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Maigret (Bruno Cremer)

Volume 3


PRÉSENTATION VOLUME 3

Un troisième coffret rempli de grands épisodes, des classiques. S’il augure d’abord mal avec des épisodes très moyens, il conclue pourtant parfaitement le second contrat de Bruno Cremer. Fin de la première « grande époque » des Maigret, la série s’apprête à prendre ensuite une autre direction.

Pas mal d’exotisme ici, on voyage beaucoup dans ce coffret, en France (Bretagne, Normandie, Allier), à l’étranger (Belgique, Finlande) et seul un épisode se déroule à Paris. Ces voyages offrent des enquêtes un peu différentes des précédentes : plus légères, plus aériennes. Mais la conclusion nous ramène au roman « noir » le plus pur avec un des plus grands épisodes.

Une interprétation toujours aussi solide, une réalisation excellente, bref, du grand Maigret. 

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1. MAIGRET ET LA VIEILLE DAME

Première diffusion : 17 mars 1995

D’après Maigret et la vieille dame (1949) – Roman

Scénario : Catherine Ramberg, David Delrieux

Réalisation : David Delrieux

Interprétation : Odette Laure (Valentine), Béatrice Agenin (Arlette), Bernard Freyd (Charles), Olivier Cruveiller (Castaing), Philippe Morier-Genoud (Théo), André Chaumeau (Homère), Pierre Cassignard (Henri), Philippe Beglia (Charlie), Annie Jouzier (Mimi), Alain Rimoux (le directeur de la PJ)

Résumé : Valentine Besson vient trouver Maigret pour lui expliquer que sa bonne, Rose, est morte empoisonnée à sa place. Le député Charles Bessons, beau-fils de Valentine, se débrouille pour que Maigret soit chargé officiellement de l'enquête. Le commissaire s’insinue alors dans la vie de Valentine et fouille le passé de la famille Besson, de son entourage ainsi que celui de ses domestiques. Il découvre des personnages hétéroclites, détestant tous la vieille dame, de sa fille volage à son second beau-fils apprenti écrivain ou Homère, le taiseux jardinier de Valentine.

Critique :

C’est sur un épisode bien fade que s’ouvre le troisième coffret des Maigret, bien qu’en termes de production il se situât environ au milieu du contrat de Bruno Cremer. Faute à de nombreux défauts et maladresses, qui plombent allègrement le ton, le rythme et la saveur du métrage. 

Premier écueil : le scénario. Il est difficile de se passionner pour cette histoire de vieille dame que l’on a tenté d’assassiner. L’intrigue est bourrée de clichés : la vieille femme est insupportable, tout le monde la déteste, mais pourquoi, au fond la tuer ? Aucun mobile apparent, des circonvolutions scénaristiques pour nous faire croire à d’invraisemblables coïncidences : bref, rien qui ne retient l’attention. On ne se passionne guère pour cette enquête au fil de promenades interminables et de déjeuners savoureux. Maigret progresse avec une lenteur particulièrement exaspérante ici, faute à des dialogues percutants. Rarement ces échanges auront été aussi insipides et exaspérèrent longs. Il ne ressort rien de ces scènes, si ce n’est une impression d’ennui. Quant au final, rocambolesque, il survient comme un cheveu sur la soupe et c’est presqu’un coup de chance que Maigret soit là pour procéder aux arrestations.

Second problème : la réalisation. Aucun rythme, pas de composition, des mouvements de caméra inutiles, et un mauvais éclairage. Pour un épisode non-parisien, on aurait espéré une valorisation des décors, une exposition des lieux procurant une atmosphère à l’épisode. Les meilleurs Maigret magnifient leurs décors, que ce soit dans le flamboyant ou dans le sordide. Mais ici, pas moyen de ressentir quelque chose, aucune appropriation émotionnelle des lieux. Ceux-ci demeurent quelconques et donc sans intérêt. Et ce ne sont pas les quelques déambulations de Maigret dans les rues qui y changeront quelque chose. On se demande où est Etretat, si fortement retranscrit par Simenon dans le roman.

Troisième égarement de l’épisode, et non des moindres : la distribution. Nous ne le répéterons jamais assez, la force des Maigret réside en grande partie dans la confrontation du commissaire avec une figure d’envergure, la plupart du temps un brillant adversaire. Ce n’est pas le cas dans Maigret et la vieille dame. Cette dernière n’a rien d’exceptionnel. Odette Laure ne joue pas très bien, et son personnage est insupportable tout le film. Maniérée et dotée d’une voix haut perchée agaçante, elle ne suscite qu’irritation : difficile dans ces conditions de compatir à son malheur et de s’intéresser à l’enquête à son sujet.

Plus l’épisode avance, plus on en vient à détester ce personnage et ce n’est pas le final qui nous donnera tort. Le reste de la distribution n’est pas mieux loti. L’inspecteur Castaing n’a aucun charisme (Rendez nous Torrence ! Rendez nous Janvier !), Bernard Freyd sort un banal numéro d’homme politique soucieux d’éviter le scandale dans son interprétation de Charles Besson, et les autres personnages sonnent faux. Théo n’exprime rien que du vide, Homère est lui aussi pénible, et Pierre Cassignard, dans le rôle d’Henri, joue tout simplement mal. Seule Béatrice Agenin donne le ton juste en interprétant Arlette, une femme détestant sa mère, adorant son mari, mais ne pouvant s’empêcher de se jeter au cou de tous les hommes qu’elle croise pour donner un semblant de sens à son existence. Le personnage est très « simenonien », parfaitement interprété mais n’empêche pas l’épisode d’être raté.

Au total : Un épisode long et sans saveur, dont on comprend mal qu’il ait retenu l’intérêt des producteurs. Oubliable. 

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Distribution :

  • Odette Laure : (1917-2004) Comédienne française, elle a surtout joué au théâtre et à la télévision. On l’a vu à de nombreuses reprises dans Au théâtre ce soir, La brune que voilà, Le mari, la femme et la mort, Joyeuses Pâques et dans plusieurs séries comme Les dames de cœur, Julien Fontanes magistrat, Madame et ses flics et Entre terre et mer.

  • Béatrice Agenin : Née en 1950, cette comédienne intègre la Comédie Française en 1974 et la quitte en 1984. Partenaire de Jean-Paul Belmondo dans Cyrano de Bergerac, Kean et La dame de chez Maxims, elle joue également à la télévision (Une famille formidable) et est également comédienne de doublage (elle a ainsi prêtée sa voix à Sharon Stone, Rebecca de Mornay ou Melanie Griffith). Elle met également en scène des créations théâtrales.

  • Bernard Freyd : Né en 1939, ce touche à tout joue aussi bien pour le théâtre, la télévision que le cinéma. Sur les planches il interprète aussi bien Courteline, Beaumarchais, Marivaux, Ionesco, Labiche que Molière. Il joue au cinéma pour Berri, Verneuil, Lelouch, et dans de nombreux téléfilms. Il reviendra dans la série dans Maigret chez le ministre.

  • Philippe Morier-Genoud : Né en 1944, on a pu le voir dans Au revoir les enfants, Cyrano de Bergerac et plus récemment dans Kaamelott ; Il prête sa voix à César dans Astérix et le domaine des dieux d’Alexandre Astier.

  • André Chaumeau : (1924-2013) Comédien de cinéma et de télévision, il enchaînera pendant 50 ans des petits rôles sans jamais sortir de l’anonymat. Il a joué en 1980 aux côtés de Jean Richard dans Maigret et le charretier de la Providence.

  • Catherine Ramberg : Outre plusieurs épisodes de Maigret, elle écrit pour la télévision de nombreux téléfilms et a collaboré à l’écriture du film La source des femmes en 2011.

  • David Delrieux : Scénariste et réalisateur français, il tourne des téléfilms et des épisodes de série depuis les années 80. On lui doit notamment la saga de l’été La prophétie d’Avignon.

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2. MAIGRET ET LA VENTE A LA BOUGIE

Première diffusion : 16 juin 1995

D’après Vente à la bougie (1939) – Nouvelle

Scénario : Pierre Granier Deferre, Dominique Roulet

Réalisation : Pierre Granier Deferre

Interprétation : Etienne Chicot (Fred), Daniel Gélin (Nicolas), Michèle Moretti (Juliette), Pierre Forest (Groult), Frédéric Pierrot (Canut), Gilles Treton (Gentil), Margot Abascal (Thérèse), Lionel Astier (docteur Breton), Henri Lambert (Borchain), Stéphane Boucher (inspecteur Claudel)

Résumé : Terriblement grippé, Maigret est coincé dans une auberge de Vendée, une nuit pluvieuse. Venu issu pour faire parler un ancien criminel repenti afin qu’il dénonce ses anciens complices, le commissaire est pratiquement le témoin d’un meurtre crapuleux commis dans l’établissement. Maigret fait boucler l’auberge et, tantôt de son lit, tantôt d’un fauteuil de la salle commune, il commence à reconstituer la nuit du crime. Les clients de l’auberge étaient venus assister à une vente aux enchères, dite « vente à la bougie », afin d’acquérir une maison du village, où serait caché un trésor datant de la Seconde Guerre Mondiale…

Critique :

Premier épisode adapté d’une nouvelle et non d’un roman de Simenon et donc un gros changement dans la production. Dorénavant, les scénaristes prendront davantage de liberté avec les Maigret et pas toujours pour le meilleur, comme nous le constatons ici.

Faire d’une nouvelle un long métrage appelle à bon nombre de changements et de développements absents de l’histoire originelle. Celle-ci est ici largement développée par de longs dialogues et comporte deux intrigues. La première, celle de l’assassinat de Borchain, occupe la majeure partie du métrage, mais ne recèle guère de surprise ou d’objet d’attention. La seconde, assez brève et diluée dans la première, concerne l’extorsion d’informations que tente Maigret sur Fred, patron de l’auberge, ancien malfrat. Est-ce parce que la complicité entre les deux acteurs est visible qu’elle apparaît comme mieux réussie, en dépit de son caractère d’intrigue de second plan ?

Le film souffre d’un défaut qui aurait du faire sa force : le huis clos. L’histoire ne quitte jamais l’auberge, se déroule exclusivement en intérieur, sur une longue journée d’enquête. L’idée de boucler le commissaire et ses suspects en un lieu unique, sans échappatoire possible, était plutôt bonne. Mais l’exploitation qui en est faite est catastrophique : les personnages ne se livrent jamais, n’évoluent pas, l’affaire piétine en d’inutiles mouvements de caméras ne créant aucun rythme dans une affaire dont on se moque éperdument. Il nous semble assister à une interminable séance de théâtre filmé dans ce qu’il a de plus terne et de plus fade. La mise en scène, sans éclat, paresseuse, ne permet jamais d’accrocher le regard sur un élément original.

Maigret avance, bonhomme, au petit bonheur la chance, avec un cerveau d’abord embrumé de fièvre (justifiant sa lenteur à démêler le vrai du faux), puis avec son instinct coutumier, jusqu’à confondre les criminels avec une aisance de magicien. Aucune preuve à l’appui, juste un vague soupçon que le commissaire transforme en certitude et des suspects qui craquent, comme trop fréquemment dans les mauvaises histoires policières, juste parce que Maigret les regarde avec trop d’insistance.

L’un des éléments les plus dommageables de l’épisode est que nous ne retrouvons aucun élément familier de Maigret : malade, il range sa pipe. Il téléphone à Madame Maigret, mais on aurait préféré qu’elle soit à ses côtés. Les inspecteurs réguliers ne sont pas là, le Quai des Orfèvres nous manque, de même que l’odeur du bistrot et le fricandeau à l’oseille.

Les digressions concernant l’ensemble des personnages ne font que rallonger une sauce bien trop claire pour qu’elle puisse prendre. Rien n’aide à renforcer l’intérêt du spectateur. Entre le douanier timide persuadé que sa fiancée est une oie blanche, cette dernière qui fricote avec tout ce qui bouge, les joueurs de cartes mous, indolents et peu bavards, vraiment rien ne surnage dans ces sous-intrigues. Pas d’antagoniste d’envergure, pas d’adversaire à la mesure de Maigret. C’est le mort, finalement, qui semble le plus intéressant, dans les rares scènes intéressantes du film : les reconstitutions.

Le film souffre également d’une distribution largement en deçà des standards auxquels la série nous avait habitué jusque là. Daniel Gélin en est un parfait exemple : sous-employé dans un rôle uniquement comique, il disparaît très vite et nous laisse guère de souvenir. Il est dommage qu’un comédien de son acabit soit à ce point limité dans son jeu. On aurait apprécié que sa participation à la série soit digne de ceux qui l’ont précédé (Lonsdale, Yanne, Bouquet, etc.) et seuls Etienne Chicot, dans son numéro de repenti, tire son épingle du jeu à l’occasion ainsi que Lionel Astier lors de ses rares apparitions (amusant de déjà deviner Léodagan de Carmélide sous les traits du docteur Breton).

Cette vente à la bougie apparaît donc comme une curieuse parenthèse dans la série, un épisode un peu à part, hors du temps, et sans grand intérêt. 

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Distribution :

  • Etienne Chicot : Né en 1949, cet acteur, scénariste et compositeur suit le Cour Simon dans les années 70 avant de rejoindre le TNP en 1971. Au cinéma, il coécrit le scénario du Plein de super, dont il signe également la partition. Il participe à l’opéra rock Gomina de William Sheller, ce qui lui permet d’intégrer Starmania en 1979 où il interprète le milliardaire Zéro Janvier, qui le rend célèbre.  Au cinéma il brille dans Après la pluie, Hôtel des Amériques, Gomez & Tavarès ou Da Vinci Code. A la télévision, il apparaît aussi bien dans Commissaire Moulin, Navarro, Médecins de nuit ou Nicolas Le Floch.

  • Daniel Gélin : (1921-2002) C’est aux cours de Réné Simon, à Paris, que Daniel Gélin découvre sa vocation de comédien. Se tournant sur les conseils de son maître vers les rôles dramatiques, il entre au Conservatoire où il fait la connaissance de Louis Jouvet. Il côtoie Maria Casarès et Jacques Charron. Ami de Louis de Funès, il permet à ce dernier d’obtenir ses premiers succès au cinéma (La tentation de Barbizon, 1945) et de Funès lui en sera toujours reconnaissant (il appelait Daniel Gélin : « ma chance »).  Jeune premier ténébreux dans les années 50, il reste une des figures les plus attachantes du cinéma français tout au long de sa carrière, y compris vers la fin de sa vie dans des rôles de vieillards au grand cœur. Il joue au théâtre pendant cinq décennies (Molière, Cocteau, Sagan, Sartre, Anouilh, Brisville), et tourne pour les plus grands au cinéma (Guitry, Costa-Gavras, Delanoy, Gaspard-Hui, Chabrol, Duras, Oury, de Broca, Mocky). Il était apparu dans le rôle du clochard dans Maigret et le clochard avec Jean Richard en 1982 et dans un grand nombre de téléfilms et de séries télévisées.

  • Michèle Moretti : Née en 1940. La comédienne évolue aussi bien à la télévision (Merci les enfants vont bien, Navarro, l’Instit), au cinéma (Lelouch, Leroi, Téchiné, Bourdon, Jaoui) et occasionnellement au théâtre.

  • Lionel Astier : Né en 1953, ce comédien de théâtre, de télévision et de cinéma, est une figure régulière du petit écran depuis les années 70, où on le retrouve dans des rôles de méchants et de bourgeois. Il n’apparaît qu’occasionnellement au cinéma mais écrit, et en scène et interprète nombre de pièces de théâtre (Mort d’un critique, Vestido de luxe, Mayonesa, Le fou, la dame et les esprits). Il se rend célèbre et populaire pour le grand public dans son rôle de Léodagan de Carmélide dans la série Kaamelott en 2004, série créée, écrite, mise en scène et interprétée par son fils, Alexandre et à laquelle participe toute sa famille (ses femmes et ex-femmes, son second fils Simon, sa belle fille, ses petits-enfants, etc. ) Il triomphe dans son adaptation de Pouic-Pouic  pendant trois ans.

  • Pierre Granier Deferre : (1927-2007) Réalisateur de cinéma principalement, il fait partie de ceux qui s’opposent à la Nouvelle vague dans les années 60. Célèbre dans les années 70 pour ses films engagés (La Horse, le Chat, la Veuve Couderc, la Cage, Adieu poulet, le Toubib), ses films passent davantage inaperçus par la suite sans jamais cesser de tourner. Il se reconvertit à la télévision dans les années 90 (trois Maigret à son actif, l’enfant de chœur, la fenêtre ouverte) puis uniquement comme scénariste : il écrit en particulier dix épisodes de Maigret jusqu’à la fin de la série. Son fils, Denys Granier-Deferre participe également à la série (réalisant Maigret chez les riches)

  • Dominique Roulet : (1949-2009) Auteur de romans, il écrit pour le cinéma (Canicule, Poulet au vinaigre, Inspecteur Lavardin, Room service), et pour la télévision (en plus de huit Maigret, on lui doit des scénarios de Commissaire Moulin et sept épisodes des Cordiers, juge et flic).

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3. LES VACANCES DE MAIGRET

Première diffusion : 9 septembre 1995

D’après Les vacances de Maigret (1947) – Roman

Scénario : Pierre Joassin, Catherine Ramberg

Réalisation : Pierre Joassin

Interprétation : Alain Doutey (Dr Delaunay), Anne Bellec (Mme Maigret), Ronny Coutteure (commissaire Mansuy), Catherine Aymerie (Odette Delaunay), Christine Divito (Liliane Godreau), Vincent Grass (Francis), Yolande Moreau (Madame Popineau), Pierre Laroche (le juge de Folletier), Etienne Draber (M. Lourceau), Dominique Mac Avoy (Mme Lourceau), Jeanine Godinas (la mère supérieure), Yvette Merlin (Mademoiselle Rinquet), Valérie Coton (Soeur Marie des Anges), Mireille Bailly (Olga), Gil Lagay (Duffieux), André Simon (Pinchard), Alice de Visscher (Claudine)

Résumé : Le couple Maigret est en vacances en Belgique, chez les Lourceaux, la famille de Madame Maigret. Cette dernière est victime d’une grave crise d’appendicite et doit être opérée d’urgence. Dans sa chambre d’hôpital, une jeune femme dans un état grave ne cesse de gémir. Le soir, Maigret découvre dans la poche de sa veste un mot griffonné l’enjoignant de s’intéresser à la jeune fille. Celle-ci, belle-sœur du Docteur Delaunay, le praticien ayant opéré Madame Maigret, est tombée de la voiture du médecin alors qu’elle roulait. Maigret commence à s’intéresser de près au Docteur Delaunay que toute la ville désigne comme coupable.

Critique :

Le niveau remonte avec cet épisode de belle facture, tourné en Belgique (communes de Bouillon, Marche-en-Famenne et La Roche), doté d’une solide distribution et d’une histoire assez originale.

L’adaptation délocalise l’intrigue de la Vendée à la Belgique pour une coproduction avec la RTBF et c’est une excellente idée. Le pays est magnifiquement photographié, dans ce froid hivernal, entre ses brumes et ses forêts montagneuses. Outre un changement dans le nom d’un des protagonistes (Bellamy devient Delaunay), le scénario suit assez fidèlement le livre, un des meilleurs de son auteur et l’enquête officieuse de Maigret n’en a que plus de poids.

Suivant son instinct coutumier, le commissaire s’intéresse donc de près à la belle-sœur du Docteur Delaunay, à la fois pour tromper son ennui mais également par curiosité, sentant sans doute instinctivement que quelque chose ne va pas. Evidemment, son flair habituel ne le trompe pas et c’est avec délicatesse, en marchant sur des œufs, l’air de rien, qu’il va remonter le fil ténu de la vérité. Une vérité toute simple, comme il se doit dans un Maigret , mais particulièrement bien amenée, avec son lot de révélations, d’enquêtes, d’investigations, de surprises aussi et de retournements de situation. Hésitant tout d’abord à qualifier cette affaire « d’enquête pour tentative de meurtre », ne voulant pas voir en Delaunay un coupable de prime abord, c’est la personnalité du médecin qui, peu à peu, l’amène vers la solution.

La personnalité de Delaunay énerve sans aucun doute Maigret et lui met la puce à l’oreille. Notable local, ami des plus hauts fonctionnaires de l’Etat, l’homme prétend n’avoir rien à cacher, ouvrant sa demeure à un commissaire français, sans aucun mandat officiel. Cette attitude pousse d’instinct Maigret à le soupçonner. Lorsqu’une adolescente, que Maigret a vu s’enfuir de chez Delaunay, est retrouvée morte au bord d’un canal, ce soupçon se mue en certitude. Dès lors, il s’acharne, avec beaucoup de subtilité cependant, à coincer son coupable. Mais Delaunay, en dépit de l’évident talent de son interprète Alain Doutey, manque un peu d’envergure, de charisme et de panache. Faute à des dialogues sans doute trop sages entre lui et Maigret, une attitude amicale sans être mielleuse et leurs affrontements n’ont pas le punch suffisant pour marquer durablement l’attention.

Les relations entretenues par Maigret avec le commissaire Mansuy, impeccablement interprété par le regretté Rony Coutteure, sont en revanche des plus délectables. Le policier Belge est d’abord ravi de faire découvrir « sa » police à son homologue français. Puis, suite à la mort de l’adolescente, son attitude se mue en hostilité sourde à l’égard de Maigret et il en vient presque à supplier de partir de lui foutre la paix. Finalement, convaincu malgré lui de la culpabilité du médecin, il se range, à contrecœur, à l’avis de Maigret. L’homme, presqu’un notable lui-même, n’arrive pas à se résigner à « emmerder » ces personnes qu’il estime intouchables. Mais sa foi en la vérité le rachète totalement et l’on sent que Maigret éprouve une grande sympathie pour lui.

Madame Maigret est ici développée comme jamais dans la série, mais son éclipse finale est regrettable. Personnage extrêmement attachant et jouée avec une justesse rare par Anne Bellec, il est navrant que les scénaristes ne l’aient pas davantage exploité. Le reste de la distribution se révèle à la hauteur, solide, et bien dirigé.

La réalisation est de bonne facture, quoiqu’extrêmement classique. Les quelques scènes tournées en caméra épaule sont ratées, comme à leur habitude, ce style ne convenant absolument pas à la série, bien plus à l’aise dans les longs travellings sur rails ou les mouvements de grande ampleur filmés à l’aide d’une grue. Quelques longueurs ou allers et retours sont à regretter vers la fin du film et ralentissent un peu trop le rythme. Reste cependant une belle image, un peu grise, des décors magnifiques et une musique discrète, rehaussant simplement les scènes sans en faire trop. Quelques scènes très drôles sont à noter, en plus de celles de Ronny Coutteure, notamment celle où Maigret redonne son clairon au clochard en cellule et où il s’esclaffe au son de l’instrument.

Un beau Maigret, intelligent et fin.

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Distribution :

  • Alain Doutey : Né en 1944 à Paris, il suit les cours de Jean-Laurent Cochet et se consacre longuement au cinéma (chez Lamoureux, Oury, Korber, Tachella, Chabrol, Polanski, Lelouch, Baroux) mais surtout à la télévision, apparaissant dans nombre de séries et de feuilletons (le Vent des moissons, la Dame de Berlin, Orages d’été, les Grandes marées, les Yeux d’Hélène, Belle époque) et de téléfilms. Il était déjà apparu dans l’univers de Maigret aux côtés de Jean Richard, en 1984 dans la Nuit du carrefour)

  • Ronny Coutteure : (1951-2000) Comédien, réalisateur et metteur en scène Belge, il écrit et interprète de nombreux one-man show. C’est en France, principalement dans le Nord, qu’il travaille au théâtre. Comédien sympathique, chaleureux et populaire, il défend ardemment la culture et le patrimoine du Nord de la France. Il écrit une pièce, Arlequin au pays noir et met en scène Eden et London. Célèbre pour son rôle du serveur dans la série Palace qu’il avait créé dans Merci, Bernard. Il acquiert une renommée internationale en incarnant Rémy Beaudouin, le compagnon d’arme belge d’un certain Indiana Jones dans Les aventures du jeune Indiana Jones. Il crée au théâtre l’opéra les Contes d’un buveur de bière, et donnait des cours de « biérologie » dans estaminet-théâtre. Il se suicide par pendaison le 21 juin 2000, sans laisser d’explications derrière lui.

  • Vincent Grass : Déjà vu dans Maigret chez les Flamands, ce comédien Belge, né en 1949, doublera la voix de Bruno Cremer dans l’ultime épisode de la série, Maigret et l’étoile du Nord, Cremer, très malade, n’ayant pu lui-même postsynchroniser sa voix.

  • Yolande Moreau : Née en 1953 à Bruxelles, cette comédienne et réalisatrice Belge débute dans des spectacles pour enfants avant d’écrire un premier one-woman-show, Sale affaire : du sexe au crime, et débute au cinéma pour Agnès Varda. Rejoignant la troupe de Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff dont elle devient un des piliers, elle se fait connaître du grand public avec le spectacle des Deschiens. Elle réalise son premier film en 2004 : Quand la mer monte, pour lequel elle remporte le César du meilleur premier film et le César de la meilleure actrice. Elle en remporte un second en 2008 pour Séraphine.

  • Pierre Laroche : (1931-2014) Comédien, réalisateur et scénariste belge, il fut professeur au conservatoire de Bruxelles. Il reçoit un Eve du théâtre pour sa mise en scène de Timide au palais. En 2007, il participe au téléfilm L’affaire Sacha Guitry.

  • Etienne Draber : Acteur français, il est lauréat du Conservatoire et travaille notamment avec Jean-Louis Barrault. Abonné aux seconds rôles pour le cinéma, on le voit aussi bien chez Schulman, Zidi, Malle, Chabrol ou Leconte. Visage familier du public, il joue dans de nombreuses séries à succès (Le miel et les abeilles, Les Garçons de la Plage, La Crim’, Plus belle la vie) et de nombreuses pièces de théâtre (Anouilh, Molière, Lamoureux, Joffo, Goldoni).

  • Pierre Joassin : Réalisateur belge né en 1948 à Amay, il réalise son premier film en 1987, Gros cœurs, avec Bernard Le Coq, Fanny Cottençon et Rony Coutteure. Il œuvre surtout à la télévision (Les Cordiers, Sauveur Giordan) et est revenu à deux reprises dans la série pour Maigret et l’inspecteur Cadavre et Les scrupules de Maigret

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4. MAIGRET A PEUR

Première diffusion : 1er Novembre 1996

D’après Maigret a peur (1953) – Roman

Scénario et réalisation : Claude Goretta

Interprétation : Jean-Paul Roussillon (Julien Chabot), Didier Flamand (Alain Vernoux), Raymond Gérôme (Hubert Vernoux), Maurice Aufair (Féron), Jean-Michel Noirey (Chabiron), Gilles Gaston-Dreyfus (Chalus), Lara Guirao (Louise), Leyla Aubert (Lucile Vernoux), Pierre Ruegg (Arsène, le maître d'hôtel), Aladin Reibel (Lomel), Yvette Merlin (la mère de Chabot)

Résumé : Revenant d’un congrès de criminologie, Maigret rend visite à un vieil ami juge d’instruction, résidant à Fontenay-Le-Comte, une petite ville de province. Interpellé dans le train par un notable, Hubert Vernoux, celui-ci  le pense en visite pour l’affaire des crimes en série agitant Fontenay. A peine arrivé sur place, un troisième crime est commis. La population s’est déjà trouvé un coupable : les Vernoux. Embarrassé de gêner son ami le juge Chabot, Maigret prend peur que l’affaire ne dégénère…

Critique :

Voici un Maigret « noir », l’un des plus sombres de toute la série et sans aucun doute le meilleur du genre. Baignant dans une atmosphère aussi crépusculaire que poisseuse, une luminosité faite de grisaille, de pluie et d’éclairages nocturnes,  Maigret a peur est une merveille de mécanique policière, utilisant le thème bien connu du tueur en série, mais maniant ce dernier d’une main de maître, impeccablement écrit, tourné et interprété. Les coups de théâtre et retournements de situation sont particulièrement bien amenés, au fil d’un rythme plus soutenu qu’à l’ordinaire.

L’intrigue tourne exclusivement autour de passants, sauvagement agressés et tués, de nuit, dans cette ville de province inondée de pluie. L’opinion publique désigne un coupable : les Vernoux, notables désargentés et probablement dégénérés. Maigret s’intéresse à deux personnalités : le docteur Alain Vernoux et son père, croisé dans le train, le chef de famille Hubert Vernoux. Le premier, médecin qui n’exerce pas, s’intéresse à la psychiatrie. Etrange, bizarre, les yeux exorbités, son comportement étrange intrigue Maigret et l’inquiète. Le second, huileux, hautain, typique de la noblesse décadente, intéresse également Maigret, sans qu’il n’y voie matière à crime. Confronté aux crainte de son ami le juge Chabot, Maigret repense à cet étrange personnage, interprété d’une main de maître par Raymond Gérôme, et tente de s’en faire une opinion tandis qu’un nouveau crime est commis.

Dès lors, la personnalité des très curieux membres de cette famille ne va cesser de hanter le commissaire, qui prend peur, comme l’indique le titre de l’épisode, peur que quelque chose de vraiment grave et d’horrible ne survienne. Craintes justifiées, car les cadavres pleuvent sur Fontenay. Il faudra tout le flair de Maigret, toute sa patience, et surtout son humanité pour comprendre, sur le tard, ce qui s’est réellement passé. C’est sa compassion qui amène le commissaire sur le sinueux chemin de la vérité.

Pour mieux nous égarer, la mise en scène utilise nombre d’artifices ingénieux et rares dans la série. Ainsi, lorsque Maigret tente de visualiser dans le docteur Vernoux un coupable, celui-ci brandit devant lui un couteau, l’air dément, le regard halluciné, et la scène reprend son court. Ce bref instant nous fait pénétrer dans la psyché et l’imagination du commissaire. Si l’effet peut paraître grotesque de prime abord, il s’inscrit dans une démonstration de Grand-Guignol, qui imprègne l’épisode, le faisant suinter de sordide, sans tomber dans l’excès.

Le scénario nous présente un Maigret tout en nuances, en rondeur, mais également en porte à faux par rapport à son ami Chabot. Il ne veut pas de cette affaire, mais ne peut laisser son ancien camarade d’école seul face à une enquête aussi trouble. Il s’y plonge donc, malgré lui, ennuyé, inquiet, effrayé. Bruno Cremer nous transmet cette tension avec beaucoup de talent, plus en forme que jamais.

Le reste de la distribution est impeccable, une fois de plus. Raymond Gérôme, impérial, est aussi à l’aise dans les scènes le présentant comme un grand notable, que dans celles, encore plus belles, où tout son désespoir se fait jour. Jean-Paul Roussillon est délicieux, subtil, tout en nuances dans son rôle de juge d’instruction et ami de Maigret. Quant à Didier Flamand, il incarne avec brio le difficile rôle du docteur Vernoux, personnage à la psychologie complexe. Les seconds rôles ne sont pas en reste et évoluent dans les magnifiques décors de Seyssel, Belley et Saint-Rambert (Ain).

Le final, époustouflant, est l’un des tous meilleurs de la série. 

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Distribution :

  • Jean-Paul Roussillon : (1931-2009) Acteur et metteur en scène français, il obtient en 1951 un premier prix de comédie classique au conservatoire ce qui lui permet immédiatement d’intégrer la Comédie-Française où il incarnera 115 rôles et signera 31 mises en scène. Hors Comédie-Française, il joue Anouilh, Pinget, Duras, Achard et Tchekov à de très nombreuses reprises, jusqu’à sa mort. Il joue dans une centaine de films et de téléfilms, prêtant sa voix unique et son jeu tout en subtilités pour des séries (Novaceck) ou des films à succès (Week-end à Zuydcoote, Twist again à Moscou, La Fille de l’air, On connaît la chanson, Une hirondelle a fait le printemps). En 1987, aux côtés de Jean Richard, il apparaît dans Un échec de Maigret. Il était titulaire de trois Molières du comédien et d’un César du meilleur acteur dans un second rôle.

  • Didier Flamand : Né en 1947. Il écrit et réalise La Vis, film qui obtient le César du meilleur court métrage en 1993 et fut nommé aux Oscars en 1994. Comédien, auteur et metteur en scène, il écrit cinq spectacles et œuvre sur les planches mais surtout à la télévision et au cinéma. Eternel second rôle, il a travaillé pour Bunuel, Duras, Enrico, Cayatte, Wenders, Balasko, Timsit, Klapisch ou Bouchitey. A la télévision, on a pu l’apprécier dans Imogène, Alice Nevers, le juge est une femme, Julie Lescaut, Les belles-sœurs, une chance de trop, Stavisky l’escroc du siècle.

  • Raymond Gérôme : (1920-2002) Acteur belge, il débute au théâtre national de Bruxelles, dont il assurera la direction artistique jusqu’en 1952. En 1954, il s’installe à Paris et sa carrière prend un nouvel essor en côtoyant et en travaillant avec les plus grands noms du théâtre et du cinéma français. Grand metteur en scène, il travaille à la Comédie-Française, au Gymnase, à la Madeleine et au théâtre Montparnasse. Il travaille avec Danielle Darrieux, Pierre Brasseur, Paul Meurisse, Jean-Pierre Aumont pour le théâtre. Au cinéma, on le voit dans Le cerveau, La princesse de Clèves, l’Affaire des poisons et pour la télévision dans de nombreux téléfilms (Les cinq dernières minutes, Lagardère, l’Affaire Seznec). Il est Sherlock Holmes dans Le chien des Baskerville pour Au théâtre ce soir. Il participe à l’opéra de Salvador Dali Être Dieu et prête sa voix si caractéristique à de nombreux dessins animés : Pocahontas, Fievel au Far West, etc. Austère, distingué, flegmatique, il a marqué toute une génération de spectateurs et de comédiens.

  • Maurice Aufair : Né en 1932, ce comédien suisse étudie au Conservatoire de Genève. Il interprète de nombreux rôles pour théâtre radiophonique. Il a joué sous la direction de Jean Vilar, Jean-Paul Roussillon et a joué de nombreux rôles pour la télévision (Docteur Sylvestre, L’heure Simenon) et a prêté sa voix à l’ours Paddington. Il fut également professeur de diction à Genève.

  • Jean-Michel Noirey : Comédien français, il obtient le premier prix du Cours Simon et débute sa carrière dans les années 80 il est à la fois meneur de troupes pour l’Eden Théâtre, il écrit et met en scène des spectacles (La Saison des Blessures), travaille pour le cinéma (Pécas, Giovanni, Chabrol, Blier, Tavernier), la télévision (Boulevard du palais, Une femme d’honneur, Chez Maupassant, Nicolas Le Floch, Commissaire Magellan) et dans la musique en écrivant et interprétant de nombreux spectacles musicaux. Il a également sorti quatre albums. On a pu le voir à trois reprises dans les Maigret avec Jean Richard (Maigret se trompe, Maigret à Vichy, La caves du Majestic).

  • Gilles Gaston-Dreyfus : Comédien français, il se fait connaître aux côtés d’Edouard Baer sur Canal+ dans Centre de visionnage. Au cinéma, il tourne pour Boisset, Pinoteau, Tavernier, Dupontel ou Ridley Scott. A la télévision, on le voit dans Louis Page, Navarro, Central Nuit, Le juge est une femme ou Le retour d’Arsène Lupin mais aussi au théâtre. 

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5. MAIGRET ET L’AFFAIRE SAINT-FIACRE

Première diffusion : 26 octobre 1995

D’après L’affaire Saint-Fiacre (1932) – Roman

Scénario : Alexandre et Denys de la Patellière

Réalisation : Denys de la Patellière

Interprétation : Anne Bellec (Mme Maigret), Jacques Spiesser (le comte), Pierre Gerard (Jean Metayer), Jacques Giraud (le père Gauthier), Nicolas Moreau (Emile Gauthier), Claude Winter (la comtesse), Maria Verdi (Marie Tatin), Arno Chevrier (le prêtre), Jacques Sereys (le médecin)

Résumé : Maigret retourne à Saint-Fiacre, le village de son enfance, pour empêcher un possible meurtre. La Comtesse de Saint-Fiacre, que Maigret a bien connu enfant, meurt d’une crise cardiaque pendant l’office du dimanche, sous les yeux de Maigret, après avoir ouvert son missel de messe…

Critique :

Curieuse adaptation que cette Affaire Saint-Fiacre. De belles promesses, des possibilités, du potentiel, mais cela n’aboutit pas à grand-chose.

Ce roman célère de Simenon a tout pour plaire et il se lit plaisamment. Maigret revient sur les pas de son enfance, perturbé par une menace sourde qui pèse sur la famille de Saint-Fiacre. C’est pour ces comtes que le père du commissaire était régisseur et le petit Jules a donc vécu toute son enfance au château où il aurait du prendre ensuite la place de son père. Finalement entré dans la police, c’est avec des petits pas précieux et anxieux qu’il se rend sur les lieux d’un « possible » crime, qui finit par se produire, d’une façon inattendue et originale.

Il est agréable de voir Maigret prendre autant de précautions avec ces gens, lui qui n’a d’ordinaire que faire des notables. Mais ceux-ci représentent autre chose pour Maigret : seuls liens avec son passé, il conserve une grande déférence par rapport à ce monde qui le fascinait enfant et qu’il avait sans doute idéalisé. Ce cocon familial se fissure peu à peu, s’effrite et s’effondre par plaques. Les Saint-Fiacre restent pour lui les Saint-Fiacre. « Monsieur le Comte »… Il ne parvient pas à l’appeler autrement. C’est d’ailleurs ce que lui reproche son épouse : sa subjectivité à l’égard de ces gens qu’il ne peut voir en coupable, en particulier son suspect principal : le Comte, éternel enfant de cinq ans aux yeux du commissaire. Celui-ci se comporte étrangement, comme retombé en enfance et en admiration devant ce monde fascinant. L’intrigue est ici fidèlement restituée et se suit sans déplaisir particulier.

Mais c’est sans doute là que le bât blesse : on n’éprouve pas non plus vraiment de plaisir à regarder le film. Le scénario s’étire parfois en longueurs ou digressions curieuses. Pourquoi, par exemple, Maigret n’enquête-t-il pas plus avant sur le témoignage du petit garçon qui vient lui confesser savoir qui a volé le missel de la Comtesse ? Pourquoi Maigret, s’il est effectivement ému et troublé par son retour à Saint-Fiacre, s’obstine-t-il à ne pas agir en professionnel ? Il se charge lui-même d’une enquête qui, au fond, ne le concerne pas et n’a rien d’officiel. L’idée n’est guère originale et dure bien trop longtemps. 

Pas de rebondissement, pas de coup de théâtre, pas de coup d’éclat, hormis le final, très fidèle au roman. Trop peut-être, car cet aspect grandiloquent du livre n’est pas du meilleur effet et paraît quelque peu déplacé dans un métrage ne laissant guère de place à la fantaisie. On se croirait furieusement dans un Agatha Christie, ce qui ne fonctionne pas ici. De même, la musique, dramatique à souhait, est tout à coup bien trop présente en comparaison à son absence presque continue dans le reste du film.

Côté technique, l’image est passée, veillotte, comme sortie d’un film des années 70. La luminosité, très grise dans les extérieurs reflète bien l’atmosphère hivernale mais n’apporte pas de plus-value à la pellicule. Quant aux effets verts des scènes à la bougie, elle révèle un manque de compétence flagrant. Peu de relief, peu de jeux d’ombres, les décors se révèlent plats (en dépit de leur beauté intrinsèque) et les personnages ne sont pas mis en valeur. Une réalisation très plate, sage, molle même, ne porte aucun rythme et seul le talent indéniable des acteurs principaux nous empêche de sombrer dans l’ennui.

Notons donc les magnifiques performances des comédiens. Jacques Spiesser en tête, magnifique en Comte de Saint-Fiacre décadent, conscient de sa propre déchéance et incapable de l’inverser. Il lui reste cependant encore assez de lustre de la grandeur perdue des Saint-Fiacre pour avoir belle allure. Sa performance dans l’ultime confrontation finale est un régal pour les yeux et une véritable leçon de comédie. Jacques Sereys, trop peu présent, incarne un vieux médecin cynique, désabusé, mais toujours amoureux fou d’une morte. Son phrasé incisif siffle dans ses quelques dialogues avec le commissaire comme des claques.

Un épisode un peu trop lent, un peu trop passéiste. Mais sauvé par de bons comédiens et un scénario assez bien ficelé. 

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Distribution :

  • Jacques Spiesser : Né en 1947, ce comédien français suit des cours au conservatoire avant de débuter au cinéma en 1972. Il tourne pour les plus grands réalisateurs français (Resnais, Companez, Losey, Annaud, Costa-Gavras, Boisset), aussi bien dans des films grands publics que pour des films d’auteur. Il joue sur les planches les classiques, principalement dans des mise-en-scènes de Francis Huster. Il est reconnu pour son talent à la télévision dans les adaptations des romans de Fred Vargas les enquêtes du commissaire Adamsberg, dans le très savoureux rôle de l’adjoint du commissaire : érudit, raffiné, il prête sa bonhommie au rôle de Danglard. Plus récemment, il est l’interprète principal de sa propre série : Commissaire Magellan. Fin et subtil, capable d’exprimer beaucoup de fêlures et d’émotion à des personnages d’apparence lisse mais dissimulant bien plus de complexité.

  • Jacques Sereys : Né en 1928, Jacques Sereys débute dans la banque, à Marseille, où il fréquente les notables locaux où il s’attira la sympathie de tout le personnel, par son attitude très théâtrale en permanence et les tirades qu’il décline. Il monte finalement à Paris où il rencontre son épouse la comédienne Philippine Pascal et entre au conservatoire. En 1955, dès la fin de ses études, il intègre la Comédie-Française qu’il n’a plus quitté depuis (hormis une éclipse de 1965 à 1977). Il n’a pratiquement pas joué au cinéma. Mais, à la télévision, on a pu l’applaudir cependant dans  une dizaine de représentations d’Au théâtre ce soir. Il incarne pourtant l’un de ses premiers rôles principaux en 2015, dans le rôle de Louis XIV dans de docu-fiction Secrets d’histoire : Louis XIV, l’homme et le roi. C’est véritablement au théâtre que Sereys se rend célèbre, en interprétant les classiques (Molière, Montherlant, Corneille, Feydeau, Castelot, Guitry, Brecht, Shakespeare), sous la direction des plus grands metteur-en-scènes (Roussillon, Roux, Charon, Savary, Cochet, Dux, Manuel) et il s’est lui-même essayé plusieurs fois à l’exercice. Il est également l’auteur de plusieurs pièces de théâtre dans des adaptations d’œuvres de Proust, Daudet, Guitry et Cocteau.

  • Jacques Giraud : Acteur principalement de théâtre, Jacques Giraud était déjà apparu dans la série dans Maigret et la grande perche, dans le petit rôle d’un patron de café auvergnat et avec Jean Richard en 1972 dans Le port des brumes et Pietr-Le-Leton.

  • Claude Winter : (1931-2011) Comédienne française, née en Chine, membre de la Comédie-Française, elle en assure l’administration par intérim suite au décès soudain de Jean Le Poulain pendant deux mois et demi. Elle fut membre de la Comédie-Française de 1953 à sa mort où elle a joué Dostoïevski, Rostand, Renard, Tchekhov, Feydeau, Miller, Pinter. Elle prête sa voix au personnage de Lady dans le premier doublage de La belle et le clochard et doubla Elizabeth Taylor, ou Janet Leight dans les années 50 et 60.

  • Maria Verdi : Née en 1969 en Belgique, après un passage au Conservatoire, elle se rend populaire sur TF1 dans la saga de l’été 1995 Sandra : Princesse rebelle. On l’a surtout vu à la télévision : dans Le pantalon d’Yves Boisset, Les vacances de l’amour, Julie Lescaut, Commissaire Moulin et Un village français. Elle tient un rôle régulier depuis 2010 dans Nicolas Le Floch.

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Anecdotes :

  • Anne Bellec fait ici sa dernière apparition dans le rôle de Madame Maigret, que son époux appelle pour la seule et unique fois de la série par son prénom : Louise. Au total, elle est apparue sept fois dans la série. Elle ne sera plus que vaguement évoquée par la suite, Maigret lui passant un tendre coup de téléphone dans presque tous les épisodes.

  • Il s’agit de l’ultime réalisation de Denys de la Patellière qui a pris sa retraite à la suite de cet épisode.

  • L’affaire Saint-Fiacre avait fait l’objet d’une adaptation cinéma remarquée, en 1959, avec Jean Gabin et réalisée par Jean Delanoy. 

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6. MAIGRET ET LE PORT DES BRUMES

Première diffusion : 2 février 1996

D’après Le port des brumes (1932) – Roman

Scénario : Guy-Patrick Sainderichin

Réalisation : Charles Nemes

Interprétation : Jean-Claude Dauphin (Grandmaison), Jeanne Marine (Julie), Jean-Marie Cornille (Verduret), Luc Thullier (Grand Louis), Delphine Rich (Hélène Grandmaison), Frédéric Van Den Driessche (Martineau), Albert Delpy (le capitaine du port), Patrick Bordier (Lannec), Rod Goodall (Joris), Rémy Roubakha (l'éclusier), Charles Nemes (le médecin)

Résumé : Un amnésique est retrouvé, errant, dans les rues de Paris. Muet, il porte une perruque sur un crane lisse  où une blessure par balle a été parfaitement soignée. Maigret publie son portrait dans les journaux et sa bonne le reconnaît. Il s’agit d’Yves Jorris, capitaine de port, en Bretagne. L’homme avait disparu depuis cinq semaines. Maigret le ramène chez lui et cherche à en savoir plus sur lui mais l’homme meurt le lendemain, empoisonné à la strychnine. Maigret s’intéresse alors à l’étrange manège auquel semble se livrer un bateau de pêche où officie Grand Louis, le frère de la bonne…

Critique :

Blanc, gris et hanté de brume comme son nom l’indique, cet épisode, fort bien troussé, place Maigret au bord de la mer, comme Simenon aimait souvent à situer les enquêtes de son commissaire. Une évasion supplémentaire de Paris, un peu « d’exotisme » en quelque sorte, dans ce monde du silence. Un beau roman de Simenon, dense, typique de sa première période et de l’avant-guerre, son adaptation respecte à la fois l’œuvre originale et s’autorise quelques modifications.

Dans cette affaire, les témoins sont particulièrement récalcitrants et la vérité ne sera extirpée qu’au forceps. Simple, comme toujours, elle apparaît pourtant comme alambiquée et compliquée par des circonvolutions et digressions pas toujours très utiles. Multiplication des intrigues, surabondance de personnages, grand nombre de décors (belle exploitation de l’Irlande), on se perd parfois à suivre les déambulations de Maigret au milieu des nappes de brouillard dans lequel nous sommes maintenus. Le scénario nous égare sur une première affaire qui n’a finalement qu’un lointain lien avec ce qui se révélera comme la véritable enquête de Maigret, impliquant le plus grand notable de la ville.

A cet égard, Bruno Cremer joue curieusement dans ce film. La faute, a priori, à une direction d’acteur étrange, chargeant le commissaire d’une mission : être désagréable. Agaçant, colérique, il s’acharne ainsi sur son inspecteur, pour passer ses nerfs semble-t-il. Plus on lui résiste, plus il devient furibond. Si découvrir cette facette du personnage est intéressante, elle n’est pas forcément bien amenée, brutalement exposée et sans motif apparent. Mais cela nous offre quelques très belles scènes. Les confrontations avec son suspect Grand Louis, impeccablement interprété par Luc Thulier, sont fortes, intenses et pleines d’une violence latente et inhabituelle pour la série. D’autres séquences, très drôles cette fois-ci, entre Maigret et son inspecteur, sont un croustillant contrepoint à une atmosphère pesante et allègent le sujet. 

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Nous tentons de suivre les méandres sinueux de ce port des brumes, magnifiquement reconstitué et qui incarne à lui seul un personnage à part entière. Le décor est magnifique et superbement filmé. Maigret se confronte à ce port comme au maire de la ville et comme à Grand Louis. Cet ensemble de « personnages », taiseux, affronte un Maigret obstiné, patient et même malicieux. Cette affrontement ira jusqu’à offrir l’une des scènes les plus marquantes et les plus drôles de la série : Maigret attaqué et assommé se retrouve ligoté et bâillonné à une bite d’amarrage. Découvert au matin par un passant, ce dernier hésite avant de le libérer. Il faut voir Bruno Cremer éructer sur l’homme avant d’opter pour la gentillesse afin d’obtenir gain de cause.

La distribution est, dans l’ensemble, de belle qualité. Quelques figurants irlandais sont, comme d’ordinaire, mal doublés. Mais les deux rôles féminins s’opposent parfaitement, les marins du port sont parfaits dans leur vareuse et seul Jean-Claude Dauphin, dans le rôle du maire Grandmaison, est un peu en-deçà des autres acteurs. Monolithique, figé, il s’exprime d’une voix monocorde très lassante et ne retient finalement pas l’attention.

La réalisation est très belle et intéressante, proposant des séquences jusque là inédites dans un Maigret. La composition des plans est originale, les angles de vue choisis sont davantage étudiés et travaillés que d’ordinaire, les effets de lumière léchés et variés. La musique, discrète, ponctue principalement les scènes nocturnes comme dans la belle scène de planque dans le port.

En dépit de quelques défauts, l’épisode est globalement réussi : si l’intrigue est inutilement complexe, la mise en scène est accrocheuse et servie par de bons comédiens et fait passer un bon moment de télévision. 

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Distribution :

  • Jean-Claude Dauphin : Né en 1948, ce comédien de cinéma et de télévision se fait remarquer en 1968 dans Adolphe ou l’Age tendre et le rend célèbre.  Il joue plusieurs fois aux côtés de Claude Jade, Annie Girardot et Philippe Noiret. Voix off de nombreux documentaires français, on le voit surtout à l’heure actuelle dans des téléfilms. Il était déjà apparu dans l’univers de Maigret, en 1975, dans La folle de Maigret.

  • Luc Thullier : Né en 1964, il joue au cinéma des petits rôles depuis le milieu des années 80 et des personnages de plus grande envergure pour la télévision : Le juge est une femme, Les Cordier, Dolmen, Les Bleus. 

  • Delphine Rich : Née en 1961, cette comédienne est la fille de Claude et Catherine Rich. Elle débute au théâtre en 1972 et on la verra principalement à la télévision : Les Cinq dernières minutes, Les Cœurs brulés, Une femme d’honneur, Les Bœuf-carottes, Orages, Boulevard du Palais, Candice Renoir.

  • Frédéric Van Den Driessche : Né en 1956, cet acteur français est principalement connu pour son rôle récurrent de Louis Page, qui a fait les beaux jours de France 2 dans les années 2000. Comédien de doublage, il est la voix « officielle » de Liam Neeson, Javier Bardem et Vin Diesel.

  • Albert Delpy : Né en 1941 à Saïgon, il est le père de Julie Delpy et a notamment joué son père dans les deux films qu’elle a réalisé (Two Days in Paris et Two Days in New-York). Auparavant, il tourne pour les plus grands (Verneuil, Mocky, Polanski, Deray, Poiré, Leconte, Lelouch) et est apparu dans un très grand nombre de téléfilms et séries (Médecin de nuit, Julie Lescaut, Le Comte de Monte-Cristo).

  • Charles Nemes : Né en 1951, ce réalisateur français, proche de l’équipe du Splendid, écrit et réalise son premier film, Les héros n’ont pas froids aux oreilles en compagnie de Gérard Jugnot. Si le film est un succès, ses réalisations suivantes seront plus confidentielles. Après avoir dirigé Eric et Ramzy dans H durant quatre saisons, il renoue avec le succès en les dirigeants à nouveau dans La tour Montparnasse infernale. Il tourne le second volet cinématographique de Caméra Café en 2009. Il a également écrit quatre romans. Il ne reviendra que tardivement dans Maigret, en 2004 et 2005, pour L’Ombre chinoise, Les petits cochons sans queue et il réalisera l’ultime épisode de la série : Maigret et l’Etoile du nord.

  • Guy-Patrick Sainderichin : Né en 1950, ce scénariste français débute comme simple technicien de cinéma et de télévision en tant que caméraman. Journaliste et critique de théâtre et de télévision, il officie notamment pour Les cahiers du cinéma. Il écrit la première saison d’Engrenages et écrit plusieurs scénarios de série policière (outre Maigret, on lui doit des Navarro, Section de recherches, Le juge est une femme) et des téléfilms. Il apparaît au cinéma sous la direction d’Olivier Assayas.

Anecdotes :

  • Le réalisateur, Charles Nemes, fait une petite apparition dans le film dans le rôle cynique et désabusé d’un médecin.

  • L’épisode, tourné en Irlande, reconstitue à la perfection un port de pêche breton des années 50 en France. 

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7. MAIGRET EN FINLANDE

Première diffusion : 27 septembre 1996

D’après Un crime en Hollande (1931) – Roman

Scénario : Bernard Marié

Réalisation : Pekka Parikka

Interprétation : Robin Renucci (Jean Duclos), Timo Torikka (Ari), Sara Paavolainen (Elisa Porola), Jonna Järnefelt (Anita Kari), Irina Björklund (Leena Liikanen), Esko Nikkari (Liikanen), Jukka-Pekka Palo (Konrad Porola), Peter Franzen (Leo), Aarno Sulkanen (Norppa)

Résumé : Finlande. Le professeur Duclos, criminologue, est accusé d’avoir tué un homme. Il demande l’assistance de la police française et on lui envoie Maigret. Ce dernier collabore à nouveau, et avec plaisir, avec l’inspecteur Ari, officiellement chargé de l’enquête. Malgré l’attitude désagréable du suspect, le commissaire tente de faire la vérité sur cette affaire, bien plus complexe qu’il y paraît. S’y mêle argent, vengeance, femmes et manipulations.

Critique :

Retour en Finlande pour Maigret et quel plaisir ! Habillement transposée des Pays-Bas du roman à la Finlande coproductrice de la série, cet épisode est une belle réussite.

Profitant d’une intrigue plus complexe que d’ordinaire, c’est une véritable histoire policière qui nous est proposée. Une mécanique à la Agatha Christie se met en place dès l’introduction des personnages. Présentés un par un au cours d’une belle scène d’exposition, en caméra épaule réussie pour une fois, de multiples tensions apparaissent en quelques minutes. La mort d’un coureur de jupons avéré n’est pas une surprise mais voir un obscur criminologue accourir sur les lieux du crime, une arme à la main, renverse la vapeur. Pourquoi Diable aurait-il commis ce crime ? Ce ne sont pas les mobiles qui manquent… Sauf pour lui ! C’est là que toute la sagacité de Maigret, particulièrement bien secondé par le toujours agréable inspecteur Ari, sera mise à rude épreuve.

Le crime lui-même, ingénieusement conçu, implacable, est une belle trouvaille. On comprend mieux l’obstination de Maigret à se rendre dans cette salle de bains trois fois dans le film. Mais le mobile du meurtre, s’il apparaît évident à l’explication finale – quelle belle scène entre Maigret et Ari ! – n’est pourtant pas si évident au premier abord. Car entre les affaires d’argent, d’amour, de sexe, de contrebande, de jalousie et de haine, il n’est pas simple de se faire une opinion. Mais qu’importe, car le spectateur n’est jamais perdu malgré la multiplicité des personnages, grâce à des dialogues subtils, parfaitement écrits et mis en scène et grâce somme toute à la logique des événements mis bout à bout. La solution apparaît implacable, limpide et triste, comme souvent chez Maigret

On se régale à suivre le commissaire dans cette Finlande campagnarde. Les producteurs ont eu la bonne idée de ne pas réutiliser Helsinki déjà vu dans Maigret et le fantôme, mais plutôt la province. Les maisons de bois et de brique, les canaux, les bistros et le charmant petit hôtel du crime. Le réalisateur du cru, Pekka Parikka, sublime son pays et n’oublie pas son intrigue. Le film est tourné fréquemment en caméra-épaule sans que l’image ne tressaute, bien au contraire, profitant de beaux plan-séquences et de travellings léchés comme en produisait la série dans ses années de gloire. L’image est propre, bien nettoyée, lumineuse.

La composition des comédiens est exceptionnelle. Seul Français dans la distribution avec Maigret, Robin Renucci est magnifique en professeur suffisant, tout gonflé et bouffi d’orgueil. Accusé de meurtre, il conserve sa morgue tout du long du métrage et se révèle un personnage amusant, sans jamais tomber dans la caricature. Quant au casting finnois, aucune fausse note à déplorer. Timo Torrika est toujours aussi à l’aise comme faire-valoir de Maigret et son rôle est même gonflé pour l’occasion. Quant aux femmes qui gravitaient autour du défunt, elles jouent aussi bien sur la retenue, l’exubérance, le charme, la sensualité troublante, et fascinent toutes trois le commissaire. Celui-ci, plein de compréhension à leur égard, doit pourtant les malmener afin de faire progresser son enquête. Ces scènes, fines, délicates, sont de toute beauté.

Il est également plaisant de revoir Maigret s’attabler – avec plus ou moins de plaisir, il est vrai – devant un bon repas. La cuisine finnoise n’est pas tout à fait à son goût mais, heureusement pour lui, suffisamment de personnes sont capables de lui trouver quelque chose de mangeable. Le goût du commissaire pour la vodka est très modéré, mais devant l’absence de fine, de poire ou de cognac, il finira par se faire à cette boisson que l’on boit à toute heure. La bière coule à flot en Finlande et Maigret y fait honneur, vidant des chopes en une gorgée.

Si l’on cherche à être tatillon, s’il faut trouver un point négatif, signalons la musique de Laurent Petit-Gérard, très en-deçà de ses compositions habituelles, sans ses thèmes récurrents et peu inspirés.

Second et donc dernier épisode finnois, le meilleur des deux, Maigret en Finlande est une petite merveille. 

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Distribution :

  • Robin Renucci : Né en 1956, ce comédien et réalisateur français débute en 1981 après un passage au Conservatoire. On le remarque dans Invitation au voyage, Fort Sagane et surtout Masques de Chabrol avec Philippe Noiret, où il se révèle un séducteur troublant et mystérieux. Il participe aussi bien à des films populaires que d’auteurs (il s’est notamment intégré au Mocky Circus, revenu à plusieurs reprises sous la caméra de Jean-Paul Salomé) et passe également beaucoup de temps sur le petit écran dans des téléfilms et plusieurs séries (Les Cordiers, Hitchocok by Mocky) et réalise deux films. Passionné de théâtre, il joue Guitry, Shakespeare, Claudel, Tchekhov, Hugo, Molière ou Ionesco. Il a tenu, de 2009 à 2015, le rôle du maire et médecin Daniel Larcher dans Un village français.

  • Irina Björklund : Née en 1973 en Suède, cette actrice et chanteuse finlandaise, elle apparaît dans des séries à succès comme Embuscade ou le film Rukajärven tie qui lui fait connaître la renommée. Installée avec son mari acteur Peter Franzén depuis la fin des années 2000, elle se fait remarquer aux côtés de George Clooney dans The American. Elle a sortie deux albums, en français, en 201 et 2014.

  • Esko Nikkari : (1938-2006) Prolifique acteur finlandais, il est apparu dans plus de 70 films pour le cinéma et quelques rôles à la télévision. Il obtient le prix Jussi du meilleur second rôle en 1990 pour The Match Factory Girl.

  • Peter Franzen : Acteur finois né en 1971, il remporte son premier gros succès dans On the road to Emmaüs. Il participe à des productions allemandes, anglaises, américaines, suédoises, estoniennes et hongroises, langues qu’il maîtrise. On l’a vu dans CSI : Miami ou True Blood. Récemment, il rejoint le casting de la saison 4 de Vikings en interprétant le rôle du roi Harald. 

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8. MAIGRET TEND UN PIÈGE

Première diffusion : 10 octobre 1996

D’après Maigret tend un piège (1955) – Roman

Scénario : Bernard Marié

Réalisation : Juraj Herz

Interprétation : Bruno Todeschini (Moncin), Hélène Surgère (Mme Moncin, mère), Laurence Masliah (Mme Moncin), Pascale Vignal (Marthe), Elie Semoun (Rougin), Jean-Claude Frissung (Janvier), Hubert Saint-Macary (le juge Lambert), Gilles Detroit (Josselin), Jean-Noël Brouté (le jeune inspecteur), Victor Garrivier (Tissot), Pierre Baillot (Moers), Jean-Paul Muel (Baron), Hélène Scott (Odile), Jacques Lalande (le tailleur), Dimitri Rafalsky (le marchand de boutons)

Résumé : Cinq femmes ont été sauvagement assassinées, de nuit, dans les rues du XXe arrondissement. La presse est aux aguets, le public a peur et Maigret n’a pas de coupable. Pour arrêter le criminel, il décide, à sa propre initiative, de tendre un piège au criminel, en lui tendant des appâts, qu’il recrute parmi les auxiliaires féminines de la police. A cette fin, il manipule les journalistes pour pousser le coupable à commettre un nouveau crime. Crime qu’il espère bien empêcher…

Critique :

Le troisième coffret des Maigret se conclue sur une merveilleuse affaire, grande adaptation d’un grand roman.

Déjà porté à l’écran avec succès par Jean Delanoy avec Gabin en 1958, Maigret tend un piège soutient sans difficulté la comparaison avec son illustre aîné. Episode tendu, sans humour, particulièrement noir, Maigret traque à nouveau un tueur en série. Ce maniaque sexuel, bien qu’il ne viole pas ses victimes, est un personnage à part dans l’univers de Maigret. Si Simenon a écrit à plusieurs reprises sur le sujet, c’est une des rares fois qu’un personnage de ce genre occupe la place de choix dans la série ; la seule autre sera dans l’avant-dernier épisode, Maigret et les sept petites croix.

C’est dans une atmosphère tendue, sous une canicule écrasante qui frappe Paris, qu’un tueur s’en prend à des femmes dans les rues du XXe arrondissement, les poignardant dans le dos puis en lacérant leurs vêtements. Après cinq meurtres, Maigret espère coincer le meurtrier avant qu’il ne fasse une nouvelle victime. A cette fin, il met en place une mécanique implacable afin de le faire tomber dans un piège. Le scénario réduit ainsi l’affaire d’abord à cette traque, puis au suspect que Maigret parvient à arrêter. Ce minimalisme sied fort bien à l’épisode, écartant toute fioriture. Le ballet des journalistes, traquant à la PJ la moindre information que Maigret voudrait bien leur lâcher est ainsi parfaitement à sa place. La vision des « chiens » de journalistes tournant, virant, suant dans les couloirs de la PJ est une merveille de mise en scène. Maigret manipule la presse qui entend manipuler l’enquête et ils jouent ensemble au chat et à la souris. Les bureaux de la criminelle servent parfaitement leur va et vient. 

La traque présente également un beau suspens. Si la façon de filmer fait peur au premier abord, la caméra suggestive n’étant pas de bon augure dans Maigret, on est vite rassuré par la virtuosité de la réalisation pour instaurer la tension. Entre les « leurres » lâchés dans les rues, les policiers en planque et Maigret qui s’inquiète pour une petite stagiaire et protégée, le film nous nargue en offrant des fausses pistes jusqu’à l’agression ultime grâce à laquelle Maigret peut coincer son suspect. Une brève enquête le mène jusqu’à Moncin, un décorateur d’intérieur raté, superbement interprété par Bruno Todeschini.

Aussitôt, Maigret « sent » qu’il tient son coupable. Dès lors, la seconde partie du film se focalise sur la confrontation entre les deux hommes mais aussi avec les femmes qui occupent une part importante dans la vie de Moncin. Celui-ci nous rappelle le dentiste Serre de Maigret et la grande perche, coincé entre sa femme et sa mère. Comme lui, il ne parle pas, ne craque pas. La violence, l’humiliation, la tendresse, la compréhension : rien ne vient à bout de Moncin. Quand un nouveau crime est commis, Maigret comprend qu’une des femmes de Moncin a voulu le disculper. Mais laquelle ? La mère ou  l’épouse? 

L’ultime face à face est exceptionnel de tension et d’interprétation. Un Moncin usé, figé, muet comme une tombe, s’efface devant ses deux femmes, guerrières, qui l’étouffent de leur amour exacerbé et qu’il hait. Ce n’est qu’à force de psychologie et de manipulation que Maigret poussera la coupable à l’aveu.

Il y a trop de bonnes scènes pour toutes les citer : la confrontation de Moncin avec sa victime, la reconstitution du crime, les confrontations entre Maigret et le juge d’instruction, les longs travellings dans les locaux de la PJ…

Peu de décors illustrent à la perfection cet épisode : la PJ et ses couloirs interminables déjà cités, le bureau de Maigret plus sombre que jamais, l’appartement d’artiste de Moncin, l’appartement claustrophobe de Mme Moncin, le bistrot qui offre un peu de détente et, surtout, les rues de Paris. Enfin de Prague…

L’interprétation, comme toujours à cette époque de la série, est remarquable. Todeschini est un Moncin faible, lâche et terrifiant. Sa performance dans le rôle d’un maniaque sexuel, étouffé, qui restera à jamais le fils de boucher qui a voulu s’élever dans la société sans y être parvenu, est impressionnante. Hélène Surgère, la mère, et Laurence Masliah, l’épouse, créent un carcan inextricable autour de lui. Elie Semoun est impeccable dans un de ses premiers rôles dramatiques, petite fouine de journaliste un peu veule.

Maigret tend un piège offre une magnifique conclusion au troisième coffret des Maigret, un des sommets de la série. 

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Distribution :

  • Bruno Todeschini : Né en 1962, ce comédien franco-suisse s’illustre notamment sous la direction de Patrice Chéreau et d’André Téchiné dès la fin des années 80. Il tourne fréquemment pour la télévision (Julie Lescaut, Les semailles et les moissons, Le juge est une femme, Petits meurtres en famille, les Rois maudits, Nicolas Le Floch).

  • Hélène Surgère : (1928-2011) Comédienne principalement de théâtre, elle joue Tchekhov, Molière, Aymé, Sand et Molière. A 81 ans, elle devient sociétaire de la Comédie-Française. On l’a vu à quelques reprises à la télévision dans Série noire, Parfum de famille, Boulevard du Palais et Sœur Thérèse.com.

  • Laurence Masliah : Née en 1958, cette actrice française est l’élève de Michel Bouquet au Conservatoire et travaille notamment sur les planches dans les années 80. Au cinéma elle tourne pour Godard, Enrico, Girod ou Deville. A la télévision on la voit dans Adresse inconnue, Julie Lescaut, l’Instit, Louis la Brocante et tient un rôle régulier dans Profilages pendant trois saisons. On l’avait déjà vu dans  Maigret avec Jean Richard dans Maigret chez le ministre en 1984.

  • Elie Semoun : Humoriste et acteur français, Elie Semoun se fait connaître principalement pour son duo comique Elie et Dieudonné dans les années 90. Le duo se sépare en 1997 et le comédien œuvre seul sur les planches en one-man show, en duo avec Franck Dubosc pour Les petites annonces d’Elie, tout en poursuivant une carrière cinématographique de plus en plus prolifique, alternant les rôles franchement comiques de personnages énervés avec des personnages plus fins. Il incarne notamment le rôle quasi hystérique du Répurgateur dans Kaamelott, et tourne aussi bien pour Baffy, Bathélémy, Podalydès que Mocky.

  • Gilles Detroit : Acteur, c’est surtout un humoriste. Il tient depuis 2010 une chronique sur la radio francilienne France Bleue 107.1.

  • Victor Garrivier : (1931-2004) Acteur français, il est principalement célèbre pour son rôle régulier dans Avocats et associés où il interprétait le rôle d’Antoine Zelder de 1998 à 2004. Au cinéma, on l’a vu chez Tavernier, Chabrol, Robert, Planchon ou Aghion.

  • Jean-Paul Muel : Né en 1944, il intègre le Magic Circus de Jérôme Savary dans les années 70. Il crée de nombreux spectacles en solo par la suite, mis en scène par Ribes, BIsson ou Marcel. Acteur de seconds rôles, on le voit dans Le sucre, Papy fait de la résistance, les Visiteurs, la Môme. A partir des années 90, il retourne au théâtre travaillant avec Jacques Weber ou John Malkovich. A la télévision, il est apparu dans un grand nombre de séries (Navarro, Série noire, Nestor Burma, Higlander, Les Cordier, Louis Page, Fabien Cosma). Il reviendra en 2000 dans Maigret voit double

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Anecdotes :

  • Cet épisode marque la fin d’une époque à plusieurs égards. Le deuxième contrat de Bruno Cremer s’achevait et sa reprise du rôle demeurait incertaine. Il accepta néanmoins de poursuivre pour un troisième contrat de six épisodes.

  • C’est également la dernière apparition de Jean-Claude Frissung dans le rôle de Janvier et de Pierre Baillot dans le rôle de Moers. Avec son départ, c’est la fin des inspecteurs « historiques » de Maigret. Eric Prat avait déjà quitté la série depuis La tête d’un homme, diffusé tardivement. Madame Maigret ayant quitté la série avec L’affaire Saint-Fiacre, c’est une page qui se tourne pour la série qui prendra d’autres chemins, notamment, celui de l’adaptation de nouvelles davantage que de romans. 

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