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La femme de mon poteTenue de soirée

Saga Bertrand Blier

Notre histoire (1984)


NOTRE HISTOIRE

classe 4

Résumé :

La descente aux enfers d'un homme alcoolique et dépressif, qui part vivre avec une femme aussi déboussolée que lui. Donatienne s'était offerte à lui dans un train sans intention de poursuivre l'aventure, mais Robert va s'incruster chez elle contre son gré.

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Critique :

Première baisse de régime sérieuse pour Bertrand Blier avec cette histoire, « leur histoire » (mais pas la mienne...), et une histoire mi-figue, mi-raisin, dont on ne sait trop quoi penser. Autant les films précédents de Blier étaient construits sur des bases solides, autant ici on a l'impression de patauger dans des sables mouvants.

Le style adopté d'emblée s'avère déconcertant. Les personnages principaux racontent leur histoire tout en la vivant. De prime abord, c'est moins gênant que dans Beau-Père car, cette fois-ci, ils ne racontent pas au spectateur mais à leur partenaire, mais ces multiples « c'est une histoire de... » ou « c'est une histoire qui... » deviennent vite lassants.

Le concept même du film est déjà peu attirant, mais la distribution est trop contrastée pour être pleinement satisfaisante. On connaît l'importance du choix des comédiens dans les œuvres de Bertrand Blier, dont les aspects surréalistes nécessitent des acteurs hors normes.

Alors, ne tournons pas autour du pot : le choix de Nathalie Baye pour interpréter Donatienne Pouget n'apparaît pas judicieux. Certes, cette actrice montrera un talent certain dans des films comme Le Retour de Martin Guerre ou La Balance. Elle était en vogue en cette décennie quatre-vingt et avait déjà tenu un petit rôle dans Beau-Père de Blier, ce qui explique sans doute ce choix.

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Néanmoins, tout comme Jacques Rispal, pourtant bon comédien, n'avait pas fait l'affaire sur Buffet Froid, et avait été remplacé par Michel Serrault, Nathalie Baye est visiblement trop juste pour entrer totalement dans l'univers particulier de Blier. Lorsqu'on regarde Notre Histoire et qu'on imagine ce qu'une véritable actrice d'exception, une Isabelle Huppert ou une Miou-Miou, aurait pu faire dans le rôle de Donatienne, on ne peut qu'être pris de regrets.

Pour le personnage de Robert Avranches, le garagiste buveur de bière et complètement à la dérive, le choix d'Alain Delon me paraissait risqué. Je pensais que Delon aurait du mal à s'accommoder des délires de Blier. J'avais tort car il est finalement convaincant dans ce rôle à contre-emploi d'anti-héros.

Voici une preuve supplémentaire du fait que les monstres sacrés peuvent tout jouer, se montrer parfaitement à l'aise dans n'importe quel rôle. Le problème est que le duo vedette ne comporte qu'un monstre sacré et non deux, d'où un film condamné à rester bancal.

Heureusement, on a aussi quelques acteurs de seconds rôles particulièrement en verve, à commencer par Michel Galabru, étonnant en voisin très porté sur les propos salaces. Citons aussi Michel Peyrelon, Geneviève Fontanel, Nathalie Nell et l'amusante Sabine Haudepin en jeune femme à la recherche d'un amant, et dont aucun homme ne veut.

Avec les acteurs, l'autre élément essentiel des films de Bertrand Blier est bien entendu le scénario. Et sur ce point aussi, c'est une déception. Je trouve que dans ce film, le cinéaste commence à s'auto-caricaturer. A trop vouloir faire de l'original à tout prix, même lorsqu'on se trouve peu inspiré, on aboutit à un scénario fade, plat, et qui tourne vite en rond.  Même remarque pour les dialogues, où l'on ne retrouve que de façon sporadique la verve légendaire de Blier.

La première partie du film est acceptable, mais à partir de l'intrusion des voisins, cela devient n'importe quoi, malgré le grand numéro de Michel Galabru. Autant Buffet Froid s'appuyait sur une certaine logique, et même une logique certaine dans ses délires, autant ce Notre Histoire n'en a aucune, ou alors je ne l'ai pas saisie.

Plus on avance et plus le film se délite, jusqu'à ces scènes finales étranges où, après le départ de Donatienne, Robert la retrouve sous les traits de deux autres femmes qui croisent successivement son chemin, dont sa propre épouse.

Si le but était de montrer que Robert, empêtré dans son obsession, voyait désormais Donatienne partout, dans un exercice perpétuel de rêve éveillé, j'aurais souhaité que ce soit clairement explicité, mais au contraire on nous laisse dans le vague, l'imprécision. Une illustration supplémentaire du fait que le flou est bel et bien la principale caractéristique de ce film.

Pourtant, le sujet abordé, la rencontre entre un homme et une femme tous deux en perdition, l'alcoolique paumé et la nymphomane à qui l'on a retiré la garde de ses enfants, était prometteur, mais avec la façon dont il a été traité, la mayonnaise n'a pas pris. J'ai l'impression que, sur ce film, Bertrand Blier a quelque peu abandonné le cinéma populaire, mais de qualité, pour se fourvoyer dans un pseudo-intellectualisme de mauvais aloi, et ce n'est évidemment pas ce que j'attendais de lui.

Même le retour d'aspects paillards, avec des allusions sexuelles omniprésentes, n'arrive pas à rendre le film captivant, et en définitive il restera un jalon mineur dans la carrière de Blier. Certainement son film le moins intéressant, sitôt vu, sitôt oublié, à moins qu'il ne subsiste un arrière-goût de malaise face à tant d'aspects déconcertants.

Anecdotes :

  • Une grande partie du film a été tournée à Cluses, en Haute-Savoie. Sans doute aurait-il été judicieux de changer radicalement de cadre, après le tournage également en montagne de La Femme de mon Pote.

  • Alain Delon a obtenu le César du meilleur acteur pour ce rôle de Robert Avranches, et Bertrand Blier celui du meilleur scénario et dialogues. En toute logique, il se trouve récompensé par la profession pour son film le moins populaire et le plus « intello ».

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