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Sur la route de MadisonJugé coupable

Saga Clint Eastwood

Minuit dans le jardin du bien et du mal (1997)


 MINUIT DANS LE JARDIN DU BIEN ET DU MAL
(MIDNIGHT IN THE GARDEN OF GOOD AND EVIL)

classe 4

Résumé :

Un journaliste fraichement arrivé à Savannah, petite ville du sud des Etats-Unis, se retrouve plongé au cœur du procès d’un millionnaire local, accusé de meurtre, avec lequel il se lie d’amitié. .

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Critique :

Minuit dans le jardin du bien et du mal est un film assez particulier dans la filmographie de Clint Eastwood. Comme Absolute Power, il est tiré d’un roman, car c'est l'adaptation cinématographique du livre éponyme de John Berendt, publié trois ans plus tôt, dont l'intrigue se base sur des faits réels qui se sont déroulés à Savannah, dans l’Etat de Géorgie, en mai 81. Le scénario de John Lee Hancock, qui avait travaillé sur Un monde parfait, plut immédiatement à Eastwood, producteur et réalisateur sur ce projet. Intrigué par le vieux sud et sa culture, subjugué par le jazz, le metteur en scène a modifié le roman, qui avait déjà pris des libertés avec la réalité, et il a délibérément attaché moins d’importance au procès pour privilégier les balades dans les rues de Savannah et y saisir l’atmosphère de la ville à la rencontre de diverses personnalités.

John Kelso (John Cusack, engagé pour sa prestation dans Tueurs à gages) est envoyé à Savannah afin de couvrir pour son journal les fêtes de Noël renommées qu’organise Jim Williams (Kevin Spacey), le notable local, comme chaque année dans sa résidence luxueuse de Mercer House. Motivé par la perspective d’un livre à écrire, Kelso reste sur place lorsque l’hôte des lieux est arrêté et inculpé pour le meurtre de Billy Hanson (Jude Law), son jeune compagnon gigolo et toxicomane avec lequel il s’était disputé pendant la fête. C'est alors l'occasion pour le journaliste de rencontrer tout le gratin local et de s'imprégner de l'atmosphère si particulière de Savannah et du sud durant l’enquête sur ce scandale mondain. Les critiques françaises n’ont pas manqué de souligner le paradoxe entre le thème du film - le meurtre d’un gay - et Eastwood, qui avait, soi-disant, quelques fois par le passé, fustigé les homosexuels, en particulier le mari de Sondra Locke. Ces baveux omettaient sciemment de préciser que c’est surtout la fainéantise du mari de Locke qui énervait l’acteur, qui, bon cœur, entretenait tout le monde financièrement. Quant aux pics médiatiques, rien de bien méchant de la part d’un homme à femmes qui ne s’est jamais tourné. C’est sûrement cela qui irrite les médias dans un monde actuel où les minorités doivent représenter la norme sous peine d’être taxé de tous les maux. Néanmoins, histoire de faire un pied de nez aux grincheux, Eastwood fut le premier réalisateur d’un grand film américain à mettre en scène un acteur transgenre représentant une drag-queen !

La ville de Savannah est bourrée d’excentriques qui auraient tous leur place dans un épisode de Chapeau melon et bottes de cuir ! L’histoire se concentre sur l’enquête menée par le journaliste, en collaboration avec Williams et son avocat, pour accréditer la thèse soutenue par l’inculpé, qui est la légitime défense. Excentrique parmi les excentriques, Williams est un autodidacte, qui a fait fortune, et il est reconnu pour être un collectionneur d'art, un marchand d'antiquités, bon vivant et aussi un homosexuel discret, ce qui est une excentricité inconvenante, mais tolérée en raison de la fortune qu’il possède. Kelso est tout de suite désorienté par le comportement atypique des habitants, lorsqu’il rencontre pour la première fois Billy, le jeune amant violent de Jim. L’intérêt du journaliste s’accroit après le meurtre, car il fait la connaissance d’une série de personnages hauts en couleurs, à commencer par Lady Chablis, nom de scène provenant d’une bouteille de vin, le transsexuel au langage sulfureux. Eastwood, comme intrigué, propose des séquences durant son spectacle et il met de côté l’intrigue et donne l’impression de meubler un scénario trop peu consistant : « Yes, I am a bitch, and proud of it, honey. You better grow you some nails, honey, because if he's a gynecologist, he's mine.”…C’est dans l’évaluation de la juxtaposition de toutes ces vignettes colorées qu’on apprécie le film. Les répliques gratinées de Lady Chablis, au sujet de son ‘candy’ par exemple, font partie des incontournables du long métrage et la séquence du bal des Noirs est épique. 

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Dans cette rubrique excentriques, on côtoie l’homme au chapeau melon qui promène une laisse au bout de laquelle il y a un collier, mais pas de chien : le riche propriétaire de l'animal avait veillé à ce que Patrick, son labrador, soit toujours assuré de sa promenade, même après sa mort ! Encore très animalier avec le bulldog, véritable star, qui est la mascotte de l’université de Géorgie. Geoffrey Lewis, pour sa septième et dernière collaboration avec Eastwood, est l’homme étrange qui garde des mouches attachées à de petits rubans sur ses revers de veste et menace chaque jour d'empoisonner l'approvisionnement en eau…Pour ce dernier, c’est romancé, car le personnage n’était pas un excentrique dans la vraie vie et il s’est d’ailleurs plaint jusqu’à son décès de sa représentation. Kelso lui-même est à classer dans cette catégorie, car il s’endort en mettant une cassette audio des bruits de sa chère ville new-yorkaise ! Tous les protagonistes possèdent un grain de folie qui tranche avec le cadre très racé et huppé de Savannah. Le journaliste se retrouve impliqué dans cette histoire rocambolesque, à assister aux rituels vaudous du cimetière de minuit orchestrés par Minerva (Irma P. Hall), tout en essayant de découvrir le mystère qui entoure la mort de Billy. La tradition veut que pendant la demi-heure précédant minuit, la conversation avec les morts soit axée sur le bien, tandis que la demi-heure suivante est consacrée au mal, les deux s’équilibrant.

Ce film de deux heures et demie a de sacrées longueurs et je ne suis pas grand fan du duo d’acteurs vedettes, John Cusack et Kevin Spacey, mais il faut reconnaitre que le jeu des deux comédiens est impeccable. Evidemment, la grande curiosité de la distribution est la présence d’Alison Eastwood, juste après son rapide passage dans la scène d’ouverture des Pleins pouvoirs. Porter un nom prestigieux peut être un handicap et la jolie Alison n’eut pas la carrière espérée. Sa participation à Midnight ne fut pas une faveur de son père ; elle a enduré trois auditions, des lectures multiples et des tests vidéo avant d'être engagée pour jouer Mandy Nicholls. L’actrice a passé quelques temps à Savannah avant le tournage à écouter les femmes de la ville pour prendre l’accent du sud et elle constitue une des étincelles de ce film un peu longuet. Mandy est tantôt fleuriste (« sorry, we’re all out of petunias »), tantôt chanteuse de pub, mais elle a décidé de faire succomber l’étranger. Cependant, Kelso est plus gentleman et réservé que l’homme des hautes plaines, alors que la belle Mandy est bien délurée, comme on le constate lors de la superbe scène de la morgue (« I candy-striped one summer »). Pour les inconditionnels, je conseille Sexe, strip-tease et tequila, tourné dans la foulée, une petite comédie nanardesque assez chaude. Alison continue à tourner mais n’a pas percé, restée dans l’ombre de son père, même lorsqu’elle posa nue pour Playboy en février 2003 sous l’accroche en clin d’œil : "Wanna get lucky?". Elle n’a pas non plus la langue dans la poche, lorsqu’elle médusa tout le monde en déclarant au Sunday Times que son père avait eu huit enfants de six femmes différentes !

Le reste de la distribution est convaincant, et il est amusant de noter que certains participants au film furent impliqués dans l’affaire seize ans plus tôt. Ainsi, Sonny Seiler, le juge White, fut le véritable avocat de Jim Williams. En mars 2017, il exerçait toujours à Savannah. L’infirmière, Patrika Darbo, n’est autre que l’employée de banque qui se fait briser la nuque par Malkovich (Dans la ligne de mire). Quelques détails furent modifiés pour dramatiser l’histoire ; ainsi, Kelso, le personnage inventé, est basé sur Berendt, l’auteur du roman – homosexuel -  qui n’eut aucune liaison avec Mandy. Cette modification est positive pour le long métrage, car une présence féminine était indispensable. Le scénariste, avec l’aval d’Eastwood, a modifié les penchants sexuels de Berendt pour son ‘héros’ Kelso afin d’y inclure une petite romance qui a peu de points communs avec celle de Madison…C’est néanmoins rafraichissant et évite de se retrouver comme au milieu d’une gay pride ! Les scènes avec Mandy/Alison font d’ailleurs partie des meilleures du film, en particulier l’arrivée du personnage. Sous prétexte de venir chercher de la glace, elle s’invite dans l’appartement du journaliste et lui dit de mettre son pantalon et de venir à la fête : « Put on some pants, Mr John Kelso. ». Du véritable rentre-dedans !

John Kelso découvre, stupéfait, en même temps que le spectateur, la ville et ses habitants sidérants. Il se plait dans cette atmosphère singulière, qui relègue New York au chapitre ‘ennuyeux’, et il rempilera pour y rester avec Mandy après avoir été ‘Kelso chez les dingos’ pendant une bonne partie du film... La ville de Savannah est un personnage à part entière du long métrage avec ses riches maisons élégantes coloniales, ses parcs verdoyants et son côté plus obscur matérialisé par le cimetière de Bonaventure, où morts et vivants se côtoient. Il y règne une ambiance sympathique de guide touristique avec une photographie impeccable de Jack N. Green et Eastwood transmet la chaleur moite des états du sud des Etats-Unis, le tout accompagné de l'accent traînant de cette région. Composé de petites vignettes pour la plupart captivantes, le film souffre parfois d’un manque de rythme et certaines séquences m’ont ennuyé. Je pense particulièrement à celles du tribunal, qui rappellent les barbants Perry Mason, d’ailleurs cité. Par contre, sans dévoiler la conclusion fascinante, le final et les deux versions filmées en flashbacks, surtout la première de la confession, redonnent du tonus et font de cette œuvre atypique une découverte à conseiller, au moins autant pour l’atmosphère et ses personnages que pour l’intrigue.

Lent mais captivant, le film surprit les fans de l’acteur et il fut un échec aux Etats-Unis, alors qu’en France, Eastwood, venu le présenter, reçut un César d’honneur pour toute sa carrière sous une ‘standing ovation’ de plus de trois minutes (où on reconnaît, entre autres, Michael Douglas qui reçut ce soir-là la même distinction). D’émotion, il perdit son micro mais comme il le dit : ‘I have my speech but no glasses’ et il déclama le tout en français. Inoubliable ! À voir ici. 

Ce vingtième film d’Eastwood en tant que réalisateur est le troisième dans lequel il n’apparaît pas comme acteur après Breezy et Bird. Il s’est entouré du même trio de collaborateurs - Green, Niehaus, Cox – même si cette œuvre est difficilement identifiable à un genre en particulier. Sans action et d’une durée conséquente, elle laisse un goût mitigé à la découverte, avec autant d’aspects positifs que négatifs, mais, comme Eastwood a tourné, il faut laisser le temps à la contemplation et on y décerne l'humour, l'ironie, l'excentricité et l'imaginaire qui font la force du film. En tout cas, le réalisateur a cloué le bec à ses détracteurs, qui l’attaquaient sur ses préjugés, tout en mettant l’accent sur un thème cher à son œuvre, la conséquence d’actes de violence déjà abordée dans Impitoyable. Midnight est un Eastwood atypique qu’on n’apprécie pas à sa juste valeur au premier passage, car l’intrigue est éclipsée par l’atmosphère des lieux et la particularité des personnages. Welcome to Savannah ! 

Anecdotes :

  • Le film fut présenté en avant-première à Burbank en Californie le 17 novembre 1997  - emplacement des studios Warner où certaines scènes furent tournées - avant de sortir sur le territoire américain quatre jours plus tard. En France, il fallut attendre le 11 mars 1998.

  • Le tournage extérieur eut lieu intégralement à Savannah, dans l’Etat de Géorgie, à partir du printemps 97 et dura six semaines, jusqu’en juin. On reconnait les emplacements suivants: Mercer House, située au cœur historique de la ville, Tomochichi Federal Building, Parc Forsyth, Bonaventure Cemetery entre autres. Certaines scènes en intérieur furent tournées en fin de production sur les plateaux 21 et 22 des studios Warner Brothers à Burbank.

  • Lorsque le tournage se déroula dans la Mercer House, la production n’a pas réussi à trouver une compagnie d’assurance pour couvrir les nombreuses antiquités de la demeure. Ce sont par conséquent des répliques qu’on voit dans le film et les originaux furent entreposés dans des coffres pendant le temps du tournage.

  • Lady Chablis (1957-2016), la femme transgenre de Savannah présentée dans le livre de John Berendt, est le seul personnage à jouer son propre rôle dans l'adaptation du livre en film.

  • Geoffrey Lewis (1935-2015) a participé à sept films d’Eastwood : L'homme des hautes plaines (1973), Le canardeur (1974), Doux, dur etdingue (1978), Bronco Billy (1980), Ça va cogner (1980), Pink Cadillac (1989) et Minuit dans le jardin du bien et du mal (1997).

  • Pour la séquence de la fête de Noël à Mercer House, un grand nombre de personnes qui avaient été aux fêtes de Jim Williams furent invitées, y compris plusieurs membres de sa famille. Ces participants ont loué la fête reconstituée parce que non seulement l'atmosphère était correcte, mais aussi parce que Kevin Spacey a parfaitement joué l’attitude de Jim lors de ces soirées. Des habitantes de la ville ont également participé à la scène du club de cartes pour femmes.

  • Le film, comme le livre, a pris quelques libertés avec la réalité. Le meurtre n’eut pas lieu lors de la soirée de Noël mais au mois de mai. Williams a été jugé quatre fois en dix ans, mais cela a été condensé à un jugement à l’écran.

  • Quatorze chansons de Johnny Mercer (1909-1976), dont la tombe est filmée au début du film, sont utilisées dans le film, dont la superbe Skylark du générique et Come Rain or Come Shine chantée par Alison Eastwood.

  • La sculpture de l’affiche qu’on aperçoit dans le film et qui fit la couverture du livre est la Bird Girl, conçue en 1936 par Sylvia Shaw Judson. Elle évoque une sorte de balance sur laquelle sont pesées les parts du bien et du mal. C’était un abreuvoir pour les oiseaux et elle se trouvait dans le cimetière de Bonaventure de Savannah avant d’être déplacée au musée suite à la sortie du roman de Berendt, qui la rendit célèbre grâce à une photographie de Jack Leigh. Pour le film, Warner Bros créa une réplique que les studios utilisèrent pour le film et l’affiche. En novembre 97, Leigh assigna les studios au tribunal pour les droits de copyright car les vues du film étaient similaires aux siennes. L’affaire se solda à l’amiable. Jack Leigh décéda d’un cancer en 2004 et il est enterré dans le cimetière où il prit sa célèbre photo.

  • Une collecte de fonds a été organisée pour le théâtre Lucas de Savannah, qui a été construit en 1921. Kevin Spacey a donné, en l'honneur de Jim Williams, 200 000 $ pour aider à la rénovation du théâtre, qui coûta plus de sept millions et demi de dollars. « J'aime Savannah. J'ai passé un bon moment ici » a déclaré Spacey. « Je prévois de revenir. Quand le théâtre aura été rénové, je vais apporter une pièce de théâtre ici ». On espérait que la première du film se déroulerait au Lucas, mais ce fut aux studios Warner Bros à Burbank.

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