousiasment et m'émerveillent et je peux tranquillement dire ici que c'est la première fois que j'ai été pressé d'en voir la fin. On dira peut-être que j'accorde trop d'importance à ce qui reste simplement un générique, mais c'est que l'on n'aime alors pas vraiment James Bond à mon avis. Le principal problème du film demeure à mon sens le manque létal d'intérêt du Chiffre (que j'ai affectueusement surnommé la Chiffe). Bourré de complexes (le Chiffre et l'Électre en quelque sorte…), il est tout à fait dépourvu du charisme et de la flamboyante personnalité des grands ennemis de Bond - il y avait pourtant à faire avec le talent de Mads Mikkelsen à camper des personnages aussi fascinants que glacials (Hannibal...), mais l'acteur ne peut faire grand-chose avec un personnage aussi sommaire. Pour compenser son manque d'identité, on l'affuble d'une disgrâce physique idiote, ne débouchant sur rien (la balle dans le cerveau de Renard était autrement troublante, notamment grâce au grand talent de Carlyle). Cela devient vite irritant au possible, d'autant que c'est plutôt le spectateur qui pleure du sang devant ces pitreries ; on dirait qu'il nous nargue, le sacripant. Plus grave, pour compenser le manque d'opposition et parce qu'il faut bien tenir les 2h20 coco (Dieu que ce film est long !), les auteurs sont appelés à multiplier les méchants (le client mystère, le terroriste africain, l'agent double, la trahison de Vesper…), jusqu'à émietter l'action. On se situe rigoureusement à l'inverse des grands affrontements caractérisant les grands crus, avec un duel au soleil entre 007 et un adversaire charismatique. Il suffit de voir Largo dans Opération Tonnerre pour comprendre à quel point la stratégie de Casino Royale s'avère contre-productive. La pire conséquence demeure toutefois le rallongement de sauce assez pénible suivant la chute du Chiffre, avec une deuxième intrigue assez bidon et téléphonée, alors même que l'on commence à en avoir vraiment assez de tout cela. Ce film s'affirme comme un excellent argumentaire contre l'acharnement thérapeutique ! Non, Casino Royale est avant tout un 007 très mal écrit, peut-être parce que le roman (que je n'ai pas lu) est un Fleming particulièrement en retrait, cela arrive même aux meilleurs. Privé d'un centre de gravité, ce mauvais scénario s'éparpille et nous ennuie terriblement. Toxico au fantastique comme je suis, j'ai un instant caressé l'espoir que ce triste dénouement soit une hypnose ou le résultat d'une drogue onirique (à la Philip K. Dick) administrée à 007 par le Chiffre pour le faire parler. Non, on en reste à un prolongement artificiel de l'intrigue bien basique. Autre sujet de déception : la dimension automobile du film, toujours importante chez 007. Si la décision d'embargo prise par les propriétaires d'alors de l'Aston Martin semble bien exagérée, on la comprend quelque peu… Ce n'est pas l'accident qui me pose problème mais le manque total d'action sur quatre roues l'ayant précédé. La DB5 de Goldfinger se plante pareillement, mais après une scène d'anthologie, alors qu'ici la voiture reste platement au parking au lieu d'être mise en valeur, servant de centre de premier secours. Quelle bonne idée que le défibrillateur demeurant dans la voiture, c'est si pratique quand on percute un quinze tonnes. C'est tout de même la première fois que le gadget de voiture le plus spectaculaire d'un film est … la boite à gants ! Cela doit être une de ces fameuses innovations dont ce joyau du septième Art a le secret. Loué soit EON, on aperçoit l'authentique DB5 (sauf erreur de ma part), la vraie, la seule, l'authentique, mais elle n'apporte pas grand-chose à l'action non plus, se bornant à nous faire cruellement ressentir une vive nostalgie pour un âge d'or à jamais révolu… Ce n'est donc pas la voiture non plus qui tirera ce 007 de l'ornière, celle de Meurs un autre jour était certes grotesque, mais là on passe à l'excès inverse tout de même… Au rayon innovations révolutionnaires (le grand Bond en avant, en quelque sorte…), on assiste à la disparition sans tambour ni trompette de deux piliers de la série : Miss Moneypenny et Q. Pour Moneypenny, cela ne me dérange pas beaucoup ; même si le personnage était toujours là formellement, son importance avait beaucoup décru, Lois Maxwell n'ayant jamais été vraiment remplacée à mon sens ( Et puis : - I'm the money, - Every penny of it, ah,ah,ah, very funny indeed!). Pour Q, là par contre, je ne suis pas du tout d'accord, d'autant que le grand John Cleese avait bien su négocier le difficile remplacement du très regretté Desmond Llewelyn. Bon, c'est certainement petit, idiot, routinier, borné, has been etc. mais pour moi Bond c'est un rituel, et Q en était une figure majeure, suscitant toujours des scènes irrésistibles avec 007. C'est un vrai crève-cœur de s'en passer, et au profit de quoi je vous le demande ? Bond reçoit sa voiture comme on se fait livrer une pizza, ça doit être cela la modernité... Seule figure a avoir échappé à la purge stalinienne : M, que cela soit dû au prestige de Dame Judi Dench ou à un salutaire réflexe de survie des scénaristes. Cela doit être la modernité là aussi mais voir M dans son intimité, au lit avec son homme, ne m'a que médiocrement intéressé. Ah oui j'oubliais (how strange…) Felix, mais avec un acteur médiocre et une participation rachitique à l'action c'est au Leiter le plus falot de la série que nous avons affaire ici. Dieu que Jack Lord est loin ! Mais sincèrement à ce moment là du film, notre capacité d'énervement apparaît déjà trop sollicitée pour que l'on s'émeuve tant de la transparence du personnage que de Jeffrey Wright, on sature purement et simplement. Il faut dire que nous avons à supporter le pesant pensum des interminables parties de Poker à répétition durant laquelle on se barbe à mourir. Je n'appartiens certes pas à l'élite intellectuelle capable de comprendre les règles de la version ici présentée (mais le réalisateur ne faisant aucun effort pour les expliquer, c'est que je dois être un peu simplet), j'éprouve cependant l'intuition que cela n'y aurait pas changé grand-chose... Pourtant on peut s'amuser avec le poker, l'excellent Maverick l'avait bien montré en son temps. Tiens ! La partie de Casino Royale se conclue également sur une quinte flush à pique, on va appeler ça un hommage… L'ennui que suscitent ces scènes (parmi les plus sinistres de tout 007) devient tel que l'on finit par regretter que Patrick Bruel ne fasse pas une apparition décalée en guest star française, reprenant son personnage des Guignols. Au moins cela nous aurait fait rire un peu, ce qui nous aurait bien aidé à supporter le manque presque total d'humour du film. Bad day, vraiment. Le choix du réalisme (tout relatif) reste une option loisible. Ce n'est certes pas la mienne car quand je regarde 007 c'est pour me divertir et délirer, mais après tout ce choix peut se défendre. Simplement, quelque soit son approche, il importe de demeurer constant. Ce n'est malheureusement pas le cas ici car le film se conclut par la vision délirante, voire Fellinienne, de la destruction d'un palais vénitien à coups de balles. On peut bien le dire : c'est du grand-guignol, en contradiction totale avec les prétentions affichées jusque-là. À moins bien entendu que le réalisateur n'ait voulu se lancer dans la mise en abîme, voire l'allégorie flamboyante, en mettant en perspective le naufrage du palais avec celui du film. Mais allez savoir pourquoi, je demeure sceptique. Ne boudons pas notre plaisir, les images de la Sérénissime sont magnifiques et c'est une vraie joie de voir 007 de retour dans un décor à sa mesure, lui convenant toujours idéalement depuis Bons Baisers de Russie et Moonraker. Profitons de cette étape vénitienne pour franchir le Pont des Soupirs et aborder les bons côtés du film, car il y en a bien entendu, cela serait absurde de le nier. White, le mystérieux client du Chiffre, constitue un personnage secondaire très intéressant, avec une toute autre densité que le golden boy dégénéré. Cette mystérieuse organisation pour qui la confiance est plus importante que l'argent et qui a une manière bien à elle de sanctionner l'échec présente une aura spectrale des plus réjouissantes. (Le SPECTRE étant une organisation bâtie sur l'intégrité absolue de ses membres, comme chacun sait). Si EON voulait relancer ces joyeux drilles, j'en serais personnellement comblé, et tant pis pour l'orthodoxie, je ne suis pas bigot non plus. Les scènes d'action sont incroyables d'efficacité et de suspense, oui on se régale ! La plus réussie est celle de l'après-générique, sa frénésie est réellement communicative ! Si le film s'était arrêté là, j'aurais applaudi des deux mains, en le trouvant un poil court tout de même ! Celle de l'aéroport me semble également étourdissante de virtuosité mais je la trouve totalement pompée dans son fonctionnement sur 24h chrono. M joue ainsi le rôle de Chloé O'Brian, superbe promotion ! Ne chipotons pas, cette scène reste un vrai morceau de bravoure ! L'étouffoir interminable du casino vient malheureusement relativiser grandement l'impact de ces passages réussis. Le background et la formation du personnage de Bond sont évoqués de manière assez plaisante, mais ces éléments, comptant parmi les trop rares moments d'humour du film, demeurent éparpillés et esseulés. On reste bien loin de Indiana Jones III où tous ces éléments étaient mis en scène d'une manière coordonnée et dynamique, au sein d'une première partie aussi ludique que spectaculaire. Rien de tout cela ici mais il est vrai que cela aurait demandé un vrai travail d'écriture, précisément le point faible du film. Tout de même la vanne sur le martini vodka et la pirouette finale bien enlevée (dans un costard très grande époque !) m'ont bien amusé ! J'avoue avoir démarré la projection du film avec un gros a priori négatif sur Daniel Craig et son physique moscovite, et bien, pan sur le bec, cendres sur la tête, je mange mon melon, son jeu s'avère une heureuse surprise ! Je ne dis pas qu'il soit mon 007 préféré (je ne cite pas de nom, je pense que l'on aura deviné…), mais il a la présence physique et le charisme qui conviennent. Son jeu apparaît certes encore un peu abrupt et surtout dépourvu de cette petite touche anglaise dont raffole le fan de John Steed, mais pour une première apparition il s'en sort plutôt bien. Je craignais qu'il ne desserve le film, et c'est finalement lui qui pâtit de la mauvaise qualité de l'ensemble. Mais la vraie lumière du film, le phare dans la nuit, demeure à l'évidence l'aussi belle que talentueuse Eva Green (gros coup de cœur, indubitablement), dans le rôle passionnant (sur sa première partie) de Vesper Lynd. Quel nom ! Quelle femme ! Elle enthousiasme particulièrement lors de sa rencontre électrique avec 007, ce passage étant celui qui m'a le plus intéressé de tout le film car c'est à cet unique instant que Casino Royale crépite vraiment. Vesper est épatante durant les scènes hors poker, on finit par regretter qu'elle ne participe pas au jeu pour enjoliver cette purge qui démolit tout le film. Elle détruit 007 avec le mordant d'une Cathy Gale, se montre lutine, élégante, et malicieuse telle une Mrs Peel, panique sans tarder dès que cela barde comme une Vénus Smith, et bien sûr finit par tomber éperdument amoureuse de son partenaire comme une Tara King (c'était la minute monomaniaque) ! Dès son apparition, toutes les scènes où elle ne parait pas deviennent d'une fadeur insoutenable… Après Claudine Auger, Carole Bouquet et Sophie Marceau, la Déesse aux yeux pers confirme que les Françaises créent d'inoubliables James Bond girls ! (Un point vraisemblablement retenu par la production car à l'heure de Spectre, chaque James Bond girl de l'ère Craig vient de notre beau pays !) L'on comprend pourquoi John Logan, futur scénariste de la saga, l'ait retenue pour assurer le rôle principal de son excellente série Penny Dreadful. Et cela demeure malheureusement le crime ultime de Casino Royale que d'avoir assassiné un tel personnage en le noyant dans un pathos homicide avant même que de l'immerger dans les eaux vénitiennes. Un tel effondrement demeure incompréhensible et constitue une preuve éclatante de la mauvaise qualité de l'écriture du film. La scène du suicide est aussi incompréhensible que grotesque, au moins autant que l'effondrement du palais. Transformer un personnage d'or étincelant en un vulgaire plomb sombrant dans la Lagune constitue un bel exploit de l'alchimie si particulière de Casino Royale. On sait bien que 007 ne peut que demeurer célibataire, mais la méthode Diana Rigg, certes basique, semble plus efficace que ce délire morbide. Au total, ces quelques points positifs, certes non négligeables, ne parviennent pas à compenser les tares profondes du film (scénario atomisé, ennemi ridicule, mortel ennui des scènes de jeu, démarche pseudo réaliste inepte, manque d'humour…). Casino Royale reste vraiment comme le 007 le plus décevant que l'on ait vu depuis bien longtemps. Toutefois, le public semble y avoir trouvé son content (tout comme les critiques) car le film rentabilisa largement son budget de 150 millions de dollars avec des recettes s'élevant à 599 millions de dollars, explosant le record de Die another day. En France, le film subit toutefois un net recul, passant de 4 015 654 entrées pour Die another day à 3 182 602. Grands moments de la Saga James Bond : Poursuite sur le chantier
2. QUANTUM OF SOLACE Scénario : Neal Purvis & Robert Wade et Paul Haggis, et Joshua Zetumer (non crédité) De bruit et de fureur… Le film commence par le pire, deux séances d'action (sur roues et sur toits) atrocement mal filmées et montées. C'est très simple, on ne comprend strictement rien à ce qui se passe du fait du rythme frénétique des changements de caméra et du manque total de vision globale de l'ensemble. En plus, toutes les voitures et les costumes se ressemblent, on n'a pas le temps de déterminer qui est qui que l'on est déjà passé à un autre angle de vue (si la caméra reste aussi mal gérée dans le jeu vidéo, ça promet !). Le tout, noyé dans une insupportable déflagration sonore, finit même par donner une impression de nausée assez pénible. Autant la scène d'action du début de Casino Royale s'était révélée aussi haletante que captivante, autant ici l'effet est totalement loupé. Cela se calme ensuite, mais pour s'en tenir à une mise en scène dépourvue de toute inventivité dès lors qu'elle renonce au tintamarre inepte. Certes les scènes se succèdent efficacement mais sans réel cachet, on a vraiment l'impression de se tenir face à une mécanique sans âme ni personnalité, en un mot devant un produit. Aucune scène ne suscite réellement l'enthousiasme, hormis le duel aérien, qui condescend à ralentir un tantinet le tempo et à décliner clairement ses péripéties afin de nous permettre de participer, et surtout, la scène de l'opéra. Tournée elle-même avec astuce et panache dans un style inspiré de l'art lyrique, cette scène domine le film comme a pu le faire la pétillante conversation dans le train de Casino Royale. L'espace d'un instant, on dispose comme d'une fenêtre ouverte sur la dimension mondiale du complot ourdi par Quantum, soit un plaisant écho du fascinant Empire du Mal jadis constitué par le SPECTRE (on pense aussi aux conspirations planétaires des univers SF de Tad Williams ou de Dan Simmons). Hélas, ce moment grisant passe très vite et l'on en revient à la réalité des adversaires présentés par le film, entre amateurisme achevé et dangerosité plus qu'improbable. Les discussions à la Miami Vice sur les quais d'un port crasseux ou les rendez-vous à la sécurité totalement déficiente confèrent une dimension proche du minable à l'Organisation, contrastant totalement avec des prétentions demeurant soigneusement virtuelles. Qu'a tramé au juste Quantum en Bolivie pour assurer une prise de pouvoir ? Le film se garde bien de le préciser un seul instant pour en demeurer à un flou des plus faciles. Cette impression de Pieds Nickelés de seconde zone se confirme avec la faiblesse des adversaires du jour (Greene et son tueur de pacotille) qui pas une seule seconde ne paraissent à la hauteur de 007 ou représenter une menace quelconque pour lui. Ils ne prennent pas une seule initiative et se contentent bien aimablement d'attendre ses attaques (idem pour la prétendue traque organisée par la CIA, des plus risibles). On suppose que Matthieu Amalric tente le second degré ou l'humour, mais clairement pas dans son emploi d'acteur de "films d'auteur", ne dégage rien et parvient à accomplir l'improbable exploit de créer un méchant encore plus faiblard que le Chiffre. Je pense que je vais très vite retrouver Red Grant et Kronsteen, en un temps où la série savait générer des adversaires de légende et non des loulous de banlieue. Cette insigne médiocrité se généralise malheureusement à l'ensemble des personnages secondaires. Voir M en proie à la panique ou dans le domaine privé n'apporte rien à la gloire d'un personnage qui se contente de passer les plats durant tout le film. On se demande vraiment quel intérêt Dame Judi Bench trouve à une version aussi faible que répétitive du rôle, et on craint fort d'en discerner la réponse. Mathis ne tient absolument pas les promesses de Casino Royale et se contente d'aligner les clichés les plus éculés, c'est bête à en pleurer. Olga Kurylenko demeure certes une femme superbe, mais hélas dépourvue du piquant et de l'aura d'une Eva Green. Elle interprète de surcroît effroyablement mal son personnage déjà peu relevé (un insipide succédané de Melina Havelock) et achève de le rendre totalement lisse et inintéressant. On comprend finalement sans mal que 007 n'ait pas tenté sa chance (une première dans la saga !) tandis que la scène de psychose du feu m'a franchement fait rire tellement elle résultait pitoyable. Olga fait plus carton rouge que Carte Noire ! Bien plus pétillante apparaît Gemma Arterton (quoique abusant de l'Oil of Olaz pour son maquillage). D'ailleurs le pas de deux de la très délurée Strawberry Fields avec Bond nous vaut l'une des rares scènes authentiquement 007 de Quantum of Solace, on l'apprécie comme une bouffée d'oxygène dans un marécage. Même si nous ne l'apercevons finalement que fort brièvement, nous ne l'oublierons certes pas car… Strawberry Fields Forever (oui, j'ai honte, parfois) ! L'ami Félix et son collègue à moustache demeurent insignifiants au dernier degré. Le très médiocre Wright reste bien le plus mauvais Leiter de la saga, son jeu se limitant à tirer une gueule particulièrement horripilante durant tout le film. Il y a là comme une capitalisation sur les prestations des excellents acteurs passés tout en les trahissant délibérément, qui affleure à l'odieux. Finalement cela vaut peut-être mieux que Q et la môme d'un sou ne soient pas de la partie, qui sait ce qu'en aurait fait ce film ? En fait, seul White continue à tirer son épingle du jeu, sa classe certaine promet un joli mano à mano final avec 007 lors de la conclusion de l'arc (il n'est pas interdit de rêver). L'intrigue demeure elle totalement linéaire et prévisible. Certains l'ont trouvée confuse, mais ce n'est pas que l'on ne comprend rien, c'est qu'il n'y a rien à comprendre. 007 se contente de poursuivre son enquête vaille que vaille au gré de rencontres de fortune, poussé par ce que l'on va nommer avec générosité son instinct. En fait il ne s'agit que d'une ligne narrative très faible, hautement prévisible et totalement stéréotypée, uniquement destinée à véhiculer les scènes d'action comme certains enfilent des perles. Il n'y a pas grand mystère là dedans, tout cela ne constitue pas un scénario mais un prétexte (la grève des scénaristes de 2007 n'a toutefois pas dû aider). De plus on observe des trous béants, ainsi on ne comprend pas pourquoi Bond n'interroge pas d'entrée Camille et abandonne en chemin un témoin aussi capital. C'est ridicule. 007 aligne les sauts d'un bout à l'autre de la planète avec une rapidité confinant à l'absurde, histoire de bien montrer l'argent. Le tout couronné à chaque fois par les petites scènes documentaires « prises sur le vif » qui vont bien, jusqu'à se perdre aux confins du pastiche. Rien ne pétille, et dès que se dissipe la frénésie jusqu'au-boutiste des scènes d'action tout devient pesant, ennuyeux, appliqué, voire mélo. Les clins d'œil aux fastes du passé demeurent certes plaisants, mais on se situe tout de même ici dans l'accessoire. Pour un récit visant au réalisme et au modernisme, on demeure confondu devant la ringardise absolue manifestée par la représentation d'un monde latino-américain comme figé à l'époque des Pinochet et autres Stroessner (sinon du Général Alcazar), occultant la grande évolution politique du continent. On en frémit pendant que l'on subit les poncifs des nuits tropicales. Ah ce bar si délicieusement typé, on ne croyait pas cela encore possible. Les effets pyrotechniques excessifs de la confrontation finale ne font pas illusion : l'ensemble demeure trop schématique et d'une facilité déconcertante pour 007 (Amalric à la hache c'est terrorisant au plus haut point...), on reste très loin de l'intensité dramatique des affrontements équivalents du passé. Quant à la scène de conclusion, elle se déroule au son des violons, aux antipodes des tags finaux si divertissants de jadis. Que c'est triste. Le générique et sa chanson apparaissent d'une faiblesse effrayante. J'ai bien aimé également la relégation en fin de parcours du Gunbarrel et de l'hymne de la série, comme un boulet qu'il faut encore traîner malgré tout. Les amateurs apprécieront la suprême élégance du geste. On peut débattre de la nécessité d'évoluer, le curseur ne semble tout de même poussé sacrément loin ! Alors ? Est-ce à dire que tout est à jeter dans Quantum of Solace ? Que nenni, car le film conserve un sacré atout dans sa manche : cet individu assez incroyable qu'est Daniel Craig. Il ne compose certes pas un James Bond selon notre cœur, mais bon Dieu quelle présence, quelle vitalité, quel charisme ! Il reste le seul élément du film à avoir suscité mon enthousiasme, mais pour le coup c'est sans restriction aucune tant ce superbe comédien accomplit un éblouissant numéro. Une fois que l'on a fait son deuil du 007 que l'on aimait tant (cela s'opère assez vite), on prend tout de même un vif plaisir à suivre ses agissements car il correspond idéalement au rôle ainsi défini. Le feu glacé de ses yeux, son côté minéral débouchant sur de vulcaniques irruptions, la rage qu'il sait effectivement laisser percevoir chez son personnage forcent l'admiration dans des proportions insoupçonnées. C'est bien grâce à lui et uniquement à lui que l'on doit finalement de conserver de l'intérêt durant la vision de Quantum of Solace, de loin le plus médiocre film de toute la saga. Avec lui, on est au spectacle tout simplement. De mémoire de spectateur, j'ai peu souvenir de films devant autant à leur interprète principal. Il serait insuffisant de dire qu'il tient le film à bout de bras, le film se résume de fait à une exhibition de sa fougue, de son talent, et de son éclat. Quantum of Solace c'est lui ; de tout le reste ne subsiste qu'un théâtre d'ombres. Le saut qualitatif opéré par rapport à sa déjà très solide prestation de Casino Royale demeure étonnant, et on enrage d'autant plus devant le sabotage frénétique de ses scènes d'action. C'est bien pour admirer de nouveau ce fauve solitaire et magnifique que j'irai voir les volets suivants, et aussi pour savoir qui se dissimule au sommet de Quantum car la scène de l'opéra m'a bien titillé l'esprit. Mais, par pitié, que les producteurs améliorent la qualité si défaillante de l'ensemble car sinon, malgré Craig, c'est de nouveau la plus vive des déceptions qui sera au rendez-vous. Il reste particulièrement périlleux qu'un film repose autant sur un unique acteur ! Si le box office de 586 millions de dollars fut très confortable au film, son succès est légèrement minorisé par la nouvelle hausse du budget s'élevant à 200 millions de dollars (contre 150). En France, le public reconduisit Bond et son interprète avec 3 722 798 entrées contre 3 182 602. Grands moments de la Saga James Bond : Abandonné
Les plus belles courses-poursuites : Aston DBS Scénario : Neal Purvis, Robert Wade & John Logan - A radio and a gun. Not exactly Christmas, is it ? Le 23 octobre 2012, en présence du Prince de Galles et de la Duchesse de Cornouailles, le public londonien découvre Skyfall, vingt-troisième opus d’une épopée dont il marque le cinquantenaire. Un évènement suscitant une attente toute particulière par le long délai écoulé depuis Quantum of Solace du fait de péripéties financières aux allures de thriller, mais surtout par les inquiétudes suscitées par la consternante vacuité de ce précédent film. Au moment de franchir le cap du demi-siècle, la plus durable et prestigieuse saga du cinéma mondial allait-elle parvenir à rebondir, ou au contraire confirmer son épuisement ? Après un regret certain devant l’absence maintenue du mythique Gunbarrel en début de projection, on constate que l’on débute comme précédemment par l’exercice de style de la poursuite échevelée, spectaculaire jusqu’à plus soif. S’impose donc un manque d’inventivité certain, on observait tout de même plus de variété naguère. On remarque également une nouvelle exagération dans l’effet visuel vain avec cette séquence de moto-cross sur toit, aux lisières du ridicule. Pour aggraver le tout, on subit un large abus d’insertions publicitaires pour divers produits dont une marque de bière bien connue sévissant depuis quelques temps déjà comme breuvage d’adoption de notre héros. Tout Skyfall s’avèrera d’ailleurs pollué par un niveau critique d’irradiation publicitaire. On se dit tout cela et puis… Et puis on se laisse emporter. En effet, la séquence ne cesse de croître en intérêt et de devenir toujours plus authentiquement épique, tout en introduisant plusieurs des thématiques assurant le succès du film, comme l’humour sur la forme (avec le déjà plaisant marivaudage en compagnie de Moneypenny) et la gravité sur le fond (avec les choix sans retour de M). Toute la partie ferroviaire coupe le souffle par son inventivité, tandis qu’un terrible duel à mort contre un tueur de haut vol à bord d’un train turc évoque déjà de grands souvenirs. Le montage se révèle parfait et l’on comprend parfaitement le déroulement de l’action en cours, contrairement au fiasco de l’ouverture de Quantum of Solace. L’enthousiasme s’accentue encore à la découverte du fastueux générique, encore sublimé par la voix si riche et pénétrante d’Adèle, lors d’une chanson renouant avec les accents de naguère. Il constitue un astucieux et superbe album d’images admirées lors de génériques précédents, un choix des plus judicieux à l’occasion du cinquantenaire. Cela ne l’empêche d’ailleurs pas de développer sa propre identité avec sa composante mortuaire tendance Silent Hill. Retrouvailles des classiques jointes à une écriture originale, on retrouve ici la clé de la réussite de Skyfall. L’ultime intérêt de ce générique demeure d’introduire le saut qualitatif opéré vis-à-vis de son improbable équivalent de Quantum of Solace ; là comme ailleurs, Skyfall marque une conséquente correction de trajectoire. Mais ce qui achève d’emporter l’adhésion demeure l’histoire que nous découvrons après cette appétissante mise en bouche, prenant l’exact contre-pied de l’opus précédent. On en termine avec la multiplication excessive et frénétique des virées à travers la planète tenant lieu de scénario. Hormis la séquence initiale, 007 ne quitte la Grande-Bretagne que pour l’inévitable Chine, nouvel Eldorado des producteurs, à la puissance de laquelle le film rend d’ailleurs un vibrant hommage. La vision donnée du Nouvel Empire résulte entière empreinte de modernité, même si reprenant l’esthétique des Cyberpunks des années 80 autour du Japon technologique. On se situe aux antipodes de l’évocation percluse de clichés antédiluviens que commettait Quantum of Solace à propos de l’Amérique latine. On remarque ensuite un total abandon en rase campagne de la problématique développée lors de l’arc Casino Royale/Quantum of Solace, à savoir cette fameuse et éminemment fumeuse organisation Quantum. Un aveu en creux de l’inanité du concept et de son développement. Au lieu d‘une chasse inepte et déstructurée, Skyfall nous propose un récit nettement plus concentré, linéaire, et nerveux. Certes cette histoire de vengeance ne déroge pas d’un certain classicisme, c’était d’ailleurs peu ou prou ce que nous narrait déjà GoldenEye, le film visant d’ailleurs la même résonnance que l’arrivée en fanfare des années Brosnan. Mais à tout prendre, on préférera toujours une histoire compréhensible et astucieuse, aux prenants tenants et aboutissants, à du brassage d’air passablement prétentieux. Neal Purvis et Robert Wade, à l'écriture de 007 depuis Le Monde ne suffit pas, retrouvent la solidité du récit Bondien tandis que l'arrivée du scénariste et auteur de théâtre John Logan (et grand ami de Mendes), brillant créateur de personnages tourmentés et ardents, est une considérable addition. Parallèlement au captivant duel opposant 007 à Silva, le récit joue avec talent la carte de la célébration du cinquantenaire. Il multiplie les clins d’œil aux riches heures du passé, avec évidemment comme pinacle la survenue de la mythique DB5 et la reconstitution de l’Universal Exports des années Connery. On apprécie vivement que l’Aston Martin se ne positionne pas uniquement comme une référence mais qu’elle participe activement à l’action, avec à la clef une fin digne d’une guerrière (même si nous la reverrons un jour ou l’autre, nous sommes d’accord). On pourrait débusquer une relative contradiction de trame temporelle à la voir sortir de scène juste avant que le film recrée le décor des Sixties autour de Bond, mais comme l’a affirmé un spécialiste du sujet apparu sur les écrans anglais peu après James Bond, la trame du Temps n’est pas linéaire. De manière encore davantage stimulante, Skyfall jette un regard rétrospectif et critique sur un Bond désormais âgé d’un demi-siècle, ainsi que sur sa place dans un monde évolutif, post guerre froide, désormais intimement pénétré, sinon dominé, par la cyber-sphère, et où l’Occident ne figure plus comme centre de gravité. Le procès en obsolescence mené contre James Bond apparaît d’une force étonnante, notamment grâce à l’emblématique héraut (sinon héros) des temps modernes que représente un Silva dominant longtemps outrageusement les débats. C’est au prix de cette mise en perspective parfois douloureuse que l’on apprécie à sa juste valeur le retour en grâce d’un héros humanisé, et, à l’image de la saga elle même, puisant la justification de son existence en retrouvant ses fondamentaux. Un homme d’action impitoyable mais non unidimensionnel, à l’identité britannique réaffirmée. Cette humanisation passe par le développement inédit de l’historique personnel, l’acceptation des failles, mais aussi la découverte de l’humour (y compris autocritique), trop absent précédemment. Daniel Craig se révèle absolument parfait dans l’expression de ce Bond moins marmoréen mais toujours si convaincant dans les scènes de combat. Le Terminator blond a fendu l’armure. Skyfall redécouvre également des vérités demeurées inaltérables au fil du temps. Ainsi un homme d’action doit s’insérer au sein d’un relationnel permettant de ne pas le réduire à un simple concept, en développant sa dimension humaine. La résurgence de Q et de Miss Moneypenny tombe à pic pour le cinquantenaire et ravira les nostalgiques, mais leur intérêt va par conséquent bien au-delà. On apprécie vivement que les auteurs ne tombent pas dans la facilité à propos de Q en refusant le poncif du Geek juvénile et amusant, si popularisé depuis le Ringo des Bandits Solitaires. Q représente une plaisante énigme, introverti, assuré, mais capable d’un humour à froid fort délectable. Ben Whishaw, un des meilleurs comédiens de théâtre anglais de sa génération, lui apporte une vraie présence, tandis que le minimalisme dépourvu de folklore des gadgets réaffirme la modernité du film, tout en conservant l’essentiel. La nouvelle Miss Moneypenny, interprétée avec un remarquable naturel et un indéniable charme par la sublime Naomie Harris, réussit également haut-la-main son examen de passage, avec toutefois une réserve. Le personnage se montre globalement convaincant dans les scènes d’action tandis qu’elle ne fait finalement qu’appliquer un ordre discutable de M. On ne se situe pas du tout dans la prise de pose et le surjoué permanent caractérisant Jinx, la précédente femme d‘action faisant équipe avec 007. Or, on a beau apprécier le clin d'œil d’Universal Exports, et les auteurs ont beau prendre quelques précautions oratoires, on reste néanmoins avec l’impression qu’il existe un travail d’homme et un de femme, en l’occurrence le secrétariat. Cathy Gale est apparue en 1962, Purdey en 1976, Sydney Bristow en 2001... Nous sommes en 2012 et un demi-siècle après Dr. No, il nous est toujours impossible de découvrir un Agent Double Zéro du beau sexe, solide et crédible. Il existe ici un plafond de verre que la saga ne parvient décidément pas à briser, c’est frustrant. Pour le coup, on renoue derechef avec le passé, mais il s’agit du machisme épais et difficilement regardable aujourd’hui des années Connery. Mais le courant passe à l’évidence parfaitement entre Naomie Harris et Daniel Craig, les répliques font mouche comme au bon vieux temps. Après cette maladresse initiale, le duo devrait nous ravir à l’avenir. Les amateurs des Avengers apprécieront le retour de Rory Kinnear, fils du pittoresque Roy, dans le rôle du sympathique Bill Tanner. De même, après n’avoir pas été dans son emploi pour le rôle de John Steed, Ralph Fiennes s’avère remarquablement pertinent dans celui du futur nouveau M, héritier direct de celui de Bernard Lee. Il se montre d’ailleurs presque trop performant : son adéquation au rôle saute si immédiatement aux yeux que l’on pressent d’emblée que Skyfall, d’une manière ou d’une autre, signifiera le départ de Dame Judi Dench. Ce panorama d’ensemble du petit monde retrouvé de 007 se montre d’autant plus remarquable que l’on ressent fortement que chacun de ses membres a encore bien des choses à nous raconter ; il ne s’agit encore que d’une prometteuse prise de contact. Cependant Skyfall accorde fort judicieusement une place centrale au M de Judi Dench. L’actrice s’est toujours montrée formidable de présence, mais l’écriture du personnage n’a pas toujours convaincu. Il n’apparaissait ainsi pas utile ou pertinent de montrer M dans son intimité. Mais la saga a l’heureuse idée d’avoir réservé le meilleur chapitre de cette histoire pour sa conclusion. La même introspection douloureuse frappant Bond s’exerce également sur sa supérieure, avec sans doute davantage de force encore. Les confrontations entre elle et son protégé, mais aussi avec Silva, développent une remarquable intensité et de cinglantes répliques. Sa mort aurait pu relever du mauvais pathos, mais le talent des acteurs suscite une véritable émotion. Malgré ses erreurs, assumées, M force l’admiration par son courage obstiné évoquant effectivement Churchill. On espère que, tout comme pour Bernard Lee, on retrouvera son portrait dans les locaux d’Universal Exports. Le domaine, fondamental, où Skyfall tire le plus manifestement les leçons de l’étiage de la saga que constitua Quantum of Solace, réside dans la personnalité de l’adversaire du jour. Oubliés la désespérante transparence de Greene ou le contresens absolu du choix d’Amalric, Javier Bardem se montre absolument immense dans l’incarnation d’un Silva enthousiasmant en tous points. En parfaite cohérence avec le projet d’ensemble du film, Silva renoue avec les riches heures des Esprits diaboliques de naguère. Ah, cette arrivée en ascenseur, tout comme Fantômas... Mais il apparaît par ailleurs tellement contemporain qu’il manque de ringardiser 007, une revanche ultime pour tous ses prédécesseurs. Il opère quelques magistraux contrepoints comme la prévisible séance de torture tendance Chiffre virant à l’affrontement psychologique, sinon au marivaudage gay assez désopilant. Bardem interprète avec une rare expressivité le tempérament extraverti, faussement débonnaire, mais profondément sociopathe, du délectable individu. Ses dialogues sont ciselés à l’or fin, notamment lors de cette formidable histoire du tonneau de rats, une charmante fable animalière, La Fontaine aurait adoré. Du méchant de très haut niveau, avec une obsession envers M bien plus marquante que celle pourtant remarquablement exprimée par la douce Elektra King. On regrettera l’absence du traditionnel tueur surdoué, tranchante épée du Big Bad (Patrice reste une silhouette), mais Skyfall, déjà long et rempli jusqu’à la gueule, évite le travers de faire endosser le rôle à Silva. Par contre, les hommes de main tombent comme des mouches et s’avèrent à peu près nuls, tout comme à la grande époque de Blofeld. Tout au long du cinquantenaire, les films de Bond ont souvent manifesté un opportunisme certain, cherchant à coller à l’air du temps, de Star Wars aux récits de cocaïne sud-américaine. Skyfall ne déroge certes pas à la règle, à un degré pour le moins marqué : Bond est un sombre héros, marqué par le traumatisme de la mort violente de ses parents, survenue durant son enfance et l’ayant marqué à vie. Il opère dans une ville à l’identité aussi marquée que Londres et dispose de l’imposant manoir familial gothique, agrémenté d'un vieux serviteur britannique, aux souterrains des plus précieux. Il doit affronter un psychopathe extraverti, très doué en matière d’humour morbide et de crimes spectaculaires, défiguré par un produit chimique, auquel le lie une relation antagoniste très personnelle. Le Bond cuvée 2012 est un Batman insulaire luttant contre une excellente version du Joker. D’ailleurs il est patent que Bardem vise une performance à la Heath Ledger. Que les producteurs cherchent à embaucher Nolan résonne plus comme une confirmation qu’autre chose. Cet aspect n’apparaît d’ailleurs pas comme une faiblesse pour Skyfall, il devient même tout à fait ludique dès lors qu’il est perçu. D’après le calendrier, la prochaine fois 007 devrait arborer du bleu et du rouge, se baser au Pôle Nord, et développer une phobie pour le vert. La réalisation simultanément spectaculaire et subtile de Sam Mendes s’impose comme l’un des atouts majeurs du film. Il s’entend à accompagner les acteurs au plus près, à réaliser un authentique travail de mise en scène théâtrale, au meilleur sens du terme, et à mettre en valeur les divers superbes sites visités. Les scènes d’action se révèlent aussi spectaculaires que l’on peut le souhaiter, au montage toujours ad hoc et sans subir une invasion trop massique d’images générées par ordinateur. J’ai particulièrement raffolé des petites touches d’humour distancié idéalement insérées (notamment à bord du train puis du métro), cela pourrait être du parfait Roger Moore. Tout le final aux allures de Western, très à la Noon Doomsday des Avengers, se révèle également somptueusement filmé. Mendes prend également d’insérer de jolis clins d’œil à l’historique de 007, sans le moins du monde tirer à la ligne. On apprécie la présence plus prégnante qu’à l’ordinaire de Londres (cette fois non fluvial, mais centré sur White Hall), mais aussi le choix de lieux originaux au sein de la saga. La bien réelle île désertée d’Hashima fait très Walking Dead, constituant un écrin à la démesure de Silva. Le choix de l’Écosse comme emplacement de Skyfall peut se lire comme un bel hommage au très scottish (et valeureux patriote désintéressé) Sean Connery, dont la grande ombre recouvre l’ensemble du film. Les amateurs du Saint se plairont à reconnaitre le superbe site de Glen Coe, déjà usité par Sir Roger Moore mais pour figurer… Le Pays de Galles (The Man Who Could Not Die, très James Bond comme titre). Le charme des Sixties... Cependant tout n’est pas parfait dans Skyfall. On y regrettera notamment le sort réservé à la gent féminine. En effet, à côté d’une Miss Moneypenny reléguée volontaire à la machine à écrire, on trouve comme Bond Girl qu’une Andréa Anders au petit pied, en la personne de Sévérine. Alors que les dialogues, humoristiques ou dramatiques, crépitent durant tout le film, la déjà limitée Bérénice Marlohe ne dispose que d’échanges consternants à force de mélodrame ronflant. Tout cela détonne, les confrontations avec Bond ne dégageant absolument rien, mais fort heureusement ne se prolongent pas. On se demande quel est l’intérêt réel du personnage hormis de souligner pesamment le sadisme de Silva et d’éviter à tout prix un 007 chaste ne faisant pas étalage de sa proverbiale virilité (la chasteté n’étant permise, sinon recommandée, qu’aux héros disposant d’une boite bleue magique). Encore une fois, il serait positif que la saga renonçât aux simili mannequins pour retenir de vraies actrices. De manière plus gênante encore, le scénario manifeste quelques faiblesses et lacunes. L’intrigue glisse ainsi totalement sur le fait que la fameuse (et tout à fait improbable) liste fatidique soit encore dans la nature. À quoi bon monter toute une première moitié d’intrigue là-dessus pour ensuite abandonner totalement le sujet ? De même, la caméra se détourne bien opportunément et pudiquement lorsque Silva s’extraie de sa cage et triomphe de ses gardes, on se demande bien comment. La prise d’assaut du bâtiment officiel reste tout de même vite expédiée, on éprouve de la réticence à accepter que cela soit aussi simple. Le coup de la CIA connaissant parfaitement le parcours du tueur ou 007 extrayant des morceaux de balle de son torse des jours après, cela reste aussi du bel ouvrage en raccourcis scénaristiques. Qu’importent ces quelques réserves, Skyfall est le film du renouveau que l’on espérait après la cinglante déception de Quantum of Solace. La saga a su tirer les leçons de ses errements passés et se recréer en retrouvant à la fois son socle historique (saisissant retour aux origines du mythe à l’époque Connery) tout en s’inscrivant dans la modernité (le monde à néanmoins changé, de même que la Grande-Bretagne). Ainsi redynamisé et ses assises retrouvées, 007 (comme ses admirateurs) peut de nouveau considérer l’avenir avec optimisme. D’ailleurs Skyfall s'achève éloquemment en réaffirmant le retour prochain de Bond, tout comme durant cette grande époque dont il a su retrouver le lustre. Les critiques ne s'y sont pas trompés, le film emportant un succès quasi unanime, mais aussi le public, car Skyfall demeure bien le Bond de tous les records : pour un budget de 200 millions de dollars, la saga explose les compteurs en dépassant le milliard de recettes (1.108 milliard pour être plus précis), quasiment le double du record détenu par Casino Royale ! Cette explosion se retrouve dans le box-office français car dépassant le record détenu depuis Goldfinger, avec 7 003 902 entrées ! Un succès très supérieur au film précédent et ses 3 722 798 entrées, également près du double ! Grands moments de la Saga James Bond : Bond dans le viseur
Scénario : John Logan et Neal Purvis & Robert Wade et Jez Butterworth, d'après une histoire de John Logan et Neal Purvis & Robert Wade SPECTRE avait comme tâche délicate de succéder à l’immense succès public et critique de Skyfall. Force est de constater que, s’il demeure divertissant et dans la lignée de ce précédent opus de la saga, le film demeure inférieur car présentant plusieurs faiblesses non négligeables, évoquant parfois au contraire Quantum of Solace. Ainsi le scénario résulte réellement minimaliste, se résumant pour l’essentiel à un jeu de pistes linéaire au possible, débouchant sur une double confrontation avec l’antagoniste du jour, point final. Pour 2h30 de film, le bilan résulte bien maigre, même s’il faut reconnaître que ce type d’intrigue fleure bon les séries d’aventures des années 60 (on songe notamment au Saint), un agréable effet rétroviseur accentué par les nombreux clins d’œil insérés au fil du récit au 007 de la grande époque (élément parfaitement dosé, jamais invasif). Par la tonicité de son montage et son abondance de péripéties, toute cette première grande partie du film apparaît certes plus prenante que le pensum vécu lors de Quantum of Solace. Malgré tout, la multiplicité des lieux d’action vire ici aussi au catalogue touristique (Mexico, Londres, Rome, l’Autriche, le Maroc, le Sahara…), dont l’accumulation à en donner le tournis vise à pallier à l’indigence du scénario. On préfère décidément le parti pris de Skyfall de limiter le nombre d’emplacements visités mais aussi de s’y attarder pour en distiller davantage l’atmosphère, comme en Écosse. Cette simplicité de l’intrigue la protège néanmoins des errements observés dans celle, davantage complexe, de Skyfall, comme cette fatale liste d’agents dont on se rend soudain compte que plus personne ne se soucie, entre autres exemples. Cette robustesse n’exempte pas l’histoire d'autres défauts. Ainsi les scènes sentencieuses résultent trop nombreuses, détonnant dans l’entrain général. Il en va ainsi de Madeleine et des vacances avec son père, de la scène de la météorite, ou encore du dialogue déclamatoire entre M et C sur la démocratie. Autant d’éléments que l’on aurait pu insérer à travers les situations et l’interprétation en faisant confiance à l’intelligence du spectateur, plutôt que via des échanges ronflants ou larmoyants. L’humour se voit également parfois employé à contretemps. Lors de l’effondrement du bâtiment, le gag de 007 tombant sur le canapé nuit à l’intensité du moment (en plus de conférer à l’ensemble comme un air de générique décalé des Simpson). L’humour peut prendre place dans bien des situations, il n’était donc pas obligatoire, ni sans doute judicieux, de dynamiter la séquence des gadgets automobiles. Cela gâche surtout le plaisir de retrouver une séquence culte du rituel 007, soit l’un des points forts du film. Durant cette scène de poursuite, la conversation téléphonique avec Moneypenny s’étire trop, jusqu’à diluer l’intensité. Et puis on se demande bien à quoi rime au juste cette séquence, voir Bond fuir devant un seul adversaire, aussi massif soit-il, ne constitue pas le moment le plus stimulant de la saga. L’un des atouts maîtres de l’opus réside dans la mise en scène de Sam Mendes, celui-ci manifestant le même sens de l’image et de la théâtralité élégante que dans Skyfall. Chaque plan se voit fignolé à la perfection sans que cela nuise à son dynamisme. On retiendra notamment l'élégant plan-séquence initial de cinq minutes, véritablement impressionnant et lançant idéalement le film. Tout juste peut-on regretter que cette impressionnante partie au sol de la scène d’introduction cède trop vite à la place à un combat en hélicoptère jouant plus la carte de l’énergie que de la savante chorégraphie des adversaires. Mendes sait également rendre moins envahissant le placement des produits que lors des derniers opus (pas de cageot de bouteilles de bière occupant tout l’écran). Outre les panoramas naturels, le film bénéficie également de décors magnifiques contribuant puissamment à l’ambiance. On ne retrouve pas le design absolu de Ken Adam mais l’on s’en rapproche parfois, notamment dans le quartier général de Blofeld, ou dans le palais romain. Même si la chanson de Sam Smith résulte fatalement plus fade que celle d’Adèle (quoique pas désagréable à écouter en soi), le reste de la bande-son se montre somptueux et plaisamment varié, avec une mention spéciale pour Verdi. Au sein de ce film poursuivant la brillante recréation entreprise par Skyfall de l’atmosphère des films 60’s, on apprécie qu’une modernisation bienvenue se voit néanmoins apportée à la petite équipe (famille) d’Universal Exports. M, Q, Moneypenny, et le quatrième larron s’affranchissent ainsi de leurs rôles traditionnellement en marge du récit principal. Ici le Quatuor participe pleinement à l’action aux côtés de 007. Ce mouvement n’est pas contradictoire avec la restauration de l’époque Connery, cela l’améliore. C’est d’autant plus vrai que tous les acteurs, déjà rodés, possèdent admirablement leurs personnages. Ralph Fiennes s’impose décidément comme un M savoureux, auquel l’émouvante réapparition fugitive de sa devancière ne nuit aucunement. On apprécie en particulier de retrouver Moneypenny dans l’action, cela rattrape l’une des rares images malheureuses de Skyfall quand elle déclarait être plus à sa place au secrétariat. La seule petite réserve concerne Q, son côté énigmatique manifesté lors de Skyfall s’évanouit au profit d’une figure proche du geek informaticien au côté du héros, mais il conserve assez de personnalité pour que cela ne nuise pas véritablement. Comme à d’autres moments du film (les policiers matérialisés immédiatement autour de l’hélicoptère...), une scène semble avoir été coupée, la révélation des libertés prises par Q et Moneypenny ne semblant provoquer aucune réaction chez M, ce qui pousse tout de même le bouchon un peu loin. Mais qu’importe, l’équipe résulte attachante et solidement en place, un atout maître pour SPECTRE et un support efficace pour le prochain opus, y compris après le départ de Craig. Un départ que l’on souhaite d’ailleurs le plus tardif possible tant l’acteur manifeste désormais une parfaite maîtrise du rôle, les progrès accomplis depuis le Bond un tantinet trop rigide de Casino Royale se montrant frappants. Aussi à l’aise dans l’action que dans l’ironie à froid, classieux au possible mais prédateur absolu, Craig crève littéralement l’écran, faisant songer à un Connery ayant su gagner en humour et en humanité sans rien céder sur son aura d’homme action et de tueur implacable. On apprécie également la complicité qu’il instaure avec ses différents partenaires, sans jamais tenter de capturer une scène à son seul profit ; du talent, mais aussi de l’élégance. Après une telle démonstration, il serait dommageable au possible que l’acteur ne rempile pas pour au moins un film supplémentaire, même si l’ultime scène du film offrirait une conclusion idéale pour sa saga personnelle. On doit constater un panorama plus contrasté concernant les Bond Girls du jour. L’apparition de la sensuelle Estrella éveille bien des regrets car si éphémère. Mais l’on ressent bien plus douloureusement cette situation à propos de Monica Bellucci, autour de laquelle la production aura tant et tant communiqué avec cynisme. Son rôle est si restreint, en dialogues comme en minutes à l’écran, qu’il parvient à se montrer encore moins substantiel que celui de Bérénice Marlohe dans Skyfall, une espèce de performance, on converge vers des records. L’actrice joue impeccablement une partition dépourvue d’intérêt. De plus, le numéro de la veuve condamnée au trépas et résignée suscitera une sensation de déjà-vu pour les amateurs de séries anglaises oldies car on avait exactement la même situation lors de l’ouverture de l’épisode Minuit moins huit kilomètres d’Amicalement vôtre. Roger Moore n’arborant pas encore le smoking de 007, la dame y était restée, un problème d’agenda. La situation s’améliore du tout au tout avec la Madeleine de l’impeccable Léa Seydoux, la meilleure surprise du film. Divine en robe hollywoodienne ou très à l’aise dans l’action, elle apporte une crédibilité précieuse à Madeleine, partenaire idéale du 007 de Craig car ayant elle aussi connu une modernisation bienvenue vis-à-vis des personnages féminins des films de Connery, souvent marqués par un machisme épais. On apprécie qu’elle participe aux combats mais aussi de manière relativement réaliste, sans se muer d’un coup en super héroïne. Le personnage séduit, mais ne prive toutefois pas Vesper de sa couronne de meilleure Bond Girl d’une ère Craig décidément marquée par les actrices françaises. On préfère légèrement la prestation d’Eva Green, et surtout, Madeleine se montre totalement positive, donc quelque peu unidimensionnelle face à la troublante Vesper. Quoiqu’il en soit, Léa Seydoux aura confirmé à quel point une authentique actrice signifie un atout pour un 007, une démonstration réalisée en creux ces dernières années. Malheureusement, SPECTRE échoue sur un domaine-clé des aventures de James Bond, hier comme aujourd’hui : la figure de l’antagoniste. Non pas que Christopher Waltz ait réalisé une prestation médiocre ou que son Blofeld manquât totalement d’intérêt. Le problème réside dans l’approche de son personnage, comme du SPECTRE lui-même. On aime que la folie de Blofeld se manifeste de manière froide et non extravertie, à l’image d’un Drax ayant gagné en humour malicieux, un élément qui se répercute sur son environnement aseptisé et sa salle de torture d’un high-tech chirurgical. Hélas, Blofeld occupe trop peu de place à l’écran et sa caractérisation ne se voit pas assez développée, une conséquence du temps imparti à la trop longue chasse au trésor initiale. Il reste judicieux que le film ait créé son propre Blofeld sans décalquer l’un des précédents (même si les fondamentaux des esprits diaboliques de la saga répondent tous à l’appel), mais il faut alors se donner les moyens de ses ambitions. Cette version pince-sans-rire et perverse du Numéro 1 ne dispose pas d’assez de temps pour réellement imprimer l’écran, d’autant que tout repose sur la seule séquence du désert : la séquence romaine est très brève et le duel final n’est qu’une redite sans valeur ajoutée. Il fallait d’autant plus accorder un espace suffisant à Blofeld qu’il doit subir de plein fouet le problème affronté par l’ensemble du film, l’inévitable comparaison avec Skyfall, et dans un domaine où ce dernier opus a particulièrement brillé, avec l’hallucinante prestation de Bardem et son personnage vertigineux. Or les auteurs sortent du chapeau une histoire familiale entre Blofeld et Bond, qui se montre destructrice de ce point de vue. Non seulement cette gesticulation ne sert à rien, confronter derechef 007 à sa Némésis suffisant largement à électriser les débats, mais de plus elle porte à son paroxysme le parallèle entre les deux films. Bond et Silva étant deux fils spirituels rivaux de M, ce dernier et Blofeld instaurent avec 007 la même parentèle que Caïn à Abel, ce qui ne peut que souligner la différence de dimension entre les deux relations intimes antagonistes de 007, fondatrice dans un cas, gadget dans l’autre. De plus, non, on ne passe pas les menottes et on ne lit pas ses droits à un personnage de la dimension de Blofeld. Ou il périt, ou il s’enfuit en ruminant sa revanche (voire un mix des deux avec un faux trépas), mais au grand jamais il ne doit être traité comme un criminel ordinaire. On commence comme ça, et cela se termine par des histoires de recherche d’amnistie. Cette approche insatisfaisante se retrouve pour le SPECTRE lui-même. Le générique, visuellement très réussi (voire irrésistiblement lovecraftien pour les amateurs du Maître de Providence), au gunbarrel enfin à sa juste place, nous promettait une organisation maléfique tentaculaire, visant la domination mondiale, soit celui de naguère. Or, à l’instar de Quantum of Solace, on ne ressent cela que dans une unique scène, celle de Rome. Pour le reste, comment se manifeste le SPECTRE ? En organisant quelques attentats, c’est-à-dire en se fondant dans le triste et banal quotidien de notre époque, ou en procédant à la corruption d’un programme non bâti par lui, mais par les États. On ne trouve nulle part trace des projets plus grands que la vie qui animaient les films des années Connery, le dessinant comme une tierce force à égalité avec les superpuissances atomiques. Même le QG n’est pas surdimensionné jusqu’à un délire jouissif. De ce point de vue, le projet de reconstitution de cette époque demeurera incomplet. En corollaire, Blofeld n’est pas loin de se faire parfois voler la vedette par C, interprété par le fabuleux Andrew Scott, le Moriarty du Sherlock de Steven Moffat et Mark Gatiss, dont il retrouve bien des similitudes. Blofeld a beau énoncer qu’il est le tireur de ficelles derrière les différents adversaires croisés par 007, cela ne s’articule jamais en un Maître Plan structuré et cohérent qui apporterait un souffle supplémentaire au film. On en reste à une affirmation gratuite, le SPECTRE devient ici un fantôme. Malgré cette importante faiblesse et un scénario relevant de l’épure, SPECTRE parvient, sinon à égaler Skyfall, du moins à hautement divertir le spectateur, porté par une mise en scène talentueuse et des personnages attachants voire enthousiasmants, à commencer par le 007 de Daniel Craig, désormais dans sa plénitude, et que l’on espère retrouver un jour prochain. Ce succès global mais pas aussi affirmatif que le précédent se dessina au box-office. Alors que le budget augmente encore - le montant en est curieusement inconnu, bien qu'oscillant entre 250 et 300 millions de dollars - il ne rapporta "que" près de 874 millions de dollars, soit une décrue indéniable, mais encore loin devant de Casino Royale et de Quantum of Solace. Décrue visible en France où le film chute à 4 978 710 entrées, ce qui reste un très bon score pour un 007, mais loin derrière les 7 003 902 entrées du précédent. Les plus belles courses-poursuites : Aston Martin DB10 Crédits photo : Sony Pictures.
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Classement James Bond du meilleur au pire - Estuaire44 1) Bons baisers de Russie : Le film tient toutes les promesses perceptibles dès Docteur No tout en achevant de mettre en place l’univers cinématographique de James Bond. Le mythique SPECTRE est pleinement révélé, nous valant une brochette absolument exceptionnelle d’antagonistes, la quintessence des 60’s de ce point de vue. Le récit revêt la forme d’un passionnant périple exotique, pimenté par la beauté des paysages, d’époustouflantes scènes d’action, et la complicité canaille entre 007 et Ali Kerim Bey. Le charme de Tatiana Romanova éclate a chaque image, tandis que la belle participe davantage à l’action qu’Honey Rider. Connery confirme sa vitalité et son charisme hors normes au cours de la plus inoubliable des aventures de James Bond. 2) Goldfinger : Le formidable partenariat entre l’extraverti Goldfinger et le mutique Oddjob grave dans le marbre le duo « génie du mal/tueur invincible » qui va imprimer sa marque à la saga. Les scènes cultes abondent tandis que la DB5 devient d’emblée le véhicule définitif de James. Le scénario place astucieusement James Bond dans une situation délicate, ce qui accroît encore le suspense. Avec Pussy Galore, Honor Blackman campe sans doute la plus marquante des Bond Girls, avec l’atout supplémentaire d’un écho de la personnalité bien trempée de Mrs Catherine Gale, première partenaire féminine de John Steed. L’association avec Connery fonctionne parfaitement, mais on peut regretter que Pussy perde tout intérêt dès lors qu’elle est séduite par Bond. 3) On ne vit que deux fois : L‘archipel nippon apporte une précieuse spécificité à cette aventure de 007, entre passionnante relation de l’émergence du Japon technologique, exotisme joliment rendu dès le magnifique générique, ou solidarité insulaire manifestement ressentie par Ian Fleming et exprimée par la complicité entre Tanaka et Bond. La bataille aérienne ou le mémorable assaut de la base du SPECTRE composent de superbes morceaux de bravoure. Les James Bond Girls locales résultent absolument charmantes. Donald Pleasence nous offre la version la plus grandiose de Blofeld, demeurée la plus remémorée au fil du temps, tandis que son organisation figure au faîte de sa puissance. Il demeure toutefois assez seul, ses sbires paraissant peu relevés. 4) L'Espion qui m'aimait : Le film demeure sans doute le plus réussi de l'ère Roger Moore. Entre Égypte antique et univers marin, il sait multiplier les images spectaculaires et dépaysantes. Moore forme un parfait duo avec Barbara Bach. La robe de soirée d’Anya Amasova demeure inoubliable tandis que le charme féminin se voit également dignement représenté par les apparitions de Caroline Munro et de Valerie Leon. Plusieurs grandes scènes d’action complètent également le spectacle, l’assaut du bateau amiral de Stromberg s’imposant comme un modèle du genre, et Jaws se hissant d’emblée à la hauteur des meilleurs adversaires de 007. Comme génie du mal, Curd Jürgens apparaît toutefois un peu éteint. 5) Skyfall : Parfaitement ajusté au cinquantenaire de la saga, le film poursuit le parcours du 007 de Craig tout en l’entremêlant habilement au petit monde de l’Universal Exports des débuts. Au-delà des clins d’œil au passé, les différents personnages (tonique Moneypenny, transition d’un M à l’autre...) se voient bien gérés tout au long d’une aventure très rythmée. Javier Bardem campe un fascinant adversaire, le plus notable depuis longtemps. Les impressionnantes localisations (Glen Coe, Hashima, Londres...) rehaussent les débats. Quelques faiblesses transparaissent dans le scénario mais Skyfall présente l’immense mérite de remettre James Bond en selle après le fiasco de Quantum of Solace. 6) Permis de tuer : Le film donne la part belle au talent de Timothy Dalton, sans doute l’interprète de James Bond à la palette la plus riche. Placer 007 en rupture de ban renouvelle agréablement la saga même si le récit relativise quelque peu cet élément au fur et à mesure de sa progression. Q répond d’ailleurs à l’appel, avec cette fois une savoureuse participation approfondie à l’aventure. Le film surfe un peu trop sur l’air du temps (passages très Miami Vice) mais compte de spectaculaires scènes d’action, dont le mémorable final. Le méchant, impeccablement incarné par Robert Davi, se montre suffisamment complexe pour encore hausser les débats. 7) GoldenEye : Le film parvient à relancer la saga après un long hiatus tout en plaçant en orbite Pierce Brosnan dans le rôle de James Bond. Outre de nombreuses scènes particulièrement spectaculaires, son succès se base sur un scénario astucieux, la description de la Russie post-soviétique insérant le film dans la modernité de 1995. Le film vieillit bien grâce au talent de Brosnan, mais aussi par sa galerie très réussie de seconds rôles. Les vilains se montrent en particuliers fort gouleyants, élément clef d’un James Bond réussi. Les images de synthèse entrent en scène de manière réussie, leur surenchère ne deviendra vraiment gênante que par la suite. 8) Opération Tonnerre : Comme la plupart des films de Sean Connery, celui-ci bénéficie de l’atmosphère unique des Sixties, si propice aux récits d’aventures. L’acteur apporte toujours son charisme et sa vitalité au personnage tandis que le SPECTRE se voit de nouveau brillamment utilisé comme puissance hostile et comme galerie de portraits d’intéressants psychopathes (mention spéciale à Fiona Volpe, encore à ce jour la meilleure Bad Girl de la saga). Si la mise en scène se montre électrique, on regrettera l’enchâssement de l’action dans une poignée de lieux répétitifs, des passages sous-marins surabondants et désormais vieillis, ainsi que la fadeur de Domino. 9) L'Homme au pistolet d'or : La présence du regretté Christopher Lee apporte immensément à Scaramanga et à l’ensemble d’un film jouant admirablement de son opposition avec Roger Moore. L’intrigue peine toutefois à se développer au-delà de ce thème et souffre de références opportunistes à la mode des films de Kung-fu. Quelques éléments humoristiques se voient également greffés, mais avec un succès inégal. La mise en scène demeure efficace et la Baie d’Ha Long compose l’un des plus beaux décors naturels de la saga, mais il est regrettable que le duel final, tant attendu, se limite pour l’essentiel à une resucée de la scène pré-générique. 10) Spectre : Le film présente évidemment comme difficulté de succéder à l’immense succès public et critique de Skyfall. S’il évoque d’abord Quantum of Solace par une frénétique succession de sauts d’un pays à l’autre, cette première partie manifeste ici bien davantage de dynamisme. De plus, on se situe dans la continuité de l’excellent Skyfall pour la somptueuse mise en scène de Mendes et le portrait d’un 007 sachant, tout comme M et son équipe, opérer un retour aux sources tout en intégrant la modernité. Daniel Craig apparaît ici au sommet de son art et de son interprétation de Bond. Il forme un parfait duo avec l’épatante Léa Seydoux campant une Bond Girl enthousiasmante et contemporaine. On regrettera toutefois quelques errements dans l’écriture du Blofeld de Waltz ainsi qu’un SPECTRE moins flamboyant que naguère. 11) James Bond contre Dr No : Le premier opus de la saga souffre d’un budget relativement modeste, et doit de ce fait limiter ses ambitions en matière de décors et de scènes d’action. Il parvient néanmoins à édifier les fondations de la saga, avec le portrait réussi du James Bond cinématographique et d’un déjà remarquable adversaire, premier d’une longue lignée. Le scénario, plaisamment 60’s, se montre tonique, mais aussi très segmenté. Le film doit hélas composer avec le boulet Honey Ryder, totalement inerte et dépositaire de tous les clichés machistes imaginables. La piquante Sylvia Trench aurait bien davantage pimenté l’aventure, en partenaire de James Bond. 12) Tuer n'est pas jouer : Timothy Dalton opère une convaincante entrée en lice, avec une palette de jeu particulièrement riche et la somptueuse scène de Gibraltar. Maryam d’Abo séduit plutôt par sa fraicheur et sa beauté mais le duo fonctionne correctement. Toutefois, le film se caractérise par une vision romantique (hollywoodienne) du conflit afghan et pâtit particulièrement de méchants bien peu savoureux et manquant d’envergure, avec à la clef un affrontement final passablement ridicule. La bande son se montre toutefois somptueuse, se joignant à plusieurs très belles scènes d’action. 13) Le Monde ne suffit pas : Le film bénéficie de l’apport de deux méchants de haut vol avec l’énigmatique Renard, interprété par l’épatant Robert Carlyle, et la flamboyante Elektra, avec laquelle notre Sophie Marceau nationale réalise une prestation aussi surprenante que convaincante. Le scénario se montre astucieux, nous valant un twist tonitruant et une M bien davantage impliquée qu’à l’ordinaire dans l’action. On retrouve toutefois les tics de l’ère Brosnan : coller à tout crin à l’air du temps (y compris Lara Croft) et doper l’action jusqu’au ridicule grâce aux effets spéciaux numériques et des décorums de Science-fiction. 14) Dangereusement vôtre : Le film présente le grand mérite de permettre à Roger Moore de quitter la scène sur un opus honorable. L’aventure a du souffle, le péril de la faille de San Andreas parlant naturellement au public américain. Si Moore apparaît effectivement trop âgé pour le rôle, il conserve de l’allant, et le découvrir en duo avec Patrick Macnee ravira les amateurs des Sixties, même si ce dernier aurait pu être davantage présent. Christopher Walken donne une dimension supplémentaire à un Mastermind digne de cette décennie, mais néanmoins inséré de manière plaisante dans les 80’s. On regrettera toutefois que l’affrontement promis avec May Day n’ait pas lieu. 15) Les Diamants sont éternels : Sean Connery revient pour un ultime opus (officiellement...), mais ne retrouve pas son style coutumier, avec une tonalité du récit plus humoristique qu’à l’accoutumée qui conviendra sans doute davantage à Roger Moore. Cette évolution conduit à des résultats mitigés concernant l’opposition. Si le duo de tueurs clairement homosexuels a de bons moments, il n’était pas absolument nécessaire de grimer Blofeld en travesti. Le film tire un bon parti de Sin City. Tiffany est charmante, mais l’on se souviendra d’Abondance, si sympathique belle-de-nuit des casinos, dont le triste destin constitue le moment le plus dramatiquement intense de ce 007 rigolard. 16) Rien que pour vos yeux : Le film délaisse les grandioses conspirations des génies du mal pour en revenir à un récit d’espionnage solide et éprouvé. Il souffre néanmoins d’un interminable film publicitaire à la gloire de la station de Cortina d'Ampezzo, tandis que le talent de Carole Bouquet résulte encore novice. Roger Moore assure néanmoins le spectacle, avec l’aide de comédiens chevronnés tels Julian Glover, bien connu des amateurs des Avengers. La Deux-chevaux demeure sans doute le véhicule le plus improbable pour James Bond mais la poursuite s’avère prenante, de même que l’ascension finale. 17) Demain ne meurt jamais : Le scénario du film souffre cruellement d’un manque d’originalité puisque se limitant à un mix de On ne vit que deux fois et de L'espion qui m'aimait. La volonté de coller à l’air du temps et aux médias modernes n’apporte pas un second souffle, de même que la volonté manifeste de doper la dose de violence ou le placement de produits. Jonathan Pryce et la formidable Michelle Yeoh apportent une vraie présence à leurs personnages, tandis que Brosnan demeure sobrement efficace. Stamper compose un tueur trop mécanique et impersonnel. 18) Moonraker : Le film flirte par trop avec la Science-fiction pour ne pas dénaturer l’univers de James Bond, afin de profiter opportunément du succès de Star Wars. La qualité des décors demeure toutefois au rendez-vous. Holly Goodhead ne laisse pas un souvenir impérissable comme Bond Girl. Fort heureusement, l’excellent Michael Lonsdale renouvelle la figure du Mastermind extraverti, avec un Drax au délire froid. Il forme une belle opposition avec le Bond pince-sans-rire de Roger Moore. La romance entre Requin et sa blonde élue se montre confondante d’humour pataud. 19) Vivre et laisser mourir : Le film vaut par l’arrivée convaincante d’un Roger Moore se glissant avec naturel dans un rôle auquel il imprime d’emblée sa marque. Le duo formé avec Jane Seymour ne manque pas de charme, Solitaire demeurant une fascinante Bond Girl. Toutefois la production cède par trop à la tentation de suivre une mode, la Blaxploitation, ce qui le date terriblement aujourd’hui. Au-delà de l’argument de la double identité du méchant, 007 n’affronte en définitive que de simples gangsters, et les scènes de transe vaudoue font toc au possible. 20) Octopussy : Le kitsch hindou ensevelit le film sous les paillettes, de même que le commando féminin d’Octopussy, sans parler de sa galère. Par ailleurs, le regretté Louis Jourdan n’est absolument pas dans son emploi en Diabolical Mastermind et son second relève franchement du Nanar. Si on apprécie l’humour coutumier de Roger Moore, il faut bien constater que le scénario présente des failles et verse trop souvent dans le gag assez balourd. Demeurent de superbes paysages, plusieurs scènes spectaculaires, et deux protagonistes féminins de qualité, avec Octopussy et son redoutable bras droit. 21) Au service secret de Sa Majesté : Le film se voit plombé d’entrée par le manque de présence et le talent minimaliste de Lazenby, ainsi que par un scénario inefficace. Le complot de Blofeld frappe moins les esprits que précédemment, et lui-même, malgré le talent de Telly Savalas, se voit réduit par le ridicule de l’héraldique. Il faut aussi attendre beaucoup trop longtemps pour découvrir une scène d’action digne de ce nom, et les dialogues cette fois ne pétillent que rarement. Malgré un final émouvant et la présence de Diana Rigg, la romance entre Bond et Tracy relève d’une eau de rose vraiment sucrée. 22) Casino Royale : Les interminables parties de cartes, statiques et incompréhensibles pour le non initié, suscitent autant de scènes ennuyeuses. Par ailleurs, on n’adhère pas au concept d'un Bond transformé en froide machine à tuer, de plus privé de dialogues avec Q et Moneypenny. Toutefois Daniel Craig accompagne à merveille cette vision et excelle dans les scènes d’action. Le Chiffre suscite peu de réel intérêt, on préfère des adversaires dominateurs plutôt que traqués. La meilleure surprise du film demeure Vesper Lynd, avec un grand numéro de charme et d’émotion de la part de la talentueuse Eva Green. 23) Jamais plus jamais : Une production compliquée et le manifeste manque d’implication du metteur en scène réduisent considérablement l’impact d’un film pourtant doté de moyens conséquents. Le film s’écoule paresseusement, malgré des acteurs talentueux. L’évident carton-pâte de la grotte où se déroule l’affrontement final se montre particulièrement navrant, de même que la partie de jeu vidéo totalement hors sujet. La comparaison avec son modèle de ce remake d’Opération tonnerre achève le film. Reste évidemment le plaisir de retrouver Sean Connery, qui confirme l’option plus humoristique des Diamants sont éternels. 24) Meurs un autre jour : Les tendances à la surenchère visuelle et aux images générées par ordinateurs, sans cesse accentuées durant l’ère Brosnan, atteignent ici leur summum, avec de nombreuses scènes totalement hors-sujet dans un James Bond et relevant davantage de la Science-Fiction. Halle Berry a du talent, mais Jinx se limite à un amoncellement de clichés, à l’instar du scénario. Brosnan se voit cantonné à un support d’effets spéciaux. Grâce à la remarquable Rosamund Pike, Miss Frost soutient le film à bout de bras et lui vaut ses meilleures scènes. 25) Quantum of Solace : Le film se réduit à un interminable et onéreux dépliant touristique, les destinations se démultipliant au fil d’un scénario des plus creux. Toutes les prétentions exprimées se dégonflent les unes après les autres, comme celle aspirant à la modernité alors que l’Amérique latine se voit présentée par des clichés hors d’âge. Olga Kurylenko n’exprime ici aucun talent et Matthieu Amalric n’exprime aucunement l’aura que tout adversaire de 007 se doit de posséder. L’à peu près seul moment du film où l’on retrouve une tonalité de James Bond reste la rencontre avec la piquante Strawberry (impeccable Gemma Arterton), mais cela demeure bien éphémère. |
Ère Pierce Brosnan
Scénario : Jeffrey Caine et Bruce Feirstein, et Michael France (non crédité) et Kevin Wade (non crédité), d'après une histoire de Michael France - I might as well ask you if all those vodka Martinis ever silence the screams of all the men you've killed... Or if you find forgiveness in the arms of all those willing women for all the dead ones you failed to protect. Le 17 novembre 1995, le prince Charles, comme la coutume s'en est désormais instituée, préside la première londonienne des nouvelles aventures de James Bond. À cette occasion, le public découvre une nouvelle incarnation du héros après seulement deux participations de Timothy Dalton et surtout après que le considérable laps de temps de six années (1989-1995) se soit écoulé depuis le dernier opus de la saga.
Ce grand hiatus (comme diraient nos Holmésiens) se doit principalement à des péripéties judiciaires assez navrantes, mais influe considérablement sur la conception de GoldenEye. Dalton ayant estimé trop long l'écart avec Permis de Tuer, Pierce Brosnan, débarrassé de Remington Steele, s'empare enfin du rôle qu'il avait naguère frôlé (avec au passage le même défilé d'improbables prétendants que de coutume). Ces six années de latence voient également s'estomper des figures majeures de la saga, avec notamment le décès du scénariste tutélaire Richard Maibaum et le retrait de l'emblématique Richard Broccoli pour raisons de santé, au profit de sa fille Barbara. La nouvelle équipe compose avec des conceptions différentes, d'autant que durant cette longue parenthèse le monde a changé. Effectivement le Mur de Berlin est tombé, l'URSS s'est effondrée alors que son pourrissement interne était déjà annoncé dans Tuer n'est pas jouer. Dès lors, on perçoit le risque que cet héros de la Guerre Froide qu'a toujours constitué James Bond dès les romans de Fleming apparaisse archaïque (M adressera un clin d'œil très malin à ce sujet au cours du film). À cela vient s'ajouter l'émergence durable de la concurrence des blockbusters américains de Willis, Stallone, Gobernator, et consorts, menace d'autant plus sensible qu'elle recoupe le box office (relativement) décevant de Permis de Tuer aux États-Unis. C'est bien la jeunesse américaine qui devient ainsi le cœur de cible des productions à gros budget, une donnée majeure à prendre désormais en compte, avec un impératif concomitant de surenchère dans le spectaculaire…
Face à ce contexte, où la poursuite même de la saga peut s'envisager comme sujette à caution, les producteurs, supérieurement habiles, vont donner une nouvelle impulsion. Celle-ci se compose d'un retour aux valeurs sûres après les expérimentations de l'ère Dalton, accompagné d'une mise au goût du jour astucieuse de 007, et d'une recherche à tout crin du sensationnel. Ce dernier point impose une inflation budgétaire, soutenue notamment par une exacerbation du placement de produits (jusqu'à des moments particulièrement aventureux) ainsi que par un battage médiatique absolument sans précédent autour de la promotion du film. Cette problématique va s'incarner avec un indéniable talent dans l'intrigue et la mise en scène de GoldenEye.
Son scénario reste l'un des atouts majeurs du film. Si l'on considère le récit comme l'art du dévoilement, alors GoldenEye reste un chef-d'œuvre du genre, ménageant à merveille ses effets et ses révélations, parfaitement imaginatif et clair malgré une certaine complexité. Les accroches brèves et tranchantes propres au style Bond perdurent et même se multiplient au cours d'excellents dialogues, donnant lieu à un feu d'artifice permanent. L'écriture du film a de plus l'idée géniale de transmuer une faiblesse en force en saisissant à bras le corps la donnée majeure du post soviétisme, donnant lieu à une passionnante épopée de 007 pour la première fois au sein de l'ex « Empire du Mal ». Finement joué, d'autant que cela n'exclut pas une affirmation des riches heures de la saga par l'évocation de plusieurs totems.
Entre autres exemples, on assiste donc au retour de la mythique DB5, absente depuis Opération Tonnerre, toujours aussi somptueuse et parfaitement adaptée à 007 (cette voiture a définitivement quelque chose en plus), une ficelle que l'avènement de Daniel Craig emploiera de nouveau. On renoue également avec le repaire colossal du méchant du jour, que Bond va bien entendu détruire de fond en comble… Un aspect considérablement mis en sourdine durant la période Dalton. Assurer la survivance de la saga en capitalisant sur ses fondamentaux tout en intégrant harmonieusement les temps nouveaux relevait d'une gageure que GoldenEye réussit très largement. Peu importe en comparaison la contradiction avec les systèmes électroniques immunisés contre l'IEM décrits dans Dangereusement vôtre ou l'aspect explosif absurde de celle-ci…
Martin Campbell, lui aussi nouvel arrivé dans une maison Bond traditionnellement très familiale (aspect que l'on apprécie vivement), apporte également sa contribution en matière d'innovations. Cela éclate lors d'une séquence d'ouverture particulièrement spectaculaire, destinée à frapper les esprits pour réaffirmer dès le début que le « vrai 007 », surhumain, est de retour. Et qu'il n'est pas content. L'ensemble ressort parfaitement palpitant et déjà relevant du très grand spectacle. On reproche souvent le caractère improbable de la récupération de l'avion en moto ; effectivement on franchit un palier, même si la vraisemblance n'a jamais représenté une vertu majeure de la saga ; mais ce qui dérange surtout demeure l'introduction des images de synthèse. Cette technique, si correctement maîtrisée et encadrée, ouvre certes de nouveaux horizons, mais aussi la porte à une dangereuse surenchère au fil de la recherche toujours accrue de spectaculaire. Ici débute un chemin conduisant à une scène aussi ridicule que celle voyant Bond surfer sur un tsunami (entre autres facéties) qui ne suscitera jamais que des sourires navrés et passablement effondrés. Les cascades humaines de jadis semblent d'un impact supérieur et interdire ce genre de délire inepte.
Néanmoins, ces effets générés par ordinateur développent une nouvelle esthétique, donnant lieu à un générique audacieux renouvelant fort agréablement le genre : décidément une caractéristique de ce film. Le flamboiement des diverses saynètes rappelle encore une fois astucieusement la chute du bloc adverse tandis que retentit la formidable chanson de Tina Turner. On se montrera nettement plus réservé à propos des synthétiseurs d'Éric Serra quelque peu hors de propos et ayant déjà bien vieilli (ne serait-ce qu'en évoquant Le Grand Bleu…). Une faute de goût très rare parmi les nombreuses innovations tous azimuts tentées par la production, et à laquelle celle-ci mettra vite un terme par l'entrée en scène prochaine de David Arnold, généreux symphoniste très similaire à l'écoute de la tradition de John Barry. Par la suite, la réalisation de Campbell, malgré un léger tassement de l'intrigue en milieu de parcours, aligne avec une totale réussite les morceaux de bravoure. Il en va ainsi de cette prenante séquence de poursuite automobile ouvrant idéalement les débats et très nettement supérieurement filmée et montée comparativement à son équivalent du calamiteux Quantum of Solace. Les aficionados y reconnaîtront une similitude troublante avec le lancement d'Amicalement vôtre, un clin d'œil à Roger Moore ? Ces moments d'action particulièrement nombreux constituent l'un des éléments premiers de la réussite de GoldenEye, notamment le proverbial affrontement final, impeccablement mis en scène. On dénote cependant ici ou là, encore mineure en cette aurore réussie de la période Brosnan, la tendance à la préjudiciable exagération qui en deviendra la règle. C'est notamment le cas avec le passage du tank, longuet et trop jusqu'au-boutiste.
Une autre caractéristique négative demeure la part vraiment trop importante et visible revêtue par le placement de produits. De l'artisanat des débuts, ayant déjà connu une montée en puissance, on passe ici à quelque chose de réellement pénible, avec des scènes purement gratuites conçues en ce seul but. Il en va ainsi de l'irruption d'une eau gazeuse française, d'un fabriquant de montre se substituant ostensiblement à une autre, ou de la présentation d'une voiture de marque allemande (sacrilège !) alors que ce véhicule n'accomplira finalement qu'une apparition de quelques instants relevant de l'alibi. Sans grever réellement l'intérêt du film, tout ceci agace car finissant par menacer la dimension britannique du héros et rejoignant la logique de « la part de cerveau disponible » propre à la TV. À quand la coupure pub au beau milieu de la projection en salle d'un 007 en relief ? Utilisant à merveille les différentes cordes à son arc dont des maquettes étonnantes de réalisme, des décors (le cimetière des idoles soviétiques), et des paysages superbement mis en valeur, le film renouant avec l'atout traditionnel des voyages à travers le vaste monde (Monaco, Sibérie, Saint-Pétersbourg, jungle tropicale…), la mise en scène de Campbell demeure un vrai modèle de dynamisme et d'efficacité. Il n'est guère étonnant que la production fît de nouveau appel à lui à l'occasion de Casino Royale et d'un nécessaire redémarrage de la saga !
Pierce Brosnan, débarrassé de la mièvrerie inhérente à Remington Steele, s'impose comme le parfait véhicule pour un James Bond reconfiguré comme un héros invincible mais tout de même moins monolithique (et machiste) qu'à l'époque Sean Connery. Entre le Bond très humain et tourmenté de Dalton et le héros marmoréen des Sixties, il accomplit un recentrage très astucieux, dans l'air du temps (plus proche du second que du premier, néanmoins). Il maintient également la précieuse identité et la classe britanniques de 007, l'empêchant de se fondre parmi les autres blockbusters, non sans montrer à l'occasion un humour et une fantaisie que n'aurait pas reniés Roger Moore. Du bel ouvrage, on sent bien qu'un intense travail de réflexion sur la nature et le devenir de la série a eu lieu en coulisse, et cela fonctionne grâce à l'équilibre quasiment parfait du film.
Ses différents alliés se montrent également à la hauteur, notamment les figures récurrentes de la saga. Q se révèle toujours en pleine forme malgré le passage des ans. Même s'il se voit recentré sur la présentation rituelle des gadgets, sa scène demeure particulièrement divertissante, comme toujours. On est plus réservé envers Moneypenny, Samantha Bond ne valant pas la charmante Caroline Bliss et n'ayant surtout pas grand-chose à défendre à part quelques phrases convenues et plates. Visiblement, la production ne sait plus trop quoi faire du personnage… on lui préfèrera la très amusante psychologue, ouvrant le film sur une scène pétillante faisant d'emblée la conquête du spectateur !
Une grande innovation survient avec la découverte d'un nouveau M, cette fois au féminin, une grande première dans la saga (les Avengers ont par contre connu Father dès les années 60…). Cet évènement illustre la volonté de la production de s'enraciner dans son temps car il recoupe l'actualité, Stella Rimington étant devenu dans le monde réel la première femme à diriger le MI6. Le film met toutes les chances de son côté en ayant recours à l'une des plus grandes comédiennes du théâtre anglais en la personne de Dame Judy Dench. Elle donne une force de conviction particulièrement intense à son personnage, notamment lors d'une confrontation magnifiquement écrite avec 007. Toutefois, très subjectivement, on avouera une préférence sans doute nostalgique pour les duels amicaux avec le M de Bernard Lee. De même que pour les bureaux cossus et très anglais d'Universal Exports, ici remplacés par un édifice spectaculaire mais considérablement plus froid.
Leiter étant désormais indisponible suite aux évènements de Permis de tuer, il se voit remplacé par un duo particulièrement drôle, composé du très malicieux Wade (Joe Don Baker, bien meilleur que dans Tuer n'est pas jouer) et surtout l'incroyable Valentin. L'imposant Robbie Coltrane (le Hagrid des Harry Potter entre autres joyaux) réussit une performance énorme, provoquant de sonores éclats de rire au cours d'une scène aux dialogues finement ciselés. On applaudit des deux mains ! Tchéky Karyo accomplit une apparition courte mais également remarquable. Un autre personnage captivant est la Bond Girl du jour, incarnée par la très belle et réellement douée Izabella Scorupco. Évolution oblige, 007 paraît toujours aussi viril mais nettement moins macho. Natalya Simonova se débrouille par elle-même avant que de rencontrer Bond et lui apporte une aide précieuse par la suite, s'imposant comme une participante à part entière dans l'action. Ses amusantes bouffées de colère ne sont d'ailleurs pas sans évoquer celles de Cathy Gale face à John Steed, la romance en moins…
Que Scorupco n'ait guère poursuivi plus avant sa carrière (elle jouera cependant une mémorable espionne passée du côté obscur dans un épisode d'Alias) laisse des regrets car elle parvient à faire exister son personnage face au cyclone de feu et de sexe que représente la démoniaque Xenia Onatopp, l'une des plus grandes réussites de GoldenEye. La sensualité et la personnalité hors normes de Famke Janssen crèvent l'écran dans ce personnage transgressif de femme cruelle et perverse, tueuse d'élite assassinant comme elle respire. On n'avait simplement rien vu d'équivalent depuis l'inoubliable Fiona Volpe d'Opération Tonnerre, et Xenia demeure bien l'une des Bond Girls adverses les plus inoubliables qui soient. Le film pousse son audace jusqu'à se livrer à des scènes sadomasochistes, explicites à un niveau inédit dans la série et qui vaudront au film une interdiction aux moins de 12 ans. Un coup de maître, qui propulsera Janssen en tant que spécialiste des rôles forts comme lors du très particulier Nip/Tuck ; sans doute l'un des plus beaux exemples de reconversion réussie, et méritée, d'une Bond girl. Du fait de la confrontation bipolaire entre ces deux dames et de l'adéquation de l'univers aux temps nouveaux, les autres éléments féminins apparaissent très rares, mais qu'importe.
« Meilleur est le méchant, meilleur est le Bond » demeure un adage vérifié quelles que soient les circonstances, et les petits camarades de Xenia parachèvent le succès de GoldenEye. En général ambitieux, brutal, mais loin d'être idiot, Ourumov perpétue la grande tradition des officiers soviétiques félons initiée depuis Bons Baisers de Russie. Ce personnage très astucieux permet de faire perdurer l'ennemi soviétique dans un monde ayant changé. Le maintien dans l'évolution, tel est décidément le secret de la réussite du film. En hacker passé du côté obscur de la Force, Boris Grishenko illustre de manière particulièrement pertinente les clichés de cette époque de triomphe de l'Internet, ce qui lui vaudra une vraie popularité dans le milieu, d'autant qu'Alan Cumming, à l'orée d'une carrière remplie de prestations extrêmement fines, se montre totalement déchaîné dans ce rôle jouissif. Le film intègre par ailleurs pleinement les innovations technologiques récentes. On ne peut s'empêcher de penser à un certain Ringo Langly et on s'amuse beaucoup de voir le référentiel « Trust no none » s'afficher sur l'écran d'un ordinateur !
Janus, même un peu jeune pour son historique remontant à la Guerre, s'affirme néanmoins comme le personnage le plus marquant parmi les adversaires. Cette idée d'un miroir obscur brandi devant 007 s'avère tellement efficace que l'on s'étonne que les producteurs ne l'aient pas eue auparavant. Cette confrontation à une Némésis inversée, liée par une haine personnelle, a toujours donnée de grands résultats par le passé, que cela soit Steed face à Beresford ou lors de l'opposition entre le Docteur et le Maître. Il existe une filiation directe entre les Time Lords et les Double Zéro antagonistes, avec à la clef la même dramatique intensité. D'autant que le formidable Sean Bean excelle dans un rôle exprimant une attraction encore plus totale pour le mal que ce que ressentira plus tard Boromir le Brave. Contrairement au Glaive du Gondor, Alec Trevelyan ne connaît pas la rédemption, ce qui convient parfaitement à l'univers de Bond.
En définitive, GoldenEye, deuxième film extérieur à l'œuvre de Fleming, apparaît comme une équation parfaitement agencée, alliant maintien des valeurs les plus sûres de 007 à une ouverture aboutie sur le monde contemporain. L'accent est mis sur le spectaculaire, mais demeure encore dans ce que l'on peut accepter dans le cadre du personnage. Le ver est cependant dans le fruit, et, si la saga est relancée, les films suivants de Brosnan manifesteront un emballement croissant et néfaste de cette belle mécanique.
GoldenEye marque une sensible croissance du budget comparativement à Permis de tuer (et cela ne fait que commencer), passant de 40 à 60 millions de dollars. Il connaît un triomphe public, récompensant ses choix audacieux et bien inspirés. Il récolte ainsi 351,3 millions de dollars, soit considérablement plus que les 156,2 de Permis de tuer, même en tenant compte de l'inflation. Le record jusque-là détenu par Moonraker (202,7 millions de dollars de l'époque) est dépassé, confirmant Brosnan dans son nouveau statut. Le succès est équivalent en France, où l'on atteint 3 489 833 entrées contre 2 093 006 précédemment. Grands moments de la Saga James Bond : Char à Saint-Pétersbourg
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2. DEMAIN NE MEURT JAMAIS
Scénario : Bruce Feirstein -There's no news like bad news! Alors que l'on en revient à un rythme bisannuel, le 9 décembre 1997 se déroulait la première londonienne des 18èmes aventures de James Bond. Une interrogation s'imposait : Demain ne meurt jamais allait-il rééditer le succès innovant de GoldenEye, ayant permis une vraie relance de la franchise ?
Il nous faut vite déchanter, le suivisme constituant la caractéristique principale du film, panaché d'une accentuation de différents excès encore seulement pressentis dans GoldenEye. Tout d'abord, après l'intrigue notablement originale de l'opus précédent, et hormis l'amusante originalité d'un adversaire patron de presse, l'on en revient à des situations particulièrement éprouvées. La machination ourdie par Carver ressemble tout de même énormément à celles observées dans On ne vit que deux fois et dans L'espion qui m'aimait (avec également des éléments maritimes pour ce dernier). Si l'on apprécie, le plus souvent, les éléments rituels de 007, on goûte néanmoins un minimum de renouvellement dans la trame des péripéties. Mais, sans besoin aller jusqu'à invoquer les classiques, Demain ne meurt jamais se positionne déjà très exactement dans le sillon tracé par GoldenEye.
Il en va ainsi pour l'ouverture à l'actualité internationale (émergence de la Chine comme nouveau géant adverse, développement de groupes de presse colossaux), mais également l'addiction aux technologies les plus dans l'air du temps. Après les affrontements entre hackers au sein du cyberespace, on passe sans coup férir au développement du multimédia et des réseaux satellitaires, ainsi qu'à l'irruption du téléphone portable, sous un angle d'ailleurs particulièrement tape-à-l'œil. C'est bien une impression de redite qui prédomine. Dès son deuxième épisode, la période Brosnan s'installe dans la reproduction sans cesse ressassée de son modèle initial sans qu'aucun effort réel de renouvellement ne soit tenté.
Une évolution existe bien, mais malheureusement il s'agit de l'exaspération toujours accentuée de la tendance déjà observée dans GoldenEye à privilégier l'action et la violence comme moteur essentiel du film. D'où une introduction dithyrambique, après laquelle le récit met résolument l'accent sur cet aspect, au prix de son intérêt propre. La seule spécificité du jour, la personnalité médiatique de Carver, nous vaut quelques scènes amusantes en première partie du film, mais se résume à bien peu de choses par la suite. Certes l'on ne s'ennuie pas du fait de la qualité de ces scènes haletantes et pétaradantes, mais cette prédominance, outre la perte de subtilité inhérente du scénario, induit un dommageable appauvrissement de la nature de la saga. En effet, le succès et la particularité du britannique 007 reposent sur un alliage subtil, aux variables proportions, entre glamour, humour, et action. Ici ce dernier composant devient hypertrophié, réduisant tout autre à la portion congrue et tirant le film vers le blockbuster le plus traditionnel.
Supposant des moyens toujours plus conséquents pour frapper l'opinion (Carver ne le démentirait pas), cette dérive du tout spectaculaire s'accompagne de celle du placement de produits. On franchit de nouveaux paliers, avec une présence sans cesse davantage visible de partenaires traditionnels comme une vodka célèbre ou une montre aux plans médias avisés. On atteint cependant une forme de summum avec l'interminable pensum promotionnel de la BMW. Dans GoldenEye, on la voyait finalement très peu, au profit de la DB5 ; ici c'est précisément le contraire (encore une jolie écorne à la personnalité britannique de Bond).
Tout au long d'un véritable film de présentation de salon automobile, on assiste à un show envoyant par-dessus bord toute notion de pudeur, avec également une conduite au paddle de console de jeu représentant un bel exemple d'épate pour l'épate. On aboutit à ce couronnement qu'est l'image proprement hallucinante juxtaposant les publicités pour la BMW, une agence de location de voitures, et une firme suédoise de télécommunications, d'ailleurs liée depuis à Sony… On pense en avoir fini quand voici qu'à Saigon, 007 choisit soigneusement une moto et retient... une BMW. Rebelote, c'est reparti pour un tour ; Demain ne meurt jamais achève de se muer en dépliant publicitaire, et la production de se moquer de son public.
Évidemment, tout ne ressort pas désastreux dans ce film demeurant un Bond tenant ses promesses de spectaculaire et de dépaysement. D'excellentes idées comme la caméra subjective embarquée viennent, en partie seulement, compenser l'hyper violence et certaines invraisemblances comme cette moto se glissant sans dommages à 10 cm sous les pales d'un hélicoptère. Si on regrette le choix trop marqué de l'action phagocytante, d'ailleurs de plus en plus affirmé en cours du récit, ces passages demeurent des plus efficaces grâce à la réelle vista de Roger Spottiswoode. Malgré sa prédilection pour la pyrotechnie et les douilles se déversant à flots sur le sol, celui-ci parvient à nous faire ressentir le modernisme de Hambourg, l'exotisme de Saigon, ou la beauté sans pareille de la Baie d'Ha Long (sans oublier au passage un joli clin d'œil à James Bond Island). La dimension musicale compte également parmi les points forts de Demain ne meurt jamais, avec notamment la sublime chanson de Sheryl Crow accompagnant le superbe générique particulièrement imaginatif et d'une esthétique Cyber annonçant idéalement le film. On renoue également avec une bande-son renouant avec la grande tradition de Barry, grâce au grand talent de David Arnold. Pierce Brosnan continue à défendre avec efficacité son personnage, même si l'on regrette le supplément d'âme et de personnalisation du jeu qu'apportait Timothy Dalton. Celui aurait permis de combattre bien plus effectivement cette tendance lourde conduisant à assimiler 007 toujours davantage à un héros standard de blockbuster. Il faut voir 007 déambuler une arme à feu dans chaque main à travers le navire de Carter transformé en enfer, un savant mélange du Terminator et de John McClane (certes deux excellents rôles, mais aux antipodes de Bond). Brosnan se coule avec trop d'impavidité dans ce moule, tout comme son personnage il fait « son job ».
Outre des dialogues toujours acérés, son 007 peut heureusement compter sur ses alliés coutumiers pour lui apporter quelques scènes relevées. C'est encore et toujours le cas de Q (hilarant passage des assurances), d'une M achevant de prendre ses quartiers, et du toujours très pittoresque Wade. Ces moments demeurent certes de vraies pépites, sans toutefois modifier le dessin général du film. On se gardera d'y ajouter Moneypenny, aux allusions lourdes et salaces (on continue à naviguer à vue avec ce personnage), mais également Paris, à laquelle Teri Hatcher n'apporte pas grand chose (Sela Ward et Monica Bellucci furent auditionnées ; pour la seconde, elle était en avance de 20 ans). Ce personnage particulièrement falot et conventionnel n'existe à l'évidence que pour tenter désespérément d'insuffler un peu d'émotion à ce scénario terriblement mécanique et succinct, en personnalisant l'affrontement avec Carver. Une vieille ficelle de scénariste, ici particulièrement visible et pesante, illustrant éloquemment l'agencement peu inspiré de cette histoire.
Toutefois, ce sont bien deux autres personnages secondaires qui valent principalement à Demain ne meurt jamais de se regarder sans déplaisir. Il s'agit bien entendu de la féline Wai Lin et d'Elliot Carver. Avec la grande dame du Kung Fu qu'est (avec Cynthia Rothrock) la sublime et si talentueuse Michelle Yeoh, c'est un peu de ces films d'arts martiaux de Hong-Kong bigarrés, imaginatifs, spectaculaires (joyeusement barrés), et sans équivalent en Occident qui débarque dans un univers de 007 en plaine standardisation par ailleurs. Même si les conventions d'un Bond rendent impossible une reconduction à l'identique, difficile de ne pas songer à des chefs-d'œuvre du gabarit de Yes Madam ou de Police Story 3 (sans même parler de Tigre et Dragon, etc.) lors de la scène où Michelle Yeoh brille de toute sa grâce implacable en corrigeant les sbires du général félon. À noter qu'à Hambourg, Michelle Yeoh arbore une tenue de cuir très Emma Peel !
Même si l'on demeure sans illusions sur les raisons commerciales du choix d'une actrice asiatique (comme du cadre de l'action principale), ce prodigieux casting transmute un choix marketing en atout artistique, une notable exception dans le schéma général de Demain ne meurt jamais ! Tout au long du récit, l'ancienne Miss Malaisie 1983 irradie positivement, même si l'on ressort quelque peu frustré de la voir retourner aux sempiternelles armes à feu après son éblouissante démonstration, malgré un lancer de shuriken bien ajusté comme on aime. En la voyant effacer Brosnan jusqu'à quasiment supplanter 007, Wai Lin, tellement supérieure à Triple X, a dû provoquer quelques sueurs froides : finalement le mâle héros ira bien à la rescousse de la damoiselle en détresse. Quelle misère, on n'avait pas connu un tel sabotage de personnage depuis Pussy Galore. Tant pis pour le film qui saborde ainsi l'un de ses rares points forts.
Demain ne meurt jamais ne rate cette fois pas le coche avec Eliott Carver, un méchant enthousiasmant digne des grandes figures de la saga et sauvant le film du désastre. Le polymorphe et supérieurement doué Jonathan Pryce (Brazil, Évita, Ronin…) lui apporte un éclat, une saveur, et une dimension humaine jusque dans la folie tranchant formidablement avec ce film si peu ambitieux par ailleurs. Carver constitue une caricature de ces patrons de presse atteints par la folie des grandeurs et l'assurance de dominer l'actualité, comme le fameux William Randolph Hearst inspirant Citizen Kane, auquel une référence directe est faite en fin de film. Ce modèle se voit démultiplié par les techniques de communication modernes, une dimension parfaitement restituée tout au long du scénario avec notamment ces manchettes de journaux totalement mégalomanes, mais aussi cette conférence mondiale de rédaction renouvelant avec bonheur la mythique réunion parisienne du SPECTRE.
Au total, on découvre une dénonciation éloquente des manipulations de l'information que notre époque voit se multiplier, se joignant une nouvelle fois l'un des thèmes dans le vent du moment : le conspirationnisme alors porté par la vague des X-Files. L'épouvantable mort de Carver rejoint une autre grande tradition de la série… Une réserve toutefois, cette critique acérée de la toute-puissance médiatique ne peut que générer une certaine ironie quand l'on se remémore les battages insensés et tous azimuts accompagnement la sortie des James Bond, en particulier les récents…
Il s'avère heureux que Carver revête une telle ampleur car il ne peut guère compter sur l'appui de son tueur d'élite attitré pour animer le film. Stamper ne dégage rien à part des poncifs pesants et sans humour, d'autant que Götz Otto se montre terriblement démonstratif dans son jeu. On quitte les environs des blockbusters rivaux, qui réussissent souvent ce genre de figure, pour approcher dangereusement des douteux exploits d'un Dolph Lundgren. Il en va tout autrement du délectable Dr. Kaufman, interprété par ce grand spécialiste des rôles hors normes qu'a toujours été Vincent Schiavelli. Certes, on se retrouve dans les clichés, mais le panache, le talent, et les dialogues font toute la différence. On rit d'autant plus qu'en VF le personnage se voit doté de la voix du Colonel Klink de Papa Schultz !
Ce film autant suiviste que GoldenEye fut innovateur, dont l'ambition essentielle consista à accumuler les explosions, pétarades et autres scènes chocs, mobilisa de ce fait un budget absolument sans précédent. Il totalisa 110 millions de dollars contre guère plus de la moitié pour son prédécesseur avec « seulement » 60 millions. Le succès fut une nouvelle fois absolument considérable, mais très légèrement inférieur à celui de GoldenEye avec 347 millions de dollars de recettes contre 351,3. La France maintient pareillement l'écho rencontré par le film avec 3 435 210 entrées contre 3 489 833 au préalable. Grands moments de la Saga James Bond : Moto contre Hélico
Les plus belles courses-poursuites : BMW 750iL 3. LE MONDE NE SUFFIT PAS
Scénario : Neal Purvis & Robert Wade et Bruce Feirstein, d'après une histoire de Neal Purvis & Robert Wade - What's the story with you and Elektra? James Bond achève le millénaire avec ce film dont la première londonienne se déroule le 26 novembre 1999. Après le bouillonnement créatif de GoldenEye, puis un Demain ne meurt jamais considérablement plus terne, Le Monde ne suffit pas (devise familiale) va tenter de trouver la voie du renouvellement. En effet, l'atout majeur de Le Monde ne suffit pas réside dans plusieurs judicieuses innovations qu'il va mettre en œuvre avec talent.
Ainsi le scénario se montre subtilement agencé dans ses péripéties et suffisamment inattendu pour réellement susciter l'intérêt, mais surtout il s'appuie sur une profondeur psychologique inusitée chez les adversaires du jour. Il en va de la sorte pour Renard, dont l'existence dans la pénombre d'un décès s'approchant inexorablement et la perte progressive des sensations nous valent quelques scènes réellement poignantes. Cette humanisation du méchant revêt une ampleur absolument inédite, d'autant qu'elle s'accompagne d'une passion amoureuse romantique (et mortifère) envers Électra.
Ce pari audacieux fonctionne totalement grâce à l'impeccable composition de Robert Carlyle. Cet acteur multi facettes (que l'on a pu retrouver dans le premier rôle de Stargate Universe !) apporte une singulière intensité à son personnage, notamment lors de scènes paroxystiques comme celle voyant Renard serein quand la mort s'en vient enfin le prendre. On aurait sans doute pu développer cette passionnante dimension de Renard, mais le film demeure un Bond et non un drame psychologique…
L'autre pendant de ce couple maudit, aux intonations parfois très shakespeariennes, Électra King (la bien prénommée), apporte également une vraie plus-value au film. Les facettes de sa psychologie très particulière, entre exaltation et rouerie machiavélique, constituent un véritable axe du scénario, avec un twist bien amené même si pas tout à fait imprévisible. L'intrigue pousse le raffinement jusqu'à invalider la thèse du Syndrome de Stockholm en campant Électra en authentique génie du mal, manipulant aussi bien Renard que M et 007. Le film crée ainsi une situation tout à fait nouvelle dans la saga, voyant une femme occuper la fonction de grand adversaire du jour, un choix des plus convaincants !
Comme spectateur un tantinet ancien, ayant suivi la carrière de notre Sophie Marceau nationale depuis ses débuts (There was something special in the air. Dreams are my reality, the only kind of real fantasy), on ne peut s'empêcher d'éprouver un certain scepticisme initial à l'idée de la voir interpréter un esprit diabolique. Et pourtant… Sophie Marceau s'en sort très honorablement, offrant une prestation en tout cas bien plus convaincante que celle de Carole Bouquet dans Rien que pour vos yeux. Même si elle rate quelques scènes comme celle de l'avalanche (évoquant de plus la névrose de la malheureuse Camille Montes de Quantum of Solace), elle insuffle néanmoins avec conviction une vraie perversité à Miss King, sans compter qu'elle s'y montre séduisante en diable. 1999 reste un grand crû pour Sophie Marceau puisqu'elle s'illustra également au Festival de Cannes cette année-là, mais ceci ne nous concerne pas.
Autre innovation amusante intégrée dans le film : le choix des destinations et des paysages. Alors que d'habitude les 007 se manifestent par un dépaysement aussi cosmopolite que glamour, on peut considérer qu'il en va différemment ici avec ces pipelines et ces forêts de derricks s'étendant à perte de vue. Même Istanbul se voit peu exploitée, hormis le superbe site où réside Électra (la forteresse de la Tour de Léandre, remontant à 1100 et alors récemment rénovée). Ce choix surprenant peut décontenancer, mais cette austérité demeure en phase avec le drame décrit au cours du film. Un certain côté cartes postales n'aurait pas été en accord avec la noirceur extrême de cette histoire ; que le film se montre cohérent avec lui-même reste un gage de qualité.
Le petit monde de 007 connaît plusieurs bouleversements, à commencer par le départ de Q, figure historique de la saga et important facteur de sa popularité. Atteint par la limite d'âge, Desmond Llewelyn, présent depuis 1963 et Bons baisers de Russie, dernier témoin des débuts de la saga, se retire à 85 ans, avant de malheureusement décéder peu de temps plus tard dans un accident de voiture. Le comédien et son interprète ont droit à la scène d'adieux émouvante mais sans pathos qu'ils méritent, illustrant une dernière fois la complicité le liant à Bond malgré les bourrasques.
Pour le successeur du fabriquant d'armes mortelles le plus attachant de l'histoire du cinéma, le film a de plus une fabuleuse idée de casting, avec rien de moins que le grand John Cleese. Celui-ci, en quelques instants, impose pleinement son sens unique de la fantaisie qui nous vaut des scènes réellement hilarantes. Ce virage important de la saga se voit donc parfaitement négocié tandis que l'absence de R durant les deux premiers Craig demeure une énigme, non dénuée de scandale.
Le film n'hésite pas non plus à bouleverser la place occupée usuellement par M dans le schéma narratif par son implication active dans l'intrigue, mais aussi et surtout en développant l'idée que le personnage éprouve des sentiments et qu'il lui arrive de commettre des fautes. Un questionnement très fort du personnage (porté au paroxysme dans Skyfall) auquel Dame Judy Dench apporte toute sa subtilité et son expressivité de grande comédienne, élément qu'elle n'avait pu que mettre partiellement en œuvre jusqu'ici. Universal Exports connaît une multiplication des personnages, dont la délicieuse Molly Warmflash (toujours ces noms incroyables) interprétée par Séréna Scott-Thomas, sœur de Kristin. Chacune de ces individualités sonne très juste, avec des dialogues finement ciselés et une excellente interprétation. Le personnage de Moneypenny s'améliore aussi quelque peu, sans toutefois il est vrai susciter encore l'enthousiasme. À noter que le QG écossais de la digne institution est situé au château d'Eilean Donan, bien connu des amateurs de Chapeau melon depuis le pilote des New Avengers, et qu'on peut y noter un superbe portrait du regretté Bernard Lee. On remarquera que le passage de la remise des ordres de mission semble impliquer l'existence d'un Double Zéro féminin, une grande première, là aussi.
Après GoldenEye, Valentin Zukovsky se voit également élevé au statut d'acteur à part entière de l'histoire, avec un Robbie Coltrane se régalant visiblement avec son fort gouleyant personnage. Il nous apporte un véritable festival de saillies humoristiques et cyniques, empêchant le film de tout de même sombrer dans la sinistrose. De quoi regretter vivement son décès, même si cette scène se révèle impeccablement écrite et filmée.
Malheureusement, cette kyrielle d'innovations demeure partielle, le film restant par ailleurs fidèle à certaines caractéristiques de l'ère Brosnan, et pas les plus enthousiasmantes. Ainsi, malgré le bel effort d'écriture réalisé autour du couple maudit Renard / Électra, l'action pyrotechnique et à saveur de haute technologie reste un élément devenu par trop hégémonique dans l'équation de la saga. Cette surenchère perpétuelle alterne le pire et le meilleur tout en continuant à tirer 007 vers les blockbusters classiques. Le scénario, certes considérablement amélioré comparé à Demain ne meurt jamais, reste un simple liant entre ces moments se voulant épiques. Parmi le pire, on comptabilisera la scène de ski, un poncif éculé de la série inutilement corsé avec des gadgets aériens, ou le traditionnel affrontement final. Trop segmenté et confiné, ce dernier ne provoque pas l'excitation coutumière en la circonstance, d'autant qu'il se situe après le paroxysme constitué par l'exécution d'Électra. Cet environnement en permanence technologique finit par saturer comme lors de la scène du gigantesque hologramme du visage de Renard. On se croirait avec l'État-Major de la Rébellion contemplant les plans de l'Étoile de la Mort, c'est ridicule.
La formidable introduction se verra par contre comptabilisée dans le meilleur, pour son hallucinante poursuite sur la Tamise. Les péripéties sont filmées et montées à la perfection, et le site en demeure bien évidemment unique. Ce n'est pas si souvent que les exploits de 007 se déroulent dans Londres, cette absence se voyant réparée ici par des vues somptueuses de grands monuments emblématiques. On apprécie également l'audace formelle de porter la durée de cette séquence pré-générique à près d'un quart d'heure, soit le record de la série (d'autant qu'elle nous permet d'admirer l'irréprochable plastique de Maria Grazia Cucinotta…). Avec le Dôme du Millénaire, mais aussi le Musée Guggenheim récemment inauguré en 1997, elle confirme également la volonté de la période Brosnan de s'inscrire au plus près de l'air du temps, comme d'ailleurs la problématique des pipelines dans les nouvelles républiques de l'ex-URSS. L'idée n'apparaît pas négative en soi mais tant d'insistance finit par la faire tourner au procédé.
Le placement massif de produits s'impose encore et toujours corollaire de cette surenchère permanente du spectaculaire. On n'épiloguera pas tant ce festival paraît permanent, mais tout l'apparition purement gratuite (mais néanmoins rémunérée…) d'une carte de paiement international provoque la stupeur. Reconnaissons toutefois que la promotion de BMW s'effectue avec (un peu) plus de subtilité que la déferlante de Demain ne meurt jamais.
La dimension musicale de Le Monde ne suffit pas reste une vraie force, avec les très belles mélodies de David Arnold et la sublime chanson interprétée par Garbage accompagnant un générique une nouvelle fois des plus classieux. Toutefois, on s'installe ici aussi dans le procédé avec des images relevant visiblement de la même palette graphique que Demain ne meurt jamais et GoldenEye, ainsi que cette tendance à faire interpréter la chanson titre par des artistes particulièrement à la mode. Tout ceci sera parachevé par l'entrée en scène de Madonna (pour le franchement moyen) et d'Adèle (pour le meilleur), mais d'ores et déjà on souhaiterait plus d'inventivité. Tout de même, un point amusant : dans son clip, Shirley Manson interpréta un robot assassin alors que quelques années plus tard elle incarnera un Terminator de classe aussi sexy qu'implacable et sadique dans Terminator, The Sarah Connor Chronicles (2008-2009). C'est ce qui s'appelle avoir de la suite dans les idées !
Brosnan, certes efficace et tranchant, participe aussi à cette mécanisation de Bond, virant toujours plus au surhumain et se glissant fort bien dans cette accumulation d'effets spéciaux et d'images de synthèse en tous genres. S'il ne dessert pas le film, on aurait tout de même goûté plus de composition et de créativité dans son jeu. Pour tout dire, on reste toujours très nostalgique de Timothy Dalton. Excellente idée toutefois que celle de la cravate resserrée sous l'eau ! (Une improvisation de l'acteur)
Toutefois, l'intérêt suscité par ce Bond reste à mille lieux de celui généré par sa partenaire du jour, la très improbable Dr. Christmas Jones, dont le prénom ressort comme la seule particularité saillante. Avec elle, le film en revient carrément à un fondement particulièrement obsolète de la saga : la Bimbo inutile mais aux formes des plus avantageuses. En effet, à part l'alibi factice de la physique nucléaire auquel personne ne croit un seul instant, l'apport de Christmas se limite pour l'essentiel à crier de façon toujours plus stridente et crispante d'innombrables « James ! James ! ». Un summum se voit atteint durant l'affrontement sous-marinier où l'on demande véritablement pitié.
Cet incroyable retour en arrière souffre en plus de l'apparence très similaire de Jones à l'héroïne de jeux vidéo alors en pleine gloire qu'est Lara Croft. Cette volonté de la période de coller à l'air du temps conduit décidément parfois à la faute. On en ressort désolé pour cette actrice sympathique qu'est Denise Richards (« victorieuse » aux Razzies à cette occasion) : elle a certes démontré bien d'autres qualités au cours de sa carrière (Sexcrimes, Starship Troopers, Scream…) mais elle ne peut ici rien accomplir face à un personnage aussi inepte. À l'exception de GoldenEye, la période Brosnan conserve décidément la caractéristique d'intégrer des duos de Bond girls tout à fait dissymétriques dans leur intérêt, on en reparlera dans Meurs un autre jour.
Cette tentative maligne mais non totalement aboutie de relancer l'ère Brosnan que constitue Le Monde ne suffit pas connaît un grand succès, encore légèrement supérieur au film précédent (352 millions de dollars contre 347), avec une inflation budgétaire maintenue quoique ralentie (120 millions contre 110). En France, il totalisera 3 599 609 entrées, contre 3 435 210 pour Demain ne meurt jamais. Grands moments de la Saga James Bond : Virée sur la Tamise
4. MEURS UN AUTRE JOUR
Scénario : Neal Purvis & Robert Wade - I know all about you: sex for dinner, death for breakfast. Le 20 novembre 2002, le couple royal honorait de sa présence la première londonienne des nouvelles aventures de Batman, euh, de James Bond. Meurs un autre jour apparaît comme un moment particulier d'une saga dont il marque le quarantième anniversaire et le vingtième opus. L'occasion d'un nouveau départ ou la fin d'un cycle ? Il faut malheureusement se rendre à l'évidence, c'est bien la seconde option qui s'impose à l'issue du film. En effet, celui-ci va porter à leur paroxysme les défauts observés durant l'ère Brosnan, tant du point de vue de l'écriture que de la mise en scène.
Après les tentatives intéressantes de Le Monde de suffit pas visant à humaniser les personnages, on assiste ici à un spectaculaire retour en arrière. L'intrigue se résume à quelques éléments simplistes dignes d'un comics pour adolescents dont le seul motif consiste à amener les interminables scènes d'action pétaradantes ou gorgées d'images de synthèse qui constituent la véritable ossature du film. L'intrigue résulte d'une rare indigence, avec 007 se battant contre les méchants à Cuba, à Londres, en Islande, et puis en Corée, avec des biais ultra simplistes pour raccrocher ces différents wagons à la locomotive que représente une surenchère en effets spéciaux évoquant effectivement les films de super héros. Une image symbolise le film, voyant 007 pulvériser le manuel de sa voiture au feu des mitrailleuses. Malheureusement il s'est trompé car il s'agissait du scénario du film, la boulette.
Sans doute eux-mêmes embarrassés par un scénario aussi étique, les auteurs tentent de biaiser. D'abord avec ce préambule carcéral en Corée (dont la seule raison d'être est de justifier implicitement l'absence du héros lors du 11 septembre) qui ne débouche sur à peu près rien. Après 14 mois de tabassages divers et variés, 007 se révèle immédiatement frais et dispos, toujours aussi affûté et doté d'un super pouvoir, celui de quasi cesser son rythme cardiaque. Un pas de plus vers Batman et consorts (tout invincible qu'il soit, Jack Bauer avait considérablement dégusté lors d'un séjour de deux ans dans les geôles des services secrets chinois). On s'amuse tout de même de sa barbe à la Robinson Crusoé et de la tonte de celle-ci, signifiant que « 007 is back », un truc absolument jamais employé dans d'autres films. Brosnan ne tente pas un instant d'insuffler un minimum de crédibilité à ce qu'a vécu son personnage. Il a raison : à quoi bon ?
Pour meubler, le film bénéficie d'un formidable effet d'aubaine grâce au quarantième anniversaire de la saga, et il ne va certes pas barguigner à en profiter. Meurs un autre jour apparaît ainsi bourré jusqu'à la gueule de clins d'œil divers et variés à de grands moments du passé.
C'est le cas lors de reconstitutions, comme l'apparition de Jinx à la Honey Rider ou de 007 filmé à un moment se présentant comme délicat à la Bons Baisers de Russie, ou du parachute aux couleurs de l'Union Jack similaire à celui de L'espion qui m'aimait, etc. Les exemples abondent également dans les dialogues, avec également un clin d'œil à la 20e montre de Bond entre autres.
On se serait réjoui de la simple découverte de la caverne d'Ali baba de R, effectivement très amusante, mais cette pratique, si facile, si consensuelle, se généralise trop et vire au procédé besogneux. Cela reste un indice de mauvais film car Quantum of Solace, avec plus de mesure certes, tentera pareillement de remplir son vide digne de l'Espace Profond. Si seulement cette approche de BD d'aventures simpliste servait à développer de sublimes scènes d'action, mais dans ce domaine aussi l'échec du film se révèle patent. En effet, les combats signés par Lee Tamahori se signalent par un procédé unique, sans cesse répété, celui du « catalogue de la manufacture d'armes de Saint-Étienne ». Que cela soit sur les hovercrafts de Corée, le club d'escrime de Londres, ou les auto-tamponneuses sur glace d'Islande, blanc bonnet et bonnet blanc, on a pareillement droit au même spectacle : 007 ou son adversaire changeant d'armes à un rythme soutenu, toujours plus dans la surenchère à la manière d'un Tex Avery, l'humour en moins. Le tout se voit filmé de manière bien pompière, avec ces magnifiques moments d'humour involontaire que l'on aime à retrouver dans les nanars. Ainsi 007 regarde Zao par vison thermique, l'autre bondit dans sa propre voiture, et hop, branche lui aussi la vision thermique. Là on éclate de rire.
La mise en scène, toujours parfaitement ostentatoire, développe de plus quelques tics irritants, comme cet emploi incessant et abusif des ralentis et des zooms accélérés, à l'image des clips vidéos criards et dépourvus d'imagination. Mais outre l'omniprésence incroyable des gadgets, on passe le seuil de l'indigeste pour pénétrer dans le domaine du ridicule le plus achevé par l'abus des effets spéciaux et des images de synthèse. Voiture invisible, armure énergétique, surf sur tsunami, bombardement orbital que ne désavouerait pas Palpatine : on ne se situe plus dans les James Bond mais bien dans les films de super héros, et pas n'importe lesquels : les plus simplistes et puérils sacrifiant tout au spectaculaire immédiat. On pourrait de même se demander pourquoi tout fond dans l'hôtel sauf les portes de la chambre de Jinx, ou quel est l'intérêt d'aller diriger les opérations depuis un avion civil, cible facile et dépourvue d'escadrille de protection, etc.
Si l'on accorde à Lee Tamahori d'avoir réussi de fort jolies vues de Cuba, autant en admirer d'encore plus belles dans le sublime Buena Vista Social Club qui vient de remporter un formidable succès en 1999. Toujours le suivisme… Il en va de même pour le générique très similaire aux précédents (incorporer des images de l'action n'apporte rien) et surtout pour la chanson de Madonna, dans le droit fil du choix de retenir des artistes optimisant les chances de succès au hit parade. Hélas, le tube Die Another Day, aux sonorités électro des plus stridentes, apparaît bien moins convaincant que les titres antérieurs. Surtout, cela nous vaut une apparition totalement inutile de Madonna au beau milieu du film, se manifestant par des dialogues d'une étonnante ineptie. Elle se justifie sans doute en partie par l'ego de la star, mais aussi par volonté de promotionnel à tout crin. On rejoint ici le flamboiement intense du placement de produit, qui plus que jamais transforme l'ensemble du film en dépliant publicitaire à destination des gogos (ou supposés tels, apparemment). Le retour bienvenu d'une Aston Martin en lieu et place de la BMW ne change rien à l'affaire.
À part quelques gris-gris, que reste-t-il de l'identité britannique et de la personnalité de James Bond dans ce déferlement pyrotechnique ? Pas grand-chose et il ne faut pas compter sur Pierce Brosnan pour les défendre, lui qui accompagne à merveille cette mutation de 007 en héros standard de blockbuster dopé aux effets spéciaux, si ce n'est en version particulièrement immature de super héros de comics.
Ce Bond-là trouve son alter ego parfait en la personne de Jinx. Celle-ci apparaît aussi déshumanisée et artificielle que son collègue anglais, tout en postures de bravaches et en emploi de gadgets détonnants. Halle Berry est aussi magnifique qu'athlétique, mais son talent d'actrice se limite ici à quelques expressions pesantes et rapidement irritantes à force de clichés. Son personnage n'est qu'une mécanique au service de la pléthore envahissante d'effets spéciaux, au même titre que Bond. La perte de substance comparativement à l'épatante Wai Lin / Michelle Yeoh saute aux yeux durant tout le film.
Fort heureusement les alliés de Bond semblent bien plus intéressants, avec une Judy Dench rehaussant toujours son M par l'éclat d'un jeu, lui, très sensible et humain. John Cleese continue à se régaler et à nous divertir avec son R passablement allumé. Même Moneypenny, à la conclusion du film, a droit à sa première scène authentiquement amusante en compagnie de son vieux complice. Bond y apparaît en virtuel, une jolie conclusion pour Meurs un autre jour… Charles Robinson se montre toujours aussi classieux (excellent Colin Salmon) tandis que le correspondant cubain de 007 se voit bien croqué. À l'évidence, Michael Madsen figure au générique pour cachetonner ; on ne lui en veut pas : pourquoi serait-il le seul à ne pas en croquer dans ce business juteux que constitue avant tout ce film ?
Il ne faut certes pas compter sur les adversaires du jour pour relever le niveau de Die Another Day tant ils relèvent eux-mêmes de l'esthétique et de la « philosophie » des super héros les plus basiques. Zao, « transformé après une expérience ayant mal tourné » relève à cet égard de la caricature, avec « une machine à rêves » digne du Nanarland. L'apport de Rick Yune au film se limite à ses muscles et à son maquillage ridicule. Le personnage ne développe aucun charisme ni rien de cette fantaisie mortifère faisant le charme des tueurs hors normes de jadis. Il en va pareillement pour l'imposant Mister Kill, dont le seul intérêt réside dans le nom.
On se prosterne devant l'inventivité sans cesse renouvelée des scénaristes puisque Moon n'est jamais que le troisième officier félon de l'époque Brosnan (sur 4 films). Après le Russe et le Chinois, voici le Nord-Coréen, finement joué ! Après un tour de passe-passe que l'on trouverait palpitant à l'époque de Rouletabille et de Fu Manchu, mais qui relève aujourd'hui de la grosse ficelle de scénariste en déroute, voici que surgit Mister Graves. On est reconnaissant à l'habile Toby Stephens de ne pas ménager ses efforts pour animer et défendre son personnage, mais lui aussi se voit balayé par cette déferlante d'effets spéciaux et d'explosions en tous genres écrasant tout sur son passage. L'idée du méchant singeant James Bond était astucieuse, mais aurait nécessité plus d'écriture pour réellement fonctionner, et aussi de se situer à une époque où Bond était encore Bond…
La seule exception dans ce morne panorama demeure Miss Miranda Frost, réellement l'excellente surprise de Meurs un autre jour. Entre feu et glace, le personnage se révèle captivant à suivre, d'autant que l'éclatant talent de la sublime Rosamund Pike lui apporte une humanité, certes dévoyée, manquant cruellement à la très schématique Jinx. On se réjouit que cette comédienne ait connu le succès qu'elle mérite sur les planches du West End tant le film lui doit les rares moments où il pétille réellement. Elle bénéficie également de dialogues un peu plus tranchants que la moyenne, autre domaine où Die Another Day se montre bien inférieur à ses devanciers.
Ainsi s'achèvent les aventures de Pierce Brosnan dans les habits de 007 par un étalage vulgaire d'effets spéciaux et de scènes chocs tournées sans inventivité, le tout primant sans partage sur la psychologie des personnages et l'intérêt du scénario. On regrette que les auteurs ne soient pas allés jusqu'au bout du concept et n'aient pas fait combattre Bond au sabre laser. Un peu d'audace, que diable !
Die Another Day connaît un prodigieux succès, ce qui incidemment en dit long sur les goûts actuels du public et permet de comprendre l'amertume parfois exprimée ultérieurement par Brosnan. Avec un budget connaissant une forte croissance (142 millions de dollars contre 120 pour Le monde ne suffit pas), il atteint un box office alors record hors évolution monétaire pour la saga avec 425 millions de dollars contre seulement 352 précédemment. En France, il parvient à crever le plafond des 4 millions d'entrées avec 4 010 574 contre 3 559 609. On n'avait pas vu cela depuis On ne vit que deux fois. Grands moments de la Saga James Bond : Sur les glaciers Crédits photo : Sony Pictures. Captures réalisées par Estuaire44
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Classement James Bond du meilleur au pire - Steed3003 1) GoldenEye : Un Bond exceptionnel, l'un de mes préférés, si ce n'est mon préféré. Après la fade période Timothy Dalton, on retrouve tout le style, le spectacle, et la démesure de James Bond avec une intrigue passionante, rondement menée par le réalisateur Martin Campbell. On ne voit pas passer les 2h du film. Les Bond girls sont parmi les mieux écrites et interprétées de la saga. Pierce Brosnan est parfait et renoue avec le Bond suave de Roger Moore et ses dialogues pétillants, tout en gardant l'épaisseur humaine introduit par Timothy Dalton, un exercice d'équilibre particulièrement fragile qu'il exécute parfaitement. En seulement deux scènes et quelques dialogues, Judi Dench s'impose en nouveau M. Pour l'action, ce film est une suite de moments d'anthologie tous plus électrisants les uns que les autres, avec en apogée la séquence du char à Saint-Pétersbourg. La musique d'Eric Serra est originale (on reviendra à des scores plus classiques ensuite), et je sais qu'elle a ses détracteurs, mais elle m'a particulièrement plu, elle participe au souffle de modernité, au bon sens du terme, qui dynamise l'ensemble du film. La chanson de Tina Turner s'insère parfaitement dans le canon bondien et on regrette que telle Shirley Bassey, la chanteuse ne soit pas revenue ensuite, tant elle est idéale pour l'univers Bond. 2) L'Espion qui m'aimait : Musique, paysages, intrigue, action, tout est juste parfait dans ce film, que beaucoup d'entre nous identifient toujours comme le James Bond de référence car il en offre tous ses éléments et les poussent à son paroxysme. 3) Skyfall : Le film est le reboot qu'aurait dû être Casino Royale, réintroduisant un à un tous les canons de la saga avec une nouvelle approche. Il n'est jamais trop tard ! Le triste réalisme à la Jason Bourne à la corbeille, place au style et au panache pour un retour aux fondamentaux ! Le film est la parfaite synthèse des époques précédentes et remet enfin la série sur les rails pour les années à venir : - la formule originale installée et rodée par Sean Connery Après s'être reniée durant deux épisodes, toute l'équipe renoue avec gourmandise avec l'esprit et les gimmicks de la saga, jusqu'à l'ultime James Bond Will Return bien mis en avant juste avant le générique de fin. Visuellement, le film est une réussite totale, sans aucun doute le plus beau de la série. Le film est particulièrement créatif et astucieux, jouant avec les fans et multipliant les clins d'oeil (comme une référence au stylo explosif de GoldenEye !) nous menant vers une fin extraordinaire qui nous renvoie aux origines de la série. La boucle est bouclée ! 4) Rien que pour vos yeux : Difficile de faire le moindre reproche à celui-ci. Roger Moore a vieilli, mais dans le bon sens. Il reste crédible dans les scènes d'action tout en apportant une vraie épaisseur à son personnage. Carole Bouquet apparaît certes étherée, mais traverse le film sans fausses notes. Toutes les scènes sous l'eau sont impressionnantes ; j'ai lu que Roger Moore et Carole Bouquet n'avaient jamais tourné sous l'eau suite à des problèmes de sinus de cette dernière. Plus de 30 ans après, on n'y voit toujours rien et le rendu final est impeccable. Techniquement et visuellement tout est splendide. Toutes les locations sont parfaitement utilisées et intégrées à l'action au-delà du simple aspect carte postale, cet aspect est sans aucun doute un des gros points forts de la période Moore. La poursuite à skis reste pour moi une des séquences d'anthologie de la saga. Le final privilégiant l'intensité dramatique à des effets pyrotechniques qui devenait un peu répétitif et redondant dans les films précédents est un modèle du genre. J'aime aussi quand le film assume pleinement ses dimensions sérielles (séquence du début, retour du Général Gogol). Un sans fautes pour John Glen pour sa première réalisation pour la série, un très grand Bond qui amorce un nouveau tournant dans les années 80 tout en restant fidèle aux canons de la saga. 5) Octopussy : Moi qui aime quand James Bond propose un ton décalé et s'oriente vers l'aventure avec fantaisie et style, je suis servi avec cet opus au ton très Avengers pour un James Bond plus ludique et pétillant d'inventivité que jamais. Le bon souvenir que j'avais gardé d'Octopussy ne s'est pas émoussé à cette nouvelle vision. Les séquences d'action sont spectaculaires, le final impressionant. Certes, le ton est définitivement à la bande dessinée, la violence est aseptisée et l'humour domine. Octopussy offre malgré tout quelques scènes glaçantes comme la mort de 009 ou l'exécution du Général Orlov. Après l'adolescente Carole Bouquet dans Rien que pour vos yeux, la plus mûre Maud Adams offre une prestation plus consistante avec un personnage bien plus fascinant et complexe. Louis Jourdan n'atteint pas l'intensité de son compatriote Michael Lonsdale mais reste efficace. Roger Moore est plus que jamais à l'aise dans un film on ne peut plus Moorien et porte l'ensemble du film avec conviction et panache. Plastiquement, le film est superbe. Après Rien que pour vos yeux, John Glen offre un nouveau travail soigné, avec une fluidité parfaite du début à la fin. La musique de John Barry est excellente. Du bonheur, au même niveau que Rien que pour vos yeux et L'espion qui m'aimait pour moi. 6) On ne vit que deux fois : Cet opus amorce la transition de la saga entre espionnage et aventures, j'ai toujours préféré le deuxième style au premier, donc On ne vit que deux fois m'enthousiasme particulièrement. Beaucoup d'idées et de fantaisie, des scènes d'action exceptionnelles qui s'enchaînent, un Sean Connery toujours parfait, un régal du début à la fin. 8) Bons baisers de Russie : Un classique instantané, tout fonctionne parfaitement bien, et plus de 50 ans après l'ensemble n'a pas pris une ride. 9) Spectre : Spectre confirme que Skyfall n'était pas seulement une bonne surprise. La bonne voie prise d'embrasser complètement l'héritage de la saga et revenir à ses fondamentaux est bien une orientation durable. Spectre pousse encore plus le curseur vers le Bond classique que nous aimons tous. Cet opus multiplie les références à l'ensemble des épisodes précédents. Il est de loin le plus feuilletonnant de la série. Chacun est d'ailleurs invité à réviser ses classiques (notamment les périodes Connery et Craig) pour la bonne compréhension de l'intrigue, particulièrement riche et plus référentielle que jamais. Au niveau du casting, Daniel Craig est toujours impérial. Les Bond girls sont fantastiques : Léa Seydoux confirme que les actrices françaises tiennent toujours le haut du pavé dans ce rôle, Monica Bellucci étonne dans un rôle malheureusement trop court. Christopher Waltz est exceptionnel et s'impose parmi les grands méchants de la série. Le rôle plus développé de M dans cet opus permet à Ralph Fiennes de s'imposer également dans ce nouveau rôle. Q et Moneypenny bénéficient également d'une présence renforcée et bienvenue. Que ce soit dans les destinations, les scènes d'action ou les dialogues, ce Bond est presque autant un hommage aux grands moments de la saga qu'un nouveau film. On est dans le fan service permanent. Sam Mendes exécute parfaitement la partition Bond, on sent qu'il la maîtrise sur le bout des doigts. Il n'oublie pas d'y parsemer quelques surprises, notamment dans les dernières scènes du film. Visuellement, le film est une claque, et comme Skyfall avant lui, figure parmi les plus beaux de la série. En résumé, on pourrait qualifier ce James Bond de James Bond d'épinal. On est dans l'anti-Casino Royale par excellence. Spectre est à la fois respectueux des classiques, mais suffisament inventif et ludique dans son déroulement pour nous captiver. Et ses quelques choix plus subversifs (notamment la fin) ne manqueront pas de surprendre. Hormis l'horrible chanson titre de Sam Smith (l'aspect visuel du générique est lui nettement plus réussi), c'est une excellente cuvée. Quant aux fins connaisseurs de la saga, ils se régaleront de bout en bout, tant ce James Bond parait avoir été fait pour eux. 10) Le Monde ne suffit pas : Après le film d'action impersonnel Demain ne meurt jamais, il y a beaucoup de choses à aimer dans Le Monde ne suffit pas : le jusqu'auboutisme délirant et enivrant de ses scènes d'action, la musique de Dave Arnold qui rappelle le lyrisme des meilleures compositions de John Barry, la richesse et la complexité de ses personnages, la plus grande place donnée à M et le retour de Robbie Coltrane, tout cela emballé par une réalisation voluptueuse et élégante de Michael Apted et porté par un Pierce Brosnan impeccable de bout en bout. On notera aussi l'arrivée de R avec le délicieux John Cleese, on regrette qu'il ne soit apparu que dans seulement deux films. Sans atteindre les sommets de GoldenEye, un très bon cru donc. 11) Moonraker : Beaucoup de points positifs : Lois Chiles plus crédible que Barbara Bach en femme d'action, Michael Lonsdale adversaire imposant, les locations exotiques et qui donnent lieu à de grandes scènes d'action, les décors de Ken Adam. On sent une volonté d'en mettre plein la vue au spectateur, et la partie dans l'espace décriée n'occupe que le dernier quart du film et a plutôt bien vieilli aujourd'hui. Pourtant, il ne m'a pas aussi enthousiasmé que L'espion qui m'aimait, la surenchère peut-être qui ne permet pas des scènes plus contemplatives ou décalées qu'offrait ce dernier. Il en reste un très solide divertissement. 13) Jamais plus jamais : Je l'ai revu juste après Opération Tonnerre et sans vouloir choquer les puristes, je l'ai trouvé bien meilleur. C'est ce qu'Opération Tonnerre aurait dû être avec des vrais moments de bravoure et des scènes aquatiques limitées au maximum et rondement menée. Sean Connery apparaît bien plus investi et motivé que dans Les diamants sont éternels, et hormis l'horrible musique de Michel Legrand ici pas du tout à son emploi, tout fonctionne parfaitement. 14) Meurs un autre jour : Quand Sir Roger Moore himself juge cet épisode un peu excessif, il y a de quoi s'inquiéter. Clairement, on a affaire au Moonraker / On ne vit que deux fois de l'ère Brosnan avec cet épisode ultra spectaculaire, mené à un rythme tambour battant et accumulant les moments de bravoure. Dans l'ensemble cela fonctionne plutôt bien malgré quelques effets qui ont (déjà) mal vieilli, notamment ces incessants ralentis / accélérés. La réalisation de Lee Tamahori est de bonne tenue avec son image pulp aux couleurs saturées entre Cuba et l'Islande. L'intrigue est solide et, malgré une trame plutôt classique, réserve suffisament de surprises et de rebondissements pour maintenir l'intérêt du spectateur. Halle Berry n'est pas la plus insupportable des Bond girls américaines, c'est déjà beaucoup dire, Rosamund Pike apporte beaucoup de piquant au personnage de Miranda Frost, le plus intéressant du film. Pour sa dernière apparition, Pierce Brosnan fait un nouveau sans fautes, et on retrouve avec plaisir Judi Dench et John Cleese. La musique de Dave Arnold est encore une fois exceptionnelle et participe grandement à ancrer le film comme un vrai James Bond. À part un final qui souffre d'un excès d'effets spéciaux et de pyrotechnie sans grand intérêt, voilà un opus plutôt sympathique dans sa générosité donc, surtout quand on sait ce qui arrive avec le James Bond jésuite de Casino Royale. 15) Au service secret de sa majesté : Contrairement à son prédécésseur On ne vit que deux fois, on est dans un film d'atmosphère, mais cela fonctionne plutôt bien grâce á la beauté de la réalisation et les performances de Diana Rigg (qu'on aurait souhaité voir plus longtemps á l'écran) et Telly Savalas. Pour son seul et unique passage, George Lazenby s'en sort plutôt bien sans s'imposer clairement et regretter qu'un second film avec lui ait pu voir le jour. 16) Permis de tuer : Un ensemble haut de gamme et divertissant, bien emballé par John Glen qui s'affirme comme le réalisateur le plus constant de la saga. Mais si on peut saluer les ambitions de cette nouvelle direction, l'exécution n'est pas à la hauteur et on peine trop souvent à retrouver le charme et le plaisir inimitable d'un James Bond. Si cet opus corrige partiellement les faiblesses du précédent Tuer n'est pas jouer, il ne parvient donc toujours pas à atteindre le niveau des meilleurs épisodes de la saga. La première partie fait plus penser à un banal film d'action, avec un summum dans l'anachronisme lors d'une vulgaire bagarre dans un bar. La deuxième partie avec le passage dans le casino puis l'arrivée de Q (qui aura une présence renforcée et bienvenue) s'améliore nettement et on retrouve le souffle et le panache des grands crus de la série pour aboutir à un final particulièrement spectaculaire. Comme dans l'opus précédent, le scénario est plus inventif et audacieux, mais l'erreur fondamentale du film est de mettre Felix Leiter, personnage passe partout qui n'était pas apparu dans la série depuis longtemps hormis Tuer n'est pas jouer en enjeu dramatique principal et moteur de l'intrigue. Un personnage avec un acteur récurrent installé comme M ou Q aurait permis au spectateur de s'investir réellement. Timothy Dalton, malgré ses qualités réelles d'acteur et sa crédibilité dans les scènes physiques, n'arrive toujours pas à instaurer de complicité avec le spectateur. Au final, je suis donc content que cette parenthèse Dalton se termine. 17) Demain ne meurt jamais : Après l'excellent GoldenEye, tout paraît trop routinier et vu et revu dans Demain ne meurt jamais. L'intrigue souffre de trop nombreux poncifs pour un Bond et le film se déroule sans aucune réelle surprise. On peut comprendre que les producteurs puissent penser que tout le monde n'ait pas vu On ne vit que deux fois ou L'espion qui m'aimait, mais cet épisode souffre d'un sentiment de déjà-vu trop prégnant dans son ensemble, on se demande même parfois si on assiste pas à un remake d'un ancien épisode de la série. C'est d'autant plus visible quand l'on revoit l'ensemble de la saga à la suite. Dans les points positifs, on notera l'excellence de toutes les scènes d'action, dont une course poursuite à Saigon qui sans atteindre le char de Saint-Pétersbourg figure parmi les grands moments de la saga. Le sujet des médias abordé par le film est fascinant et Jonathan Pryce un méchant particulièrement développé et savoureux. Dans les points négatifs, hormis l'intrigue convenue, il y a les Bond girls : Teri Hatcher et Michelle Yeoh sont deux excellentes actrices, et qui se débrouillent plutôt bien ici, mais leurs personnages sont à peine esquissés et ne réussissent jamais à s'élever au delà des stéréotypes. 18) L'homme au pistolet d'or : Long, très long. Christopher Lee est très bon, le choix de la Thaïlande permet des scènes spectaculaires, mais l'ensemble manque d'audace. Les quelques scènes qui auraient pu donner un peu plus d'ampleur sont expédiés comme la voiture qui se transforme en avion ou le duel final. Correct, sans plus. 19) Dangereusement Vôtre : La première partie est excellente, Patrick Macnee dans un Bond c'est déjà formidable, Patrick Macnee dans un Bond en France carrément jubilatoire. Toutes les scenes entre Roger Moore et Patrick Macnee sont un pur régal tant la complicité entre ces deux géants des séries cultes transparaît á l’écran. La scène de la mort de Patrick Macnee est particulièrement troublante, la séquence à cheval qui s’ensuit fonctionne parfaitement. Dés l’arrivée à San Francisco, les choses se gâtent, les longeurs s’accumulent, l’ennui vient même à s’installer par moments, un comble pour un Bond. Les Bond girls sont oubliables, et aujourd’hui oubliées. On en vient à regretter amèrement que Patrick Macnee n’ait pas été présent plus longtemps, la dynamique qu’il avait avec Moore était bien plus enthousiasmante que ces archétypes vus et revus sans intérêt. Comme le choix audacieux de M pour Skyfall, c’était peut être lui la vraie Bond girl du film ! J’apprécie l’envie de renouveler les scènes d’action entre chaque film, mais la séquence avec la voiture de pompier ne fonctionne pas tant l’alternance plans réels / sequence studio est visible, c’est également cet aspect qui ruine la séquence finale du film sur le Golden Gate Bridge tant les trucages paraissent évidents. Roger Moore vieillit, on a l’impression que depuis Moonraker, il prend 5 ans entre chaque film. Même si l’envie est toujours là et l’esprit Bond perdure, les scénaristes ratent le coche en ne prenant jamais cet aspect en compte dans le scénario, comme l’avait fait avec succès Jamais plus Jamais par exemple. Ces sequences de plus en plus spectaculaires ne prennent tout simplement plus du tout. J’aime le thème qu’a fait John Barry pour le film, mais on l’entend tout le temps, souvent à peine revisité. Plastiquement, le film reste superbe, sans se montrer aussi inventif et inspiré que les épisodes precedents. John Glen fait du bon boulot, et comme toujours tout l’aspect technique et visuel du film est soigné, mais on sent qu'il faut maintenant passer à autre chose et repenser la saga. 20) James Bond contre Dr No : C'est un peu comme revoir les premières saisons de Chapeau melon et bottes de cuir, les éléments du succès de la saga sont tous là, mais faute de moyens les ambitions sont limitées et l'ensemble manque de souffle. A toutefois la bonne idée d'être court et se laisse regarder sans déplaisir. Sean Connery s'impose immédiatement dans le rôle. 22) Tuer n'est pas jouer : Un Bond particulierement inégal, et beaucoup de longueurs durant les plus de 2h du film qui aurait gagné à être nettement raccourci. C'est un problème récurrent dans les Bond, mais ça se sent particulièrement dans cet opus. Avec son style brut de décoffrage, Timothy Dalton n'est pas mal mais ne s'impose pas aussi nettement qu'un Sean Connery ou qu'un Roger Moore dans le rôle. Il n'a pas leur charisme. Le ton général du film entre tradition et modernité manque d'unité. Il manque au film le style et l'élégance so british, tout paraît plus terre-à-terre. L'intrigue riche en faux semblants et en rebondissements est plus travaillée que d'habitude pour un Bond, au risque de perdre parfois le spectateur. Hormis quelques répliques, on perd beaucoup en humour et également en exotisme avec des locations plus ternes que d'habitude. Les scènes d'action sont dans l'ensemble spectaculaires avec toujours quelques moments bondiens over the top qui font le charme unique de la saga. Maryam D'Abo fait également partie des points positifs du film avec une Bond girl qui prend pleinement part à l'action et rappelle la Tracy de Diana Rigg. Musique exceptionnelle de John Barry. 23) Quantum of Solace : Nous aurions souhaité que Casino Royale soit un lointain mauvais souvenir ; pas de chance, nous en avons la suite directe avec Quantum of Solace. Pourtant, le scénario est une bonne surprise, bien pensé et structuré, s'éloignant considérablement du faux réalisme de Casino Royale. Techniquement, le film est une réussite totale, la photographie est sublime, les décors sont inspirés, les effets spéciaux souvent habiles. Les moyens mis en oeuvre sont impressionants. Mais tous ces efforts se retrouvent ruinés par une mise en scène complètement inadaptée de Marc Forster. Son style de documentariste caméra au poing s'accomode horriblement mal avec la fluidité et l'élégance indispensables à un James Bond, on se prend parfois à refaire les cadres ou les plans tant on a du mal à comprendre ce sabotage permanent. L'exercice est quasiment sadique pour le spectateur qui entrevoit ici et là l'excellent film que Quantum of Solace aurait pu être. À cette mise en scène baroque s'ajoute un montage épileptique complètement fou, absolument incompréhensible, qui ruine chaque scène d'action, une par une. C'est d'autant plus navrant que tous les ingrédients étaient réunis pour un solide divertissement bondien salutaire après l'ennuyeux Casino Royale. Un Sam Mendes ou un Martin Campbell aurait pu faire un des meilleurs épisodes de la saga. Niveau casting, Mathieu Amalric est clairement une erreur sévère, il apparait perdu entre deux films d'auteur. Les Bond girls rattrapent le coup avec une excellente cuvée, Gemma Arterton notamment. La musique de Dave Arnold est toujours impeccable, a contrario de la chanson titre, la plus nulle de la série, indigne du talent d'Alicia Keys. Un film assez bâtard donc, bourré de paradoxes, finalement assez frustrant, mais un poil meilleur que Casino Royale tout de même car parfois jouissif dans son jusqu'au-boutisme et son grand n'importe quoi assumé. "Bond, I need you back" dit M à la fin, nous aussi. 24) Casino Royale : Un Bond presque hors-série tant on a l'impression de voir un Jason Bourne, et pas un James Bond. L'intrigue, dénuée d'humour, particulièrement fumeuse et incompréhensible, accumule les séquences bizarres, parfois même gênantes, notamment dans son dernier tiers. Paradoxalement, le film se veut réaliste mais cumule les invraisemblances et le scénario part progressivement en roue libre. Les longueurs s'enchaînent, les rebondissements aussi, mais on ne comprend jamais les tenants et les aboutissants, les motivations des personnages, et surtout le rôle de Bond dans tout cela. Plusieurs points positifs sauvent cet opus de la sortie de route : l'excellente réalisation de Martin Campbell qui fait regretter qu'il n'ait pas eu un scénario proche de GoldenEye, il apporte à une simple filature dans l'aéroport de Miami ou dans les rues de Venise une incroyable tension, et le peu de séquences d'action sont impeccablement troussées. Il faut aussi saluer un Daniel Craig qui réussit à mettre du liant et de la cohérence dans ce grand n'importe quoi, une vraie performance. Le reste du casting est de haut niveau, malheureusement gâché par des dialogues trop souvent plats et des personnages ineptes. 25) Les diamants sont éternels : Tout apparait je-m'en-foutiste dans celui-ci. Incompréhension totale devant le choix du Nevada, qui apporte des paysages soit arides et sans intérêt, soit bling-bling et putassiers dans Las Vegas - la richesse géographique des États-Unis proposait de bien meilleurs cadres - intrigue sans queue ni tête, deux tueurs ridicules et anachroniques qu'on croirait sortis de Easy Rider, personnages américains caricaturés au maximum et insupportables au possible, ensemble extrêmement mal vieilli... un sacré ratage. |
Ère Timothy Dalton 1. TUER N'EST PAS JOUER Scénario : Richard Maibaum & Michael G. Wilson - Whoever she was, I must have scared the living daylights out of her. Le 27 juin 1987, Lady Diana et le Prince Charles présidaient à la première londonienne des nouvelles aventures de James Bond. À cette occasion allait se révéler le nouveau titulaire du rôle, ayant la lourde charge de succéder à Sir Roger Moore. Un véritable défi ! Tuer n'est pas jouer débute par l'une des meilleures séquences d'introduction de la saga. Le superbe site du Rocher de Gibraltar (et ses singes !) se voit admirablement utilisé et mis en scène au cours d'une scène d'action absolument trépidante. Le film s'amuse à différer quelque peu la découverte du nouveau Bond, tout comme jadis avec Lazenby mais aussi lors du retour de Sean Connery. Un procédé toujours aussi efficace, d'autant que l'apparition de Timothy Dalton reste fort bien amenée. Le film met également ici toutes les chances de son côté pour séduire son public anglais, le Piñon demeurant certainement le plus prestigieux des ultimes confettis de l'Empire malgré les efforts réitérés de l'Espagne… Ce lancement particulièrement relevé se relaie fort efficacement par la superbe musique de John Barry et de A-ha. Vendue à plus de deux millions d'exemplaires, ce titre demeure l'un des plus grands succès du groupe norvégien et une chanson emblématique de l'époque, quasiment au même titre que le A view to a kill des Duran Duran. Cet air particulièrement entraînant vient opportunément à la rescousse d'un générique aux images assez convenues et peu inspirées. Pour son ultime participation à la saga, John Barry nous offre par ailleurs une bande-son toujours aussi efficace. Celle-ci s'orne également de deux titres des Pretenders (qu'écoute Nécros sur son walkman), un groupe particulièrement populaire auprès des fans de Chapeau Melon pour le très connoté clip de Don't get me wrong ! La violoncelliste Kara nous vaut également la présence de plusieurs sublimes morceaux de musique classique, Mozart, Dvorak, et Tchaïkovski venant encore enrichir la déjà superbe bande son. L'intrigue du film se montre réellement passionnante, alliant un retour très réussi aux standards et à l'atmosphère des récits d'espionnage de la Guerre Froide à un complot finalement essentiellement crapuleux. L'histoire se montre ainsi très évocatrice de cette période d'agonie de l'affrontement des blocs marquée par le crépuscule des idéologies et le triomphe prochain de l'argent roi. L'évocation (passablement romantique) de la guerre d'Afghanistan achève d'insérer agréablement le récit dans son temps alors que les éléments culturels délicieusement 80's se montrent plus rares que dans Dangereusement vôtre (à lire l'excellente BD de F'Murr Le char de l'État dérape sur le sentier de la guerre, se déroulant précisément en 1987). Les auteurs ne confondent pas complexité et confusion, et cette histoire aux multiples rebondissements et au double jeu si typiques de l'espionnage s'exécute en une mécanique parfaitement huilée. Elle nous entraîne dans une passionnante balade autour du monde. John Glen filme l'ensemble avec un vrai sens de l'image, exprimant parfaitement l'atmosphère des divers lieux visités même si l'on reconnaît aisément les panoramas et l'architecture du Maroc dans ce que l'on nous présente comme étant l'Afghanistan… Le metteur en scène se montre vraiment particulièrement inspiré, avec un goût toujours marqué pour les scènes d'action toniques et rondement menées. Outre son époustouflante séquence initiale, Tuer n'est pas jouer accumule ainsi à plaisir les moments forts, tels le passage du pipeline, la poursuite sur les toits de Tanger, l'attaque du camp soviétique, ou le raid de Nécros sur une grande demeure anglaise ; la prestigieuse Stonor House, évoquant fort agréablement de nombreux décors des Avengers (pour l'anecdote, Tanger, nid d'espions, se voit également évoqué dans l'excellent Le point de mire). On y retrouve avec plaisir le perroquet de Rien que pour vos yeux, ces trop rares liaisons entre épisodes demeurant toujours aussi divertissantes. Un oiseau qui en savait trop ? On apprécie également l'espace idéalement délimité imparti aux différents gadgets, astucieux et soutenant l'action sans la saturer ni la dénaturer. Après la longue parenthèse Lotus propre à la période Roger Moore, on renoue également fort plaisamment avec les Aston Martin, même si à vrai dire la nerveuse V8 Vantage Volante ne fera pas d'ombre à la légendaire DB5. La poursuite sur glace particulièrement mouvementée s'inscrit néanmoins parmi les moments les plus saillants de cette grande tradition bondienne, avec une technologie et des péripéties n'ayant rien à envier à Goldfinger. Encore et toujours l'on regrettera la surabondance de placements de marques, avec notamment un Q se fournissant avec une rare insistance auprès d'un grand groupe hollandais d'électronique… Néanmoins, le succès du film allait bien entendu se jouer avant tout sur la prestation offerte par Timothy Dalton. Ce grand acteur de théâtre shakespearien, formé à la RADA, également aperçu dans des productions aussi diverses que l'académique Mary Stuart (1971) ou le kitschissime Flash Gordon (1980), accède au rôle après un processus passablement tourmenté. Pierce Brosnan fut ainsi sérieusement envisagé, mais à son corps défendant demeure lié à l'éminemment sucré Remington Steele (1982-1987), tandis que les noms de bien d'autres acteurs, parfois hautement improbables, se voient également cités. Dalton parvient néanmoins à annihiler toute éventuelle étiquette de comédien de substitution par l'excellence de son interprétation. Il introduit ici un James Bond en totale rupture avec des années Moore parfois aux confins du pastiche (il renoue d'ailleurs avec les cigarettes…). Celles-ci apparaissaient hautement réjouissantes et souvent passionnantes, mais la variété des incarnations participe pleinement à l'intérêt de 007, à l'image du Docteur. Grâce à la vraie richesse de son jeu, Dalton campe un Bond certes plus recentré que précédemment, mais également dépouillé de la dimension parfois surhumaine que véhiculait Sean Connery. L'interprète, dont la jeunesse dynamise le film, insuffle une vraie originalité à un personnage plus sensible et anxieux, mais également davantage impliqué émotionnellement que ce que l'on a connu par ailleurs. Il reste sans soute le moins coureur et machiste des Bond, ce qui ne l'empêche pas de se montrer parfaitement convaincant dans les scènes d'action et de combat. De même, il apparaît toujours doté de dialogues divertissants. Gagner en humanité ne signifie pas que l'on édulcore le personnage, telle est la magistrale démonstration que nous délivre Dalton, sans soute le plus vraisemblable de tous les Bond. Une « troisième voie » réellement enthousiasmante. On ajoutera que le comédien arbore admirablement le smoking, ce qui ne gâte rien ! Ses alliés offrent, eux, un panorama des plus contrastés. Si M, décidément british jusqu'au bout des ongles, et davantage encore Q se montrent en grande forme (avec un atelier toujours plus en délire), on reste plus réservé quant à la version assez falote de Miss Moneypenny délivrée par la charmante Caroline Bliss. Succéder à Lois Maxwell restait sans doute une gageure, même si pour pallier à cette difficulté les auteurs tentent de casser le modèle des rencontres dans l'antichambre de M en enchâssant curieusement Moneypenny dans la section Q. Ces scènes demeurent agréables mais bien moins pimentées que naguère. Sans doute aurait-il été préférable de ménager une vraie sortie à Lois Maxwell et d'incorporer un nouveau personnage, comme cela sera le cas ultérieurement pour Q (avant le retour de ce dernier sous les traits d'un autre acteur dans Skyfall). Saunders développe un personnage crédible de correspondant local d'Universal Export, d'abord rebuté puis sympathisant avec son singulier partenaire. On ressent de fait plus d'émotion à sa disparition que lors des morts similaires d'innombrables sidekicks, preuve de la place occupée par le personnage. Á l'inverse, le film marque par contre un trou d'air bien malencontreux avec ce qui demeurera sans doute le Félix Leiter le plus insignifiant de la série ! Kamran Shah, interprété avec fougue par Art Malik, apporte la touche exotique et épique qui convient. Mais c'est finalement Pouchkine qui compose l'allié le plus inattendu et réjouissant de Bond, avec un John Rhys-Davies aussi délectable qu'à l'accoutumée. Avec Indiana Jones et Le Seigneur des Anneaux, sans oublier Sliders, ce grand comédien de genre aura décidément connu une carrière à la hauteur de ses mérites ! Dommage qu'il ne s'agisse que d'un one shot. Toutefois, c'est bien avec la relation sentimentale très intense l'unissant à l'irrésistible Kara Molovy que Bond développe sa nouvelle sensibilité. Cette liaison fusionnelle (et monogame !) apporte un vrai romantisme à l'histoire. D'autant que, si on peut trouver un peu kitsch les passages de Schönbrunn ou de la grande roue, le film évite toute emphase à ce sujet. Les cartes postales musicales du Bond de Lazenby et de Tracy font de fait beaucoup plus « Harlequin ». Kara n'a pas bonne presse car on lui reproche souvent un aspect cruche et gaffeur jusqu'à l'irritation (ne pas confondre Kara et Tara, n'est-il pas…). Mais le film semble ici se positionner avec logique dans son optique de vraisemblance, certes relative. Après tout, Kara est une jeune femme ne connaissant de la vie qu'un banal quotidien, uniquement illuminé par la musique et un amour illusoire. Qu'elle soit dépassée sinon déboussolée par sa brusque immersion dans un univers aussi violent et aventureux reste finalement… logique ! Bond lui-même le considère ainsi, lui pardonnant volontiers sa « trahison ». Les auteurs n'oublient pas non plus de la faire participer un minimum à l'action, à la différence d'une Honey Rider dont on nous rebat tant les oreilles par ailleurs. Le film a cependant la main un tantinet lourde là-dessus avec une Kara mettant hors de combat plusieurs soldats soviétiques. Pour un peu, Kara deviendrait Supergirl… Même si elle ne figure sans doute pas parmi les meilleures comédiennes de sa génération, la très belle Maryam d'Abo (cousine d'Olivia) défend son personnage avec un naturel et une conviction parfaitement communicatifs ! Le courant passe à l'évidence à la perfection avec Dalton. La contrepartie de cette relation si profonde n'en demeure pas moins une pauvreté assez marquée du film en éléments féminins. On dénote tout de même de séduisantes naïades ainsi qu'une touriste vorace aux alentours de Gibraltar (le charme si particulier de l'apparent ennui des croisières) et des agentes de la CIA autrement pétillantes que leur patron. Mais l'apparition la plus étonnante reste celle de la compagne de Pouchkine, non seulement pour son spectaculaire déshabillé, mais aussi et surtout parce que Virginia Hey interprètera ultérieurement la fameuse Pa'u Zotoh Zhaan de Farscape (1999-2003) ! Bien entendu, les étonnants maquillages de cette série à part rendent l'identification pour le moins malaisée ! Ce Bond de haut vol que constitue The Living Daylights flirte longtemps avec le chef-d'œuvre, mais vient malheureusement achopper sur un élément d'appréciation essentiel : la personnalité des adversaires du jour. Si sa conspiration exhale un machiavélisme des plus stimulants, effectivement digne d'un stratège du KGB (minorant toutefois la variable 007, un classique depuis Kronsteen), Koskov dénote totalement par son aspect de valet de comédie, sinon de farce, dénué de charisme et d'éclat. Son personnage décalé paraît en contresens total avec le reste du film, et on lui préfèrera aisément les monstres froids de Bons baisers de Russie le roman. Au moins bénéficie-t-il d'une savoureuse composition de Jeroen Krabbé, tandis que Joe Don Baker se contente de cabotiner de la pire des façons sur le personnage d'une insigne lourdeur que constitue Whitaker. Il se montrera d'ailleurs bien meilleur en Jack Wade. Les amateurs de Wargames et autres jeux d'Histoire pourront d'ailleurs légitimement se considérer au bord de l'insulte devant de tels poncifs ! Le grotesque affrontement final rompt d'ailleurs avec la bonne tenue du film, notamment dans l'emploi des gadgets high tech. De l'épate pour l'épate, il aurait mieux valu pour Koskov qu'il disparaisse en Afghanistan que de se faire cueillir comme un lapin ! On pourra objecter que le film innove en scindant le traditionnel adversaire colossal de Bond mais cela se révèle une fausse bonne idée, les deux complices ne générant rien d'autre que de convenu et ne disposant dès lors que d'un espace trop limité pour convenablement se développer. La nouveauté ne se justifie que par un réel apport, ici c'est tout le contraire qui survient. Nécros, le traditionnel tueur hors normes, s'en tire nettement mieux que ses patrons, avec notamment une infiltration se révélant un modèle du genre. Andreas Wisniewski a une formation de danseur classique lui permettant d'apporter une vraie grâce létale aux combats de son personnage (ce qui rappellera quelque chose aux fans de Purdey !). On regrettera, légèrement, que l'affrontement tant attendu avec Bond donne plutôt lieu à une impressionnante cascade qu'à un combat impeccablement scénarisé et chorégraphié comme on a pu en connaître par le passé. Mais telle quelle, la scène demeure parfaitement spectaculaire. Une autre déception, certes mineure, occasionnée par le film, réside dans sa conclusion d'un burlesque évoquant celle du Casino Royale de 1967. Cette apparition abracadabrantesque de guerriers afghans tombe totalement à plat, dégageant un ridicule seulement partiellement dissipé par l'émouvante ultime apparition de Walter Gotell. Heureusement, c'est sur un clin d'œil malicieux et romantique que le formidable Timothy Dalton prendra congé d'un public conquis et rêvant déjà d'une longue collaboration à la saga… Ce très relevé Tuer n'est pas jouer va jusqu'à bénéficier d'une traduction d'un de ces titres ésotériques affectionnés par Fleming parfaitement exécutée et insérée dans le dialogue, une rareté. Pour l'anecdote, « to scare the living daylights out of someone » signifie « faire une de ces trouilles à quelqu'un » d'après notre ami le dictionnaire. La version retenue paraît nettement plus judicieuse ! The Living Daylights va connaître une très belle performance, puisqu'avec un budget similaire à Dangereusement vôtre (30 millions de dollars), il rencontre un succès nettement supérieur, 191,2 millions contre 152,4 auparavant. La France semble néanmoins plus rétive, avec 1 955 471 entrées contre 2 423 306 au préalable. Dalton pouvait envisager avec confiance sa seconde aventure dans le smoking de 007 ! Grands moments de la Saga James Bond : Passage aux douanes
2. PERMIS DE TUER Scénario : Richard Maibaum & Michael G. Wilson - Remember, you're only President… for life ! Le 14 juillet 1989, le public londonien découvre ce qu'il ignore encore constituer l'ultime participation à la saga de Timothy Dalton. Ce film survient sur les écrans précédé d'une réputation sulfureuse. En effet, du fait de sa violence, il apparaît comme le premier James Bond accompagné d'une limitation officielle de l'âge des spectateurs. Même si les niveaux en varient selon les pays (12 ans en France, 13 aux États-Unis, voire 15 en Grande Bretagne), celle-ci se généralise à la plupart des pays, ce qui illustre bien cette spécificité de Permis de tuer. En effet, le film reste l'occasion d'un défilé cauchemardesque de scènes particulièrement dures : le supplice de Leiter, la mort de sa femme, le cadavre exhibé de Sharkey, l'exécution gore de Krest, les combats divers, le corps empalé de Heller sur un élévateur, et jusqu'à la propre mort flamboyante de Sanchez, entre autres. D'autres passages des plus agressifs existent dans les Bond précédents, mais à l'évidence ceux de celui-ci touchent particulièrement par leur crudité absolue. Et c'est bien là que réside l'un des intérêts majeurs de Licence to kill. Cette volonté de réalisme s'inscrit dans le mouvement initié par Tuer n'est pas jouer, mais pousse désormais cette rupture jusqu'à des niveaux absolument inédits dans la série. Se développant en tous domaines, bien au-delà des seules scènes chocs, elle va offrir au public une vision innovante de James Bond, réellement passionnante à découvrir. Dans un ensemble parfaitement cohérent et dans le cadre d'une captivante histoire, le film va ainsi ouvrir de nouvelles fenêtres, souvent astucieuses, sur le personnage et son univers. Au lieu d'un Bond solide comme le roc ou plaisamment décalé, nous découvrons ici un héros ténébreux en rupture de ban, dont le choc émotionnel et l'obsession de vengeance conduisent à la rébellion, mais surtout à commettre des erreurs chèrement payées par d'autres, soit une remise en cause de la statue du Commandeur absolument ébouriffante. Autre innovation, il finit par triompher grâce à une ruse opportuniste alors que le méchant du jour manifeste un sens de l'honneur (certes dévoyé) faisant rejaillir une geste moins sabre au clair que précédemment. Le récit renonce également aux fastueux voyages à travers la planète, dont le dépaysement participait grandement au succès des opus précédents. Cela au profit d'un simple saut de puce entre la Floride et l'Amérique latine où se cantonne l'action. Les Bond girls (à des degrés divers) combattent aux côtés du héros autant, sinon plus, par intérêt bien compris que par l'attraction exercée par sa mâle présence. L'exacerbation du réalisme transgressif se produit avec l'amputation barbare de Felix Leiter, touchant directement ce pilier de la série pour la toute première fois. Une profanation renforcée par le retour de l'excellent David Hedison et crédibilisant l'ensemble du scénario, de même que l'incapacité de 007 à arriver à temps pour sauver son ami. L'impact s'en fera durablement sentir puisqu'il faudra désormais attendre le reboot de l'ère Craig pour revoir Leiter ! Cette profusion d'innovations sonne juste à chaque fois et permet de dépasser l'obstacle du suivisme que l'on pourrait reprocher à l'intrigue. En effet, dans un penchant souvent observé depuis le lancement de la série, le film se complait à épouser le goût du jour, en l'occurrence ces histoires policières liées au trafic de cocaïne sud-américaine, très populaires depuis le remake de Scarface (1983). En particulier, Permis de tuer s'arrime à la série télévisée exprimant sans doute la quintessence du genre, le sublime Miami Vice (1984-1990), jusqu'à en conserver la situation géographique initiale et certains éléments esthétiques (ah, cette arrivée en hors-bord sous les néons du bar interlope dans la moiteur nocturne…). Mais là où, avec des succès très divers, la saga tentait de calquer des éléments exogènes à l'univers de 007, Licence to kill utilise cet apport comme moteur de la transgression du canon brillante et incisive qu'il entend mener à son terme. La contradiction apparente et la difficulté de l'exercice résident dans le fait que ce vent nouveau doit revivifier la saga sans la dénaturer. Même en intégrant un réalisme accru et un profil psychologique complexifié, Bond se doit de demeurer Bond. Le film parvient à cet exploit en capitalisant sur l'élégance racée maintenue (comme dans la scène référentielle du casino), les dialogues percutants, un sens aigu du panache et du spectaculaire, un humour toujours aussi présent (notamment autour du personnage du Pr. Butcher et des attitudes de Pamela). Les figures familières du petit monde de 007 apparaissent caractéristiques de cette persistance au sein de la nouveauté. Moneypenny retrouve l'antichambre proverbiale d'un M toujours aussi britannique mais n'a aucun contact avec 007 ! Q s'était déjà aventuré sur le terrain par le passé, mais jamais avec une telle implication dans l'action. Ce rôle inédit optimise de fait les frictions amicales si délectables avec 007 et permet à l'excellent Desmond Llewelyn de creuser son sillon pour le plus grand plaisir de ses innombrables fans. On conserve le meilleur de l'esprit de l'univers tout en renouvelant les postures. Très habile ! Cet audacieux procédé scénaristique se voit soutenu avec une exemplaire efficacité par un John Glen achevant au sommet de son art sa décennie Bondienne. Les morceaux de bravoure et les époustouflantes scènes d'action fleurissent de toutes parts, sur terre, sur mer et jusque dans l'air, jusqu'à l'éblouissant final des poids lourds, sans aucun doute l'un des passages les plus spectaculaires et enthousiasmants de toute la saga. Voir 007 éviter un missile aux commandes d'un quinze tonnes suscite des sentiments ambivalents : cela demeure en contradiction avec la philosophie plus réaliste du film, mais la maestria s'impose avec tant d'éclat que l'on ne peut que s'incliner. Avec son habileté coutumière, le réalisateur met admirablement en valeur les divers paysages traversés, la qualité des prises de vues en compensant la moindre variété. La séquence introduction rythmée (mais ici en phase directe avec l'action principale…) et le générique enchanteur (le dernier de Maurice Binder) répondent à l'appel, tandis que les chansons des grandes chanteuses de Soul et Rhythm and blues Gladys Night et Patti LaBelle situent ici également le film parmi les meilleurs Bond. On apprécie de plus certains détails amusants comme le stratagème de la diffusion télévisuelle de l'information, situant l'action antérieurement à la déferlante de l'Internet, ou la scène de l'évasion se déroulant sur le célèbre Seven Mile Bridge des Keys de Floride. Ce site se verra réutilisé par la suite dans de nombreuses productions à succès dont True Lies (1994) ou 2 Fast 2 Furious (2003) parmi d'autres. Par ailleurs, on goûte fort la vision d'une Amérique du Sud à la Général Tapioca, autant chargée de poncifs mais autrement chamarrée et divertissante que celle perpétrée ultérieurement par Quantum of Solace. L'ensemble de Licencia para matar se déroule d'ailleurs au sein d'une Hispanidad parfaitement croustillante, avec de superbes vues de Mexico et d'Acapulco, ainsi que de nombreuses expressions idiomatiques que l'amateur de la langue de Cervantes découvrira d'ailleurs parfois assez vertes ! L'ensemble ressort sans prétention mais apporte un cachet bien réel au film. Toutefois, la grande chance de cet opus hors normes reste d'avoir trouvé en Timothy Dalton l'interprète idoine pour incarner ce ténébreux Bond en rupture de ban, obsédé par la vengeance jusqu'au nihilisme, avant de connaître le doute devant les conséquences de son action. Il parvient à rendre émotionnellement forte la rencontre avec les policiers de Hong-Kong, pourtant assez dense en poncifs variés. Les différents états d'âme du héros, particulièrement contrastés tout au long du récit, se voient admirablement exprimés par ce comédien à la fois subtil et puissant. Là où les autres interprètes de Bond jouent admirablement de leur charisme et de leur personnalité, Dalton déploie tout un art du jeu. Cela saute particulièrement aux yeux durant ce film bâti sur le thème de la vendetta personnelle, comparativement à Quantum of Solace. Là où Craig subjugue par sa présence physique et son ascendance, Dalton développe toute la palette d'un authentique acteur de composition. Tout en appréciant la prestation du premier, on avouera une préférence pour le second… Conférée par son interprète, cette humanité de Bond tant dans ses côtés obscurs que lumineux le rapproche nettement des romans de Fleming, dans la droite ligne de Tuer n'est pas jouer. Contrairement à ce dernier film, il ne manque pas à Licence to kill un adversaire de classe supérieure pour parachever son succès. Sanchez bénéficie d'une stature exceptionnelle par son tempérament dominateur non dénué de paranoïa, mais aussi par le numéro époustouflant de Robert Davi ; grand spécialiste des rôles de leaders durs et charismatiques comme l'inoubliable Malone de Profiler (1996-2000). Lui aussi défend à merveille son personnage, plus complexe qu'à l'ordinaire, à l'image de Bond, par sa conviction sincère dans l'importance de l'honneur et la parole donnée. Il tire l'ensemble du film vers le haut jusqu'à lui apporter une dimension de drame psychologique évoquant parfois Shakespeare, domaine où Timothy Dalton peut dès lors développer à merveille sa propre partition. Le duel particulièrement relevé des deux antagonistes et de leurs interprètes électrise l'ensemble du récit. Après le duo d'esprits maléfiques de The Living Daylights, les auteurs continuent à transgresser le rituel établi depuis Goldfinger en agrégeant en Sanchez à la fois le génie du mal et le tueur hors normes, avec cette fois un complet succès. En effet, Sanchez ne manque certes pas de spadassins, mais aucun ne fait réellement de l'ombre sur ce point, même s'ils ne sont dépourvus ni de personnalité ni d'intelligence. Le film dépasse ici aussi les caricatures proverbiales des sous-fifres à l'incroyable inefficacité. Aux côtés de Davi, on s'amuse à reconnaître diverses figures de séries télé comme Anthony Zerbe, Don Stroud ou Everett McGill (Twin Peaks !), mais le comédien le plus marquant demeure bien entendu Benicio del Toro, à l'orée d'une fastueuse carrière. Clin d'œil du destin, c'est un rôle de policier luttant contre le fléau de la drogue qui lui vaudra un Oscar, avec Trafic (2000). L'ensemble de l'opposition fournit un groupe varié et distrayant auquel on agrègera les personnages hauts en couleur du Président Lopez (interprété par le fils du regretté Pedro Armendariz) et du Pr. Butcher, tous deux de véritables poèmes. On exprimera quelques réserves concernant le personnage de Pam Bouvier car son caractère de baroudeuse mâtiné de sentimentalisme roucoulant paraît assez contradictoire. Toutefois, le naturel de Pam nous vaut plusieurs scènes très amusantes (le cocktail, complicité avec Q, final de la piscine…), et l'on comprend sans peine que l'actrice soit l'une des rares Bond girls a avoir pleinement réussi la suite de sa carrière, notamment par l'éminemment soporifique Law & Order (de 1996 à 2001). On préfèrera nettement la brune Lupe Lamora, à laquelle le rouge le plus ardent convient si bien. Plus encore que son initialement vénale consœur, elle exprime parfaitement le caractère particulièrement indépendant des femmes de Permis de tuer, agissant dans leur propre intérêt et ne subissant que bien partiellement une attirance pour 007. La voir se remettre si facilement du rejet du héros reste un moment rare. On regrette que la magnifique Talisa Soto n'ait guère connu par la suite de rôles saillants, hormis celui de l'improbable Princesse Kitana dans le nanar vociférant Mortal Kombat (1995). Le film innove joliment une nouvelle fois en instituant un duo de Bond girls quasi équivalentes dans le déroulement de l'action, chacune apportant à sa manière une aide cruciale à un 007 moins macho que de coutume, et aucune d'entre elles ne se faisant tuer ! En dernier ressort, Licence to kill représente un exercice de style audacieux et magistralement exécuté, à l'image de ces épisodes décalés comptant souvent parmi les meilleurs moments d'excellentes séries télé. Il rénove et humanise James Bond tout en demeurant fidèle à ses aspects les plus fondateurs et enthousiasmants. Ce pari remporté haut la main constitue malheureusement la dernière apparition de Timothy Dalton sous le smoking de 007, acteur dont le seul véritable regret qu'il nous laissera réside dans la brièveté de sa participation à la saga. Des démêlés juridiques peu captivants entraîneront un délai d'attente de six ans jusqu'à Goldeneye et le comédien se jugera alors trop âgé pour reprendre le rôle, ayant peut-être l'exemple de Roger Moore en tête. Il campera pourtant une version parfaitement convaincante d'un Bond passé du côté obscur de la force dans Rocketeer (1991), avant de se montrer toujours resplendissant d'énergie dans un épisode de Doctor Who (The End of Time, 2009). De quoi aviver la déception, même s'il faut s'incliner devant l'honnêteté de son choix. Le film marque aussi les adieux du scénariste tutélaire de la saga : Richard Maibaum devait en effet nous quitter l'année suivante, après avoir brillamment réussi sa sortie par ce script d'une intensité toute particulière. C'est donc logiquement que la saga va vouloir préserver une sorte de tradition en conservant les services de son complice, Michael G. Wilson, avant de trouver un nouveau duo d'auteurs avec Le monde ne suffit pas. Contrairement à ce qui est souvent avancé, Permis de tuer fonctionne correctement dans le monde entier, ne subissant une très relative déconvenue qu'aux États-Unis. Il réalise une performance des plus correctes malgré des problèmes annexes comme les interdictions liées à l'âge, un marketing assez déconnecté de sa nature profonde, et la concurrence de nombreux blockbusters cet été-là, dont Indiana Jones et la dernière croisade avec un certain Sean Connery. Par la suite, les 007 ne furent d'ailleurs plus sortis qu'en automne ou en hiver… Alors que l'investissement marque un accroissement comparé à Tuer n'est pas jouer, avec 40 millions de dollars contre 30, Permis de tuer ne récolte « que » 156,2 millions contre 191,2 précédemment. Même si la décrue est réelle, l'on se situe néanmoins très loin d'un four ! D'autant qu'en France le film progresse en nombre d'entrées, passant de 1 955 471 à 2 093 006. Le moment était (enfin !) venu pour Pierce Brosnan d'entrer en scène, avec un retour aux valeurs les plus éprouvées. L'évolution de la série ne s'effectuera plus par les concepts mais par les masses budgétaires… Grands moments de la Saga James Bond : Poids lourds
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