SPLIT (M. Night Shyamalan) : 5/10
(Légers spoilers)
Nota : Fuyez la (les) bande(s)-annonce(s) qui dévoile(nt) beaucoup trop de l'histoire du film et de l'intrigue .
Grosse déception que le dernier Shyamalan sur lequel j'avais forgé beaucoup d'attente (je ne suis pourtant pas spécialement fan du réalisateur). Les 3 acteurs principaux sont bons mais l'ensemble manque cruellement de tension et la dernière image ne parlera qu'aux initiés, en plus de remettre en question de façon assez maladroite toute la thématique principale.
Le problème du film c'est qu'il est partagé entre 3 aspects assez mal imbriqués et/ou pas toujours bien exploités : l'étude clinique d'un "schizophrène", le calvaire enduré par ses 3 "pensionnaires", un twist complètement hors de propos...
Cela commence pourtant bien avec cette superbe entrée en matière, à savoir la présentation de l'héroïne puis le rapt du petit groupe de filles (hélas dévoilé en grande partie dans la bande-annonce) ; avec une économie de moyens et de dialogues étonnants, Shyamalan nous met tout de suite dans l'ambiance : en quelques plans, il brosse rapidement le portrait d'une héroïne introvertie et visiblement marquée par la vie (et dont les stigmates ne nous apparaîtront que progressivement), tout en faisant planer un danger. L'absence de générique d'ouverture (qui n'arrivera que quelques minutes plus tard) donne un aspect sec et brutal à cette introduction et renforce ce sentiment de malaise et de menace imminente, menace qui se concrétisera juste aprés avec la trés immersive scène de l'enlèvement. Le réalisateur nous montre ici toute l'étendue de son talent de narrateur et ses capacités à poser une ambiance en quelques secondes seulement, bien loin des canons hollywoodiens actuels, à la forme trés balisée.
Ellipse.
Nous assistons alors ensuite à une sorte de huis-clos dans ce qui semble être un espèce de bunker, et où le personnage campé par McAvoy va dévoiler nombre des facettes de ses multi-personnalités.
Même si les qualités d'interprétation de l'acteur ne sont pas à remettre en cause (bien que l'on ait parfois du mal à oublier le comédien derrière le(s) personnage(s)), ce suspense en vase-clos va progressivement finir par tourner court, peu aidé en cela par une absence d'enjeu assez préoccupante...
Pourtant le réalisateur, durant cette première partie, ne tombe pas dans le piège de la facilité grace à une construction à tiroirs plutôt intelligente (même si quelque peu destabilisante). Il ne se contente pas de jouer l'enfermement du huis-clos typique déjà vu 100 fois (comme par exemple et de façon brillante dans le récent "10 Cloverfield Lane"), mais ponctue cette terreur sournoise par des digressions assez subtiles (les flashbacks de l'héroïne, les passages chez la psy...) tout en brouillant quelque peu les pistes temporelles. Cette dédale spacio-temporelle semble d'ailleurs faire écho au déréglement psychique du protagoniste principal.
On sent bien d'ailleurs tout l'attachement du réalisateur vis-à-vis de ses personnages, qui prennent ici une dimension inédite : ainsi Anya Taylor Joy est un mélange de force et de fragilité, loin des stéréotypes du genre ; son beau visage énigmatique et ses yeux de biche en disent plus long que des dialogues (qui ne sont pas toujours le point fort du réalisateur) et servent à merveille toute l'ambiguité relationnelle qui la lie à son étrange geolier. Les séquences chez la psy sont appréciables, d'abord d'un point de vue thématique (l'angle porté sur la maladie de Kévin est trés intéressant), mais surtout d'un point de vue relationnel (le lien qu'elle entretient avec lui est particulièrement touchant).
Quant à MacAvoy, il réalise ma foi une bonne performance, même si celle-ci n'est réduite qu'à quelques personnalités (alors que l'accroche en promettait 24) ; toutefois, ce choix de ressérer la prestation semble le meilleur compromis qui soit : interpréter plus d'une vingtaine de facettes différentes aurait d'une part été difficilement gérable sur seulement 2h20, et, d'autre part, aurait eu un effet clairement contre-productif. J'émettrais toutefois une réserve quant au "mécanisme" de jeu de l'acteur, pas toujours bien aidé par des dialogues simplistes surlignant inutilement la caractérisation de certains des personnages qu'il est censé représenter, notemment le personnage d'Edwig (l'enfant)... Cela sonne assez peu naturel.. tout comme les moments de transition pour passer d'un personnage à l'autre, parfois bancals et mal amenés, notamment à l'occasion d'une séquence, traitée hors-champs... Mais ne chipotons pas : l'acteur a suffisemment de ressources pour nous faire oublier ces quelques travers et nous convaincre plus d'une fois.
Hélas, c'est dans son traitement du suspense que le film échoue totalement et, à trop vouloir tirer sur la corde, ce shéma narratif éclaté et sans cesse répété finit -à force de redondance et de mauvaise gestion- par déservir la tension... Passant continuellement d'une thématique à l'autre, avec des transitions pas toujours heureuses (certains montages en parrallèle ne servent à rien...), abandonnant soudainement plusieurs idées ou les laissant en plan pour n'y revenir que sur le tard, le réalisateur ne parvient qu'à perdre le spectateur, amoindrir toute pression dramatique, et faire tourner à vide l'angoisse liée au sort des personnages... Shyamalan a bien du mal à maintenir sur la durée le rythme (qui s'éternise) et ce creshendo que l'on sent ici trop faible (l'interminable séquence de la tentative d'ouverture du loquet en dit long sur les artifices que doit utiliser l'auteur pour donner matière à son film), voire quasi-inexistant : cela finit par tourner en rond, et il manque ce petit je-ne-sais-quoi qui permettrait de nous faire ressentir une menace plus palpable à l'égard de nos prisonnières (il faut dire que, sur ce plan, Kevin et ses différentes personnalité ne se montre vraiment menaçant qu'en de trop brèves occasions (on a rarement peur quant au sort des filles)).
On sera toutefois gré à Shyamalan de nous avoir épargné la caractérisation outrée des demoiselles en détresse répondant aux pires clichés des films de genre ; drôle d'idée toutefois que de présenter certains personnages pour ensuite les évacuer de la scène aussi longtemps...
Toutes ces tergiversation finissent par dérouter le spectateur, à tel point qu'on n'en vient à ne plus savoir exactement ce que le film veut raconter.
Enfin, le dernier acte (la Bête), pas trés bien foutu, ne surprend nullement... Seule l'étude liée à la souffrance des 2 antagonistes et ce qui les "relie" reste intéressante et lourde de sens, mais le côté expédié du segment et le traitement de la métamorphose, sans réelle surprise, puisque basé précisément sur ce que l'on attend et ne s'éloignant guère des pires clichés du genre, ressemble à un coup d'épée dans l'eau...
Bien sûr, fidèle à ses vieilles habitudes, le réalisateur n'oublie pas de nous faire un caméo, sauf que, sans raccord véritable à l'histoire, il apparaitra ici plus artificiel et déplacé qu'autre chose.
Quant au twist (si l'on peut appeler ça un twist), il ne parlera qu'aux amateurs de Shyamalan qui connaissent sur le bout des ongles son cursus cinématographique (c'est à dire moins de 20%), mais, surtout, ce dernier plan a le grand tort de remettre en question toute la véritable thématique du film et le pousser vers quelque chose de beaucoup plus
mainstream et d'anecdotique ("Le village" et, encore une fois, "10 Cloverfield Lane" -auquel SPLIT ressemble beaucoup- le faisaient bien, eux, mais avec un certain brio et en total raccord avec leur sujet et/ou leur logique de contradiction narrative). Il fut un temps où les films du réalisateur se suffisaient à eux-mêmes...
Dommage donc que le film loupe une grand partie de son propos par manque d'audace et de vraie ligne directrice...
Restent tout de même une ambiance intéressante, une approche hitchcockienne appréciable, une sincérité non contestable, des thématiques passionnantes (le point fort du film) mais parfois fort mal développées et noyées dans un fouillis scénaristique, un refus de céder au spectaculaire et aux clichés du genre qui rend l'œuvre assez viscérale et détachée du tout-venant hollywoodien, le jeu globalement sympa d'Ana-Taylor Joy, Betty Buckley et McAvoy (quoique parfois appuyé en ce qui concerne ce dernier), une mise en scène sobre et belle, une noirceur délectable (le background de l'héroïne dosé juste comme il faut), une approche intéressante de la schizophrénie et de la maladie mentale en général, et un générique magnifique, qu'il serait intéressant de disséquer.
C'est pas mal, mais largement insuffisant eu égard à ce que la "folie" d'un sujet pareil était en droit de nous offrir, mais, comme beaucoup des œuvres de leur auteur, le film gagnera sans doute aux revisionnages successifs.