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Interview de Alain Carrazé
et Jean-Luc Putheaud

par Alex Taylor

carrazéputheaud

L'entretien retranscrit de quinze minutes n'est qu'une des quatre parties originales. La première était avec Laurence Bourne et les trois suivantes avec les auteurs du livre paru aux Éditions Huitième Art, Alain Carrazé et Jean-Luc Putheaud. Cette retranscription est la deuxième avec les auteurs du livre. Elle faisait suite à la projection de l'épisode Le jeu s'arrête au 13 le 16 juillet 1991.
Votre livre est une traduction de livre anglais ou une œuvre inédite et originale ?

Alain Carrazé : Quelle honte ! Une traduction ! Ah non ! On a puisé nos informations d'abord car Jean Luc tout comme moi, aimons la série depuis des années ; on a entendu ce qui se faisait sur la série depuis pas mal de temps ; on a rencontré les personnages clés : Brian Clemens, le producteur, Patrick Macnee et Diana Rigg puis on a glané pas mal d'éléments. De plus, comme c'est un livre d'art, on a surtout voulu montrer un maximum de documents photographiques. Une recherche à travers beaucoup d'instituts dont le British Film Institute qui nous a fourni un maximum de plans jamais vus.

Jean-Luc Putheaud : On tenait à avoir une qualité iconographique très spéciale, représentative de la série.

Brian Clemens, la grande force créatrice de la série, vous l'avez rencontré ; où, quand, comment ?

Alain Carrazé : On n'a pas rencontré Brian Clemens malheureusement de visu car il partait pour Los Angeles pour écrire une série. Il a été extrêmement sympathique : on lui a téléphoné, parlé de ce qu'on voulait faire et envoyé notre précédent ouvrage et puis il a dit d'accord. « Je vais avoir un vol assez long (de Londres à Los Angeles), envoyez-moi des idées et questions et je vais vous écrire tout ce dont je me souviens et je vous le faxe dès mon arrivée ». Il nous a envoyé huit à dix pages de texte en tout petits caractères sans interligne ; c'était presque un livre.
In English ?

Alain Carrazé : Of course, in English. À partir de là, on a coupé un peu à droite et à gauche et on a gardé la substantifique moelle et on s'en est servi pour faire notre livre. On a repris de très larges morceaux en laissant la parole à Brian Clemens car c'est un peu lui qui a créé Chapeau Melon et Bottes de Cuir. C'est l'ange gardien en tout cas, c'est lui qui a créé Chapeau Melon dans la forme que l'on connaît.

Il vous a donné son impression sur les épisodes ?

Alain Carrazé : Tout à fait. Il nous a dit les épisodes qu'il préfère et ceux qu'il n'aime pas. Évidemment, c'est à prendre quelquefois au second degré car, comme par hasard, ceux qu'il n'aime pas sont ceux qui ont été faits sans lui !

Qu'est ce qu'il n'aimait pas ?
Jean-Luc Putheaud : Il n'a pas aimé l'arrivée de Linda Thorson/Tara King.
On l'a appris avec Laurence Bourne car c'était la petite amie du producteur.

Jean-Luc Putheaud : Elle a été imposée et Brian Clemens prend le prétexte qu'elle manquait d'humour. Il a créé le personnage de Mère-Grand uniquement parce que Tara King n'avait pas d'humour. Linda Thorson ne passait pas bien, c'était une actrice débutante inexpérimentée beaucoup trop jeune. Le personnage ne lui plaisait pas. Petit à petit, il s'y est fait. Faut dire aussi que Patrick Macnee a beaucoup aidé Linda Thorson, il l'a défendue contre Brian Clemens.

Vous avez aussi rencontré Patrick Macnee, c'était facile ?

Alain Carrazé : Ce n'était pas évident car ses agents artistiques ont fait un blocage ; Patrick Macnee tourne encore beaucoup de choses, il est assez insaisissable. (1)

Ce n'est pas ce qu'on a appris avec Laurence Bourne ; on a l'impression qu'il passe ses journées sur une plage à Malibu...
Jean-Luc Putheaud : Il tourne beaucoup de choses fantastiques en ce moment comme un remake du Masque de la mort rouge d'Edgar Poe, Hurlements, Spaceship et quelques séries..
Est-ce vraiment un bon acteur ? On a tellement l'impression que c'est lui-même qu'il joue !
Alain Carrazé : Voilà, c'est cela le problème ; il est prisonnier de son rôle.
Je l'ai vu dans une autre série : c'est Steed sans le chapeau !
Alain Carrazé :Steed, c'est beaucoup Patrick Macnee au départ. De toute façon, il a beaucoup mis de son personnage dans Steed.
Steed s'est-il imposé dès le premier épisode comme Diana Rigg dans "Voyage sans retour" ou y a-t-il une évolution du personnage ? (2)
Jean-Luc Putheaud :Il y a une évolution flagrante dès le début. C'est un policier. Il faut préciser que lorsque Chapeau Melon et Bottes de Cuir a débuté en France, on ne savait pas qui ils étaient ; on ne voyait jamais leur chef, on ne savait rien d'eux. Ça a démarré en France en 1966 (3) sur la première chaîne.
En Grande-Bretagne, en 1961...
Jean-Luc Putheaud : Exactement. On a débuté en France avec les épisodes que vous diffusez actuellement. On s'est demandé qui étaient ces gens.
Tous n'ont pas été diffusés. Je tiens à le dire, la moitié de cette série sont des inédits. Cette série n'est passée qu'une seule fois en France dans les années soixante.

Jean-Luc Putheaud : Tout à fait. Quand j'étais gosse, je pensais que c'était des détectives privés. Il manquait un peu cette petite logique des séries de l'époque. D'un seul coup, il y a eu le déclic : ce sont des agents secrets et des missions d'espionnage.

(1) : Nous sommes en 1991 !

(2) : Voyage sans retour est en fait quatorzième en ordre de production.

(3) : En fait c'était le 4 avril 1967.

Moi non plus. J'étais anglais mais je ne comprenais pas ce qu'était le MI5. Ils ont eu des problèmes avec les américains ?

Alain Carrazé :Oui, les américains ne comprenaient pas car ils ont pris la série comme nous avec les épisodes que Continentales diffuse en ce moment et pour les américains qui ont un esprit cartésien, on a fait une petite séquence générique supplémentaire (4). C'était 30 secondes au début de chaque épisode pour tenter d'expliquer aux américains ce qu'était cette histoire un peu bizarre.

Jean-Luc Putheaud :Qui n'existe pas sur les copies françaises et britanniques.

J'ai essayé de négocier pour obtenir le générique américain avec la société qui détient les droits. Ils ont fait de leur mieux mais c'est pratiquement introuvable.

Alain Carrazé : Tourné uniquement pour les américains pour essayer de leur expliquer.
Il y a une différence de générique, de look entre la série noir et blanc et la deuxième saison Emma Peel que l'on connaît beaucoup mieux car diffusée sur Antenne 2.

Jean-Luc Putheaud : Réalisé par Brian Clemens d'ailleurs.

C'est beaucoup plus dans le look tandis que le générique noir et blanc a des images fixes. C'est un peu décevant, non ?

Alain Carrazé : Un peu décevant, peut-être ! Mais il faut préciser que plus la série avance dans le temps, plus elle a du succès, plus elle est vendue dans différents pays et aux États-Unis. Il y a plus d'argent qui rentre puis la série devient en couleur ce qui coûtait très cher à l'époque. Ils ont plus de moyens. Malgré le fait que les épisodes avec Diana Rigg, qui est une actrice extraordinaire, sont les meilleurs ; les épisodes les plus léchés au niveau de la réalisation pure, cinématographiquement parlant, sont sans doute les derniers avec Linda Thorson pour lesquels il y avait visiblement beaucoup d'argent.

Point de vue réalisation, pas point de vue scénario ?

Alain Carrazé : Non, scénario sûrement pas !

Jean-Luc Putheaud : Il y avait un parti pris volontairement esthétisant pour la saison Linda Thorson ; il y avait des metteurs en scène de renom comme Robert Fuest [NDR: C'est faux: Robert Fuest avait signé avec les Avengers ses toutes premières mises en scène !] qui avait travaillé pour la Hammer ; le budget était plus fort et on voulait soigner l'image. Par exemple, la victime se reflétait dans les phares d'une voiture à travers un égout ; des plans très stylisés.

Les réalisateurs de la série noir et blanc, étaient-ce des gens connus ? J'imagine qu'on a pris des débutants pleins d'idées.

Jean-Luc Putheaud : C'était quant même des spécialistes de séries comme Le Saint ; ils avaient déjà travaillé pour des petites productions britanniques de fantastique ou de science-fiction ou pour la Hammer. Des gens motivés, choisis pour leur sens esthétique de l'image. Brian Clemens nous a affirmé que les réalisateurs n'avaient pas été pris au hasard ; il fallait des gens bourrés d'humour, de l'invention, qu'ils aient un sens du dynamisme et qu'ils respectent le montage. Le montage est tellement important dans la série.

Absolument ! À l'époque à la TV britannique, il y avait Le Saint , Destination Danger, Le Prisonnier que j 'ose à peine aborder avec vous tellement vous aimez cette série.

Jean-Luc Puthaud :L'Homme à la Valise, Le Baron...

L'Homme à la Valise, je ne connais même pas ! Pourquoi ces séries n'existent-elles plus maintenant ?

Alain Carrazé : Il y a une grosse raison. 90% des séries qu'on vient de citer sont dûes à la grosse boîte anglaise, ITC, qui a fait des deals avec les États-Unis. Elle a décidé d'arrêter la production de séries TV et de se consacrer à des mini séries et des longs-métrages. Cela a arrêté ce genre de production très rentable à l'époque et vendue dans le monde entier. Des séries d'action et d'aventure (Les Champions, Département S ) destinées au public anglais mais surtout au public américain avec le British flavour.

Avez-vous rencontré les filles ?
Alain Carrazé :On n'a pas rencontré Diana Rigg, elle est très difficile à avoir et c'est très délicat de la faire parler sur les Avengers.
J'ai lu un article du Times il y a un mois où on évoque brièvement son passé.
Alain Carrazé :Elle n'aime plus cela. Mettez-vous à sa place. C'est une actrice, cela date de vingt ans maintenant (5) tout ça et à chaque fois que les journalistes viennent la voir, même quand elle fait une nouvelle pièce de théâtre ou une production télévisée, c'est pour lui parler des Avengers !
Dans l'article du Times, le journaliste disait « cette femme que j'ai adorée » !
Alain Carrazé : Frustrant pour elle. Elle a décidé de ne plus parler de cela. Patrick Macnee était sur le tournage d'une mini série consacrée à Sherlock Holmes (dans le rôle du Docteur Watson). On lui a dit qu'on aimerait voir Diana Rigg, qu'on faisait des tentatives avec son agent. « Écoutez, je vais peut-être vous aider » a-t-il dit. Par miracle, quelques semaines plus tard, un agent de Diana Rigg nous a contactés pour nous dire qu'elle acceptait de répondre à nos questions. Le moment n'était pas très facile pour elle à cause de soucis personnels et nous n'avions pas beaucoup de temps car le livre était presque terminé. On a échangé quelques fax et s'en est resté là.
Qu'est-ce qu'elle vous a écrit ?

Alain Carrazé :Principalement, quelque chose qui est presque un non évènement ; pour elle Chapeau Melon et Bottes de Cuir était une chance extraordinaire, elle reconnaît maintenant vingt ans après que c'était peut-être son plus beau rôle, mais qu'il faut continuer à aller de l'avant. Elle ne refuse pas son passé même si elle ne veut pas en parler.

Dans la presse de l'époque, je me rappelle qu'elle insistait pour sortir du studio à seize heures pour aller jouer Shakespeare. Elle y tenait. Elle était très bien payée à l'époque bien qu'au début assez mal. Je me souviens des titres de la presse « Diana Rigg réclame £100 par semaine » ; à l'époque, cela a fait les gros titres. Elle savait qu'on ne pouvait pas lui refuser.

Jean-Luc Putheaud : Elle savait qu'elle était indispensable à la série. Elle avait marqué son empreinte, les gens étaient tombés amoureux d'elle. Les spectateurs britanniques ne voyaient que par Diana Rigg.

Quel est le premier épisode que vous avez vu ?

Jean-Luc Putheaud : En 1966, Meurtre par téléphone. (6)

Alain Carrazé : L'épisode des Cybernautes.

Je me rappelle très bien le premier épisode que j'ai vu ; c'était "Les fossoyeurs". Je me rappelle cette séquence où Steed et un des vieux cheminots sont dans un train et font semblant de voyager et quelqu'un derrière court pour dérouler le paysage. Ça m'a accroché tout de suite à la série. On vous retrouve demain pour parler de cette série. On peut trouver votre livre aux Éditions huitième art ou le gagner en jouant avec nous au 3615 FR3 code CEE où vous pourrez trouver le vocabulaire de l'épisode de demain qui s'appelle Small Game for Big Hunters.

(4) : C'est la séquence de l'échiquier aujourd'hui disponible en DVD.

(5) : Quarante ans, Diana Rigg est devenue Emma Peel le 10 décembre 1964 !

(6) : Sûrement le 4 avril 1967 !

©Denis Chauvet

Crédits photos:Europe 1,Steed&Co

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