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La Relève (1990)Dans la ligne de mire

Saga Clint Eastwood

Impitoyable (1992)


 IMPITOYABLE
(UNFORGIVEN)

classe 4

Résumé :

1880-1881, dans les États du Wyoming et du Kansas. Un tueur repenti sort de sa paisible retraite et reprend du service pour venger une prostituée défigurée, avec l’aide de son ancien partenaire et d’un jeune cow-boy impétueux. 

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Critique :

Dans la carrière d’Eastwood, il y a incontestablement un avant et un après Impitoyable. Avec ce western crépusculaire, il atteint l’apogée de son art et jouit enfin d’une reconnaissance qui sera couronnée de moult récompenses. Ce dernier western eastwoodien, oscarisé à quatre reprises, demeure le summum de la filmographie de l’acteur-réalisateur-producteur. 1992-93 restera comme la période charnière de l’artiste : deux superbes films coup sur coup, avec In the Line of Fire qui suivra. Il y en aura certes quelques autres, mais rarement deux si rapprochés de ce calibre. L’acteur n’est pas seul dans l’aventure, car la distribution est fabuleuse avec Gene Hackman, Morgan Freeman, Richard Harris et Frances Fisher, la compagne d’Eastwood à l’époque, qui est Strawberry Alice, une sorte de mère maquerelle. À la différence de beaucoup de ses films précédents, Clint offre à d'autres acteurs des rôles tout aussi importants que le sien. On retrouvera quelques années plus tard deux de ces comédiens dans des productions eastwoodiennes remarquables : Gene Hackman (Les pleins pouvoirs, 1997) et Morgan Freeman (Million Dollar Baby, 2004, et Invictus, 2009).

L’action se déroule principalement dans la petite ville de Big Whiskey dans le Wyoming, où tout semble calme et chacun y coule une vie tranquille : une bourgade type de la fin du dix-neuvième siècle de l’Ouest américain. Cela s’enraille le jour où deux cow-boys ne supportent pas une réflexion moqueuse d’une prostituée et ils lui tailladent sauvagement le visage. Le shérif « Little Bill » Daggett (Gene Hackman) applique une justice trop clémente pour les femmes de petite vertu, qui se sentent humiliées et mettent une prime sur la tête des cow-boys. La sanction du shérif dédommage en effet le propriétaire du saloon, à qui appartiennent les filles, par des chevaux, mais ne prend nullement en compte l’agression subie par Delilah (interprétée par Anna Thomson, vue dans Bird, une autre réalisation eastwoodienne). L’appât du gain allèche un jeune garçon, qui se fait appeler 'The Schofield Kid' (Jaimz Woolvett), qui rend visite à William Munny (Eastwood), un tueur vieillissant qu’il considère comme une légende vivante, en vue d’une association. Devenu un piètre éleveur de porcs veuf avec deux jeunes enfants à charge qu’il essaie d’élever sur les principes de sa femme, Munny finit par accepter et contacte Ned Logan (Morgan Freeman), son ancien frère d’armes, également un paisible fermier, en couple avec une indienne.

L’histoire est par conséquent assez simple ; elle conte les affres de la vie d’un tueur repenti, qui semble avoir définitivement enterré sa vie antérieure pleine de vices dans une petite ferme isolée. Son passé meurtrier le rattrape lorsque des prostituées cotisent mille dollars pour se venger de deux cow-boys qui ont balafré une des leurs. Une somme d’argent importante dans l’univers spartiate de Munny et la perspective de prime replonge l’ancien tueur au cœur de la violence, thème essentiel du film. Impardonnable – titre canadien - et pas Impitoyable comme traduit en français est plus judicieux et fidèle à Unforgiven. Le trio de chasseurs de primes est composé de Munny, qui doit réapprendre à tirer et à monter à cheval, de Ned Logan, dont l’adresse au fusil a disparu, et du Kid, qui ne voit pas à plus de cinquante mètres. Une association hétéroclite qui met un sacré coup à l’univers héroïque des cow-boys de l’Ouest.  De son côté, le shérif décourage violement les chasseurs de primes potentiels en proscrivant toute arme en ville et le passage à tabac d’English Bob (Richard Harris) est une des nombreuses séquences ultra-violentes du film. Paradoxalement, Logan est dégouté de cette violence et c’est en quittant le groupe qu’il sera capturé et à la merci du sadique Little Bill. Le Kid en a aussi assez et connaitra une fin plus heureuse en laissant Munny terminer le boulot. L’importance des prostituées d’Unforgiven est à souligner, car elles n’ont qu’un rôle secondaire dans la plupart des westerns. Ici, elles se rebellent, et refusent les chevaux apportés en compensation par les cow-boys, au grand dam du shérif. Cela porte un nouveau coup aux accusations de machisme d’Eastwood de la part de certains critiques à la vue basse, tout comme celles de racisme toujours colportées par quelques indécrottables, car l’amitié Munny/Logan est indéniable. 

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­Les dialogues sont graveleux - la prostituée est défigurée au couteau pour avoir moqué la taille du pénis d’un client ivre – et le bien et le mal s’entrechoquent continuellement. Dans le même ordre d’idée, le langage des filles, d’une rare verdeur en V.O., dénonce crûment leur condition de femme « chevauchées comme on le fait de chevaux ». Entre Little Bill, le shérif, qui est un ancien assassin, et William Munny, tueur repenti à la sinistre réputation, c’est un conflit qui se terminera par la mort. Le film met en opposition deux personnages et souligne que la délimitation entre le bien et le mal, ou plutôt entre la justice et les hors-la-loi, est mince. Le spectateur prend plus facilement le parti du tueur Munny, qui a pourtant à son actif ‘femmes et enfants’ à en croire les dires du final, au détriment du représentant de la loi Little Bill, parce que le film démontre une évolution contradictoire des personnages vis-à-vis de la violence. Munny en est guéri, et il l’utilise pour faire triompher le bien, tandis que Little Bill l’emploie avec complaisance et sadisme.

Unforgiven ne propose pas de duel qui se déroule selon les règles de l'art ; les hommes sont abattus lâchement, car aucun tireur n’est véritablement doué. Munny dit lui-même qu'il a toujours eu de la chance lors de ses meurtres (« I have always been lucky when it comes to killing people »). Les exécutions s’avèrent sordides et les duels d’honneur se transforment en véritables assassinats. Les tirs de loin sont monnaie courante, comme pour le gibier, ou, à contrario, à bout portant, lorsque la cible se croit en sécurité, à l’intérieur de ‘shithouses’ par exemple. Les chasseurs de prime sont de piètres tireurs qui doivent s’y reprendre à plusieurs fois pour atteindre leur cible et le passage du premier contrat, le cow-boy mortellement blessé dans la montagne, symbolise le véritable quotidien, où on abattait ses ennemis, dissimulé et de préférence dans le dos. Le pauvre bougre est atteint au ventre, et on assiste à son agonie pathétique pendant de longues minutes lorsqu’il réclame à boire. C’est une des scènes préférées d’Eastwood. L’héroïsme n’est en aucun cas une valeur du film, qui est essentiellement basé sur la violence basique et sordide d’un Ouest sauvage qui n’a rien de noble, où l’honneur et la loyauté des films des années 50 ont fait place à l’instinct de survie. Les raisons de la violence sont multiples et crûment dénoncées, et Eastwood la dépeint comme naturelle dans l’Ouest américain de la fin du dix-neuvième siècle. Le début du film souligne le contraste entre la violence de la ville et la quiétude de la ferme de Munny, dans laquelle il essaie avec son fils d’isoler des porcs malades.

Il n’y a donc pas de personnage bon à proprement parler, qu’il soit hors-la-loi ou shérif, seulement des individus au passé trouble, au présent inquiétant et au futur incertain. Même le comportement du biographe, W. W. Beauchamp (Saul Rubinek), est déviant et fourbe. Les vastes étendues colorées et harmonieuses contrastent avec les lieux sombres et étouffants de la ville. Les acteurs sont tous particulièrement convaincants, même les plus petits rôles, et la photo de Jack Green est prodigieuse, surtout lors des nombreux passages dans l’obscurité, et certaines scènes restent tout simplement gravées dans les mémoires. Les trois meilleures séquences que je sélectionne subjectivement sont le retour progressif de Munny à son ancien statut (entrainement au tir, fleurs sur la tombe de sa femme, rasage de près), l’arrivée au bar sous une pluie diluvienne où Munny/Eastwood, transi et fiévreux, est tabassé par Little Bill, qui ne sait pas encore qui il est, pendant que ses deux associés se sont payés en avance avec les filles à l’étage et le final, également sous des trombes d’eau, où Ned est exposé dans un cercueil à l’entrée du saloon : Munny fait alors irruption à l’intérieur et abat Little Bill et sa clique sans état d’âme. Il quitte ensuite Big Whiskey, toujours sous la pluie, et le grondement du tonnerre symbolise l’apocalypse. Ces trois passages résument parfaitement ce film grandiose.  

Les répliques claquent comme des coups de fusil et beaucoup sont devenues cultes chez les connaisseurs du monde eastwoodien. Ainsi, Munny au Kid, qui avoue avoir tué pour la première fois : « It's a hell of a thing, killin’ a man. Take away all he's got and all he's ever gonna have. » [C'est quelque chose de tuer un homme. On prend tout ce qu'il a et tout ce qu'il n'aura jamais.]. La dernière phrase avec le départ de Munny dans la nuit sous une pluie battante est terrible : « You better bury Ned right!... Better not cut up, nor otherwise harm no whores... or I'll come back and kill every one of you sons of bitches. » [Vous avez intérêt à enterrer Ned comme il faut, à ne plus taillader ni faire aucun mal aux putains, ou je reviendrai et je vous tuerai tous, salopards!]. Mais celle qui fit couler le plus d’encre sur sa signification est la réponse que Munny fait à Little Bill qui dit ne pas mériter ça : « Deserve's got nothin' to do with it. »

Bien que l’équipe entourant Eastwood soit composée d’habitués - Lennie Niehaus, Joel Cox et Jack N. Green -, le tournage de ce film fut différent des précédents. Eastwood a été plus attentif au jeu des acteurs en insistant sur les répétitions et le nombre de prises effectuées. C’est assez étonnant quand on sait que le réalisateur met un point d’honneur à boucler avant les délais. Cela renforce l’idée que ce film était spécial pour Eastwood. Bien que Niehaus soit le compositeur, Clint écrivit également la principale mélodie du film, le splendide thème de Claudia, qui aurait mérité une récompense. Eastwood aime tourner ses westerns à l’automne, lorsque les couleurs sont contrastées, mais au Canada, l’hiver fait son apparition plus tôt que prévu. Alors que l’essentiel de la pluie fut artificiellement créé pour les besoins du scénario, les chutes de neige n’étaient pas prévues et les prévisions météorologiques ont précipité le tournage, surtout que le réalisateur a quelques exigences. Lorsque la prostituée apprend à Munny le triste sort de Ned, Eastwood veut qu’on puisse voir la ville au loin sans neige au sol. Pour devancer les chutes importantes, l’équipe de production enfreignit les règles et resta sur le pont vingt quatre heures d’affilée dans un froid glacial !

Le long métrage est perçu par la presse comme « un western révisionniste, un film violent pour démythifier le meurtre ». Pour le Los Angeles Times, c’est « le meilleur western depuis 1956 » et tous les médias s'accordent pour souligner qu’Eastwood a atteint son apogée. L’acteur raccroche les colts avec ce sublime dernier western et il a eu raison de ne pas revenir au genre, car la quasi-perfection est atteinte avec Impitoyable, qui a quelques réminiscences de ses autres westerns, tels Pour une poignée de dollars (retour du ‘héros’ qui règle ses comptes après un passage à tabac et une convalescence) et, bien entendu, Josey Wales, hors-la-loi (la réadaptation aux armes après une vie de paysan) et Pale Rider, le cavalier solitaire, avec une fin qui laisse planer le mystère sur la destinée du personnage principal. Clint Eastwood a non seulement signé un de ses meilleurs films – ou peut-être même le meilleur - mais aussi un des plus beaux westerns de l'histoire du cinéma, un chef-d’œuvre absolu du genre, dont les fondations furent secouées par l’anticonformisme du film.

Eastwood avait ce projet dans les cartons depuis le début des années 80, mais il avait ‘d’autres choses à faire avant’ et il a su l’utiliser quand il le fallait. La légende raconte que le script lui fut présenté au printemps 84 par une analyste de scénario avec qui il entretenait une relation intime. Le réalisateur déclara durant la pré-production du film : « Je le savourais, parce que je me disais que ce serait sans doute le dernier du genre, le dernier film de ce type que je ferais ». En fait, le script existait dès 1976 avec comme titres The Cut-Whore Killings et The William Munny Killings, mais Eastwood retarda le projet car il voulait attendre d’avoir l’âge adéquat pour interpréter le personnage dans son dernier western.

Unforgiven est un western sombre qui évoque l’aspect sinistre de la violence de l’Ouest américain et qui, en même temps, détruit certains mythes avec une vision du Far West aux antipodes du glamour hollywoodien des années 50. Comme Dirty Harry, Unforgiven fut ajouté au National Film Registry dans la bibliothèque du Congrès en 2004 pour sa justesse culturelle, historique et esthétique. Sûrement le dernier chef-d’œuvre du western comme le prédisent certains. Tout simplement indispensable. Le film récolta à sa sortie en 92 un succès public et surtout critique unanime, et remporta de nombreux prix, dont l’Oscar du meilleur film et du meilleur réalisateur. Impitoyable n’a pas pris une ride dans sa peinture implacable de la violence dans la société américaine. Un chef d’œuvre incontournable et Eastwood pressentait son impact car il déclara à l’époque que cela serait le dernier film pour lequel il cumulerait les fonctions d’acteur et de réalisateur. Pour notre grand bonheur, il se ravisa et endossa la double casquette dans huit autres films, le dernier étant le magistral Gran Torino…. 

Anecdotes :

  • Le film sortit en avant-première à Los Angeles le 3 août 1992 et quatre jours plus tard sur l’ensemble du territoire américain. En France, il fut présenté au Festival de Deauville le 6 septembre 1992 et il sortit dans l’hexagone trois jours plus tard.

  • Le tournage eut lieu principalement dans l’Alberta au Canada, d’août à novembre 91 : Brooks, Longview, Drumheller, High River, Calgary. La scène du train fut filmée à Sonora en Californie, car il restait une voie ferrée étroite opérationnelle du dix-neuvième siècle dans la région. La ville de Big Whiskey fut construite en moins de deux mois avant le début du tournage ; un laps de temps qui permit aux cascadeurs de régler les séances d’équitation et de chorégraphie. 

  • Unforgiven figure dans plus de deux cents listes des dix meilleurs films de l'année. Eastwood remporte le prix du meilleur réalisateur à la Directors Guild of America et le film est nominé à neuf Oscars et en gagne quatre. Eastwood remporte le prix du meilleur réalisateur, tant attendu dans sa carrière. Durant son discours, il remercie tous les artistes et techniciens qui ont participé au film, mais également les critiques, et particulièrement les critiques françaises qui l’ont reconnu, bien avant qu’il ne soit ‘fashionable’. Plus tard dans la soirée, Eastwood remonte sur scène pour recevoir l'Oscar du meilleur film pour lequel il remercie Warner. Il salue sa mère présente durant la cérémonie et Arthur Lubin, qu'il remercie pour avoir lancé sa carrière. Les deux autres Oscars reviennent à Gene Hackman (meilleur second rôle masculin) et Joel Cox (meilleur montage).

  • La dernière image, "Dedicated to Sergio and Don", est une référence de Clint Eastwood à ses mentors décédés, Sergio Leone (1929-1989) et Don Siegel (1912-1991).

  • Gene Hackman avait déjà refusé le rôle, trop violent à son goût, avant d’être convaincu par Eastwood, qui lui a précisé qu’en tournant le film correctement, cela pouvait être ‘a great statement against violence’. Richard Harris regardait L’homme des hautes plaines à la télévision lorsqu’Eastwood lui téléphona pour lui proposer le rôle d’English Bob. Quant à Morgan Freeman, il apprit le tournage du film par Kevin Costner pendant Robin des bois : Prince des voleurs. Il contacta Eastwood qui lui donna le rôle de Ned Logan.

  • La mère de Clint a tourné une journée comme figurante dans une scène où elle embarque dans un train. Le passage fut finalement coupé au montage, car le film était trop long. Clint s’excusa et la remercia lors de son discours à la cérémonie des Oscars à laquelle il l’avait conviée.

  • Avant son triomphe avec Impitoyable, Eastwood s’exprimait ainsi sur le fait qu’il n’avait jamais obtenu d’Oscar : « First, I'm not Jewish. Secondly I make too much money. Thirdly, and most importantly, because I don't give a fuck».

  • Afin de maintenir l’atmosphère authentique, aucun véhicule motorisé n’était autorisé sur le plateau de Big Whiskey.

  • Un des quelques changements du script original de David Webb Peoples effectué par Eastwood concerne le début. Il remplaça la voix-off par un texte.

  • Eastwood porte les bottes qu’il avait dans la série Rawhide. Vu que l’acteur les portait dans Pour une poignée de dollars, on peut dire que la boucle est bouclée.

  • Les enfants Munny se nomment Will et Penny, une référence au film Will Penny dans lequel un cowboy vient au secours d'une veuve et de ses deux enfants.

  • Une des répliques graveleuses de Little Bill Daggett, pas traduite car la version française a amadoué l’ensemble…:“Yeah well, a lot of folks did call him "Two-Gun" but that wasn't because he was sporting two pistols. That was because he had a dick that was so big it was longer than the barrel of that Walker Colt that he carried. And the only "insultin' to a lady" he ever did was to stick that thing of his into this French lady that Bob here was kind of sweet on.”

  • En 2007, l’American Film Institute classa le film 68ème dans son classement des plus grands films de tous les temps. En 2013, le Writers Guild of America classa le script de Peoples au trentième rang dans l’histoire du cinéma. 

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