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Hitchcock 50

Collection Alfred Hitchcock

Années 50

 


 


 1. LE GRAND ALIBI
(STAGE FRIGHT)

En 1948, Alfred Hitchcock est dans une situation délicate. Il a essuyé deux échecs, celui de « La Corde » et de « Les amants du Capricorne » qu’Ingrid Bergman, mise à l’index de la profession pour sa relation avec Roberto Rossellini, refusera de promouvoir. Par ailleurs, il veut tourner « La loi du silence » mais le studio Warner n’est pas enthousiaste.

Aussi décide-t-il de tourner un film au budget modeste, à Londres. Son attention se porte sur le personnage d’Eve Gill, héroïne d’une série de romans policiers de Selwyn Jepson.

Il va construire un scénario original, le dernier où sera créditée son épouse Alma, à partir de deux nouvelles, « Outrun the constable » et « Man running ». Warner veut lui imposer le scénariste maison Ranald Mc Dougall. 
Mais Sir Alfred impose son épouse Alma et Whitfield Cook, qui, pour la petite histoire, était l’amant d’Alma.

Pour le rôle de l’héroïne, il engage Jane Wyman (alors en train de divorcer de son mari comédien, Ronald Reegan, qui connaîtra la notoriété autrement qu’au cinéma). Il ajoute un personnage créé pour la circonstance, Chubby, afin de faire tourner sa fille Patricia. Si, pour le père d’Eve, Hitch engage avec satisfaction le comédien Alastair Sim, développant un personnage quasi inexistant dans les écrits de Jepson, il se mordra les doigts d’avoir choisi Richard Todd pour incarner l’un des rôles principaux, Jonathan Cooper (dont le personnage s’appelait Penrose dans la nouvelle). L’acteur, qui cabotine en permanence, lui causera bien des cheveux blancs sur le plateau. Il se consolera avec Michael Wilding, jouant le détective Smith qui tombe amoureux d’Eve Gill, et que le maître avait apprécié en le dirigeant dans « Les amants du Capricorne ».

Le second rôle féminin, celui d’une criminelle manipulatrice, l’actrice Charlotte Greenwood, rebaptisée dans le scénario Charlotte Inwood, Hitchcock envisage de le confier à Tallulah Bankhead de « Lifeboat ». Mais le producteur Jack Warner refuse et le maître du suspense s’oriente vers Marlene Dietrich.
Un choix qui ne sera pas si heureux. D’abord, il s’agit de tourner un film à budget réduit, et Marlene exige un cachet de 10 000 dollars par semaine pour dix semaines de tournage. Surtout, Marlene va vouloir imposer sa volonté et ses idées sur le film, s’opposant très vite à Hitch qu’elle n’aime pas. Et d’actrice, Charlotte Inwood va devenir chanteuse pour permettre à Marlene d’interpréter « La vie en rose » et « The laziest gal in town ».

Un autre personnage clé, Nellie, la femme de chambre de Charlotte, est confié à Kay Walsh qui venait de jouer dans « Oliver Twist » de David Lean. Son personnage de dame de compagnie pocharde, vulgaire et maître chanteuse, est un des rôles les plus ingrats du film.

Pour couronner le tout, Jane Wyman est contrainte de s’enlaidir pour les besoins de son rôle, mais s’en émeut lors de la vision des rushes. Elle a bien tort, elle est craquante d’un bout à l’autre du film, et elle seule tire véritablement son épingle du jeu.

Loin d’être l’entreprise tranquille à laquelle il pensait se dédier, « Le grand alibi » va être un véritable poids pour Hitchcock. D’autant plus que ce n’est pas une œuvre ambitieuse mais un film policier somme toute assez banal.

Lorsque le film commence, en pleine poursuite durant laquelle Eve sauve Jonathan Cooper, notre sentiment est de se retrouver dans « Jeune et innocent », impression renforcée par le fait que c’est un film anglais.
D’ailleurs, dans les premières images, Hitch nous montre en arrière-plan un vieil autobus tiré par des chevaux en plein Londres, clin d’œil au passé.

A la vision du film, on se demande pourquoi l’ex-femme de Ronald Reegan s’est tant offusquée lors des rushes, car toute l’attention du public se porte sur elle.

Elle est convaincante en héroïne Hitchcockienne, une belle brunette sainte nitouche, bien sous tous rapports, qui parvient à nous faire croire à ce personnage d’Eve un peu trop naïf.

Jane Wyman est d’autant plus éclatante que le reste de la distribution est à la peine, à l’exception d’Alaistair Sim rusé et malin en père de l’héroïne.

Tout d’abord, Marlene Dietrich n’est jamais convaincante, passant par plusieurs registres. Au début, Hitch nous la présente comme un criminelle sans foi ni loi qui laisse accuser son amant, Cooper, atrocement joué par un Richard Todd exécrable. Elle accuse aussi son âge, c’est dur mais dame nature est ainsi. La caméra ne nous la montre jamais comme une femme fatale mais comme une femme d’un âge déjà mûr assez odieuse et trop sûre d’elle.

Nous voyons une photo qui apparait assez décalée dans le film, montrant Marlene Dietrich avec ses boys sur scène, l’un d’eux, l’air soupirant, est Todd. Mais la photo évoque plus Marlene en dehors du film, lors de ses prestations scéniques, que le personnage de Charlotte.

A la fin du film, elle n’est que la victime du pion (Cooper) qu’elle a manipulé pour qu’il tue son mari. Le parti pris du maître est de nous la montrer toujours sous l’angle le plus odieux et hautain. Dans le même temps, cela enlève toute sensualité au rôle. Avec ses airs de sainte nitouche, Jane Wyman est autrement plus affriolante que la grande Marlene, qui avait la cinquantaine lors du tournage. Que des hommes se compromettent pour elle devient de la haute fantaisie. L’homme censé à plus envie de tuer et de fuir pour Jane que pour Marlene. La vulgarité de son personnage est accentuée par sa dame de compagnie Nellie. Comment une chanteuse célèbre peut-elle avoir engagée ce laideron alcoolique ?

Richard Todd est une grosse erreur de casting. Il affiche un air de dandy à la fois arrogant et un peu niais. Hitchcock lui demande l’impossible. Il joue dans ce film à la fois les gigolos, puis l’amant trompé par Charlotte et son amant Freddie (Hector MacGregor). A la fin du film, renversement de situation, il doit jouer les déments, au mépris de toute crédibilité, « blanchissant » un peu tardivement Charlotte. Quant à Hector MacGregor, au jeu limité, il ne trouve jamais ses marques dans le film. Son physique et son manque de charisme nous le rendent improbable en « passion » de Charlotte.

L’autre erreur de casting est Michael Wilding. Il a un physique trop commun et surtout il semble plus âgé que Jane Wyman. On le voit mal faire chavirer le cœur d’Eve en sa faveur. Dans le film, il répond au surnom de « Ordinaire Smith ». Il aurait fallu un acteur plus « minet ». Ses airs sérieux de policier, sa maturité, ne nous en font pas le « gendre idéal » que le maître essaie de présenter dans l’intrigue.

Hitchcock a été beaucoup critiqué pour ce film dans lequel, lors de la scène de flash back du début, il donne de fausses informations au spectateur. C’est le récit mensonger de Jonathan Cooper que nous sommes censés admettre comme point de départ de l’intrigue. Il ne s’agit pas d’un flash back, puisque dans celui-ci, Charlotte avoue avoir tué son mari et envoie Cooper dans un piège afin de récupérer sa robe de théâtre. Récit qui se révèle une affabulation de meurtrier traqué.

A trop brouiller les cartes, Hitch nous présente une intrigue invraisemblable. On note cependant sa touche typique de suspense lorsque la femme de chambre attitrée de Charlotte, Nellie, effectue un chantage lors de la séquence de la fête foraine. Nellie s’est fait porter pâle pour permettre, moyennant finances, d’être remplacée par sa « cousine » Doris alias Eve Gill. Eve s’étant présentée comme une journaliste à sensation voulant faire un reportage. Lorsque Nellie réalise qu’elle peut perdre sa place, elle veut davantage d’argent. Mais le suspense est brutalement interrompu par l’arrivée du père d’Eve. Ainsi, pour écarter Nellie, Eve fait des « signaux discrets » à celle-ci que le père pense lui être destinés. Le comique l’emporte alors sur le suspense qui est brisé net.

Le scénario du « Grand alibi » est bancal du début à la fin. Au début, Eve aide son amoureux (qui se révèlera être un tueur fou et sadique) comme le héros lambda innocent façon « Les 39 marches » ou « Jeune et innocent ». Puis l’intrigue se centralise sur Charlotte/Marlene Dietrich dépeinte comme une grande manipulatrice. La contorsion finale est qu’elle n’a pu qu’inspirer le crime en utilisant un Cooper assez simple d’esprit et ayant par le passé déjà commis un meurtre.

Ces réécritures du script font du « Grand alibi » un film mineur dans l’œuvre du maître, et il représente le grand ratage de la rencontre Hitchcock/Marlene Dietrich.

Reste Jane Wyman, qui centralise sur elle l’érotisme que l’on pensait trouver chez Marlene Dietrich. Le 24 mars 1948, Jane avait remporté l’oscar pour le film « Johnny Belinda » où elle jouait une sourde muette. Après le grand alibi, la comédienne connaîtra une carrière sans éclats qui se terminera à la télévision. Née en 1917, elle nous a quitté en 2007 et passe à la postérité comme la première épouse du président Reegan. Dommage.

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2. L'INCONNU DU NORD-EXPRESS
(STRANGERS ON A TRAIN)

 

En 1951, Alfred Hitchcock n’a toujours pas obtenu des studios le feu vert pour tourner « La loi du silence », qui pose des problèmes en raison de son sujet, un prêtre mêlé à un crime. Il a d’autre part essuyé quatre échecs consécutifs au box-office. Il découvre sur épreuves un roman à paraître de Patricia Highsmith (pas encore célèbre) « Strangers on a train ».

Il obtient pour une somme modique les droits du roman. Le canevas imaginé par Patricia Highsmith est l’échange d’alibis entre deux inconnus ayant l’intention de commettre un meurtre. Si deux personnes veulent tuer quelqu’un, quel meilleur moyen d’échapper à la police qu’en tuant celui que l’autre gêne ?

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Dans le roman, c’est ainsi que cela se déroule, mais Hitchcock ne retient que l’idée de départ, et imagine que l’une des deux personnes ne respecte pas le marché. Dès lors, l’autre va tout faire pour compromettre celui qui n’a pas tenu parole. Hitchcock a choisi la difficulté au lieu de mettre ses pas dans la voie royale tracée par le roman de Patricia Highsmith. Chez lui, transformer le matériel original semble être un passage obligé, aussi devait-il à chaque fois s’entourer d’une équipe de scénaristes. Il commença à élaborer des idées à partir d’un texte de travail de Whitfield Cook et Ben Hetch. Au fil des adaptations, le roman s’éloigne.

Pour le rôle de Guy, architecte dans le livre, joueur de tennis dans le film, Hitch voulait William Holden. Il lui fallait un mâle viril susceptible de suggérer l’attirance que voue à ce personnage Bruno dont Patricia Highsmith avait sous-entendu l’homosexualité. Mais le studio refusa et c’est un acteur homosexuel, Farley Granger (« La Corde ») qui obtint le rôle au grand désarroi d’Hitchcock. Robert Walker (hétérosexuel) jouant lui Bruno, aux tendances gay. Walker devait mourir sur le tournage du film suivant « My son John » (inédit en France) et bon prince, Hitch fournit des plans de son film avec le comédien pour permettre au metteur en scène de finir le tournage.

Warner imposa Ann Morton dans le rôle de Ruth, la femme aimée de Guy. On retrouve dans ce film Marion Lorne, pour l’une de ses deux seules apparitions au grand écran (elle est Tante Clara dans « Ma sorcière bien aimée »), Leo G. Carroll, et la propre fille du maître, Patricia, à laquelle il ne fit pas de cadeau. Elle dut passer son casting comme les autres et n’échappa pas aux plaisanteries sadiques de son père, qui la fit monter sur le manège (un des moments forts du film) et la laissa coincée sur la grande roue en haut une heure. Patricia minimisa l’incident auprès de la presse disant qu’elle n’était pas seule sur le manège et que cela n’avait duré que trois minutes.

Pour adapter le roman, Hitch s’adressa à plusieurs écrivains dont Dashiel Hammett, qui tous refusèrent. Il eut l’accord de Raymond Chandler, mais les choses se passèrent mal. Chandler était alcoolique et ne voulait pas se déplacer pour rencontrer le maître car sa femme étant invalide, il ne voulait pas la laisser seule. Un jour, Hitch fut mal reçu par Chandler qui l’incendia, trouvant que ses idées d’adaptation n’étaient pas respectées. Sans prononcer un mot, il planta là l’écrivain et lorsqu’il reçu le manuscrit le jeta dans une poubelle. Chandler demanda à ne pas être crédité au générique puisque rien de ses écrits ne subsistait à l’écran, mais Warner tint à garder sa présence dans un but commercial. La haine entre les deux hommes dura jusqu’à leur mort. Un témoin raconte qu’un jour, il demanda à Hitchcock de lui prêter une édition rare de Chandler qu’il avait vu chez lui (il y en avait deux). Avec dédain, Sir Alfred lui dit « Prenez donc les deux ».

Pour remplacer Chandler, Hitch s’adressa à une débutante, Czenzi Ormonde. Lorsqu’on lit le livre de Patricia Highsmith, qui est parfait, on se demande pourquoi Hitchcock a éprouvé le besoin de changer l’intrigue. Il tenait là une histoire en or, alors que le film nous présente, avec Bruno, un tueur schizophrène de plus dans la longue série de ceux du maître.

Dans un train, Bruno rencontre Guy Haines, joueur de tennis, dont la presse à scandale relate les déboires conjugaux. Sa femme Miriam (Laura Elliott également connue sous le nom de Kasey Rogers), un laideron aux lunettes à double foyer, refuse de divorcer et demande toujours plus d’argent à son mari. Bruno, lui, veut se débarrasser de son père (Jonathan Hale). C’est un homme faible et raté. Une scène avec sa mère, interprétée par Marion Lorne, nous le montre en train de se faire manucurer. A l’issue de leur rencontre, Bruno découvre que Guy a oublié un briquet. Il le garde et va s’en servir ensuite pour compromettre ce dernier qui n’a pas l’intention de remplir sa part du marché.

Le film comporte plusieurs scènes d’anthologie, dont l’étranglement de Miriam par Bruno, vu à travers les lunettes de la victime. Mais aussi le match de tennis que doit assumer Guy, chaque spectateur suivant la balle, tandis que dans le public, Bruno fixe le joueur. Dans une autre scène, destinée à montrer le comportement maladif de Bruno, alors qu’il s’est fait inviter chez les futurs beaux parents de Guy, il manque étrangler la sœur de Ruth, Barbara (Patricia Hitchcock) qui porte les mêmes lunettes que Miriam. La bataille finale sur le manège entre Guy et Bruno, qui faillit coûter la vie à un cascadeur, est l’apogée du film. Il faut aussi citer Bruno cherchant à récupérer le briquet de Guy qu’il a fait tomber dans une bouche d’égout, pendant que l’autre se déchaîne sur le court de tennis. Citons aussi la succession de travelling sur les pieds et les rails qui unit les deux destins de Guy et Bruno dans les premières images

Pour la musique, Warner fit appel à Dimitri Tiomkin (« La chute de l’empire romain », « Alamo », « Les Canons de Navarone », « Rio Bravo »). Bien qu’il s’agisse d’un des plus grands compositeurs que le 7e art ait jamais connu, ses partitions pour Hitchcock (« L’ombre d’un doute », « Le crime était presque parfait ») ne sont pas des succès. On trouve toujours en CD des rééditions de la plupart de ses œuvres mais pas celles faites pour le maître.

Bien qu’il ait fait le pari risqué de changer une intrigue solide, celle du roman, le film est une réussite. On la doit essentiellement à la composition de Robert Walker. Dans son avant-dernier rôle, il nous fait croire à ce sadique digne de Norman Bates. De plus, dans le contexte de l’époque, le Maccarthysme, c'est-à-dire la chasse aux communistes, les homosexuels étaient considérés comme de potentiels traîtres, pouvant faire l’objet de chantage. Bruno, c’est la face sombre de Guy, celle qu’il n’a jamais osé être.

 

Les autres comédiens sont en retrait. Ruth Roman, imposée au maître et mal considérée par lui, fait une composition assez fade. Farley Granger aurait gagné à être remplacé par William Holden. Il est nettement moins convaincant et si l’on suppose que Bruno est subjugué par lui, il fallait un comédien plus âgé que Granger, qui put évoquer une idée de domination.

La vraie vedette, c’est la mise en scène d’Hitchcock. Notons d’ailleurs que pour décrocher la timbale au box office après une série d’échecs, il n’a pas cherché de stars. Il est vrai qu’il sortait de l’expérience Marlene Dietrich qui ne lui avait pas réussi. Bien qu’elle se révèle douée, Patricia Hitchcock n’a pas fait carrière ailleurs que chez son père. Père et fille feront une promotion assidue au film qui sera mal reçu dans les états conservateurs américains, mais permettra à la Warner d’avoir enfin un succès.

Le film souffre quand même de quelques invraisemblances. Tout d’abord, que fait Guy avec un laideron comme Miriam ? Comment Bruno peut-il être persuadé que Guy ne va pas sur le champ le dénoncer à la police ? Pourquoi Bruno prend tant de risques pour compromettre Guy alors que cela ne fait pas avancer sa situation personnelle et son but recherché, le meurtre de son père ? C’est cette absence de logique qui révolta Chandler. Pour lui, Hitchcock ne se souciait pas de vraisemblance, il la sacrifiait au profit d’un suspense bien agencé.
A la première vision, le film déçoit un peu. On s’attend à un mécanisme plus huilé, à une machine machiavélique, que le refus de Guy de participer envoie aux limbes.

Est-ce parce que l’on a trop vue Marion Lorne en tante Clara que ses scènes avec son fils manquent d’efficacité ? Elle était surtout une comédienne de théâtre et son choix n’est pas des plus judicieux.

On a connu aussi Leo G Carroll moins passif chez Hitchcock (Murchinson dans « La maison du docteur Edwardess »).

Le spectateur a cependant son lot de scènes de suspense. Pour la première fois, Hitchcock, lorsque le manège s’emballe, à recours à un cascadeur. Néanmoins, avec une meilleure distribution (et selon le maître de meilleurs dialogues), « L’inconnu du Nord Express aurait pu être nettement plus réussi.

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3. LA LOI DU SILENCE
(I CONFESS)

Après bien des atermoiements, le projet de « I Confess » est enfin sur les rails. Hitchcock engage William Archibald et George Tambori pour adapter la pièce de Paul Anthelme. Le tournage doit se dérouler au Canada.
Comme consultant, le père La Couline est engagé afin de faciliter au maximum la vraisemblance de l’intrigue.
Pour le rôle principal, Hitch envisage James Stewart. Puis Laurence Olivier. Mais le studio Warner n’était pas d’accord, et c’est Montgomery Clift (qui avait refusé de jouer dans « La Corde ») qui fut retenu.

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Dans la pièce de Paul Anthelme, le prêtre était exécuté. La Warner ne voulait pas de cette fin trop dramatique. De plus, Alma et Alfred Hitchcock lui avaient imaginé un enfant illégitime qu’il fallut aussi gommer du scénario.
Le père Logan aura donc une ex-amie, Ruth Grandfort, mais qu’il a connu avant de prononcer ses vœux. Le rôle devait être tenu par Olivia de Havilland, mais la star était trop chère. On envisagea Suzanne Cloutier et Ursula Thiess, avant d’engager Anita Bjork. Mais l’actrice suédoise arriva sur le tournage avec son amant et sa fille illégitime, et le studio la renvoya aussitôt. A sa place, Anne Baxter fut engagée in extrêmis avant le début du tournage.

Karl Malden, ami proche de Montgomery Clift, obtint le rôle du policier, l’inspecteur Larrue. Il venait d’avoir un oscar pour « Un tramway nommé désir ». L’assassin, Otto Keller, devint O E Chase. Il avait commencé comme figurant chez Murnau (cf Nosferatu) et été formé par Max Reinhardt. Son épouse, qui révèle à la fin le crime de son mari, est une actrice allemande qui a fui le nazisme, Dolly Haas, une vedette des années 30.
Jack Warner savait que sa vedette (Monty Clift) était fragile, et comptait sur la présence de Malden pour le sécuriser.

Enfin, le compositeur Dimitri Tiomkin se vit confier la musique.

Très vite hélas, se révèle un fléau : l’alcoolisme de Clift. Furieux, Hitch va un jour l’inciter à boire lors d’un repas organisé par Jack Warner. La vedette s’effondre ivre morte. Autre sujet d’affrontement entre Monty et Hitch : il est formé à l’actor’s studio et conteste la direction du maître (comme plus tard Paul Newman dans « Le rideau déchiré »). La présence d’une conseillère en art dramatique auprès de Clift, Mira Rostova, exaspère le réalisateur. 

Hitch avait mis des années à convaincre les studios de tourner ce film, et il le voyait s’effondrer en plein tournage. Pire, l’amitié de Malden et de Monty Clift s’effilocha sur le tournage, Malden estimant que Monty lui volait ses scènes.

Dans l’histoire, Otto Keller, le sacristain du père Logan, lui vole sa soutane et va commettre un meurtre. La soutane, tâchée du sang de la victime, sera un élément à charge contre le prêtre. Keller a tué un avocat, Vilette, qui venait de le surprendre en train de voler. Il se confesse à Logan qui est tenu par le secret de la confession. Mais Alma, la femme du meurtrier, est au courant.

L’inspecteur Larrue est persuadé de la culpabilité du prêtre, l’ayant surpris sur les lieux du crime avec son ex maîtresse Ruth. Le mobile du meurtre, pour Larrue, est le chantage, un fait avéré. Vilette faisait effectivement chanter Ruth et Logan et menacer de révéler leur ancienne relation au mari de Ruth.

Respectant son serment, le secret de la confession, le père Logan se laisse juger et est acquitté au bénéfice du doute. Mais la foule hostile l’accueille à la sortie du tribunal. Alma (la femme du meurtrier) veut parler mais son mari l’abat, avant de trouver la mort lui-même sous les balles des policiers. Il meurt dans les bras du père Logan en lui déclarant qu’il est au fond, lui le prêtre, plus malheureux que lui.

Le film rentra dans ses frais mais ne fut pas un gros succès, cela dû en partie au fait que les spectateurs ne comprenaient pas le secret de la confession des catholiques. Hitch fut déçu, d’autant qu’au Québec, une scène de dialogue entre Ruth et Logan évoquant leur liaison fut coupée par la censure. Déçu, mais il attendait peut-être trop de ce film, Hitch estima qu’il n’aurait jamais dû le tourner, ce en quoi bien entendu nous lui donnerons tort.

D’abord, les problèmes sur le tournage connus par Clift ne se voient pas à l’écran. Le film manque certes d’humour. Mais la fin est typique des suspenses hitchcockiens. L’impassibilité du père Logan est le ressort du film. Karl Malden et O E Hasse (le meurtrier) sont également très convaincants. Anne Baxter voit par contre son personnage assez sacrifié au profit de l’allemande Dolly Haas.

Par son obstination, Malden/Larrue rappelle le lieutenant Gerard dans « Le Fugitif ». Ce film fut l’un des premiers Hitchcock diffusés sur l’ORTF et longtemps après sa vision, il hante le téléspectateur le plus jeune qui ne se souvient que de l’allure fantômatique de ce prêtre rigide aux yeux inquiets dans sa grande soutane noire.
Le film retrouve la veine des suspenses du maître, bien davantage que le film précédent, « Le grand alibi », pur film policier. L’un des plus beaux moments du film est le flash back révélant la liaison avec Ruth sur une mélodie de Dimitri Tiomkin.

Autre scène mémorable : la sortie du tribunal. Le prêtre fait face à une femme qui le regarde d’un air méchant en croquant une pomme.

Les scènes opposant le procureur, joué par Brian Aherne, au prêtre, rappellent d’autres fameuses séquences de procès chez Hitchcock. Mais c’est ici la passivité de l’éclesiastique tourmenté qui nous frappe.

« La loi du silence » a davantage vieilli que d’autres films du maître en raison de tout l’aspect religieux et de la morale puritaine étriquée, très connotés années 50. L’affiche vantait « le suspense le plus extraordinaire d’Alfred Hitchcock » ce qui est, avec le temps, très exagéré. Mais il est difficile avec le recul d’imaginer un autre comédien que l’interprète de « Freud, passions secrètes » dans le rôle. Avec « Tant qu’il y aura des hommes », c’est l’un des rôles de la trop courte carrière de « Monty » qui vient immédiatement à l’esprit lorsque l’on évoque l’acteur.

On aurait aimé revoir O E Hasse tant il est convaincant en sacristain meurtrier, mais sa carrière se déroula ensuite essentiellement en Allemagne. Son autre rôle connu des français est un savant dans « Les rayons de la mort du docteur Mabuse » sorti en 1966.

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Quant à Anne Baxter, sa carrière s’orientera surtout vers la télévision (« Mannix », « Columbo », « Cannon »). Ironie du sort, on la revoit en vedette dans « Columbo » dans « Requiem pour une star » relatant la chute d’une grande actrice.

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4. LE CRIME ÉTAIT PRESQUE PARFAIT
(DIAL M FOR MURDER)

En 1954, Alfred Hitchcock propose à la Warner d'adapter la pièce de Frederick Knott « Dial M for murder », que le studio lui demande de filmer en 3D. Cette contrainte (alors que le 3D sera déjà passé de mode lors de la sortie du film) oblige le maître à manipuler une immense caméra.

Pour une fois, il ne perd pas de temps en écriture, Knott acceptant d’adapter sa pièce. Hitch tient à faire du théâtre filmé en évitant les plans extérieurs (voitures qui arrivent par exemple), et souhaite que toutes les scènes soient filmées en intérieur. L’histoire se passe à Londres, l’américanisation de « La Corde » ayant posé trop de problèmes, mais Jack Warner, en raison de la caméra 3D, lui demande de filmer en Amérique. Il faudra donc reconstituer des intérieurs anglais parfaits.

Pour le rôle principal, Hitch envisage Cary Grant, qui pour une fois trouverait un contre-emploi, le personnage voulant d’abord faire tuer sa femme, puis la faire pendre sous accusation de meurtre. Mais Grant demande un salaire trop élevé et un pourcentage sur les recettes. Aussi Warner imposa à Hitch Ray Milland qui se satisfaisait de … 125 000 dollars.

Alexander Korda avait acheté à Knott les droits de la pièce pour 1000 dollars et les revendit…30 000 dollars. Il fallait donc économiser pour tourner le film au moindre coût. Après Milland, Hitch engage Anthony Dawson (le futur professeur Dent de « James Bond contre le dr No) dans un rôle de tueur, et John Williams dans celui de l’inspecteur, car il avait joué le rôle dans la pièce à Broadway.

Et puis, le destin heureux frappe à sa porte et lui permet de trouver la remplaçante idéale d’Ingrid Bergman en une actrice sous contrat avec la MGM : Grace Kelly. Rêvons un instant si Cary Grant n’avait pas été si gourmant, nous aurions eu le couple de « La Main au collet » avant l’heure.

Hitch s’entend très bien avec Grace Kelly, et l’on peut mesurer l’étendue de notre frustration en sachant qu’elle refusera par la suite « Les Oiseaux » et surtout « Marnie ». A sa place, il confectionnera celle que l’on appelle « la blonde de trop », le mannequin Tippi Hedren.

Avec Grace Kelly, élevé dans un couvent strict, les problèmes se poseront hors caméra : elle devient la maîtresse de l’auteur de la pièce, Frederic Knott, puis d’Anthony Dawson, son assassin dans le film, avant de manquer briser le ménage de Ray Milland en ayant une liaison torride avec le comédien.

Le personnage de Tony Wendice, un joueur de tennis, qu’incarne un Ray Milland trop mûr, rappelle celui de « L’inconnu du Nord Express ». Il est sans le sou et marié à une riche héritière, Margot (Grace Kelly), qu’il veut éliminer. Il sait qu’elle a un amant, Mark Halliday (Robert Cummings) - qui se prénommait Max dans la pièce - et demande à un certain Swann (Anthony Dawson) de tuer sa femme. Mais Margot tue Swann avec une paire de ciseaux, qu’Hitch va vouloir filmer sous toutes les coutures pour l’effet 3D, alors que le film sortira dans la plupart des salles de façon traditionnelle. Aussi, Tony échafaude un second plan qui consiste à faire accuser sa femme de meurtre et à la faire pendre.

« Dial M for murder » était un « petit film » pour le maître, en attendant de pouvoir réaliser « Fenêtre sur cour » et « La Main au collet ». Réalisant qu’il vient de trouver sa nouvelle Ingrid Bergman, il parle très vite à Grace Kelly des deux films à venir, sans jamais lui proposer les rôles mais en souhaitant lui en donner l’envie.

Hitch demande à Grace de porter des vêtements clairs au début du film, et au fur et à mesure que l’intrigue se noircit, des vêtements plus sombres. Elle tient tête au maître en refusant de porter une robe de chambre lorsqu’elle vient de tuer avec les ciseaux Swann, lui expliquant que cela ne serait pas naturel, et qu’en pareil cas, elle serait en chemise de nuit.

Le point noir du film, c’est Ray Milland, joueur de tennis retraité. Il manque de charme. Et il n’est pas toujours crédible en mari de Grace Kelly. On trouvera aussi un peu tordue la ficelle du scénario qui présente Swann comme un tueur obligé d’agir pour 1000 dollars à moins d’être accusé de chantage contre Margot (Un coup monté du mari). Un chantage dont est victime Margot qui s’en ouvre à son amant Mark. La clef de l’énigme, si j’ose dire, est la clé que Tony Wendice a donnée à Swann, et qui permettra d’innocenter Margot.

Bien que dans la « vraie vie », Grace ait trouvé du charme à Ray Milland, on l’imagine mal en mari de Margot, effrayé par l’idée d’un divorce qui le laisserait sur la paille. Si Milland se montre manipulateur, ce n’est pas un séducteur, et un comédien au physique plus avantageux aurait mieux convenu. Pour sa première aventure dans l’univers du maître du suspense, Grace Kelly s’en sort avec un sans-faute. Lorsque Margot lève les yeux après avoir vu que le Queen Mary amène son amant à Londres, on se demande vraiment ce qu’elle peut avoir trouvé à cet homme plus âgé qu’elle. Robert Cummings est nettement plus crédible comme bellâtre pouvant susciter la passion chez une jolie femme.

Une fois de plus, Dimitri Tiomkin est appelé pour la musique. Ce compositeur si doué semble chaque fois avoir raté ses partitions chez Hitch. Sans doute, malgré ses mérites, l’univers du maître l’inspirait peu. Sur les best of de Tiomkin, les musiques des thrillers d’Hitch ne figurent jamais. Elles sont « sirupeuses ».

Le fait que le personnage de Mark soit un peu en retrait permet à Grace Kelly d’avoir davantage d’espace pour réussir son numéro éblouissant d’actrice. Film au départ « mineur », « Le crime était presque parfait » inspirera trois remakes, le dernier en 1998 avec Michael Douglas.

Beaucoup de scènes du film n’échappent pas à la contrainte de l’immense caméra 3D destinée à montrer le film en relief. Hitch perdit vingt kilos et dût consulter sur le tournage un médecin. Ce fut pour lui un mauvais souvenir, et lorsque des biographes comme François Truffaut voulaient lui parler du tournage, il passait vite à autre chose. Pourtant son film est une totale réussite, à côté du « Grand alibi » par exemple.

« Le crime était presque parfait » est un film plus anglais que nature malgré son tournage américain dont rien à l’écran ne laisse transparaître l’origine. Tourné dans l’urgence, il ne souffre pas des réécritures fastidieuses du script sur le plateau qui plombent certaines œuvres du maître.

Les scènes entre Grace Kelly et Robert Cummings, notamment lorsque Margot avoue le chantage dont elle est l’objet, apporte une vraisemblance qui manque lors des séquences Grace/Milland. Le baiser interrompu entre Margot et Mark par l’arrivée de Tony nous fait nous poser la question : pourquoi tout ce film, alors que Margot/Grace pourrait aisément signifier sa rupture. La situation serait différente si Tony était joué par Cary Grant. Ray Milland, lui, n’a pas besoin de se creuser beaucoup pour montrer la jalousie. L’exercice aurait nécessité plus de talent de la part d’un « beau gosse » comme Cary Grant.

 

Anthony Dawson, maigre, moustachu, montre la vulnérabilité de son personnage dès son apparition à l’image. Milland le domine avec un air hautain. On se demande bien d’ailleurs pourquoi Tony prend tant de précautions et s’humilie à relater son infortune à un pauvre type qu’il vient quasiment d’accuser d’avoir volé 100 livres lors d’un bal de fin d’année. « Pourquoi est-ce que vous me racontez çà ? » finira par dire Swann excédé. Cet aspect renforce le théâtre filmé inutilement, et le bavardage Milland/Dawson est la partie la plus faible du film. Pourquoi Tony s’embarrasse-t-il de Swann alors que n’importe quelle petite frappe londonienne ferait l’affaire ?
Le visage de Milland rayonne trop de cynisme forcé durant cette scène. Surtout, même en admettant qu’il soit « retraité », le comédien (à la différence de Farley Granger dans « Strangers on a train ») n’a pas du tout le profil d’un joueur de tennis. On peut donc considérer que Milland est une erreur de casting.

On regrette de constater que Hitch focalise sa caméra sur Milland, alors que Mark/Robert Cummings a infiniment plus de charisme. Les échanges de clé que Tony pratique sont assez fastidieux, comme si le maître voulait torturer les méninges du spectateur. A force de vouloir démontrer sa mécanique huilée le maître en rajoute dans sa démonstration.

 

Par contre la cabine téléphonique empruntée par un bavard, et qui manque briser le plan du mari est bien dans le style Hitchcock.

Pour la scène des ciseaux, Hitch ne nous épargne pas, en montrant Swann s’enfonçant ceux-ci dans le dos dans sa chute. Hitchcock voulait que les ciseaux brillent et lança sur le plateau : « Un meurtre sans ciseaux qui brillent, c’est comme des asperges sans mayonnaise ».

Après l’échec de Swann, le plan du meurtrier doit être élaboré dans l’urgence, et Milland se révèle plus convaincant que lors des bavardages inutiles du début.

En chemise de nuit, affolée, Grace Kelly se montre sensuelle en diable, là où Marlene Dietrich et Tippi Hedren , recherchant cet effet, échouaient piteusement.

John Williams est plus vrai que nature en inspecteur de Scotland Yard, avec ses moustaches et son flegme typiquement british. A la différence de tant de policiers d’Hitch, il amène une certaine sérénité et l’on comprendra sa bienveillance et sa lucidité ultérieure.

 

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Avec l’arrivée de Williams, l’aspect théâtre filmé disparaît, ou en tout cas perd son côté fastidieux du début. Williams a un côté Holmes/ancêtre de Columbo en évoquant le paillasson où Swann s’est essuyé les chaussures. On assiste à une joute verbale entre l’inspecteur H ubbard et Tony Wendice au sujet du motif de l’appel de ce dernier la nuit précédente.

Hitchcock se sert ensuite du climat oppressant de « La loi du silence » lorsque Margot est, en quelques images, condamnée à mort. Hitchcock élude cette scène alors qu’il ne nous a pas épargné les longs dialogues Tony/Swann du début.

La veille de l’exécution, Mark sans le savoir explique à Tony un scénario qu’il imagine, et qui n’est que la réalité. La ficelle est un peu grosse.

Par contre, le numéro final de John Williams/H ubbard est encore du Columbo avant la lettre. « Il y a encore autre chose, Monsieur, on nous rapporte que vous aviez une petite mallette bleue », phrase qu’il prononce au moment de partir rappelle tant les « Encore un petit détail, m’sieur » du personnage incarné par Peter Falk.

L’absence à l’écran de Grace Kelly durant cette partie du film est pesante.

Le retournement final, dû au piège tendu par H ubbard, tient le spectateur en haleine. Margot, libérée la veille de son exécution, ne peut ouvrir la porte avec la clé qu’elle avait dans son sac. Seul bémol, Grace Kelly ne montre pas sur son visage qu’elle est en danger de mort. La procédure policière permet-elle qu’on sorte quelqu’un du couloir de la mort au dernier moment ? On pardonnera cette invraisemblance, comme celle de H ubbard ayant commencé une contre-enquête en faveur de l’accusée dès son arrestation.

John Williams s’approprie ainsi l’écran au détriment des autres comédiens durant toute l’épilogue.

Un excellent suspense, mais qui rate le chef d’œuvre en raison d’une intrigue trop compliquée et de trop de dialogues inutiles.

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5. FENÊTRE SUR COUR
(REAR WINDOW)

Le quarante et unième film de Sir Alfred est basé sur une nouvelle de Cornell Woolrich alias William Irish, auteur souvent porté à l’écran (« La sirène du Mississipi » avec Belmondo refait ensuite aux states avec Antonio Banderas, « La mariée était en noir » avec Jeanne Moreau, « Rendez vous en noir », série télé hélas oubliée, premier rôle en vedette de Daniel Auteuil en 1977).

La nouvelle s’intitulait « It had to be a murder » (1942) et les droits avaient été achetés par Leland Hayward et Joshua Logan. Logan avait adapté la nouvelle dans une version longue pour un film qu’il comptait réaliser lui-même avant d’y renoncer. Paramount racheta la nouvelle et son adaptation pour la livrer « clés en mains » à Hitchcock.
Ce dernier retravailla le script avec John Michael Hayes, un jeune scénariste. Tout en tournant « Le crime était presque parfait », il avait déjà en tête ce que serait son prochain film. Il réutiliserait Grace Kelly, vedette du film en cours, et engagerait son ami James Stewart, dont il avait fait la vedette de « La corde ».

Le principe de « Fenêtre sur cour » était de tourner dans un espace confiné - une unité de lieu - comme « Lifeboard » et « La corde ». C’était le second des trois films qu’Hitch tournerait avec Grace Kelly (Après « Le crime était presque parfait » et avant « La main au collet »). Avec deux acteurs mythiques, une histoire basée sur une nouvelle d’un grand écrivain de polars, et un metteur en scène légendaire, on ne pouvait qu’accoucher d’un chef d’œuvre, et ce fut le cas. L’autre thème du film est le voyeurisme, notre héros Jeff Jeffries est un photographe de presse obligé de rester chez lui avec une jambe dans le plâtre à la suite d’un accident (Il s’est trop approché d’un circuit de formule 1 et a reçu…une roue qui s’est détachée !).

Il faut croire qu’il n’a pas la télé car sa seule distraction est de regarder ses voisins, dont une danseuse, Miss Torso, qui au début du film et en topless de dos, et dans la scène finale accueillera son fiancé. Parmi les autres voisins, une sculptrice, des jeunes mariés, un couple plus âgé qui descend son petit chien dans un panier, un compositeur de musique aussi (dans la première séquence, il est en compagnie d’Alfred Hitchcock) qui à la fin du film triomphera avec toute une foule dans son appartement.

La mise en bouche du suspense commence par les visites de Lisa Fremont (Grace Kelly) à son fiancé immobilisé et peu enclin à se marier. Grace Kelly joue une femme audacieuse pour l’époque (1954) qui n’hésitera pas à s’imposer pour passer une nuit chez Jeffries en apportant dans une petite sacoche des chemises de nuit dont une nuisette assez sexy. On a infiniment du mal à croire à l’impassibilité de James Stewart qui repousse les avances d’une femme glamour et amoureuse. A la suite de leur première dispute, Stewart commence à s’intéresser à Lars Thorwald (Raymond Burr ici avec les cheveux blancs, il sera en 1967 Robert Dacier dans la série « L’homme de fer », ainsi que l’avocat Perry Mason). C’est une fois la solitude retrouvée que le suspense commence pour le héros, Grace Kelly apportant une présence réconfortante et lui faisant même venir à domicile un repas d’un grand restaurant.

Entre les visites de Lisa, Jeffries avance dans son enquête avec son téléscope et pense que Thorwarld a tué sa femme et l’a coupée en morceaux. Sir Alfred retrouve ici sa vieille obsession commencée en 1926 avec « The lodger » son 3e film, et achevée en 1972 avec son cinquante deuxième film, le médiocre « Frenzy ». Dans les films d’Hitchcock, il y a toujours un peu de Jack l’éventreur, il faut dire qu’enfant, lorsqu’il était à table, ses parents ne parlaient que de meurtres horribles et de serial killers anglais, ce qui a sans doute provoqué sa vocation de maître du suspense.

La présence du copain de guerre, le lieutenant détective Thomas Boyle (Wendell Corey) vise à calmer l’imagination débordante du reporter Jeffries, il lui rappelle la loi et qu’il ne peut fouiller l’appartement de Thorwald sans risquer la révocation. Il s’est d’ailleurs renseigné et Mrs Thorwald est en voyage.

Autre présence pour le photographe, l’infirmière Stella (Thelma Ritter) qu’Hitchcock engagea car elle était une actrice maison de Paramount. Au début, celle-ci insiste pour qu’il épouse Lisa et fonde un foyer, mais peu à peu, elle se laisse, comme Lisa, entraîner par l’enquête officieuse.

Cet unique décor, la cour, ne tombe jamais dans la répétition ou l’ennui grâce à la magie d’Hitchcock. Il y a toujours des sous-entendus sexuels (la jeune épouse ferme souvent les volets, et lorsque Grace Kelly s’allonge lascivement sur un canapé, il n’y a bien que James Stewart qu’elle laisse de marbre !).

Thorwald a dissimulé le cadavre de sa femme qu’il a décapité dans une malle et la tête dans un carton à chapeau Il tue le petit chien qui a flairé quelque chose et grattait le lopin de terre de son appartement.

Le décor est une réussite sans fautes. La caméra alterne entre l’appartement de Jeff et la vue donnant sur une cour intérieure comportant trente et un appartements. Sir Alfred tourne une séquence où Grace Kelly réveille d’un baiser James Stewart en nous gâtant d’un sublime gros plan. Il s’entendait bien avec ses vedettes et cela se sent à l’écran. Le mystère et l’action policière commencent durant les trois premières visites de Lisa.

Il confia Grace Kelly à la costumière Edith Head. Cette dernière reçut un oscar pour les robes de Grace. Mais Sir Alfred trouvait que les têtons de la future princesse de Monaco laissaient à désirer, qu’ils étaient trop menus. Grace Kelly refusa de porter de faux seins et Edith Head s’atella à lui confectionner des ajustements de robe qui rendaient la comédienne plus sensuelle.

Des années plus tard, le maître avouera à Truffaut avoir déguisé Raymond Burr pour qu’il ressemble le plus possible au producteur David O Selznick qui l’avait tant brimé lors de son arrivée aux Etats Unis. Dans une scène, Grace Kelly s’introduit chez Burr et cache l’alliance de la morte dans sa main derrière son dos, mais en s’arrangeant pour la montrer au téléscope de Stewart. Une façon pour Lisa de dire qu’elle a mis « la bague au doigt » à son reporter. C’est le moment où Thorwald identifie le voyeur et veut lui régler son compte. Dans cette scène, la police arrête Lisa pour l’effraction de l’appartement du tueur, mais les officiers partis, l’assassin veut régler son compte au gêneur.

Moins bouleversante que par exemple « Sueurs froides », la fin montre le héros jeté par la fenêtre, il en ressortira avec les deux jambes dans le plâtre au lieu d’une, et sa tendre garde malade mannequin près de lui.

« Fenêtre sur cour » se désintéresse des motivations du « méchant » (aux antipodes de « Psychose ») pour se concentrer sur le personnage de James Stewart, dans le regard duquel il crée toute une humanité, celle d’un homme qui s’intéresse aux autres, qui voit des couples se disputer alors qu’il est réfractaire au mariage. Mais certains critiques ont trouvé que le plâtre de Stewart et le fauteuil où Hitchcock passait la plupart de son temps formaient un parallèle : au fond, Jeff Jeffries impuissant à se défendre, voyeur, cloué dans sa chaise longue, c’est une incarnation d’Alfred Hitchcock.

 

Un des chefs -d’œuvre de la carrière du maître.

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6. LA MAIN AU COLLET
(TO CATCH A THIEF)

Pendant le tournage de “Fenêtre sur cour”, Hitchcock decide d’adapter un roman de David Dodge publié en 1952 « To catch a thief », qui est le résumé d’une expression « It takes a thief to catch a thief » (« Il faut un voleur pour attraper un voleur »). Ayant acheté les droits, Sir Alfred et le scénariste John Michael Hayes commencèrent à plancher sur le script. Hayes ne connaissant pas la Riviera, où se situe l’action, le maître lui offrit des vacances au Carlton à Cannes.

 

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Toutefois, Dodge fut déçu car de son roman, Sir Alfred ne garda que le titre, le nom de certains personnages, et quelques péripéties. L’histoire relate l’aventure d’un célèbre cambrioleur, John Robie dit « Le Chat », voleur de bijoux. Depuis quinze ans, il s’est racheté une conduite en ne volant plus et en étant devenu un héros de la Résistance. Mais un imitateur a pris sa place et le compromet. Robie doit le prendre la main au collet pour prouver son innocence.

Avec ce film, Hitchcock renonce à ses suspenses habituels pour inventer un nouveau genre, le thriller romantique.

Pour jouer le rôle principal, le metteur en scène voulait Cary Grant. Mais après le tournage de « Dream wife » en 1952, le comédien avait pris sa retraite. Les exigences de Grant furent phénoménales pour accepter le rôle. En plus d’un cachet exorbitant, il demanda 10% des recettes brutes que le film rapporterait. Son contrat prévoyait que chaque journée de tournage s’arrêterait à 18h. Il multiplia les caprices, demandant une limousine (Lincoln ou Cadillac) pour le conduire chaque jour sur le plateau. Quinze jours plus tard, Grant comprit qu’il passait pour un prétentieux et se contenta d’un roadster avec chauffeur. Puis il changea d’avis et demanda – à grands frais – que l’on fit revenir par avion sa limousine des Etats Unis.

Grant trouvait que le scénario n’était pas très bon, et à son gré, il modifia des répliques et fit même changer des scènes. Par contre, il s’occupa lui-même de sa garde robe, sans rien demander à la production.
Grace Kelly, au moment du casting du film, s’était vu proposer par rien moins qu’Elia Kazan d’être l’héroïne de « Sur les quais » aux côtés de Marlon Brando, mais les deux films étant tournés simultanément, elle dut choisir et devint Francie, l’héroïne de « La main au collet ». Elle vivait alors une passion avec le couturier Oleg Cassini. Contrairement à la légende, ce n’est pas lors du tournage qu’elle rencontra le prince Rainier.

Avec en vedettes Grace Kelly et Cary Grant, le maître disposait d’un atout considérable pour faire de son film un chef d’œuvre et montrer au public un film d’un autre genre que ses suspenses. Mais plusieurs problèmes survinrent. Tout d’abord, la Paramount, qui lui accordait le tournage en extérieurs, limita le budget à trois millions de dollars, ce qui nous prive d’une scène que le maître avait imaginée : une poursuite en plein carnaval de Nice, Robie se cachant parmi les chars d’un défilé. A la place, nous avons une scène moins excitante dans un marché aux fleurs.

Mais Hitchcock, qui avait des images de cartes postales en tête, commit plusieurs erreurs qui nuisent au film. Tout d’abord, la quiche lorraine devient un plat du midi ! Obsédé par les bonnes tables, le metteur en scène a changé le métier de Bertani, l’un des personnages, d’agent immobilier en restaurateur. Et avant de rejoindre le lieu du tournage, il fit escale dans plusieurs villes françaises dans les meilleures tables.

Et puis la distribution française est une catastrophe. Parce qu’il l’avait vu dans « Les Diaboliques » et « Le Salaire de la peur », Sir Alfred engagea Charles Vanel pour incarner Bertani, Vanel se révèle incroyablement mauvais. Le comédien lui-même avoua que ce fut son pire souvenir de tournage. Il ne parlait pas anglais, et on dû le faire doubler par un autre comédien français, et recourir à des subterfuges comme lui demander de mettre sa main devant sa bouche.

Le choix de Brigitte Auber est encore plus maladroit. A un moment du film, le Chat est censé hésiter entre son charme et celui de Grace Kelly, ce qui n’est pas charitable pour la première. Brigitte Aubert est une « garçonne », sans aucun sex appeal.

Jessie Royce Landis dans le rôle de la mère de Francie en fait des tonnes, surjouant en permanence son personnage et en faisant une sorte de mère hystérique, tandis que John Williams, l’agent d’assurances Hugson, devient une caricature de gentleman anglais à moustache.

Hitch se vit imposer par la Paramount de tourner en Vistavision, qui produit une image large et nette, mais ennuya le metteur en scène qui ne savait comment combler la totalité de l’écran.

L’histoire n’a aucune importance. On apprend dans les dernières minutes que l’imitateur du Chat est Danielle Foussard (Brigitte Aubert) travaillant pour Bertani, mais tout le monde s’en fiche. On ne sait d’ailleurs pas qui a provoqué la mort du père de Danielle, joué par Jean Martinelli, qui malgré sa jambe de bois, se tue en tombant d’un toit et sera pris un temps pour le Chat. Il a été poussé, mais par qui ?

L’essentiel est ailleurs, dans la relation entre Francie et le Chat. Vers le début de leur rencontre, Francie embrasse ce dernier, et Hitch raconta que cette scène s’était déroulée en réalité entre lui et Grace Kelly avant le film. Grace Kelly ne démentit pas, mais on se demande quelle est la frontière entre les fantasmes de Sir Alfred et la réalité.

C’est Alma Hithcock, à la fureur du scénariste John Michael Hayes, qui écrivit la scène de la Corniche, alors qu’elle n’était pas censée participer au script. Cette scène laisse un goût amer. Cette séquence fut filmée en hélicoptère et Grace Kelly, myope, prit de grands risques en conduisant vite. Cary Crant était anxieux. En 1982, c’est sur une route semblable que la Princesse trouva la mort, sa Rover basculant dans le vide, hélas sans happy end dans cette réalité rejoignant la fiction.

Sir Alfred eut des problèmes avec la censure, par exemple la scène du feu d’artifice après le baiser entre les deux héros étant considérée comme une métaphore de l’orgasme. Grace Kelly ne put porter de bikini. On dut se rabattre sur de sages maillots une pièce. La costumière Edith Head, qui fit un travail remarquable lors de la scène du bal costumé du 18e siècle, se plaignit au maître lorsqu’elle ne reçut pas l’oscar qui fut attribué cette année là à Charles Le Maire pour « La Colline de l’adieu ».

Pour la musique, le maître fit appel à Lyn Murray (1909-1989).. Nous sommes très loin des partitions de Bernard Herrmann ou de celle de Franz Waxman pour « Le Procès Paradine ».

Si changer de registre et tenter une comédie policière était honorable, dans le sens de ne pas se recopier et de proposer quelque chose de nouveau au public, Alfred Hitchcock s’est trop reposé sur ses vedettes au détriment du scénario. Les images sont superbes, Grace Kelly n’a jamais été aussi belle, Hitch a employé de vrais comédiens, et non comme il le fera plus tard un mannequin (Tippi Hedren) ou des acteurs de séries B (Rod Taylor). En constatant que le film a vieilli, on a envie d’être indulgent, mais le résultat est là. Chacune des apparitions de Brigitte Aubert est atroce, et si le public plébiscita le film, un peu moins tout de même que « Fenêtre sur cour », les critiques furent sans concessions. « Le film manque de tension et de concentration », « C’est l’œuvre d’un homme en vacances et il ne doit pas être pris au sérieux », « La main au collet n’est pas un grand Hitchcock ».

En revoyant le film, je pensais lui mettre quatre melons de façon indiscutable et directe. Il les atteint en fait de justesse après une troisième vision pour cette critique. En effet, malgré le couple prestigieux (Kelly n’a d’égale que Bergman, et Grant arrive à surpasser Stewart), je me suis parfois ennuyé. Quel dommage que Grace Kelly ait refusé « Marnie » et « Les oiseaux », ici, malgré tous ses efforts, elle peine à combler les lacunes du scénario. Elle trouve tout de même dans le rôle de Francie Stevens un rôle de femme en avance sur son temps, n’hésitant pas à provoquer un flirt avec un supposé redoutable voleur.

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Ce film a indubitablement été l’inspirateur du thriller romantique, comme « Arabesque » (1966) de Stanley Donen avec Sophia Loren et Gregory Peck. Les sous-entendus sexuels paraissent aujourd’hui très datés. Dans la scène du pique-nique, Francie demande à propos du poulet « Vous voulez la cuisse ou le blanc ? ». En VO, « blanc » se dit « breast » qui signifie aussi « sein ». Grace Kelly multiplie les regards lascifs. Aujourd’hui, toutes ces provocations du maître envers la censure, vu l’évolution des mœurs, nous semblent bien inoffensives.

Mais ne faisons pas trop les difficiles. Pendant le tournage, Hitch allait préparer son prochain film, « Mais qui a tué Harry ? », qui se révèlera le pire de sa carrière, une idiotie sans nom, boudée à juste titre par le public américain, mais vantée par le snobisme des critiques français. Le film préféré du maître avec le génial « L’ombre d’un doute ». Sir Alfred était parfois incompréhensible.

Signalons que Sir Alfred avait prévu une autre fin que celle que nous voyons. Dans celle-ci, Frances repartait aux Etats-Unis mais promettait à Robie de revenir. Hughson, l’assureur, recueillait une confidence du Chat selon laquelle il n’attendrait pas son retour. Et l’on retrouvait alors notre héros en prison avec Danielle/Brigitte Auber, lui révélant qu’elle était la fille d’une voleuse, et qu’elle-même était née en prison. Hitch se rendit alors compte qu’il détruisait le couple qu’il avait mis tout un film à construire et il nous épargna cette fin inepte pour celle que nous voyons à l’écran.

Le tournage terminé, la post-production s’avèra un cauchemar. Il fallut faire venir les comédiens français pour qu’ils refassent leur doublage. Certaines scènes, d’autre part, avaient été gâchées par le vent. Retournant une dernière fois à Nice en janvier 1955 alors que le dernier tour de manivelle avait eu lieu en août 1954, Hitchcock se résigna à sacrifier certains dialogues en les remplaçant par la musique de Lyn Murray. En 1955, le maître ne travaillait pas encore avec Bernard Herrmann. Il se montra pointilleux avec Lyn Murray, l’obligeant à modifier sa partition très romantique utilisant un saxophone ténor. Il lui demanda d'utiliser des violons et le compositeur s’exécuta. Enfin, restait le problème de la Vistavision. Les gros plans rendaient l’arrière plan flou. Hitchcock dut filmer à nouveau et faire du travail de « seconde équipe ». Le directeur de la photo, Robert Burks et le directeur artistique Joseph Mc Millan Johnson durent alors retravailler les plans.

 

Hitchcock, pour avoir Cary Grant, avait fait de gros sacrifices financiers personnels. Mais il ne devait pas le regretter à la sortie du film en août 1955. Modeste, il déclara à la sortie londonienne n’avoir fait qu’un « film sentimental ».

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7. MAIS QUI A TUÉ HARRY ?
(THE TROUBLE WITH HARRY)

En 1952, durant la post-production de « La loi du silence », Hitchcock avait un agenda chargé : « The Bramble bush » (Projet qui ne verra jamais le jour), « La main au collet » ,« Le Crime était presque parfait » et un remake américain de «L’homme qui en savait trop ». Et l’adaptation d’un roman obscur de Jack Trevor Story, « The trouble with Harry ». Dans le même temps, il repensait toujours à son vieux projet de “L’homme sur le nez de Lincoln” qui allait devenir “La Mort aux trousses”.

Tant de beaux projets du maître sont restés dans les cartons que l’on ne peut que déplorer que ce caprice de metteur en scène ait pu voir le jour.

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« The Trouble with Harry » (en français « Qui a tué Harry ? » )est un film qu’Hitchcock de son aveu voulait tourner pour s’amuser. La Paramount, à juste titre, n’était pas enthousiaste. Mais pour ce studio, le maître venait d’enchaîner deux succès, « Fenêtre sur cour » et « La Main au collet ». Aussi décida- t- on de lui accorder ce gâchis de pellicule, basé sur une nouvelle de 100 pages publiée en 1949.

Pendant le tournage de « La Main au collet », Hitch commença à développer ce script. Le scénariste John Michael Hayes tenta de raisonner le maître en lui demandant d’ajouter du suspense et des péripéties. Après tout, en s’inspirant seulement du titre et de quelques personnages, le maître aurait pu faire un bon film. Mais de façon presque masochiste, Hitch voulait rester fidèle au livre et accepta juste de créer un personnage n’existant pas dans la nouvelle, Calvin.

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La nouvelle se situait dans la campagne anglaise, et il fallut la transposer dans le Vermont. L’idée de Sir Alfred était de confronter une superbe image (l’automne et ses paysages roux) avec l’aspect macabre de l’histoire. Sauf qu’en lieu et place d’un d’aspect macabre, il y avait une histoire à dormir debout dont Sir Alfred estimait qu’il s’agissait d’humour subversif.

La Paramount, à juste titre, restait de marbre devant ce désastre annoncé. Pour la convaincre, Hitchcock misa sur une distribution prestigieuse. Il contacta d’abord Grace Kelly, mais elle n’était pas libre, puis Brigitte Auber, mais son accent français lui coûta le rôle de Jennifer, la jeune mère qui est l’épouse de Harry. Aussi le dévolu du maître se porta sur une danseuse de 20 ans qui n’avait jamais fait de cinéma, Shirley Mc Laine. Le générique annonce d’ailleurs « introducing Shirley Mc Laine » ce qui signifie « pour la première fois à l’écran ». Quel cadeau empoisonné !

 

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Pour ce film, Hitch songeait à Cary Grant, mais il s’agissait d’un projet à petit budget et ses exigences financières l’écartèrent d’emblée. Le choix du maître se porta alors sur William Holden. Etait-ce une tactique pour convaincre le studio ? En réalité, c’est John Forsythe, comédien qui jouait une pièce à Broadway, et allait retrouver le maître dans « Alfred Hitchcock présente » , puis « Suspicion » (« J’ai tout vu ») et « L’étau », qui fut engagé. Le futur Blake Carrington de « Dynastie » n’était même pas le rôle pivot du flm, dévolu à un octogénaire, Edmund Gwenn (1877-1959) dans le rôle du capitaine Wiles. Gwenn avait joué dans « The skin game », « Le chant du Danube » et « Correspondant 17 » et terminera logiquement sa carrière dans « Alfred Hitchcock présente ».

De fait, dès les premières images, le spectateur n’adhère pas au film. Face à la découverte du cadavre d’un inconnu, les comédiens jouent la carte de l’humour absurde. Ainsi cet homme distrait qui heurte le cadavre sans s’en émouvoir, cet enfant qui s’amuse avec une arme en plastique, Edmund Gwenn qui cabotine en ancien capitaine devenu braconnier à la recherche de lapins. Personne ne s’émeut de la découverte d’un cadavre. Tout le monde entre dans la danse de cette intrigue absurde sans sembler s’étonner de la platitude de l’intrigue.
La distribution est d’une tristesse pathétique, à l’exception de l’excellent et inquiétant Royal Dano, qui sera en 1967 la vedette du mémorable épisode de la série western « Cimarron » : « Le monstre de la vallée ».
Dans le Vermont, où Hitch espérait tourner de superbes images automnales en couleur, la météo se fit capricieuse, comme si la nature elle-même se retournait contre le maître du suspense dans son entreprise indigne. La venue d’un ouragan puis d’un automne froid et pluvieux rendant les feuillages gris perturbaient le tournage, mais pas l’humeur de Sir Alfred rejoint sur le plateau par son épouse Alma et décidé à aller jusqu’au bout de son infâme farce. Le tournage dut d’ailleurs se terminer en studio.

 

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Mildred Natwick, qui joue Miss Gravely, et n’a aucune réaction à la découverte du cadavre de Harry, joue de façon exécrable. Elle plombe le film qui a déjà coulé à pic. Le couple Shirley Mc Laine-John Forsythe est d’autant plus peu crédible que la débutante Shirley est tellement mauvaise que l’on n’aurait pas misé un kopec en 1955 sur son avenir de comédienne. Elle n’a aucune charme, aucune grace (sans jeu de mot), et quand on pense aux blondes du maître, il y a de quoi émettre de sérieuses réserves.

Le cabotinage d’Edmund Gwenn devient vite atroce et difficilement supportable.

Pas étonnant que Bernard Herrmann (appelé en remplacement de Lynn Murray) soit si peu inspiré pour la musique, sans doute la pire qu’il ait jamais fourni au maître. Ce fut la rencontre entre Herrmann et Hitch, mais ce dernier s’entendit à merveille avec un Herrmann au caractère réputé difficile et il devait s’ensuivre une longue collaboration. Durant le tournage, Hitch travailla avec une musique provisoire, la marche funèbre d’une marionnette de Gounod, qui allait devenir le célèbre thème de « Alfred Hitchcock présente ».

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Mais l’enthousiasme d’Hitch pour Herrmann, le fait qu’il déclara à l’époque n’avoir jamais pu contrôler aucune partition d’un de ses films, alors qu’il avait bénéficié de l’oscarisée musique de Miklos Rözsa pour « La maison du docteur Edwardes » qu’il avait traitée après coup de sirop, nous fait poser une grave question : Hitchcock s’y connaissait-il vraiment en musique ?

Je ne vais pas être gentil mais l’humour de ce film est du niveau de « L’Armoire volante » de Carlo Rim (1948) avec Fernandel.

Faut-il se prosterner et crier au chef d’œuvre sous le seul prétexte que l’auteur est Hitchcock ? Un peu comme le firent les afficionados de Jean Renoir devant le nullissime téléfilm « Le Testament du docteur Cordelier » avec Jean Louis Barrault (1961), défendant l’indéfendable.

La tentative désespérée de redonner au trois quart du film un semblant de suspense avec le portrait du mort présenté par le shérif (Royal Dano) selon les indications du vagabond mis sous les verrous tombe à l’eau.

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On peut aisément comprendre que Cary Grant et William Holden, même moyennant un cachet important, aient refusé de jouer le peintre Sam Marlowe, auquel John Forsythe ne parvient jamais à apporter aucune épaisseur.

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Un film ni fait ni à faire, un caprice de metteur en scène trop gâté (Doit-on tout pardonner au talent ?), qui fut un désastre justifié lors de sa sortie aux Etats Unis mais reçu un incompréhensible accueil triomphal en France.
A l’arrivée, nous avons une farce de carabins, avec cadavre enterré et déterré plusieurs fois, humour auquel on peut rester hermétique, et un conseil : zappez cette ânerie et passez directement de « La Main au collet » au remake de « L’homme qui en savait trop ». Et si vous vous dites admirateur du maître et que vous montriez cette œuvre en premier à autrui, on vous prendrait à coup sûr pour un dangereux pervers.

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8. L'HOMME QUI EN SAVAIT TROP
(THE MAN WHO KNEW TOO MUCH)


En 1955, Hitchcock decide de faire un remake de son film “L’homme qui en savait trop”, en remplaçant la menace du nazisme par celle du communisme.
Toutefois, rappelons que dans la première version, les ennemis menés par Peter Lorre n’étaient pas clairement identifiés.
Dès son arrivée en Amérique, le maître avait eu l’idée de faire une version américaine, David O’Selznick le lui avait d’ailleurs proposé.

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Angus MacPhail, le scénariste, que Hitch avait sorti de la dèche à défaut de l’alcoolisme en l’aidant financièrement deux ans avant, se mit à plancher sur le script.

D’emblée, James Stewart fut engagé par la Paramount pour jouer le rôle principal. Hitchcock espérait refaire le couple Grace Kelly-James Stewart.
Les évènements de Hongrie inspirèrent Hitch et MacPhail. John Michael Hayes reprit le scénario en mains lors du tournage à Marrakech, mais fit une gaffe en signant de son nom seul le traitement final, ce qui mit en colère Sir Alfred.

Doris Day fut pressentie après que Grace Kelly, qui était en litige avec la MGM, se révéla indisponible. Toutefois, Doris Day n’avait jamais quitté les Etats-Unis, avait peur de l’avion et fut malade à Marrakech (Pleurésie). Le passage de Grace Kelly à Doris Day imposa une réécriture du personnage. Dans la version initiale, Grace flirtait avec Louis Bernard (Daniel Gélin). Doris Day qui représentait « L’Amérique profonde » devait jouer un personnage dans lequel son public se reconnaisse.

Sir Alfred décida de mettre de la comédie dans son remake.

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Le film reprend la structure de la version 1934 avec en plus les moyens techniques de 1956, et développe davantage l'intrigue ce qui permet de rallonger le métrage. En revanche, le personnage de Peter Lorre n'est pas remplacé.

Doris Day connut d'autres problèmes notamment avec Sir Alfred qui ne lui donnait aucune indication de jeu. Elle se méprit et crut qu'il ne l'appréciait pas. Elle provoqua un tête à tête et le maître la rassura.

Doris n'aimait pas la chanson "Que sera sera" et l'enregistra à contre coeur en une seule prise. Selon elle, c'était une chanson pour enfants. Mais en remportant l'oscar de la meilleure chanson de film en 1956, elle changea d'avis.

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Doris Day finalement vole la vedette à James Stewart. Ce qui est un peu logique puisque dans la version 1934, c'était la mère de l'enfant kidnappé qui était l'héroïne. Après Marrakech, le tournage continua à Londres puis en studio à la Paramount.

La scène du Royal Albert Hall a été conservée et même améliorée. Voulant absolument que le public comprenne que le coup de feu du tireur surviendrait lors du coup de cymbales, il montre l'orchestre et sur un tournedisque, le tueur doit écouter le moment précis où il doit intervenir. Il fallait absolument que le public comprenne l'intrigue et adhère au suspense.

La scène des adorateurs du soleil est remplacée par l'église Ambrose Chapel. Celle du Royal Albert Hall est plus longue qu'en 1934. James Stewart n'arrivait pas à faire entendre son texte, aussi Hitch lui indiqua de faire des gestes plus explicites qu'un discours.

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Le final à l'ambassade est destiné à permettre à l'enfant d'entendre sa mère chanter "Que sera sera" et à s'échapper.

Si l'on regrette l'absence d'un équivalent à Peter Lorre, la seconde version est celle d'un professionnel accompli, alors que la première est l'oeuvre d'un amateur. C'est ainsi qu'Hitchcock expliquait la différence entre l'origine et le remake.

Le film signa la brouille définitive entre le scénariste John Michael Hayes et le maître. Hayes voulait être crédité comme unique scénariste, estimant que le travail de MacPhail n'était qu'une épure. Il porta l'affaire devant la Writers Guild of America et obtint l'éviction du protégé d'Hitch. Rancunier, ce dernier ne pardonna jamais cet affront et ne travailla plus avec Hayes.

 

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Le remake est un spectacle familial, dépaysant, accentué par la présence de Doris Day.

L'aspect comédie est souligné par la visite de James Stewart chez le taxidermiste Ambrose Chapel. Le film édulcore l'aspect très sombre de l'autre version faite en pleine montée du nazisme. L'humour est aussi présent hors caméra, Daniel Gélin raconta que les figurants riaient lors qu'il parlait arabe, les mêmes figurant changeant d'un jour à l'autre au grand dam du maître car les frères, les cousins des personnes engagées voulaient aussi paraître à l'écran et avoir leur part de salaire.

Lors des scènes à Londres, le docteur Mc Kenna (Stewart) joue les courants d'air avec les amies qu'a invité son épouse Jo. En fait, il mène son enquête. Mais les séquences évoquent plus le vaudeville qu'un film à suspense.

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Lâchés par la police et les services spéciaux anglais pour ne pas faire de bavures diplomatiques avec un pays de l'Est, les Mc Kenna devront eux-mêmes sauver leur enfant et négocier avec les membres du complot.

Tout ceci se fait au détriment du réalisme de l'original, mais le spectateur s'en fiche. Il veut un "happy end" dans lequel l'enfant est libéré et les méchants punis. Les scènes du Royal Albert Hall et de l'ambassade recèlent néanmoins leur lot de suspense, de quoi assouvir la faim des amateurs du maître.

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Est-ce un hasard si c'est le plus américain des films d'Hitchcock quand on sait qu'il fut naturalisé durant le tournage ?

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9. LE FAUX COUPABLE
(THE WRONG MAN)

Le faux coupable

 

Cas particulier dans la filmographie d’Hitchcock, proche du néoréalisme italien, de films comme « Le voleur de bicylette », “Le faux coupable” s’inspire d’une histoire vraie.

Le maître va nous décontenancer totalement, car les films qui précèdent et suivent « Le faux coupable » sont tous trépidants et correspondent à ce à quoi il nous a plus ou moins toujours habitué, à l’exception de certains de ses premiers films britanniques (et encore, « The lodger », qui évoque Jack l’éventreur, reste un excellent opus).

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En 1956, Hitchcock devait un ultime film, par contrat, au studio Warner. Lui qui a tant œuvré pour la fiction, a cette fois voulu bâtir un film documentaire, une reconstitution, dans laquelle il s’est juste permis de légères entorses à la réalité. Il s'agit essentiellement d'allusions à la religion, le réalisateur étant très croyant.

Pour incarner le personnage principal, il engagea Henry Fonda, lequel s'appuie sur son métier pour donner une interprétation bouleversante (Hitch raconta même qu'il n'avait pas eu besoin de le diriger), et conclut un contrat avec Vera Miles afin de l’inclure dans ses prochains films et d’en faire « une nouvelle Grace Kelly ». Mais, pour mettre en valeur une blonde qui avait selon lui « trop de couleurs », il l’engagea pour un film en noir et blanc.

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Cette association fit long feu, d’abord parce que Hitch voulait crééer une « nouvelle vedette » et que Vera Miles avait été découverte avant lui. Ensuite parce qu’elle se montrera vite réticente à être la chose du maître, se mariera d’ailleurs durant le tournage. On la retrouvera dans « Psychose », mais dans « Le faux coupable », il réutilisera la façon de jouer qu’elle avait adopté (hystérique) dans l’épisode célèbre d’Alfred Hitchcock présente, « C’est lui ».

Cependant, "Le faux coupable" était de toute façon un cadeau empoisonné pour une nouvelle actrice. Le personnage de Rose n'est pas glamour, nous sommes dans le peuple américain modeste voire miséreux. Quand on se rappelle les rôles confiés à Ingrid Bergman puis Grace Kelly, même un film un peu tortueux comme "Les amants du Capricorne" offre plus d'opportunités. Faut-il voir dans "Le faux coupable" le vrai responsable de l'échec de la collaboration Miles/Hitchcock ? Pourtant, n'ayant pas besoin de s'occuper de Fonda, il se concentrait sur Vera Miles.

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Hitchcock commence par présenter le film, comme s’il s’agissait de sa série télé. C’est la seule fois qu’il le fit au cinéma.

"Manny" Balestrero (Henry Fonda) est contrebassiste dans une boîte de nuit de New York, le Stork Club. Ce soir-là, en rentrant chez lui, sa femme Rose (Vera Miles) souffre d’une rage de dents, mais ils ne peuvent pas payer le dentiste.

Nous suivons aussi Manny dans le métro, lisant un journal, qui parle de possibilité de crédits. Nous apprenons que Manny et Rose ont deux enfants. La scène où les deux têtes blondes apparaissent dans l'encadrement d'une porte lorsque l'arrestation de leur père est connue est bouleversante.

Hitchcock avait une phobie des policiers depuis que jeune, il avait fait un court séjour dans un commissariat. On retrouve cette peur ici, notamment au moment où des policiers surgissent, sans raison, devant Manny.
En allant emprunter de l'argent, 300 dollars sur sa police d'assurance pour que sa femme puisse se soigner, il est reconnu par la guichetière comme étant l'auteur d'un hold-up qui eut lieu quelques semaines plus tôt au même endroit. 

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Tandis que Manny attend paisiblement au guichet la conscience tranquille, les regards apeurés de la guichetière (Peggy Webber), qui rejoint deux collègues dont Miss James (Doreen Lang), sont les premiers signes annonciateurs de la tragédie.

Deux policiers, Bowers (Harold J Stone) et Matthews (Charles Cooper) l’arrêtent et l’obligent à défiler devant des commerçants victimes de l’auteur des vols. Tous l’identifient. Menottes aux poignets, il est bafoué et humilié. Pendant une partie du film cependant, ayant sa conscience pour lui, sur de son bon droit, il va tenir le coup et espérer.

Dès lors, la machine judiciaire se mêt à broyer Manny : on le questionne, on le confronte à des témoins, on l'emprisonne... Rose parvient à réunir la caution pour le libérer. Mais c'est un long calvaire qui commence. Manny à la fin dira au vrai coupable : "C'est à cause de vous que ma femme est devenue folle". C'est un peu comme s'il n'y avait aucune issue à ce cauchemar.

 

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Rose et Manny vont trouver l'avocat O'Connor (Anthony Quayle) qui accepte de défendre notre héros. Mais, à la recherche de preuves de son innocence, Manny ne parvient pas à en trouver la moindre. Finissant par croire son mari coupable, Rose perd la raison et doit être internée dans un hôpital psychiatrique. Resté seul, Manny comparait devant la Cour de Justice mais le procès, grâce à l'habileté de maître O'Connor, est annulé pour vice de forme. C'est durant ce nouveau délai que la chance sourit enfin à Manny : le véritable auteur des hold-up se manifeste à nouveau et, pris sur le fait, l'innocente. Mais à l'hôpital, Rose semble indifférente à la bonne nouvelle : il lui faudra encore de longs mois avant qu'elle ne recouvre la raison.

C’est du moins ce que le bandeau de fin précise au spectateur, car des années après, évoquant ce film avec Truffaut, Sir Alfred dira « Je pense que Rose Balestrero est encore à l’asile ».

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Film également empreint de catholicisme. Manny garde son rosaire en prison ; il le tient lors du procès. Sa mère lui demande prier, il regarde l'image de Jésus et on voit le vrai criminel dans la rue qui se dirige vers ce qui le fera prendre.

Il se servit aussi du témoignage du vrai Balestrero, mais ce dernier ne lui confiait que des anecdotes qui ne permettaient pas de faire avancer le scénario, confié à Angus MacPhail et Maxwell Anderson.

Tout d’abord, peut-on parler de scénario, lorsque Hitchcock alla jusqu’à visiter la cellule de Balestrero, le club de jazz où il travaillait, le cabinet de l’avocat, interrogea le psychiatre de Rose (où est le secret médical ?), et ne voulait à aucun moment faire œuvre de création artistique en matière de fiction pour ce film ?
En fait, nous sommes en présence d’un Hitchcock atypique, qui déroute et se révèle vite un documentaire ennuyeux.

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A la base, c’est un article de « Life » qui attira le maître sur cette histoire. Elle n’avait rien d’inédit puisque la télévision en avait déjà fait une adaptation dans l’anthologie « Robert Montgomery présente ».

En février 1956, Hitch commença les repérages à New York. Le chef de la police de New York lui mettant des bâtons dans les roues, il engagea des policiers retraités, et fit jouer leur propre rôle à certains protagonistes de l’affaire. Hitch tourna sur les lieux mêmes où les faits s’étaient produits.

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Les effets de mise en scène se remarquent notamment lorsque la cellule de Manny se referme, et que tout est vu à travers un rectangle donnant sur l’intérieur. C’est aussi par ce rectangle que l’on voit son visage angoissé.

Lors de son incarcération, la caméra se met à tourner autour d’Henry Fonda, mettant mal à l’aise le spectateur. Quant à la musique de Bernard Herrmann, elle agresse l’oreille volontairement dans cette scène.

Nehemiah Persoff, célèbre figure des séries télé 60-70, incarne Gene, le beau-frère de Manny. C’est lui qui reçoit le coup de téléphone de ce dernier lors de son arrestation. Le désespoir de la scène est amplifié par la présence de la mère de Manny.

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Le film est une succession de scènes sombres, dont la dramaturgie est accentuée par le noir et blanc. Malgré la présence d’Henry Fonda, on se demande ce qui a pu tant séduire Hitchcock dans ce qui aujourd’hui serait de la reconstitution télé racoleuse. On trouve surtout le temps long en raison de l'unité des images proposées. Il est vraiment difficile de trouver une once d'optimisme dans ce film, même si au début, Henry Fonda, sûr de son bon droit, se laisse à hasarder un sourire en présence des policiers.

« Le faux coupable » ne laisse pas indifférent, il provoque un profond malaise, cette reconstitution frisant le voyeurisme.

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Ce n’est pas vraiment l’Hitchcock que l’on aime. Le néoréalisme italien, Rossellini, Visconti, De Sica n'a rien à voir avec le cinéma de suspense de Sir Alfred. La présence d'Henry Fonda au générique est certes rassurante, mais il n'y a à proprement parler de spectacle, lequel reposait souvent chez le maître, on le lui a assez reproché, sur des histoires illogiques et hautement improbables.

Lors de ses entretiens avec François Truffaut, Hitch a bien défini le malaise du film en ces mots: "La fidélité aux faits a causé du tort au scénario, tout est anti-dramatique". Avec lucidité, il rangeait "Le faux coupable" dans ses échecs.

 

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10. SUEURS FROIDES
(VERTIGO)

Sueurs froides

Victime du vertige, John Ferguson dit « Scottie, » un policier, ne peut empêcher la mort d’un collègue. Il est engagé par un ami, Galvin Elster pour surveiller sa femme, Madeleine, suicidaire. Mais pris d’une crise de vertige, il ne peut empêcher sa chute du clocher d’une église. Tombé amoureux d’elle, il se sent responsable du drame jusqu’au jour où il rencontre Judy Barton (Lucy en VF), sosie parfait de Madeleine. Il croit que le ciel lui a donné une « seconde chance ». Madeleine est-elle revenue d’entre les morts ?
En réalité, Scottie a été victime d’une machination, le mari lui faisant suivre sa maîtresse, alors qu’il a brisé la nuque de sa femme et la jette du clocher en la changeant au dernier moment avec Judy Barton, sa complice, ce que Scottie n’a pas vu à cause de son vertige.

Le tournage (de la pré-production à la sortie du film)

En 1956, Hitchcock s’apprête à tourner une adaptation du roman de Laurens Van Der Post « Flamingo Feather ». Ce doit être un film d’aventures assez classique et Hitch fait des repérages en Afrique. Il a le casting idéal dans sa tête : Grace Kelly, qu’il espère faire revenir au cinéma, et James Stewart. Ce dernier lui a donné son accord.

Le refus de la Princesse Grace et le budget phénoménal pour un tel tournage mirent fin au projet. Aussi, le maître demanda au scénariste du « Faux coupable », Maxwell Anderson d’adapter le roman « D’entre les morts » de Bolleau –Narcejac.

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L’action du livre se déroulait à Paris et Marseille pendant la seconde guerre mondiale, et se terminait par un meurtre, le détective (que James Stewart interprétera) étranglant Madeleine, la femme qui l’avait dupé.

Sir Alfred donna comme instruction à Anderson de situer l’action à San Francisco, en particulier à San Juan Bautista et Mission Dolorès. Mais lorsque le scénariste rapporta sa copie, Hitch constata que celui-ci s’était écarté du roman, faisant de Madeleine une riche héritière, et imaginant les deux morts du film sur le Golden Gate. Il le remercia et se tourna vers Angus Mac Phail. Le deuxième projet ne donna pas davantage satisfaction à Hitchcock.

Troisième tentative : Alex Coppel, romancier australien, s’attaque à l’adaptation. Il a pour objectif de rendre sa copie pour décembre 1956, lorsque le tournage doit commencer.

La MGM fait alors une offre au maître : diriger « The Wreck of Mary Deare », avec en vedette Gary Cooper Le scénariste prévu est Ernest Lehman. Tandis que le projet de « D’entre les morts » était finalisé par Coppel, Hitch s’acquittait de ses obligations envers la saison 2 de « Alfred Hitchcock présente ».

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Revenu à son film, il engagea James Stewart et Vera Miles pour tenir les rôles de Scottie et Judy/Madeleine. « Scottie » était un clin d’œil à l’écossais Angus Mac Phail.

James Stewart n’était pas disponible et le tournage fut retardé. Lorsqu’il prit connaissance du troisième jet du script, dans lequel Scottie était traumatisé suite à un saut en parachute, et où, reprenant l’idée de Maxwell Anderson, il faisait de Judy une riche héritière, le maître congédia Coppel.

Quatrième tentative : Hitch fait revenir sur le projet le scénariste initial, Anderson. Mais ce dernier était lassé de ce roman inadaptable, et jeta l’éponge. On ne peut pas dire que, fin 1957, les choses avaient beaucoup avancé.
Sam Taylor tentait donc un cinquième script, lorsque Hitchcock, qui avait toujours abusé de la bonne chair, tomba malade et fut opéré du côlon. Puis de calculs. Il fut HS durant les quatre premiers mois de 1957. Son état était grave : hémorragies internes, jaunisse, vésicule biliaire qu'il fallu lui enlever.

Coup du sort. Hitch presque revenu « d’entre les morts » si l’on peut dire, Vera Miles annonce qu’elle est enceinte et ne peut participer au film.

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Ce n’est donc qu’en juin 1957 que le tournage pourrait commencer, mais le maître allait faire, comme plus tard pour Tippi Hedren, une énorme erreur de casting en remplaçant Vera Miles par un ersatz de Marylin Monroe, Kim Novak. Il allait très vite s’en mordre les doigts.

Le maître s’oppose alors à Sam Taylor, le cinquième scénariste, en lui demandant de révéler la surprise de l’intrigue au milieu du film, et non à la fin. Sam Taylor regrettera toujours d’avoir obéi car c’est selon lui la grande faiblesse du film.
Un caprice de Miss Novack, qui n’est pourtant pas passée à la postérité comme une star, repousse alors le tournage à Octobre 1957. Quelle déchéance pour le maître, après avoir travaillé avec Ingrid Bergman, de devoir patienter pour tourner un film à cause d’une starlette qui aurait pu facilement être remplacée.

Alors, il se consola en travaillant avec Ernest Lehman sur le projet de « The wreck of Mary Deare ». Mais le film devait comporter de nombreuses scènes de procès et Sir Alfred n’était guère enthousiaste, se rappelant du « Procès Paradine ». Aussi, il décida de porter à l’écran l’histoire de Jack Sheppard, le voleur roi de l’évasion, une sorte de Vidocq. Cette-fois, c’est Lehman qui fut réticent. Les deux hommes parlèrent d’un projet de longue date du maître, « L’homme dans le nez de Lincoln », l’histoire d’un espion imaginaire créé par La CIA pour leurrer les soviétiques. Ce sujet, Alfred Hitchock l’avait imaginé en 1950. Et jamais il n’avait pu le faire aboutir. Enfin, en 1957, un scénariste donnait vie à son idée Lehman trouva le nom du héros, Thornhill. On connaît la suite (« La mort aux trousses »).

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Il nous faut ouvrir ici une douloureuse parenthèse sur la vie privée du maître. Impuissant, Hitchcock était toutefois tourmenté par ses sens. Il fit miroiter à l’actrice française Brigitte Aubert, qu’il avait dirigée dans « La main au collet », qu’il allait lui donner la vedette dans son prochain film, l’histoire d’amour entre un soldat américain et une française. N’accablons pas ce pauvre Hitchcock qui devait connaître là l’une des pires hontes de sa vie. Il se méprit sur les intentions de Brigitte Aubert, qui le sachant amateur, lui faisait livrer des vins fins et fort coûteux. Ils commencèrent à se voir en privé, mais pour Brigitte Aubert, qui ne devait jamais lui pardonner ce qui suivit, ce n’était que de l’amitié.

Il savait qu’elle n’était pas libre, vivant avec un danseur, mais un soir, le maître, resté seul avec elle dans la voiture de l’actrice, se méprit sur ses intentions, et se jeta sur elle. Il ne l’avait qu’embrassée sur la bouche, mais l’actrice ne lui pardonna jamais, jusqu’à sa mort. Hitchcock fut sérieusement remis à sa place. Il n’avait pas commis de crime, viol ou autre, et l’attitude de Brigitte Aubert, dans la tête de quelqu’un d’aussi tourmenté et frustré que l’était le gros homme, avait pu prêter à confusion.

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Piteux, Hitch rentra en Amérique, s’occupa de produire en plus de « Alfred Hitchcock présente » des épisodes de la série « Suspicion ». Mais il était atteint d’une profonde amertume. Malgré ses supplications, Brigitte Aubert ne pardonnait pas, Vera Miles n’avait pu participer à « D’entre les morts », et sa rancœur, avant même de la rencontrer, portait un nom : Kim Novak.
Après avoir fait repousser le tournage, elle chercha des poux dans la tête (sans jeu de mot) à Edith Head, la costumière, en refusant de porter du gris. Le conflit éclata. Hitch voulut que Kim Novak porte un tailleur gris.

Avec le recul, quand on s’appelle Alfred Hitchcock, ne peut-on se passer des services d’une petite peste dont le seul talent se limite à son physique ? Sir Alfred préféra l’invita chez lui (en tout bien tout honneur et en présence de sa femme !) et là, il l’humilia, la mit mal à l’aise, lui fit mesurer son inculture. Il la brisa littéralement. Et l’obligea à obéir à Edith Head.

Le tournage commença et James Stewart fut affecté par la tension qui régnait. Il se rangea du côté de Kim Novak ( !) et la protégea.

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Les ennuis ne firent que s’empirer avec les dépassements des dates de tournage et du budget. Barbara Bel Geddes (qui sera Miss Ellie dans « Dallas » en 1978) avait des problèmes avec son rôle d’ex de James Stewart. Hitch l’encouragea et pour la récompenser de ses efforts, il lui donna le rôle principal d’un épisode de « A H présente ».

Le tournage se termina à Noël par deux scènes cruciales, celle du « baiser circulaire » entre Kim Novak et James Stewart, et surtout la scène du début, où Stewart se tient accroché au-dessus du vide à une gouttière. 

La Paramount proposa à Hitch d’agrémenter la musique de Bernard Herrmann d’une chanson du style de « Que sera sera » qui fut écrite par les auteurs de ladite chanson, Jay Livingston et Ray Evans, mais Hitch décida de ne pas l’utiliser.
Plus que sur aucun film, Hitchcock fut sceptique au montage. Il demanda même son avis à James Stewart. Alma, la femme d’Alfred, suggéra de couper une scène où Kim Novak montrait « ses grosses jambes » en traversant une place (Le couple n’estimait vraiment pas l’actrice). Le maître avait préparé toute une scène qu’il tourna après la chute de Judy/Madeleine qui coupe le souffle au spectateur à la fin du film, et la tourna, mais il y renonça. Cette scène donnait des explications claires et nettes au spectateur, un peu comme le psy à la fin de "Pyschose" deux ans après. Le réalisateur misa sur l'intelligence du public et coupa tout.

Il avait aussi utilisé le principe de la voix off pour quelques scènes et y renonça.

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Puis, chose inouïe, Sir Alfred demanda à retirer la scène clef du film, qui brise le mystère. Elle se situe dans le film juste après la première rencontre entre Scottie et Madeleine. On y voit le subterfuge, Judy se dissimulant tandis que Grégoire (Gavin en VO) Elster jette sa vraie femme dans le vide. En voix off, nous assistons à la confession de Judy.
Le suspense passe alors de la fiction à la réalité. La scène est présente à l’avant première du film à San Francisco, Hitchcock la fait retirer et donc couper au montage, et juste avant la sortie le président de la Paramount, Barney Balaban, oblige le réalisateur à réintégrer la scène dans le film.

Cette sortie agitée en mai 1958 reçut un accueil mitigé tant du public et de la critique. La presse est dure : « Tiré par les cheveux », « Histoire à dormir debout » « Hitchcock a franchi les limites de la crédibilité ».

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Bien sûr, c’est depuis devenu un film culte, autant connu sous son titre original de « Vertigo » que l’habile titre français « Sueurs froides ». Souvent les chefs d’œuvres ne sont reconnus que bien après leur sortie. C’est l’une des œuvres majeures d’Hitchcock avec « L’ombre d’un doute », « Psychose », « La main au collet », « La mort aux trousses », « Les oiseaux », ‘Fenêtre sur cour » et « La corde », et le réalisateur a d’autant plus de mérite que, comme pour le cas de Tippi Hedren dans « Les oiseaux », il est vraiment desservi par son actrice principale. Le film aurait-il était meilleur avec une vraie actrice, Vera Miles ?

Sans doute serait-il différent, car ici, il repose d’un bout à l’autre sur James Stewart qui nous fait partager ses peurs (son vertige qui le prive de sauver un policier) puis d’empêcher le meurtre de la vraie Mrs Elster.
Kim Novak, assez affreuse en brune Madeleine, et jolie fille sans plus sous sa vraie apparence blonde, est effectivement une erreur de casting monumentale, car pour une histoire d’amour, elle ressemble plus à la fille qu’à la femme de Scottie/James Stewart. On peut reprocher au film une action un peu lente (On est à des lieues de « La mort aux trousses »). Mais le script a été réécrit cinq fois. Et il nécessite une longue exposition pour que l’on adhère à l’histoire.

Le coup de théâtre n’est pas tant la confession de Judy/Madeleine, mais le moment où, à cause de son bijou, le collier de Carlotta, la jeune femme se trahit aux yeux de Scottie qui ne l’oublions pas est un ex policier.

Sans être misogyne, tout le travail est fait par James Stewart. Le spectateur s’identifie à lui. Lorsqu’il parvient dans la scène finale à vaincre son vertige, il joue à la perfection. C’est une des plus belles scènes de sa carrière.

Ce film rappelle immédiatement à notre mémoire « Les diaboliques » de Henri Georges Clouzot, avec Paul Meurisse et Simone Signoret, également adapté de Boileau-Narcejac.

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L’histoire d’amour et la longue quête de Scottie nous captivent une bonne partie du film, jusqu’à la scène de confession en flash-back révélant la supercherie. A la première vision, le film peut dérouter.

Elster aurait pu se débarrasser de son épouse d’une façon plus simple. Il y a des images mystiques dans ce film, la bonne sœur qui ressemble à un fantôme et provoque la chute de la coupable, Scottie restant les bras en croix comme le Christ. Le film flirte avec le fantastique, Madeleine étant censée être possédée par une morte. On est là dans le fantastique expliqué, assez proche de Gaston Leroux.

Les paysages de San Francisco sont superbement filmés et Hitchcock parvient à faire un sans-faute. C’est pour cela qu’on l’aime.

Je partage avec Hitchcock son peu de goût pour Kim Novak. Mais lui reproche de ne pas l’avoir remplacée. A ce stade là, le film est déjà un chef d’œuvre, alors avec une Bergman ou une Kelly, que serait-il ? Le must absolu ? Le film qui dépasse tous les autres opus du maître ? Et ce dernier nous a montré, sans tomber sans la légende « les acteurs c’est du bétail » qu’il pouvait réussir un film comme « Les oiseaux » avec un mannequin (laquelle a massacré cependant son film suivant).

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Rien à redire sur la musique de Bernard Herrmann, devenue indissociable du film. Hitch a eu une fort bonne idée de refuser l’insertion d’une chanson qui était tout à fait hors sujet.

Egal à sa prestation dans « Fenêtre sur cour », James Stewart s’impose comme LA vedette masculine indiscutable du maître avec aussi Cary Grant.

Ce film est du bonheur à l’état pur pour l’amateur d’Hitchcock. Dès les premières images, on sait que c’est un Hitchcock, ce qui deviendra moins facile par la suite à la fin de sa carrière (Cf « Frenzy »). On aurait presque parfois envie – dans la première partie du film – que « Vertigo » bascule dans le fantastique, tant les scènes du cimetière et du musée sont réussies.

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Les autres comédiens nous sont vite indifférents, c’est une particularité de ce film. Barbara Bel Geddes est certes plus crédible que Kim Novak en fiancée de Stewart question âge. Tom Elmore, le « méchant », est aussitôt vu, aussitôt oublié. Par contre, Ellen Corby en tenancière de motel est aussi énigmatique et mystérieuse que dans le pilote des « Envahisseurs » ou l’épisode « Tante Matha » de « Hawaii police d’état ».

Le film suivant, Alfred Hitchcock, nous offrira une autre blonde, mais une vraie actrice, elle, Eva Marie Saint. Ouf!

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11. LA MORT AUX TROUSSES
(NORTH BY NORTHWEST)

La Mort aux Trousses


Depuis huit ans, Sir Alfred avait dans la tête une histoire qu’il appelait « L’homme dans le nez de Lincoln ». Le 2 juin 1958, il se met au travail avec le scénariste Ernest Lehman avec pour titre « In a Northwesterly direction ». Pour sa distribution, Hitch voulait pour le rôle principal masculin Cary Grant et Grace Kelly dans le rôle de l’espionne Eve Kendall. La MGM souhaitait Cyd Charisse, sous contrat avec le studio. Hitchcock laissa jusqu’au mois de juillet réfléchir la princesse Grace qui hésitait. En cas de désistement, il proposait de choisir Elizabeth Taylor. En définitive, il eut l’idée de faire jouer à contre-emploi Eva Marie Saint, la partenaire de Brando dans « Sur les quais ».

Hitchcock attribuait l’échec de « Sueurs froides » à James Stewart, et jamais plus les deux hommes ne devaient tourner ensemble. Selon le maître du suspense, c’est l’affaissement du visage de Stewart qui avait ruiné « Vertigo ». Stewart l’apprit et en fut blessé. Hitchcock par la suite tenta de se rattraper, et de monter des projets avec Stewart dans les années 60, mais aucun n’aboutit.

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Pour le rôle du méchant, Philip Vandamm, Sir Alfred le proposa à Yul Brynner, qui s’avérait un excellent choix. Mais Brynner refusa et le choix se porta sur un comédien que Sir Alfred avait souvent vu sur scène à Londres, James Mason.
Le budget du film était de trois millions de dollars (il coûtera plus de quatre au final). Cary Grant, qui trouvait le scénario complètement stupide, et pensait que David Niven conviendrait mieux, s’obstinait à refuser. Ce n’est que devant le cachet exorbitant qui lui fut offert, 450 000 dollars, une participation aux bénéfices, et 5000 dollars pour chaque jour de dépassement de tournage que Grant céda. Mais ayant accepté à contre-cœur ce film, et gardant rancune à Hitch de leur dernier tournage commun, « La main au collet », il passera le plus clair de son temps dans sa limousine climatisée, à dénigrer le film auprès des journalistes, ou à s’enfermer dans sa chambre d’hôtel, celle de son personnage, Roger Thornhill.
Pour jouer la mère de Thornhill, le réalisateur engagea Jessie Royce Landis, qui, née en 1896, alors que Grant l’était en 1904, est un choix pour le moins surprenant. Hitch objecta que l’aspect juvénile de Grant permettait cette entorse.
Pour la huitième fois, il fit appel à Léo G Carroll. Enfin, il restait à distribuer le rôle de l’assistant homosexuel de Vandamm, Léonard. Hitch se souvenait de Martin Landau, qu’il avait vu au théâtre dans « The middle of the night » aux côtés d’Edgar J Robinson. Le casting étant terminé, le tournage pouvait commencer.

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Après l’expérience avec Kim Novak, Hitch voulait s’assurer d’une parfaite obéissance de son actrice principale, et lui demanda de porter des tenues élaborées par Edith Head, pourtant non présente au générique. Célèbre à sa réputation de tyran avec les actrices, il la réprimenda en la voyant boire dans un gobelet de plastique un café, alors qu’elle portait une robe de 3000 dollars. Il ne voulait pas que les figurants la voient boire dans autre chose qu’une tasse en porcelaine.

C’est toutefois avec Martin Landau et Cary Grant que les choses se passèrent mal. Landau avait fait l’actor’s studio et voulait montrer à Hitchcock que dans la scène où Thornhill est kidnappé, la façon dont Léonard se déplace est importante. James Mason raconta que pour frustrer le futur Rollin Hand de « Mission Impossible », le maître filma la scène de telle façon que la démarche de Landau n’apparaissait pas à l’écran. Mason ne fut plus stimulé pour son rôle, considérant qu’Hitchcock considérait mal les acteurs. En revanche, Eva Marie Saint se montrant très malléable n’eut plus aucun problème durant le tournage.

Le 27 août 1958, on tourne les premiers plans devant les Nations Unies. Le gouvernement refuse au réalisateur de tourner à l’intérieur. Le directeur de la photo Robert Burks se cache dans le camion d’une entreprise de nettoyage pour « voler » des plans. Se faisant passer pour un visiteur, Hitchcock suit un photographe qui a la permission de prendre quelques photos et lui indique de cribler l’intérieur. On pourra ainsi tout reconstituer en studio.

Après plusieurs prises de vues extérieures de New York, l’équipe se déplace à Chicago puis au Dakota du sud, à Rapid City. Pour obtenir l’autorisation du parc national de tourner, Hitch dut promettre qu’il ne s’y déroulerait aucune scène violente, mentant bien entendu effrontément. Robert Boyle, le décorateur, reconstitua quand même en studio le mont Rushmore pour y tourner tout ce qui était interdit.

Grant continuait de râler et se plaignit (à hauteur de voix du maître) auprès du scénariste Ernest Lehmann de ne rien comprendre au script et que Hitch n’avait plus le talent pour la comédie. Pour une fois, ce ne fut pas un acteur mais le maître qui fut terriblement offensé.

Pour la célèbre scène de l’attaque de l’avion, on frise la catastrophe. On venait pour tourner dans un champ de blé…qui n’est pas cultivé dans la région de Chicago. En catastrophe, Robert Boyle plante un champ de maïs. Toujours aussi mal luné, Grant, qui tourne la scène de l’avion devant une transparence, se réfugie dans sa limousine climatisée pour pester contre ce scénario sans queue ni tête.
Pourtant, malgré la mauvaise humeur de l’acteur, cette scène devient l’un des plus grands moments du cinéma.

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Ce sera le plus long montage d’un film pour le maître. Le tournage se termine en novembre. Bernard Herrmann est appelé pour composer la musique. Reste à Hitch de contourner la censure, en faisant remplacer une phrase d’Eve dans le train « Je ne fais jamais l’amour l’estomac vide » par « Je ne parle jamais d’amour l’estomac vide ». Mais en lisant sur les lèvres d’Eva Marie Saint, on a le vrai dialogue ! On rajoute aussi des mois après la fin du tournage « Venez madame Thornill » pour justifier que les héros sont mariés et non des amants célibataires.
Hitch est cependant sommé de changer le titre du film, qui devient « North by Northwest », une citation de l’acte 2 scène 2 de « Hamlet ».
Le film fait un triomphe à sa sortie : six millions de dollars sur le seul marché américain. Grant demande alors pardon à Hitchcock, en public, dans le réfectoire de la MGM, en s’agenouillant devant lui et le remplissant d’éloges. Il s’est rendu compte que son autre film de 1959, « Opération jupons » est bien pâle face à « La mort aux trousses ».
Comme à chacun de ses films, Hitch pensait au suivant, « No bail for the judge », film qu’il compte tourner en Angleterre avec Audrey Hepburn et Laurence Harvey, pour lequel, parallèlement au tournage, le scénariste Sam Taylor toucha un cachet, ayant entièrement fini son travail. Hitch avait même contacté Richard Burton pour le rôle donné à Harvey d’un film qui finalement ne se tournera pas.

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Disons-le d’emblée : c’est un des plus beaux films de l’histoire du cinéma. La scène époustouflante de l’avion voulant tuer Thornhill est un crescendo de la terreur où Hitchcock se dépasse. Gary Crant courant sur la route pour échapper à l’avion, puis voulant arrêter le camion-citerne restera comme le summum de la carrière du maître, avec la scène de la douche de « Psychose ».

Mais plutôt qu’une comédie, le film distille habilement la peur. Il a d’ailleurs été honteusement copié plan pour plan dans l’épisode des « Envahisseurs » : « L’innocent » où Michael Rennie force Roy Thinnes/David Vincent à boire et le lance avec un témoin gênant du haut d’une route de montagne.Quant au thème du quidam pris pour un autre et mêlé à une folle aventure, ce film sert de modèle (En 1980, bien qu’adapté d’un roman de Jean Patrick Manchette, « Trois hommes à abattre » de Jacques Deray reprend également le canevas).

Tourné en pleine guerre froide, le film permet à James Mason, Martin Landau (dont je ne trouve pas qu’il ait spécialement l’air homosexuel) de composer des personnages effrayants. Même les méchants secondaires et tout ce qui tourne autour sont glaçants : la demeure de Townsend, les gorilles à l’air de robots.

James Mason tout en finesse compose un fauve à la fois menaçant et séduisant. Parfaitement british, il rappelle souvent Christopher Lee lorsque ce dernier est bien employé. Le regard de Martin Landau est diabolique. Face à eux, Cary Grant joue un héros tout en légèreté, dont s’inspirera plus tard un Roger Moore. Honnêtement, James Stewart n’aurait pas convenu. Et Grant a une classe que l’on ne retrouvera plus chez Hitch, avec notamment un Rod Taylor. La première scène du film, plagiée dans « Les envahisseurs », plante le décor. Thornhill a beau plaisanter, c’est un combat à mort entre le bien et le mal qui nous est proposé. Autre grand moment de cette scène, la fuite précipitée des agents de Vandamm qui font un demi-tour vers la nuit qui les enveloppe.

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Le choix de Jessie Royce Landis est une mauvaise idée. Grant faisant son âge, et l’on voit bien que l’actrice ne peut être sa mère. L’argument du maître n’est pas justifié.

Le début du film nous plonge dans le mystère et la paranoïa. La seconde visite à la demeure Townsend achève de nous plonger dans la perpléxité. « Les envahisseurs » auront aussi emprunté à cette scène dans « Le rideau de lierre » où David Vincent revient à l’académie des Midlands avec des policiers et où toutes les traces ont disparu. La vision du jardinier se relevant après le départ des policiers nous montre que le cauchemar vient juste de commencer.

Seul bémol : la présence de la mère. Pas seulement pour l’actrice. Une petite amie aurait été un choix plus judicieux.

Le scénario devient un peu invraisemblable lors de l’enquête de Thornhill à l’hôtel dans la chambre du supposé Kaplan. Notre héros est publicitaire, pas détective.

Toutefois, très vite, l’intrigue nous conduit tambour battant sans nous laisser le temps de réfléchir.

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Il est certain que Grace Kelly aurait été un merveilleux choix, mais tant Cyd Charisse qu’Elizabeth Taylor n’auraient pu incarner Eve. Si Eva Marie Saint est un peu glaciale, c’est une véritable comédienne et son personnage rappelle parfois le sacrifice d’Ingrid Bergman dans « Notorious ». En tout cas, loin d’une Tippi Hedren, elle se tire admirablement bien de son rôle.

Hitch use de façon magistrale du gigantisme des nations unies. La réunion des agents secrets dirigée par Leo G Carroll fait basculer le film de la paranoïa à l’espionnage.

On retrouve ensuite une thématique chère à Hitchcock, la gare et le train: cette séquence évoque celle de « La maison du docteur Edwardess ». C’est un espace confiné. Dans une scène, Hitch va même évoquer « Sueurs froides » en filmant une version comique du baiser circulaire. Il reprendra une scène de quai de train dans le prologue de « Pas de printemps pour Marnie » avec moins de bonheur.

Une très belle scène est constituée par Thornhill et Eve enlacés. La musique de Herrmann ne sera jamais aussi bonne dans le film que bercée par cette séquence. Le compartiment crée une claustrophobie qui ici n’est pas désagréable. Les acteurs semblent tâtonner, avec le mouvement du convoi.

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Mais Herrmann (je vais me faire des ennemis) nous impose d’entrée une musique tonitruante, de plus, au lieu de se faire discrète dans les scènes de suspense du début, elle vient surcharger le film inutilement. L’absence de musique lorsque Thornhill rencontre l’homme qui attend l’autocar, bien au contraire, renchérit le sentiment de peur chez le spectateur. Quant aux scènes du meurtre aux nations unies, Herrmann se caricature et nuit considérablement au film.

La scène de l’avion est un morceau de génie. Par exemple, le regard de Thornhill vers le champ de maïs ressemble à un mourant de soif dans le désert découvrant une oasis. Hélas, juste après l’explosion de l’avion contre le camion, Hermann nous casse à nouveau les oreilles. Hitch qui sut si judicieusement choisir Rosza et Waxman aurait pu alterner sans toujours nous imposer ce compositeur. Fort heureusement, s’il est médiocre dans les scènes d’action, il se rattrape avec la scène qui suit (retrouvailles avec Eve). Je reste persuadé qu’Hitchcock aurait pu trouver mieux.

La tension et le rythme baissent un peu après la scène de l’avion. On note que Grant change de jeu face à Eva Marie Saint. Il perd son humour, devient moins léger. Elle améliore son jeu. On se prend à rêver à ce que cela aurait été si une certaine Grace Kelly avait joué le rôle.

La scène de la vente aux enchères est encore un moment d’anthologie. Grant retrouve sa légèreté. Martin Landau joue beaucoup avec son regard, ce qui est très réussi. Il laisse presque en retrait James Mason dans la scène des enchères.

On ne peut s’empêcher de dresser un parallèle entre Eve Kendall et Alicia Huberman dans « Les enchaînés ». La femme sacrifiée et injustement rabaissée par le héros, qui ne se rend pas compte du mal qu’il fait.

En perdant Cary Grant à l’issue de ce tournage (et James Stewart), le maître du suspense ne trouvera plus de stars masculines de leur valeur (On se souvient du rendez-vous raté avec Newman dans « Le rideau déchiré », Connery et ses tics dans « Marnie »).

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Voilà un sérieux prétendant au titre de meilleur Hitchcock (avec le fabuleux « L’ombre d’un doute »).

Arrive la scène du mont Rushmore. Rarement un film aura cumulé autant de morceaux d’anthologie.

Curieusement, j’aurais été assez d’accord avec la MGM qui voulait couper la scène d’explication dans la forêt entre Eve et Roger. Elle ralentit le film. Mais Hitch eut le dernier mot face au chef du studio Sol Siegel.

Enfin, la dernière scène est un grand moment d’érotisme avec ce tunnel qui engloutit les époux.

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Conclusion : Cary Grant, au sommet de son art, est parfait. Lorsqu’il entre par effraction en se sauvant de l’hôpital, la femme d’abord épouvantée lui demande « vous êtes pressé ? ». Je crois que cela résume l’acteur.
Eva Marie Saint, évidemment moins talentueuse que Bergman et Kelly, mais à des lieues de Tippi Hedren.
James Mason : on n’imagine plus le film sans lui. Sans doute plus subtil que Yul Brynner qui a bien fait de refuser le rôle.
Martin Landau : un sans faute d’un bout à l’autre du film. Aussi menaçant qu’un serpent.
Bernard Herrmann : ce n’est pas sa meilleure partition, surtout dans les scènes d’action qu’il surcharge, mais meilleur dans les scènes intimistes.
Et le maître, qui arrivait à la soixantaine, au sommet de son art.

Un film absolument indispensable.

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