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Saga Louis de Funès

3 - La confirmation (1966/1973) 2ème partie

1. Le petit baigneur - 1968

2. Le tatoué – 1968

3. Le gendarme se marie – 1968

4. Hibernatus – 1969 



1. LE PETIT BAIGNEUR

Production : Les films CORONA
Scénario : Robert DHÉRY
Adaptation : Robert DHÉRY, Pierre TCHERNIA, Albert JURGENSON, Michel MODO, Jean CARMET.
Dialogues : Robert DHÉRY
Réalisation : Robert DHÉRY
Musique : Gérard CALVI

L'Increvable, un bateau conçu par l'ingénieur et inventeur André Castagnier et construit par les chantiers navals Fourchaume, s'apprête à être mis à flot en présence du ministre de la Marine. Mais la bouteille de Champagne du baptême suffit à fracasser sa coque avant même son départ. Furieux, Louis-Philippe Fourchaume, le directeur des chantiers du même nom, congédie Castagnier. Il ignore que l'Oscar de la voile vient d'être décerné à l'ingénieur pour son voilier Le Petit Baigneur, brillant vainqueur d'une régate en Italie. Fourchaume est catastrophé lorsqu'il apprend la nouvelle, synonyme de juteux contrats, des centaines d'exemplaires du voilier étant déjà réclamés partout en Europe. Il décide de tenter de se réconcilier avec Castagnier avant que celui-ci n'apprenne l'homologation de son bateau, afin de signer un nouveau contrat au nez et à la barbe d'un concurrent italien à l'affût d'une telle aubaine.

GENÈSE :

Alors qu'il était un comédien peu connu, Louis de Funès avait bénéficié d'un sérieux coup de pouce de la part de Robert Dhéry et de son épouse Colette Brosset en étant engagé dans les Branquignols, une troupe de comédiens, musiciens, et chansonniers créée par Dhéry à la fin des années quarante, et qui connut un joli succès au parfum de scandale, en raison des filles en petite tenue qui agrémentaient la plupart des représentations. Des comédiens tels que Jean Lefebvre, Jacqueline Maillan, Jean Carmet, Michel Serrault, ou Pierre Tornade ont été membres des Branquignols.

Le fruit le plus connu de cette collaboration fut le spectacle Ah ! Les belles bacchantes ! donné en 1953 au théâtre Daunou et adapté l'année suivante au cinéma par Jean Loubignac.

Devenu une vedette de premier plan, Louis va renvoyer l'ascenseur en acceptant de tourner un nouveau film avec Robert Dhéry. Il ne s'agissait probablement pas pour lui uniquement de rendre service, il est très possible aussi que Fufu ait senti tout le potentiel du personnage de Louis-Philippe Fourchaume, parfaitement adapté à sa façon de jouer. De l'aveu même de ses fils, Le Petit Baigneur était un des films préférés de Louis de Funès. Il est vrai qu'il se déchaînait tout le long du film, tout en accomplissant quelques prouesses physiques sans être doublé.

RÉALISATEUR :

Robert Dhéry ne laisse à personne le soin de mettre en scène son scénario. Il est ainsi aux manettes de l'ensemble du film, en tant qu'auteur du script, de l'adaptation et des dialogues, ainsi que réalisateur.

Né Robert Fourrey, il prend le pseudonyme de Dhéry en hommage au village d'Héry, dans l'Yonne, auquel il est attaché et où il sera inhumé.

Homme de théâtre, comédien, fondateur des Branquignols, et réalisateur, Dhéry aura marqué le monde des arts français. Le Petit Baigneur est son cinquième film en tant que scénariste et adaptateur.

Sa complicité avec De Funès facilite l'installation d'une bonne ambiance sur le tournage. Tout n'est pas forcément idyllique car Dhéry a du caractère, et Louis a parfois du mal à faire accepter ses suggestions, mais il se trouve tout de même dans de très bonnes conditions avec un réalisateur qui rit beaucoup, un fait qu'il apprécie particulièrement.

DÉCORS :

La majeure partie du tournage s'est déroulée en Languedoc-Roussillon, et principalement dans l'Hérault : le village de Magalas et les environs de Béziers. Ainsi, on reconnaît le pont-canal, situé à quelques kilomètres de Béziers. Quelques scènes ont pour cadre Collioure, sur la Côte Vermeille, ou le département de l'Aude.

Les scènes de régate du générique, censées se dérouler à San Remo, ont été filmées en fait à Saint-Malo, et le final de la poursuite en bateau à Saint-Mandrier, dans la baie de Toulon. Pour un connaisseur des paysages méditerranéens, il est toujours étrange de voir la poursuite débuter sur le pont-canal de Béziers et se terminer à Toulon, deux sites que l'on reconnaît parfaitement, mais qui sont situés à plus de deux cents kilomètres l'un de l'autre...

L'Increvable est une véritable vedette de la Marine Nationale, construite en 1954 aux chantiers Burmeister. Affectée à la flottille du Rhin jusqu'en 1966, elle a été repeinte spécialement pour le tournage alors qu'elle était destinée à la démolition.

GÉNÉRIQUE :

Le fait est peu courant, le film ne comporte pas de séquence pré-générique. Le générique est constitué par la scène de la régate où l'on assiste à l'envolée irrésistible vers la victoire du Petit Baigneur, porté par des vents favorables. Il semble que ces vents soient plus déterminants dans la victoire que les qualités propres du voilier, mais sans doute est-ce naturel concernant ce type de bateaux...

La musique de Gérard Calvi, entraînante, presque ludique, est fort agréable, on pourrait presque la confondre avec une composition de Vladimir Cosma. Elle est réutilisée pour le générique final, assez bref, avec la fuite de Castagnier, de sa femme, et de ses frères, poursuivis par Fourchaume, le tout filmé en accéléré.

SCÉNARIO :

Sans atteindre la qualité des scénarios de Gérard Oury, le script de Robert Dhéry est tout à fait satisfaisant, et permet en tous cas à Louis de Funès de s'exprimer pleinement sans avoir besoin de compenser des faiblesses excessives. Par rapport à la série des Gendarme, par exemple, il n'y a pas photo...

Louis-Philippe Fourchaume, directeur irascible et autoritaire des chantiers navals créés par son père, inaugure un nouveau bateau en présence du ministre de la Marine. La traditionnelle bouteille de Champagne, lancée un peu trop fort par l'épouse de ministre, suffit à briser la coque de l'Increvable, et la cérémonie se termine en eau de boudin.

Furieux, Fourchaume lance sa vindicte contre l'ingénieur André Castagnier, le concepteur du bateau, qu'il congédie sur le champ et sans ménagement. Emporté par sa colère, Fourchaume déchire le contrat signé avec Castagnier, qui prévoyait la construction de modèles d'un voilier conçu par l'ingénieur et appelé Le Petit Baigneur.

Fourchaume ignore que Le Petit Baigneur a remporté la veille la régate de San Remo. En effet, il était trop occupé avec le ministre pour écouter Castagnier, de retour d'Italie avec la coupe récompensant le vainqueur. André et sa sœur Charlotte, qui ont quitté San Remo sitôt la course remportée et sans avoir pu joindre leur patron en raison de l'encombrement des lignes téléphoniques, ignorent eux-mêmes que leur voilier a obtenu du jury italien l'Oscar de la voile, et va être homologué.

Marcello Cacciaperotti, un petit affairiste italien à l'affût d'un bon coup, s'est fait passer pour le représentant des chantiers Fourchaume lors de la remise du prix, et a déjà pris les commandes de centaines de Petit Baigneur pour des constructeurs étrangers, espérant obtenir un pourcentage de son « ami » Fourchaume, qu'il n'a en fait jamais vu de sa vie.

Marcello arrive sur les chantiers tout de suite après le licenciement de Castagnier. Il annonce la nouvelle à un Fourchaume encore surexcité. Après vérification de l'information, Louis-Philippe est atterré : il vient de déchirer le contrat de construction d'un voilier homologué, déjà réclamé à l'étranger en plusieurs centaines d'exemplaires !

Fourchaume doit tenter de récupérer le contrat pendant le week-end, avant que Marcello ne prévienne les Castagnier de l'obtention de l'Oscar. Il persuade sa femme de l'accompagner, convaincu que son charme distingué peut être un atout dans son entreprise de séduction.

Le couple Fourchaume rencontre quelques difficultés pour trouver la maison de l'ingénieur. Finalement, un paysan les conduit... à la messe où les Castagnier se rendent tous les dimanches. Le prêtre n'est autre qu'un des frères Castagnier, reconnaissable à sa tignasse rousse. Il profite de la venue de Fourchaume pour quémander une aide financière aux fins de restauration de son église dont l'état est catastrophique. En démarrant en trombe avec sa puissante voiture, Louis-Philippe écrase le pied de Scipion, le mari de Charlotte, sans même s'en rendre compte.

Les Castagnier déjeunent en famille dans une maison située au bas d'un phare. Les Fourchaume vont les rejoindre pour leur apporter le dessert, mais croient que leurs hôtes sont installés en haut du phare et escaladent un interminable escalier en colimaçon pour rien.

Enfin parvenus chez André, Fourchaume se montre très aimable, il accepte même de faire la vaisselle ! Que ne ferait-on pour signer un contrat aussi important... Et ce n'est pas fini, puisque Castagnier lui fait admirer, ainsi qu'à Marcello (qui s'incruste, au grand dam de Fourchaume), ses dernières inventions, parmi lesquelles un curieux kayak à jambes.

Louis-Philippe se propose de déplacer le tracteur à la place de Charlotte, mais, incapable de maîtriser l'engin, il provoque une série de dégâts : poulailler détruit, arbre arraché, pesticides répandus partout... Voilà de quoi provoquer la fureur de Scipion, cloué au lit par son pied blessé. Justement, Charlotte emmène son époux au fond du jardin dans une cabine de WC. Fourchaume pousse sans le vouloir la cabine jusque sur une barque, et voilà le malheureux Scipion qui dérive sur la rivière sans même s'en apercevoir puisqu'il s'est endormi !

La cabine est déjà loin lorsque Charlotte constate son absence. Aussitôt, tout le monde se précipite sur le bateau de Castagnier pour tenter de le rattraper. Tout le monde ? Pas tout à fait puisque Fourchaume s'arrange pour laisser Marcello, son rival, en rade...

Désireux de se montrer complaisant, Fourchaume saute sur la cabine alors que le bateau s'apprêtait à la rejoindre, mais la cabine est alors entraînée par un courant défavorable et Castagnier doit cesser la poursuite. Scipion et Louis-Philippe continuent leur course folle jusque dans une rade, et, après une équipée sauvage en ski nautique, se retrouvent coulés au moment où leurs compagnons les rejoignent.

Alors que Marcello a fait une proposition supérieure à la sienne pour le contrat du Petit Baigneur, Fourchaume décide de ruser : il feint d'avoir été gravement touché lors du naufrage, et, aidé par son épouse, joue la comédie du malheureux patron paternaliste contraint de s'incliner face à la proposition rivale, mais qui aimerait tant que « Le Petit Baigneur reste français ».

« Si j'avais vécu, j'aurais fait de vous mon associé, et les Castagnier aussi. » : cette phrase pathétique achève de convaincre les Castagnier qui persuadent André de signer avec Fourchaume. Alerté par Scipion de la rouerie de son concurrent, Cacciaperotti arrive trop tard : André a déjà signé.

Fourchaume a tenu parole et les « Chantiers Foruchaume » sont devenus les « Chantiers Fourchaume et Castagnier Frères ». L'Increvable a été réparé et le ministre est de retour pour la seconde tentative d'inauguration. Mme Fourchaume remplace la femme du ministre pour le baptême. Ouf ! La bouteille de champagne ne brise pas la coque. Soulagement de Fourchaume, mais de courte durée : Increvable, peut-être, mais certainement pas insubmersible, le fier bateau coule aussitôt sa mise à l'eau ! Les Castagnier, curé et beau-frère Scipion compris, prennent la poudre d'escampette, pourchassés par un Fourchaume furieux.

DISTRIBUTION :

Robert Dhéry connaît suffisamment Louis de Funès pour lui avoir préparé un personnage sur mesure avec le directeur des chantiers navals Fourchaume. Louis-Philippe est nerveux, tyrannique, autoritaire avec les humbles, mielleux à l'extrême avec les puissants ou n'importe qui dont il a besoin : c'est le personnage typique que Louis aime jouer à sa manière inimitable.

Marie-Béatrice, l'épouse de Louis-Philippe, est interprétée par une excellente Andréa Parisy. La classe naturelle de cette actrice fait merveille dans ce rôle où, justement, elle doit utiliser son charme et sa distinction pour amadouer ces satanés Castagnier. Marie-Béatrice semble aimer beaucoup son mari dont elle supporte le caractère nerveux avec philosophie. Elle accepte même de passer le week-end chez les employés de son époux alors qu'elle aurait dû participer à un rallye.

Les Castagnier sont facilement reconnaissables puisqu'ils sont tous dotés d'éclatants cheveux roux à faire pâlir d'envie Poil-de-Carotte ou... Mylène Farmer. Robert Dhéry compose un ingénieur-inventeur farfelu, toujours un peu dans les nuages, en la personne d'André. Son épouse Colette Brosset joue le rôle de sa sœur, la sympathique Charlotte. Charlotte est aussi sa partenaire de navigation et c'est avec elle qu'il a remporté la régate de San Remo et l'Oscar de la voile.

Pierre Tornade, un membre des Branquignols, et Jacques Legras complètent la famille : ce sont les deux frères d'André. Jean-Baptiste (Pierre Tornade) joue un rôle assez effacé, alors que celui de l'abbé Henri Castagnier est plus développé. Jacques Legras, très bon, incarne le curé tel que le cinéma de comédie aime bien les montrer : forcément bon vivant et gros mangeur, et bien entendu très intéressé dès lors qu'il s'agit de récolter des deniers pour restaurer son église.

Pas de cheveux roux pour Michel Galabru, qui n'est que le mari de Charlotte. Joueur de clairon dans une fanfare, c'est un personnage caustique, désabusé, et pessimiste, mais beaucoup moins naïf que les Castagnier, comme il le prouvera lors de la prétendue agonie de Fourchaume.

Coproduction italienne oblige, un acteur venu de l'autre côté des Alpes tient un rôle assez important : Franco Fabrizzi incarne l'homme d'affaires à l'affût, rival de Fourchaume. Il représente l'Italien tel que les Français l'imaginent : opportuniste, séducteur et amateur de jolies femmes, mais sans que son personnage ne devienne caricatural. À l'image de De Funès, il réussit à rendre sympathique un personnage qui, a priori, ne l'était pas, puisqu'il s'agit d'un affairiste de seconde zone plus ou moins escroc. Il n'empêche qu'il se montre correct avec Castagnier, le contrat qu'il lui propose étant beaucoup plus avantageux que celui de Fourchaume.

Henri Génès est une fois de plus présent sur un film de Louis, et très crédible dans le rôle de Joseph, un paysan naturel et sans complexe.

Le reste de la distribution est composé de petits rôles parmi lesquels on reconnaît quelques vieux complices de Fufu : Max Montavon, l'homme nu dans la cabine de bain, ou bien le pianiste des Branquignols Roger Caccia, vu notamment dans Le Grand Restaurant, transformé ici en bedeau qui, selon l'abbé Castagnier « joue de l'harmonium comme il peut, le pauvre ». Nicole Vervil, l'épouse de l'adjudant Gerber dans Le Gendarme de Saint-Tropez, fait une apparition en tant que maman d'un enfant présenté aux Fourchaume.

Pierre Tchernia, qui a bercé les Noël de tant et tant d'enfants avec son SVP Disney et présenté le non moins célèbre Monsieur Cinéma, est ici le président du jury. Hélène Dieudonné, c'est la garde-barrière peu serviable, Pierre Dac le ministre, et Michèle Alexandre son épouse trop musclée.

Le marin de l'Increvable est interprété par Robert Rollis, mademoiselle Rogibus par Yvette Dolvia, le majordome des Fourchaume par Georges Bever, et les hommes de la fanfare par Gérard Calvi et Philippe Dumat.

Georges Adet retient l'attention en tant que gardien du chantier servant d'exutoire à Fourchaume en colère, avec menace de coup de pelle et de taillage de barbe à la clé !

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TEMPS FORTS :

Parfois sous-estimé dans la filmographie de Louis de Funès, ce film est en fait un condensé d'une heure trente d'un festival « Funésien » de premier ordre, doublé de multiples trouvailles attrayantes sous forme d'inventions de Castagnier. Sans rupture de rythme, on pourrait presque le croire adapté d'une pièce de théâtre comme plusieurs autres succès de Louis. Si certains de ses films ont pu comporter quelques sommets dans un ensemble moyen, où furent dotés d'une courbe d'intérêt sinusoïdale, celui-ci demeure constamment à un haut niveau.

Néanmoins, le sommet du film, le meilleur du meilleur, est inclus dans les vingt premières minutes, avec la fameuse colère de Fourchaume ; que de moments irrésistibles dans cette vague de vindicte qui submerge tout sur son passage !

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Quelques exemples : Fourchaume est furieux de voir des photos de vacances dans l'atelier de Castagnier :

- Regardez-moi ça ! Ils sont au bord de la mer et ça nage, ça nage ! (Il lit le texte au verso de la carte) Grosses bises au vieux Schnock ! C'est vous qui avez écrit ça ?
- Non ! Regardez, c'est signé Combescure !
- Combescure, j'en fais mon affaire !

La séquence des tubes sonores est tout aussi drôle : Fourchaume somme André de partir immédiatement avec ses affaires, mais il est intrigué par des tubes de cartons qui produisent de curieux sons lorsqu'on les ouvre et les referme, et après avoir improvisé un mini-concert avec André, il décide de les conserver. 

Devenu encore plus furieux lorsque Castagnier lui fait remarquer que, du temps de son père, ça ne se serait pas passé comme ça, il déchire le contrat du Petit Baigneur et donne à André un bateau à voiles-jouet en lui disant :

« Tenez ! Avec ça, vous pourrez jouer sur la plage ! »

Le départ de Castagnier ne le calme pas et il se met à démolir un exemplaire du Petit Baigneur à coups de pelle. Surpris par le gardien du chantier, venu lui annoncer l'arrivée de Marcello, il nous offre un nouveau moment génial avec la voile du bateau sur la tête :

« Qu'est-ce que tu veux toi ? Qu'est-ce que tu veux ? Tu veux un coup de pelle ? Tu veux que je te la taille, ta barbe ? »

Interloqué par l'annonce que lui fait M. Marcello, il appelle sa secrétaire Mlle Rogibus et, celle-ci n'ayant visiblement pas entendu, casse la vitre de son bureau en lançant la pelle de toutes ses forces. Après la confirmation de la nouvelle, il est tellement décontenancé qu'il se met à bégayer. Extraits de la conversation :

- Oui, mais il faut que je récupère le contr.... enfin, il faut que je récupère ! Revenez lundi, et en attendant, pas un mot de l'Oscar à Castagnier !
-
(Marcello aperçoit le bateau sur lequel Fourchaume vient de se déchaîner) C'est un Petit Baigneur que vous avez là ?  
- Oui !
- Oh ! Il n'a pas l'air solide...
- C'est parce que je suis en train de le modifier. Euh ! Là en-dessous, on mettra une hélice...
- Une hélice ? Mais c'est un voilier...
- C'est un secret, je ne vous dirai rien !

L'entretien est vite terminé et Fourchaume s'en va, vêtu de la voile du Petit Baigneur qui lui donne l'air d'un évêque tout en mimant le geste apaisant d'un ecclésiastique de haut rang !

La suite du film comporte aussi de très belles séquences, à commencer par les mimiques de Louis à l'église lorsqu'il prie le Seigneur de réussir à signer un nouveau contrat avec Castagnier. Autre visage expressif, mais de dépit et de rage, lorsqu'il redescend du phare épuisé et que les frères rouquins se moquent de lui :

- On vous croyait là-haut !
- Là-haut ? Il y a longtemps qu'on n'y mange plus : les plats arrivaient froids ! Ah ! Ah ! Ah !

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Et la scène du passage à niveau : la manivelle est cassée, mais la vieille garde-barrière réussit à faire fonctionner le mécanisme en manipulant la manivelle de son puits, le tout après que Fourchaume, toujours pressé, se soit envolé avec la barrière en voulant la lever lui-même ! Très drôle aussi l'autorail, qui passe sans crier gare juste avant que Fourchaume s'engage sur les voies, et juste après qu'il ait traversé.

Ce n'est pas le grand amour entre le beau-frère d'André, interprété par Michel Galabru, et Louis-Philippe Fourchaume, surtout après que ce dernier ait écrasé le pied du premier avec sa voiture sans même s'en apercevoir. Lorsque les deux hommes se retrouvent et que Fourchaume apprend ce qui s'est passé, il essaie de minimiser l'affaire ; il tape sur le pied dans le plâtre et affirme :

- Il ne souffre pas ! Il a l'impression de souffrir, c'est psychique ! (Il tape à nouveau) Voyez ! Il croit !
- Psychique ?! Je voudrais que vous ayez à la langue ce que j'ai à la jambe !
rétorque le malheureux Scipion.

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Et lorsque Galabru est entraîné sur la rivière, dans son WC ambulant que Fourchaume a poussé sur un canot :

« Il a mal à la jambe et il fait du bateau quand même, celui-là ! »

Une scène montre de façon éclatante le professionnalisme exemplaire de Louis de Funès : lorsqu'il descend du tracteur et s'enfonce tout entier dans un trou d'eau, on voit très bien qu'il n'est pas doublé. Dhéry a confirmé que l'acteur n'avait pas sourcillé lorsqu'il lui avait demandé s'il voulait effectuer lui-même cette cascade.

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Fourchaume ne se gêne pas pour exploiter sans vergogne et presque ouvertement la naïveté de Castagnier. Ainsi, lorsqu'il croit avoir endormi l'ingénieur en chantant une comptine, il fait remarquer à sa femme qu'il l'a bien eu et se met à mimer un joueur de violon. Mais André ne dort pas et assiste à la scène. De Funès détourne l'attention sur Marie-Béatrice !

- Excusez-la !
- Mais je n'ai rien fait !
- Si, je vous ai vue : vous étiez en train de jouer du violon dans le dos de M. Castagnier, comme ça !
- Quel culot !
- Oui, eh bien, il en faut !
- Attention ! Il écoute !
- Mais non ! Vous n'avez rien entendu ? C'est de famille, déjà sa mère était comme ça...

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Après la chute finale, Fourchaume ressort de l'eau avec des algues sur la tête qui assemblées ressemblent étrangement à une perruque des nobles d'antan, le tout sur une musique d'inspiration très royaliste et le cri de sa femme qui l'appelle par son prénom : « Louis-Philippe ! »

Le film est jalonné d'inventions bizarres de Castagnier et de gadgets qui apportent des effets comiques très plaisants : fauteuil à bascule dont le père de Fourchaume est très satisfait, kayak à jambes, voiture de Louis-Philippe dont le capot s'étire sur plusieurs mètres, barque à manivelles, vélo maritime...

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POINTS FAIBLES :

Le sermon du prêtre devient vite assez pesant en raison de l'abus de déboires subis par le personnage de Jacques Legras. Que l'on montre le micro pivoter et la chaire tomber une ou deux fois pour faire comprendre à quel point l'église est dégradée, OK. Mais la multiplication de ces avaries tue leur effet comique.

Excès encore plus flagrants lors de la scène où Fourchaume fait croire aux Castagnier qu'il est mourant. Robert Dhéry en rajoute dans le larmoyant de type clownesque, et même Louis de Funès en fait un peu trop ; là aussi, ce n'est même plus drôle à force d'outrances.

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ACCUEIL :

Le film rencontre le succès habituel des films de Louis avec plus de cinq millions d'entrées, un des meilleurs scores de l'année 1968.

Pour n'importe quel acteur, ce serait un triomphe, pour Louis de Funès, c'est un bon succès, dans sa moyenne enregistrée depuis l'année 1964.

SYNTHÈSE :

Un film à part dans la carrière de Fufu, mais encore un tout bon.

LES SÉQUENCES CULTES :

Ne me parlez jamais de papa !

C'est épouvantable !

Notre Dame des Courants d'Air

C'est psychique !

Comment ça s'arrête ?

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2. LE TATOUÉ

Production : Raymond DANON, Robert DORFMANN, coproduction franco-italienne
Scénario : Alphonse BOUDARD
Adaptation : Pascal JARDIN
Dialogues : Pascal JARDIN
Réalisation : Denys de la PATELLIERE
Musique : Georges GARVARENTZ

Un riche négociant de tableaux découvre par hasard un Modigliani tatoué sur le dos d'un ancien légionnaire au caractère truculent. L'homme refuse ses propositions d'achat, mais accepte de vendre le Modigliani en viager en échange de la restauration complète de sa propriété de campagne aux frais de son acheteur. L'ancien légionnaire Legrain est en réalité le dernier comte de Montignac, et la simple maison de campagne que s'attend à trouver l'amateur de tableaux n'est autre qu'un château en ruines situé dans le Périgord Noir...

GENÈSE :

Le rôle de l'ancien légionnaire Legrain est évidemment créé de toutes pièces pour Jean Gabin, abonné depuis belle lurette à ces compositions de personnages hauts-en-couleur. Il s'agit d'un scénario d'Alphonse Boudard, qui est habitué à travailler avec Gabin. Maître du dialogue argotique, Boudard se situe dans la lignée des auteurs populaires gouailleurs tels Antoine Blondin, Michel Audiard, ou René Fallet. Issu de la Résistance, mais opposé aux excès communistes et rallié à De Gaulle, Boudard glisse peu à peu vers la délinquance après la Libération. Reconverti écrivain, ses romans seront largement autobiographiques, relatant son expérience du milieu des petits cambrioleurs parisiens, même si des pseudonymes sont employés afin d'éviter des procédures judiciaires.

Pascal Jardin est chargé de l'adaptation et des dialogues, et Denys de la Patellière de la réalisation. Louis de Funès apparaît comme un intrus parmi tous ces familiers de Gabin, engagé parce que devenu le favori des spectateurs et parce que le rôle de Mézeray lui va comme un gant.

Il est de notoriété publique que Jean Gabin n'appréciait pas Louis de Funès, qu'il traitait de « clown ». Pourtant, les deux hommes s'étaient rencontrés à plusieurs reprises, sur La traversée de Paris puis Le Gentleman d'Epsom, et même auparavant sur Napoléon, un film peu connu de l'année 1954. Mais c'était la première fois que De Funès, devenu l'acteur français le plus populaire, se trouvait théoriquement sur un pied d'égalité avec lui.

Louis, impressionné par la stature de Gabin, n'a jamais osé le tutoyer. Or, Jean Gabin aurait apprécié plus de complicité avec son partenaire.

RÉALISATEUR :

Denys de la Patellière, né Dubois de la Patellière, est issu d'une famille anoblie à la Restauration. Il débute au cinéma en tant qu'assistant de Maurice Labro, puis fait carrière comme metteur en scène spécialisé dans les films avec Jean Gabin, plutôt dans le genre dramatique tels Les Grandes familles. Il a également réalisé le film de guerre Un Taxi pour Tobrouk, avec Lino Ventura.

De la Patellière avait donc l'habitude de travailler avec Gabin, et avait naturellement constitué pour ce film une équipe Gabin. Il a lui-même révélé que Louis de Funès ne s'était jamais senti à l'aise sur le tournage, le fait étant aggravé par sa mésentente avec son partenaire principal.

Ce ne fut donc pas facile pour Fufu, qui travaillait depuis son arrivée au sommet du cinéma français populaire avec des équipes bâties autour de lui et des réalisateurs à ses ordres, ou presque.

DÉCORS :

L'essentiel des extérieurs a été tourné en Dordogne, fait notable puisqu'il est rare que les prises de vues aient lieu aux endroits où les films sont censés se dérouler. Ici, c'est donc véritablement le Périgord qui a fait office de décors.

Les scènes se déroulant dans la bourgade voisine du château ont été tournées à Domme, un des plus beaux villages de France, et le château est celui de Saint-Vincent-le-Paluel, non loin de Sarlat. Aujourd'hui encore, ce château est en ruine, et non ouvert aux visites.

Quelques scènes ont été tournées à la forteresse du Mont-Valérien, située à Suresnes dans les Hauts-de-Seine, ainsi qu'à l'aéroport de Paris.

Les intérieurs ont été filmés aux studios de Boulogne.

La voiture des années folles de Legrain est une Chenard et Walcker de 1920. Cette firme d'automobiles a cessé sa production avec la seconde guerre mondiale, et s'est reconvertie dans les camionnettes à la Libération avant d'être absorbée par la société Chausson, une filiale de Peugeot.

GÉNÉRIQUE :

Pas de séquence pré-générique et une entame peu attirante sous la forme d'un générique interminable à l'ancienne. La musique de Georges Garvarentz est assez quelconque, voire désuète, et le visuel ne remonte pas le niveau, constitué de gros plans sur ce qui semble être des tableaux.

Georges Garvarentz est surtout connu pour avoir composé les musiques des chansons de son beau-frère Charles Aznavour, d'origine arménienne comme lui. On lui doit aussi quelques musiques de films, notamment celle d'un autre film de Denys de la Patellière, Un Taxi pour Tobrouk, mais qui n'ont jamais égalé ses compositions pour Aznavour, principales réussites de sa carrière.

SCÉNARIO :

L'idée semble avoir été insufflée à Alphonse Boudard par un fait divers des années soixante, lorsqu'un producteur de cinéma avait proposé à une starlette d'apparaître nue dans un film, avec un tatouage sur une fesse qui devait par la suite être prélevé pour être vendu aux enchères. Cette marche vers une marchandisation excessive de la société avait tout pour inspirer un auteur comme Boudard.

Félicien Mézeray, un parvenu enrichi dans le commerce des tableaux, procède à quelques achats chez un modeste peintre où il fait la connaissance d'un certain Legrain, ancien légionnaire au caractère expansif venu poser pour le barbouilleur. Mézeray est stupéfait de découvrir un croquis de Modigliani tatoué dans le dos de son interlocuteur. Le futur maître avait fait cette gravure alors qu'il était inconnu, lorsque les deux hommes s'étaient rencontrés dans un bar, par hasard, Legrain ignorant alors l’identité de l’apprenti tatoueur.

Mézeray fait aussitôt des propositions à Legrain, mais ce dernier les refuse toutes. Homme solitaire et iconoclaste, il affirme ne pas être intéressé par l'argent et éconduit vertement Mézeray lorsque le négociant a le toupet de venir le relancer chez lui, dans sa petite maison de Saint-Ouen.

Persuadé qu'il finira par convaincre ce farfelu récalcitrant, Mézeray négocie avec deux acheteurs américains qui acceptent de lui racheter pour 150 millions un lot de peintures sans intérêt dont il veut se débarrasser, en échange de la promesse de cession du Modigliani pour la somme de 500 millions.

Mézeray a obtenu des Américains tout ce qu'il souhaitait en menaçant de céder le Modigliani à un de leurs concurrents. Reste à convaincre Legrain, non seulement de céder le tatouage, mais d'accepter une opération de décollement de la peau.

Lors des négociations avec un Legrain toujours aussi intraitable, et qui refuse même la somme de cinquante millions, Mézeray apprend que le légionnaire possède une propriété à la campagne. Il propose de la rénover à ses frais en échange de son accord au sujet du Modigliani.

Legrain accepte de signer le contrat, mais uniquement lorsque les travaux seront commencés. Qu'à cela ne tienne ! Les deux hommes partent ensemble dans la voiture d'avant-guerre du légionnaire. 

Mézeray, qui espère acquérir le Modigliani pour une bouchée de pain, ne va pas tarder à déchanter. Il s'attendait à devoir remettre en état une petite maison dans la proche banlieue de Paris, et se retrouve face à un château en ruines dans le Périgord Noir !

L'ancien légionnaire Legrain est en réalité le dernier descendant des comtes de Montignac, et Monsieur le Comte, devenu trop pauvre pour remettre en état le château dont il a hérité, avait choisi dans sa jeunesse de s'engager dans la Légion sous le nom de jeune fille de sa mère, l'ancienne domestique de son père, dont il a hérité la modeste maison de Saint-Ouen, puis de mener une vie de bohème sans lois ni contraintes sociales.

Mézeray tient trop au Modigliani pour renoncer, d'autant plus qu'il l'a déjà revendu aux Américains et qu'il risque de sérieux ennuis s'il ne tient pas ses engagements. Il réussit à faire venir un entrepreneur sur le champ, moyennant une belle avance, et les travaux peuvent débuter.

Legrain-Montignac se fait tirer l'oreille pour signer le contrat car, à la suite d'une méprise, il a cru que Mézeray voulait le faire assassiner pour s'emparer tout de suite du Modigliani. Mézeray lui explique que sa mort n'est pas nécessaire puisqu'une simple opération de décollement de la peau peut suffire.

Monsieur le Comte refuse catégoriquement l'opération, et le Modigliani est donc vendu seulement en viager au musée de Boston. Afin de se prémunir contre toute détérioration, et en raison de l'âge du porteur, Montignac doit subir un examen de la peau. Le dermatologue recense un simple risque de déformation en cas d’excès de cellulite, et en conséquence le comte se voit proposer d'entretenir son corps et de garder sa ligne par le sport.

Méfiant, Mézeray l'accompagne et participe lui-même à différentes activités sportives. Les deux hommes, dotés de caractères très différents, finissent néanmoins par sympathiser.

Le chef d'entreprise pressé, qui est passé à côté de tant de loisirs en raison de son obsession de pouvoir et d'argent, découvre soudain la bonne vie, enseignée par ce bon vivant si truculent, le rabelaisien comte de Montignac. Mézeray prend goût aux blagues de son nouvel ami, et les deux hommes vont s'amuser à faire profiter de leur spécialité maison, à savoir la relégation (provisoire) dans les oubliettes du château de Montignac, le préfet et un ministre désireux de visiter ce château en cours de restauration.

DISTRIBUTION :

Rôle sans surprise pour Louis de Funès que celui de Félicien Mézeray, ancien pauvre devenu entrepreneur vorace et sans scrupules.

On ne peut pas dire que la prise de risque soit au programme puisque le personnage de l'ancien légionnaire Legrain, alias le comte de Montignac, est tout aussi caricatural de ce qu'était déjà devenu le rôle-type de Jean Gabin, à savoir un fort en gueule, un bon vivant gouailleur, un curieux mélange d'excentricité sur la forme et de conservatisme désuet sur le fond. Montignac est presque un bobo avant l'heure si l'on excepte son attachement à certaines traditions, sans doute hérité de ses ascendances aristocratiques.

Face à ces deux monstres sacrés, les autres comédiens tiennent des rôles très secondaires. Dominique Davray est plutôt inattendue en tant qu'épouse de Louis de Funès à l'écran. Suzanne Mézeray semble être complètement idiote puisqu'elle passe son temps à rire bêtement. Malgré la sympathie qu'inspire la comédienne, on ne regrettera donc pas trop que son personnage, véritable concurrent de l'inénarrable Denise Fabre dans le registre des rires stupides et sonores, soit peu présent.

Paul Mercey,c'est l'entrepreneur en bâtiment Pellot, celui que Mézeray persiste à appeler « Pelé ». Alléché par les liasses de billets de son client, il accepte sans sourciller de débuter les travaux le matin même du mariage de sa fille.

Yves Barsacq, que l'on reverra sur plusieurs Gendarme, interprète le postier, Henri Virlogeux le peintre Dubois, et Hubert Deschamps le professeur Mortemont, autoproclamé « meilleur dermatologue de France ».

Le domestique noir des Mézeray n'est autre que le sympathique IbrahimSeck. D'origine sénégalaise, ce comédien connu pour son rire sonore fut le premier homme de couleur admis au Conservatoire d'art dramatique de Paris. On le reverra dans d'autres films de Louis (L'Homme-orchestre et La Zizanie), avant qu'il ne devienne un habitué des Jeux de vingt heures dans les années 80. Il est décédé en 1997 dans sa 59ème année.

Les deux détectives engagés par les américains sont interprétés par Patrick Préjean et Pierre Maguelon, alors que leurs employeurs yankees sont joués par Jo Warfield et Donald Von Kurtz. Un réalisateur de télévision va rejoindre les deux enquêteurs dans les oubliettes, et c'est Michel Tureau qui hérite du personnage ; ce jeune comédien avait obtenu un rôle beaucoup plus important dans Faîtes sauter la banque, film où il incarnait le fils de Louis de Funès.

Pierre Tornade interprète le brigadier, Jean-Pierre Darras le facteur Lucien, tous deux exerçant à Montignac, alors que Pierre Mirat est le ministre promis aux oubliettes...

Pierre Repp joue son personnage habituel de bègue sous les traits d'un paysan. Quant aux petits rôles des pilleurs de châteaux, bons eux aussi pour les oubliettes, ils sont tenus par Jacques Richard, Jacky Blanchot, et Jack Bérard.

TEMPS FORTS :

Les meilleurs moments sont concentrés dans les vingt premières minutes, puis le film s'enlise, victime de l'épuisement rapide du scénario, visiblement pas assez travaillé. Le Tatoué constitue donc une relative déception, même si le film vaut la peine d'être vu pour la performance toujours impeccable de Louis de Funès et le cabotinage de Jean Gabin. Néanmoins, ce demi-échec est une nouvelle preuve qu'un duo d'acteurs vedettes, aussi excellents soient-ils, ne suffit pas à faire un grand film si le scénario ne suit pas.

Quelques années avant « Rabbi Jacob », De Funès joue avec son domestique de couleur au raciste honteux. Il demande subrepticement à ses invités américains :

« Ça ne vous dérange pas qu'il soit noir ? Vous n'êtes pas raciste ?... Moi non plus, quelle horreur ! »

Un peu plus tard, alors que le valet demande à son maître sur un ton agressif :

« Pourquoi vous me regardez de si haut ? Parce que je suis le valet de chambre ? Parce que je suis Noir ? »

Mézeray, interloqué, finit par répondre :

« Mais... Mais vous n'êtes pas Noir ! »

Dans un autre registre bien connu, celui de la mauvaise foi, Mézeray minimise le caractère rugueux de Legrain en affirmant aux Américains :

« C'est un monsieur très charmant, très gentil, très bien élevé ! »

De Funès mime un asiatique, avec musique assortie, en faisant croire qu'il va vendre le croquis aux deux concurrents des yankees. Ainsi, il réussit à leur refiler un ensemble de tableaux dont il voulait se débarrasser pour 150 millions, en sus des 500 millions à débourser pour le Modigliani.

Néanmoins, la scène probablement la plus drôle est ce dialogue entre les époux Mézeray, tenu alors qu'ils viennent de se coucher dans leurs lits jumeaux :

- Écoute, mon petit coco...
- D'abord, je ne suis pas ton petit coco. Je ne suis le petit coco de personne ! Est-ce que j'ai une tête de petit coco ?

Dans la foulée, Mézeray demande à sa femme de ne plus le tutoyer en raison de la certaine aisance et de la classe qu'ils ont désormais acquis. Mais lorsqu'il lui téléphonera en urgence depuis Montignac, il oubliera le vouvoiement, prétextant qu'il n'a pas le temps...

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Dans la seconde partie du film, celle qui se déroule à Montignac, les seuls passages remarquables sont la variante de la musique de La Panthère Rose, jouée pendant la scène des pilleurs de châteaux, et l'intermède à Paris avec les Américains lorsque Mézeray, pour tester le degré de compréhension de la langue française de ses interlocuteurs, désigne son œil en affirmant qu'il s'agit d'un pied, et même d'un gros pied, ce qu'un des deux visiteurs répète sans sourciller, puis montre son oreille qu'il appelle « le cheval » ; l'assentiment de l'Américain l'amène à conclure :

« Il n'a rien compris ! »

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Quant à Jean Gabin, son personnage de fort en gueule est assez drôle, mais finit par lasser. Pourtant, tout avait bien commencé avec quelques dialogues d'anthologie :

« Est-ce que j'ai une tête à avoir une reproduction ? »

Et surtout, parlant des deux Américains :

« Ça va dans la Lune avec des ordinateurs et du Coca-Cola, mais ça bouffe du gigot à la confiture ! »

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POINTS FAIBLES :

Les rires stupides de Madame Mézeray ternissent une entame de film globalement réussie. Mais le gros point faible est le délitement du scénario au fur et à mesure de l'avancement des séquences filmées en Dordogne. Le coup des oubliettes est trop souvent répété pour demeurer drôle jusqu'à la fin. 

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Si la baisse de régime est patente dès l'arrivée à Montignac, elle s'accentue après la visite du dermatologue, et les différentes scènes de sport produisent une fin médiocre, pas même sauvée par la dernière séquence du ministre et du préfet promis aux oubliettes. Voilà qui aurait pu être amusant si le spectateur n'avait pas été totalement anesthésié par des séances de karaté ou de patinage sans le moindre intérêt.

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ACCUEIL :

De Funès et Gabin obligent, le film réalise un joli score avec 3 200 000 entrées en France. On peut néanmoins penser qu'avec de tels comédiens à l'affiche, le succès aurait été beaucoup plus net si la qualité de l'histoire avait été meilleure, entraînant un bouche-à-oreille qui eut été flatteur.

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SYNTHÈSE :

Quelques bons moments ne suffisent pas à faire un grand film, même avec des acteurs exceptionnels.

LES SÉQUENCES CULTES :

Mettez y le pépé, la mémé, mettez y tout le monde !

Mais vous n'êtes pas noir !

Est-ce que j'ai une tête de petit coco ?

C'est une ruine !

Manger des tripes sans cidre, c'est aller à Dieppe sans voir la mer.

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3. LE GENDARME SE MARIE

Production : Société Nouvelle de Cinématographie, Gérard BEYTOUT
Scénario : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT
Adaptation : Jacques VILFRID, Jean GIRAULT, Richard BALDUCCI
Dialogues : Jacques VILFRID
Réalisation : Jean GIRAULT, Bernard FARREL (seconde équipe)
Musique : Raymond LEFEVRE

Le Maréchal-des-Logis chef Cruchot tombe amoureux de la veuve d'un colonel de gendarmerie, venue à Saint-Tropez pour les vacances d'été, et qu'il avait malencontreusement arrêtée pour excès de vitesse. Il se retrouve coincé entre sa fille Nicole qui a du mal à accepter sa future belle-mère, et l'adjudant Gerber, amoureux lui aussi de la séduisante Josepha. Ce rival inattendu l'incite à rompre pour son plus grand intérêt, mais l'opération échoue. Après avoir affronté Gerber lors de l'examen d'adjudant-chef, Ludovic doit se lancer à la poursuite d'un malfaiteur évadé de prison qui a enlevé la colonelle pour se venger de son arrestation, œuvre de Cruchot.

GENÈSE :

Après le succès des deux premiers Gendarme, un troisième film est naturellement mis en œuvre. Il s'agit alors de trouver un sujet original afin de ne pas laisser la série s'enliser. Le brave Cruchot va donc se retrouver amoureux et manifester le désir d'offrir une belle-mère à Nicole.

Le tournage est probablement le plus mouvementé des six films de la série. Alors qu'il est déjà bien entamé, les événements de mai 1968 vont perturber son déroulement. Plusieurs techniciens se mettent en grève, rejoints par Christian Marin, ce qui agace Louis de Funès.

Les gags imaginés par Louis ne sont pas forcément retenus par Jean Girault, pourtant très conciliant avec son acteur principal, ou alors mis en scène puis rejetés par leur auteur. Ainsi, De Funès refusera d'intégrer au film une scène illustrant son idée de brigade de gendarmerie sous-marine, malgré le coût élevé des prises de vues afférentes.

À noter qu'il s'agit du dernier film de la série où Nicole est présente. Dans Le gendarme en balade, elle sera simplement évoquée par son père.

RÉALISATEUR :

Jean Girault et son assistant Tony Aboyantz prennent les rennes de la réalisation. Mais est-il utile de préciser ce fait ? Peut-on imaginer un Gendarme mis en scène par un autre réalisateur ?

DÉCORS :

Finies les excentricités new-yorkaises sur ce film intégralement tourné à Saint-Tropez et dans ses environs, selon une recette désormais bien au point. Les décors naturels de rêve et la prestation de Fufu compensent la faiblesse relative du scénario.

Le tournage est endeuillé par la mort d'un cascadeur qui doublait Claude Gensac lors de la scène où Josepha arrive en trombe devant la gendarmerie de Saint-Tropez dans sa belle décapotable rouge ; la scène sera évidemment coupée au montage.

Les séquences de plongée sous-marine sont dues au producteur Paul de Roubaix, spécialiste du genre tout comme son fils François, le célèbre et talentueux compositeur de musiques de films qui d’ailleurs perdra la vie dans un accident de plongée en 1975.

GÉNÉRIQUE :

Plusieurs singularités sont au programme de cette nouvelle mouture, à commencer par l'absence de séquence pré-générique, une innovation qui ne convainc pas et ne sera pas renouvelée. Le film débute donc directement par le générique, constitué de vues aériennes de Saint-Tropez et de ses environs immédiats. Ces images ont beaucoup moins de saveur en l'absence du début de scénario que l'on peut trouver dans une séquence d'introduction, bon moyen d'appâter le spectateur.

La musique de Raymond Lefèvre a également été changée, et manque un peu de tonus si on la compare à ses compositions précédentes.

Autre modification qui apparaît presque de nos jours comme une hérésie, l'absence du traditionnel défilé sur le port de Saint-Tropez lors du générique final. Le film s'achève par un plan sur la baie de Saint-Tropez depuis la sortie de l'église où Cruchot et Josépha viennent de convoler... tout comme Nicole et son bellâtre. 

SCÉNARIO :

On ne change pas une équipe, ou plutôt une recette, qui gagne ; telle pourrait être la devise des producteurs qui se contentent de la prestation habituelle de Louis et de ses faire-valoir sur un scénario certes pas mauvais, mais sans la moindre trace de génie.

Nous sommes le 1er juillet. C'est le début des vacances d'été, et la gendarmerie décide d'organiser une vaste opération de police en civil pour traquer les automobilistes indisciplinés. Gerber charge Cruchot de l'organisation, et nos gendarmes se retrouvent vêtus comme des estivants, au volant de voitures décapotables ou se livrant aux délices de l'autostop.

Ludovic exerce sa tâche avec un certain zèle, ce qui n'est pas le cas de Tricart et Berlicot, plus préoccupés de faire la cour à deux jolies autostoppeuses suédoises peu farouches découvertes à l'arrière du tracteur qui les a pris en charge, que par la chasse aux chauffards. Notre chef Cruchot manque de s'étrangler en découvrant ses hommes en galante situation, et ce à deux reprises.

Alors qu'il s'apprêtait à verbaliser un automobiliste, Cruchot se lance à la poursuite d'une décapotable rouge conduite par une folle du volant. Mais il est victime d'une sortie de route et se retrouve malencontreusement face à la commission de suspension du permis de conduire qui décide le retrait immédiat à l'unanimité ! Pour couronner le tout, le malheureux Ludovic passe à la moulinette les gants d'un haut ponte de la gendarmerie !

Rentré à la brigade, Cruchot n'en croit pas ses yeux : la voiture rouge stationne devant les locaux ! Le gendarme croit que sa conductrice a enfin été arrêtée, mais il n'en est rien. En fait, sa propriétaire n'est autre que la veuve du colonel Lefrançois, commandant de la section de gendarmerie de Basse-Normandie, et amie personnelle de plusieurs ministres et même du général de Gaulle. Cette quadragénaire blonde et élégante, en vacances dans la région, est venue demander à l'adjudant Gerber une surveillance de la villa isolée qu'elle a louée dans les environs.

Cruchot fond sur sa victime pendant que l'adjudant Gerber est allé chercher à boire et des petits fours. Ludovic tance son adversaire sans ménagement, et la traite même de folle, avant que Gerber ne surgisse et ne lui révèle l'identité de la visiteuse. Atterré, Cruchot n'ose pas se retourner pour présenter ses excuses à la visiteuse, prénommée Josepha.

Touchée par la sincère confusion de Ludovic, Josepha se hâte de faire la paix avec celui qui lui rappelle son mari par son caractère « sévère, mais juste ». C'est le coup de foudre, au sens figuré comme au sens propre, et au grand ébahissement de Gerber qui se demande ce qui se passe. Josepha prétexte les excuses que Cruchot lui devrait pour l'inviter à prendre le thé dans sa villa.

L'idylle continue lors du rendez-vous alors que Fougasse et Merlot n'en perdent pas une miette, juchés en observation sur un arbre haut perché, et vite repérés par Cruchot.

Josepha invite Ludovic à danser. Le gendarme décide de prendre des cours de danse incognito et aide à la capture d'un malfaiteur alors qu'il apprenait à se déhancher sur un tempo endiablé. Désireux de cacher sa présence dans cette académie de danse, Cruchot semblait fuir les gendarmes tout comme le malfaiteur, du coup convaincu de se trouver en présence d'un collègue. Ulcéré par la « traîtrise » de Cruchot qui s'ensuit, « Frédo le Boucher » jure de se venger avant d'être conduit en prison.

Le manège de Cruchot finit par intriguer sa fille qui entreprend de l'espionner et se retrouve dans la discothèque où les deux tourtereaux s'amusent comme des fous. Nicole intervient en se faisant passer pour une danseuse délurée qui se jette au cou de Ludovic. L'incident n'est pas du goût de Josepha, cependant loin de se douter de l'identité de l'intruse : en effet, afin de se rajeunir, son amoureux s'est présenté comme « veuf avec une toute petite fille, encore une enfant » (!)

Vient le jour où Josepha rend visite à Ludovic avec une poupée en guise de cadeau pour la « petite fille ». La rencontre entre les deux femmes est explosive, mais Josepha sait s'y prendre pour faire de Nicole son amie. Les deux rivales deviennent vite inséparables, au grand dam de Cruchot qui se sent dépossédé de sa fille.

L'adjudant Gerber profite de la situation. Amoureux lui aussi de Josepha, il affirme à son subordonné qu'il ne s'agit pas d'une femme pour lui, et qu'il faut rompre. Pour ce faire, il propose à Cruchot de le faire surprendre par Josepha dans une boîte de nuit en pleine débauche avec des filles ; les autostoppeuses suédoises sont mises à contribution, mais l'intervention inopinée de Nicole et de l'épouse de Gerber fait échouer le plan. Les explications de Josepha font comprendre à Ludovic les manipulations de son chef, à qui il voue un ressentiment certain.

Josepha ne veut pas laisser son fiancé s'enliser dans les grades subalternes et le pousse à préparer l'examen d'adjudant-chef que Gerber va passer également. Les épreuves sont difficiles pour Cruchot, en particulier un oral où il ne sait pas répondre à certaines questions. Pourtant, c'est lui qui est reçu à l'examen.

La traversée du désert débute pour l'adjudant Gerber, relégué dans un petit bureau et contraint d'obéir aux ordres d'un Cruchot qui a pris la grosse tête et se montre odieux avec lui sous une apparence faussement bienveillante. Fougasse flatte le nouvel adjudant-chef alors que Merlot reste fidèle à Gerber, le malheureux gendarme « en exil » qui n'hésite pas à se comparer à Napoléon !

Alors que Cruchot contraint ses hommes, Gerber compris, à suivre un entraînement sous-marin afin de régler la circulation des estivants plongeurs, la fin de « l'exil » se produit avec l'arrivée du colonel de gendarmerie. Le système électronique de comptabilisation des résultats de l'examen s'est avéré défaillant, et à la suite de la vérification manuelle des points obtenus, c'est en fait l'adjudant Gerber le lauréat, rétabli dans son grade avec effet de solde rétroactif.

Humilié par Cruchot pendant son « exil », Gerber se venge en forçant Cruchot à suivre les exercices d'entraînement sous-marin qu'il avait mis en place. Mis à l'eau de force par Merlot, l'allié de Gerber, il fait un malaise et se retrouve cloué au lit en convalescence.

C'est alors que « Frédo le Boucher » s'évade et entend bien se venger de celui qui l'a fait arrêter. Il investit la villa de la colonelle et la force à appeler la gendarmerie et à inviter « l'adjudant-chef » à venir la retrouver dans son lit. Le malfaiteur ne sait pas que le poste d'adjudant-chef est revenu à Gerber, ce qui sert les intérêts de Josepha. C'est Gerber, toujours aussi épris de la belle, qui reçoit le message d'amour nocturne, et se rend immédiatement au rendez-vous en se gaussant de l'infortune de Cruchot.

Gerber est assommé par « Le Boucher » à la place de Cruchot. Le bandit se rend compte de son erreur, et pour se venger enlève Josépha et part avec elle dans la décapotable. Cruchot se lance aux trousses des fuyards. Victime d'un accident, il retrouve alors Sœur Clothilde, et termine avec elle la poursuite dans son side-car.

« Frédo le Boucher » est arrêté, la colonelle sauvée, et Ludovic peut enfin demander sa promise en mariage. Il n'est pas le seul à convoler puisque sa fille Nicole en fait autant, et le même jour que lui !

DISTRIBUTION :

Louis de Funès est plus Cruchot que jamais dans cette nouvelle aventure. Le personnage se montre sous différentes facettes : côté professionnel, il s'agit de l'épisode où la rivalité avec Gerber est la plus vive, et la mégalomanie de Ludovic va apparaître au grand jour à l'occasion de sa promotion. L'humiliation de Gerber atteint alors des sommets : longtemps sous le joug de l'adjudant, Cruchot profite de l'occasion pour prendre sa revanche, et le fait sans complexe et sans la moindre retenue. Mais Ludovic a également une vie privée, et là aussi il rencontre la concurrence féroce de l'adjudant Gerber, secrètement épris de Josepha.

Michel Galabru est donc le rival affirmé de Louis de Funès, du moins en ce qui concerne leurs personnages respectifs car la vedette du film est sans conteste Fufu. On avait remarqué lors des opus précédents l'irritation manifestée par Gerber à l'encontre de Cruchot, quitte à s'appuyer sur les grades subalternes pour lui donner cours. Cette fois, la rivalité s'exerce à la fois dans la vie personnelle du fait de la présence de Josepha, et dans la profession avec l'examen d'adjudant-chef où Cruchot, influencé par Josepha, concurrence Gerber.

Le scénario a réservé des rôles particuliers aux deux gendarmes principaux hormis Gerber et Cruchot : ainsi, Fougasse, toujours interprété par Jean Lefebvre, et malgré la punition infligée par Ludovic lors de la séquence d'espionnage du haut de l'arbre, est celui qui va flatter Cruchot au plus haut point lorsque ce dernier aura réussi (ou aura cru réussir...) l'examen d'adjudant-chef.

Au contraire, Christian Marin reste fidèle à Gerber dans le rôle de Merlot. Le fait suscite l'incompréhension de ses collègues pour qui Gerber est relégué en second plan, mais finalement, Merlot a su jouer le bon cheval. On remarquera la différence entre Cruchot et Gerber concernant le sort réservé aux subordonnés : non seulement Cruchot est plus dur avec Gerber que ce dernier ne l'a jamais été avec lui lorsque les rôles étaient inversés, mais le protégé de Gerber, en l'espèce Merlot, se voit exempté d'exercices sous-marins, ce qui n'est pas le cas de Fougasse qui a pourtant tenté de devenir le chouchou de Cruchot à grand renfort de bouquets de fleurs et amabilités de toutes sortes : Fougasse doit plonger comme les autres sous la direction de Cruchot, et finit par participer à la fronde de « l'eau recrachée » juste avant la fin de l'épisode « Cruchot chef ».

L'air de rien, le film a su mettre en exergue les capacités de Gerber à exercer des fonctions de commandement, mises en relief par la relative incompétence de Cruchot lorsqu'il lui succède, Ludovic se laissant emporter par son esprit de revanche et ses sentiments hiérarchiques excessifs.

Guy Grosso et Michel Modo restent plus effacés dans les rôles des gendarmes Tricard et Berlicot, mais la qualité de ces deux acteurs leur permet de tirer leur épingle du jeu dans des compositions réduites à une portion plutôt congrue.

Claude Gensac, désormais épouse attitrée de Louis de Funès à l'écran, devait fatalement être intégrée à la série tant elle a marqué les esprits dans ce rôle récurrent, à un point tel que nombre de spectateurs croyaient qu'elle était la moitié de Louis de Funès à la ville comme à l'écran ! Josepha Lefrançois, remarquée pour sa conduite automobile très « sportive », est une femme distinguée et élégante, ce qui fut le cas de la plupart des épouses de De Funès à l'écran ; mais elle a une forte influence sur son futur mari, et voilà l'innovation par rapport à nombre de personnages antérieurs de Fufu, habitués à une épouse soumise se contentant d'un simple rôle de faire-valoir.

France Rumilly est reconduite dans le rôle de Sœur Clothilde. Si l'on est heureux de la retrouver dans un environnement français après l'escapade américaine, l'absence de la Deux-Chevaux, remplacée par un side-car, est passablement décevante, même si les cascades sont toujours aussi spectaculaires. On remarquera que cette série fait la part belle aux « folles du volant » depuis Josepha jusqu'à cette religieuse désopilante.

On retrouve donc pour la dernière fois la fille de Cruchot, interprétée comme il se doit par Geneviève Grad. Nicole joue à nouveau un rôle essentiel, notamment dans la première partie du film, lorsqu'elle se montre d'abord jalouse de Josepha, puis trop complice avec elle.

Mario David était un acteur souvent présent dans l'entourage de Louis. Ce roi du second rôle qu'on remarque se retrouve dans la peau de Frédo le Boucher, le petit voyou arrêté par Cruchot lors de la scène de l'école de danse, et qui va revenir en fin de film pour tenter de se venger.

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Et dans cette école de danse, les professeurs sont interprétés par Bernard Lavalette et Dominique Davray. Cette dernière actrice aura vraiment tenu tous les rôles sur les films de Fufu : tenancière de bistrot mal famé dans Les Grandes vacances, épouse de De Funès dans Le Tatoué, professeur de danse ici avant de devenir religieuse dans le Gendarme suivant...

Yves Vincent est parfait en colonel de gendarmerie. Observateur averti des fourberies de Cruchot envers Gerber lors de l'examen écrit d'adjudant-chef, il ne va pas se faire prier pour rendre la pareille à Ludovic lors de l'épreuve orale, mettant au supplice l'infortuné Cruchot ignorant de la distance à laquelle le premier tireur doit se tenir d'une herse.

Madame Gerber est toujours interprétée par Nicole Vervil, et l'on retrouve d'autres familiers de Louis de Funès avec Jean Ozenne en préfet de police et Dominique Zardi en candidat à l'examen.

 

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Quelques micro-rôles complètent la distribution, avec notamment Yves Barsacq qui joue l'automobiliste qui percute Cruchot (il tiendra un rôle similaire dans le Gendarme suivant), Maurizio Bonuglia en ami de Nicole, Claude Bertrand en « Poussin Bleu », Robert Destain dans le rôle du commandant, René Berthier dans celui de l'officier qui tance Gerber, coupable d'être monté sur une table pour espionner Cruchot lors de l'examen, et Rudy Lenoir, un candidat à ce même examen.

Une invitée surprise se trouve dans la distribution : ce n'est nul autre que Nicole Garcia qui fait une apparition en jeune fille demandant à Cruchot, alors promu « chef », d'échapper à une contravention.

 

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TEMPS FORTS :

Le Gendarme se marie est bâti assez différemment des autres films de la série. Son intensité est très linéaire, là où on a plus l'habitude de rencontrer quelques scènes irrésistibles qui ressortent d'un ensemble de niveau plus aléatoire.

Le résultat, c'est que le film, de très bonne qualité, ne souffre pas de temps morts, mais ne compte pas ou peu de séquences absolument irrésistibles comme on a pu en trouver dans Le Gendarme de Saint-Tropez ou même dans Le Gendarme à New-York, pourtant intrinsèquement moins bon que Le Gendarme se marie, ou comme on en retrouvera deux ans plus tard dans Le Gendarme en balade.

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La première partie est consacrée à l'opération de police en civil. Les noms de code utilisés par Cruchot et ses hommes sont très drôles : « Crocodile », c'est Cruchot lui-même, surnom qui lui va bien, et a même failli devenir plus tard le titre du cinquième film de Louis de Funès avec Gérard Oury, le crocodile en question n'étant autre qu'un dictateur sud-américain avant que le projet ne soit abandonné. « Poussin Bleu » est le policier motorisé chargé d'appréhender les automobilistes en excès de vitesse signalés par « Crocodile » Cruchot par voie de talkie-walkie. « Caligula » et « Chérubin » sont attribués aux hommes de Cruchot.

L'épisode « opération de police » se termine avec la fameuse scène de rencontre entre Ludovic et sa promise, rencontre explosive au départ, et va être suivi par la honte de Cruchot. Il n'ose se retourner pour faire face à la colonelle et se lamente auprès de Gerber parce qu'il a fait pipi dans sa culotte ! Vient alors l'image probablement la plus marquante du film, celle qui est restée gravée dans la mémoire du public : tout le monde aura compris qu'il s'agit du coup de foudre entre Ludovic et Josepha, ponctué par les étincelles qui se produisent lorsque le gendarme amoureux embrasse la main de sa promise.

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Stupéfait par ce phénomène, Gerber croit que son adjoint renferme une quantité impressionnante d'électricité statique. Afin de vérifier, il demande à Cruchot de lui embrasser les mains, et le fait recommencer lorsqu'il constate que rien ne se produit. Les gendarmes Tricard et Berlicot assistent à cette scène de manière impromptue, et commencent visiblement à se poser des questions au sujet de leurs chefs qu'ils soupçonnent d'être de mœurs spéciales (il existe finalement un nombre conséquent de gags dans ce genre)...

Les amours de Cruchot ne manquent pas d'intéresser Merlot et Fougasse, et c'est ce dernier qui fait les frais de la traîtrise de son compagnon et se retrouve puni par Cruchot pour avoir prétendument entraîné Merlot dans la séance d'espionnage depuis la cime d'un arbre.

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Il faut avouer que le brave Ludovic n'est guère discret : il teint ses tempes grisonnantes avant de rendre visite à Josepha, transforme Nicole en « toute petite fille » pour se rajeunir, et se renseigne auprès de celle-ci au sujet du cours de danse. Sa volonté de passer inaperçu auprès de ses collègues gendarmes lorsqu'il se rend aux leçons lui vaudra d'être pris pour un malfaiteur par « Frédo le Boucher ». Mario David est hilarant déguisé en femme ; il propose à Cruchot de « saigner un poulet » et le somme de choisir entre Tricard et Berlicot. Cruchot choisit le « Petit », mais Frédo lui signale qu'il le réserve pour lui, donc, il ne lui reste plus que le « Grand »...

Nicole, de prime abord hostile à Josepha, devient vite amie avec cette quadragénaire libérée qui s'habille à la dernière mode. Les deux femmes font les boutiques ensemble, imposent un régime diététique contraignant au pauvre Cruchot, choisissent les programmes de télévision : Ludovic doit subir un concert soporifique pendant que ses collègues regardent du football. Les deux péronnelles vont même changer le papier peint de sa chambre à son insu. La tête de De Funès lorsqu'il découvre des motifs colorés très agressifs sur tous les murs de sa chambre !

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Rendu maussade par cette complicité exagérée, Cruchot devient agressif avec ses hommes. L'adjudant Gerber décide de lui parler en ami et lui conseille de rompre. De Funès est encore très drôle lorsqu'il mime un homme en pleine débauche avec les Suédoises à chaque fois qu'il croit voir arriver Josépha guidée par Gerber. L'échec de ce plan est imputé à Cruchot par le sévère Gerber qui va jusqu'à affirmer que l'idée était de Ludovic et non de lui !

Furieux d'apprendre le double jeu de son supérieur, stupéfait qu'il ait tenté de séduire Josépha, Cruchot n'hésite pas à brocarder son physique, allant jusqu'à le comparer à un gorille, un « horrible gorille », même.

Tout rentre dans l'ordre, et Josépha incite son fiancé à passer l'examen d'adjudant-chef. Nicole et elle se chargent de faire travailler leur poulain et de gérer ses états d'âme. Le grand jour arrive, et c'est équipé d'une mallette et de stylos feutre dernier cri que Cruchot se présente à l'examen. Assis à côté de Gerber, il intrigue l'adjudant avec ses gadgets. Cependant, ce ne sont pas ces babioles qui vont l'aider à rédiger un bon devoir. Déçu de constater que Gerber semble meilleur que lui, Ludovic essaie de le déconcentrer en rendant son stylo inutilisable, mais la manœuvre échoue. Il tente alors de déstabiliser son concurrent en tapotant sur le bureau avec une règle.

Pendant la récréation, au lieu de se détendre en jouant au football avec les autres candidats, nos deux gendarmes évoquent l'épreuve qui vient de se dérouler. Aucun d'eux n'arrive à prendre l'autre en défaut, sauf Gerber qui piège Cruchot au sujet de la diffusion des informations. Ludovic s'en sort comme il peut :

- Vous avez pensé à la diffusion ?
- La diffusion ?
- Oui, la diffusion !
- Comment ça ?... Ah ! La DI-fusion. Oui, bien sûr ! Mais vous m'avez dit la diffusion. La DI-fusion, oui !

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L'épreuve orale tourne au cauchemar pour Cruchot, d'autant plus que l'examinateur, qui avait remarqué son mauvais esprit lors de l'écrit, prend un malin plaisir à le déconcentrer à son tour en tapotant sur le bureau avec sa règle lorsqu'il ne sait pas répondre ; ceci sous les yeux ravis de Gerber qui n'a pas hésité à grimper sur une table pour espionner la scène !

Il faut voir la tête et l'attitude de Cruchot lorsqu'il ressort de l'épreuve lessivé :

- Alors, ça s'est passé comment ? (Gerber, ironique)
- Très bien ! Très facile, très aimable...

Contre toute attente, Cruchot sort vainqueur de l'épreuve. Les séances de flatterie de Fougasse, très bien jouées par Jean Lefebvre, constituent un très bon moment. Fougasse offre des fleurs et du thé au nouvel adjudant-chef. Alors que Cruchot se plaint parce que le thé est trop chaud, Fougasse souffle dessus pour le rafraîchir, et il le fait ostensiblement avec un air de narguer Gerber, le chef déchu.

Cruchot prend véritablement la grosse tête lorsque Josepha lui propose d'essayer l'uniforme de colonel de son défunt mari. Il joue au chef condescendant lorsqu'une jeune invitée à une réception lui demande d'intervenir pour annuler une contravention, et intime l'ordre à Nicole de gagner au ping-pong :

« Gagne ! C'est une tradition dans la famille ! »

L'attitude de Cruchot envers Gerber est en même temps terriblement odieuse et très amusante. Comme d'habitude, plus De Funès est odieux, plus il est drôle. Extraits :

- Voici votre nouveau bureau !
- Mon nouveau bureau, qui ?
- Mon adjudant !
- Mon adjudant quoi ?
- Mon adjudant-chef !
- CHEF ! Souvenez-vous en, adjudant-CHEF !

 

- Vous savez que ça me gêne de vous donner des ordres ?
- Vous avez tort, parce que moi, si j'étais à votre place...
- Oh ! Les vilaines pensées...

 

« Si un jour, après avoir beaucoup travaillé, vous parvenez à un poste à haute responsabilité, comme moi, restez simple, modeste ! Repoussez l'orgueil ! »

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Gerber prendra sa revanche après que les véritables résultats soient rétablis en compagnie de son nouveau protégé Merlot, alors que les tentatives de retournement de Fougasse en sa faveur se heurteront à un mépris bien justifié. Revanche aussi sur le plan personnel, du moins Gerber va-t-il le croire, lorsque « Frédo le Boucher » oblige Josépha à lui donner un rendez-vous galant en pleine nuit.

« Pauvre Cruchot ! Elle n'aime que les vainqueurs... »

Au final, c'est néanmoins Cruchot qui triomphe, d'abord en assommant Gerber, coupable de cavaler encore et toujours après sa fiancée, puis en arrêtant « Frédo le Boucher » avec brio. Avant d'endormir Gerber, Cruchot l'avait pris pour Josepha, ligoté qu'il était dans les rideaux, mais s'était aperçu de sa méprise en lui embrassant la main : trop de poils sur la menotte de l'adjudant Gerber !

POINTS FAIBLES :

Peu de reproches à formuler hormis les innovations hasardeuses sur les génériques de début et de fin déjà évoquées. On peut regretter aussi l'absence de la Deux-Chevaux de Sœur Clothilde, remplacée par un side-car.

Encore cela n'est-il apparu qu'après coup, lorsque les films sont devenus cultes et que la Deux-Chevaux et le défilé final sont devenus indissociables de la série. Mais à la sortie du film, la Deux-Chevaux n'avait été vue que dans le premier Gendarme...

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ACCUEIL :

Avec plus de six millions de spectateurs, c'est une nouvelle réussite pour Louis de Funès, et une habitude pour la série des Gendarme.

Les mésaventures de Cruchot restent populaires à l'étranger : Italie, Allemagne, et Russie réservent un très bon accueil à ce nouveau film, là aussi sans aucune surprise.

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SYNTHÈSE :

Très beau succès pour un film certes loin d'être exceptionnel, mais bien servi par un De Funès toujours au sommet. 

LES SÉQUENCES CULTES :

J'ai dit au hasard !

Il me nargue !

Ça va qui ?

Votre nouveau domaine vous plaît-il ?

Vous occupez pas, regardez votre route !

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4. HIBERNATUS

Production : GAUMONT (France), RISOLI FILMS (Italie)
Scénario : d'après la pièce de Jean BERNARD-LUC.
Adaptation : Jean HALAIN, Jean BERNARD-LUC, Jacques VILFRID, Louis de FUNES
Dialogues : Jacques VILFRID, Louis de FUNES, Jean HALAIN, Jean BERNARD-LUC.
Réalisation : Edouard MOLINARO, Pierre COSSON (seconde équipe)
Musique : Georges DELERUE

Le corps d'un homme disparu depuis 65 ans est retrouvé congelé dans les glaces du pôle Nord. L'hiberné, encore vivant, est progressivement réchauffé et finit par reprendre conscience. Les médecins lui cachent le changement d'époque afin d'éviter un trop gros choc psychologique. Sa petite-fille souhaite le ramener à son domicile, mais son époux Hubert de Tartas ne l'entend pas de cette oreille, effrayé par les travaux à effectuer dans son hôtel particulier destinés à lui faire retrouver un aspect d'époque. L'hiberné croit avoir hérité d'une fabrique de lampes à pétrole, en réalité transformée depuis longtemps en société de produits d'emballage dirigée par de Tartas. Ce dernier craint la faillite et souhaite dire la vérité au rescapé contre l'avis de ses médecins...

GENÈSE :

Gaumont désire surfer sur la vague De Funès qui collectionne les records d'entrées depuis cinq ans. Les bons scénarios ne sont pas légion, et la recette qui a abouti à la réussite d'Oscar va être réutilisée : adapter une pièce de théâtre à succès, entourer Louis de Claude Gensac en guise d'épouse et de ses acteurs préférés, mettre à nouveau Édouard Molinaro à la réalisation.

Louis de Funès, satisfait du résultat d'Oscar, accepte, malgré l'entente médiocre avec Molinaro sur leur première collaboration. Arrivé au sommet du cinéma français, il a désormais une grande influence sur l'ensemble du tournage tant pour le scénario que pour le choix des comédiens.

L'adaptation sera plusieurs fois (7 ou 8) profondément modifiée. Alors que le tournage est commencé depuis plusieurs semaines, De Funès se rend compte que la version retenue ne lui convient pas. Le script revient à l'ancienne version et certains personnages sont créés sur demande de Louis. Le résultat va s'avérer très bon puisque Hibernatus sera non seulement un grand succès populaire, mais reste, plus de 40 ans après sa sortie, un des tous meilleurs films de Fufu ; preuve que le génial comique, toujours intuitif, avait eu raison d'exiger cette révision complète du scénario.

Bien sûr, le film n'a plus beaucoup de points communs avec la pièce, mais peu importe ! La pièce du même nom, œuvre de Jean Bernard-Luc, a été jouée pour la première fois en 1957 au théâtre de l'Athénée sur une mise en scène de Georges Vitaly. À l'affiche, un seul comédien célèbre, Jean-Pierre Marielle dans le rôle du professeur Lauriebat.

RÉALISATEUR :

Édouard Molinaro n'était guère motivé par ce film. Il travaillait déjà sur son suivant Mon oncle Benjamin, avec Jacques Brel, une comédie d'auteur plus conforme à ses aspirations qu'un film avec Louis de Funès. Peu disponible, il a laissé au réalisateur de la seconde équipe Pierre Cosson le soin de diriger les scènes les moins importantes, en particulier les séquences du pôle Nord et celles dans les vues du Vésinet, mais a pris en charge les principales scènes avec Louis de Funès.

De Funès et Molinaro ne s'étaient pas entendus sur le tournage d'Oscar. Sur Hibernatus, les choses sont moins difficiles, car Louis de Funès n'avait jamais joué la pièce alors que sa longue expérience d'Oscar au théâtre lui donnait des idées très précises sur la façon de jouer son personnage. Néanmoins, le tournage de la grande scène de révélation de la vérité à l'hiberné a dû être arrêté et repris deux jours plus tard car Louis n'arrivait pas à trouver le ton juste.

Le courant ne passe pas vraiment entre les deux hommes : Molinaro aurait voulu que Louis de Funès joue lui-même l'hiberné, mais l'acteur ne pouvait se contenter d'un rôle aussi peu développé. On ne peut que donner raison à De Funès : on ne voit pas bien comment l'hiberné aurait pu se transformer en comique principal.

À la lumière de toutes ces divergences, on comprend que ce film constitue la dernière collaboration entre Louis de Funès et Édouard Molinaro. Par la suite, Louis préférera travailler avec des réalisateurs dont il se sent proche, comme Gérard Oury et bien entendu Jean Girault.

DÉCORS :

L'adaptation d'une pièce de théâtre fait la part belle aux décorateurs puisque la majorité des scènes sont tournées en studio. François de la Mothe a accompli un joli travail de reconstitution d'une maison de style normand pour l'hôtel particulier d'Hubert de Tartas, meublé de façon moderne en début de film, puis selon le style de la Belle Époque lorsqu'il s'agit d'accueillir l'hiberné.

La majorité des extérieurs a eu pour cadre le département des Yvelines. Les scènes d'entrevue entre De Tartas et le secrétaire général du ministère de l'intérieur ont été filmées dans la salle des mariages de l'hôtel de ville de Versailles. Le hall d'accueil et la salle de réception de la mairie ont également servi de décor sur d'autres scènes.

La scène de l'enlèvement de l'hiberné a été tournée à l'aéroport du Bourget. L'église moderne, qui ne pouvait convenir comme refuge, est l'église Saint-Léger de Saint-Germain-en-Laye. L'abbaye de Fromantines, XVème siècle, où les fugitifs espèrent échapper à Lauriebat, est en fait l'abbaye désaffectée de Royaumont située dans le hameau de Baillon à Asnières-sur-Oise, dans le Val-d'Oise. Construite au XIIIe siècle, elle est classée monument historique depuis l'année 1927.

Lorsque l'hiberné allume la télévision en fin de film, il découvre des images d'un meeting aérien. Contrairement aux apparences, l'avion présenté n'est pas le Concorde, mais le Tupolev Tu-144, son sosie soviétique, fruit de l'espionnage industriel.

GÉNÉRIQUE :

La séquence pré-générique montre la découverte de l'hiberné dans les glaces du Pôle Nord. Une animation basée sur les visages des principaux personnages constitue le générique de début et sera reprise pour le générique de fin.

C'est Georges Delerue qui a composé la musique, comme sur la plupart des productions Gaumont. Les musiques de ce compositeur talentueux et prolifique sont riches en cuivres et instruments à vent ; par contre, Delerue n'aime pas les cordes. Le thème d'Hibernatus est dans la lignée de celui d'Oscar, ludique, enjoué, et au rythme endiablé, comme il sied à toute musique de comédie.

SCÉNARIO :

Plusieurs fois remanié sur injonction de Louis de Funès, le scénario définitif est probablement le meilleur, et en tous cas le plus efficace. Des largesses considérables ont été prises par rapport à la pièce : scènes supplémentaires, adjonction de personnages alors que d'autres ont disparu à l'image de la fille des De Tartas.

Une expédition polaire franco-danoise découvre dans les glaces du Pôle Nord le corps d'un homme congelé. Des débris d'un bateau disparu depuis 65 ans, retrouvés à proximité, permettent d'affirmer que l'homme est prisonnier dans la glace depuis autant d'années. La glycérine que le bateau transportait en masse aurait submergé son corps lorsque le naufrage s'est produit et protégé les structures cellulaires en évitant leur éclatement alors qu'il s'est retrouvé en état de congélation rapide. Résultat : l'inconnu a été retrouvé vivant. Après plusieurs heures de réchauffement progressif, une reprise des mouvements cardiaques a été constatée.

L'industriel Hubert Barrère de Tartas, directeur de la Société française d'emballages, est stupéfait et enthousiasmé en regardant à la télévision un reportage consacré à cette découverte. Mais il passe vite à un autre sujet de préoccupation car il reçoit ce jour-là une kyrielle d'invités pour fêter l'inauguration de son hôtel particulier du Vésinet après d'importants travaux de modernisation.

De Tartas n'a d'yeux que pour son grand ami Édouard Crépin-Jaujard, industriel dans le même secteur d'activités que lui. Évelyne, la fille d'Édouard, vient de se fiancer avec Didier, le fils des De Tartas. Il s'agit de fiançailles arrangées par Hubert car l'alliance avec les Crépin-Jaujard le mettrait à l'abri du bon vouloir de sa femme, majoritaire dans le capital de la société concernant la gestion de l'entreprise. Manque de chance pour lui, Évelyne et Didier ne s'entendent pas car leurs caractères sont trop dissemblables : Evelyne est romantique, littéraire, tournée vers le passé, alors que Didier est résolument moderne et partisan du progrès scientifique.

Hubert et Édouard ironisent sur les descendants possibles de l'hiberné qui fait les gros titres : ce vieillard de 25 ans pourrait se révéler encombrant pour sa famille ! C'est alors que des policiers sonnent à la porte. D'abord inquiet, De Tartas se réjouit lorsque ses visiteurs lui remettent une convocation du secrétaire général du ministère de l'Intérieur. En attente de la Légion d'honneur, il est persuadé que le rendez-vous a été programmé pour lui annoncer l'attribution de la décoration tant espérée.

De Tartas se rend avec enthousiasme au ministère de l'Intérieur, mais tombe de haut lorsqu'il apprend le but véritable de l'entretien : l'hiberné n'est autre que Paul Fournier, le grand-père de sa femme ! Après avoir vérifié avec son épouse Edmée qu'il n'existe aucune sépulture où repose le fameux grand-père dans le cimetière familial de Dampierre, le couple se rend à l'hôpital pour voir l'hiberné.

Edmée est choquée en découvrant son grand-père avec une barbe de sauvage. Mais une fois rasé, la comparaison avec la photo dont elle dispose ne fait aucun doute : il s'agit bien de son grand-père. Les médecins lui racontent qu'il a fait une chute de cheval lorsqu'il lui arrive de reprendre conscience, et que sa mémoire est défaillante. Justement, l'hiberné semble avoir oublié son mariage.

Mme de Tartas manifeste le désir de ramener son grand-père chez elle, mais le professeur Lauriebat, qui a ranimé l'hiberné, et le docteur Bibolini, un éminent psychiatre, s'y opposent formellement. Hubert est satisfait de la décision des médecins, mais Edmée repart furieuse et annonce à son mari qu'elle ne signera plus aucun chèque tant que son grand-père ne sera pas de retour au sein de sa famille.

Les événements se précipitent lorsque Hubert apprend par son avocat que l'hiberné doit rentrer en possession de tous ses biens et qu'il ne peut rien faire sans son consentement. À son tour, il somme Lauriebat de lui restituer l'hiberné, mais ce dernier refuse, s'appuyant sur une décision gouvernementale. Le secrétaire général du ministère de l'Intérieur explique à De Tartas que les réactions de l'hiberné doivent être étudiées car le processus d'hibernation constitue l'avenir des voyages interplanétaires, et que l'Espace conditionne la grandeur d'un pays.

C'est alors que De Tartas reçoit la visite du docteur Bibolini qui a changé d'avis au sujet de l'hiberné. Il est à présent convaincu qu'il est nécessaire de le plonger dans un contexte familial afin de lui faire retrouver son équilibre psychologique. Les deux hommes mettent au point l'enlèvement de l'hiberné. 

L'opération se déroule à l'aéroport lors du transfert de Paul Fournier dans une maison de repos en province. Aidé par son assistante, Bibolini drogue Lauriebat qu'il installe dans une couchette à la place de l'hiberné. Déguisés en infirmiers, Hubert et Edmée s'emparent de leur grand-père et l'emmènent dans une ambulance en compagnie de Bibolini. Mais ils se trompent de chemin et n'arrivent pas à retrouver le rendez-vous de chasse où ils avaient prévu de se réfugier pour échapper aux recherches.

Le professeur Lauriebat se réveille dans la maison de repos et ne tarde pas à comprendre ce qui s'est passé. Il prévient la gendarmerie, le gouvernement, et la sécurité du territoire, qui aussitôt dressent des barrages. Les fugitifs se réfugient dans une abbaye, mais Lauriebat les retrouve juste au moment où l'hiberné se réveille. Il prend sa grand-mère pour sa maman et demande à rentrer immédiatement chez lui. Lauriebat s'incline, mais le placement dans un contexte familial devra se faire « à la Belle Époque ». Évidemment, cette histoire de cryogénisation et de rencontre entre un aieul plus jeune que son déscendant évoquera des souvenirs aux fans des Avengers avec le double épisode L'ours se réveille/La danse de l'ours (TNA, saison 8), quoiqu'une idée similaire avait déjà été évoquée dans l'épisode perdu de la première saison qu'est Dead of winter.

L'hiberné ne pouvant être mis au courant de la situation, il est nécessaire qu'il se croit encore à son époque. L'hôtel particulier du Vésinet, qui venait juste d'être rénové, devra retrouver son apparence du début de siècle. Même les rues environnantes seront transformées, sillonnées désormais par des véhicules d'époque ! De Tartas, très réticent malgré la prise en charge de la totalité des frais par l'État, s'incline de mauvaise grâce.

Paul Fournier ne tarde pas à bouleverser les habitudes de la maisonnée : il met à la porte Hubert qui se faisait passer pour son père sous prétexte que ce dernier avait abandonné sa femme pour une artiste de théâtre. De Tartas est contraint de se faire passer pour le nouveau prétendant de Clémentine (en fait, Edmée) et de loger dans une chambre d'amis. Didier, présenté comme un jeune étudiant à qui Clémentine a loué une chambre, a été relégué dans une chambre de bonne, mais trouve un certain avantage à cette situation puisqu'il se retrouve voisin de la jeune et ravissante Sophie, la bonne, devenue sa maîtresse.

L'hiberné veut reprendre en main la direction de l'usine qui était à son époque une fabrique de lampes à pétrole. Hubert pressent la catastrophe, mais le pire pour lui reste à venir. Très attiré par Sophie, au grand dam de Didier, Paul Fournier vit son véritable coup de foudre, d'ailleurs réciproque, avec Évelyne, la fille des Crépin-Jaujard ! Le mariage d'Évelyne avec le grand-père d'Edmée signifie la ruine pour De Tartas. Il décide d'avouer la vérité à l'hiberné, mais cela ne change rien à l'affaire : Paul va épouser Évelyne. Désespéré, De Tartas accepte de subir l'expérience de l'hibernation pour une durée de 50 ans, et ce le jour même du mariage !

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DISTRIBUTION :

Les habitués des films de Louis de Funès constituent l'essentiel de la distribution, avec en renfort quelques comédiens amenés par le réalisateur Édouard Molinaro.

C'est un rôle taillé à sa convenance qui est octroyé à Louis de Funès avec ce personnage nerveux, autoritaire, voire tyrannique, mais aussi très intéressé, d'Hubert Barrère de Tartas, industriel sur lequel s'abat une série d'imprévus qui vont bouleverser de façon négative tous ses projets. Ce personnage est finalement peu différent de celui de Bertrand Barnier dans Oscar, si ce n'est que cela se termine de façon plus désagréable pour lui.

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Claude Gensac est devenue l'épouse attitrée de Fufu à l'écran. Edmée de Tartas, née Fournier, est sceptique quant aux projets de son mari. Ainsi, elle trouve son fils bien jeune pour convoler. Elle est dotée d'un sens de la famille développé, raison pour laquelle elle souhaite prendre l'hiberné chez elle, contrairement à Hubert qui ne pense qu'à ses intérêts.

Le couple De Tartas est typique de l'alliance qui s'est nouée à une certaine époque entre la bourgeoisie ascendante, représentée par les Fournier, entrepreneurs roturiers, et les Barrère de Tartas, nobles désargentés contraints de composer avec la bourgeoisie pour sauver les meubles. De Tartas a apporté sa particule, mais Edmée Fournier détient le réel pouvoir, et Hubert dépend de son bon vouloir, d'où son désir de s'allier avec les Crépin-Jaujard, même par un mariage arrangé. Ceci n'empêche pas Hubert d'aimer sincèrement sa « biche », comme on le constate dans certaines scènes.

Bernard Alane a été choisi par Molinaro avec l'assentiment de Louis de Funès pour le rôle de Paul Fournier, l'hiberné, qui n'est autre que le grand-père d'Edmée. Ce jeune comédien de théâtre, dont c'était le premier rôle au cinéma en attendant de tourner dans Mon oncle Benjamin, le film suivant de Molinaro, s'est montré en tous points excellent. Il a parfaitement composé les multiples facettes de son personnage : autorité, et parfois brusquerie de la grande bourgeoisie, façon romantique d'aborder l'amour selon les habitudes de son époque, admiration profonde et protection pour celle qu'il prend pour sa mère.

Le remaniement de scénario exigé par De Funès après le commencement du tournage a ajouté le personnage de Madame Crépin-Jaujard. Pris de court pour engager une actrice en plein tournage, Molinaro se voit proposer par Bernard Alane le nom de sa maman Annick Alane. Elle aussi comédienne de théâtre, elle a mené une longue carrière tant sur les planches qu'au cinéma et à la télévision. Ici, elle crée une épouse bourgeoise un rien gaffeuse puisque, lorsqu'elle craint de commettre un impair face à l'hiberné et qu'elle demande à son époux de la surveiller, le mari répond : « Je ne fais que cela depuis 19 ans, ma chère... » (!).

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Les acteurs coutumiers de l'entourage de Louis sont nombreux à commencer par son fils Olivier de Funès qui joue justement Didier, le fils de De Funès-De Tartas. De tempérament frondeur, il ne tarde pas à se rebeller contre le mariage arrangé projeté par son père. En effet, Didier préfère Sophie, la petite bonne, à la fille des Crépin-Jaujard. Et on le comprend car Sophie est interprétée par Martine Kelly ; oui, la ravissante petite anglaise vue dans Les Grandes vacances, c'est bien elle ! Sophie est une domestique assez effrontée, à l'image de Charles, le maître d'hôtel incarné par Paul Préboist, autre fidèle de Louis de Funès. On retrouve avec plaisir Max Montavon dans le tout petit rôle de Rabier, le fondé de pouvoir. Il y avait toujours une place pour cet acteur sympathique dans les films de Fufu.

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Le professeur Lauriebat est interprété par Michael Lonsdale qui à l'époque se prénommait encore Michel. On ne présente plus cet acteur éclectique dont le talent n'a jamais été contesté. Il confère à son personnage un calme olympien, une certaine causticité, et une détermination sans faille. Le docteur Bibolini, chargé de la réadaptation de l'hiberné, est incarné par Pascal Mazzotti. Malgré sa qualité de psychiatre, il est beaucoup moins solide moralement que Lauriebat. Trop nerveux lors de l'enlèvement de l'hiberné, il est le principal responsable de l'échec de l'opération.

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Yves Vincent, c'est M. Crépin-Jaujard, industriel important pour Hubert de Tartas, comme le prouve la façon dont il le flatte lors de la réception. La servilité envers les puissants est un exercice dans lequel les personnages joués par Louis de Funès ont toujours excellé. Et ici, l'alliance avec les Crépin-Jaujard est capitale pour De Tartas. Eliette Demay interprète Evelyne, la fille des Crépin-Jaujard. Romantique et passéiste, elle n'aime pas le snobisme de ses parents et ne se gêne pas pour le leur faire savoir.

C'est toujours un plaisir de retrouver Claude Piéplu, parfait dans le rôle du secrétaire général du ministère de l'Intérieur, un homme qui, comme il l'affirme lui-même avec ses intonations inimitables, n'a que très peu souvent l'occasion de plaisanter. Plus léger est le personnage joué par Jacques Legras, un avocat connaisseur en geishas, et qui est intervenu pour faire attribuer la légion d'honneur à... Charles, le valet des De Tartas !

Robert Lombard interprète M. Thomas, l'invité que l'histoire de l'hiberné ne passionne pas, et Jacques Boudet un autre invité. Harry Max est le vieillard très intéressé par le retour de l'hiberné dont il était le meilleur ami. Lorsqu'il le revoit, il n'ose pas lui parler car il comprend que Paul ne le reconnaît pas, différence d'âge apparent oblige.

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Evelyne Dassas, comédienne de théâtre réputée, c'est la ravissante et malicieuse assistante de Bibolini. Elle semble ravie de participer à l'enlèvement, surtout lorsqu'il s'agit de jouer un bon tour au professeur Lauriebat qu'elle n'apprécie visiblement pas. Le moine de l'abbaye est incarné par Jean-Pierre Zola ; son intention de conserver l'hiberné, selon lui maintenu miraculeusement en vie et conduit à l'abbaye par intervention divine, n'est pas du goût de De Tartas.

Le directeur de la maison de repos est assez maladroitement joué par Robert Le Béal, bien moins à l'aise que sur Fantômas se déchaîne. Carlo Nell est le reporter, Gérard Palaprat le groom, Paul Bisciglia le prêtre moderne, et Gérard Hernandez le maquilleur qui transforme Hubert en père de l'hiberné.

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TEMPS FORTS :

Hibernatus demeure un des tous meilleurs De Funès, et si l'on voulait citer tous ses points forts de manière exhaustive, il faudrait mentionner la quasi-totalité des scènes. Donc, on ne retiendra que les meilleures des meilleures.

Les deux sommets du film, aux effets comiques absolument irrésistibles, sont la description par Hubert de Tartas de la mort de son épouse, et la fameuse révélation de la vérité à l'hiberné, par le même De Tartas.

Lorsque le malheureux De Tartas est contraint de se faire passer pour le prétendant de son épouse afin de pouvoir retourner chez lui, il est d'abord soulagé de constater que l'hiberné le reçoit courtoisement. Bien sûr, la méfiance se lit dans le regard de son hôte, mais c'est tout de même préférable à l'expulsion manu militari endurée à la première tentative sous l’identité du père de l’hiberné...

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Paul Fournier demande à Hubert de passer dans son bureau, et après quelques civilités d'usage, entre directement dans le vif du sujet :

- Monsieur de Tartas, j'aime que les choses soient nettes.
- Ah ! Mais alors, moi aussi !
- Ma mère m'a dit que vous étiez veuf.
- Ah ? Oui, c'est exact.
- De quoi est morte votre femme ?
- Je... Comment ?
- De quoi est morte votre femme ?
- Ah ! J'avais bien compris... Oh ! C'est horrible !... Déjà le matin, elle n'était pas bien. Et le soir, je me rappelle, elle s'est mise à gonfler, à gonfler, Pchuitttt ! Elle a éclaté ! Paf ! Y'en avait de partout.
- Qu'est-ce que vous me racontez là ?
- Comme ça ! Pchuittt ! Paf ! Elle n'a pas souffert.

La façon dont Louis joue la scène, ses mimiques, sont exceptionnelles ; c'est du De Funès typique, d'un comique visuel particulièrement efficace.

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Quant à la scène de révélation à l'hiberné, elle constitue l'équivalent de la scène de crise de nerfs vue dans Oscar, mais en plus complet, en plus abouti. Qui ne se souvient de l'excitation de Louis de Funès et de l'expression à la fois incrédule et épouvantée de Bernard Alane, yeux écarquillés au maximum ?

C'est qu'il en a des choses à raconter, Hubert, il s'en est passé en 65 ans ! : la première guerre mondiale, la deuxième guerre mondiale, les aéroplanes qui volent à 2800 kilomètres par heure, ont la forme de cigares et vous font arriver à New-York avant d'être parti de Paris à cause du décalage horaire, le kérosène qui a remplacé le pétrole en attendant le carburant atomique, et les hommes qui vont sur la Lune avec un insecte, un insecte module.

Évidemment, Paul Fournier ne croît pas Hubert, et on le comprend car De Tartas est tellement agité qu'il peut facilement passer pour un fou (lui-même conclut en affirmant qu'il est en train de devenir fou...). Et ce qu'il raconte paraît tellement ridicule...

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Trois autres scènes peuvent être mises en exergue, parce que révélatrices du comique façon De Funès :

La première est la réaction d'Hubert face à l'indifférence de M. Thomas envers l'histoire de l'hiberné. Robert Lombard, qui interprète M. Thomas, joue l'ahuri que rien ne peut épater au grand dam de De Tartas qui, dépité de n'avoir pu convaincre son interlocuteur, finit par reprendre son discours après nous avoir gratifié de quelques regards significatifs quant au niveau intellectuel qu'il attribue à son hôte.

La deuxième, qui montre l'agitation du personnage principal, est un bref dialogue entre De Tartas et Charles, le maître d'hôtel :

- M. de Tartas, il y a un monsieur qui vous attend !
- Pourquoi vous ne me le dites pas ?
- Je vous le dis !
- Quand ?
- Maintenant !
- Vous êtes un menteur !

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La troisième montre à quel point De Tartas, l'air de rien, ne serait pas fâché de se débarrasser de cet hiberné bien encombrant :

- De Tartas : « L'hiberné croit vivre en 1905. Chez moi, il ne pourra pas le croire longtemps.
- Lauriebat : Vous allez tout simplement remettre votre hôtel particulier dans l'état où il se trouvait au début du siècle.
- De Tartas : Mais enfin, vous n'y pensez pas ! Je viens de dépenser une fortune pour le faire moderniser !
- Lauriebat : Puisque votre ancêtre ne peut venir subitement à notre époque, il faut que nous allions vers la sienne. (Regards approbateurs d'Edmée)
- De Tartas : Dites ! Et si tout d'un coup, comme ça, brusquement, on lui apprenait à quelle époque nous sommes ? On ferait des économies !
- Lauriebat : Ça le tuerait ! (De Tartas balance sa tête avec l'air de penser : « Bah ! Et alors ?... »)
- Edmée : Ah ! Non, alors ! Pas ça !
- De Tartas : Je n'ai rien dit !
- Edmée : Vous avez dodeliné de votre grosse tête, avec une pensée inavouable !
- De Tartas : D'abord, je n'ai pas une grosse tête, et ensuite, je n'ai pas dodeliné !
- Lauriebat : Si, vous avez une grosse tête et vous avez dodeliné !
- De Tartas : Admettons que j'aie une grosse tête, mais je n'ai pas dodeliné ! Et d'abord, qu'est-ce que vous appelez dodeliner ?
- Lauriebat : Vous avez fait comme ça... (il dodeline)
- De Tartas : En voilà assez ! Là, voyez, je dodeline ! (il balance la tête dans tous les sens de manière outrancière) Je dodeline... Je n'ai pas dodeliné ! »

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Parmi ce déchaînement de la tornade comique Louis de Funès se sont glissés quelques moments d'émotion, surtout en fin de film : lorsque l'hiberné allume le poste de télévision et se retrouve face aux images des avions dernier cri, il comprend que De Tartas, malgré ses apparences de dément, lui a dit la vérité. Évelyne, la femme qu'il aime, se trouve à ses côtés :

-  Alors, c'était vrai... Comment est-ce possible ?
- J'aurais tellement voulu t'apprendre ça autrement. Ou mieux, vivre à ton époque. Crois-tu que tu pourras t'habituer à la nôtre ?
- Je ne sais pas...
(en regardant le supersonique)

Évelyne le prend alors par la main pour lui faire rattraper le temps perdu, et ils rencontrent l'ancien camarade de Paul, celui qui se présente comme son plus vieux copain. Très vieux, en effet. Trop vieux : après l'avoir interpellé, il comprend que son ami, qui a conservé son apparence juvénile alors que lui-même accuse ses 90 ans, ne peut le reconnaître. Le vieillard le regarde partir avec un air attendri.

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POINTS FAIBLES :

Exercice difficile que de trouver des faiblesses parmi la multitude d'éléments positifs. Film sans temps mort, Hibernatus ne compte que des acteurs remarquables, y compris pour les tout petits rôles. Tout juste peut-on trouver la séquence pré-générique de découverte de l'hiberné dans les glaces du Pôle Nord un peu longue. Et encore cette légère critique ne sera émise que si l'on veut bien chipoter au maximum...

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ACCUEIL :

Avec à peine trois millions et demi de spectateurs, c’est certes un bon score comme tous les De Funès de cette époque, mais on peut tout de même juger le résultat assez décevant ; un nombre d’entrées équivalent à celui du Tatoué sorti l’année précédente, mais dont la qualité était loin d’égaler celle d’Hibernatus…

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Il est vrai que les adaptations de pièces de théâtre n’ont généralement pas rencontré le même succès populaire que d’autres films de Fufu : le « grand public » préférait les films à grand spectacle comme ceux de Gérard Oury alors que les films tirés de pièces de boulevard séduisaient avant tout les véritables fans de l’acteur, certes nombreux, mais moins cependant que la masse du « grand public ».

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SYNTHÈSE :

Classique incontournable de Louis de Funès, ce festival exceptionnel est à savourer sans modération de la première à la dernière minute. 

LES SÉQUENCES CULTES :

Légion d'honneur

Je n'ai pas dodeliné !

Comment me trouvez-vous ?

De quoi est morte votre femme ?

Je vais le déshiberner !

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Captures réalisées par Steed3003