Open menu

 saison 1 saison 3

Maigret - Jean Richard (1967-1990)

1ère époque: 1967-1972

 


PRÉSENTATION DE LA 1re ÉPOQUE

Les droits d'adaptation de Maigret en série télévisée furent longs à obtenir. En désespoir de cause, l'ORTF avait créé Les Cinq Dernières Minutes avec le commissaire Bourrel, dont la carrure massive et l'aspect bourru ont déplu à Simenon. Le créateur de Maigret a vu dans cette série un véritable plagiat de son personnage.

En 1967, les droits sont enfin acquis et Jean Richard est engagé pour incarner le commissaire Maigret. Ce choix, qui apparaît naturel aujourd'hui tant l'acteur et le personnage sont devenus indissociables, a paru curieux à l'époque car Jean Richard était surtout connu pour ses rôles de comique dans des films de seconde zone. Mais les producteurs avaient sans doute décelé le potentiel du comédien, tout à fait capable de prendre l'air placide, presque abruti du commissaire lorsqu'il arrive à un point crucial de son enquête.

Les premières adaptations des années 60 et du début des années 70 sont loin d'être parfaites. Chacun peut avoir son opinion sur le noir-et-blanc, mais ces épisodes souffrent de la comparaison avec les épisodes couleurs qui suivront.

Le problème principal est la façon dont ils sont réalisés. Claude Barma, sans doute impressionné par le réel succès rencontré alors parLes Cinq Dernières Minutes, a retenu un narrateur en voix off qui abreuve le téléspectateur d'une foule de détails, dont certains étaient aisément compréhensibles sans explications complémentaires. Sans doute cette mode faisait-elle fureur à l'époque, mais ce procédé maladroit apparaît de nos jours terriblement désuet, énervant, voire insupportable. On a parfois l'impression d'assister non pas à un téléfilm, mais à de la radio illustrée par quelques images.

Il est significatif que le générique ne mentionne pas, comme il le fera ultérieurement, « une série de Claude Barma », mais « une émission de Claude Barma ». Voilà : ce n'est pas encore une série, mais une « émission », à tel point qu'on ne serait pas surpris si Jean Richard sortait tout à coup de son rôle pour prendre le téléspectateur à témoin, lui demander s'il a trouvé le coupable.

Autre problème, Jean Richard n'a pas trouvé le ton juste dès les premiers épisodes. Il joue un Maigret trop vif et coléreux. Par la suite, il aura le temps de peaufiner ses compositions et deviendra l'excellent Maigret que l'on aime, mais il est visible que les débuts furent difficiles.

L'interprète adéquate du personnage de Madame Maigret a été longue à trouver. Micheline Francey, initialement retenue, n'a pas donné satisfaction avec son allure de grande bourgeoise, à l'opposé de la « vraie » Madame Maigret. À la suite de son décès, elle a été remplacée par Dominique Blanchar, le temps de quelques épisodes, sans que le résultat soit plus satisfaisant. Avec Dominique Blanchar, l'épouse du commissaire devient ingénue, presque comique, et ce personnage à la Roselyne Bachelot n'est pas non plus en accord avec la femme simple, sérieuse et dévouée imaginée par Simenon. Après ces deux expériences ratées, les producteurs ont renoncé pour un temps à adapter ce personnage, qui ne trouvera son interprète idéale que quelques années plus tard avec Annick Tanguy, l'épouse de Jean Richard.

Malgré ces défauts, ce début de série n'est pas dénué d'intérêt car se sont souvent les meilleures enquêtes qui ont été adaptées en priorité, d'où quelques bons épisodes, la qualité du scénario rattrapant en partie les maladresses de réalisation et d'interprétation.

Néanmoins, on ne peut qu'adresser un gros carton rouge aux producteurs des DVD parus en kiosque. 60 enquêtes ont été éditées sur un total de 88, et il a fallu qu'ils choisissent la totalité des 18 en noir-et-blanc, dont la moitié sont pourtant de piètre qualité. Par contre, ils ont ignoré de superbes épisodes en couleurs comme Mon ami Maigret, avec Depardieu à ses débuts, Le chien jaune (seconde version) ou Monsieur Gallet, décédé. Et pourquoi les trois enquêtes tournées une seconde fois en couleurs nous ont-elles été imposées dans leur version initiale en noir-et-blanc, de qualité notoirement inférieure? Si une seconde version a été tournée, c'est bien que la première n'était pas satisfaisante, non? Sans compter les jaquettes avec photos en noir-et-blanc parfois même quand les épisodes présentés sont en couleurs ! Sans doute s'agit-il encore de la lubie selon laquelle le noir-et-blanc serait plus « artistique », en tous cas supérieur aux versions couleurs. Ceci quitte à commettre un véritable déni de réalité tant la majorité des épisodes de cette première époque sont aujourd'hui obsolètes, voire ringards, et dénués du sympathique aspect kitsch que la couleur aurait pu leur apporter.

Retour à l'index


1. CÉCILE EST MORTE
(ADAPTATION DE : CÉCILE EST MORTE *** )



Une vieille avare est assassinée à son domicile au cours de la nuit. Sa nièce, qui habitait chez elle, est étranglée dans un couloir désert des locaux de la PJ alors qu'elle était vraisemblablement venue signaler le meurtre.

Ce premier épisode commence comme il se doit par un gros plan sur le commissaire en train d'allumer sa pipe... Il constitue un résumé parfait des défauts accumulés par la série à ses débuts. Non seulement le noir-et-blanc n'est pas très attirant, mais les téléspectateurs sont pris pour des imbéciles à qui une voix off se doit de commenter tantôt ce qui se passe, tantôt les états d'âme de Maigret. Dès les premières minutes, ce procédé maladroit ne met pas dans de bonnes dispositions. Et quand ce n'est pas le narrateur, c'est le commissaire qui pense tout haut...

Jean Richard n'est pas encore dans la peau de son personnage. Il le joue trop impulsif, voire brutal, ce qui ne cadre guère avec la bonhomie légendaire de Maigret. Ce n'est pas la seule faille de l'interprétation : Gérard Berner surjoue dans le rôle du neveu de Juliette Boynet. Il était inutile d'en rajouter dans ce personnage de jeune révolté craignant d'être accusé à tort. Pour couronner le tout, on a droit à une pénible cérémonie funèbre. Messe, prières, inhumation : rien ne nous est épargné.

Heureusement, la qualité de l'enquête, adaptée d'un bon Simenon, rattrape quelque peu ces défauts, tout comme les prestations solides de Maurice Garrel dans le rôle glauque de Charles Danrimont, un ancien magistrat révoqué pour affaire de mœurs, et de Martine Ferrière, actrice idéale pour un personnage de concierge.

Dans l'atmosphère noire de cet épisode, la présence de Nouchy, la jeune délurée au visage d'ange et à la poitrine arrogante, apporte une oasis de grâce et de fraîcheur due à la beauté de Dagmar Deisen, sa ravissante interprète.

Au final, un épisode qui pouvait passionner le public peu exigeant des années 60 mais laissera sur sa faim les téléspectateurs actuels tant il a mal vieilli.

Retour à l'index


2. LA TÊTE D'UN HOMME (1re version)
(ADAPTATION DE : LA TÊTE D'UN HOMME****)

Avec l'accord réticent de ses supérieurs, Maigret organise l'évasion de Joseph Heurtin, un détenu condamné à mort pour l'assassinat d'une riche américaine. Persuadé qu'il s'agit d'une erreur judiciaire, le commissaire espère que la filature de l'évadé conduira au véritable coupable.

Une adaptation assez maladroite d'un des meilleurs Maigret d'avant-guerre. Le roman est basé sur le duel entre le commissaire et Radek. Or, les scènes d'affrontements verbaux entre ces deux personnages ne sont pas satisfaisantes. Certes, elles présentent un Radek ironique à souhait, mais qui ne correspond pas vraiment au personnage du roman. Radek est roux, on a choisi un acteur brun. Et quelle idée saugrenue d'avoir transformé ce Tchèque en Français !

Si l'on ajoute les travers habituels des débuts de la série, il ne reste guère que l'intrigue, de qualité supérieure, et la bonne interprétation de Jean Saudray en Joseph Heurtin pour rendre l'épisode regardable.

Retour à l'index


3. LE CHIEN JAUNE (1re version)
(ADAPTATION DE : LE CHIEN JAUNE **** )

Un paisible notable de province a été victime d'une tentative de meurtre. Puis un de ses amis est assassiné et les disparitions et tentatives de meurtres, réussies ou non, se succèdent. Une serveuse de bar, un chien errant et un vagabond semblent être mêlés à l'affaire.

La production jouait sur du velours en adaptant un roman de légende. Une histoire d'une telle qualité suffit à assurer un téléfilm intéressant. On peut cependant reprocher les quelques libertés prises avec le roman : le récit se déroulait à Concarneau dans une ambiance typiquement bretonne. Ici, on nous sert du Boulogne-sur-Mer. Léon était emprisonné aux États-Unis, la production a préféré l'Angleterre.

En revanche, la vindicte de Simenon contre la bourgeoisie, ainsi que sa sympathie pour les petites gens, sont bien décrites. Jean Richard commence à mieux maîtriser son personnage. Sa bienveillance envers le couple Emma-Léon s'exprime ostensiblement lorsque, pour leur éviter des poursuites, il s'accuse d'avoir empoisonné lui-même le pastis pour tester la réaction des notables. La scène finale est émouvante, avec les remerciements du jeune couple et les regards attendris du commissaire.

Soulignons aussi les bonnes performances des acteurs incarnant les principaux personnages. Claude Vernier compose un docteur Michoux antipathique à souhait, Pierre Leproux une caricature de notable autoritaire partisan de l'ordre musclé en la personne du maire, Rosita Fernandez une Emma humble et soumise. Henri Czarniak donne vie à un Léon simple et authentique. On reconnaît parmi les petits rôles deux habitués des films et séries des années 60 et 70 avec Germaine Delbat en Madame Michoux et Robert Lombard sous les traits du patron de l'auberge.

Retour à l'index


4. SIGNÉ PICPUS
(ADAPTATION DE : SIGNÉ PICPUS ****)

Un modeste employé de bureau prétend avoir découvert dans un café un buvard avec des inscriptions annonçant l'assassinat imminent d'une voyante par un certain Picpus. En raison de l'imprécision des renseignements, Maigret ne peut empêcher le meurtre, dont seul un étrange retraité semble avoir été témoin.

Alors que nombre d'enquêtes de Maigret relèvent plus de la psychologie que de l'affaire purement policière, celle-ci est une des plus alambiquées. Les éléments épars se complètent les uns après les autres pour aboutir à la vérité selon un scénario typique de roman policier. L'adaptation, pour une fois d'une fidélité rigoureuse, restitue avec bonheur tant la qualité de l'intrigue que l'authenticité des personnages si caractéristiques du monde de Simenon.

Les acteurs sont pour la plupart criants de vérité : François Vibert en Le Cloaguen-Picard, ce clochard peu intelligent contraint de se prétendre médecin retraité ; Françoise Lacagne, parfaite en bourgeoise avare ; Marc Dudicourt dans le rôle de M. Blaise ; Catherine Lafond, très amusante en petite bonne amoureuse du beau truand à la grosse voiture verte ; Yves Bureau, un abonné de la série, interprète ici du falot Mascouvin.

Les seules fausses notes sont pour le couple Maigret. Jean Richard est encore trop nerveux, trop impulsif, trop coléreux pour incarner correctement son personnage, et l'allure trop bourgeoise de Micheline Francey l'empêche d'être crédible en Madame Maigret. Il aura fallu attendre le 4e épisode pour faire la connaissance de l'épouse du commissaire, et c'est une cruelle déception. Si l'on ajoute les habituels et insupportables commentaires en voix off, on obtient assez de ratés pour empêcher l'épisode d'entrer dans la catégorie des très grands, alors qu'il avait tout pour en faire partie.

Retour à l'index


5. L'INSPECTEUR CADAVRE
(ADAPTATION DE : L'INSPECTEUR CADAVRE ** )

À la demande de son ami le juge Bréjon, Maigret enquête en province sur le meurtre d'un jeune homme, que la rumeur met sur le compte d'Étienne Naud, le beau-frère de Bréjon.

C'est dans cette enquête que Simenon laisse le plus éclater sa haine de la bourgeoisie, déjà patente dans nombre de ses romans. Sentiment respectable mais qui gâche cette histoire en lui offrant une fin sordide, probablement destinée à accroître l'antipathie envers les notables, mais qui procure un malaise certain. Bref, Maigret est contre les bourgeois mais il ne peut pas faire grand-chose contre eux parce qu'ils sont trop puissants, voilà le message envoyé par Simenon.

Les acteurs sont bons mais pas toujours bien choisis. Que vient faire Christian Barbier dans le rôle d'Étienne Naud ? « L'homme du Picardie » est habitué aux rôles de gendarmes ou de mariniers mais n'a pas du tout le physique et les attitudes d'un bourgeois. Pour incarner l'inspecteur Cadavre, on pouvait trouver mieux qu'Étienne Bierry, qui n'a pas l'apparence malsaine de ce policier révoqué. Reste Jean Martin, très convenable pour un rôle de vieux vicieux comme celui de Groult-Cotelle, mais sa prestation ne peut suffire à faire oublier la déception engendrée par cet épisode.

Retour à l'index


6. FÉLICIE EST LÀ
(ADAPTATION DE : FÉLICIE EST LÀ *** )

Un paisible retraité est assassiné en plein jour à son domicile. Maigret est intrigué par le comportement de sa jeune domestique, qui bénéficie de la totalité de son héritage et semble avoir quelque chose à cacher.

Une enquête qui sécrète un ennui mortel dans sa première demi-heure, avant que l'attentat sur Pétillon n'accélère un peu le rythme. Tout est terriblement désuet, et cette impression n'est pas due qu'au noir-et-blanc. Dire que cet épisode a été tourné dans la foulée de mai 68 ! Pourtant, l'ambiance générale fait penser aux années 50, voire à l'entre-deux-guerres. Le béret de Lapie lui donne l'air d'un croix-de feu ou d'un paysan de la IIIe République, et on est presque étonné que le corbillard soit motorisé et non tiré par des chevaux, ce qui paraîtrait en accord avec cet enterrement campagnard en tenue de grand deuil, avec le prêtre allant jusqu'au cimetière.

Néanmoins, l'enquête, de qualité réelle, et la personnalité attachante, presque amusante, de Félicie rendent l'épisode regardable.

Retour à l'index


7. L'OMBRE CHINOISE
(ADAPTATION DE : L'OMBRE CHINOISE **** )

Un riche entrepreneur est assassiné d'un coup de revolver. Le crime a eu lieu un soir de fin de mois, dans le bureau où se trouve le coffre-fort de la victime. Son fils, un toxicomane oisif, sa première épouse et le second mari de cette dernière paraissent plus suspects aux yeux de Maigret que sa maîtresse et sa seconde épouse.

Cet épisode peut être considéré comme le second pilote et le vrai envol de la série tant il diffère des précédents. L'absence de commentaires récités bouleverse la donne, c'est une vraie amélioration permettant d'apprécier les silences qui vont si bien avec le noir-et-blanc et l'ambiance sombre de cette histoire. Du coup, on ne peut que regretter l'absence de traitement similaire pour la plupart des adaptations de l'époque noir-et-blanc car, hélas !, les épisodes suivants retomberont dans les travers déjà rencontrés.

L'atmosphère du roman, typique des Simenon d'avant-guerre, est très bien rendue, c'est d'ailleurs le point fort de l'enquête, au contraire du scénario qui comporte quelques incohérences. Pourquoi Martin jette-t-il bêtement les billets dans la Seine après le vol au lieu de rentrer chez lui puisqu'il sait que sa femme le surveille depuis la fenêtre de leur appartement ? Que cherche-t-il dans la poubelle à 11 heures le soir du crime puisqu'il ignore le meurtre à ce moment-là et ne peut donc savoir que sa femme y a dissimulé l'arme du crime ? Mystère...

Mme Martin est magnifiquement interprétée par Tsilla Chelton, on croirait voir la mégère décrite par  Simenon. Grosse satisfaction aussi avec Jean Richard, dont les mimiques et l'ironie bonasse font mouche. En somme, une enquête intéressante et bien adaptée, malgré l'hérésie de la première scène, révélatrice des connaissances limitées de Jacques Rémy et Claude Barma sur la série. Même si on ne le voit pas, on comprend que Maigret arrive sur les lieux du crime au volant d'une voiture. Maigret conduisant une voiture !

Retour à l'index


8. LA MAISON DU JUGE
(ADAPTATION DE : LA MAISON DU JUGE * )

Alors qu'il a été mis au placard dans une bourgade de la France profonde, Maigret enquête sur un juge à la retraite, surpris en train de se débarrasser d'un cadavre qu'il prétend avoir découvert tel quel à son domicile et dont il ne connaîtrait même pas l'identité.

Vous prenez un roman raté. Vous l'assaisonnez d'une adaptation peu pimentée. Laissez mariner le tout pendant une heure et vingt minutes. Que croyez-vous obtenir ? Forcément un téléfilm ennuyeux au possible. On touche ici les limites de ces Maigret première mouture : quand le roman adapté est excellent, la qualité de l'intrigue peut rattraper les maladresses de la mise en scène. Mais lorsque le roman est banal, voire médiocre, on aboutit à un épisode fade, mou, sans consistance aucune.

Didine, la vieille mégère campagnarde qui se délecte de dénoncer le juge, ressemble étrangement à... Lucienne Beaujon, une des deux célèbres Vamps ! C'est dire à quel point le personnage est caricatural. Il n'y a guère que les beaux yeux de l'adorable Béatrice Belthoise, l'interprète de Thérèse, pour susciter quelque intérêt. Voilà qui est évidemment insuffisant pour éviter l'échec.

Retour à l'index


9. LA NUIT DU CARREFOUR (1re version)
(ADAPTATION DE : LA NUIT DU CARREFOUR **** )

Le cadavre d'un Belge est retrouvé dans la voiture d'un assureur, elle-même garée chez son voisin, un mystérieux Suédois vivant reclus avec sa sœur. Le crime a été commis à un carrefour rural où les occupants des trois seules maisons se regardent en chiens de faïence. Maigret ne va pas avoir la tâche facile pour démêler cet imbroglio.

Une des meilleures enquêtes de Maigret, avec un scénario consistant, de l'action et des rebondissements. Hélas ! L'adaptation comporte de nombreux défauts. Trop de changements ont été apportés à l'histoire initiale : le nom du carrefour est modifié ; les Danois sont devenus des Suédois ; la victime n'est plus un Juif ; la fin, amputée de scènes capitales, totalement bouleversée, est méconnaissable. Tout ceci ne s'imposait pas.

L'interprétation est loin d'être parfaite. Si André Gille et Jacques Brunet sont satisfaisants dans les rôles respectifs de Michonnet et d'Andersen, Félix Marten compose un Oscar décevant. Il en fait trop, en rajoute dans le registre du prolo jovial à l'accent des faubourgs parisiens. Marika Green n'est pas vraiment convaincante, elle n'a pas grand-chose à voir avec la femme sensuelle et troublante imaginée par Simenon. Et voilà comment un excellent roman aboutit à un téléfilm plutôt moyen, qui ne peut s'appuyer que sur les quelques éléments majeurs du scénario tout de même conservés par Jacques Rémy et Claude Barma.

Retour à l'index


10. L'ÉCLUSE N°1
(ADAPTATION DE : L'ÉCLUSE N°1 * )

Un patron autoritaire échappe de peu à une tentative de meurtre. Son fils se suicide peu après en s'accusant d'avoir voulu tuer son père. Maigret soupçonne une affaire beaucoup plus compliquée qu'il n'y paraît, d'autant plus qu'une victime supplémentaire ne tarde pas à être découverte.

L'histoire de ce patron autodidacte jovial, autoritaire et méprisant, ainsi que son duel avec Maigret, auraient pu donner un téléfilm intéressant. Les joutes verbales entre Ducrau et le commissaire rappellent les affrontements entre le lieutenant Columbo et ses suspects. D'ailleurs, la façon dont Ducrau offre à Maigret de travailler pour lui à des conditions avantageuses est typique des scénarios « columbiens », où les tentatives de séduction du détective par le meurtrier sont légion.

Mais la qualité des aventures du policier au cigare et à l'imperméable est absente, et malgré le joli numéro d'Alfred Adam dans le rôle de Ducrau, cet épisode n'arrive pas à susciter un réel intérêt. Il est vrai qu'il était difficile d'obtenir une adaptation intéressante à partir d'un roman qui ne l'était pas. Interminable et trop compliqué. Souvent ennuyeux. En un sens, on peut dire que l'adaptation est fidèle puisqu'on retrouve les mêmes défauts, la même médiocrité dans le roman et dans le téléfilm.

Ce gâchis est d'autant plus regrettable que, outre Alfred Adam, les bons acteurs ne manquent pas, parmi lesquels on remarque Michel Beaune en militaire falot et Katia Tchenko dans le rôle inattendu d'une handicapée mentale.

Retour à l'index


11. MAIGRET ET SON MORT
(ADAPTATION DE : MAIGRET ET SON MORT **** )

Un inconnu appelle Maigret au téléphone à plusieurs reprises pour demander sa protection. Il prétend être aux prises avec des hommes qui veulent l'assassiner. Le lendemain, il est retrouvé mort. Maigret est chargé de l'identifier et de retrouver les meurtriers.

Encore une fois, un roman extraordinaire, sans doute le meilleur de la série, fait l'objet d'une adaptation décevante. Pour un spectateur n'ayant pas lu le roman, la qualité de l'enquête suffira à rendre le téléfilm intéressant, mais un amateur de Simenon ne pourra y trouver son compte.

À quoi riment toutes ces modifications qui affadissent le scénario ? Les vols n'ont plus lieu dans des fermes en Picardie mais en grande banlieue, et des raisons budgétaires ne peuvent expliquer ce changement puisqu'aucune scène d'attaque de villas n'est filmée en extérieur. Et pourquoi les Tchèques ont-ils été transformés en Yougoslaves ? L'hostilité, l'attitude sauvage de Maria, ne sont pas correctement exprimées à l'écran, l'aspect glauque et populeux du quartier où vivent les assassins encore moins.

Le pire est la fin tronquée. Le bandit intellectuel qui dirigeait la bande est purement et simplement éliminé par les scénaristes ! Ainsi, un élément fondamental est passé à la trappe et rend l'histoire bancale car les autres criminels sont trop primaires pour avoir organisé eux-mêmes les cambriolages. Par voie de conséquence, la scène majeure de l'arrestation de ce fameux cerveau disparaît également. En guise d'arrestation, le spectateur doit se contenter de celle des Yougoslaves, très banale, presque pitoyable.

Alors, ce n'est pas un ratage complet grâce à la trame adaptée du roman, excellente, notamment avec l'installation du couple de policiers dans le bar de la victime, mais les trahisons inutiles font de cette adaptation un demi-échec.

Retour à l'index


12. MAIGRET
(ADAPTATION DE : MAIGRET ** )

Alors qu'il se retrouve en « congé illimité » pour avoir déplu à un politicien, Maigret va aider son neveu, policier lui aussi et compromis par maladresse dans une affaire de meurtre où il n'est pour rien, à se tirer d'affaire. Peut-être est-ce l'occasion pour lui de revenir par la grande porte...

Cet épisode ne ressemble pas à un Maigret classique mais à n'importe quel film de gangsters de série B des années 50. Le problème, c'est que l'originalité du commissaire à la pipe est justement de mener des enquêtes plus fines, plus psychologiques que les classiques histoires de truands, d'indics et de prostituées de seconde zone vues, revues et re-revues dans tant d'aventures policières des années 50 et 60.

L'enquête est compliquée et s'enlise rapidement, laissant le spectateur dans l'ennui, à moins qu'il ne soit particulièrement bon public. Déjà vue dans Maigret et son mort, Dominique Blanchar est la nouvelle Madame Maigret. Là où Micheline Francey se montrait trop « grande bourgeoise », Dominique Blanchar joue une Madame Maigret ingénue, presque drôle, bien éloignée du personnage créé par Simenon, et s'avère au final aussi peu convaincante que l'actrice précédente.

Jean Richard n'est toujours pas au point, il ne compose pas encore un bon Maigret. Trop vif, trop caractériel. Trop « flic américain qui se la joue ». Il n'y a guère qu'Armand Mestral, excellent en Armadieu, le rival perfide de Maigret, et la participation surprenante d'Andrex pour rehausser le niveau de l'interprétation.

Retour à l'index


13. MAIGRET À L'ÉCOLE
(ADAPTATION DE : MAIGRET À L'ÉCOLE * )

Un instituteur de village, soupçonné d'avoir tué une vieille mégère, vient à Paris spécialement pour faire appel à Maigret, espérant être disculpé. La tâche du commissaire n'est pas facilitée par l'attitude du suspect, qui se comporte comme un coupable.

Un épisode vieillot, désuet au possible comme, hélas !, la majorité de ceux tournés en noir-et-blanc. Il est vrai que le roman adapté est déjà plutôt faiblard...

La vision d'une camionnette semblable à celle prêtée par « Sid » (Joan Collins) à Brett et à Danny dans l'épisode Minuit moins huit kilomètres de la série  Amicalement Vôtre  permet de prendre conscience que ce téléfilm a été tourné la même année que les aventures du lord anglais et de l'autodidacte américain ! Cela paraît incroyable tant on a l'impression de deux mondes différents et de deux époques éloignées l'une de l'autre, un bon siècle d'écart n'étant pas exagéré.

La présence toujours appréciée de Paul Le Person ne parvient pas à relever le niveau de cet épisode, qui suinte l'ennui, l'ennui, encore l'ennui et toujours l'ennui dès les premières secondes.

Retour à l'index


14. MAIGRET EN VACANCES
(ADAPTATION DE : LES VACANCES DE MAIGRET ** )

Alors qu'il a dû prolonger ses vacances au bord de la mer en raison d'une opération subie par son épouse, Maigret s'intéresse au cas du docteur Bellamy, un médecin généraliste soupçonné du meurtre de sa jeune belle-sœur, décédée à la suite d'un accident de voiture qui pourrait bien ne pas en être un.

Le gros point faible de cet épisode au ton une nouvelle fois résolument psychologique est l'incohérence du scénario. Il est difficile de croire qu'un homme déterminé tel que Bellamy puisse se livrer à Maigret aussi facilement alors qu'il n'y a aucune preuve contre lui, ce que le commissaire reconnaît volontiers. Un criminel qui n'hésite pas à tuer une gamine de sang froid de peur qu'elle ne le dénonce ne se laisserait pas arrêter ainsi, sans même combattre, si l'on veut bien être réaliste ne serait-ce qu'une seconde.

Voilà qui est bien dommage car ce téléfilm ne manque pas d'aspects attrayants : ambiance tendue, enquête digne d'intérêt, absence de narrateur intempestif (forcément, Jean Desailly, déjà acteur, ne peut pas faire en plus les commentaires...) et face-à-face consistant entre deux grands acteurs. Jean Richard, beaucoup plus maître de son personnage que dans les épisodes précédents, livre un duel feutré à un extraordinaire Jean Desailly. Ce comédien de légende rappelle de bons souvenirs aux amateurs de Maigret, qui ont tous en mémoire sa participation exceptionnelle, dans un rôle de détraqué, au fameux film Maigret tend un piège avec Gabin dans le rôle du commissaire.

L'interprétation énervante (habituelle) de Dominique Blanchar, une bien curieuse Madame Maigret, est contrebalancée non seulement par celle de Jean Desailly, mais aussi par la belle composition d'Anne-Marie Sinnigalia dans le rôle de Sœur Marie des Anges, au sein d'un ensemble de seconds rôles convaincants.

Retour à l'index


15. MAIGRET ET LE FANTÔME
(ADAPTATION DE : MAIGRET ET LE FANTÔME ** )

L'inspecteur Lognon, dit « Le malgracieux », a subi une tentative de meurtre alors qu'il sortait, en pleine nuit, d'un immeuble de la rue Junot. Maigret soupçonne un riche Hollandais qui habite un hôtel particulier situé en face de l'immeuble incriminé.

Cet épisode marque un tournant : la série, bien que tournée encore en noir-et-blanc, entre enfin dans une phase plus moderne. Le narrateur est définitivement abandonné (sauf parfois simplement en introduction ou en conclusion) et l'aspect vieillot, presque début de XXe siècle, est considérablement atténué, preuve que le noir-et-blanc n'était pas la cause essentielle des ratés du début de série. Un signe qui ne trompe pas : désormais, le générique de début annonce « une série », et non plus une « émission ». C'est aussi à partir de cet épisode que Jean Richard, qui a enfin trouvé le ton juste, ne retombera plus dans ses errements initiaux.

Il est bien dommage que l'enquête adaptée soit de qualité aussi moyenne. L'histoire des faux tableaux, assez confuse, gâche le final alors que l'épisode avait été intéressant pendant les trois-quarts de sa durée.

L'interprétation est très contrastée. Du positif avec Jean Richard donc, bien dans la peau de Maigret, Van Doude impeccable en Jonker, Christine Muller en concierge sympathique et André Dumas, l'escroc à double identité. Mais aussi du négatif avec Dominique Blanchar en dessous de tout. Non, Madame Maigret n'aurait jamais été aussi outrageusement maquillée ! Non, elle n'aurait pas porté ce genre de chapeaux ! Non, elle n'aurait pas parlé avec l'accent parisien ! Le vieillard solitaire qui passe son temps à espionner ses voisins est interprété par un acteur vraiment très mauvais. Avec ses incessants mouvements de bras, exagérés et même caricaturaux, on peut difficilement faire pire. Enfin, le comédien choisi pour incarner l'inspecteur Lognon a un physique qui ne cadre pas du tout avec le « Malgracieux » décrit par Simenon.

Retour à l'index


16. MAIGRET AUX ASSISES
(ADAPTATION DE : MAIGRET AUX ASSISES * )

Peu convaincu de la culpabilité de Gaston Meurant, qu'il a pourtant arrêté lui-même pour un double meurtre, Maigret témoigne aux assises en faveur de l'accusé. La révélation des infidélités conjugales de Madame Meurant, soupçonnée d'avoir fabriqué de fausses preuves pour faire accuser son mari, entraîne l'acquittement et la libération immédiate du prévenu. Il ne reste plus alors qu'à surveiller le manège du couple pour remonter jusqu'au vrai coupable.

À plusieurs reprises dans la série, les producteurs nous ont offert des téléfilms réussis adaptés de romans qui l'étaient beaucoup moins. Cet épisode est un bel exemple d'amélioration notable. Simenon avait mal exploité une idée intéressante, mais l'adaptation a corrigé le principal défaut : en limitant les scènes répétitives de tribunal pour laisser une large place à l'enquête, les scénaristes ont trouvé la formule adéquate.

Les promesses entrevues lors des épisodes précédents sont confirmées, on entre de plain-pied dans l'ère moderne de Maigret. Il ne manque plus que la couleur pour parachever cette évolution, mais elle ne tardera pas à arriver. Signe notable annonciateur de la grande époque, l'inspecteur Janvier est pour la première fois interprété par Jean-François Devaux, l'acteur qui lui prêtera ses traits dans tous les grands épisodes des années 70, et le seul « vrai » Janvier pour les puristes de la série. Petit à petit, l'équipe d'acteurs idéale se met donc en place.

L'intrigue est intéressante, parfois passionnante, et le jeu parfait des acteurs y est pour beaucoup. Outre Jean Richard, au meilleur de sa forme, le duo incarnant le couple Meurant est époustouflant de vérité. Jacques Serres, c'est le faible, le timide, le mari trompé qui refuse de voir la réalité en face, quitte à être condamné pour un crime qu'il n'a pas commis. Rôle difficile dans lequel il fait merveille. Muriel Baptiste* met sa beauté et sa classe au service d'une Ginette Meurant qu'elle rend plus humaine que dans le roman. Elle réussit l'exploit de rendre son personnage, pourtant ignoble, presque attachant, voire sympathique.

Du côté des rôles secondaires, Robert Lombard est parfait en tenancier d'hôtel louche, et on remarque même une belle pépite en la personne d'André Dussolier à ses débuts, qui fait une apparition dans un rôle de journaliste.

* En septembre 2006, contacté au téléphone par Patrick Sansano, grand admirateur de Muriel Baptiste, le comédien Jacques Serres lui a livré ses impressions sur le tournage de "Maigret aux assises" :

« À l'époque (c'était en 1973), on disait qu'elle serait la nouvelle Ginette Leclerc, promise à un grand avenir. Sur le tournage, elle était très sympathique avec tout le monde, très professionnelle.

Un soir, je l'ai invitée à dîner chez moi, avec ma femme (Serres est toujours marié avec la même personne depuis l'époque).

Là, nous avons mon épouse et moi découvert une femme différente, angoissée. Elle nous a révélé avoir des origines kabyles.

Elle a aussi mentionné avoir de terribles angoisses nocturnes. À l'époque, Muriel était ma voisine. J'habitais rue Victor Masset et elle rue Fontaine. »

La mémoire de Jacques Serres est défaillante sur deux points : le téléfilm fut diffusé le samedi 11 septembre 1971, et la participation à l'épisode de Maigret était mentionnée dans Télé 7 jours... début 1971. En 1973, la série était passée à la couleur depuis belle lurette.

D'autre part, Muriel habitait 24 rue Pigalle, fait plusieurs fois confirmé par son entourage. Il est vrai que la rue Fontaine est proche…

(Remerciements à Patrick Sansano pour cet éclairage)

Retour à l'index


17. LE PORT DES BRUMES
(ADAPTATION DE : LE PORT DES BRUMES **** )

Quelques semaines après sa disparition, un officier de marine honoraire est retrouvé errant dans les rues de Paris, amnésique et muet. De retour dans sa villa de Normandie, il est aussitôt assassiné. Sa bonne, dont le frère est un repris de justice, hérite de tous ses biens...

Une enquête passionnante gâchée par une fin étrange, presque bâclée : la fuite de Grandmaison et son suicide sont assez surréalistes. On peut reprocher aussi un changement inutile : pourquoi situer l'action à Port-en-Bessin et non à Ouistreham ? L'excellente histoire de Simenon méritait mieux que cette adaptation à demi-réussie.

Certes, les bons moments ne manquent pas, mais ils ne sont pas toujours bien filmés. Par exemple, le passage le plus spectaculaire du roman est l'agression nocturne subie par Maigret, qui se retrouve sur le port jusqu'au petit matin, ficelé comme un saucisson. Cette séquence est tellement mal exploitée, avec une agression tronquée, à peine visible, qu'elle fait perdre à l'action la majeure partie de son intensité.

Ces maladresses accentuent l'impression de montagne accouchant d'une souris engendrée par le scénario. Avec tous ces témoins butés, ces marins retors qui refusent de parler, on s'attendait à un dénouement extraordinaire, qui ne se produit pas, d'où un certain sentiment de frustration.

De l'interprétation, satisfaisante, on peut ressortir Michel Beaune, un abonné de la série, dans le rôle de Martineau, et le jeu sympathique de Nadine Servan, qui compose une petite bonne ingénue et truculente.

Retour à l'index


18. MAIGRET SE FÂCHE
(ADAPTATION DE : MAIGRET SE FÂCHE * )

Une vielle dame très riche demande à Maigret d'enquêter sur la mort de sa petite-fille, retrouvée  noyée dans une écluse alors qu'elle était bonne nageuse. Le commissaire ne croit pas à la thèse de l'accident et soupçonne le gendre de la vieille dame, un ancien camarade de lycée, d'être à l'origine du drame.

Un superbe duel entre un Maigret tenace et son vieux camarade Ernest Malik, remarquablement interprété par Daniel Ceccaldi. Cordial de prime abord, Malik devient vite agressif et même féroce lorsqu'il se rend compte que le commissaire n'a pas l'intention de se laisser mener en bateau par son apparence avenante. Les scènes d'affrontements entre les deux grands acteurs que sont Ceccaldi et Jean Richard sont le fait marquant de cet épisode de qualité.

L'enquête, au ton psychologique marqué, comporte quelques temps morts mais l'atmosphère pesante de ces maisons bourgeoises qui semblent cacher de lourds secrets ne laisse pas place à l'ennui.

Outre la performance de Daniel Ceccaldi, épatant dans ce rôle d'arriviste ignoble, on retiendra les belles compositions de Mary Marquet, très émouvante, et de Dora Doll en hôtelière alcoolique déchue. Voilà de quoi terminer de fort belle façon la période noir-et-blanc.

Retour à l'index

Crédits photo: lmlr.

Images capturées par Phil DLM.