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Pink CadillacLa relève

Saga Clint Eastwood

Chasseur blanc, coeur noir (1990)


 CHASSEUR BLANC, COEUR NOIR
(WHITE HUNTER, BLACK HEART)

classe 4

Résumé :

Un metteur en scène hypothèque le tournage d’un film en Afrique pour satisfaire son obsession de tuer un éléphant. 

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Critique :

C’est dans l’avion en revenant de France, où il avait présenté Bird, que Clint Eastwood lut le script de White Hunter Black Heart. L’acteur-réalisateur fut fasciné par le personnage principal plein de contrastes, alternant générosité et cruauté. Il a d’ailleurs toujours été intéressé par le comportement obsessionnel, mis en évidence dans Honkytonk Man et Bird, centrés sur deux personnages autodestructeurs. A l’instar de ces films, Chasseur blanc, cœur noir présente un rythme lent qui peut décontenancer une partie des fans d’Eastwood, qui se rendit à l’occasion pour la première fois en Afrique.

Ce long métrage est évidemment inspiré du légendaire John Huston sur le tournage de The African Queen en 1951, avec Humphrey Bogart et Katharine Hepburn, même si l’actrice vieillissante contesta la véracité du film à l’époque. Eastwood obtint le feu vert des studios Warner Bros – son vingtième projet pour eux - en acceptant par avance de tourner La relève juste après. Ce système de ‘donnant-donnant’ a jalonné la carrière d’Eastwood, ce qui lui permit de réaliser ce qu’il voulait, souvent avec succès, mais en ce début des années 90, ce n’est plus le cas. Les deux films tournés l’un derrière l’autre n’affolèrent pas le box-office et Chasseur blanc, cœur noir fut même le plus gros échec eastwoodien de la décennie.

Le script est fidèle au roman éponyme écrit en 1953 par Peter Viertel, ami de John Huston. Trente-sept ans après la publication, Viertel coécrivit le scénario de ce film avec James Bridges et Burt Kennedy. Ainsi, le renommé John Wilson (Clint Eastwood), endetté, a pour projet de partir en Afrique afin de tourner son prochain long métrage, mais tout le monde qui l’approche juge qu’il est un metteur en scène borné, égocentrique et acariâtre. Wilson a invité son ami Pete Verrill, évidemment Viertel à l’écran (interprété par Jeff Fahey), pour qu’il termine le scénario du film qui sera, aux dires du réalisateur, un chef d’œuvre. Il a convaincu le producteur Paul Landers (George Dzundza) que le film doit être tourné en Afrique et l’équipe de production part pour le continent noir. Sur place, Wilson ne se préoccupe guère de son projet cinématographique, néglige son casting et donne la priorité à son obsession, aidé de Kivu, un indigène : la chasse à l’éléphant. 

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Je n’avais pas revu ce film depuis sa sortie et, vingt-sept ans plus tard, mon ressenti est exactement le même qu’à l’époque, à une différence près. J’avais vu le film en version française et j’étais passé à côté du changement de voix adopté par Eastwood. L’acteur personnifie Huston en empruntant un accent anglais, mais ça prend un certain temps à s’habituer à cette diction un peu pédante, à ce style de voix trainante auquel on n’est pas accoutumé. L’interprétation surprend, surtout que l’acteur a précisé dans des interviews qu’il ne connaissait pas Huston et qu’il n’avait eu aucune volonté de le copier, même si certains aspects, telle la cigarette, sont présents.  Eastwood parle comme jamais il n’a fait dans un de ses films et il rayonne sur la distribution très hétérogène, dont aucun membre ne faillit, sans pour autant pouvoir entrer en compétition à une quelconque récompense.  

L’intrigue est sûrement le point faible du film ; il ne se passe en effet pas grand-chose et le long métrage est particulièrement bavard. Le début en Angleterre s’attarde sur les préparatifs indispensables (rencontre avec le producteur, achats à l’armurerie), avec déjà une scène ‘bouche-trou’, dans laquelle la girlfriend de Wilson expose son scénario stupide basé sur Horace, un chien en rut…Le départ en Afrique n’accélère pas le rythme et même si certains passages retiennent l’attention (le transfert épique en avion), l’ensemble est poussif et sans entrain avec un match de football interminable blancs contre noirs. Il ne faut pas oublier qu’on assiste aux à-côtés du tournage d’un film et si on ne connaît pas la personnalité de John Huston, ni la particularité d’African Queen, on risque d’avoir des moments de lassitude. Sans la présence d’Eastwood au générique, il est d’ailleurs probable que je ne connusse pas ce film…

Le meilleur passage du film, à mes yeux, est composé de deux incidents successifs à l’hôtel Lake Victoria. Vu qu’ils sont souvent relatés dans diverses critiques, j’en conclus que je ne suis pas le seul à penser ainsi. John Wilson est sur le point de diner avec la ravissante Margaret MacGregor (Mel Martin), lorsque la jeune femme se montre particulièrement antisémite dans ses réflexions. En présence de Verrill, de confession juive, Wilson raconte alors une soirée au Savoy, où une jolie femme avait émis des propos similaires ce qui l’avait poussé à dire : « Madam, I have dined with some of the ugliest goddamn bitches in my time. But you, my dear, are the ugliest bitch of them all.” Puis devant la situation actuelle: « You, madam, are the - Well, you know the rest. » A noter que ces dialogues sont strictement véridiques et ils furent reproduits à l’identique au roman. Dès que Mrs MacGregor quitte la salle, confuse et furieuse, Wilson provoque Harry (Clive Mantle), le maitre d’hôtel, qui vient de maltraiter des serveurs noirs. Et Wilson/Eastwood de balancer à Verrill, qui tente de le dissuader de se battre : « We fought the preliminary for the kikes; now we'll fight the main event for the niggers. » [Nous nous sommes battus aux préliminaires pour les youpins. On va se battre maintenant en plat de résistance pour les nègres]. Des actes, peut-être pas la réplique, qui ont dû rabattre le caquet des critiques toujours prompts à classifier l’acteur… 

L’obsession de Wilson constitue le thème principal du long métrage, mais la raison de l’acte est à peine effleurée et la justification de Wilson sur le sens d’abattre un éléphant a du mal à convaincre : « It's not a crime to kill an elephant... it's bigger than all that... it's a sin to kill an elephant » [Ce n'est pas un crime de tuer un éléphant, c'est plus fort que ça : c'est un péché.]  La scène pénultième – la confrontation avec l’animal et la réaction du réalisateur – n’atteint pas les sommets espérés dans sa conception et c’est la séquence finale, lorsque Wilson est confronté à sa folie qui lui fit perdre son nouvel ami, qui reste en mémoire du spectateur (avec le mot final ‘Action’ qui marque le début du tournage du film). 

Malgré les éléments négatifs que j’ai énumérés ci-dessus, j’ai attribué un trois sur quatre au film, car il reste une des œuvres les plus atypiques de la carrière d’Eastwood. En dépit des sujets graves, le film distille un humour léger ou sarcastique de qualité. Il faut voir Eastwood/Wilson quitter l’hôtel Lake Victoria en maugréant une insulte à chaque personne qu’il croise et la séquence où il reçoit au village toute la production avec un ouistiti dans les bras. C’est jubilatoire, comme certains aspects de l’histoire qui lui vont tel un gant. Ainsi, la discussion sur la fin du long métrage en tournage que Wilson préfère dure, quitte à froisser quatre-vingt-cinq millions de mangeurs de pop-corn, ressemble à du Eastwood (même si la tournure dramatique fera changer d’avis le personnage). On peut ajouter la belle photographie de Jack N. Green, aussi bien en Angleterre qu’en Afrique, aux points positifs. Le quatre sur quatre, je le réserve néanmoins pour d’autres films d’Eastwood ou même d’autres longs métrages sur la chasse en Afrique comme L’ombre et la proie tourné en 1996, avec Michael Douglas.

En négociant avec Warner Bros, je ne pense pas que Clint Eastwood s’attendait de toute façon à un succès commercial. Pour ce film, il prend du recul sur le système hollywoodien et, avec une autodérision acerbe, il se plait à se moquer de ce milieu. Cependant, sans réelle intrigue, ni interprétation transcendante, je fais partie de ceux qui considèrent Chasseur blanc, cœur noir comme une œuvre intimiste de l’artiste. Certains jugent au contraire que le film appartient aux meilleurs de sa filmographie, même s’il est évident qu’il est très souvent oublié car situé juste avant une période qui peut être considérée à raison comme l’apogée eastwoodienne. Pour y arriver, il reste une dragée assez dure à avaler… 

Anecdotes :

  • Après Pale Rider, le cavalier solitaire (1985) et Bird (1988), Chasseur blanc, cœur noir est le troisième film d’Eastwood présenté au Festival de Cannes, le 16 mai 1990, qui est également la date de la sortie nationale. L'accueil est néanmoins moins enthousiaste que pour Bird, même si Eastwood est nominé pour la Palme d’or. Les Américains durent patienter jusqu’au 14 septembre pour voir le film en salles.

  • Le film fut tourné en Grande-Bretagne et en Afrique de juin à août 89 ; sept semaines en Afrique et deux semaines et demi en Angleterre. La première partie fut filmée dans le Buckinghamshire (West Wycombe House, un des lieux de tournage de Downton Abbey, est la demeure britannique de John Wilson), à Northolt Airfield et aux studios Pinewood. Le tournage en Afrique se déroula au Zimbabwe (Lac Kariba, Hwange et les chutes Victoria) et en Zambie.

  • Pour assister à la projection à Cannes, Eastwood interrompit la production du film suivant, La relève, pendant cinq jours, ce qui coûta un million et demi de dollars. Pas rien pour Eastwood toujours prompt à terminer un tournage bien avant l’échéance prévue et à économiser de l’argent au studio. Il profita néanmoins de son passage à Cannes pour rencontrer Akira Kurosawa, réalisateur de Yojimbo, sur lequel l’histoire de Pour une poignée de dollars était basée.

  • Pour se documenter, Clint Eastwood consulta la fille de John Huston, Anjelica (le duo se retrouva sur le tournage de Créance de sang douze ans plus tard), et Peter Viertel, scénariste et ami de John Huston qui créa le personnage de Pete Verrill à son image. Contrairement à Wilson, il se prend à vénérer les éléphants : « In the miracle of creation. Fantastic. They're part of a world that no longer exists.”

  • Eastwood : « En ce qui concerne l'ironie de la scène avec la femme anglaise antisémite, Peter Viertel m'a dit qu'il n'avait pas à l’écrire : elle a effectivement eu lieu à l'époque. Viertel a été témoin de la conversation entre Huston et cette femme et elle a piqué sa curiosité au point qu'il est immédiatement monté dans sa chambre et qu’il a noté l'échange mot pour mot. »

  • Plusieurs acteurs incarnent des personnages inspirés de personnes réelles : Pete Verrill (joué par Jeff Fahey) est le romancier Peter Viertel, Paul Landers (George Dzundza) est le producteur Sam Spiegel, Kay Gibson (incarnée par Marisa Berenson) s'inspire de Katharine Hepburn, alors que le personnage de Phil Duncan (Richard Vanstone) est basé sur Humphrey Bogart (source : wikipedia)

  • Clive Mantle était beaucoup plus jeune qu’Eastwood, mais il avait du mal à suivre le rythme de la star pendant le tournage de la bagarre !

  • Lors de la scène de l’armurerie, John Taylor, un sinistre tueur d’éléphants, est mentionné pour son livre paru en 1948 : Big Game and Big Game Rifles. Cela me fait penser à un titre d’épisode d’une célèbre série britannique : Small Game for Big Hunters…

  • Des armuriers ont conçu exactement le même fusil que possédait John Huston sur le tournage de The African Queen en 1951.

  • Après le tournage en Afrique, de retour aux États-Unis, Eastwood commença une relation sérieuse avec Frances Fisher. 

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